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Migrer au temps de la pandémie : bonne préparation rime avec bonne intégration
Aïssatou Sonko est la gestionnaire du programme Employabilité et Immigration de la Société Économique de l’Ontario (SÉO), une OBNL qui a fêté ses 20 ans l'année dernière. LA SÉO, auparavant RDÉE Ontario, appuie le développement économique, l’entrepreneuriat, l’employabilité et l’immigration francophone et bilingue. Elle compte trois bureaux principaux, localisés à Toronto, Sudbury et Ottawa et plusieurs antennes régionales.
Avec son équipe, basée à Ottawa, Aïssatou Sonko pilote plusieurs types d'interventions et de programmes spécialisés, tous axés sur l'employabilité. Les clientèles desservies sont principalement composées d'immigrants francophones futurs, récents ou déjà installés, et d'une petite proportion de réfugiés ayant reçu leur statut officiel et capables de communiquer en français. Comme partout, les 23 mois de pandémie ont compliqué la tâche de son équipe : en premier lieu, le nombre de nouveaux arrivants a chuté brutalement, à la fois en raison des restrictions sanitaires et de la difficulté à voyager. Cette chute s’est surtout fait sentir en 2020, avec une baisse de presque 46 % des arrivées en Ontario1. La situation s’est améliorée en 2021, et si les chiffres officiels complets pour l’année ne sont pas encore disponibles, en septembre 2021, le nombre d'arrivées (84 887 personnes) avait déjà dépassé celui de toute l'année 2020 (82 981 personnes)2 .
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Cette chute s’explique en grande partie par la mise en pause du traitement de nombreux dossiers au niveau des services d'immigration. À la mi-décembre 2021, le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (IRCC) estimait encore le nombre de dossiers en attente de traitement à 1,8 million. Une somme de 85 millions de dollars canadiens a été promise pour l'embauche de plus de ressources afin de traiter un plus grand volume de dossiers et pour la modernisation du système d'immigration3. En attendant, l’équipe du programme Employabilité et Immigration qui appuie les nouveaux et les futurs arrivants a remarqué que beaucoup d’entre eux prennent le temps de bien préparer leur arrivée et qu’ils évaluent toutes leurs options avant le départ.
FACILITER UN PROCESSUS QUI S’EST ALLONGÉ
Aïssatou Sonko explique que pour les personnes qui ont migré avec leurs familles au cours des deux dernières années, les restrictions sanitaires ont compliqué leur arrivée à tous les niveaux. Les services de prédépart, pour ceux et celles qui ont reçu d'IRCC une autorisation de résidence permanente, offrent de l’information sur les démarches administratives, le logement, sur le marché du travail canadien, de l’orientation sur le choix de la région d’installation, etc. La SÉO, elle, s’efforce de leur fournir des informations pertinentes et complémentaires, avec une orientation personnalisée. La pandémie semble avoir aussi augmenté l’envie de bouger dans toutes les provinces et son équipe reçoit des demandes en provenance des autres provinces canadiennes, plus seulement de l’international. Pour chaque personne qui se présente à la SÉO, une première rencontre individualisée permet d'établir un plan de match. Aïssatou Sonko précise qu'à ce niveau, les désirs des arrivants peuvent varier. Certains souhaitent se professionnaliser et vont chercher un diplôme, d'autres ont besoin de retourner aux études ou de subir des examens pour intégrer un des nombreux ordres professionnels qui régissent les métiers de la santé, de l'éducation, les carrières d'architectes ou d'ingénieurs par exemple. Il arrive aussi que l'immigration soit une occasion de concrétiser une envie de changement de carrière. Si la reconnaissance des diplômes et des compétences reste un obstacle fréquemment rencontré par les nouveaux arrivants, il est atténué lorsque ceux-ci arrivent bien informés et préparés pour cette étape, avec les bons documents. En attendant leur départ, les personnes intéressées peuvent participer aux
1 Bureau des politiques économiques, Mars 2021, « Rapport démographique trimestriel de l’Ontario : Faits saillants du quatrième trimestre de 2020 », ministère des Finances de l'Ontario, sur le site du gouvernement de l'Ontario consulté le 11 février 2022 : https://www.ontario.ca/fr/page/rapport-demographique-trimestriel-de-lontario-faits-saillants-du-quatrieme-trimestre-de-2020 2 Bureau des politiques économiques, septembre 2021, « Rapport démographique trimestriel de l’Ontario : Faits saillants du troisième trimestre 2021, ministère des Finances de l'Ontario, sur le site du gouvernement de l'Ontario, consulté le 11 février 2022 : https://www.ontario.ca/fr/page/rapport-demographique-trimestriel-de-lontario-faits-saillants-du-troisieme-trimestre?_ ga=2.205808531.1204547742.1644679512-386788270.1644679512 3 Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, 3 janvier 2022, « Moderniser le système d’immigration du Canada pour appuyer la reprise économique et améliorer l’expérience client », communiqué de presse publié sur le site de IRCC, consulté le 11 février 2022 : https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/nouvelles/2022/01/moderniser-le-systeme-dimmigration-du-canada-pour-appuyer-la-reprise-economique-et-ameliorer-lexperience-client.html
ateliers et formations en employabilité qui aident à la rédaction et la mise aux normes des CV, offrent des simulations d’entrevues, donnent de l’information ciblée sur certains secteurs d'activité.
Le programme Employabilité et Immigration encourage dans ce but les futurs migrants à se créer un profil LinkedIn s'ils n'en ont pas déjà un, et à se rapprocher de la communauté des utilisateurs qui partagent des profils similaires en Ontario. Ils peuvent ensuite leur demander des conseils et s'inspirer de leurs expériences. Les employeurs sont aussi épaulés par la SÉO dans leurs recherches de candidats qualifiés, à travers le réseautage et les foires d'emploi. Depuis quelque temps, les services de ressources humaines sont aussi sensibilisés aux avantages liés à l'embauche de nouveaux arrivants francophones.
INNOVER ET TRAVAILLER LA COMPLÉMENTARITÉ
Aïssatou Sonko note que la pandémie a poussé son équipe à innover, à diversifier ses thématiques et à augmenter sa présence en ligne. L’évolution rapide des tendances du marché du travail canadien et ontarien a aussi rendu nécessaire une grande réactivité. Par exemple, l’industrie touristique est peu active, alors que les offres d’emploi liées aux technologies, à l’éducation et à la santé ont beaucoup augmenté. Parallèlement, la règlementation de certains de ces métiers est en train d'évoluer. Elle évoque un projet pilote mené avec l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l'Ontario, visant à faciliter l’intégration des enseignants francophones venus de l’étranger et, dans le domaine de la santé, des formations relais pour aider le personnel infirmier formé à l'étranger à préparer l'examen d'agrément de l'Ordre4 .
La SÉO a aussi profité de la pandémie pour resserrer ses partenariats avec d’autres fournisseurs de services sur le terrain : référencements croisés avec le Point d'accueil francophone (PAF) à Ottawa et une tournée dans le Nord pour rencontrer des employeurs, organisée avec le Réseau du Nord (RIF Nord), l’Association des francophones du nord-ouest de l'Ontario (AFNOO) ou encore le Centre de santé communautaire du Grand Sudbury. La complémentarité des activités et des services permet d’offrir un accès à l’ensemble des ateliers offerts par les partenaires de la SÉO, francophones et anglophones, qui soutiennent les communautés francophones. Ceux-ci sont variés et ne touchent pas seulement l’employabilité : accompagnement dès l’arrivée, intégration sociale et culturelle, accès aux services de santé en français, tout ce qui peut créer des raccourcis et faciliter l’installation des nouveaux arrivants dans le Nord. Le réseautage est un autre type d’activité qui se pratique désormais à distance. La SÉO, détaille Aïssatou Sonko, s’efforce d'augmenter les occasions de réseautage et teste plusieurs formules. L’une d’entre elles est centrée sur les employeurs, invités à parler de leur culture d'entreprise, de leurs processus d'embauche, et bien sûr, de leurs emplois disponibles. À la suite de cette présentation, une salle virtuelle leur permet de rencontrer chaque personne qui souhaite poser sa candidature. Ces rencontres en ligne comptent un nombre beaucoup plus important de participants et sont maintenant organisées à l'échelle pannationale, parfois en association avec d’autres provinces et territoires et des ambassades canadiennes.
En novembre 2021, la SÉO a organisé une foire de l'emploi internationale qui a reçu 5 000 visiteurs virtuels en provenance de France, de Belgique, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Un succès qui va nécessiter ensuite plusieurs mois de travail pour assurer les suivis de toutes ces visites. Aïssatou Sonko aimerait avoir plus de ressources pour traiter rapidement toutes les demandes reçues.
Elle regrette aussi que le passage au mode distanciel s’accompagne de plusieurs désagréments, notamment parce qu’il est devenu difficile de prédire les taux de participation aux activités en ligne et aux ateliers. D’un autre côté, ces activités permettent de toucher un nombre de personnes bien plus important qu’en présentiel. Elle reste optimiste pour le futur parce que plusieurs projets ont déjà d’excellents résultats, notamment dans le Nord.
MIEUX VENDRE LE NORD DE L’ONTARIO
L’idée de mieux vendre le Nord de l’Ontario aux nouveaux arrivants n’est pas nouvelle, selon Madame Sonko, mais la SÉO a changé de tactique et mise beaucoup sur la sensibilisation des employeurs potentiels. Une équipe de la SÉO a récemment effectué la tournée de huit circonscriptions du Nord de l’Ontario pour y rencontrer des employeurs afin de connaitre leurs besoins et de discuter de mesures d’incitations. Un salon de l’emploi, la première « Foire de l’emploi virtuelle francophone du Grand Sudbury » s’est tenue aussi fin février dans la grande région de Sudbury, avec une vingtaine d’employeurs et presque 220 participants. Elle visait de multiples secteurs d'activités : finances, administration, évènementiel, transports, logistique, santé, éducation, environnement, marketing, construction, mines, etc. Elle a permis aux participants d’établir un premier contact avec des employeurs francophones ou bilingues de la région. D’autres efforts seront déployés dans le futur pour favoriser l'attractivité des communautés du nord de la province, et Aïssatou Sonko insiste sur les efforts faits pour créer du lien entre employeurs et candidats. Pour Aïssatou Sonko, les profils des francophones prêts à immigrer ne sont pas nécessairement bien alignés sur ces besoins. Cependant, avec les pénuries de main-d’œuvre que connait la province et avec une bonne préparation, chacun devrait avoir une chance de réussir son intégration sur le marché du travail. ■