
6 minute read
Du problème au symptôme
médicaments ou de traitements pour le vide, le manque de sens, la solitude, la tristesse, etc. À cet égard, on peut à nouveau se référer au livre éclairant de Trudy Dehue141, mentionné plus haut. La science peut, au mieux, fournir des données statistiques, mais celles-ci portent sur des abstractions mathématiques et non sur des individus spécifiques. En effet, le fait que 90% des gens ait besoin de plus de deux mois ou de plus de deux ans pour surmonter une certaine épreuve, ne signifie pas que tel ou tel individu en ait également besoin. Peut-être cet individu appartient-il au dix autres pourcents. La science ne peut rien affirmer quant à l’appartenance d’un individu a un groupe statistique. Un « diagnostic » réduit et déshumanise toujours un individu à une généralité et ne prend pas en compte l’individualité. C'est l'écueil de la « normopathie », c'est-à-dire de la dictature de la normalité, qui ne pourra jamais remplacer une réflexion critique issue d’un dialogue avec un être humain unique. On peut suggérer des schéma mentaux, mais l'homme, dans son unicité, n’en est pas déterminé et garde sa liberté de penser. Comme il n'existe pas de science de l'existence humaine, aucune règle générale ne peut être donnée. Même pour les changements de comportement relativement simples, comme l'arrêt du tabac, il n'existe pas de méthode générale qui fonctionnerait à coup sûr dans tous les cas. Chaque personne fait de sa vie un événement unique basé sur les choix qui lui sont propres et uniques. Comme les questions existentielles ont plus à voir avec l'éthique, c'est-à-dire avec les valeurs et les choix, elles appartiennent davantage au domaine de la philosophie. En fait, l'une des plus anciennes tâches de la philosophie consiste à réfléchir sur la vie afin de pouvoir mener une vie plus heureuse. Les aidants ne peuvent jamais donner toutes les réponses. Ils ne peuvent aider les patients qu’en leur apportant un éclairage sur la souffrance et le bonheur.
Il n'existe pas de science de l'homme en tant qu'être (plus ou moins) libre et conscient. Quiconque a lu des ouvrages ou assisté à des symposiums sait que les différentes écoles psychologiques attribuent des significations différentes aux mêmes faits et que les thérapeutes concernés présenteront à leurs patients aussi une « vérité » différente. Tous les thérapeutes peuvent raconter des histoires de patients chez qui ces approches ont donné de
Advertisement
141 Trudy Dehue. De Depressie-Epidemie (L’épidémie de dépression). Amsterdam-Anvers: Août, 2008.
bons résultats. Toutes ces « vérités » semblent donc « fonctionner ». Toutefois, le fait qu'une certaine approche « fonctionne » ne prouve pas que celle-ci soit scientifiquement valable. Le fait que des personnes guérissent après un voyage à Lourdes ne prouve pas que la Sainte Vierge y est pour quelque chose. 142 Aussi invraisemblable que cela soit, tout ce que les gens croient « fonctionne ». Voltaire remarquait : « L'art de guérir consiste à amuser le patient pendant que la nature soigne la maladie. » La connaissance des raisons pour lesquelles les gens se comportent d'une certaine manière a pris du retard sur notre connaissance du monde matériel et des maladies somatiques. Nous aimons croire que nous sommes des individus libres et autonomes, dotés de valeurs et d’une éthique qui guident nos actions de manière fidèle. Il existe de nombreuses exemples qui prouvent le contraire. Les expériences menées par Stanley Milgramà New Haven dans les années 1960 montrent que des personnes ordinaires peuvent être amenées à infliger à d'autres des chocs électriques douloureux, voire mortels, si elles croient participer à une « expérimentation » scientifique. Il suffisait qu'une personne en blouse blanche leur dise de continuer. Le livre de Milgram, « Obéissance à l'autorité», et le film « I… comme Icare» d’Henri Verneuil, sont particulièrement révélateurs. 143 Cependant, on peut dire qu'en général, notre comportement a toujours pour but de nous protéger d'un danger ou de nous procurer des sensations agréables. Ces dangers ou plaisirs peuvent être internes ou externes, réels ou imaginaires, conscients ou inconscients. C'est la base de la raison pour laquelle nous faisons ce que nous faisons. En revanche, il n'existe pas de lien univoque entre l'événement déclencheur et le comportement. En d'autres termes, les gens peuvent adopter le même comportement pour des raisons différentes. La seule différence entre un comportement normal et un comportement symptomatique est que le comportement normal généralement ne pose pas de problème, alors qu’un
142 Le fait qu'une visite à Lourdes fonctionne parfois, ne prouve pas que la Sainte Vierge existe et soit responsable de la guérison. Le fait que les exorcismes fonctionnent parfois ne prouve pas que le diable existe et qu'il est responsable des problèmes. Les patients ont souvent la fâcheuse habitude de se soigner pour les mauvaises raisons. Voir également l'essai précédemment mentionné de Tobie Nathan et Isabelle Stengers : Médecins et Sorciers. Manifeste pour une psychopathologie scientifique. Edition Synthélabo, Collection Les Empêcheurs de penser en rond, 1995. Voir également le livre de Ben Goldacre, Bad Science, Fourth Estate, Londres, 2009, pour une excellente et éclairante étude de l'effet placebo.
143 Stanley Milgram. Obedience to Authority. New York: Harper & Row. 1975.
comportement symptomatique, en général, est considéré comme problématique et nécessitant un « traitement ».
Dans une perspective psychanalytique, un symptôme est une tentative de résolution d'un conflit sous-jacent du passé. Il s'agit d'une superstructure symptomatique d'un conflit non résolu qui protège la personne et l’empêche de revivre l'expérience vécue comme extrêmement douloureuse. C'est cette expérience passée qui est, généralement, appelée « traumatisme ». C'est cette double strate, considérée comme la structure névrotique ayant un conflit sous-jacent non résolu, qui constitue la différence essentielle par rapport aux problèmes existentiels ordinaires de la vie. Ceux-ci ne nécessitent pas de véritable traitement psychologiques mais relèvent davantage de l'art et de la sagesse de vie.144 Un symptôme est donc avant tout une tentative de résoudre un problème réel ou imaginaire, et la personne concernée n'abandonnera pas gratuitement ce comportement, même si le comportement problématique devient une nuisance, à moins qu'elle ne soit convaincue que l'ancien danger n'existe plus, ou qu'elle ait appris qu'il existe une meilleure solution pour se protéger. De cette façon, une image négative de l'avenir (par exemple en cas de dépression), peut protéger contre d'éventuelles déceptions futures et la peur de l’autre peut protéger contre d'éventuelles expériences sexuelles désagréables. L'autocritique et la déconsidération de soi peuvent être considérées comme des tentatives d'encouragement de l'individu à faire mieux et à se protéger contre le danger du rejet par l’autre. De la même manière, un comportement antisocial ou autres comportements problématiques peuvent être une protection contre le danger d'un manque d’attention de la part des autres. Malheureusement, les symptômes, souvent, ne réussissent pas à atteindre cet objectif. Dans les diverses formulations théoriques des différentes écoles thérapeutiques, ce point de départ assez simple se traduit par une terminologie différente et souvent complexe, avec des mots et des concepts difficiles et qui semblent profonds (fantasmes ou conflits inconscients, traumatismes, expériences dans l'enfance ou la jeunesse, complexe d'Œdipe, peur de la castration, traumatismes dans des vies antérieures...).
144 Voir par exemple : Paul Verhaeghe, Het einde van de psychotherapie (La fin de la psychothérapie). Amsterdam: De Bezige Bij, 2009.