
8 minute read
Conduire un éléphant
Vers quoi cette émotion dirige-t-elle votre attention? Vers vous-même ? Vers une autre personne ? (Dans la souffrance, l’attention est toujours chez vous. Dans l’amour, l’attention est chez l’autre.) Pensez à la tristesse. Est-ce un « oui, j’en veux d’avantage » ou un « non, j’en veux moins » ?
Dans cette tristesse, est-ce qu’il s’agit de vous ou de l’autre? Chez qui est l’attention ?
Advertisement
Si vous avez bâti des châteaux dans l’air, vous n’avez pas perdu votre temps, car c’est là que tout commence. Maintenant vous devez juste encore y ajouter des fondations. HENRI DAVID THOREAU (1817-1862)
La réponse à la question du rapport entre la soi-disant théorie et la soi-disant pratique n’est pas toute suite claire et a depuis longtemps occupé l’esprit humain. Parce qu’on ne peut pas exactement décrire ou expliquer ce rapport, nous devons nous en tirer avec des métaphores. Une métaphore est en soi ni vraie, ni fausse. Une métaphore est une manière de rendre pensables et transparents certains aspects de la vie, tout comme un jeu d’échec semble très compliqué mais devient transparent dès que vous connaissez les règles. En ce sens le jeu d’échec est alors aussi une métaphore pour la vie… Une métaphore classique est celle du corpset de l’espritou de l’âme. L’être humain est alors vu comme une union temporaire d’un corps mortel et d’un esprit ou d’une âme immortelle, sans qu’il soit clair comment on peut se représenter cet esprit ou ce corps. Cette métaphore engendre facilement des idées analogues comme celle d’une dimension basse ou élevée de l’être humain ou celle de la raison et des émotions, sans que ce soit, là aussi, clair comment on peut se le représenter et où serait exactement la frontière entre les deux. De là il n’y a qu’un petit pas vers la conception du bien et du mal dans l’être humain. L’idée d’un combat entre le bien et le mal semble originaire de Zoroastre et a été repris dans une forme plus au moins modifié par la plupart des religions monothéistes. Platonutilisait la métaphore de l’être humain comme le conducteur d’un char avec un couple de chevaux, dont le cheval du bien et le cheval du mal. C’était le défi du conducteur (c’est à dire la raison) de mener l’ensemble dans la bonne voie. Freud avait l’idée du conscient et de l’inconscient dans l’homme. Il voyait l’inconscient comme un volcan avec des forces inconnues, ténébreuses qui à tout moment pouvaient entrer en éruption et nous rendre la vie difficile. Une description plus moderne conçoit l’homme comme une construction de trois entités fonctionnelles. La base est le programme évolutionnairetel que décrit plus haut, qui est
notre patrimoine biologique. Une addition plus récente est le programme culturel, également déjà cité supra, qui est la conséquence du processus de socialisation. L’acquisition la plus récente est l’agenda personnel. (Voir infra) Dans le même ordre d’idée se situe la métaphore de l’ordinateur. Tout comme un ordinateur, notre cerveau, recueille des informations, les assimile et prend une décision pour exécuter. La conscience est alors l’utilisateur de l’ordinateur. Un ordinateur peut dysfonctionner ou même se bloquer parce que quelque part dans la mémoire il y a la présence d’une information, comme un virus, qui a un effet néfaste sur son fonctionnement. L’utilisateur peut à nouveau faire fonctionner son ordinateur en effaçant l’information impropre et en le reprogrammant. Cela mène vers l’idée, erronée mais séduisante, d’un contrôle total… En orient, on connaît la belle métaphore de l’être humain comme un cornac qui conduit son éléphant. Un éléphant est un animal énorme et lourd. Il symbolise le jeu évolutionnaire qui se déroule en nous. Pourtant, un être humain peut arriver à le monter et à le faire travailler pour lui. La beauté de cette métaphore est que nous comprenons que, certes, nous n’avons pas de contrôle total, mais que nous n’en avons pas besoin non plus. Nous avons besoin de l’éléphant, mais l’éléphant n’a pas besoin de nous. Même si nous nous endormions, l’éléphant n’irait pas tomber dans un ravin. En effet, notre éléphant veut, lui aussi, survivre. A la différence de l’ordinateur, qui peut complètement dysfonctionner et ne s’en sortir que grâce à l’intervention humaine, un éléphant est un organisme qui peut parfaitement survivre sans l’intervention humaine et qui est donc tout à fait digne de confiance. Seulement, un éléphant a une rationalité qui, dans notre culture de technologie de pointe et nos villes de millions d’habitants, est parfois un peu maladroit. Il a quelque fois du mal à coexister avec nous et nous-mêmes avec lui. Il préfère beaucoup plus brouter et araser un champ de maïs mais travailler pour l’homme n’est pas une des priorités de son agenda. Pourtant il veut bien travailler pour nous. Dans ce cas nous devons nous donner la peine d’apprendre à le connaître. Prudemment et patiemment nous pouvons commencer à diriger la rationalité de l’éléphant dans la direction de nos propres souhaits. Mais nous ne pouvons jamais oublier que l’éléphant est plus grand et plus fort que nous. Quand il ne veut vraiment pas, nous n’y pouvons pas grand-chose. Socrate disait qu’un vrai savoirmène à l’action et qu’un « savoir » qui ne mène pas à l’action n’est pas un vrai savoir mais une simple information. Il y a donc différentes formes de «savoir». Une simple information intellectuelle, rationnelle, conceptuelle que le cornac a bien inscrit dans sa tête, ne fait, en soi, pas bouger l’éléphant et n’aura donc pas beaucoup d’effet concret. C’est un savoir passifauquel nous sommes de temps en temps rappelés. Un vrai savoir est un savoir actifqui évoque des images et des émotions qui font bouger l’éléphant. On entend peu de gens dire : « Je sais bien que je devrais aller en vacances, mais je manque de volonté ». L’idée des vacances évoque chez la plupart des personnes de fortes images comme des plages ensoleillées, des paysages montagneux ou des bons petits restaurants. Ceci entraine dans leur corps et dans leurs émotions une forte dynamique de «oui»: « Oui, je veux cela !». Alors l’éléphant se meut. A l’inverse, peu de gens vont se sentir attiré par le saut à l’élastique ou envisageraient de s’allonger sur le sol au beau milieu d’un carrefour. Ces idées évoquent de fortes images devant lesquelles les gens vont reculer. Comment peut-on alors comprendre que beaucoup de gens continuent à fumer allègrement et qu’ils prétendent pourtant savoirque ce n’est pas raisonnable ? Parce que pour les en
dissuader on n’utilise souvent que des concepts abstraits, tel que le cancer, qui n’ont pas la force de mouvoir l’éléphant. L’art de motiverest l’art de projeter des images et des métaphores motivantes, attrayantes. Quand arrêter de fumer est perçu comme une perte, comme une épreuve difficile ou un combat sans fin, vous ne serez que très peu motivé. Dans ce cas-là on trouve toujours beaucoup d’excuses. Quand vous considérer le fait d’arrêter de fumer comme un pas vers une vie plus consciente, plus libre et plus adulte, vous y trouverez toujours les bonnes raisons de le faire. Les idées sont donc motivantes quand elles sont accompagnées de représentations attrayantes.
Les idées sont motivantes quand elles sont accompagnées de représentations attrayantes.
Tout commence par une idée. Pour la plupart des gens il n’est pas difficile de s’imaginer comment ils pourraient mieux agencer leur vie. Ceci est un bon début car, comme le remarquait D.H. Thoreaudans la citation ci-dessus, tout commence par l’imagination. Ce que vous ne pouvez pas d’abord vous imaginer, vous ne pouvez certainement pas le faire. Mais aussi longtemps que vous ne faites rien avec une idée, cette idée reste un rêve. Rêver c’est bien, mais pour atteindre vraiment quelque chose, vous devez faire de votre rêve un projet : un objectif concret avec des étapes concrètes pour réaliser votre rêve. Pour être heureux, vous avez besoin d’une stratégie.
Chapitre 3: Petite anatomie du Bonheur
Ce n’est pas parce que la vie est bonne que nous l’aimons, c’est parce que nous l’aimons qu’elle nous semble bonne. ANDRÉ COMTE-SPONVILLE
Si vous estimez que ce qui vous arrive, n’est pas du bonheur, cela ne signifie pas que ce n’est pas du bonheur que cela vous arrive. THOMAS D’ANSEMBOURG
Souvent, nous nous tournons vers Dieu parce que nous sommes secoués par la vie, pour découvrir que c’est Dieu qui nous a secoués. ANONIEM
Un samouraï nommé Nobushige vint voir le maître zen Hakuin et lui demanda: « Y a-t-il vraiment un paradis et un enfer? » « Qui es-tu? » demanda Hakuin. « Je suis un samouraï ! » répondit Nobushige. « Toi, un guerrier ! » s’écria Hakuin. « Quel maître aimerait vous avoir comme protecteur? Ton visage ressemble à celui d’un mendiant. » Nobushige en était tellement en colère qu’il commença à tirer son sabre. « Ah, s’exclama Hakuin, tu as un sabre ! Je jure qu’il est même trop émoussé pour me couper la tête. » Et lorsque Nobushige commença à tirer son sabre, Hakuin lui fit la remarque: « Ici les portes de l’enfer s’ouvrent ! » Le samouraï entendit ces paroles et fut frappé par la sérénité du maître. Alors, honteux, il repoussa son sabre dans la gaine et s’inclina. Sur ce, Hakuin lui dit : « Ici les portes du paradis s’ouvrent ». CONTE BOEDDHISTE
Le mot « anatomie » signifie analyse ou dissection. L’anatomie de l’être humain décrit les structures, les tissues et les organes du corps humain. Dans ce chapitre nous ferons la dissection de la souffrance et du bonheur et nous analyserons les composants de ces concepts. Nous traiterons la « Stratégie du Bonheur » comme une carte avec laquelle nous pouvons nous orienter dans la complexité de nous-mêmes et de la vie afin de parvenir à une vie plus heureuse. Celui qui, dans une ville, cherche à se retrouver sans carte risque de souvent s’égarer. Même une carte très simple, peut considérablement faciliter les choses. En effet, la vie est bien trop courte pour pouvoir commettre toutes les fautes soi-même. Mais ceux qui préfèrent déambuler sans carte et apprendre de leur propres expériences, en auront bien entendu largement l’occasion!