Construction & Bâtiment n°2/2025. Extrait

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CONS TRUCTION & BÂTI MENT

PROJETS ET CHANTIERS

DES PROFESSIONNELS DU BÂTIMENT

Architecture et responsabilité pour le Campus

Pictet de Rochemont

Béton, matière à repenser

Les ouvrages d’art à travers trois passerelles piétonnes

Le luxe en altitude

Transformer et repenser les complexes scolaires

À chaque époque ses défis, et à chaque défi sa part d’incertitude. Celui auquel fait face le monde de la construction aujourd’hui est immense : il ne s’agit plus seulement de bâtir mieux, mais de bâtir moins, ou, du moins, plus justement. Il faut désormais démontrer la légitimité de chaque projet, penser son empreinte et interroger sa pertinence au regard des limites planétaires.

Cette approche n’interdit pas de construire. Elle invite à le faire autrement : en réduisant les volumes, en concentrant les interventions, en laissant de la place – à la nature, à l’air, à la lumière. Certaines pratiques explorées dans ce numéro, comme la renaturation de friches, la requalification d’espaces urbains ou l’insertion parcimonieuse de bâtiments dans des tissus déjà denses, vont dans ce sens. Même les grands projets, à l’instar du Campus Pictet de Rochemont, tentent aujourd’hui de concilier ambition programmatique et maîtrise de l’empreinte environnementale, en intégrant des exigences fortes en matière d’énergie, de biodiversité ou de gestion de l’eau.

Il ne s’agit pas de sanctuariser une solution ni de bannir tel ou tel matériau. Le béton, par exemple, a encore un rôle à jouer – à condition d’en optimiser l’usage, de repenser sa formulation, de favoriser son réemploi. L’enjeu n’est pas le rejet, mais la hiérarchisation. Préserver d’abord, construire si nécessaire : voilà qui pourrait devenir un nouvel adage pour nos métiers. Et, dans tous les cas, concevoir avec modestie, selon une logique d’assemblage, de cohabitation, de soin. Construire durablement, ce n’est pas faire preuve d’héroïsme ; c’est simplement apprendre à s’inscrire dans un monde fini et à y prendre notre juste place.

La vie à l’école

52 Fenêtres et vitrages, les nouveautés 66 Histoire des résines époxy, deuxième volet

72 Vivre-ensemble à l’Atria 80 Chantier de grande ampleur à Genève

100 Un nouveau bâtiment tertiaire à Renens

104 Hôtel de luxe à Crans-Montana

114 Des villas intégrées à Épalinges

118 Sobriété et efficacité constructive à Morges

124 Une réinterprétation respectueuse à Lausanne

130 Créer du lien à Plan-les-Ouates

Zoom sur les entreprises locales

Expos, salons et congrès

LA VIE À L’ÉCOLE

C’est à Ardon, ville enclavée dans un paysage de vallée sacrée, que vient se lover le centre scolaire de Cordé dont la première partie, œuvre de l’architecte Tronchet, a été inaugurée en 1979. Aujourd’hui transformé et étendu, il accueille quotidiennement plus de 300 enfants de 0 à 12 ans.

UNE NOUVELLE PLACE DE VILLAGE

Remporté en 2016 par les bureaux Berset Bruggisser & AndreySchenker-Sottaz, le concours prévoit, entre autres, l’agrandissement de l’école existante, la construction d’une structure d’accueil parascolaire, ainsi que la démolition-reconstruction de la salle de sport. La nouvelle salle doit répondre aux normes sismiques actuelles et doubler les installations sportives.

Les architectes, dont « la pratique vise à proposer une architecture spécifique au lieu », visitent le site et le village. Un constat s’impose à eux : comme de nombreuses villes suisses traversées par la route, Ardon a perdu sa place centrale, lieu de vie et de rencontres, au profit de places de stationnement. Au moment du projet, les espaces dédiés aux piétons se résument aux trottoirs arides et autres sombres passages souterrains. L’espace public est régi par l’automobile.

Le concours est donc l’occasion de repenser le lieu pour ses habitants, ceux qui ne font pas qu’y passer. Au-delà des élèves qui fréquentent le centre scolaire, il s’agit d’y attirer leurs parents, mais aussi les autres usagers locaux, tels que les associations. La situation du bâtiment dans le village rend la tâche difficile : dans un tissu urbain clairsemé de zones villas, le site constitue un îlot peu attractif. À l’angle sud-ouest, il forme même un mur qu’il faut contourner pour continuer. En déroulant le fil de ce constat, il apparaît soudain évident de déplacer la bibliothèque communale afin de compléter le futur pôle éducatif. C’est la proposition que les architectes font au jury, convaincus de sa pertinence.

Le rendu de concours présente donc une place publique étreinte par trois bâtiments, le tout dans un parc verdoyant. Les architectes multiplient les accès et travaillent méticuleusement la topographie du site pour le rendre perméable de toutes parts.

À la croisée de l’architecture et de l’ingénierie, les passerelles piétonnes et cyclables allient performances techniques, esthétique, légèreté, résistance et émotion. Elles dépassent bien souvent leur simple fonction de traversée. Qu’elles enjambent une rivière, une route, un quartier, des voies ferroviaires ou qu’elles relient deux bâtiments, elles doivent répondre aujourd’hui à des enjeux environnementaux, de mobilité et de paysage. Les solutions sont de plus en plus innovantes, portées par des avancées techniques considérables liées aux matériaux, à la conception paramétrique, ainsi qu’aux modes de transport et de construction. Dans un contexte où les villes et les communes cherchent à favoriser la mobilité douce, ces petits ouvrages d’art jouent un rôle clé dans les parcours piétonniers et cyclables. Bien souvent, une réflexion sur l’expérience des usagers joue sur la corde émotionnelle, dynamisant le lien entre l’humain et le contexte qu’il traverse.

Marielle Savoyat

PASSERELLES : PLUS QU’UN LIEN

UN RUBAN SUSPENDU 1

À la sortie de l’autoroute à Crissier, dans l’Ouest lausannois, une nouvelle passerelle dédiée à la mobilité douce enjambe désormais avec élégance la très empruntée route de Crissier. Conçu par les bureaux T ingénierie et Pierre-Alain Dupraz, et porté par la Commune de Crissier, connecte les quartiers OASSIS et Esparcette au futur réseau BHNS (bus à haut niveau de service), tout en se reliant à un futur parcours de mobilité douce au nord.

Sans appui intermédiaire, la traversée prend la forme d’une courbe fluide et élancée, tel un ruban suspendu. Épurée, elle apporte simplicité et harmonie dans un environnement périurbain complexe où coexistent vitesse de circulation (60 km/h) et bruit. Deux cages d’ascenseurs monolithiques en béton marquent de part et d’autre de la route les accès à la passerelle. Totems fonctionnant comme des repères visibles de loin, ils marquent l’entrée dans la ville à la manière d’une porte urbaine. Autour de ces blocs s’enroulent des escaliers à deux volées offrant des accès directs aux piétons. Au nord, la passerelle se prolonge par une rampe.

Statiquement, la charge est principalement supportée par l’appui nord, situé du côté de l’hôtel, pour limiter le poids sur le parking souterrain existant au sud, côté OASSIS. Telle une épine dorsale inférieure, un caisson d’acier de petite section à hauteur

statique variable et d’une portée d’une quarantaine de mètres s’affine vers le sud. Il porte un tablier de trois à quatre mètres de large ménageant un passage confortable aux piétons et cyclistes. Le revêtement en béton fibré ultraperformant (CFUP) assure des performances mécaniques adaptées et permet d’optimiser la matière tout en étouffant les sons, contribuant ainsi au confort acoustique des usagers. Un agrégat antidérapant assure une finition sécurisée de la surface. La préfabrication en deux tronçons et la pose sur place, réalisée en une nuit, ont permis de limiter l’impact sur le trafic.

Les garde-corps fins et d’une hauteur de 1,30 m assurent une transparence qui permet de rester en lien visuel avec le contexte environnant. Ils intègrent un éclairage LED discret dans les mains courantes qui matérialise une bordure lumineuse sans éblouir les automobilistes. La peinture de teinte bronze qui recouvre la passerelle entre en résonance avec le quartier OASSIS, prolongeant la continuité du paysage urbain en une intégration harmonieuse.

Au-delà d’une simple traversée physique, cet ouvrage incarne la juste et poétique conjugaison entre ingénierie et architecture, qui crée des espaces empreints d’émotion, facilitant les divers flux de déplacements tout en enrichissant l’expérience urbaine.

© Corinne
Cuendet
© Corinne Cuendet
© Corinne
Cuendet
© Corinne Cuendet
© Corinne Cuendet
© Pierre-Alain Dupraz architectes

T INGÉNIERIE

Le bureau T ingénierie est installé à Genève depuis plus d’un siècle (1920) ! Il perpétue la continuité de plusieurs bureaux d’ingénieurs civils successifs. Engagé dans de nombreux concours, l’atelier est reconnu pour son expertise créative dans le domaine des ouvrages d’art, alliant innovation technique et respect de l’environnement.

PIERRE-ALAIN DUPRAZ ARCHITECTES

Fondé en 2002 à Genève par Pierre-Alain Dupraz, le bureau allie l’expertise en ouvrages d’art (ponts et passerelles), la sensibilité architecturale et une vision urbaine. Il s’est distingué avec la passerelle de la Paix à Sécheron et le projet urbain du PAV Étoile à la Praille. Aujourd’hui il compte également une succursale à Lausanne.

Densification durable au cœur de la ville

À la croisée des enjeux urbains et environnementaux, le nouveau Campus Pictet de Rochemont redéfinit les frontières entre architecture, biodiversité et qualité de vie. Matériaux recyclés, solutions énergétiques avancées et espaces de travail repensés, le projet incarne une nouvelle approche de la ville durable.

texte : Salomé Houllier Binder
© Hélène Binet, pour le groupe Pictet

Inscrit dans le projet urbain Praille Acacias Vernets (PAV) à Carouge, le Campus Pictet de Rochemont s’impose comme une figure emblématique de la transformation du territoire genevois. Conçu par le bureau dl-a designlab-architecture et réalisé par HRS en entreprise totale pour le terrassement, gros oeuvre et façade, et en entreprise générale pour les techniques et le second oeuvre, ce projet traduit l’ambition de Pictet de conjuguer excellence architecturale, durabilité et intégration urbaine. Sa forme urbaine en îlot et sa tour de 23 étages associent le nouveau bâtiment du groupe Pictet, 96 logements locatifs allant du 3 au 6 pièces ainsi que des espaces commerciaux en rez-de-chaussée. Cette configuration participe à la densification raisonnée du quartier tout en préservant des respirations urbaines.

MATÉRIALITÉ ET CONCEPTION DURABLE

Le projet vise les certifications SNBS, LEED et WELL Platinum, témoignant d’un réel engagement en faveur de la réduction de son empreinte écologique. L’usage de matériaux recyclés, notamment 58 % de béton (hors éléments porteurs) et une façade en aluminium anodisé recyclé, constitue un choix structurant. Cette approche est complétée par un recours exclusif aux énergies renouvelables : 99 sondes géothermiques de 350 mètres de profondeur, récupération de chaleur sur le collecteur d’eaux usées, pompes à chaleur air-eau et panneaux photovoltaïques dessinent un modèle énergétique décarboné. Autre innovation durable : une distillerie d’urine

sera installée dans les sous-sols du bâtiment afin de produire de l’engrais destiné aux espaces végétalisés.

L’attention portée à l’économie circulaire se prolonge sur le chantier lui-même, avec une gestion optimisée des terres évacuées principalement par camions électriques et trains — et une logistique centralisée permettant d’optimiser la réception et la distribution des matériaux sur un site contraint par le manque d’espace. Le Campus Pictet de Rochemont constitue aussi le premier chantier du canton de Genève construit sans échafaudages, grâce à l’utilisation du système Windshield, un procédé de protection collective permettant de monter la façade en toute sécurité. HRS, responsable de la réalisation, développe ainsi une expertise de pointe dans la construction de tours.

Enfin, le projet prend également en compte la question de la mobilité urbaine en proposant 900 places de stationnement pour vélos et en limitant l’usage de la voiture individuelle grâce à une connexion optimisée aux transports publics. Actuellement en chantier, il sera livré en cinq grandes étapes, de septembre 2025 à mars 2026.

BIEN-ÊTRE ET ESPACES DE TRAVAIL REPENSÉS

Loin des stéréotypes du siège bancaire hermétique, le Campus Pictet de Rochemont mise sur une conception qui privilégie la lumière naturelle, les espaces ouverts et la qualité de l’air pour garantir un cadre de travail axé sur le bien-être des usagers.

© Helène Binet, pour le groupe
Pictet

QUAND L’ARCHITECTURE RACONTE LA MONTAGNE

Dans un cadre naturel alpin d’exception, l’agence AW² a érigé le Six Senses Crans-Montana. Un hôtel de luxe, conçu le plus durablement possible, qui s’intègre harmonieusement dans son environnement tout en offrant une expérience immersive et sensorielle.

texte : Estelle Daval

Situé à proximité immédiate des pistes de ski, l’établissement 5 étoiles surplombe la vallée et offre une vue imprenable sur les Alpes valaisannes. Il comporte 79 suites et des résidences réparties en deux bâtiments conçus comme des chalets dotés de balcons filants.

Le premier comprend 46 suites, deux piscines, un spa, un solarium, deux restaurants et un bar lounge, tandis que le second abrite 33 suites, un bar en rooftop et un club pour enfants. Initialement conçu par Jean-Pierre Emery Architectes, le projet a été repensé par AW², dirigé par Reda Amalou et Stéphanie Ledoux, qui y a introduit une forte dimension narrative. Le récit architectural du Six Senses Crans-Montana se développe comme un périple allégorique, un parcours où la lumière guide le visiteur des entrailles de la montagne jusqu’à la cime des arbres. L’immersion est enrichie par la sélection des matériaux. Le quartzite, le mélèze, le chêne et l’ardoise font écho aux habitations traditionnelles de la région.

CULTIVER L’ESPRIT ALPIN

L’arrivée se fait par un tunnel qui conduit vers un dépose-minute circulaire revêtu de pierre et éclairé par des inserts lumineux verticaux. L’endroit évoque une grotte de montagne, une métaphore du voyage qui s’amorce. Le plafond en bois, dont les lignes évoquent celles des surfaces rocheuses, renforce cette

impression. La lumière traverse ensuite de hauts panneaux ajourés, semblables aux structures naturelles des branches et des aiguilles de pin, et guide les visiteurs vers l’espace d’accueil. Le design intérieur reflète une esthétique de luxe discret, avec une attention particulière portée à l’utilisation de matériaux locaux. Avec leurs grandes baies vitrées et des balcons ouverts sur la vallée, les chambres offrent aux clients une connexion intime avec la nature. Chaque détail, de l’espace au mobilier, de l’éclairage aux accessoires, est conçu pour amplifier la connexion entre l’intérieur et l’extérieur, et offrir une expérience sensorielle unique.

Dans la piscine intérieure, les murs et les sols en pierre contrastent avec le sculptural plafond composé de 14 000 tasseaux de bois suspendus qui se reflètent à la surface de l’eau. S’étendant sur plus de 2 000 m2, le spa aux murs incurvés semble avoir été creusé directement dans la paroi de la montagne. Les salles de soins imaginées comme des cabanes sont organisées autour d’un jardin alpin créé au cœur du bâtiment. Composé d’arbres et de plantes endémiques, ce dernier est encadré d’une superstructure en acier qui valorise la façade intérieure et apporte une meilleure luminosité dans les pièces adjacentes. Sa passerelle en bois suspendue, inspirée des « bisses » locaux, permet de passer d’un bâtiment à l’autre.

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Entre les deux chalets, une vaste terrasse en pierre de Vals ouvrant sur la forêt s’articule autour de la piscine extérieure. Elle propose divers espaces de détente, tels qu’un coin brasero et un écran de cinéma extérieur. Faisant office de solarium, la plateforme surplombant les chambres de l’aile ouest offre une perspective saisissante, permettant d’apprécier pleinement l’environnement.

PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE ET OPTIMISATION DES RESSOURCES

Grâce à une gestion proactive des flux énergétiques et à un système avancé de surveillance, ce complexe illustre une approche exemplaire de la construction durable, alliant performance, confort et respect de l’environnement. Deux

chaudières à pellets de 800 kW fournissent une source d’énergie renouvelable complétée par une chaudière à gaz de 1000 kW en secours. Le stockage de l’énergie est géré par quatre accumulateurs de 8000 litres, assurant une utilisation efficace des ressources. Les pellets provenant de sources locales réduisent les émissions de CO₂ et l’impact du transport. Des systèmes avancés de gestion de l’eau et de l’électricité renforcent encore la durabilité.

En matière de confort, des systèmes de chauffage par le sol, de ventilation double flux et d’outils de refroidissement intelligents, comme le free cooling, garantissent un environnement agréable, tout en minimisant l’impact énergétique. Des mesures de gestion des ressources ont été parallèlement mises en œuvre pour suivre la consommation et réguler les équipements en fonction des besoins réels.

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