4 minute read

Il ne s’agissait pas du bonheur

pas seulement une survie purement biologique, mais elle s’étend aussi en grande partie à une survie sociale, c'est-à-dire à la télécommande et la manipulation des autres, qui vise à la transmission génétique pour la conservation de l’espèce. Nous pourrons alors nous attendre à « découvrir » des émotions qui sont au service de notre survie individuelle, à côté des émotions qui le seront pour notre survie sociale. En effet, les émotions sont les instances exécutives de notre programme évolutionnaire. Elles visent à nous faire faire le nécessaire pour survivre en tant qu’individu et de continuer notre espèce : par exemple en assurant que nous soyons attirés par un ou plusieurs partenaires recevables. Le sentiment agréable que nous y ressentons est une récompense que le programme évolutionnaire a gentiment prévu pour notre bonheur.

Si nous admettons que les émotions s’inscrivent dans un contexte évolutionnaire, alors, aussitôt, nous devons accepter qu’à l’origine elles n’ont pas, dans l’évolution, été développées pour notre bonheur personnel. Comme l’écrivait Schopenhauer « Le bonheur n’était pas l’intention » et il insistait sur le fait que l’homme s’obstine à faire des choses qui ne vont pas forcément le rendre heureux. Bien sûr, il pensait surtout aux relations amoureuses et sexuelles. Beaucoup d’hommes et de femmes ont suivis « leur cœur» et y ont ressenti une joie immédiate, mais sont devenus terriblement malheureux à long terme, comme évoqué ci-dessus dans le film Damage. Ils ont cru suivre leur cœur alors qu’en réalité ils ont été menés par la logique évolutionnaire de leurs émotions. C’est précisément la définition de la tragédie : le malheur qui s’abat sur quelqu’un qui ne voulait que du bien. L’homme est l’animal tragique qui est mu de l’intérieur par des émotions, nées bien longtemps avant qu’il ne soit question de lui, et qui ont leur propre agenda secret. L’évolution faisait déjà son travail bien avant l’apparition de l’homme et elle ne se soucie guère de notre bonheur. Elle fait en sorte que nous nous entêtions de trouver un partenaire pour assurer la procréation, même si c’est tout à fait incertain que cela puisse nous rendre heureux.

Advertisement

Que nos émotions soient des mécanismes innés pour manipuler les autres est évident dans le comportement des enfants. Les enfants savent, sans qu’on doive le leur apprendre,

comment se montrer malheureux pour que les parents se mobilisent aussitôt pour venir à leur aide. Ce comportement, que nous retrouvons également chez les animaux, est un schéma comportemental préprogrammé qui, dans la plupart des cas, se révèle extrêmement efficace. Chez les adultes aussi, nous retrouvons ce comportement. Sinon que pourrait être le sens de la tristesse et du chagrin à la fin d’une relation ? Il est clair que celui qui peut se montrer malheureux et en culpabiliser l’autre ou la société, détient un grand pouvoir émotionnel sur l’autre.22 En effet : peut-être que l’autre en aura du remord et reprendra la relation. Si, par contre, la souffrance ne mène pas au résultat souhaité, il n’est pas rare qu’il en découle une grande frustration qui peut même parfois se solder par une dépression ou une agression. Souvent, on se l’explique en soutenant que ce serait de l’amour qui aurait basculé vers la haine. En vérité, l’amour ne peut pas se transformer en haine. C’est plutôt la haine qui démontre qu’en réalité il n’y avait point d’amour mais bien un agenda secret… Convaincre les autres que c’est à cause d‘eux qu’on est tombé dans le malheur, fonctionne d’autant plus qu’on y croit soi-même. Ce schéma comportemental fonctionne même sans qu’on en soit conscient. Cependant, le prix de ce comportement est qu’on peut se trouver empêtré dans cette logique. Car on ne peut pas simplement renoncer à la souffrance sans perdre la face, aussi bien vis-à-vis de soi même que vis-à-vis des autres. On a tous autour de nous des exemples de couples séparés qui, bien qu’ils aillent bien dans la vie de tous les jours, se sentent, semble-t-il, toujours obligés de se montrer malheureux vis-à-vis de leur « ex ».

Les émotions ne nous arrivent pas sans raison, elles ont une intension, un agenda,

elles ont une fonction «politique» dans le sens organisationnel de la vie. Elles sont des façons de nous positionner nous-mêmes dans la vie et de gérer les rapports aux autres, afin de les convaincre, les séduire, les intimider, voir les manipuler. On se met en colère ou on devient triste pour ne pas perdre face, pas seulement dans le regard des autres, mais aussi dans son propre regard. Les émotions jouent donc un rôle dans les stratégies personnelles de responsabilisationou déresponsabilisation. Cela ne veut pas dire que ce serait un choix conscient ou que ses émotions ne soient pas réelles. Solomon, déjà cité auparavant, disait : « Nos émotions ne sont pas seulement révélatrices de nos relations avec

22 La première chose qu’un tout petit fait lorsqu’il tombe et se blesse, est de regarder autour de luit pour s’assurer que quelq’un a été témoin de l’incident, sinon pleurer n’a pas beacoup de sens.

This article is from: