Construction&Bâtiment n°5-2025. Extrait.

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CONS TRUCTION & BÂTI MENT

PROJETS ET CHANTIERS

DES PROFESSIONNELS DU BÂTIMENT

Chauffer autrement, rafraîchir durablement

Vieillir chez soi en trois projets

Le siège de Lombard Odier

Un nouveau quartier à Neuchâtel

Biopôle, construire avec le vivant

Le climat change, et avec lui, la manière de concevoir nos bâtiments. Ce que nous pensions stable – les saisons, les usages, les équilibres thermiques – devient mouvant. Alors, que devient l’architecture quand l’énergie cesse d’être une infrastructure pour devenir une condition de projet ?

L’énergie n’est plus un service qu’on raccorde, mais une matière à construire. Elle façonne les formes, guide les rythmes, redéfinit les seuils entre intérieur et extérieur. À mesure que le chaud et le froid échangent leur place, il ne s’agit plus tant de produire que de réguler, de composer avec le climat plutôt que de le dompter. Le bâtiment cesse d’être un objet isolé pour devenir un milieu vivant, traversé de flux, capable de capter, restituer, respirer.

Cette réversibilité énergétique trouve un écho dans celle, plus profonde, de l’architecture. Au Biopôle à Épalinges, la modularité des espaces et la précision constructive traduisent cette capacité à évoluer sans se renier. Au nouveau siège de Lombard Odier, les coursives continues filtrent la lumière et tempèrent l’ensoleillement : un geste à la fois architectural et climatique. Ainsi, la durabilité ne dépend plus seulement de la performance des systèmes, mais de la faculté du bâti à s’ajuster au temps, à ménager des marges de respiration et de confort. Retrouver cette dimension sensible, c’est redonner à l’architecture sa part de climat, de souffle, de présence. Peut-être que l’énergie, finalement, n’est qu’une autre manière de nommer le vivant dans l’architecture. C’est dans cette circulation – entre le chaud et le froid, le technique et le sensible – que s’invente une nouvelle justesse : celle d’une architecture réversible, ouverte, capable d’habiter le monde qui change.

Biopôle poursuit son développement

Une architecture du soin à Lausanne 80 Le nouveau siège de Lombard Odier à Genève 98 Une architecture industrielle à Lausanne

L’habitat populaire à Genève

Accompagner les jeunes à Conches

Nouvelle densité à Neuchâtel

Zoom sur les entreprises locales

ENTRE DENSITÉ ET HORIZONS

À Nyon, la dernière étape du plan de quartier de la Petite Prairie vient d’être réalisée. Un ensemble de trois immeubles mêle avec finesse densité, cour paysagère et percées vers l’horizon.

photos : Paola Corsini

Le nouvel ensemble d’habitation du chemin Falconnier vient s’inscrire dans un plan de quartier élaboré dans les années 1990. Conçues sur des bases postmodernes, les implantations reposaient sur des distances contraignantes et des règles de transparence, créant des proximités peu confortables pour du logement. Les architectes du bureau LIN.ROBBE.SEILER ont réussi à faire de cette contrainte un levier. En portant leur attention sur les orientations spatiales, les volumes et les percées visuelles sur le paysage, ils ont réalisé un cadre de vie ouvert et lumineux, en composant avec la densité.

Les façades en redents, qui s’élèvent au-dessus d’un socle, caractérisent le projet. Loin d’être un effet formel, cette configuration oriente les espaces, dévie les vues et permet de disposer les loggias de manière optimale, selon l’ensoleillement. À partir du troisième étage de l’immeuble nord, le grand

paysage, les reliefs et le lac sont visibles au-dessus du bâtiment sud, plus bas. Les légers décalages en plan et en hauteurs, ainsi que les orientations des loggias permettent par ailleurs de limiter les vis-à-vis directs, tout en offrant à chaque logement une relation intéressante au paysage, parfois modeste, mais toujours recherchée.

UN GESTE PAYSAGER

Au centre des trois volumes, une cour paysagère s’étend comme un jardin contemplatif, protégée des flux routiers et du bruit. Elle est pensée comme un espace de respiration plus que comme une place de quartier. Les circulations piétonnes couvertes qui l’encadrent, généreuses et continues, offrent des lieux abrités pour les rencontres spontanées et les jeux des enfants. L’espace central se voit parfois parcouru par quelques habitants qui le

Le vieillissement de la population constitue l’un des défis majeurs de nos sociétés actuelles. Pour les seniors autonomes, continuer à vivre chez soi est non seulement plus agréable, mais aussi essentiel pour préserver leurs indépendance, repères et liens sociaux. En Suisse romande, l’entrée en EMS ne se fait plus qu’en dernier recours, lorsqu’une assistance médicale est nécessaire. Or, à un certain stade de vie, certaines adaptations facilitent le quotidien — voire s’avèrent incontournables : l’accessibilité, l’aménagement de la cuisine et des sanitaires, l’ancrage à la vie sociale des quartiers ou des communes. Il s’agit souvent d’un moment sensible de vie où l’on quitte une maison familiale ou un grand appartement. L’architecture peut jouer un rôle social insoupçonné dans cette étape de vie particulière. De nouvelles formes d’habitats réservées aux seniors autonomes apparaissent en Suisse romande. Elles esquissent des innovations programmatiques qui allient confort individuel et vie communautaire, où vieillir rime avec dignité.

Marielle Savoyat

VIEILLIR

CHEZ SOI

UNE GRANDE MAISON PARTAGÉE 1

La résidence Christinger naît d’un geste de transmission. Une villa des années 1940 et son jardin, légués par une généreuse donatrice à la commune de Pregny-Chambésy (Genève), ont laissé la place à de nouveaux logements collectifs destinés aux seniors, ainsi qu’à un petit parc ouvert au public : un habitat intermédiaire où l’autonomie et le confort se conjuguent. Le langage institutionnel est écarté pour préserver un environnement domestique.

Quinze appartements répartis dans trois corps de bâtiments autour d’un patio central se voient agrémentés de locaux communs qui s’installent dans les interstices : entrée principale, cuisine commune, bibliothèque-salon, salle de sport, chambre d’amis, studio offrant un espace protégé pour des services (coiffure, assistante sociale…). C’est l’esprit d’une grande colocation qui s’en dégage, où l’on partage certains moments tout en préservant son indépendance. Le vide central constitue autant un lieu de passage qu’un espace de rencontre privilégié. Il brouille volontairement les lignes entre espace commun et seuil domestique, en reprenant les codes et la matérialité d’aménagements extérieurs, mais en restant un volume intérieur, baignant dans une généreuse lumière naturelle zénithale. Ce patio non chauffé, mais tempéré, joue un rôle

de régulateur thermique et hygrométrique, et se distingue du langage architectural en bois des façades et des logements, par son expression minérale (murs en briques de terre crue, sols recouverts de terrazzo, luminaires en cuivre brut). Une atmosphère douce et ouverte s’en dégage.

Les logements construits en bois suisse — structure poteauxpoutres apparente en mélèze, parquets et fenêtres en chêne, sous-face des dalles à caissons en épicéa, bardage des façades en sapin — confèrent chaleur et caractère à l’ensemble. Une attention particulière a été portée aux filières locales, aux matériaux biosourcés, aux énergies renouvelables. Le projet va plus loin en réemployant des matériaux issus de la villa d’origine réunis dans un appartement témoin — en mémoire du lieu — ainsi que des éléments de l’ancien jardin dans les aménagements extérieurs. À l’extérieur, un ruisseau déterré crée une limite naturelle entre le bâti et le parc, et apporte de la fraîcheur et un paysage sonore apaisant.

La résidence mêle avec subtilité histoire et contemporanéité, nature et bâti, partage et intimité. Elle offre un cadre de vie qui accompagne avec dignité et douceur un moment de vie sensible où l’on quitte souvent une maison ou un grand appartement, tout en prolongeant son autonomie.

ACAU ARCHITECTURE SA

Basé à Genève, le bureau a démarré ses activités il y a plus de soixante ans dans le cadre d’une coopérative d’architectes. Depuis une quinzaine d’années, il fonctionne sur la base d’une autre structure, tout en s’appuyant sur cette large expérience, allant de l’échelle urbanistique à l’objet réalisé. Son approche holistique du projet allie enjeux environnementaux, dimension sociale, esthétique et économie des moyens, avec une attention particulière portée au réemploi. Chaque projet naît d’une idée forte issue d’un dialogue itératif avec les maîtres d’ouvrage.

Pregny-Chambesy logements - Maison des séniors

La force de l’adaptabilité

Conçu pour les sciences de la vie, le nouveau complexe de Biopôle associe haute technicité, souplesse constructive et ambition environnementale.

Une infrastructure évolutive, pensée pour durer et s’adapter à la diversité des usages.

texte : Salomé Houllier Binder
photos : Julie Masson

Dernière extension en date du parc scientifique Biopôle à Épalinges, les trois bâtiments Arginine, Valine et Trypto illustrent une stratégie de développement raisonnée portée par le fonds d’investissement immobilier suisse Edmond de Rothschild Real Estate SICAV, propriétaire de l’ensemble immobilier. Imaginé par le consortium d’architectes A+A (Arcadie + Architram) et réalisé en entreprise totale par Losinger Marazzi, le projet est issu d’un appel d’offres en conception-construction lancé fin 2020.

Le programme visait une large capacité d’accueil pour des entreprises actives dans les sciences de la vie, avec un objectif de flexibilité fonctionnelle, technique et spatiale. Unisanté, principal locataire, occupe près de deux tiers des surfaces pour y regrouper ses activités administratives, clinique et de recherche. Ce regroupement a fortement influencé la conception, dans un contexte exigeant en matière de délais, de qualité et de résilience structurelle.

HABITER LA CONTRAINTE

Implantés sur un terrain avec plus de 18 m de dénivelé, Arginine, Valine et Trypto composent avec la topographie et les contraintes d’insertion. Leurs volumes angulaires s’ajustent aux limites de

la parcelle, dans la continuité formelle des autres bâtiments du site. Reliés par un socle semi-enterré qui abrite parkings et locaux techniques, les trois corps de bâtiment laissent place un patio végétalisé et à une série d’escaliers extérieurs en gradins. L’ensemble conserve aussi une voie de circulation piétonne, garantissant la perméabilité du site. L’effet d’encaissement à l’arrière est compensé par des façades largement ouvertes et des jeux d’angles qui favorisent l’entrée de lumière. Les enjeux techniques du chantier ont été nombreux, en particulier en raison de la proximité immédiate de la ligne de métro et d’une ligne électrique CFF, parfois à moins de deux mètres. Une planification rigoureuse a permis de sécuriser l’ensemble, mais aussi d’intégrer plusieurs demandes relatives aux besoins spécifiques d’Unisanté. Un auditoire en structure bois d’environ 160 places et un restaurant d’entreprise ont ainsi été ajoutés alors que les radiers étaient déjà en cours. Un large escalier, conçu sur mesure, relie les trois premiers niveaux et crée une zone de rencontre propice aux échanges entre collaborateurs et visiteurs. Des adaptations qui n’ont pas affecté le planning global, grâce à la capacité de l’équipe à absorber ces modifications, témoignant d’un pilotage souple et réactif.

L’exactitude du geste

Sur les rives du Léman, le nouveau siège de Lombard Odier réunit plus de 2000 collaborateurs sous un même toit. Projet emblématique par son ampleur et son sens du détail, il traduit une ambition architecturale et constructive où paysage, rigueur et savoir-faire s’entrelacent.

texte : Salomé Houllier Binder
photos : Maris Mezulis

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