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Un tigre émotionnel

Les émotions sont apparues dans l’évolution parce qu’elles étaient utiles et par conséquent rationnelles pour la survie19. Elles avaient cette fonction bien avant que l’homme n’apparaisse : les émotions sont apparues chez les mammifères, c'est-à-dire il y a quelques 200 millions d’années, alors que l’homme ne fait son apparition sur cette planète que depuis quelques millions d’années. Les émotions humaines sont donc les mêmes que celle des autres mammifères. Plus on apprend à connaître les animaux, plus on apprend à se connaître soimême et plus on trouve dans le cerveau les reliquats du développement des mammifères. Sur cette base on peut supposer que tous les êtres humains disposent des mêmes émotions. Ce sont des potentialités innées. Un nourrisson qui vient de naître connaît déjà parfaitement toute la gamme des émotions de base. C’est comme si tout le monde avait un violon avec les mêmes cordes, mais sur lequel tout le monde peut quand-même jouer sa propre mélodie dans un style unique. On peut comparer les émotions avec les musclesde l’homme. Chacun a bien évidemment les mêmes muscles. Pourtant il y a des individus qui peuvent faire de leurs muscles des choses que d’autres ne peuvent pas. Mais ce n’est pas parce qu’ils auraient des muscles en plus ou en moins, mais bien parce qu’ils ont appris à utiliser et développer leurs muscles d’une autre façon. Les émotions sont des instances exécutives, tout comme le sont les muscles. Les émotions et les muscles n’ont pas de volonté, d’intentions propre. Elles ne sont pas l’expression d’une sagesse supérieure ou profonde et elles ne sont pas non plus la partie la plus créative en nous. Elles ne sont ni contre ni pour nous. Elles exécutent tout simplement nos intentions conscientes ou inconscientes. Si nous voulions monter un escalier, il suffirait de formuler cette intention d’une manière plus ou moins consciente. Tout le reste se fait tout seul. Nous n’avons pas à nous préoccuper des circuits neuronaux, ni des stimulations musculaires. Le corps le fait parfaitement pour nous. Il exécute. De même pour les émotions qui sont des instances exécutives.

Les émotions sont en premier lieu des instances exécutives de notre programme évolutionnaire. Elles sont des jugements de valeur archaïques biologiques. Elles nous indiquent si tel événement ou tel individu est oui ou non favorable pour la survie. Les

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19 Zie o.a. Robert Wright. The Moral Animal. Abacus, 1996. Zie ook: Mark Nelissen. De bril van Darwin. Tielt: Lannoo, 2000. Zie ook: Mark Nelissen. Waarom we willen wat we willen. Tielt: Lannoo, 2004.

éléments favorables sont ceux qui peuvent être mangés ou avec lesquelles on peut s’accoupler. Les éléments non favorables sont des événements ou des individus qui peuvent compromettre notre survie en nous portant préjudice ou en nous dévorant. Ceci mène aux émotions respectives d’attirance et de rapprochement comme la joie et l’amour, ou aux émotions de distanciation et de rejet comme l’angoisse et la colère. Le premier est plutôt agréable, le deuxième plutôt désagréable. Si nous adoptons la conception classique que les émotions sont une volonté d’action, on peut distinguer ainsi deux actions contradictoires : une velléité de l’éloignement et une velléité de rapprochement. Les émotions sont donc loin d’être irrationnelles comme on pourrait le croire. Bien au contraire, elles sont très rationnelles. Ce sont des cognitions immédiatesqui renseignent le corps sur les mesures à prendre. Cela ne veut pas dire qu’elles sont immédiatement disponibles pour la conscience. Ce sont des cognitions dansle système mais pas pourle système. Ce sont des cognitions non-linguistiques, par conséquent des cognitions inconscientes, pour lesquelles nous n’avons pas de paroles. C’est logique car l’apparition des émotions se situe bien longtemps avant que l’évolution produise la conscience et le langage. Nous ne pouvons pas expliquer pourquoi nous tombons amoureux de quelqu’un. Nous constatons seulement que c’est ainsi. Les émotions sont plutôt des intuitions intégrantes, des jugements globaux et rapides à un niveau non-conscient, non-linguistique, d’une situation quant à sa valeur de survie. Ainsi elles tiennent compte de beaucoup plus d’éléments de l’environnement que la pensée consciente et linguistique ne serait capable de gérer. Cela explique pourquoi les animaux sont parfaitement capables de survivre sans réflexion consciente. Leurs connaissances sont stockées dans leur système et ils n’ont jamais besoin de les changer. La nature, où l’homme est également né, est en effet toujours la même et prédictible. Si jamais on est poursuivi par un tigre ou mordu par un serpent, le plus sûr est de supposer que tous les tigres vont vous poursuivre et que tous les serpents vont vous mordre. Ce genre de généralisation est donc favorable pour la survie dans la nature. Cela rend naturellement un animal vulnérable parce qu’il ne sait pas s’adapter aux circonstances changeantes. Un animal ne peut survivre que dans un certain biotope. Quand le biotope disparaît, l’animal en général disparaît aussi. La réalité évolutionnaire que nos émotions n’ont qu’une seule intention, celle de nous assurer la survie, explique qu’elles doivent pouvoir réagir avec une grande rapidité. Cette célérité d’action est nécessaire dès qu’il y a une menace de vie pour disparaître aussi rapidement quand le danger n’existe plus. Les émotions sont donc éphémères et ne peuvent pas être stockées ou maintenues. Ce sont des configurations de tensions, tout comme un poing serré est une configuration de tensions, de contractions musculaires. Nous ne pouvons pas maintenir ou conserver un poing serré. Il s’agit d’une réaction immédiate pour permettre une action possible. Le schéma primaire, que nous pouvons observer aussi bien chez les animaux que chez les jeunes enfants, est donc :

Observation => émotion => action

Les émotions ne révèlent donc pas une sagesse supérieure ou une compréhension profonde. Elles ont été sélectionnées comme des mécanismes de survie pour l’espèce et n’ont pas dans le but de garantir notre bien-être personnel. Souvent elles ne sont donc pas une bonne boussole. Elles nous incitent à des paternes de comportement stéréotypé, universel qui sont favorable à la survie de l’espèce, sans lien avec le bonheur individuel. Celui qui se laisse guider par ses sentiments peut donc s’attirer un désastre personnel. Louis Malle en donne un merveilleux exemple dans son film Damage: le personnage principal, homme d’affaires à succès et ministre, tombe amoureux de la petite amie de son fils. Il suit son cœur avec des conséquences catastrophiques pour lui et pour tous ses proches. Ce qui commençait comme une romance idyllique se transforme très vite en cauchemar et à la fin du film le personnage principal a tout perdu : sa femme, ses enfants, son statut, son argent… Nous devons donc apprendre à gérer intelligemment notre héritage complexe biologique. Il ne s’agit pas d’avoir beaucoup d’émotions, il s’agit de les utiliser intelligemment. L’hypersensibilité émotionnelle, souvent invoquée, n’est dans la plupart des cas pas plus qu’un manque d’intelligence émotionnelle, une sensiblerie, un manque de lucidité et de sagesse concernant nos processus internes. A quoi bon avoir un tigre émotionnel dans

son moteur, s’il y a un âne au volant...

Les gens prétendent souvent qu’il y a « quelque chose en eux qui est plus fort qu’eux. » Ce « quelque chose»ne peut être que le programme évolutionnaire. Ceci s’exprime par exemple dans le désir universel des activités sexuelles, d’une relation de couple ou d’avoir des enfants. Les gens trouvent dramatique si ces désirs ne sont pas satisfaits. Le programme évolutionnaire prend souvent l’allure d’un drame shakespearien dans lequel nous sommes généralement des acteurs ignorants et souvent involontaires. Sommes-nous donc impuissants ? Point du tout ! Mais cela suppose quand-même une grande lucidité et une mûre réflexion sur ses désirs naturels et soi-disant « normaux ».

Une collision avec la culture

Le jugement hâtif et la généralisation sont des caractéristiques de la vie émotionnelle de l’homme. C’est aussi ce que nous faisons précisément quand nous agissons de façon précipitée et spontanée, c’est à dire automatique et irréfléchie. Toutefois l’homme dispose de deux caractéristiques qui, dans l’évolution, n’existaient pas avant qu’elles ne soient apparues : ce sont la conscience et l’imagination, qui toutes les deux reposent sur cet faculté unique qu’est le langage. Par cette facultésymbolique qu’estle langage, l’homme peut représenter dans sa conscience, son esprit, des événements et des personnes qui en réalité ne sont pas présents. Cette faculté a fait de l’homme une créature unique et incroyablement créative, et de là infiniment flexible et imprévisible. L’homme a une capacité extraordinaire de résolution de problèmes parce qu’il a la capacité de réfléchir et d’imaginer rapidement des tentatives de solutions dans sa conscience, sans devoir attendre que la sélection naturelle le fasse pour lui. Le philosophe Karl Popperremarquait que l’imagination est comme un simulateur de vol dans lequel l’homme peut expérimenter des vols d’essai pour que ses idées puissent éventuellement échouer sans qu’il doive le vivre naturellement et mettre ainsi sa vie en péril.

Par conséquent l’homme a pu se libérer de sa dépendance de la nature. Il peut vivre partout dans le monde, contrairement aux animaux qui sont perdus dès qu’ils sont éloignés de leur biotope. L’homme a créé une culture, c’est-à-dire un ensemble d’idées et de réflexions qu’il peut facilement transmettre à ses enfants pour qu’ils n’aient pas à recommencer à chaque fois à zéro, comme les animaux, mais qu’ils puissent continuer à construire sur les acquis de la génération précédente. Ainsi, nos enfants n’ont pas à réinventer la roue. Mais il y a aussi un revers à cette évolution. En effet, malgré cette évolution rapide, nos émotions, ces moyens de survie, sont restées quasiment inchangées et sont restés figées au stade d’une vie dans une nature hostile avec en permanence de nombreuses menaces et de maints dangers. Elles ne sont pas très bien adaptées à la vie urbaine qui est en mutation rapide. Par conséquent, les réponses que donnent nos émotions, ne sont souvent pas adéquates. Nos émotions réagissent instantanément et de façon stéréotypée à des images, même si celles-ci ne sont en réalité pas issues de l’environnement mais de notre imagination. Nos émotions ne semblent pas se réaliser que nous possédons en nous un producteur interne d’images et de films. Cela explique pourquoi on peut vivre la même émotion quand on repense à un événement d’un passé même très ancien. On sent par exemple à nouveau l’angoisse quand on se rappelle l’image du chien qui nous a mordu. Individual Timeline

However, in modern man, there are However, in modern man, there are few life few life--threatening events and threatening events and most events are internal events. most events are internal events.

Integral

Emotions

Internal representation Mythical stories Received knowledge Conventional wisdom “Normality”

Magical Mythical

Action

Reason

La tendance de nos émotions à généraliser nous joue également des tours. Ainsi, on peut raisonnablement supposer que si vous avez été mordu par un tigre, tous les tigres vont vous mordre, mais on ne peut pas raisonnablement supposer que si une personne d’une certaine couleur a été désagréable avec vous, toutes les personnes de la même couleur le seront aussi. Ce qui est valable pour l’animal (la nature) ne l’est pas pour l’homme (la culture). Pourtant c’est ce que beaucoup de gens font, non pas par ignorance ou par malveillance, mais par une prédisposition évolutionnaire. Nous avons donc intérêt à examiner de façon critique les recommandations, c’est à dire les intuitions, que nous donnent nos émotions sur la base de nos expériences. Notre expérience peut nous mener à des conclusions très

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