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Le signal d’une dépression

souffrent de leur impuissance à changer quelque chose de leur état. Cette souffrance est toujours réelle.

Les mots sont les médecins de l’esprit malade. AESCHULOS (525-456)

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Celui qui ne comprend pas la force des mots, ne peut pas comprendre l’être humain. CONFUCIUS (551- 479 av. J.C.)

La genèse du sujet et de l’inconscient coïncide avec l’entrée dans l’ordre du langage. JACQUES LACAN (1901-1981 )

Les limites de mon langage sont les limites de mon monde. LUDWIG WITTGENSTEIN (1889-1951)

Si vous êtes en guerre contre quelque chose, cela vous tient emprisonné. Aussi longtemps que vous luttez, vous lui donnez un pouvoir. Le pouvoir que vous lui donnez est proportionnel à la force que vous utilisez pour vous y opposer. ANTHONY DE MELLO (1931-1987)

Toutes les tentatives de voir une dépression comme une maladieselon le model médical et de la traiter en tant que tel, à savoir en cherchant une « origine » et d’enlever la « cause », ont malheureusement échoué. La science semble avoir démontré qu’une dépression est en lien avec des neurones et des neurotransmetteurs dans le cerveau. Dans les publicités pour des antidépresseurs, les firmes pharmaceutiques montrent d’impressionnantes représentations graphiques qui illustrent le cerveau et les neurones et les effets des neurotransmetteurs. Ainsi, il est suggéré qu’on a capté l’image de la maladie même et, par conséquent, le remède semble évident. Dans cette image, l’homme lui-même et son entourage sont complètement absents. Pourtant, le fait qu’un comportement dépressif soit accompagnéde changements au niveau des neurotransmetteurs et des résultats de l’imagerie médicale du cerveau, ne signifie pas que ces changements en seraient la cause. La science a également démontré que si le témoin du niveau d’huile dans votre voiture s’allume, c’est qu’il y a un changement du courant électrique dans les fils vers ce témoin. Mais si vous deviez conclure que vous pouvez « remédier » cette situation en « traitant » le courant électrique, alors vous n’avez pas compris grand-chose du fonctionnement de ce témoin.

En plus, la science a également démontré que toutce qu’on fait, est accompagné de changements au niveau des circuits neuronaux et des neurotransmetteurs dans le cerveau. Cela vaut donc aussi pour, par exemple, danser le tango ou tomber amoureux. Mais cela ne signifie pas que ces changements seraient la causede la danse ou de l’état amoureux. La science a également démontré qu’un sourire n’est autre que des contractions musculaires. Mais cela ne signifie pas que la cause de ce sourire devait être cherchée au niveau des muscles. Chez quelqu’un qui ne sait plus sourire, on pourrait examiner les muscles concernés et comme traitement on pourrait proposer l’implantation d’un stimulateur électrique qui pourrait stimuler ces muscles, de manière à ce que la personne sache de nouveau sourire. Je crains que peu de gens soient prêt à suivre cette démarche. Dans diverses études, notamment dans celle d’Irving Kirsch de l’Université de Hull,90 il a été démontré que l’effet des antidépresseurs, qui agissent au niveau des neurotransmetteurs, n’est guère mieux que celui d’un placebo. En plus, il a été scientifiquement démontré que la paroleest la façon la plus directe pour modifier la neurophysiologie du cerveau. Une parole de gentillesse ou un sourire ont un effet immédiat sur le bien-être et des sessions de méditation par le rire sont plus bénéfiques pour la sensation de bien-être que les antidépresseurs.91 Le résultat est que la plupart des gens sont plus familier avec les termes et la logique médicale qu’avec la vraie nature du problème. L’idée de maladiea eu comme conséquence que les personnes concernées se comportent comme des patientsqui attendent un traitementdes spécialistes. Il s’ensuit une attitude d’impuissance, de déresponsabilisationet de perte depouvoir (le « disempowerment » de l’anglais) qui, à son tour, contribue au comportement dépressif. Les personnes concernées se comportent comme des victimes impuissantes qui réagissent avec indignation et ronchonnement quand on leur tient un langage responsabilisant. Ce discours est, alors, traité de « théorie » et on est qualifié de « manque d’empathie », alors que la compréhension et la responsabilisation sont justement la seule issue.

90 Kirsch, I., Deacon, B.J., Huedo-Medina, T.B., Scoboria, A., Moore, T.J., & Johnson, B.T. (2008) Initial severity and antidepressant benefits: A meta-analysis of data submitted to the Food and Drug Administration. PLoS Medicine 5(2): e45. doi:10.1371/journal.pmed.0050045. Lees het artikel op: http://www.plosmedicine.org/article/info:doi/10.1371/journal.pmed.0050045

91 Zie hoger de voetnoot over Dr. Lee Berk in het punt 5.1 over stress.

Dans son livre « De depressie-epidemie »(L’épidémie de la dépression) la psychologue et philosophe de la science Trudy Dehuemontre que le terme dépressiona eu, au cours de l’histoire, divers significations selon son usage dans différents contextes sociaux et logiques scientifiques.92 Ainsi on a, par exemple, connu le modèle psychodynamique, où la dépression était vue comme une réaction de la personne à certains évènements importants de la vie. Par contre, dans le modèle biologique moderne, la dépression est présentée comme la conséquence d’un désordre biologique sous-jacent, une maladie qui est indépendante de la personne qui en souffre. Il n’est toujours pas clair de savoir ce que constitue vraiment une dépression. En effet, tout ce que l’on peut observer est un certain comportement d’un certain individu dans une certaine situation. Dans le monde médical, entre spécialistes, on s’accorde à dire que si ce comportement correspond à des critères bien définis (comme celles du DSM IV93), on peut parler de dépression. Ce n’est pas plus qu’une dénomination pratique que les médecins peuvent utiliser pour indiquer un ensemble de phénomènes, un pattern de comportements, de la même façon que certains mouvements peuvent être dénommés « tango»si ces mouvements correspondent à un pattern convenu. Il est à remarquer que le fait qu’un pattern comportemental peut être dénommé par le terme dépression,ne dit absolument rien sur les causes ou la dynamique de ce comportement. Néanmoins, les gens, et même des professionnels, ont souvent l’illusion que les étiquettes du DSM IV désignent des maladies qui seraient à l’origine des phénomènes qu’elles décrivent. L’absurdité de cette confusion devient plus clair si quelqu’un disait, par exemple, qu’il n’est pas marié parce qu’il souffre du célibat ou qu’il est tombé en célibat. Il est clair qu’il n’est pas possible de contracter le célibat mais qu’il s’agit du comportement d’un individu, qui en a sans doute ses raisons, et non d’une situation de maladie. Cette confusion entre la définition ou la description d’un phénomène et l’explication de ce phénomène, montre le pouvoir presque hypnotique des mots, que même

92 Trudy Dehue. De Depressie-Epidemie, Amsterdam-Antwerpen: Augustus, 2008.

93 Diagnostic and Statistical Manual of Mental Diseases, versie IV, uitgegeven door de American Psychiatric Association (APA). Voor wie nog mocht geloven dat ziekten objectieve entiteiten zijn, illustreert dit werk, en zijn opeenvolgende versies, de subjectiviteit van wat als ziekte wordt beschouwd. Zo werd homoseksualiteit tot 1973 als een stoornis gedefinieerd. Zie ook Trudy Dehue, ‘De Depressie Epidemie.’

des professionnels ont parfois du mal à discerner clairement.94 (Un raisonnement similaire vaut d’ailleurs pour les addictions.) Une dépression n’est pas une maladie qu’on pourrait contracter ou une situation dans laquelle nous pourrions tout d’un coup nous retrouver, tout comme être amoureux n’est pas une maladie. Aussi bien la dépression que l’état amoureux sont des processus, des patterns de comportement, des façons d’être, comme une danse ou une conversation. Une dépression peut être décrite comme une certaine relation avec la vie, tout comme l’amour est une certaine relation avec un partenaire, c’est à dire une façon de se comporter vis-à-vis de la réalité du partenaire ou de la vie. Plus précisément, une dépression peut être décrite comme une relation qui touche à sa fin. On n’y voit plus rien, on n’en a plus envie, on n’y voit plus aucun avenir. Seulement, dans ce cas, le partenaire est la vie même. Une dépression, c’est l’absence totale de représentation inspirante du futur et illustre que, en fait, l’homme est

beaucoup plus déterminé par des représentations du futur que par des

évènements du passé. La dépression est un rêve sombre et sans avenir. Par contre, l’enthousiasme, tout comme l’état amoureux, est un rêve aguichant pour l’avenir. Celui qui

94 Om de gang van zaken duidelijker in te zien, kunnen we ons proberen in te beelden wat er zou gebeuren als artsen het probleem ‘hoest’ zouden bestuderen zoals de moderne psychiatrie het probleem ‘depressie’ bestudeert. Artsen zouden eerst ‘hoeststoornissen’ definiëren en objectieve criteria vastleggen voor het stellen van de diagnose. De criteria zouden bijvoorbeeld kunnen stellen dat er sprake is van een hoeststoornis als de patiënt in een periode van twee dagen meer dan twee keer per uur hoest of een hoestaanval heeft die langer dan 2 minuten duurt. Onderzoekers zouden dan naar verschillende speciale gevallen van hoeststoornissen kunnen kijken zoals hoest in combinatie met een lopende neus en koorts, hoest in verband met allergie en blootstelling aan pollen, hoest bij rokers, en hoest die doorgaans fataal afloopt. Vervolgens zouden zij deze subtypen van hoest kunnen onderzoeken door bij mensen met hoeststoornissen de afwijkingen in de neurofysiologische processen te onderzoeken. De ontdekking dat hoesten gepaard gaat met een toegenomen activiteit in de zenuwen die instaan voor de contractie van de borstspieren zou de vraag doen rijzen welke neurologische mechanismen oorzaak van de toegenomen activiteit in deze zenuwen zouden kunnen zijn. De ontdekking van een hoestcentrum in de hersenen zou duidelijk maken dat een afwijking in dit centrum de oorzaak van de hoest zou kunnen zijn. De verdere ontdekking dat codeïne het hoesten kan stoppen, zou tot verder onderzoek leiden op grond van de hypothese dat hoesten het gevolg zou zijn van een tekort aan codeïneachtige substanties in de hersenen. Men zou dan verder kunnen kijken naar welke genen deze afwijking veroorzaken om aldus voorbeschikte personen op te sporen… Dit plan is natuurlijk absurd, maar het absurde is alleen maar duidelijk omdat we goed weten dat hoest geen ziekte is maar een beschermend afweermechanisme van het organisme. En dus moeten we niet in de spieren of in de zenuwen of in de hersenen gaan kijken, maar in de prikkels, de aanleidingen die de beschermende hoestreflex uitlokken. Dat sluit niet uit dat er enkele eerder zeldzame gevallen kunnen zijn waarin hoest inderdaad het gevolg is van afwijkingen in de hoestmechanismen, maar in de overgrote meerderheid van de gevallen zal het om een beschermende reflex gaan die bedoeld is om vreemde deeltjes uit de luchtwegen te verwijderen.

est dépressif, se perd dans une interminable recherche du sens de la vie, alors qu’à l’inverse, celui qui est enthousiaste, ressent le sensde la vie. Pour être enthousiaste et ressentir le sens de la vie, il n’est pas nécessaire d’avoir, au préalable, résolu toutes les questions philosophiques concernant le sens de la vie. Des psychologues évolutionnaires sont de plus en plus convaincues que de tels patterns de comportement fixes, stéréotypés, qui paraissent si fréquents à toutes les époques et dans toutes les cultures, doivent avoir une fonction évolutionnaire, comme c’est le cas pour l’état amoureux, la colère ou l’angoisse. Une dépression est très peu spécifique, comme une fièvre : on sait bien qu’il y a un problème, mais on ne sait pas lequel. En effet, dans le cas de phénomènes importantes de la vie, qui peuvent entraîner un important changement dans un projet de vie, par exemple s’agissant du travail, du statut social, de la santé, des moyens matérielles, des relations sociales ou du partenaire, il peut être important de prendre suffisamment de temps de réflexion sans agir d’une manière trop hâtive. Tout comme la fièvre ou la douleur sont des signes qui attirent notre attention sur un problème, le chagrin, le deuil et même la dépression pourraient être une invitation pour arrêter ce qu’on était en train de faire, et de réfléchirsi ce n’était peut-être pas justement cela qui était la cause du problème. En effet, un excès d’optimisme ou d’enthousiasme pourrait, dans ce cas, être préjudiciable. Il est peut-être temps d’ôter nos lunettes roses un instant et de réexaminer rationnellement nos objectifs et nos stratégies afin de limiter les dégâts. Le DalaÏ Lama disait: « La douleur est une conversation de ton corps sur un sujet qui est d’importance vital pour vous, d’une façon qui attire le mieux votre attention. » L’enthousiasmeest, lui aussi, une relation avec la réalité, qui est une conséquence de l’émerveillement sur la beauté, le déconcertant et le mystère de la vie, ainsi que de la conscience d’appartenir à un tout plus vaste, de participer à la vie comme à une danse cosmique. L’enthousiasme nous incite à participer, comme les quelque cent mille milliards de cellules de notre corps qui participent à l’organisme qui fait que nous sommes ce que nous sommes. Si un certain nombre de ces cellules en avait assez de vivre ou ne voyait plus de sens à leur vie, notre propre vie se terminerait. Une dépressionest une relation qui apparaît dès qu’on commence à voir la vie comme négative, hostile ou sans aucun sens et qu’on se considère soi-même comme sans valeur, sans espoir, sans pouvoir et sans moyen de s’en sortir. Ces émotions négatives épuisent et étouffent notre énergie. Même les tâches simples, deviennent pénibles. Des traditions spirituelles et des mystiques comme Jean de la Croix considéraient la dépression comme la nuit sombre de l’âme, ou comme le disait Charles Baudelaire dans Spleen : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle… » Une dépression est l’absence de l’expérience de la beauté et du mystère et l’absence de l’expérience d’appartenir à un tout plus vaste et plus inspirant. On se retire des interactions humaines et on est comme une cellule du corps qui ne voit plus de sens à son existence, qui a perdu la relation avec le tout, et qui, de là, perd aussi le sens de sa vie et ne sait plus trop que faire, ni quel est son rôle. Ce genre de cellules mène, au final, à un processus que nous appelons le cancer et la mort. Une dépressionest donc un schéma plutôt qu’une thématique. Indépendamment de la thématique concrète, le schéma d’une dépression comprend toujours les étapes irrationnelles d’un jugement négatifet les idées de dévalorisation, de désespoiret de perte de pouvoir (« rien et personne ne peuvent m’aider ») qui, eux, sont vues comme permanents

(« toujours ») et ubiquitaires(« partout »). Il s’agit d’une sorte de fixation cognitive, un rétrécissement de la conscience, c'est-à-dire une vision « tunnelisée » qui est caractéristique de toute forme de souffrance et qui ferme l’esprit pour d’autres aspects de la vie et en particulier pour le futur. C’est ça le pattern, le style cognitif de la danse dépressive. La vie actuelle semble insensée et l’avenir semble vide. L’humeur dépressive rend la réflexion rationnelle encore plus difficile, de sorte qu’il s’ensuit une spirale dépressive d’attentes négatives. C’est comme si on voulait déjà prendre une avance sur une souffrance à venir possible, comme si on allait à la banque pour payer déjà un intérêt sur un prêt dans un futur hypothétique. Toutes les personnes ayant un comportement dépressif, se ressembles et ont des propos similaires, qui expriment, en général, des attentes négatives et la perte de pouvoir. Dans une expérience, devenu célèbre, le psychologue Martin Seligman, le père de la psychologie positive, a même pu démontrer ce pattern de perte de pouvoir et de dépression chez des animaux.95

Les idées négatives mènent à des humeurs et des émotions négatives et à d’interminables ruminations, des frustrations, du stress et de l’autoflagellation. Ces multiples émotions négatives sont à l’origine d’une augmentation de la durée du sommeil REM (Rapid Eye Movements), dont on admet que c’est la phase du sommeil qui est importante pour l’élaboration des émotions. L’augmentation de la durée du sommeil REM est accompagné d’une réduction de la durée du sommeil profonde, avec comme conséquence une moindre qualité du sommeil, une augmentation de la fatigue corporelleet au final des phénomènes d’épuisement. Tout ceci contribue, bien entendu, à la spirale négative de la dépression.96

Pessimisme => ruminations => émotions négatives => davantage de ruminations

Ruminations => émotions négatives => moins de sommeil profonde => épuisement

95 Martin Seligman, Learned Optimism, New York: A.A. Knopf, 1991. Zie ook: Martin Seligman, Authentic Happiness, London: Nicholas Brealey Publishing, 2003.

96 Joe Griffin and Ivan Tyrell. How to lift depression. HG publishing, 2004.

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