RUBIX, symbole d’une nouvelle densité industrielle
Energie solaire : entre ambitions et obstacles
Un éco-chai entre vignes et volumes
Longtemps perçu comme une marge à aménager ou un arrièreplan à composer, le paysage revient au centre du projet. Non plus comme décor, mais comme présence : un milieu vivant, un territoire à activer. Ce renversement engage une autre posture. Il ne s’agit plus de planter pour verdir, mais de réintroduire du vivant dans les tissus urbains. Le sol, l’eau, l’air, la lumière (re)deviennent des conditions premières. Revitaliser les sols, laisser l’eau s’infiltrer, offrir l’ombre par la canopée et la fraîcheur par la diversité végétale.
Composer avec ces éléments suppose de ralentir, d’observer, d’ajuster. De construire, non pour affirmer une présence, mais pour partager un lieu. D’engager une attention particulière au temps, car le paysage ne se livre pas tout de suite. Il s’installe lentement, s’adapte, évolue. Il compose des milieux ouverts, qui ne s’achèvent pas à la réception du chantier, mais se construisent dans la durée. Il se dessine alors des formes poreuses, des seuils habités, des situations où les milieux — bâtis et vivants — entrent en relation. Ce travail demande une lecture fine du territoire.
Analyser les flux, interpréter les contraintes pour en faire des ressources : un sol d’excavation devient un substrat, une toiture un relais écologique, l’eau de pluie une alliée.
Les projets réunis dans ce numéro témoignent de cette attention. Qu’ils explorent la manière d’habiter un sous-bois, de ménager un vide urbain ou de penser la ville comme un écosystème, ils rappellent que le paysage n’est pas un supplément, mais une condition : un terrain d’ancrage, un vecteur de relations, une ressource sensible. Il révèle ce que la ville oublie parfois : qu’on ne peut rien construire de durable sans prendre soin de ce qui vit.
Salomé Houllier Binder
CONSTRUCTION & BÂTIMENT 03/25
78 Faire lieu avec un nouvel éco-chai à Rolle
Le nouveau visage de la Coop de Savigny
Repenser l’architecture industrielle à Satigny
Régénération urbaine à Gland
Une approche par le vide à Surville, Genève
De nouveaux logements à Chêne-Bougeries 120 Densification maîtrisée à Orbe
La ressource mise en valeur à Romont
dans
Les nouveaux enjeux de l’architecture du
Continuité et vivre-ensemble
Rénovation patrimoniale et énergétique à Nyon
Zoom sur les entreprises locales
UN MANIFESTE SILENCIEUX
Né d’une grande attention à son site, ce petit immeuble genevois joue avec les formes, les matières et les seuils pour tisser un lien étroit entre habitat et paysage. Une œuvre dense et mesurée, pensée pour s’effacer autant que pour habiter.
À la lisière d’un sous-bois urbain à Carouge, Oval Housing s’insère avec délicatesse dans le paysage. Conçu par FdMP architectes pour le compte du promoteur genevois GRAGO, ce petit immeuble résidentiel prend place dans un quartier calme et densément arboré. D’un gabarit modeste — deux niveaux pour huit logements en PPE — le bâtiment se distingue par une élégance discrète mais affirmée. À travers une silhouette sombre et silencieuse et une implantation fine, le projet affirme sa singularité sans s’imposer. Il arbore une beauté subtile, issue du choix des matières, de la rigueur du dessin et du soin porté aux détails. Labellisé THPE, le projet conjugue performance énergétique, justesse constructive et poésie contextuelle, dans une architecture à la fois mesurée et intensément située.
ENTRE EFFACEMENT ET PRÉSENCE
Implanté sur le plateau de Pinchat, au contact de trois tissus urbains contrastés — la vieille ville de Carouge, une zone de développement et un quartier de villas — Oval Housing se positionne à la croisée des mondes. Son architecture répond à cette complexité par une forme simple mais forte : un ovale étiré qui évoque la carapace d’un scarabée. Cette forme peu commune étonne, mais s’insère pourtant de manière très discrète dans le territoire.
La parcelle, exceptionnellement boisée pour un contexte urbain, impose au projet une posture d’écoute. Le bâtiment s’implante de manière à préserver les franges végétales comme autant de lisières protectrices. La forme ovale permet de réduire l’empreinte sur le terrain, l’absence d’angles minimise la perception du volume et les teintes sombres lui permettent de se fondre dans la canopée, comme une ombre parmi les arbres.
En Suisse romande, les gares se réinventent à l’aune des mutations urbaines, des exigences de mobilité durable et des contraintes techniques ferroviaires. Plus que de simples infrastructures de transports, elles deviennent des catalyseurs de transformation urbaine, articulant flux régionaux et dynamiques locales. À Renens, Fribourg ou Montreux, les récents projets de réaménagement des gares interrogent les rapports entre ville, espace public, architecture, ingénierie, patrimoine, mobilité et densification. Ils révèlent la complexité d’intervenir sur des nœuds stratégiques en fonctionnement, tout en anticipant les besoins futurs en matière d’accessibilité, de multimodalité et d’expérience voyageurs. La fluidité des parcours, ainsi que la fonctionnalité et la lisibilité des espaces, pour le confort des usagers, y apparaissent cruciales. Au fond, l’humain est remis au centre. Les gares, ce ne sont plus des espaces qu’on traverse uniquement, mais ce sont des lieux de rencontre, qui requièrent un soin particulier aux espaces publics, fortement liés à la ville et au territoire.
Marielle Savoyat
GARES À RÉINVENTER
ENTRE HISTOIRE ET DÉVELOPPEMENTS
Dans le cadre de la requalification globale de la gare de Fribourg, les nouvelles marquises conçues par Boegli Kramp Architekten s’inscrivent dans un vaste processus de transformation des infrastructures ferroviaires et urbaines. Le projet requalifiant les quais, piloté par CFF Infrastructures, avec la collaboration des ingénieurs civils Gruner et de l’entreprise générale Sottas, repose sur une articulation fine entre lecture sensible du contexte patrimonial, technicité et économie de moyens.
Les anciennes marquises, obsolètes en termes de confort et de sécurité en raison des rehaussements successifs des quais, ont été entièrement remplacées, à l’exception de celle du quai 1, conservée partiellement pour des raisons patrimoniales. La recherche de simplicité maximale dans un contexte ferroviaire complexe sous-tend la nouvelle forme. Cette dernière s’adapte légèrement selon la situation sous le couvert : un quai, une rampe ou un escalier. Des éléments structurels métalliques élancés, en forme de T, portent en leur centre une couverture articulée, rythmée par des parties pleines et une bande transparente en polycarbonate de chaque côté, laissant passer la lumière naturelle. Les éléments techniques sont regroupés dans une bande dédiée, libérant la sous-face pour une lisibilité accrue de la
structure. L’ensemble se distingue par sa cohérence constructive, sa colorimétrie mesurée et son aptitude à accompagner les flux tout en apaisant visuellement l’environnement ferroviaire.
Un deuxième passage inférieur traverse désormais la gare de part en part, créant une liaison urbaine nord-sud. Les travaux du passage commercial existant débuteront à l’automne 2025. Parallèlement, les arcades historiques côté Berne seront rénovées, tandis qu’à l’est, un projet de vélostation verra le jour. La transformation du bâtiment central, confiée à Boegli Kramp, comprendra la mise en valeur du hall principal, l’intégration de logements, de bureaux, de commerces et d’espaces techniques. La place de la Gare (projet en phase de développement et piloté par la Ville) sera elle aussi réaménagée. L’ensemble de ces interventions mêle infrastructures techniques, mise en valeur patrimoniale et articulation urbaine.
Les nouvelles marquises, qui posent un premier jalon d’un long processus plus global, incarnent une forme ingénieuse, pouvant se décliner et s’adapter à différentes situations, qui tend vers une simplicité remarquable. Ces infrastructures ouvrent un dialogue harmonieux entre histoire et futurs développements, entre architecture et mobilité, entre esthétique et fonctionnalité.
Fondé en 2001 à Fribourg, le bureau Boegli Kramp Architekten cultive une approche qualitative, durable et ouverte à la diversité des programmes, de l’infrastructure à l’habitat. Il se distingue par l’attention qu’il porte au contexte dans lequel s’insère un projet, considérant l’architecture comme un acte culturel et social, l’architecte jouant un rôle de médiation fine entre les acteurs du projet, les usages et le site. Adrian Kramp et Mattias Boegli s’engagent dès la création de leur agence au sein de jurys de concours, de l’enseignement à la HEIA-FR et de commissions d’architecture et d’urbanisme.
PRÉSERVER ET MODERNISER
Construit dans les années 1970, sur la commune de Nyon, le Centre sportif du Rocher fait actuellement l’objet d’une rénovation à double enjeu : respect du patrimoine architectural préexistant et adaptation aux besoins énergétiques contemporains.
texte : Aurore de Granier
C’est un bâtiment dont l’architecture et l’esthétique sont les témoins d’un temps révolu. Sur la commune de Nyon, le Centre sportif du Rocher porte en lui les codes inhérents aux années 1970. « Durant cette période, certains architectes mettaient l’accent sur la technique, la valorisant par le choix des couleurs et une affirmation de la polychromie.
Ce centre est un très bel exemple de cette architecture sur le territoire suisse, mais, plus de cinquante ans après sa construction, il devait être rénové », explique Dominik Buxtorf du bureau Architram, cabinet d’architecture qui a remporté l’appel d’offres de la commune de Nyon. Dès le départ, l’enjeu était double. D’un côté, il est nécessaire de revoir dans sa totalité la performance énergétique du site. De l’autre, il est important de préserver la structure de ce bâtiment témoin de son époque. Les architectes d’Architram parviennent à allier les deux éléments dans leur projet, dont les travaux sont dirigés par Antoine Poisbeau et secondés par Mathilde Sturel pour le bureau de direction des travaux FL Partenaires.
RÉNOVER SANS DÉNATURER
Le Centre sportif ne correspondait plus aux exigences contemporaines en termes d’énergie. Si sa structure et sa façade se caractérisaient par leur légèreté, celle-ci était également synonyme d’une importante déperdition énergétique à laquelle la commune de Nyon souhaitait remédier. La structure est au cœur de cette problématique. Entièrement réalisée en acier et en verre, son efficacité énergétique était moindre. « Le bâtiment se distingue par son esthétique très légère, rendue possible par l’utilisation massive du verre. Mais, en été cela provoquait une surchauffe et en hiver une importante perte de chaleur. Pour remédier à cela, nous avons opté pour des triples vitrages ainsi qu’une protection solaire mobile, offrant une bien meilleure isolation thermique de l’enveloppe. Du point de vue de l’esthétique des façades, les lignes auparavant horizontales laissent place à la verticalité, rendant notamment possible l’installation de stores toiles résistants aux forts vents », explique l’architecte. Une première étape de gros œuvre est accompagnée d’un gros chantier intérieur concernant
Faire vin, faire lieu
Schenk Suisse SA inaugure un nouveau centre de production. Manifeste territorial, architectural et durable, cet éco-chai adopte une prise de position assumée mais discrète, pour une viticulture contemporaine ancrée dans la durée.
texte : Salomé Houllier Binder
photos : Olivier Gisiger / Swissimages
À Rolle, à quelques pas du site qu’elle occupe depuis 135 ans, la société productrice et distributrice de vin Schenk Suisse SA transforme son outil de travail. L’accumulation de constructions disparates réalisées au fil du temps laisse désormais place à un ensemble cohérent regroupant vinification, mise en bouteille et administration. Ce geste n’est pas seulement fonctionnel. Il traduit aussi une posture nouvelle pour la société : affirmer son identité, renforcer son ancrage territorial et réconcilier production et visibilité.
Le choix de l’architecte Jean-Frédéric Luscher ne doit rien au hasard. Connu pour sa capacité à mettre en œuvre des matériaux bruts avec finesse, il conçoit ici une architecture à la fois discrète et structurante. Un bâtiment manifeste, qui donne forme à une ambition : faire de l’outil de production un lieu d’expression, capable de porter un récit collectif.
FAIRE LIEU POUR FAIRE SENS
Plutôt que de dissimuler ses outils de production, Schenk Suisse SA choisit de les montrer, sans ostentation, dans une logique de réhabilitation symbolique. Le programme se décline en cinq volumes, chacun correspondant à une étape du processus : réception des vendanges et cuvée des rouges, laboratoire et administration, cuvée des blancs, mise en bouteille et expédition. Alignés perpendiculairement au lac, ces volumes épousent la pente et créent des interstices qui cadrent des vues
ciblées sur le vignoble, réaffirmant le rôle nourricier, culturel et économique du sol.
Cette mise en scène du territoire répond à la logique interne du bâtiment : le vin suit un parcours gravitaire, du haut vers le bas, du raisin à la bouteille, sans rupture mécanique. Les différents métiers cohabitent dans des espaces fonctionnels, fluides, traversés de connexions visuelles et de vues extérieures. Le bâtiment incarne un changement d’attitude : revaloriser le geste viticole et son savoir-faire, renforcer les interactions humaines, s’ancrer dans le territoire. L’éco-chai Schenk Family devient ainsi un lieu de représentation, discret mais assumé, où l’image s’aligne avec la réalité des pratiques.
UNE MATIÈRE ENGAGÉE
Le bâtiment devient un manifeste de la matière : une culture constructive, une écologie de la transformation minimale, un rapport renouvelé au vivant. Matériaux et principes constructifs affirment une prise de position claire, loin des standards du bâtiment industriel. La charpente, en bois massif d’épicéa vaudois, atteint des portées de près de 25 mètres, sans traitement chimique. Une performance, rendue possible par l’aboutage de grumes jumelées, qui rivalise avec les standards de l’acier.
La façade est quant à elle entièrement revêtue de panneaux de liège expansé, encore rare à cette échelle. Fixé en deux couches (l’une horizontale, plus légère ; l’autre verticale, plus dense),
le liège forme une peau isolante, stable et résistante, conçue pour vieillir avec élégance. Chaque pan de façade est serti d’un cadre métallique qui protège les arêtes du liège et produit une esthétique d’une grande finesse grâce à son détail en creux.
À l’intérieur, les murs en terre crue proviennent directement du sol excavé sur le site. Ils régulent l’humidité, absorbent les bruits et offrent un confort d’usage sans recours aux solvants. Le sol, lui, est composé d’une simple chape-ciment surmontée d’un lino naturel parsemé de coquilles de noix.
Sur le plan énergétique, la démarche est tout aussi aboutie : une concession de captage d’eau lacustre, associée à des pompes à chaleur, permet la production de l’eau chaude sanitaire et la thermorégulation chaud et froid, incluant la récupération de chaleur sur le process, dont celle issue des fermentations. Grâce à cela, le projet peut renoncer à toute énergie fossile. Une installation complémentaire de plus de 1400 panneaux solaires photovoltaïques couvrira 60 % des besoins en électricité.
Ainsi, tout dans le projet vise à conjuguer performance et sobriété, mais aussi à lancer un mouvement de transition durable plus large.
ENTRE VIGNE ET VILLE
Pensée comme une entité urbaine, la Cité du Vin articule étroitement architecture et stratégie foncière. En déplaçant l’activité en amont du site, Schenk Suisse SA libère un terrain aujourd’hui destiné à accueillir un quartier d’habitation développé par l’entreprise Halter. L’éco-chai devient alors un point d’équilibre mettant en scène une articulation active entre sol, site et société.
Le projet affirme ainsi une fonction de couture territoriale. Il relie des échelles habituellement disjointes : celle du raisin et de la bouteille, de l’employé et de l’habitant, du site industriel et de la trame urbaine. En redonnant une valeur d’usage à l’acte de produire, il esquisse une nouvelle forme d’urbanité, où les lieux industriels ne sont plus relégués en marge, mais intégrés au tissu quotidien. Le projet dépasse ainsi la contemplation : il engage une lecture active du lieu, une manière d’habiter le territoire avec clarté, responsabilité et discrétion. L’éco-chai ne se contente pas de produire du vin : elle produit du sens, en redonnant à l’architecture son rôle de médiation entre culture, territoire et industrie.