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« Oui » à … tout
Mourir est, après la naissance, l’événement le plus important de notre vie. Nous devrions vivre la mort comme si la vie était une fête, la fête du retour à notre origine.
La mort est un messager de la joie, un baiser de Dieu qui nous réveille pour une autre vie. WILLIGIS JÄGER
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L’art de vivre
La mort est incompréhensible, dites « oui » tout de même ! La mort est la fin du voyage terrestre. Est-il sage de laisser gâcher le voyage par l’idée qu’il y aura une fin ?
Avez-vous des souvenirs désagréables de l’endroit où vous étiez avant votre naissance ? Pourquoi, alors, être anxieux à propos du retour à cet endroit ? Considérez la mort comme un ami qui vous rappelle gentiment que le moment présent ne vient qu’une seule fois et que chaque moment et chaque jour peuvent être le dernier. De ce fait, penser à la mort devient une possibilité pour vivre la vie d’une façon plus intense et avec plus de gratitude.
Même dans une tasse de caféon peut voir le reflet du soleil… et uneflaque d’eau sale reflète toujours la beautédu ciel…
Il n’y a pas d’événements positifs ou négatifs. Il n’y a que des événements. De la même manière il n’y a pas de beau temps ou de mauvais temps. Il n’y a que du temps. Il est facile de dire « oui », tant que tout se passe selon notre désire, mais celui qui ne peut jouer qu’avec de bonnes cartes, n’est pas une grand joueur. Un grand joueur prend plaisir au jeu, quel qu’il soit. Un grand joueur prend les « mauvaises » cartes comme un défi et comme une occasion d’améliorer et de parfaire son jeu. Il aime aussi le jeu, même quand c’est l’adversaire qui gagne. Un vrai gagneur gagne toujours. Il dit « oui » à tout ce qui peut se produire. Savoir naviguer dans un orage n’est pas être insensible aux intempéries mais c’est l’art de naviguer, d’ajuster les voiles et le gouvernail et de tenir le cap. Dire « oui » à tout ce qui peut se présenter dans la vie, n’est pas un signe d’insensibilité. C’est un signe de respect pour la vie. C’est une décision de participer à la vie telle qu’elle est. C’est célébrer la vie. C’est une expression d’un art de vivre.
Un événement malheureux est souvent votre plus grand rêve qui essaye de devenir réalité.
ARNOLD MINDELL (1940 - )
L’art de dire « oui » à tout, c’est l’art de voir tout comme une occasion d’apprendre. Tout comme une femme pour qui la douleur de l’accouchement n’est pas une souffrance parce c’est le début d’une nouvelle vie, un évènement difficile n’est pas une souffrance parce il peut être le début d’une nouvelle compréhension. Une souffrance est une sorte d’accouchement psychique où une conscience approfondiepeut voir le jour. Quelqu’un qui, ayant une vision trop restreinte, ne verrait que la souffrance et essaierait de la bannir, rendrait aussi impossible la naissance. Souvent, les circonstances les plus difficiles à accepter, peuvent nous apprendre les leçons les plus importantes. La vie n’est pas là pour nous faire plaisir, mais pour nous aider à nous découvrir nous-mêmes. La conscience la plus importante est peutêtre que chaque problème, chaque difficulté, chaque perte peut nous rapprocher denousmêmes.
Comme il l’a été annoncé plus haut, le vrai « je » est ce qui reste, après avoir lâché tout ce qui n’est pas « je », tout ce avec quoi nous nous sommes indûment identifiés. Parfois, la vie nous y aide et souvent nous y résistons avec colère ou tristesse. Mais chaque fois nous avons le choix de saisir la chance offerte ou de se perdre dans l’auto-apitoiement et le mal-être. Celui qui ne fait pas du bonheur sa propre affaire, donne son pouvoir aux autres ou aux circonstances. Peut-être que l’ultime leçon est que la seule raison d’être heureux, est l’existence elle-même, la célébration de la vie, indépendamment les circonstances.
De tout peut naître une conscience plus profonde. Chaque problème, chaque perte peut nous rapprocherde nous-mêmes.
Celui qui peut s’approprier cette attitude, accède à une vie de grande sérénité. Il n’est pas vécu par les circonstances, mais il vit la vie de l’intérieur. Il est comme un roc dans les vagues de la vie.
L’art de vivre
La vie est souvent incompréhensible, dites « oui » quand-même !
Chaque fois que vous dites « oui », vous vous rapprocher de votre source interne de bonheur !
Chapitre 7: L’art du changement
Choisir la bienveillanceet le bonheur
Vivez avec le courage comme guide et le bonheur comme compagnon. MARC TULLIUS CICERO (dit : Cicéron le jeune) (106 av. J.-C. – 43 av. J.-C.)
Vous ne pouvez pas être malheureux sans un récit ayant comme titre: « Pourquoi je ne peux pas être heureux. » ECKHART TOLLE
Si vous voulez être heureux soyez-le. PROVERBE CHINOIS
La décision d’être heureux n’est rien d’autre que la décision d’arrêter d’être malheureux. BARRY NEIL KAUFMAN
Pour votre nouvelle identité, faites le choix d’être heureux ! Définissez-vous comme une personne heureuse, peu importe comment a été le passé ou comment vous l’avez vécu jusqu’à présent. Le présent et le futur sont toujours plus importants que le passé. Faites du bien-être votre priorité, votre constitution, votre plateforme de départ. Créer le bien-être est une compétence pour laquelle vous n’avez besoin de rien, sauf de votre conscience. C’est vivre dans une abondance existentielle. Une abondance de bien-être.
Choisir de faire du bien-être votre première priorité équivaut à une révolution Copernicienne dans votre univers interne et externe. Cela vous donne un nouveau regard sur vous-même et sur le monde. Pour cela, il vous suffit de mettre de côté un certain nombre de schémas de pensées devenus obsolètes, tout comme l’humanité a dû le faire après la publication de « De Revolutionibus Orbium Coelestium» de Copernic en 1543. Combien de temps faut-il pour l’apprendre ? Cela dépend. Combien de temps faut-il pour apprendre une autre langue ? Pour apprendre à conduire à gauche au Royaume Uni ? Pour apprendre à jouer du violon ? Cela dépend de votre motivation à apprendre et de votre concentration. Personne ne peut vous dire combien de temps vous allez y passer. En effet, il s’agit d’un processus d’apprentissage, pas d’une guérison. Il n’y a pas de plaies qui doivent guérir ni de fragments qui doivent être recollés. Il n’y a qu’une vision qui doit être modifiée, voir transformée. Si vous voulez apprendre l’espagnol, il n’est pas nécessaire de désapprendre ou de combattre votre langue maternelle. Si vous voulez apprendre à conduire à gauche, vous ne devez pas désapprendre ou combattre votre habitude de conduire à droite. Si vous voulez créer un nouveau chemin dans une forêt, vous ne devez pas commencer par
essayer d’ éliminer l’ancien chemin. Il suffit de commencer d’utiliser le nouveau chemin. L’ancien chemin se refermera tout seul.
Pour celui qui a des valeurs chrétiennes, la compassion et le bien-être sont presque des valeurs évidentes. En effet, le Christ disait de chercher d’abord le royaume de Dieu. Il disait également que le royaume de Dieu est en nous. Platon, lui-aussi, disait que l’amour est dans celui qui aime et non pas dans celui qui est aimé. Cela signifie que la source de l’amour et du bonheur est en nous.
Mais, même si on a une vision plus profane de l’évolution et de la vie, il s’agit d’une règle incontournable. La vie est une évolution vers un ordre plus grand. Participer au projet de l’évolution de la vie, signifie donc participer à la création d’ordre. Quelles sont les circonstances où l’interactions entre les individus est la plus ordonnée? C’est quand ils montrent un comportement que nous appelons amour. Ainsi, Saint Augustin (354-430) pouvait écrire: « Aime et fais ce que tu veux.»Cela ne signifie pas qu’alors tout serait simplement permis, mais bien que celui qui aime, fera naturellement le bien. Le philosophe Nietzsche, lui aussi, malgré sa maladie et les contretemps, nous incite à aimer la vie passionnément. De nombreuses personnes, des gens stressés aux gens ayant des problèmes relationnels, et des patients anorexiques aux patients cancéreux qui savaient qu’ils n’avaient plus que quelques mois à vivre, ont eu l’expérience que le choixde faire du bonheur une priorité, peut améliorer la qualité de la vie de façon spectaculaire. Toutes ces personnes ont témoignés du grand pouvoir transformateurque cette simple réalisation a introduit dans leur vie et comment cela les a mené vers une vie plus riche, plus sereine et plus heureuse. Cette vision peut, bien sûr, rencontrer une résistance. Ce raisonnement peut être rejeté comme simpliste, naïf et pas vraiment pertinent. On peut rejeter la validité de ce point de vue pour privilégier ce que l’on peut appeler « le bon sens ». Ceci est, d’ailleurs, largement soutenu par le discours social et par les nombreux professionnels qui prétendent que cela ne peut pas être aussi simple. En effet dans la culture occidentale, l’homme ne peut prétendre au bonheur ou à la rédemption qu’au prix de beaucoup de peines et de souffrances – qu’on se souvienne du Christ en croix - et uniquement lorsqu’il l’aura mérité, qu’il se sera bien comporté et qu’il aura fait suffisamment d’efforts.
Laquelle de ces deux visions est correcte? Aucune des deux ! Mais aucune des deux n’est fausse non plus ! Ce sont des visions, pas des vérités irréfutables. Mais les visions ont des conséquences. Effectivement, le regard qu’on pose sur le monde, conditionne le monde que l’on voit. Pourquoi ne pas choisir, alors, une vision qui génère plus de gentillesse et plus de bien-être ? Être heureux ne donne pas seulement une vie plus agréable, mais aussi une meilleure santé physique. Voltaire disait déjà:
J’ai décidé d’être heureux, c’est meilleur pour la santé. VOLTAIRE
L’amour et le bonheur ne sont pas seulement un cadeau aux autres, ils sont en premier lieu un cadeau à soi-même136 . Quand on a une vie malheureuse, sans amour, on ne fait pas seulement du tort aux autres mais on se fait aussi du tort à soi-même.
L’amour n’est pas une bien qu’on peut se donnerl’un à l’autre, mais un processus par lequel on peut s’inspirermutuellement. L’amour permet l’expérience du mystère de la vie et de l’existence. Effectivement, ce qu’on ressent pour un être aimé, a moins à voir avec cet être aimé qu’avec sa propre source interne d’amour. Aimer c’est comme découvrir le soleil. On ne peut pas se donner le soleil, mais on peut s’inspirer à le voir, lui qui était présent depuis toujours, même obstrués par des épais nuages.
L’art de vivre
Faites du bien-être la ligne de base de votre vie. Si ce matin, vous avez eu la chance de vous réveiller, alors vous êtes déjà un chanceux ! C’est que dans votre vie il y a plus de choses qui vont bien que de choses qui ne vont pas bien. Réalisez-vous que chaque jour est un cadeau. Tout le reste – la richesse, le succès, les possessions, un emploi, une voiture, une maison –ne sont que des éléments en plus, des bonus. Avoir la chance d’être né dans un pays riche et de pouvoir participer au jeu social, est un bonus. Avoir un bon emploi est un bonus. Avoir une
136 Voor een visie op geluk als positieve bijdrage aan gezondheid, cf. Bernie. S. Spiegel. Peace, Love and Healing. London: Arrow Books, 1990. Cf. Également: Ornstein R. & Sobel, D. The Healing Brain. London: Papermac. 1989.
maison est un bonus. Pouvoir aller en vacances est un bonus. Tous ces bonus font plaisir mais ne sont pas essentiels pour le bonheur. Il n’y a qu’une seule raison d’être heureux: être en vie.
Mais il nes’agit quand-même que desprocessus électrochimiques dans le cerveau?
L’une des objections les plus entendues, est que la science a maintenant bien démontré qu’il n’y a que des réactions électrochimiques dans le cerveau. Le problème, en effet, c’est que c’est vrai. Tout ce que l’homme peut faire, n’est finalement qu’une conséquence de l’activité d’environ cent milliards de neurones dans le cerveau, qui libèrent des neurotransmetteurs dans les synapses, et qui sont connectés à plusieurs milliers d’autres neurones. Cela représente beaucoup plus d’informations que la conscience n’est capable d’absorber et de comprendre. Pour illustrer cette complexité, imaginez-vous que la terre contiendrait environ dix fois plus d’habitants qu’il y en a actuellement (remplacez par exemple chaque personne actuelle par dix autres !) et qui, en plus, seraient toutes en contact téléphonique avec quelques cinquante mille autres personnes. La conscience est incapable de traiter une telle quantité d’informations au niveau microscopique. De la même manière, nous sommes incapables de saisir une image de télévision en n’observant que la couleur et la luminosité de chaque pixel de l’écran. N’empêche que, comme l’histoire de Nasroedin, nous cherchons notre clé dans la lumière du réverbère de la science, parce que là il fait plus clair, que dans notre maison où nous l’avons pourtant perdue. Mais, bien que nous sachons que la causalité ultimese situe bien au niveau microscopique, ce n’est pas le niveau de notre expérience. En effet, l’expériencehumaine consiste de significationset les faits en eux-mêmes n’en ont aucune. De la même façon que nous ne pouvons pas comprendre une danse en étudiant les contractions musculaires du danseur, et que nous ne pouvons pas comprendre un tableau en examinant toutes les qualités de la peinture.
Certes, nous pouvons faire de la recherche scientifique au niveau microscopique, mais alors nous n’avons plus l’expérience de la signification au niveau macroscopique. Nous ne pouvons jamais avoir l’expérience de la beauté d’une rose en examinant les cellules et les molécules dont elle est faite, de même que nous ne pouvons pas saisir la signification d’un roman en examinant les lettres du livre qui le raconte. Selon les théories neurochimiques, l’effet thérapeutique de, par exemple les antidépresseurs, serait dû à des processus au niveau de la neurotransmission. L’incommensurabilité empirique et conceptuelleentre ces processus neurochimiques d’un côté et les symptômes dépressives de l’autre, explique le pouvoirexplicatiflimité de ces théories. En effet, les théories neurochimiques utilisent des concepts (les neurones, les synapses, les neurotransmetteurs, les récepteurs…) qui sont d’un tout autre ordre logique que les concepts avec lesquels le vécu de la dépression est décrite (l’angoisse, la colère, les motivations, les désirs, le sens de la vie, l’enthousiasme, l’amour, l’identité, la morosité, la dévalorisation, le
sentiment de culpabilité) qu’il est impossible d’établir une relation directe entre ces deux niveaux. On peut lire, à ce sujet, l’excellent livre, clair et pertinent De Depressie-Epidemiede la philosophe des sciences Trudy Dehue. 137 Bien que le monde consiste effectivement de particules élémentaires qui font l’objet de l’électrodynamique quantique, pour comprendre notre expérience nous avons besoin de notions d’un ordre beaucoup plus élevé, et qui, pour nous sont beaucoup plus parlant, tels que le corps, l’esprit, le « je », l’émotion, la volonté, le désir, la beauté, l’amour, le bonheur, la générosité, l’incertitude, la fidélité, la jalousie, la solitude, l’humour, l’angoisse, la colère, la dépression et autres, qui font partie des notions quotidiennes du monde macroscopique. Ce sont ces notions qui ont une signification pour nous. Nos convictions les plus profondes, ne se rapportent pas aux électrons ou aux concepts neurochimiques, mais aux catégories mentales conceptuelles. Savoir que l’eau c’est du H2O, ne dit rien de l’expérience d’un cours d’eau ruisselant, de la sensation de boire une eau fraîche, d’une pluie douce au printemps, d’une pluie tropicale, d’une cascade imposante, de l’océan infini ou du spectacle du déferlement des vagues sur la plage… Bien que nous pouvons effectivement nous focaliser sur le vrai niveau causal des réactions chimiques, des événements neuronales ou sur la soupe électrochimique des particules élémentaires comme les électrons, les protons, les quarks, les gluons et les leptons, ce n’est que quand nous prenons une position plus globale et que nous dirigeons notre attention vers un niveau supérieur, que des entités et des significations émergent qui, au niveau inférieur, étaient totalement invisibles. C’est à ce niveau supérieur que nous trouvons une carte utile de la réalité, sur laquelle le « je » a une place à côté de concepts comme « intérieur » et « extérieur » ou comme « le moi » et « l’autre ». La conscience nous donne une carte plus ou moins synoptique du monde, de nous-mêmes et de notre place dans celui-ci. Nous expliquons notre comportement en invoquant des concepts comme « le désir » ou « la volonté », que nous pouvons attribuer à leur tour à une entité, un personnage que nous nommons « je ». Ce « je » semble un mythe indispensable pour assurer la continuité et la cohérence de notre vie.
Se focaliser sur des niveau plus petits, mène souvent à des propositions réductrices du genre : « Tout cela n’est que… » à compléter selon le cas par : « des réactions chimiques, des neurotransmetteurs, de l’argent, du pouvoir, du sexe… » Cette focalisation sur des niveaux plus bas, s’appelle du réductionnismeou du matérialisme. Cette position est
137 Trudy Dehue. De Depressie-Epidemie. Amsterdam-Antwerpen: Augustus, 2008.
caractéristique pour des personnes qui, en général, se réfèrent à la science, bien qu’il ne s’agisse pas, en réalité, de propositions proprement scientifiques. Le mouvement inverse, une défocalisation vers des niveaux plus élevés (d’ordre morale, éthique, sociale, politique, globale, spirituel, transcendant…) est caractéristique pour une approcheplus mentale, idéaliste, existentielle ou spirituelle. Les deux visions sont légitimes et utiles. Mais une vision basée exclusivement sur l’une des deux approches, est une vision unilatérale qui crée plus de confusion que de compréhension.
Si un physicien tentait d’expliquer un ballet, une relation d’amour ou une guerre en disant que ces activités sont la conséquence de trillions de collisions avec conservation du moment d’impulsion entre les particules de la mécanique quantique, personne n’en serait éclairée. Personne ne songera à faire une déclaration d’amour du genre : « la quantité infinie d’atomes, de molécules et de cellules en vous a animé la quantité infinie d’atomes, de molécules et cellules en moi à produire des molécules qui ont guidé les circuits neuronales et les muscles dans mes jambes vers ce lieu pour rencontrer vos molécules afin de … » Mais vous avez déjà compris : cela ne mènerait nulle part !
Pour apprendre à danser nous n’avons pas besoin de concepts physiologiques, mais artistiques. Pour apprendre à être heureux,nous n’avons pas besoin des concepts neurophysiologiques mais existentiels et spirituels.
De la théorie àla pratique
En théorie il ne doit pas y avoir de différence entre la théorie et la pratique, mais dans la pratique il y en a une. CHUCK REID
La théorie détermine ce que nous pouvons observer. ALBERT EINSTEIN (1879-1955)
Sans une théorie pertinente la réalité est incompréhensible. KENT GREGORY
Bien que beaucoup de personnes prétendent connaître et comprendre certains concepts, souvent elles trouvent quand-même difficile de les traduire dans un comportement conséquent. Pourtant, un comportement n’est, en soi, ni facile, ni difficile. Il y a seulement des comportements qu’on connait déjà et des comportements qu’on ne connait pas encore. D’un comportement qu’on ne connait pas, on n’a pas de représentation claire des étapes successives, de sorte que cela parait toujours difficile. Par contre, d’un comportement qu’on connait on a une représentation claire, un plan d’action en tête, de sorte que cela paraît facile. Il est donc important d’avoir une représentation claire du processus.
Un comportement est toujours déterminé ou motivé par une raison, un désir, soit d’éviter (motivation négative), soit d’obtenir (motivation positive). Un comportement est maintenu, soit par des expériences indésirables (conséquences non souhaitées, punition), soit par des expériences agréables (récompense, plaisir, renforcement) qui en sont la conséquence. De cette manière les habitudes se forment. Comme on l’a vu plus haut, dans les comportements addictifs, les personnes ne vont modifier leurs habitudes que s’il y a une motivation négative ou positive suffisante.
Chaque décision n’est pas seulement une décision à propos d’un certain comportement, mais est aussi un choix sur son identité, sur ce qu’on veut être. Chaque être humain a un paysage intérieur, coloré de la palette de ses multiples désirs. La plupart de ces désirs restent exactement ça : des désirs. On « aimerait » manger plus sainement, faire plus d’exercice, arrêter de fumer, lire davantage, apprendre l’italien, faire un voyage autour du monde, jouer du violon... Ces désirs sont bien là, mais ce ne sont pas des désirs que l’on « prend à cœur », auxquels on « tient » vraiment et pour lesquels on trouve mille excuses pour ne pas les traduire en comportement conséquent.
Ils existent bien de ces désirs passifs de l’ordre du « je voudrais bien... mais je n’y arrive pas. ». Ce sont plutôt des rêves que des désirs productifs auxquels on s’identifie et qui conduisent à une décision et à un plan concret de mise en œuvre. En explorant et en prenant plus consciemment connaissance du paysage interne de ses souhaits et de ses désirs, on peut se les approprier et s’y identifier parce qu’ils correspondent à « qui on veut être ». On s’engage, on est déterminé à agir. Ceci est le processus créatif de se construire, c’est à dire de devenir qui on désire être.
En outre, une personne ne vit pas dans le vide mais est intégrée dans un champ social gravitationnel et est donc constamment soumis à certaines forces. Le schéma ci-dessous, basé sur les travaux du philosophe et psychologue américain Ken Wilber, en montre quatre dimensions qui sont importantes et qui peuvent en même temps être des opportunités ou des obstacles pour ou contre un changement efficace. 138 La moitié supérieure du schéma concerne l’individu, la moitié inférieure concerne la société. Le côté gauche du schéma concerne toujours le monde intérieur alors que le côté droit concerne le monde extérieur.
138 Ken Wilber,The Integral Vision. Boston & London: Shambala. 2007. Cf. également: Ken Wilber, Sex, Ecology, Spirituality: The Spirit of Evolution. Boston, Massachusetts: Shambhala, 2000.
INTERNE
INDIVIDU Attitude
Conscience - subjectif (“je”)
Phénoménologie, processus psychiques ... EXTERNE
Comportement
Corps - objectif (« il »)
Biologie, neurologie, neurosciences …
SOCIÉTÉ Vision du monde
Contexte culturel et l’air du temps (« Nous »)
Études culturelles et historiques Structures
Système social et environnemental (« Eux »)
Sociologie, écologie, pensée systémique
Imaginons que nous aimerions aider quelqu’un à apprendre à danser le tango. Danser le tango est, bien sûr, une métaphore pour l’art de vivre, déjà décrit précedemment comme une danse avec la vie.
Alors nous pourrions nous demander:
1. Cette personne est-elle physiquement capable de danser le tango?
Un examen des moyens physiques est le plus facile et consiste à vérifier si la personne concernée a suffisamment d’équilibre, de force musculaire, de coordination, de psychomotricité, d’intelligence, etc. Cet examen porte donc sur les os, les muscles, les sens, le cerveau et éventuellement les hormones et les neurotransmetteurs. Ce sont des questions appartenant au quadrant supérieur, droit, celui du Comportement. De bons muscles sont essentiels pour le tango, mais ne suffisent pas pour cela et personne n’apprend à danser le tango en étudiant les muscles. Pour étudier les muscles, des concepts et compétences physiologiques sont nécessaires. Pour apprendre à danser le tango des concepts et compétences artistiques sont nécessaires..
2. La personne concernée a-t-elle une attitude mentale adéquate pour le tango?
Ici il s’agit d’autres concepts, plus artistiques et existentiels. La personne concernée a-t-elle le sens du rythme ? Aime-t-elle la musique ? Aime-t-elle le mouvement physique ? Aime-t-elle danser ? Quelle est sa motivation ? Pourquoi désire-t-elle apprendre le tango ? Est-ce pour avoir une expérience agréable ? Pour rencontrer un partenaire ? Pour le prestige ? Pour gagner de l’argent ? Pour participer à des compétitions ? Toutes ces motivations sont, bien sûr, des éléments moins faciles à répertorier. Ce sont des questions appartenant au quadrant supérieur, gauche, celui de la Conscience.
3. Y a-t-il des occasions de danser le tango dans la région ?
Y a-t-il des écoles et des enseignants ? La musique requise est-elle disponible ? Y a-t-il d’autres parties intéressées ? Y a-t-il des occasions ou des associations ? Ces questions trouvent leurs places dans le quadrant inférieur, droit, celui des Structures..
4. Y a-t-il dans cette société une culture du tango ?
La danse du tango est-elle une activité considérée comme gratifiante et tenue en estime ? Est-il apprécié ? Ces questions appartiennent au quadrant inférieur gauche, celui de la Vision du monde..
Le changement sera plus facile si les réponses aux questions des quatre quadrants sont affirmatives et se confirment mutuellement. Le changement sera plus difficile si un ou plusieurs quadrants ne l’agréent pas et constituent donc un obstacle. Ainsi, il sera plus facile pour un individu de mettre en œuvre un plan d’action pour un changement s’il est soutenu par les opinions sociales prépondérantes (les récits, les mythes, les croyances, les normes morales, la vision du monde, ce qui est considéré comme « normal ») et par les structures existantes qui en résultent (les médias, les systèmes politico-économiques, le système sanitaire, les lois...). En plus, un changement de comportement réussi sera considéré comme validant la légitimité d’une opinion particulière, tandis qu’un « échec » l’invalidera. Par exemple, il y a à présent un virage sociétal vers le sevrage du tabac, soutenu par certaines règles et lois, ce qui rend l’arrêt du tabagisme individuel souhaitable et faisable. Un arrêt réussi du tabagisme validera le bien-fondé de cette décision. L’intérêt social actuel pour l’environnement et l’empreinte écologique stimule également les individus à vivre une vie plus saine et respectueuse de la nature.
Au niveau de la société, les structures reflètent une certaine vision sociale du monde. Un changement de structure ne sera possible que s’il est porté par une adhésion du monde social, notamment lorsque les esprits auront mûri et seront convaincus de la nécessité du changement.
Il y a des formes de thérapie où attention est surtout portée aux quadrants « Vision du monde» et « Structures ». Ils soutiennent, à juste titre, que l’homme ne vit pas dans un vide et qu’il est, au-delà de sa connaissance, constamment moulé et influencé par le bain culturel dans lequel il se trouve. Ces approches dites systémiques considèrent l’homme comme un élément d’un système plus vaste. Sur le plan individuel, par contre – voir les quadrants « attitude » et « comportement » - un changement de comportement sera le résultat d’un changement d’attitude (des points de vue et croyances individuelles). Il pourra être plus difficile à cause de comportements préexistants (automatismes, habitudes). Plus il y a de facteurs qui s’opposent à ce changement (habitudes, environnement social), et plus l’individu aura besoin d’être conscient et motivé pour réussir quand-même ce changement. Les réalités internes et externes doivent s’accorder et se fortifier mutuellement. Celui qui ne vit pas comme il pense, pensera bientôt comme il vit.
Puisque ce que nous expérimentons est la réalité en ce qui nous concerne, nous pouvons transformer la réalité dans la mesure où nous influençons ce qui se passe dans la conscience et ainsi nous libérer des menaces et des fadaises du monde extérieur.
MIHALY CSIKSZENTMIHALYI
Le processus individuel de prise de conscience et de progression du problème à la solution peut être représenté schématiquement par le modèle suivant, simple et connu, à quatre phases, qui sera reconnu par la plupart des gens :
phase 1
phase 2
phase 3
phase 4 Inconsciemment incompétent
« Je ne sais pas ce que je fais de mal ». (« Je ne vois pas pourquoi je ne fumerais pas ! »)
Consciemment incompétent " Je vois maintenant ce que je fais de mal, mais je ne me crois pas capable de faire quoi que ce soit à ce sujet.» (« Je me rends compte que je ne devrais pas fumer, mais je ne peux pas m’arrêter. »)
Consciemment compétent « Je sais maintenant quoi faire et si j’y pense consciemment je peux le faire. » («Je sais que je peux m’arrêterde fumermais je dois me rappeler de ne plus allumerautomatiquement une cigarette.)
Inconsciemment compétent « Je n’ai plus besoin d’y penser. Je le fait. (« J’ai arrêté de fumer »)
Comme nous l’avons mentionné plus haut, la meilleure motivation pour un changement est une amélioration de la vie concrète, c’est-à-dire la perspective d’une plus-value existentielle. Une représentation plus détaillée et plus concrète du processus de prise de conscience et de motivation au changement, pourrait être la suivante :
Modèle de pensée
1. Ignorance Je m’en fiche/cela ne m’intéresse pas, j’ai déjà assez d’ennuis comme ça. Moins j’en sais, moins je m’inquiète. Ça va s’améliorer tout seul. ( Je fume depuis si longtemps. On doit quand-même mourir de quelque chose ! )
2. Conscience Oui, mais je n’y peux rien. Je ne peux pas m’en empêcher, les circonstances ne sont pas de ma responsabilité. ( Je suis un fumeur et il n’y a rien que je puisse faire, je n’y peux rien. )
Accompagnement
Fournir des informations sans provoquer de résistance ou de rompre la communication.
On peut toujours faire quelque chose. Quand vous étiez enfant, vous n’étiez pas responsable. Adulte, vous devez assumer la responsabilité de votre comportement.
3. Début de préoccupation
4. Début de prise de conscience
5. Intention
6. Premiers pas chancelants
7. Comportement intégré
Oui, c’est mauvais, mais ce n’est pas de ma faute. Le gouvernement doit prendre sa responsabilité et faire quelque chose. J’ai déjà assez d’ennuis, de problèmes. (Je n’y peux rien d’être accro. Je ne peux pas m’empêcher d’être assujetti à la cigarette. )
Oui, je le sais bien, mais ce n’est pas si simple. ( Je sais que je devrais arrêter de fumer, mais je n’y arrive pas. )
Ce n’est pas une question de culpabilité, c’est une question d’engagement et de responsabilité.
Ce qui n’est pas facile est quand-même possible. Vous pouvez toujours recommencer et faire un pas de plus.
Je voudrais bien, mais je n’ai pas le temps, pas d’argent, pas de confiance en moi, pas d’énergie... (Je devrais arrêter de fumer, mais la volonté me manque. )
Pour ceux qui veulent, il y a toujours des possibilités. Pour ceux qui ne veulent pas, il y a toujours des excuses.
Un premier résultat conduit à une plus grande confiance en soi : cela fonctionne ! (Je ne voulais plus me leurrer : j’ai arrêté de fumer et ça marche ! )
Je le fais tout simplement! (J’ai arrêté de fumer! ) Ratification du comportement par des résultats concrets.
Féliciter! Stimuler la satisfaction et la fierté du résultat obtenu.
De l’intention aurésultat
Comme mentionné ci-dessus, l'intentionjoue un rôle essentiel. Les gens peuvent toujours prétendre qu'ils ne savent pas comment faire quelque chose (faire du vélo, nager, arrêter de fumer...). En y regardant de plus près, cela est vrai. L'exemple de monter des escaliers a été donné précédemment. Si l'on y réfléchit, on ne sait pas non plus comment on fait : personne ne peut dire quels sont les muscles et les nerfs à mettre en œuvre pour y arriver, ni même comment s'y prendre. Personne ne sait comment fonctionne l'appareil « le corps », dont on ne peut que constater que « miraculeusement » il exécute nos intentions. Heureusement, il s'avère que comprendre n’est même pas nécessaire : si vous vérifiez vous-même comment se déroule le processus, vous constaterez qu'il n'est pas nécessaire de disséquer le fonctionnement du corps, mais qu'il suffit de formuler intérieurement l'intention, puis de faire confiance au corps pour mener à bien la tâche. Précédemment il a déjà été dit que même lorsque nous avons l'intention de réfléchir à quelque chose, nous ne pouvons pas faire autrement que de formuler cette intention de « réfléchir », puis de faire confiance au fait que, quelque part en nous, cette réflexion aura lieu et que nous en attendons le résultat. Ainsi, outre l'intention, la confianceest essentielle, tout comme nous faisons confiance à
l’accélérateur et aux freins d’une voiture. Notre corps et notre esprit sont nos fidèles serviteurs, toujours prêts à nous servir. Il suffit de prendre les devants et de fixer clairement la direction, c'est-à-dire de formuler une intention. Ensuite, nous devons juste faire confiance et nous abandonnerau processus. Les résultatssont obtenus en mettant quotidiennement en pratique les principes détaillés dans ce livre, notamment ce que nous avons décrit comme les révolutions coperniciennes. La première conséquence d'un changement de façon de penser est un changement de langage. Inversement, l'attention portée au langage conduit à une réflexion plus consciente. Plus vous reconnaissez que vous n'êtes pas la pensée, mais l'observateur de la pensée, plus la pensée perdra sa capacité à formater votre état d’âme. Ce à quoi vous prêtez attention, devient plus grand et plus puissant. En prêtant attention à de nouveaux choix, vous en ferez progressivement une réalité. La vie nous donne constamment un retour, un feedbacket des informationssur notre niveau de compréhension et de sagesse. La vie parle à chacun de nous en fonction de notre conscience, et elle le fait dans un langage qui capte le mieux notre attention.
La meilleure façon de garder l'esprit éveillé est de diriger l’attention en se posant des questions. Par exemple, demandez-vous chaque jour comment vos nouveaux principes … : - Ce que tu es, est ce qui reste quand tu as lâché tout ce que tu n'es pas. - Vous n'êtes pas le résultat passif d'événements passés, mais vous vous créez activement dans le présent, vous pouvez vous construire chaque jour. - Votre vision de la réalité vient de vous, il y a donc toujours un moyen de voir la "réalité" autrement.
- La source de toutes les émotions est en vous.
- La douleur et le plaisir sont des circonstances, la souffrance et le bonheur sont des relations à ces circonstances.
- Toute souffrance vient d'une source qui est présentement en vous.
- Le bonheur est toujours un choix possible : la source du bonheur est, elle aussi, ici et maintenant en vous.
- Vous pouvez être plus présent dans l'instant présent et vivre plus attentivement, avec plus d'émerveillement, de gratitude, de compassion et de bienveillance.
… seront mis en pratique: - Est-ce que je fais du bonheur une priorité ? - Ai-je fait le choix aujourd'hui d'être plus attentif, présent, émerveillé, reconnaissant, bienveillant et heureux ?
- Suis-je une source de bonheur pour les autres ?
Tout ce qui est nécessaire en plus de cela, n’est rien d’autre que ce qui l’est pour apprendre à jouer du violon ou à jouer au tennis : pratiquer, pratiquer etencorepratiquer. Il ne
s'agit pas d'appliquer mécaniquement et sans réfléchir un ensemble de vérités toutes faites ou des idées reçues, mais de se réaliser dans une pratique de vie concrète au quotidien. La création de nouvelles habitudes est essentielle. Elle passe par des actions concrètes qui mènent à de nouvelles habitudes. Les recherches montrent qu’en moyenne les nouvelles habitudes s’installent dans un délai de 20 à 50 jours. En effet, les habitudes représentent un énorme gain de temps car elles nous permettent de nous concentrer sur des valeurs supérieures. Ainsi, ce n’est que lorsqu’un musicien maîtrise sa technique qu’il peut prêter attention et soigner la mélodie, l’interprétation, l'expressivité et l’excellence. Dans un premier temps, il faut s’appliquer consciemment, c'est-à-dire une approche consciente et progressive. Avec le temps, on développe des automatismes, une seconde nature, une relation naturelle, une danseexistentielle avec la vie.
Le résultat sera proportionnel à l'investissement consenti. Seulement dans ce cas, il s'agit plutôt d'exercices de la conscience et non d'exercices sur le violon ou avec une raquette de tennis. Dans cet objectif, attendre est parfaitement inutile, rien ne peut vous empêcher de commencer dès aujourd'hui.
Le meilleur moment pour planter un arbre, c'était il y a 20 ans, mais le deuxième meilleur moment est aujourd'hui. PROVERBE CHINOIS
Quand vous avez besoin d’aide
Ce qui fait de nous des êtres humains vraiment uniques face à d'autres espèces est la capacité de nous changer nous-mêmes en utilisant notre esprit et nos pensées. DALE CARNEGIE (1888-1955)
Vous êtes ce que vous avez l'habitude de faire. L'excellence est une habitude. ARISTOTE (384-322)
Ne vous précipitez pas chez le premier thérapeute, psychiatre ou autre « expert » venu (au choix : psychanalyse, gestalt-thérapie, hypnothérapie, thérapie cognitive, thérapie comportementale, pleine conscience, constellations familiales, EMDR, EFT, PRI, kinésiologie, sophrologie, médecine énergétique, médecine holistique, acupuncture, aura-healing, lecture des chakras, fleurs de Bach, réflexologie plantaire, et autres bougies d'oreilles !).
Cela pourrait vous faire croire que vous avez un problème qui nécessite l’intervention d’un « expert ». Cependant, dans la plupart des cas il ne s'agit pas de vrais « problèmes psychologiques » mais de simples questions de vie qui n'appartiennent pas au domaine de la science ou de la psychologie, mais à celui des questions existentielles et éthiques. Les questions existentielles concernent la finitude de la vie, la maladie, la mort, l’inconstance et l'incertitude de la vie, l'angoisse, la solitude existentielle, le soi et les relations avec les autres, la liberté, la responsabilité et le sens de la vie.139 Les médecins, les thérapeutes ou les psychologues n'ont pas, en tant que tels, des connaissances privilégiées ou d'idées particulièrement utiles pour répondre à ces questions ou à d'autres questions de la vie. Cependant, l'opinion dominante dans notre société est que la science a une solution pour chaque problème et que, donc, les personnes appropriées sont des experts ayant une formation scientifique. En outre, comme de plus en plus d'expériences de vie sont qualifiées de « maladies » par la bio-neurologie, de nombreuses personnes se tournent en premier lieu vers leur médecin traitant. Si vous posez une question à un médecin, il y a de fortes chances que vous obteniez une réponse médicale sous forme de solution médicamenteuse. Si ce traitement échoue, il y a généralement une orientation vers un psychiatre, qui prescrit souvent encore plus de médicaments. S’il y a encore échec, une hospitalisation suit presque inévitablement, avec de surcroit encore davantage de médicaments. Et si cela échoue encore, il ne reste rien d'autre que la conviction que l'on est atteint d'une maladie vraiment très grave. Cette approche scientifique est évidemment très déshumanisante, réduisant le patient à un mécanisme déterminé par une causalité, le « produit » de circonstances ou d'événements passés ou présents. Bien sûr, la science a sa place, mais elle ne peut pas répondre à des questions existentielles, ni nous inspirer ou nous enthousiasmer pour la vie. Elle ne peut pas nous ouvrir à la beauté, à la poésie et au mystère de la vie. D'autre part, une certaine prudence s'impose également à l'égard de nombreuses « personnes ayant acquis une expertise de par leur propre vécu » qui prétendent « connaitre » le problème de l’intérieur pour l’avoir « vécu eux-mêmes ». Après tout, une expérience est toujours sélective et subjective. Elle est anecdotique, pas scientifique. Bien sûr, les gens savent ce qu'ils ont vécu, mais les conclusions qu’ils en tirent à propos des causes et des traitements, ne sont pas des lois scientifiques ayant force d’autorité et doivent être considérées avec beaucoup de prudence. En plus, en raison de l’accessibilité accrue
139 Irvin Yalom, Existential Psychotherapy, Basic Books, 1980. Voyez aussi Mia Leijssen, Tijd voor de Ziel, Tielt: Lannoo, 2007.
d’une masse de plus en plus importante d'informations non filtrées, notamment sur les réseaux sociaux, rendent les gens de plus en plus quérulents, savant de leur ignorance, et adoptent une position d’opposition ou de revendication. De ce fait, le monde de la santé ressemble de plus en plus au monde politique où chacun a ses propres avis, son propre savoir-faire et ses solutions. Pourtant, les hommes se sentent souvent soulagés ou aidés par une étiquette de maladie, pour eux-mêmes ou pour leurs enfants, et l’intègrent dans leur système identitaire. Ils y accommodent leur comportement et leurs émotions et organisent l'éducation de leurs enfants en conséquence. Les autotests psychologiques publiés dans les magazines et sur les sites internet populaires, dits éducatifs, incitent les personnes à réfléchir en fonction des critères du DSM. En retour, ces classifications artificiels formatent leurs pensées. 140 Actuellement, les gens font preuve d'une plus grande richesse linguistique et sémantique. Ils arrivent à mieux s’exprimer, à mieux défendre leurs idées et montrent souvent une plus grande combativité. Toutefois, contrairement au monde politique, il ne s'agit pas de trouver un compromis démocratique, mais de développer un moyen utile et fiable de résoudre certains problèmes. Certes, l'expérience individuelle peut être précieuse à cet égard, mais elle ne peut pas être prépondérante. La science n'a pas décidé que la terre est ronde sur base d’élections démocratiques, et un médecin ne décidera pas démocratiquement du traitement d'un cancer mais sur la base des meilleures données scientifiques actuelles. Le chagrin, la solitude, la peur, l'abandon, la perte, le deuil … ne sont pas des problèmes médicaux mais des problèmes existentiels, c'est-à-dire des problèmes de vie. Le monde médical, quant à lui, est essentiellement un monde scientifique, fortement influencé par le complexe pharmaceutico-industriel, et ne concerne pas les problèmes existentiels, c'està-dire les problèmes de vision de la vie, de valeurs, de questions éthiques, etc. Le monde médical nous apprend tout sur la biochimie, la physiologie, l'immunologie, l'endocrinologie, la neurologie … mais ne nous aide pas à comprendre les expériences de vie. Il n'existe pas de
140 L'historien et philosophe français Michel Foucault a montré que l'identité humaine est toujours façonnée par des circonstances historiques spécifiques. Le concept d'homosexualité en est un exemple. Alors qu'autrefois cela ne posait pas de problème et qu'il n'y avait même pas de mot pour le désigner, plus tard, cela a été considéré comme contre nature, contre la loi ou contre la religion. Les personnes concernées se sont donc considérées comme malades ou vivant dans le péché. Aujourd'hui, l'homosexualité n'est plus synonyme de maladie ou de péché, mais il existe une culture homosexuelle ouverte avec ses propres lieux de rencontres, ses styles vestimentaires, ses parades et, dans certains pays, le mariage pour tous.