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La vision étriquée de la souffrance

C’est l’attitude du maître Aïkidoqui sait qu’il n’y a rien à perdre. Celui qui est dans une attitude d’apprentissage, ne peut que gagner. Ainsi, il n’a pas de stress, ni d’angoisse. L’opposant peut venir. Le maître Aïkido est dans une attitude de « oui ». Il est prêt.

Celui qui doit gagner pour gagner, n’est pas un vrai gagneur. Un vrai gagneur gagne toujours! On ne peut perdre que ce qu’on n’a jamais vraiment possédé. Ce qu’on possède vraiment, on ne peut pas le perdre. Abandonner l’opposition et le besoin de contrôler, ne signifie pas se résigner passivement à tout mais c’est le choix, à partir d’une attitude positive, de changer ce qui peut être changé et accepter avec sérénité ce qui ne peut pas être changé. La sagesse c’est reconnaître la différence entre les deux.

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La vision étriquéede la souffrance

Un traumatisme est une réaction à un évènement inattendu, bouleversant, qui s’est soudainement produit et qui se situe en dehors des schémas de pensées connus et familiers. 106 Un évènement sera, donc, vécu comme choquant voire traumatisant s’il ne trouve pas de place adéquate dans la conscience, s’il n’y a pas de catégories conceptuelles, pas de tissu narratif pour le penser. Cet évènement continue alors à roder dans la conscience comme un spectre, un émetteur parasite qui continue à réclamer l’attention et qui peut, à chaque moment, susciter des émotions désagréables. C’est comme un meuble qui traine, qui n’a pas de place et auquel on se heurte, sur lequel on trébuche à chaque fois. Il y aura de la souffrance aussi longtemps que l’évènement en question n’a pas reçu de place définitive, aussi longtemps qu’on s’y oppose. L’idée continuera à s’imposer à notre conscience, et celleci se rétrécira jusqu’à ce que l’évènement malheureux semble être son seul contenu, qui

106 Een traumatische ervaring is als dusdanig dan ook niet beperkt tot existentiële ervaringen, maar kan in principe evengoed filosofische, wetenschappelijke, religieuze of artistieke ervaringen betreffen. In die zin hadden ook Alexander Fleming of Einstein traumatische ervaringen als gevolg van waarnemingen die zij niet konden plaatsen (‘verklaren’) en die hun wereldbeeld aan het wankelen bracht.

semble la remplir complètement. La souffrance est donc un rétrécissement de la vision. Certaines personnes ont besoin de plusieurs années pour parvenir à comprendre cette vérité pourtant simple. Un enfant peut être « traumatisé » quand il apprend que le Saint Nicolas n’existe pas et que par la suite il se demande ce qui est encore vrai et qui il peut encore croire. Une expérience traumatique est surtout une réaction traumatiquequi révèle les limites de notre pensée et de notre pouvoir à créer de l’ordre dans le chaos environnant. C’est notre ordre intérieur qui ne tient pas debout. Pour beaucoup de gens c’est là une expérience dramatique et choquante. Une des conséquences les plus importantes d’une expérience bouleversante, qui peut marquer les gens longtemps après l’évènement en question, est la conclusionqu’ils en tirent à propos d’eux-mêmes. Ainsi les enfants peuvent en venir à la conclusion qu’ils ne sont pas assez bienou qu’ils ne sont pas dignes de recevoir de l’amour que quand ils font tous ce qu’ils peuvent pour plaire aux autres. Les enfants ne peuvent comprendre un manque d’amour autrement qu’en terme d’une insuffisance personnelle. L’image de soi qui en résulte peut être très tenace. Les représentations, les idées et l’image de soi peuvent proliférer et envahir le monde interne comme de mauvaises herbes. De telles conclusions peuvent même faire suite à des évènementsapparemmentbanaux. Ainsi une mère peut, d’une façon distraite, dire à un enfant qu’elle n’a pas le temps d’écouter la chanson que l’enfant veut chanter pour elle, mais l’enfant peut en tirer la conclusion déprimantequ’il ne mérite pas son temps et son amour. De petites causes peuvent avoir de grandes conséquences.

Déjà dans son enfance, Jean avait l’impression de devoir cacher plein de choses à ses parents parce qu’il croyait que ses parents ne pourraient jamais l’accepter s’ils savaient tout de lui. Aujourd’hui, Jean est un avocat à succès. Mais il est toujours incapable de s’ouvrir complètement à d’autres personnes, en particulier aux femmes. Il a toujours des choses à cacher. Il n’est toujours pas assez bien. Il est toujours convaincu que des femmes ne pourraient pas l’aimer si elles savaient tout de lui.

Pierre a, comme enfant, toujours entendu que beaucoup de choses dans la vie, ne sont pas « pour des gens comme nous ». Bien qu’il ne se souvienne pas d’exemples précis, il sait simplement qu’il l’a souvent entendu. En tant qu’adulte, il a toujours tendance à croire que bien des choses dans la vie, ne sont pas pour lui. Ainsi, il n’arrive pas à avoir une relation stable. Il ne peut pas s’imaginer qu’une femme réellement attractive, pourrait l’aimer. Souvent une relation s’était terminée à cause d’un désir d’enfants, parce que ça aussi, il ne pouvait pas s’imaginer que ce soit pour lui. Comment, en effet, pourrait-il être un père pour des enfants?

L’ordre intérieur le plus important et leplus vulnérableest organisé dans le concept de l’identité. Un évènement bouleversant peut littéralement mettre à mal l’idée de qui nous sommes. Après un évènement traumatisant, les gens disent souvent neplus savoir qui ils sont. C’est là une expérience difficile pour des gens qui pensent devoir savoir qui ils sont. On retrouve ce thème dans tous les temps et chez tous les auteurs, chez Shakespearecomme

chez Victor Hugo(Les Misérables), ainsi que chez des penseurs politiques comme Hannah Arendt.

Ce sont aussi ces schémas incrustés de pensée et de comportement qui peuvent sous-tendre les idées populaires de « blessures », « déchirures » ou « cicatrices ». Il ne s’agit, là aussi, pas d’observations vérifiables, mais de conclusions sous la forme de métaphores qui ne peuvent pas être étayées par des données objectives. Si des évènements désagréables continuent d’avoir des effets dans la vie, ce n’est pas parce que il y aurait « des émotions bloquées » (cf. supra) ou parce que il y a des « blessures » ou des « cicatrices » durables (cf. supra) mais parce que il y a certaines images et idées contre lesquelles on continue de s’opposer (se « battre »). Il s’agit d’une sorte de douleur fantôme de l’esprit. Continuer à se battre contre des évènements du passé, c’est comme continuer à tenir un parapluie alors qu’il ne pleut plus depuis longtemps ou continuer une guerre contre un ennemi qui n’est plus là depuis longtemps. C’est aussi comme ce soldat Japonais, Onoda, sur une île du Pacifique à qui, à la fin de la deuxième guerre mondiale, son supérieur avait oublié de faire savoir que la guerre était fini et qui, 30 ans après, étaient toujours sur son île, prêt à faire face à l’ennemi. 107

Comme il a été dit plus haut, les émotions sont des patterns de tensions qui ne peuvent pas être stockées ou bloquées. Elles ne peuvent pas non plus être coincées. Toutes les tentatives ou thérapies pour les « débloquer » ou les « faire sortir », resteront dès lors sans succès. Ce qui peut être figé, par contre, ne sont pas les évènements dans le passé, pas les émotions, mais bien les idées et les représentationsde ces évènements. Dès que la représentation mentale change, les émotions changeront presque immédiatement. Aussi longtemps que la représentation reste inchangée, les mêmes émotions seront générées. Cela peut donner l’impression que ce sont les émotions qui sont figées ou « bloquées » quelque part, mais en réalité il s’agit chaque fois d’une nouvelle émotion qui est générée. De la même manière, je peux, chaque fois que je me souviens d’un épisode de mon passé, lever le poing. Mais il s’agit chaque fois serrer un nouveau poing, pas un poing qui est resté « bloqué » quelque part.

107 Zie Watzlawick. Les cheveux du baron von Münchhausen. Seuil, 1991.

De la différence entre douleur et malheur

Lorsque nous nous alimentons de l’énergie de tout ce qui va bien, Nous aurons la force de faire face à tout ce qui va moins bien. THOMAS D’ANSEMBOURG

La vie nous donne à chaque instant le maître dont nous avons besoin à ce moment-là. Cela peut être chaque moustique, chaque malchance, chaque feu rouge, chaque chef obtus, chaque maladie, chaque perte, chaque moment de joie ou de tristesse, chaque addiction, chaque déchet, chaque respiration. Chaque moment est un maître. JOAN TOLLIFSEN

La douleur est inévitable. La souffrance est optionnelle. JON KABAT-ZINN

Soyez reconnaissant à vos ennemis pour la leçon de tolérance, de maîtrise de soi et de patience. LE DALAÏ LAMA

Si dans un accident grave de la circulation, le conducteur et son chien ont, tous les deux, une fracture de la jambe, ils auront tous les deux de la douleur. Le chien se sauvera en hurlant. Le conducteur, par contre, se réjouira qu’il n’ait subi qu’une fracture de la jambe. En effet il s’imagineque les conséquences auraient pu être bien plus dramatiques. Cela illustre clairement la différence entre douleuret souffrance. Comme chaque expérience, l’expérience de la souffrance a une structure interne. La douleur est un processus corporel. La souffrance est un processus mental. La douleur est en relation avec des circonstances qui nous arrivent, la souffrance est en relation avec un état d’âme, une attitude, et est le choix d’une manière d’être. Lors d’un accouchement, une femme peut avoir beaucoup de douleur, mais peu de femmes vont qualifier l’expérience comme une souffrance. Bien au contraire : l’évènement est vécu comme une expérience heureuse parce qu’on donne

tout de suite à la douleur une signification positive : la naissance d’une nouvelle vie. Cette signification positive élargit la conscience de sorte que la douleur n’y occupe plus qu’une petite place. Par contre, dans le cas d’un cancer la douleur sera souvent vécue comme une souffrance atroce parce que dans ce cas, la douleur a une signification négative. La conscience se rétrécit et devient comme une lampe de poche qui ne voit plus que la maladie, qui semble, des lors, occuper tout la place dans la conscience. Une douleur est plus ou

moinsobjectiveetest de nature corporelle; la souffrance estsubjectiveet est de

nature psychique. La souffrance est toujours due à la significationqu’on donne à une douleur. 108

La souffrance est souvent vue comme une douleur psychique. Il s’agit là, cependant, d’une métaphore, une analogieavec une douleur corporelle. C’est aussi par analogie avec des phénomènes corporels, qu’on peut parler de blessures, de plaies, de cicatrices psychiques… Il s’agit là aussi de métaphores : des blessures, plaies ou cicatrices psychiques n’ont jamais été constatées ou observées de façon objective. Ce sont des métaphores. Une métaphore n’est ni vraie ni fausse. C’est simplement une manière d’exprimer une certaine expérience. En effet, pour décrire une expérience, nous n’avons pas de motsexactset nous sommes obligés de nous tirer d’affaire avec des métaphores. Mais si de telles métaphores sont trop prises à la lettre, on risque de s’égarer. Ainsi, les blessures du corps ont, en effet, besoin d’un certain temps pour guérir et elles peuvent laisser des cicatrices permanentes. Mais les soi-disant cicatrices de l’âme ne sont que des schémas de pensée qui peuvent être modifiés très rapidement. Le danger est justement qu’on risque d’oublier qu’il s’agit de métaphores en non de réalités. Ainsi, on parle aussi de « malformations », de « blocages », d’être « dans un trou », etc. Heureusement, l’esprit est extraordinairement souple et peut en un minimum de temps changer d’idée et donc d’expérience. C’est ce que dit cette citation Chinoise:

108 Dit kan vergeleken worden met de concepten ‘Neurotisch lijden’ versus ‘Existentieel lijden’ van Jacques Lacan. Existentieel lijden zou inherent zijn aan het leven: ouder worden, ziek worden, sterven. Neurotisch lijden is ons verzet daartegen. Jacques Lacan wees er reeds op dat inzicht (en therapie) wel het neurotische lijden kan wegnemen maar niet het existentiële lijden. In onze zienswijze komt existentieel lijden neer op de feitelijikheid van het leven, die alleen een lijden wordt door ons verzet ertegen. In onze definitie zijn er alleen feitelijkheden en verzet ertegen. Alle lijden is dus neurotisch lijden.

Même dans une chambre qui a été dans le noir pendant dix ans, allumer une bougie ne prend qu’une fraction de seconde.

La souffrance ou la douleur psychique n’est pas due aux évènements en soi, mais à notre représentation interne de ces évènements, plus précisément par la différence entre notre représentation interne de la réalité comme nous trouvons qu’elle devrait l’être, et la réalité externe qui est comme elle est. Les gens ont souvent des idées ou des images plus ou moins figées de comment la réalité devrait se comporter et sur ce qui peut ou ne peut pas leur arriver et ils ont du mal à se distancier de ces idées ou de ces images. Mais la réalité est toujours changeante. La souffrance est justement la conséquence de l’adhésion à une représentation interne rigideet le refus d’accepter la réalité externe comme elle est. La souffrance est un combat avec la réalité. Certes, certains aspects de la réalité sont modifiables, mais si nous sommes dans un combat avec une réalité incontournable ou avec un passé immuable, il n’est pas difficile de prédire qui va gagner.

L’art de vivre

Quel est votre souffrance?

Kahlil Gibran disait : « la souffrance est la brisure de la coquille autour de votre compréhension. » Le DalaÏ Lama disait: « la douleur est une conversation que votre corps tient avec vous, d’une manière qui est la meilleure façon d’attirer votre attention. »

Quelle que soit votre souffrance, cherchez votre non, allez vers l’espace de votre opposition. Avec qui ou avec quoi dans le présent ou dans le passé, êtes-vous en guerre ? Il s’agit toujours de l’absence de quelque chose que vous voulez, ou la présence de quelque chose que vous ne voulez pas. Comme les Palestiniens et les Israéliens qui ne veulent pas de la présence de l’autre. Aussi longtemps qu’ils ne changeront pas cette position, aussi longtemps qu’ils ne s’acceptent pas l’un l’autre, ils se condamnent à rester en guerre et donc en souffrance.

Injectez du « oui»dans votre vie. Réconciliez-vous avec votre vie, avec votre passé et avec votre futur, et la souffrance disparaîtra. Arrêtez la vision étriqué de la souffrance et laissez votre conscience s’élargir afin d’admettre toute la réalité. Elle comprend toujours beaucoup plus que ce qui a déclenché votre souffrance.

Faut-il lâcher prisede la souffrance? C’est un concept un peu paradoxale, parce que plus vous essayez de lâcher prise, plus vous y pensez, et plus vous y pensez, plus la souffrance est présente. En fait, la seule chose qu’il faut lâcher, c’est l’idée qu’il y a quoi que ce soit à lâcher …

Laissez tomber votre jugement, et la plainte « je suis insulté » disparaîtra. Laissez tomber la plainte « je suis insulté », et il n’y a plus d’insulte. MARC AURÉLE (121-180)

Tout ce que vous ne voulez pas vivre, vous le portez avec vous. ISAAC SHAPIRO

On ne peut pas arrêter ses pensées, on peut simplement arrêter de les croire. ERIC VAN ZUYDAM

Chaque fois que vous croyez que le problème est en dehors de vous, c’est justement cette idée qui est le problème. STEPHEN R. COVEY

Le chagrin et le manque

Si vous pleurez parce que vous ne voyez pas le soleil, vous ne voyez pas non plus les étoiles. CONFUCIUS (551- 479 av. Chr.)

Avant que l’absence de quelque chose ait pu vous affecter comme une perte, sa présence a préalablement dû être une bénédiction. FRANK ANDREWS

Ne dites jamais de quelque chose: « Je l’ai perdu », dites : « Je l’ai rendu ». EPICTÈTE (50-130) dans L’Enchiridion

Plus le chagrin a profondément meurtri votre cœur, plus il peut contenir de la joie. KAHLIL GIBRAN (1883-1931)

Ce qui vous blesse, vous bénit aussi. JALALUDDIN RUMI (poète soufi 1207-1273)

Quand le cœur pleure ce qu’il a perdu, l’âme sourit pour ce qu’il a trouvé. PROVERBE SOUFI

Je voyais le deuil boire une tasse de chagrin et je lui disais: « c’est bon, n’est-ce pas ? » « Tu m’as pris en faute, » répondit le deuil, « et tu as gâché mon commerce,

car comment puis-je vendre du chagrin si l’on sait que c’est une bénédiction ? » JALALUDDIN RUMI (poète soufi 1207-1273)

« Chagrin » et « manque » sont des formes concrètes de souffrance. Ce ne sont pas des entités réelles, pas des réalités factuelles, mais ce sont des conséquences de représentations mentales dans la conscience. Beaucoup de gens, cependant, parlent de leur « chagrin » comme quelque chose qui est là, comme si le chagrin aurait une réalité substantielle. C’est un exemple de chosification, c'est-à-dire l’usage d’un substantif pour ce qui est en fait un processus, une conversation, une danse. Mais en donnant un nom on suggère qu’l s’agit de « quelque chose », d’un objet, d’une réalité. Pourtant, on dit souvent : « mais, je ressens quand même le manque ? » Cela veut dire qu’on n’a pas compris que « manque » est un concept abstrait qui ne peut pas être ressenti. On ne peut pas ressentir une absence. On peut seulement constater une absence par comparaison avec un état antérieur, mais il s’agit alors d’une pensée, d’une cognition, d’une évaluation et non d’un ressenti. Le ressenti est la réaction de « non » à cette pensée, l’opposition à ce jugement, qui engendre un ressenti de refus. Mais, parce que ce processus mental se déroule en général d’une façon quasi automatique, en dehors de la conscience, on a l’impression que ce ressenti est généré par la réalité. Il y aura chagrin et manque, aussi longtemps qu’on est dans une représentation d’absence de quelque chose. Parler de chagrin et de manque, est une manière de reprocher à la vie qu’on a subi une injustice. On oubli, alors, que la vie n’est ni juste, ni injuste. La vie n’est pas une instance qui est pour ou contre nous. Vivre est comme écouter une symphonie. Parfois om comprend, parfois on ne comprend pas. Parfois on peut fredonner ou chanter à haute voix et parfois pas. La vie est comme une symphoniecosmiquequi est jouée, qu’on la comprenne ou qu’on ne la comprenne pas, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas. Ce n’est que notre refus, suite à notre vision égocentrique, qui nous fait souffrir.

Si on les comprend, les choses sont ce qu’elles sont. Si on ne les comprend pas, les choses sont ce qu’elles sont. PROVERBE ZEN

Pourquoi souffre-t-on tant de la mort de son propre enfant, alors qu’on est largement indifférents à la mort de tant d’autres enfants ailleurs dans le monde ? Ce constat (inconfortable) nous apprend quelque chose d’important sur la souffrance, à savoir que la

souffrance n’est jamais à propos de l’autre mais toujours à propos de nous-

mêmes. En réalité il n’y a aucune différence objective entre la mort de son « propre » enfant et la mort un enfant dans un pays lointain. La différence ne se situe pas dans ces deux enfants, la différence se situe en nous même, notamment en le fait que le premier enfant on le considérer comme « à nous », de sorte que sa mort est vécu comme une perte, comme une injustice en comme une source de souffrance, alors que le deuxième enfant est considéré comme n’étant pas « à nous » de sorte que sa mort n’est pas vécu comme une perte, une injustice ou une source de souffrance. Il est, d’ailleurs, remarquable et significatif qu’on parle de « perte », ce qui ne peut avoir de sens que si l’enfant concerné était d’abord considéré

comme une « possession », comme faisant partie du patrimoine affectif qui nous appartient. 109 Par la « perte » qu’on aurait subie, on se serait par conséquent appauvri. Cela est souvent même argumenté par un « lien du sang » ou un « lien affectif », comme si ces liens seraient, eux aussi, des réalités ayant une existence objective. Pourtant, de telles liens sont purement fictifs et n’existent que pour celui qui y croit. Ce n’est qu’une autre manière d’indiquer son patrimoine. Si, à un moment donné, la vie d’un proche touche à sa fin, il s’agit d’un fait incontournable, d’une réalité inéluctable. Cette réalité, nous la transformons, en utilisant des symboles sous la forme de mots et d’images, en une représentation, une mise en scène dans notre théâtre intérieur. Cela se fait, en général, d’une façon « spontanée », c'est-à-dire avec les mots et les images qui sont courants et qui semblent normal dans la société dans laquelle on vit, et qui sont très souvent des mots et des images de rejet, de refus. La souffrance est justement ce refus de la réalitéqui est exprimé dans cette mise en scène. Nous créons en quelque sorte une représentation qui symbolise l’opposition à la réalité. Cette opposition, c’est la souffrance. Ceci est clair, par exemple, dans l’utilisation du mot « perte ». Si une réalité est vécue comme une « perte », il est normal que cela soulève en nous un refus. En effet, personne ne désire perdre quelque chose ! Ce refus, cette non-acceptation est ensuite nourri par des idées comme « c’est quand-même pas possible, ce n’est pas juste, c’est inacceptable. » En d’autres termes, c’est comme si nous ne donnions pas, au défunt, la permission d’être mort. Nous appelons cette mort « une perte » (en oubliant que « perte » est une métaphore) et nous en voulons à la vie qui a osé nous faire endurer cela.

Une façon plus respectueuse par rapport aux gens et donc aux enfants, est de comprendre qu’il ne s’agit pas de possessionsmais d’expériences. Une expérience qu’on a eue au cours de sa vie, reste un cadeau qui sera pour toujours dans notre vie et qui peut rester une source de richesse et de gratitude, même si la personne en question n’est physiquement plus là. Une expérience ne peut jamais être perdue et on ne peut pas nous la prendre, tout comme on ne peut pas « perdre » un bel été ou un beau voyage. Quelqu’un qui a été dans notre vie, ne peut plus jamais être perdu. Tout ce qu’on peut perdre c’est l’illusion que cette personne ou ce quelque chose nous appartenait légitimement. Si on lâche l’illusion de possession, l’illusion de la perte disparait également.

109 Dit zou cultuur- en dus taalafhankelijk zijn. Zo zou er in het Swahili, een Afrikaanse taal, nooit over ‘mijn’ vrouw, ‘mijn’ kind e.d. gesproken worden, maar over ‘de vrouw die met mij is.’

Dans le même ordre d’idées, on peut, par extension, comprendre que la souffrance est en réalité toujours en rapport avec nous-mêmes, c'est-à-dire quelque chose qui nousa été fait ou quelque chose que nousavons perdu. Dans la souffrance, l’attention est toujours sur nous-mêmes. Nous ne souffrons pas pour l’autre. Nous souffrons pour nous-mêmes en nous ne voyons que nous-mêmes. C’est pour cela que la souffrance est précisément l’opposée de l’amour, car en amour l’attention va vers l’autre, ce qui génère de la compassion et le désire de diminuer la souffrance de l’autre. Là où il y a de l’amour, il n’y a pas de souffrance, là où il y a de la souffrance, il n‘y a pas d’amour.

Là où il y a de l’amour, il n’y a pas de souffrance, là où il y a de la souffrance, il n‘y a pas d’amour.

Cela illustre, encore une fois, comme on l’a déjà dit, la vision étriquée de la souffrance. D’abord, on ne voit que ce qui nous parait indésirable, puis, il y a l’idée déplacée d’un droit de propriété. Dans le cas d’un décès, on fait comme si la personne concernée n’avait pas le droit de mourir parce qu’ on avait encore besoin d’elle. En effet, les survivants sont souvent en colères et se plaignent de l’abandon et de l’injustice. Cela signifie que les gens n’ont le droit de mourir que quand nous avons décidé qu’ils peuvent s’en aller parce que nous n’avons plus besoin d’eux…

Neen-denken Lijden

Verdriet Gemis

Le « chagrin » et le « manque » sont des formes de désir frustré. Cela rend les choses plus claires. En effet, le désir est toujours pour nous-mêmes. On désire toujours quelque chose pour soi-même. Quelque chose qui nous ferait plaisir. Bien sûr, ce n’est pas faux ou défendu. Seulement, cela engendre de la souffrance et cela ne peut pas être confondu avec de l’amour. Les gens pensent parfois que le chagrin et le manque sont des signes d’amour. Loin s’en faut. Le chagrin est toujours à propos de nous-même tandis que l’amour est à propos de l’autre. Quand on est dans une attitude d’amour, c'est-à-dire d’attention pour l’autre, le décès d’un proche ne sera pas une source de souffrance, mais une source de recueillement et d’attention pour l’autre, ainsi que de gratitude pour l’expérience de vie que l’autre nous a permis de vivre.

L’amour, c’est la joie pour l’existence de l’autre. SPINOZA

L’art de vivre

Tout d’abord, le défi est d’apprendre à faire face au chagrin dans votre propre vie et de commencer à l’accepter aussi vite que possible. Il n’est pas nécessaire de rester dans le chagrin, dans la plainte du sort qui vous a maltraité ou de reposer sans cesse la question du « pourquoi ? » Cela ne fait que raviver et intensifier la douleur. L’autre (le parent, le partenaire, l’enfant) n’était pas une possession. L’autre n’était pas un droit. Sa présence n’était pas une évidence. L’autre était une expérienceet vous pouvez toujours commencer à cultiver la gratitude pour le cadeau de cette expérience. L’expérience de ce cadeau, vous pouvez toujours la garder avec vous, même si elle n’est plus physiquement présente dans votre vie. Comme on peut toujours, dans la joie et dans la gratitude, repenser à l’expérience d’une rencontre exceptionnelle ou d’une croisière magnifique. Cette manière de se la représenter permet déjà de réagir avec plus d’amour. En effet, l’amour est l’attention pour l’autre. Heidegger disait : « Réfléchir (denken) mène à la gratitude (danken). » Devenir conscient mène à la reconnaissance. Si vous prononcez lentement, en ce moment, les idées suivantes pendant que vous les lisez, vous pouvez déjà, en ce moment, ressentir un peu de gratitude qui fait que votre souffrance en sera tout de suite un peu diminuée :

« Je peux, maintenant, être dans la gratitude pour ce que cette personne m’a apporté dans ma vie. »

Tant que vous êtes préoccupés par vos propres sentiments de douleur et de manque, vous n’êtes pas disponible pour l’autre, vous ne pouvez pas être présent à l’autre et vous ne pouvez pas donner de l’amour à l’autre. On ne peut pas honorer les défunts par la souffrance des vivants. Ce n’est que quand vous arrêtez l’auto apitoiement, que vous pouvez vous concentrer sur l’autre, sur sa beauté, sa bonté. Alors on peut donner de l’amour et de l’attention à l’autre, et on peut être reconnaissant d’avoir pu connaître cette personne et de ce qu’il ou elle a pu apporter tant de bonnes choses dans notre vie. C’est la fin du chagrin.

On ne peut pas honorer les défunts par la souffrance des vivants.

-Mais je ne peux quand-même pas accepter comme ça que quelqu’un meurt ?

Voyez-vous, la souffrance est précisément cette non-acceptation ! C’est un mythetenace de croire que nous aurions le choix d’accepter ou de ne pas accepter les évènements qui se passent. En effet, ils se passent et en réalité nous acceptons donc toujours les évènements parce que nous n’avons pas le choix. Si nous sommes raisonnables, nous comprenons que

nous n’avons pas le choix d’accepter ou de ne pas accepter les évènements. Le seul choix que nous avons, c’est commentles accepter : soit d’une façon adulte, dans l’élégance et la dignité, soit d’une façon qui entretient la souffrance en se répétant inlassablement que nous ne pouvons pas accepter. Dans ce cas, nous nous comportons comme un enfant qui se jette sur le sol en hurlant parce qu’il n’obtient pas ce qu’il veut. Nous avons le choix de la représentation mentale que nous nous faisons de l’évènement. Nous pouvons créer une représentation qui suscite une expérience de rejet et d’opposition. De cette manière, nous entretenons la souffrance. Nous pouvons aussi accepter les évènements comme un adulte, même si l’on ne peut pas les comprendre. Nous pouvons raisonnablement comprendre que, souvent, nous ne pouvons pas comprendre la vie. En effet, la vie reste toujours incompréhensible, un mystère. Mais nous pouvons la vivre avec plus d’amour. L’amour, précisément, c’est accepter ce qui est, même, et surtout, quand nous ne pouvons pas comprendre. -Je comprends, mais mon être, mon corps, mes émotions s’y opposent !

Votre corps ne s’oppose pas. Votre corps suit tout simplement vos pensées. Votre corps n’a pas d’intentions propres. Notre corps est uniquement l’endroit où vous ressentez cette opposition. Vous pouvez apprendre à installer, en vous-même, d’une façon très consciente, lente et attentive, un « oui » : « Oui je peux accepter ceci. Oui je veux l’accepter. Oui, je l’accepte ». Alors vous remarquerez que la souffrance se dissout lentement et que la sérénité et l’amour pendront sa place. Et ça aussi, vous allez pouvoir le ressentir dans votre corps. -Mais si je ne souffrais pas, cela signifierait quand-même que je n’ai pas aimé l’autre, que je suis dans l’indifférence ?

Ça aussi, est un mythe social qui a la vie dure. Des mythes sont des récits qui, dans la plupart des cas, ne résistent pas à la raison. Ce mythe vous dit que plus vous souffrez, plus vous avez eu de l’amour pour l’autre. Celui-ci explique que beaucoup ne peuvent tout simplement pas se permettre de se sentir mieux. Ce n’est pas qu’ils en sont incapablesmais plutôt qu’ils ne se l’autorisentpas. Bien au contraire, ils se sentiraient mal, voire coupable s’ils se sentaient mieux !

Afin d’arriver à une attitude plus raisonnable, on peut se poser la question : « Est-il vrai que ma souffrance est un signe d’amour ? » On peut se demander comment est la vie quand on croit que ce mythe est vrai et comment elle serait quand on n’y croit pas. On peut se demander si on a de bonnes raisons de continuer à croire que ce mythe est vrai et comment on peut gérer l’évènement avec plus d’amour. De fait, on peut raisonnablement comprendre que la souffrance n’est pas liée à l’amour mais seulement à vous-même. La souffrance, le chagrin sont des formes d’auto-apitoiement pour ce que l’on n’a plus. Ce n’est pas de cette manière qu’on peut honorer le défunt. Si on veut vraiment l’honorer, il est préférable d’orienter votre imaginaire vers la gratitude pour le beau, le bien et le bon que il ou elle a apporté dans votre vie. Mais ceci suppose, en plus, d’avoir la maturité de pouvoir faire face au jugement désapprouvant de beaucoup d’autres qui seront vite à juger que vous êtes insensible ou qu’il n’y avait pas d’amour en vous. Mais ça, c’est un autre défi. -Maisalors, est-ce qu’on ne devient pas insensible ou indifférent ?

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