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LA PRÉSIDENCE DE Dr ROBERT MARIER

Mécontente de la tournure des événements, l’Assemblée des délégués opte alors pour un grand changement avec l’élection, le 14 mars 1991, de Dr Robert Marier, obstétricien gynécologue.

Le nouveau président propose des modifications à la distribution de la rémunération et une modification du fonctionnement de la FMSQ. À l’exception de Dr Pierre Gauthier et de Dr Gilles Robert, arrivé au conseil en 1990, le conseil d’administration est entièrement renouvelé. Depuis décembre 1990, le dépôt du projet de loi no 120, Loi sur les services de santé et les services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives, suscite la grogne des professionnels de la santé, et les négociations s’annoncent ardues, surtout que le ministre de la Santé, Marc‑Yvan Côté, est un homme qui ne craint pas les affrontements. Outre les négociations, le nouveau conseil devra mettre l’accent sur la défense des intérêts économiques des médecins spécialistes et revoir les communications internes et externes. La tâche est immense et le printemps s’annonce chaud, mais tous gardent espoir, car, rapidement, l’association restée dissidente, celle des chirurgiens généraux, se réaffilie !

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Adoptant la ligne dure, le conseil annonce d’importantes modifications internes. D’abord, il ne renouvelle pas le contrat de son négociateur ; le président deviendra responsable du dossier de la négociation, laissant aux avocats la charge de s’occuper des questions juridiques. Puis, il revoit le processus de partage de l’enveloppe monétaire entre les associations à l’aide de l’outil de répartition

RMA (revenu moyen ajusté) : un modèle actuariel qui tient compte de plusieurs données, notamment le classement de l’association, le niveau de dépenses, les primes d’assurance responsabilité professionnelle, l’exigence de la tâche et le temps travaillé. L’outil permet de calculer différents écarts par rapport à un ratio visé.

Le projet de loi no 120, destiné à régler les problèmes de répartition géographique des médecins et à réguler la rémunération globale en fonction de cette répartition régionale, a fait naître une mobilisation sans équivoque : on y a vu l’émergence rapide du premier véritable front commun dans l’histoire de la médecine québécoise. Dès le printemps 1991, les quatre fédérations médicales ainsi que la CPMQ et l’ACMDPQ adoptent une position commune claire : le retrait du projet de loi no 120 et la mise en place d’une « vraie » réforme du système de santé.

Les six organismes s’unissent sous le Regroupement des fédérations de médecins du Québec (RFMQ) et déposent un mémoire en commission parlemen taire. Le RFMQ critique ouvertement le projet de loi en parlant de soviétisation de la médecine et dénonce « la création d’une médecine technocra tique dénuée de toute initiative individuelle ». On craint une médecine sans médecins dirigée par des bureaucrates qui considèrent les membres du corps médical comme des pions et les patients comme des pièces numérotées qu’on dirige machinalement vers des chaînes de montage. Les médecins sont mobilisés à bloc ! De son côté, la FMSQ développe une campagne de publicité pour sensibiliser la population, puis effectue une grande tournée régionale. Boycottages, fermetures de cabinets, démissions massives font partie des moyens employés. La FMSQ tient une assemblée générale le 21 mai au Centre Paul‑Sauvé, à Montréal. Plus de 6 200 médecins approuvent à 97 % le maintien du plan d’action, et une journée d’étude est prévue le 29 mai à Québec. Cette (première) journée réunit 4 300 médecins ; d’autres s’ajoutent ailleurs le 7 juin.

La pression monte pour le ministre, car les médecins obtiennent l’appui de la presse écrite. Coincé, le ministre reporte de deux mois l’adop tion de son projet de loi. S’enclenche alors une période d’intenses négociations où la FMSQ fait des propositions qui aboutissent, le 16 août, à une entente favorable aux fédérations. L’entente prévoit la création du Conseil médical du Québec, un organisme de concertation dont le mandat est de fournir au ministre des avis sur toutes questions relatives aux services médicaux, en tenant compte de l’évolution des coûts de ces services, des besoins de la population et de la capacité de payer de cette dernière. Le Conseil médical du Québec sera formellement constitué en avril 1993. Il sera aboli en 2006 par le ministre de la Santé d’alors, Philippe Couillard.

LE CONGRÈS D’ORIENTATION DE 1992

En 1992, la FMSQ désire organiser un second congrès d’orientation ; une belle occasion d’inculquer à la Fédération un nouveau souffle et d’en faire un véritable acteur social. Dr Camille

Laurin est de ceux qui réclament une transformation radicale du rôle social de la profession pour que les médecins participent aux discussions sociétales. S’il s’agit d’un engagement idéaliste et marginal, la notion d’établir un lien plus étroit entre les aspects socio‑environnementaux de la santé et la pratique médicale est de plus en plus répandue, particulièrement en Europe. La FMSQ en est consciente et souhaite, elle aussi, participer aux grands enjeux sociaux du Québec en intervenant davantage sur la place publique.

Ce congrès d’orientation désire trouver des solutions concrètes aux problèmes vécus en médecine spécialisée. On veut aussi revoir la structure et les mandats de la Fédération. Dr Marier aimerait que ses pouvoirs de président soient élargis ; il souhaite aussi donner une meilleure représentativité aux régions. Si ce dernier objectif fait quasi l’unanimité, ce n’est pas le cas du premier. Des présidents d’associations se montrent inquiets au sujet des chambardements internes à la Fédération et du « sabordement » éventuel des associations. Le congrès d’orientation est finalement remplacé par une Assemblée des délégués de trois jours (du 23 au 25 octobre 1992). Le caractère décisionnel de cette réunion permet des modifications importantes aux règlements et aux structures de la Fédération. On met fin au régime de pérennité des présidents : ceux‑ci ne pourront cumuler plus de trois mandats de deux ans. On revoit aussi la composition de l’exécutif. Une proposition aurait pu changer bien des choses : celle‑ci voulait que le conseil d’administration de la Fédération soit composé des présidents des associations. Une partie du « pouvoir » de la Fédération aurait ainsi été transférée aux associations par la création d’un système confédératif. Finalement, cette proposition sera remplacée par une modification des règlements généraux afin de donner plus de pouvoirs à l’Assemblée des délégués. Dorénavant, ce sera cette instance qui pourra élire ou destituer le conseil d’administration, de même qu’autoriser l’affiliation ou la désaffiliation des associations.

Nous sortions d’une réunion, tardivement, une soirée de janvier. Quelques membres du conseil d’administration avaient décidé de poursuivre la réunion au‑delà des murs de la salle, en allant prendre une bouchée au restaurant. Étant donné le froid sibérien, un collègue m’offrit le confort de sa voiture. L’endroit de rencontre fixé fut le débarcadère de l’Hôtel Méridien. Une fois arrivée au point de rencontre, je vois une voiture en attente et m’y engouffre sans toutefois regarder le conducteur. « Où allons‑nous ? » lui demandai‑je. « Là où vous voudrez, Madame », me répondit un illustre inconnu.

Je me souviens aussi d’une Assemblée des délégués, un début décembre. Nous terminions habituellement ces réunions par une rencontre à l’extérieur, question de discuter et d’établir un compte rendu de la réunion. Comme je me sentais plus ou moins bien, je décidai de quitter mes collègues pour rentrer me reposer à la maison. Je les rappelai à peine quelques heures plus tard pour les informer que je venais tout juste d’accoucher de mon second fils ! Un peu plus et il naissait durant la réunion.

FMSQ

50 ans 1965-2015

Constatant qu’ils sont bons derniers au Canada sur le plan de la rémunération, les délégués demandent l’ouverture des négociations afin de réajuster la rémunération des médecins spécialistes du Québec. À l’automne 1992, la FMSQ entreprend la renégociation de son entente dont l’échéance est prévue pour décembre 1993. L’enjeu majeur de ce renouvellement sera donc la réduction de l’écart de rémunération entre les médecins québécois et le reste du Canada. Les médecins sont mobilisés, mais le moment est mal choisi : la récession du début des années 1990 entraîne une hausse des dépenses et une baisse des revenus de l’État. Compte tenu de l’importance du budget consacré au secteur de la santé et des services sociaux, il sera quasi impossible d’éviter la réduction de ses budgets.

La FMSQ fait preuve de pragmatisme et réclame une rémunération « plus juste » : elle dirige ses efforts vers le système hospitalier et les organismes paragouvernementaux comme la CSST et la SAAQ. Les hausses demandées concernent les tâches d’en seignement, de recherche et de gestion médico‑ administrative. Le gouvernement refuse. La FMSQ enjoint à ses membres de cesser tout service à la CSST, paralysant ainsi le système. Le gouverne ment, bloqué, rend les armes et donne à la FMSQ l’augmentation tarifaire demandée, mais tous les points de négociation n’auront pas la même finalité. Malgré tout, l’entente sera favorable aux médecins spécialistes : la rémunération majorée à 120 % sera toujours en vigueur à titre de mesure incitative en régions éloignées. On prévoit la mise en place d’un mécanisme par lequel la rémunération des Nous sommes en 1991. La FMSQ, sous la présidence de Dr Robert Marier, est mobilisée contre le projet de loi 120. Je siège au conseil d’administration de la FMSQ depuis 1987, et, en tant que trésorier, depuis 1990. J’ai aussi été le médecin responsable des Affaires économiques avant d’en être le directeur. Les négociations avec le ministère de la Santé sont plutôt difficiles. Vient le jour où la FMSQ me convoque d’urgence pour une séance spéciale du comité de négociations duquel je fais partie. Au Bureau du président, on m’informe que c’est très important, d’y être à temps et que je devrais prendre le prochain avion pour Montréal.

Une fois assis dans l’avion, deux autres passagers viennent s’asseoir dans la rangée juste devant la mienne. Ils semblent très absorbés et concentrés, et ne me reconnaissent pas. Je me fais très discret. Ils discutent abondamment de leur réunion avec la FMSQ. Il s’agit du porte‑parole du ministère de la Santé et du négociateur en chef du gouvernement, ou du sous‑ministre.

J’essaie de prendre en note l’essentiel de leur conversation et malgré le fait que j’ai toujours beaucoup de petits bouts de papier dans mes poches… j’en ai manqué ! Mon porte‑documents est rangé dans le compartiment au‑dessus de nos têtes et, si je me lève pour aller le chercher, je prends le risque d’être reconnu. Je demande donc à mon voisin de siège de le faire pour moi.

Ce dernier se trompe et saisit une valise identifiée au nom du gouvernement du Québec. Il s’excuse auprès des représentants gouvernementaux et récupère finalement ma mallette. Je peux alors compléter mes notes. Finalement, je sors très discrètement de l’avion pour me rendre à la salle de négociation de la FMSQ. J’ai ainsi pu informer le comité de négociation de la FMSQ des différentes positions du ministère de la Santé concernant les enjeux avant que la réunion officielle ne débute.

La morale de l’histoire et comme m’a toujours dit mon père « et non comme le grand‑père de Boucar Diouf » : l’information est la clé du succès !

Dr Gilles Robert, urologue Membre CA 1987‑1995

spécialistes ne sera en aucun cas inférieure à celle de leurs collègues des grandes villes. Finalement, aucune pénalité ne sera appliquée aux spécialistes qui refuseront de pratiquer en région.

Mais l’unité demeure difficile à maintenir. Les accords tarifaires et la répartition des augmenta tions accordées par le MSSS font des mécontents : les anesthésistes et les radiologistes en réclament même l’annulation. Ces derniers considèrent que la FMSQ les a mal représentés et demandent leur reconnaissance à titre d’organisme de négociation.

Un Mandat Court

Toujours animé par le désir d’améliorer l’image de la Fédération auprès de la population, Dr Marier autorise, à l’été 1993, une ambitieuse campagne de communication assortie d’un budget de 350 000 $. Si certains membres déplorent que les médecins spécialistes soient absents des grands débats de société, la plupart jugent que ce projet est prématuré et superflu. Le président, convaincu du contraire, poursuit en ce sens.

La démarche est contestée au conseil d’adminis tration : elle soulève la question de l’autonomie dont jouissent les présidents depuis la création de la FMSQ. Certains membres du conseil consi dèrent que le président n’a pas plus d’autorité qu’eux. En fait, ils souhaitent que le pouvoir ne soit jamais entre les mains d’une seule personne. La tension monte. Les membres du conseil demandent la démission du Dr Marier ; les délégués, eux, refusent de prendre parti dans ce conflit. Devant l’impasse, trois membres du conseil démissionnent, pensant régler la situation, mais le conflit persiste plusieurs mois.

Finalement, le 17 mars 1994, la Commission des présidents, excédée du litige, reproche au Dr Marier sa gestion autocratique. Des reproches de mutisme devant un conflit qui perdure sont aussi formulés au conseil d’administration. Dr Marier est relevé de ses fonctions et est remplacé par le vice‑président, Dr Pierre Gauthier. Les médias s’emparent de l’affaire, ce qui ne fait qu’augmenter la percep tion négative de la Fédération auprès de l’opinion publique. De son côté, Dr Marier dénonce publi quement le pouvoir des grosses associations, les désignant comme responsables de son départ.

La tempête ne fera qu’un temps, une nouvelle équipe prendra la relève et ramènera la Fédération vers des eaux plus calmes.

En 1991, j’étais élu secrétaire de la Fédération. Je faisais partie de l’équipe de Paul Desjardins qui a perdu face à l’équipe de Robert Marier. Nous avions perdu, soit ! Mais je n’étais pas seul de mon clan : deux autres membres ont aussi été élus soit Pierre Gauthier et Gilles Robert.

Au moment de ma nomination, je venais de remporter en Cour supérieure une dure bataille juridique contre le ministre de la Santé de l’époque, Marc‑Yvan Côté, qui avait mis en tutelle l’Hôpital Louis‑H.

Lafontaine, où j’étais le chef du Département de psychiatrie. L’Association des médecins psychiatres du Québec, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, l’Association des conseils de médecins, dentistes et pharmaciens du Québec, le Collège des médecins du Québec ainsi que la Faculté de médecine de l’Université de Montréal m’ont tous appuyé. Le gouvernement et le ministre ont perdu en Cour d’appel. La Cour suprême du Canada a refusé d’entendre la cause. J’étais alors représenté par Me Roger David, conseiller juridique de la FMSQ.

Au nom de tous ceux qui m’ont activement appuyé, je tiens à remercier chaleureusement l’équipe de Paul Desjardins d’avoir soutenu cette cause et de m’avoir permis de servir les médecins spécialistes.

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