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PETITE HISTOIRE DES SPÉCIALITÉS MÉDICALES AU QUÉBEC
C’est dans la seconde moitié du XIXe siècle qu’émergent les premières spécialités en territoire québécois. Les premiers spécialistes de l’histoire de la médecine au Québec sont probablement les Drs Frank Buller et William Osler. Le premier devient, en 1876, le premier ophtalmo‑oto‑rhino‑laryngologiste de l’Hôpital général de Montréal alors que le second est embauché la même année à titre de pathologiste au sein du même hôpital.
D’autres médecins s’orienteront bientôt vers une pratique spécialisée. C’est le cas du Dr A.-A. Foucher, embauché par l’Hôpital général de Montréal en 1880, et qui est l’un des pionniers de l’ophtalmologie et de l’oto-rhino-laryngologie. À son retour d’un stage de spécialisation à Paris, Dr Foucher met sur pied le service des maladies des yeux et des oreilles et est nommé professeur titulaire d’ophtalmologie, d’otologie et de rhinologie à la Faculté de médecine de la succursale montréalaise de l’Université Laval.
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Si l’ophtalmo-oto-rhino-laryngologie constitue l’une des premières spécialités en territoire québécois, comme en bien des endroits, c’est que les accidents de travail sont alors nombreux en une période d’industrialisation où les équipements de protection sont peu utilisés. De même, pour des raisons similaires, les problèmes reliés aux organes auditifs sont largement répandus.
La gynécologie compte aussi parmi les premières spécialités en raison d’une forte demande de soins pour « les maladies de femmes ». En 1885, Dr William Gardner de l’Hôpital général de Montréal est le premier médecin à délaisser la pratique de la médecine générale pour se consacrer entièrement à la gynécologie et deviendra le premier professeur de gynécologie à l’Université McGill. Il est suivi de peu par Dr Michael-Thomas Brennan de l’Hôpital Notre-Dame de Montréal, qui crée l’un des premiers services de gynécologie excluant tous les cas relevant de l’obstétrique.
Il n’y a pas que les grands hôpitaux qui offrent ce service spécialisé ; certains pionniers de la gynécologie — Drs Trenholme et Lapthorn-Smith — mettent sur pied les premiers hôpitaux privés pour « les maladies de femmes ».
Malgré ce premier mouvement de spécialisation, la médecine et la chirurgie générale demeurent toujours, jusqu’au tournant du XXe siècle, les deux divisions fondamentales de la pratique médicale et se partagent plus de 80 % des lits hospitaliers. Mis à part l’ophtalmologie, l’oto-rhino-laryngologie, l’obstétrique et la gynécologie, bien peu de spécialités sont alors reconnues et pratiquées dans les institutions hospitalières. Même la pédiatrie n’est guère implantée, les parents étant fort réticents à amener leurs enfants à l’hôpital.
Fmsq
Une Premi Re Phase De Sp Cialisation
C’est entre les années 1890 et 1930 que la spécialisation de la pratique médicale connaît un premier développement important. Parmi les secteurs qui deviennent autonomes au point de constituer des champs d’études et de pratiques distincts, apparaissent en territoire québécois la radiologie associée à « l’électricité médicale » en 1896, l’urologie qui se sépare de la chirurgie générale lors de la création du département de chirurgie génito-urinaire dirigé par Dr R. P. Campbell en 1911, l’ophtalmo-oto-rhino-laryngologie se scinde en deux spécialités distinctes (l’ophtalmologie et l’oto-rhino-laryngologie), la gastro-entérologie qui bénéficie de l’apparition des premiers procédés endoscopiques et de la radiologie, la phtisiologie (qui deviendra la pneumologie), la dermatologie qui côtoie la syphiligraphie, la neurologie qui fait son apparition à l’Hôpital général de Montréal en 1904 et la pédiatrie suivant la création de l’Hôpital Sainte-Justine en 1907. Parmi les premières disciplines de laboratoire qui se développent au même moment, il y a aussi la bactériologie médicale qui s’ajoute à la pathologie.
La cardiologie fait son apparition à la suite de l’introduction des premiers appareils d’électrocardiographie et de la nomination, à l’Hôpital Royal Victoria en 1912, du premier médecin canadien véritablement spécialisé en cardiologie, Dr Jonathan Meakins. Longtemps confiée aux internes et aux aides-chirurgiens, depuis son apparition à la fin des années 1840, l’anesthésie devient un champ spécifique de la pratique médicale dans les premières décennies du XXe siècle. Le premier médecin à se consacrer exclusivement à l’anesthésie est probablement Dr F.-W. Nagle de l’Hôpital Royal Victoria, mais ce n’est qu’en 1939 que le Collège des médecins et chirurgiens du Bas-Canada (qui deviendra la Corporation professionnelle des médecins du Québec en 1974, puis le Collège des médecins du Québec en 1994) promulgue un règlement selon lequel les anesthésies doivent désormais être administrées par un médecin.
Autre élément de ce premier essor des spécialités médicales : la grande chirurgie (abdominale et thoracique) fait son apparition durant les premières décennies du XXe siècle grâce, notamment, à l’introduction des méthodes d’asepsie et à l’amélioration des méthodes d’anesthésie qui demeuraient jusque-là instables. C’est à la suite de cette révolution de la chirurgie que naissent, dans les années
1910, les premières pratiques spécialisées telles que la chirurgie génito-urinaire, la chirurgie orthopédique ou la chirurgie gastro-entérologique. La Première Guerre mondiale a eu aussi un impact significatif sur la chirurgie abdominale. Les innombrables blessures aux organes internes ont obligé les chirurgiens à développer de nouvelles techniques d’intervention, particulièrement les techniques de transfusion sanguine et la désinfection des plaies internes. Mais la chirurgie telle que nous la connaissons aujourd’hui puise en grande partie ses racines dans le développement des techniques chirurgicales qui permettent de multiplier les types d’interventions sur l’ensemble du corps humain : chirurgie thoracique, chirurgie des organes moteurs, chirurgie plastique, transplantation d’organes, etc. Il y a aussi la neurochirurgie qui connaîtra son premier véritable envol avec l’arrivée du Dr Wilder Penfield en 1928 et, six ans plus tard, avec l’ouverture de l’Institut neurologique de Montréal.
Nulle spécialité n’a connu un progrès aussi fulgurant dans l’histoire de la médecine que la radiologie. À peine quelques mois après la découverte des rayons X en 1895, Dr John Cox de McGill présente la radiographie d’une balle logée dans la jambe d’un patient. Des départements de radiologie sont créés à l’Hôpital général de Montréal (1898) et à l’Hôpital Royal Victoria (1901). Les autres grands centres hospitaliers — l’Hôpital Notre-Dame, l’Hôtel-Dieu de Montréal ou l’Hôtel-Dieu de Québec — avaient acquis des appareils de radiologie et ne tardent pas à embaucher les premiers radiologistes à temps plein. C’est le cas du Dr Philippe Panneton qui, de retour d’un stage de spécialisation à Paris en 1911, organise à ses frais le nouveau Service de radiologie et d’électrothérapie de l’Hôpital Notre-Dame. Il deviendra, en 1914, le premier titulaire de la chaire de radiologie et d’électrologie à l’École de médecine et de chirurgie de l’Université Laval à Montréal. Le mouvement de spécialisation se poursuit dans les années 1920 et 1930.
À l’Hôpital Notre-Dame, on ajoute les services internes de chirurgie urologique (1926), de pédiatrie (1930), de bronchoscopie (1931) et de stomatologie (1932).
À Sainte-Justine, s’ajoute la clinique de chirurgie infantile au début des années 1930. Dans la même foulée, en 1932, les hôpitaux mettent en place de nouvelles sections au sein des services externes : orthopédie, urologie médico-chirurgicale, maladies rénales, maladies des vaisseaux, maladies pulmonaires, maladies cardiaques, maladies du diabète et de la nutrition et maladies du tube digestif. L’Hôtel-Dieu de Québec, l’Hôpital général de Montréal, l’Hôpital Royal Victoria et l’Hôpital général juif entament le même processus. L’hôpital avait désormais la possibilité d’admettre toutes les catégories de patients, depuis les nouveau-nés jusqu’aux patients âgés. Les soins gagnent en spécificité et en efficacité. Sous la pression constante du processus de spécialisation, qui affine le champ d’intervention du praticien, la segmentation des services généraux devient de plus en plus nécessaire au sein des services internes.

Ce mouvement fait qu’à la fin des années 1940, le Collège ajoute à ses prérogatives la reconnaissance des diverses spécialités ainsi que l’émission des certificats. Est alors reconnu comme un spécialiste tout médecin dont la plus grande partie des activités professionnelles s’exerce dans le champ d’action pour lequel il demande reconnaissance. En 1950, le Collège reconnaît 23 spécialités médicales et chirurgicales : allergie, anesthésie-réanimation, cardiologie, chirurgie générale, chirurgie orthopédique, chirurgie plastique, dermatologie, gastro-entérologie, gynécologie, médecine interne, microbiologie médicale, neurochirurgie, neurologie, neuropsychiatrie, obstétrique, ophtalmologie, oto-rhino-laryngologie, pathologie clinique, pédiatrie, physiatrie, radiologie diagnostique, radiothérapie et urologie.
Le processus de spécialisation de la pratique médicale s’accélère aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, notamment en raison de l’immigration massive de grands cliniciens et chercheurs qui avaient quitté une Europe exsangue. Or, à l’instar du reste du Canada, les médecins québécois bénéficieront grandement de ces lieux de formation spécialisée.
Ses prérogatives en ce domaine sont renforcées durant les années 1950 par diverses modifications aux « règlements des spécialités », qui définissent les conditions d’admissibilité aux examens, et les exigences d’obtention du certificat de spécialités qui s’implantent en territoire québécois. C’est aussi au Collège que reviendra, à partir de 1955, la responsabilité d’approuver par le Comité d’accréditation des hôpitaux, nouvellement formé, les centres de formation pour l’obtention des certificats de spécialistes. Cinq nouvelles spécialités sont reconnues par le Collège durant les décennies 1950 et 1960 : la biochimie médicale (1956), l’hématologie (1960), l’électroencéphalographie (1964), la chirurgie cardio-vasculaire et thoracique (1967), la médecine nucléaire (1969) et la néphrologie (1969). Face aux nombreuses demandes, le Collège doit faire preuve de modération. Ainsi, il refuse de reconnaître la proctologie et propose la fusion de certaines spécialités séparées comme la neurologie qui intègre l’électroencéphalographie en 1980, et l’obstétrique-gynécologie qui réunit les deux spécialités en 1964.
Ce mouvement de spécialisation sanctionné par le Collège et par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada fait que les grands centres hospitaliers deviennent des lieux de pratique fortement spécialisés. En réponse à ce mouvement qui laisse le praticien un peu désorienté devant tant de transformations émerge la nécessité de se regrouper au sein d’associations spécialisées qui visent surtout l’organisation de discussions scientifiques.
FMSQ
L’une des premières associations spécialisées est la Société médico-psychologique de Québec, mise sur pied en 1898 et qui regroupe une vingtaine d’aliénistes québécois. C’est toutefois à partir des années 1920 que les médecins et chirurgiens amorcent un regroupement disciplinaire jusque-là inédit. Apparaissent quasi simultanément la Montreal Ophtalmological Society (1920), la Société canadienne-française d’électroradiologie médicale (1923), la Société des radiologistes canadiens (1923), la Montreal Clinical Society (1923), la Osler Reporting Society (1923), la Société de chirurgie de Montréal (1928), la Société canadienne-française d’électrologie et de radiologie médicales (1928) mise sur pied par Dr Léo Parizeau, la Société de pédiatrie de Montréal (1928), la Montreal Dermatological Society (1930), la Société de phtisiologie de Montréal (1930), la Société des anesthésistes de Montréal (1931), la Société de gastro-entérologie de Montréal (1933) et le Montreal Social Medicine Group (1936) dirigé par Dr Norman Bethune.
Les Premi Res Associations Syndicales La Fmsq
Élément important, c’est surtout du côté des spécialistes, dont les intérêts sont fort variés, qu’on s’affaire à mettre sur pied, à partir des années 1940, les premières associations « syndicales », essentiellement vouées à la défense des intérêts professionnels de leurs membres. La première du genre est l’Association des radiologistes de la Province de Québec, qui voit le jour officiellement le 31 octobre 1947 à l’instigation du Dr Jules Gosselin et qui se fixe comme but « de protéger et promouvoir les intérêts professionnels des radiologistes ». Même chose pour l’Association des anatomo-pathologistes, qui voit le jour en 1948. L’année suivante, c’est au tour des allergistes de se regrouper au sein d’une association informelle. Suivent l’Association des pédiatres (1949), la Société d’obstétrique (1949) et celle des dermatologistes et syphiligraphes (1950), l’Association des chirurgiens généraux de la province de Québec (1952). Il faut attendre le tournant des années 1960 avant que ne se produise la deuxième vague de regroupement des spécialistes.
Elle est initiée par les médecins internistes, déjà plus nombreux en regard du développement de cette spécialité, qui obtiennent leur statut de syndicat professionnel en 1959. Ils sont suivis par les oto-rhino-laryngologistes (1959), les neurologistes
(1961), les neurochirurgiens (1961), les chirurgienscardio-vasculaires et thoraciques (1962), les psychiatres (1963) et les pneumologues (1963). Bref, avec cette vague qui survient au moment où s’amorcent les premières transformations importantes du système de santé, le Québec compte déjà une douzaine de regroupements professionnels de spécialistes. Ce n’est là que le prélude d’un plus vaste mouvement qui émergera avec la création de la Fédération des médecins spécialistes du Québec en 1965.
En effet, de nouvelles associations issues de spécialités anciennes ou récentes voient le jour : l’Association des anesthésistes (1965), l’Association des physiatres (1965), l’Association professionnelle des cardiologues (1965), le Syndicat professionnel des chirurgiens généraux (1965), l’Association des gastro-entérologues (1965), l’Association des obstétriciens et gynécologues (1966), l’Association des ophtalmologistes (1966), l’Association des spécialistes en chirurgie plastique et reconstructive (1966), l’Association des urologues (1966), l’Association des allergistes (1966) et l’Association des chirurgiens orthopédistes (1966). En 1967, la Fédération regroupe déjà 21 associations.
Avec l’essor de la recherche biomédicale et la spécificité de certaines approches médicales, six nouvelles spécialités sont reconnues par le Collège : l’endocrinologie (1970), la rhumatologie (1980), la santé communautaire (1980) qui remplace l’hygiène et santé publique, la gériatrie (1985), l’oncologie médicale (1993) et la dernière en date, la médecine d’urgence (1998). Quelques dénominations sont modifiées comme c’est le cas de la radiothérapie qui devient la radio-oncologie (1985), l’allergie qui devient l’immunologie clinique et allergie (1986), la microbiologie médicale qui intègre l’infectiologie (1986), l’anesthésie-réanimation qui devient l’anesthésiologie (2001), la chirurgie cardio-vasculaire et thoracique qui devient la chirurgie cardiaque (2000).
En décembre 2015, le Collège reconnaît 60 spécialités médicales et la FMSQ en représente 59.
La séquence de l’arrivée des associations médicales au sein de la Fédération des médecins spécialistes du Québec est disponible en page 30.