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PRÉSIDENCE

DE Dr RAYMOND ROBILLARD

Après plusieurs années d’efforts, le rêve de Dr Robillard se concrétise enfin. Le 14 décembre 1965, le secrétaire de la province autorise la nouvelle fédération comme syndicat professionnel. Celle‑ci portera le nom de « Fédération des Médecins Spécialistes du Québec/ Federation of Medical Specialists of Quebec ».

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Ce même jour, on procède à l’élection du conseil d’administration ; Dr Raymond Robillard, neurologue, est élu à la présidence. Il amorce sa présidence sur les chapeaux de roues. À peine élu, doit‑il entreprendre des discussions avec les représentants du gouvernement, notamment pour aborder les principaux problèmes de la profession médicale pendant l’implantation de la première phase de l’assurance maladie. Cette dernière touche la rémunération des services médicaux dispensés aux assistés sociaux. Plusieurs autres associations médicales veulent, à leur tour, rallier les rangs de la nouvelle fédération. Dr Robillard est tellement sollicité qu’il doit délaisser une partie de sa pratique médicale pour s’occuper de la Fédération. Une première secrétaire est engagée pour l’assister dans sa tâche.

Dès le départ, le Collège manifeste clairement une résistance lorsqu’on lui demande de se désister de ses droits d’établir des tarifs ; cette respon sabilité incombe désormais à la Fédération. De longues négociations s’ensuivent avec le Collège, qui tient bon. Dr Robillard aussi ! La dépolitisa tion et la désyndicalisation du Bureau provincial de médecine se feront en douce, notamment par la présence accrue du nombre de spécialistes élus.

En février 1966, la Fédération compte déjà 22 associations médicales affiliées, représentant plus de 3 500 membres. Il faut trouver comment financer la Fédération, car les cotisations ne sont pas encore prélevées automatiquement comme elles le seront à compter de 1970 avec l’applica tion de la formule Rand.

Une Premi Re Loi Contester

Depuis l’adoption de la Loi des hôpitaux, en 1962, une série de différends opposent le Collège des médecins à l’Association des hôpitaux du Québec et à la Commission générale des hôpitaux catho liques de la province de Québec. Les médecins veulent conserver leur autorité quant à la gestion médicale. Puisque le conflit perdure, le gouver nement Lesage ordonne de trouver un terrain d’entente, sinon il mettra sous tutelle, avec l’adop tion du projet de loi no 74, la régie des hôpitaux. Une telle loi permettrait donc au gouvernement de s’immiscer dans la gestion des soins.

Les médecins sont en furie devant une telle intrusion de l’État et décident de démontrer leur opposition à ce projet en marchant devant le parlement. Cette mobilisation, la toute première de la Fédération, cause la surprise générale, car les médecins s’organisent en moins de 24 heures. Pas question de faire la grève ni d’arrêter les soins ; seuls les médecins disponibles sont invités à cette marche. Le 15 juillet 1965, quelque 250 médecins répondent à l’appel : ils demandent au gouvernement de reprendre les négocia tions et de surseoir à l’adoption d’une loi qui ne réglera rien.

FMSQ encore de nouvelles associations, ce qui lui confère une plus grande légitimité face au gouvernement.

Les médecins obtiennent un report de l’adoption du projet de loi, mais, le 5 août, le gouvernement fait fi de l’entente obtenue et vote l’adoption de la loi. Les fédérations se mobilisent à nouveau et le 2 octobre, lors d’un congrès tenu à Montréal, les médecins demandent l’abrogation de la loi et lancent une pétition.

Au cours des semaines suivantes, le conflit prend des proportions démesurées. La Fédération des omnipraticiens se range du côté du Collège qui ne lâche aucunement prise quant à l’élaboration de tarifs médicaux. La tension est telle que la FMSQ, qui jusqu’ici partageait ses bureaux avec ceux de la FMOQ, décide de faire cavalier seul et déménage ses bureaux au centre‑ville de Montréal. La FMSQ est catégorique : ce n’est pas à l’ordre professionnel de décider de la rémunération des médecins. L’ordre doit s’occuper de la délivrance des permis d’exercice, surveiller la qualité de l’acte et protéger le public. Dr Robillard ne ménage aucun effort pour régler ce différend, qui se termine par un compromis. Malheureusement, certaines spécialités médicales s’y opposent, et Dr Robillard doit leur faire comprendre que les intérêts de la majorité d’un groupe aussi large que celui des spécialistes doivent l’emporter sur les intérêts particuliers. Ce sera le baptême de feu pour Dr Robillard, encore néophyte de la realpolitik et des négociations avec les stratèges gouverne mentaux bien habitués à l’exercice.

Le réseau de la santé, ébranlé par la contestation syndicale entourant la mise en place du régime universel d’assurance maladie, vit d’autres crises : les syndicats déclarent une grève générale le 15 juillet 1966. Pour y mettre un terme, le gouvernement imposera une mise en tutelle des établissements le 3 août et mettra sur pied la fameuse Commission d’enquête sur la santé et le bien‑être social, présidée par Claude Castonguay.

La FMSQ, qui se dit en faveur d’un régime rendant les soins accessibles à tous, veut éviter que les médecins ne soient transformés en fonction naires. Dans l’esprit de la Fédération, l’État et les médecins devraient négocier un nouveau partena riat sur la base du droit à la santé pour l’ensemble de la population, à la condition de préserver les principaux droits acquis par la profession. La tâche est colossale et la Fédération doit mettre les bouchées doubles pour arrimer tous ses projets.

En l’espace de quelques mois, la FMSQ s’emploie à augmenter la cohésion entre ses associations médicales affiliées, à qui elle offre de partager ses locaux ; structure ses actions en vue de la prochaine négociation pour la rémunération de ses membres ; dépose un mémoire à la commission Castonguay‑Nepveu concernant la formation, les relations professionnelles, les conditions de travail et le mode de rémunération des médecins internes et résidents ; publie un premier bulletin d’information pour ses membres ; et crée, le 4 mars 1968, Sogemec, une société d’administration de collection de comptes et de facturation (NDLR : Sogemec changera de vocation en 1978).

Le président garde le cap et met en place une première structure fédérative ouverte sur les besoins des membres. Il veut représenter les régions et les différentes formes de pratique médicale, car, au début, les membres du conseil d’administration proviennent tous de l’Hôpital Maisonneuve. Dès l’hiver 1966, la FMSQ accueille

Plus forte, la FMSQ se prépare aux prochains affrontements. Le comité de négociation souhaite que Dr Robillard ne soit plus du nombre devant les négociateurs aguerris du gouvernement, mais qu’il puisse avoir la liberté d’apparaître au moment opportun pour infirmer les décisions de ses subor donnés et régler définitivement un problème au besoin. Dr Robillard souhaite ainsi imposer son leadership devant son opposant tout en pour suivant le développement de la Fédération, qui compte, en 1969, près de 4 000 membres.

1970, LA FMSQ ET LA CRISE D’OCTOBRE

Pendant que le gouvernement canadien reporte la mise en œuvre de l’assurance maladie proposée par la commission Hall, le gouvernement du Québec, lui, préfère procéder par étapes, la première étant l’extension des services médicaux pour les moins nantis. La FMSQ obtient une entente où ses princi pales demandes liées aux honoraires sont accordées. Puis, le 13 juin 1969, le gouvernement adopte le projet de loi no 30, qui met en place le régime de l’assurance maladie. Cette loi accorde aux fédéra tions médicales le pouvoir de négocier les condi tions de participation des médecins au régime, leurs conditions d’exercice et leur rémunération.

La FMOQ accueille ce nouveau régime avec satis faction ; quant à la FMSQ, la réception est mitigée : plusieurs associations comptent sur leur fédération pour obtenir une rémunération supérieure à ce qui est actuellement prévu. La FMSQ se rend à Québec pour négocier, mais les représentants du gouverne ment n’ont reçu aucun mandat en ce sens. Trois mois plus tard, le gouvernement se montre frileux à toute négociation. Dr Robillard en profite pour faire de l’ironie en disant que « cette délicatesse du gouver nement » ne sera guère « une habitude bien ancrée » lorsque viendra le temps de négocier la loi portant sur l’assurance maladie. L’absence de négociation entre les parties retarde la mise en application du régime d’assurance maladie.

Janvier 1970, les fédérations lancent un avertis sement : les médecins n’entendent pas servir de bouc émissaire au cas où le gouvernement devrait retarder l’instauration du régime. Dans un ballet d’accusations mutuelles se jouent des stratégies différentes : d’un côté, le gouvernement, qui évite toute entente favorable aux médecins spécialistes de peur de déplaire à l’électorat et, de l’autre, la Fédération, qui veut profiter du contexte et obtenir une entente avant le déclenchement des élections.

L’arrivée de Claude Castonguay au ministère de la Santé vient changer la donne. Le nouveau ministre, plus coriace, est résolu à contrôler le budget de son ministère. Avec son projet de loi no 8, il se montre ferme à l’endroit des revendications des spécialistes. Au plus, il pourrait reconnaître quelques droits acquis. Mais les médecins spécia listes ne l’entendent pas ainsi. Pour eux, le régime d’assurance maladie doit accorder aux médecins du

Québec les mêmes droits que détiennent ceux des autres provinces, des revendications qui ne font pas l’unanimité dans les milieux politiques et sociaux du Québec.

Au début de l’été 1970, alors que les désaccords restent profonds, Dr Robillard souhaite, par une grande campagne de relations publiques, contrer l’image négative des médecins spécialistes projetée dans les milieux gouvernementaux, syndicaux et médiatiques. Deux objectifs sont poursuivis : empêcher l’imposition des tarifs médicaux par le gouvernement et convaincre le public du bien‑fondé des revendications de la FMSQ.

Dr Robillard rédige et publie

Les médecins, l’État et vous! Cet ouvrage deviendra un élément central de la campagne médiatique. Celui‑ci explique le fonctionnement de la médecine spécialisée, le rôle des médecins spécialistes dans le système de santé, les revenus des membres de la Fédération, l’état des négociations à l’été 1970 ainsi que les revendications de la FMSQ. Dr Robillard profite du lancement de son livre pour accroître la pression sur le gouvernement et évoque, pour la première fois, la « possibilité très nette d’un arrêt de travail ». Dr Robillard est de toutes les tribunes pour expliquer et démentir les préjugés entretenus sur les médecins spécialistes. Mais le ministre Castonguay critiquera sévèrement la portée d’une telle campagne.

Le 31 juillet 1970, le gouvernement dépose ses offres monétaires. Celles‑ci seront jugées très en deçà des demandes des deux fédérations ; pire, l’offre est plus généreuse pour les omnipraticiens. L’écart est tel qu’une entente est quasi impossible. Même l’ancien ministre de la Santé, Jean‑Paul Cloutier, juge insuf fisantes les offres du gouvernement. Mais une autre clause achoppe : Dr Robillard veut faire modifier la loi en ce qui concerne le désengagement.

Faute de règlement, et s’accusant mutuellement de mauvaise foi, les médecins spécialistes se préparent à la grève, et ce, malgré l’entrée en vigueur du régime d’assurance maladie le 1er novembre, avec ou

FMSQ sans entente. Les radiologistes offrent une tribune à Dr Robillard à l’intérieur d’un large symposium international francophone. Dr Robillard réussit à soulever la foule et obtient des 1 500 médecins spécialistes québécois présents un vote de grève à 98 %. Le gouvernement invite à la reprise des négociations, mais soulève le spectre d’une loi spéciale. Le ministre Castonguay est prêt à bonifier son offre, mais Dr Robillard reste fidèle aux enga gements pris devant ses membres. un appel à la bombe entraîne son évacuation. À Québec, un médecin voit un cocktail Molotov lancé contre sa maison. Dr Robillard doit se cacher, car un communiqué envoyé par la cellule Nelson annonce qu’elle kidnappera un médecin spécialiste si la Fédération ne met pas un terme à la grève. La FMSQ élabore un plan pour protéger ses membres. Les équipes de travail sont déplacées dans d’autres hôpitaux et les honoraires sont dans un fonds commun : les médecins non affectés aux services d’urgence sont cachés temporairement en Ontario ou aux États‑Unis.

Les moyens de pression s’accentuent dès la première semaine d’octobre. Certains médecins spécialistes quittent le Québec et 20 % cessent leurs activités. La FMSQ n’a pourtant émis aucun mot d’ordre à cet effet : ce sont des décisions indivi duelles. La situation est particulière : c’est le premier conflit du genre dans l’histoire du Québec.

Lors d’une émission télévisée, Dr Robillard et le ministre Castonguay laissent paraître une embellie, mais lors de la réunion de négociation, le 7 octobre, les positions deviennent irréconciliables. Le conseil d’administration, réuni en session extraordinaire, adopte une résolution ordonnant à ses membres de cesser leurs services tout en assurant les soins d’urgence, et ce, à compter du 8 octobre, à 8 heures. Le moment est mal choisi, car, quelques jours auparavant, le Front de libé ration du Québec (FLQ) a kidnappé le diplomate britannique James Cross. La Fédération maintient son débrayage.

Le premier ministre Bourassa, voulant régler à tout prix, met à l’agenda du 12 octobre une séance extraordinaire de l’Assemblée nationale pour modifier la Loi de l’assurance maladie. Mais l’en lèvement du ministre du Travail, Pierre Laporte, aggrave la crise. Le gouvernement est contraint d’annuler cette séance.

Les médecins spécialistes, qui ont conservé leurs moyens de pression, se voient relégués au second rang de l’attention médiatique. La FMSQ se retrouve malgré elle au centre d’une tempête ; plusieurs groupes, dont les étudiants et plusieurs médias, se tournent contre elle. Un groupe de 27 acti vistes envahissent le siège social de la FMSQ et

Le 14 octobre, les dirigeants de la FMSQ envisagent d’ordonner un retour au travail, mais cette trêve est assortie de conditions que le gouvernement refuse d’accepter. On tourne en rond ! Le seul point positif de cette dure confrontation demeure la qualité des services d’urgence offerts dans la province. Six jours après la grève, aucun incident grave n’est à déplorer. Le crédit en revient en grande partie à la Fédération qui a fait appel au sens éthique de ses membres pour assurer le fonctionnement d’un plan d’urgence.

Le 15 octobre, jour où est décrétée la Loi des mesures de guerre, l’Assemblée nationale tient une séance extraordinaire et vote une loi spéciale (Loi 41) qui force le retour au travail des spécialistes pour au moins un mois. La sévérité de cette loi, qui impose de fortes amendes individuelles, contraint la FMSQ à adopter une résolution stipulant qu’elle enverra un avis incitant ses membres à respecter la loi. Malgré des délais compréhensibles, le retour au travail s’effectue sans trop de problèmes. Quatre jours plus tard, la plupart des spécialistes ont retrouvé leur poste. Le mot d’ordre lancé par la FMSQ et l’impressionnante organisation « de la gestion de la grève » qu’elle avait mise en place et qui s’est avérée très efficace permettent de rassem bler les troupes très rapidement.

La FMSQ, malgré l’impopularité de cette grève, les circonstances tragiques qui l’ont entourée, les critiques internes qu’elle a soulevées et son échec à faire plier le gouvernement, en sortira para doxalement renforcée. La plupart des médecins spécialistes reconnaissent désormais l’utilité de la Fédération pour défendre leurs intérêts et leurs futures conditions de pratique. De plus, les mesures qu’elle avait soigneusement mises en place pour répondre aux cas d’urgence et limiter les effets de la grève sur la santé des patients ainsi que l’organisation de reprise du travail lui valent une certaine sympathie du public. L’organisation était d’une telle efficacité que, ironie du sort, la population hors des grands centres est déçue de la résolution du conflit. Jamais n’avait‑on bénéficié d’une telle qualité des services et d’une telle mobilité des spécialistes.

Bref, malgré les conditions imposées par Québec, le président Robillard et la FMSQ sortent renforcés de cette épreuve. La lutte qu’ils ont menée n’aura pas été vaine, même s’ils sont désormais contraints de renégocier leur adhésion au régime. Une page importante des annales de la Fédération et de l’histoire médicale du Québec vient d’être tournée.

Au printemps 1970, nous étions en pleine négociation avec le gouvernement en vue d’établir les règles du programme d’assurance santé universelle. La Fédération ne s’opposait pas à l’instauration de cette loi et de ses aspects financiers, mais elle voulait défendre certains droits pour ses membres ; entre autres, le droit de se désengager et le droit à la surfacturation.

En mai, les négociations ne progressaient pas et le président Robillard décide d’organiser un mouvement de contestation. Il convoque une vingtaine de membres « proactifs » en prévision d’une grève. Ce groupe se réunit plusieurs fois en mai pour être bien informé du problème et pour préparer le message à transmettre aux membres à travers toute la province. Celle‑ci est divisée en plusieurs régions et l’on forme des équipes de trois pour se rendre sur place et bien informer les spécialistes. Ces visites hebdomadaires sont maintenues tout l’été. Vers la fin d’août, la grande majorité des spécialistes conviennent de la nécessité d’une grève pour obtenir gain de cause.

La grève est déclenchée vers la mi‑septembre. Environ 1 500 médecins sont envoyés hors du Québec pour éviter l’application d’une loi spéciale. Une « équipe squelettique » est gardée en place pour les urgences.

Un message provenant d’une cellule du FLQ parvient à la Fédération. Dans ce message, l’organisation menace d’enlever un des organisateurs de la grève si celle‑ci n’est pas cessée avant 18 heures, un mercredi dont la date exacte m’échappe. La Gendarmerie royale du Canada avise la Fédération que ce message est authentique.

Une réunion des sept principaux organisateurs est convoquée d’urgence. Le climat est tendu, mais, après environ une heure de discussion, le groupe décide à l’unanimité de maintenir la grève même si le FLQ décide d’enlever l’un des nôtres.

D’importantes mesures de sécurité sont mises en place et personne n’est enlevé. Une dizaine de jours plus tard, le président Robillard rencontre Pierre Trudeau et Robert Bourassa à Ottawa ; les deux le convainquent de mettre fin à la grève devant la gravité de la crise sociale actuelle. Cette action a complètement changé la dynamique des relations entre la Fédération et le gouvernement, et ses effets se sont manifestés pendant des décennies.

L’ENTRÉE EN VIGUEUR DE L’ASSURANCE MALADIE

Le 1er novembre 1970 entre en vigueur la Loi de l’assurance maladie obligatoire, qui donne un accès universel aux soins médicaux à tous les citoyens du Québec. Le régime est administré par une régie et financé, pour une moitié, par des retenues à la source des employés et des employeurs et, pour l’autre moitié, par le programme canadien de partage des coûts (Medicare) établi par le gouver nement canadien en juillet 1968. On estime alors à quelque 285 millions de dollars le coût du régime pour la première année. Par cette intervention directe dans le financement des services, l’État opère la transition fondamentale d’une économie libérale de la santé déterminée en grande partie par les forces du marché vers une économie planifiée et soumise à son autorité. Cette double rationalisation économique et administrative suppose de facto des négociations serrées avec les principaux acteurs du système non seulement sur la tarification, mais aussi sur la distribution des pouvoirs au sein du nouveau système de santé.

Les négociations reprennent dès l’entrée en vigueur de la loi. La FMSQ poursuit ses pressions et pose comme condition préalable à une entente que la Loi 41 soit abrogée. Le mode de rémunération, quant à lui, ne pose plus de problème. Une embellie se produit rapi dement. Le 5 décembre 1970, l’Assemblée nationale abroge la loi d’urgence forçant les médecins spécia listes à retourner au travail. Un autre pas important est franchi vers la conclusion d’un accord et une première entente depuis l’instauration de l’assurance maladie est signée le 16 décembre 1970.

Les Premiers Mois Du R Gime

Dès janvier 1971, la FMSQ établit ses contacts avec la Régie de l’assurance maladie afin d’éviter des conflits sur l’interprétation de l’entente. De nombreuses rencontres ont lieu : elles permettent de régler les différends et les irritants, mais aussi d’imposer le respect auprès des instances du ministère. À terme, et malgré des erreurs de parcours, la FMSQ avait accompli son premier grand mandat : mettre en place les conditions raisonnables d’inclusion de ses membres dans le régime d’assurance maladie, et ce, sans renier les principes fondamentaux qui régissent leur exercice professionnel. Grâce à la force de conviction de son président, à la cohésion de ses actions, à son pouvoir de négociation et à sa capacité d’assumer ses responsabilités, la Fédération avait acquis une bonne légitimité.

Dr Robillard entreprend une série de conférences à New York, à Saint‑Louis, à Albany et à Atlantic City, afin de nouer des relations avec les repré sentants des associations et sociétés médicales américaines et de faire connaître l’opinion de la FMSQ quant à la réorganisation des soins de santé au Québec.

En cette première année d’application du Régime d’assurance maladie, de nombreux ajustements ont été nécessaires pour démarrer le processus complexe de la perception d’honoraires, de la transmission des directives de la Régie aux médecins, de la correction des interprétations et du rappel à l’ordre des récalcitrants ou des négli gents. La régie peut compter sur l’aide de la FMSQ pour transmettre l’information à ses membres, mais plusieurs se plaignent du non‑paiement de leurs honoraires. La FMSQ estime que plus de 80 % des honoraires réclamés n’ont pas été versés par la Régie qui, elle, accuse les médecins de mal remplir les formulaires de réclamation.

Vers Une Importante Restructuration

Occupée à roder le nouveau régime de rémuné ration et à répondre aux nombreuses demandes de ses membres, la FMSQ doit aussi préparer l’avenir. Les membres du conseil d’administration conviennent déjà de la nécessité de restructurer la Fédération afin d’assurer une meilleure coordina tion de ses activités et des communications plus efficaces avec ses membres. L’expansion rapide de la Fédération, l’augmentation de ses budgets de fonctionnement désormais assurés par le prélè vement direct de la cotisation par la Régie, et la gestion des affaires économiques de plusieurs médecins nécessitent une réforme. Il s’agit déjà de la seconde opération du genre, cette fois nettement plus importante. La FMSQ commence, en 1971, par la création d’un logo, l’agrandisse ment et la rénovation de ses locaux et l’ouverture d’un bureau à Québec.

Dès le printemps, le conseil propose un organi gramme afin de diriger les activités de la Fédération à partir de trois secteurs principaux : médicales, syndicales et économiques. La réforme inclut, en amont, une redéfinition des délégations de pouvoir au sein de la Fédération et, en aval, le développe ment de relations plus étroites avec les associations. soins, la distribution des pouvoirs et responsabilités dans les hôpitaux au détriment des conseils médicaux, et la décentralisation des soins au profit d’une approche communautaire. Ce sont les deux premiers points qui préoccupent la Fédération.

De nouveaux chantiers voient le jour : dispensation des soins médicaux, communications, rémunération et revenu, négociations collectives, exercice professionnel, effectifs médicaux, formation et recyclage, avantages collectifs, législation et règlements. Le recrutement de personnel assurera la marche quotidienne des activités de la Fédération.

Malgré le ton militant du mémoire présenté à la commission parlementaire, l’approche est constructive et vise à rappeler une évidence que certains avaient tendance à oublier : il n’est pas de régime médical viable sans la collaboration active des médecins. Aux yeux de la Fédération, une telle collaboration ne s’obtient pas néces sairement par voie législative. Le mémoire, jugé intéressant et positif, est bien accueilli par le ministre Castonguay. La Fédération n’entend pas souscrire de facto à l’esprit du projet de loi no 65 et la démarche porte ses fruits. Les craintes anti cipées d’une perte importante d’autonomie et de contrôle des soins médicaux ne se concrétiseront pas. Bien que la nouvelle loi réduise les responsa bilités de gestion des médecins par rapport à la Loi des hôpitaux et diminue le nombre de médecins au conseil d’administration des hôpitaux, elle maintient l’autonomie du corps médical en milieu hospitalier.

La restructuration lui permettra de s’immiscer dans les débats publics. Ainsi, la FMSQ présen tera de nombreux mémoires, notamment sur les projets de loi nos 65, 30, 21 et 41, sur la réforme du droit des professions, sur les services de santé, etc. Elle participera aux commissions parlemen taires afin de défendre une philosophie médicale plus ouverte où l’approche biomédicale liée à la spécialisation de la médecine peut être compatible avec une approche globale de la santé.

Le Projet De Loi No 65

Le projet de loi no 65 est attendu de pied ferme par la FMSQ. En août 1971, Dr Robillard accueille le projet de loi comme une concrétisation des recommandations de la commission Castonguay‑ Nepveu. Les médecins craignent d’être écartés de l’organisation, de la distribution et du contrôle de leurs actes professionnels. Ce projet de loi comporte trois éléments majeurs dans l’organisation des soins : la bureaucratisation des

Le recrutement de personnel assurera la marche quotidienne des activités de la Fédération. La restructuration lui permettra de s’immiscer dans les débats publics.

Avec cette loi naît le nouveau réseau des Affaires sociales. La loi permet à l’État d’accentuer sa présence dans les établissements privés de santé et de services sociaux et de mettre en place d’autres composantes du réseau public : centres locaux de services communautaires (CLSC), départements de santé communautaire (DSC), centres hospitaliers (CH) et centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD).

Vers

DE L’ENTENTE DE 1970

Alors que la FMSQ s’efforce de défendre certains principes généraux de l’exercice de la médecine, elle doit aussi veiller aux intérêts financiers de ses membres. L’entente tarifaire négociée en 1970 est reconduite année après année sans qu’aucune augmentation ne soit demandée.

Le 23 juillet 1973, un comité de négociation entre prend des pourparlers avec le gouvernement pour renouveler l’entente de 1970. Les objectifs de la FMSQ dans cette négociation sont ambitieux : la révision des tarifs et une répartition plus équitable de la masse monétaire entre les diverses spécialités, la parité des revenus entre enseignants et praticiens, le droit pour tous les médecins spécialistes de faire partie de l’unité de négociation de la FMSQ et de participer à une entente générale signée par le ministre des Affaires sociales et, enfin, le droit pour les malades de recevoir en cabinet privé les mêmes services assurés qu’offrent les centres hospitaliers sans égard à la nature de la maladie dont ils sont atteints. Cette dernière revendication découle du litige antérieur avec le ministère à propos des frais remboursés pour les cliniques externes, les cabinets privés et les polycliniques.

La tâche sera difficile, car les relations avec le ministère se sont assombries. Dr Robillard évoque une situation semblable à celle d’avant la grève de 1970. Une directive du sous‑ministre Jacques Brunet vient jeter de l’huile sur le feu.

Datée du 1er février 1973, cette directive informe les centres hospitaliers « que les médecins, à compter du 1er avril, devront assumer les frais d’exploitation des cliniques externes (personnel, mobilier, équipement, entretien) ». Devant les protestations que soulève cette directive, le sous‑ministre reporte la date de mise en œuvre de son projet au 1er octobre 1973, sans répondre pour autant aux objections qui lui sont adressées.

Pour la Fédération, il s’agit d’une entorse grave à ses prérogatives : « la directive Brunet s’attaque au principe même de la négociation collective en stipulant que les loyers perçus par les adminis trations hospitalières seront variables, au terme d’ententes individuelles conclues par le directeur général avec les médecins ». De plus, la FMSQ s’inquiète que la Régie de l’assurance maladie adopte un style policier tout en commettant d’im portants dérapages, telles des erreurs de program mation causant des prélèvements fautifs. À la Fédération, on a la désagréable impression que les ajustements au nouveau régime se font toujours sur le dos de ses membres.

La Fédération fait campagne pour illustrer non seulement le climat difficile qui prévaut entre elle et le gouvernement, mais aussi les difficultés de Dr Robillard à admettre les bienfaits du régime d’assu rance maladie pour l’ensemble de la population.

Après deux ans de négociations, on parvient enfin à la conclu sion d’un accord ; l’entente signée entrera en vigueur le 1er janvier 1977. Elle prévoit une augmentation tarifaire, l’acceptation du tarif d’honoraires de la FMSQ, l’application intégrale de la politique d’équilibre des revenus adoptée par l’Assemblée des délégués de la Fédération et une rémunéra tion plus élevée pour les actes posés en cabinet privé afin de compenser les coûts des équipements et du personnel. La FMSQ doit accepter l’intro duction d’un plafonnement des revenus avec la conséquence que, si l’entente semble favorable aux médecins à court terme, ce plafonnement permettra, à long terme, au gouvernement de réguler le volume et le coût des services médicaux.

L’entente renouvelée est signée le 4 novembre 1976, tout juste avant la défaite du Parti libéral du 15 novembre. Sera‑t‑elle remise en question par le Parti québécois ? Le nouveau ministre des Affaires sociales, Dr Denis Lazure, donne l’assurance qu’elle sera respectée.

UNE FÉDÉRATION QUI CHANGE…

Après une relative période de stabilité au début de la décennie 1970, la Fédération, dans la foulée des négociations sur le statut des médecins de laboratoire, grossit et gagne quatre nouvelles associations en juin 1976 : les syndicats profes sionnels des pathologistes, des médecins micro biologistes, des médecins biochimistes et des médecins hématologistes. À la même époque, se joint aussi le syndicat professionnel des médecins spécialistes en médecine nucléaire puis, l’année suivante, le syndicat professionnel des médecins endocrinologues.

Après 13 ans à la barre de la Fédération, Dr Robillard décide de ne pas présenter sa candi dature pour les prochaines élections en raison de problèmes de santé. Il quitte ses fonctions peu après le moment symbolique où la Fédération inaugure, le 16 décembre 1977, ses spacieux locaux au 30e étage de la tour Est du Complexe Desjardins. Elle est alors entourée de la Société Sogemec, qui délaisse le financement des polycli niques et démarre de nouvelles activités, ainsi que de nombreuses associations affiliées qui emmé nagent dans les nouveaux locaux de la FMSQ. Le départ de Dr Robillard marque le début d’une nouvelle période de consolidation.

Une Femme Parmi Les Fondateurs

Dre Véronique Susset était l’une des signataires de la requête afin de constituter la FMSQ. Et 50 ans après, elle se souvient !

Issue d’une longue lignée familiale de médecins hongrois, sa mère l’envoie faire ses études médicales à Paris pour fuir le rideau de fer. Diplôme médical en poche, elle rêve de faire de la chirurgie de la main. Elle rencontre alors un physiatre, Dr Gustave Gingras, qui, en 1958, l’invite à venir parfaire sa formation à Montréal.

Ce domaine l’enchante à tel point qu’elle décide de laisser tomber la chirurgie et de se consacrer uniquement à la physiatrie, une spécialité médicale encore naissante, mais où le travail est immense. À cette époque, la polio et la tuberculose sévissaient : c’était l’époque des poumons d’acier, des myopathies sévères, etc. Elle fait même partie d’une équipe de dépistage qui sillonne les routes du Québec dans un autocar transformé en clinique médicale.

En 1965, le Québec comptait tout au plus une douzaine de physiatres. Parce qu’il y a beaucoup de questions entourant le développement de cette sphère d’activité, les physiatres décident, ensemble, de se regrouper et de fonder une association. Dre Susset, qui sera entourée à l’exécutif des Drs Bernard Talbot, Rémi Guimond et Michel Dupuis, en accepte la présidence. Sur les conseils de ce dernier, elle rencontre Dr Raymond Robillard lors d’une de ses tournées des hôpitaux. Dr Robillard était de ceux qui comprenaient les travers du système de santé et qui proposaient des solutions d’amélioration qui plaisaient aux médecins.

L’exécutif de la nouvelle association décide de participer à la création d’une grande fédération médicale et signe la demande de constitution. Malheureusement, personne de l’Association ne sera disponible afin d’assister, le 28 juin 1965, à la première rencontre officielle de la Fédération.

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