Perfectio - Cocréation (automne 2022)

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COCRÉATION

votre référence en formation des adultes AUTOMNE 2022

Table des matières

INTRODUCTION

COMMUNAUTÉS DE PRATIQUES / LIEUX DÉDIÉS AUX

4 Mot de la rédactrice en chef

5 Les approches collaboratives : retour sur le Forum en ligne de la COFA

8 L’Atelier d’innovation sociale : un tremplin de collaborations

11 Les communautés de pratique : co-apprendre pour transformer les modèles

14 L’approche collaborative dans les coopératives

PARTENARIATS DE COMMUNAUTÉS

18 La Maison de la francophonie d’Ottawa : un carrefour communautaire

19 Maison de la francophonie d’Ottawa : « Jamais rien pour eux sans eux »

22 Partir de la parole citoyenne dans un organisme communautaire : les réussites et les défis de la mise en pratique de la justice épistémique

25 Le commentaire de Renelle Bélisle

26 Construire une équipe de projet performante

28 La ruchée : un projet innovant pour développer et renforcer l’enseignement des arts en français

32 Partage et réciprocité des apprentissages pour coconstruire une thèse de doctorat

35 Bâtir des ponts entre le monde de la recherche et les milieux pratiques : une solution gagnante pour tous !

commentaire de Marc L Johnson

Les communautés d’apprentissage : désapprendre à enseigner, sereinement

commentaire de Louise Lalonde

contributeurs de ce numéro

RÉDACTRICE EN CHEF : Gabrielle Lopez

CORRECTION D'ÉPREUVES :

Lydienne Guidoin

COORDONNATRICE : Laurence Buenerd

GRAPHISME : Chantal Carrière

RÉVISION LINGUISTIQUE :

Claire Mazuhelli + Lauraine Teodoro

IMPRESSION : Bradda Printing Services inc.

Dans cette revue, le générique masculin est employé dans le simple but d’alléger le texte.

Les opinions exprimées dans cette publication n'engagent que les auteurs et ne représentent pas nécessairement celles de la Coalition ontarienne de formation des adultes (COFA).

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40 Le
41 Ressources 42 Les
APPROCHES COLLABORATIVES
DÉVELOPPER DES ACTIONS COLLABORATIVES APPRENTISSAGES COLLABORATIFS RESSOURCES

Mot de la rédactrice en chef

Dans ce numéro de l’automne, nous avons choisi de vous parler de collaborations et de cocréation, en écho à notre Forum du printemps dernier qui nous a laissés quelques mois pour poursuivre et approfondir la réflexion. Et, puisqu’il y est question de collaborations, nous avons invité dans la danse des spécialistes des approches collaboratives : Jonathan Durand Folco, professeur de l’École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère de l’Université Saint-Paul à Ottawa, et Amélie Neault, coordonnatrice de l’Atelier d’innovation sociale Mauril-Bélanger, également à l’Université Saint-Paul à Ottawa. Nous avons réfléchi ensemble sur les façons de présenter les différentes facettes des approches collaboratives. Si ce numéro porte le titre de Cocréation, c’est parce qu’elle est l’expression la plus poussée et la plus large de la collaboration.

Vous verrez que certains des articles de ce numéro ont été écrits par des étudiants doctorants et des chercheurs. Nous avons pensé que même si leur lecture pouvait représenter un effort, en raison de leur niveau de langue et de leur perspective académique, les idées et pratiques décrites pourraient assurément nourrir la réflexion et les pratiques de chacun. Ils montrent qu’il est non seulement possible, mais souhaitable de rapprocher les chercheurs du terrain et de faire du sujet de la recherche une partie intégrale de la construction des savoirs et des actions à mettre en œuvre.

Nous vous présentons aussi plusieurs exemples d’approches collaboratives appliquées à divers projets : pratiquées avec ouverture, authenticité et engagement, elles sont porteuses d’équité, de solidarité et de solutions durables. Ces approches, qui sont à géométrie variable, permettent d’élargir vos savoirs, de diversifier vos expertises, de partager vos connaissances, de développer des contenus et des façons de faire qui répondent aux besoins de vos personnes apprenantes, qu’il s’agisse de collaborations avec des partenaires dans vos communautés, entre praticiens ou avec vos personnes apprenantes. Lorsque celles-ci participent à la cocréation de contenus, leurs expériences sont valorisées et ces contenus correspondent mieux à leurs réalités, répondent mieux à leurs besoins.

Merci à Amélie Neault et Jonathan Durand Folco. Nous sommes heureux de cette nouvelle collaboration et nous espérons que la qualité de la réflexion et des idées que contient ce nouveau numéro contribueront à enrichir vos pratiques.

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introduction
Si ce numéro porte le titre de Cocréation, c’est parce qu’elle est l’expression la plus poussée et la plus large de la collaboration.

Les approches collaboratives : RETOUR SUR LE FORUM EN LIGNE DE LA COFA

En mai 2022, la COFA a tenu son forum annuel en ligne, sur le thème « Apprendre par la collaboration ». Après deux années de travail à la maison et de rencontres en ligne, ce Forum voulait explorer une formule plus dynamique de forum en ligne, avec plus d’interactions et participation, avec une équipe d’animation motivée à rendre cette expérience d’approche participative en ligne aussi intéressante qu’en présentiel. Il a offert des occasions d’apprentissage pour tous : invités, formateurs et gestionnaires et des exercices visant à développer « l’agilité » de chacun, la capacité à s’adapter, rebondir, sans perdre de vue l’humain dans le cheminement.

Le Forum s’est déroulé sur trois demi-journées, sur trois jours, avec un nombre variable de participantes et participants présents chaque jour.

Trois demi-journées au cours desquelles la COFA a offert une multitude de formats de rencontres et d’activités en ligne, pour briser la monotonie de la réunion Zoom type et inspirer à cha cune et chacun de nouvelles façons d’animer leurs sessions de travail en ligne et de motiver leurs participantes et participants.

Finalement, si l’expérience était un peu déstabilisante pour cer tains, elle a permis d’ouvrir grand plusieurs portes sur des collaborations plus actives et plus engageantes, des collabo rations menant à une appropriation des enjeux et des résultats produits.

« J’ai découvert qu’il y a une vraie envie de partager ses ex pertises au sein de notre réseau, de partager une réflexion commune plutôt que de réfléchir dans son coin », commente Gabrielle Lopez, directrice de la COFA.

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LA THÉMATIQUE CHOISIE, « APPRENDRE PAR LA COLLABORATION », AVAIT TROIS OBJECTIFS : FAIRE PRENDRE CONSCIENCE AUX PARTICIPANTES ET PARTICIPANTS DES AVANTAGES DES APPROCHES COLLABORATIVES; LES OUTILLER POUR METTRE EN PLACE DES CONDITIONS FACILITANTES POUR APPRENDRE PAR LA COLLABORATION DANS LEURS ORGANISATIONS; LEUR FAIRE VIVRE DES EXPÉRIENCES D’APPRENTISSAGE COLLABORATIF EN LIGNE.
introduction

DÉDIÉ À LA TÂCHE

VOLONTÉ ET CONSENSUSADAPTATION

PARTICIPATION ACTIVE OUVERTURE ET ÉCHANGE

RESTER POSITIF

CRÉATIVITÉ

PRISE DE DÉCISIONS ÊTRE PROACTIF BON LEADERSHIP

ÉCOUTE ACTIVE

L’équipe d’animation, composée de quatre personnes, a présenté des outils interactifs, comme des Jamboard 1, différents ateliers pour comprendre différents contextes de partici pation2 et mettre les participantes et participants en mode d’apprentissage. Un des exercices demandait par exemple à certaines personnes de jouer un rôle ou d’adopter une attitude particulière : très négative, peu consensuelle, ou au contraire, très rassembleuse. Cela a permis aux groupes de travailler sur les dynamiques et de toucher du doigt des solutions en réponse aux rencontres peu productives, avec des individualités pas toujours compatibles.

Le mélange hétérogène de formatrices et formateurs, gestion naires, personnes invitées hors du réseau, a généré certains inconforts. Gabrielle Lopez rappelle que la collaboration n’est pas une compétence, mais plutôt un état d’esprit, ou une cul ture, et qu’elle peut mettre du temps à s’implanter dans les pratiques. Ce que les personnes peuvent percevoir comme un défi n’est souvent qu’un apprentissage à réaliser. « Pour qu’une culture se mette en place, estime-t-elle, il faut la nourrir et lui laisser le temps de s’épanouir ».

Ce Forum était, pour elle, le prélude parfait aux travaux en mode collaboratif au sein du réseau. Elle envisage depuis plusieurs années à faire de la COFA un réseau apprenant. En 2021, un premier travail collectif et collaboratif a permis aux membres du réseau de créer un certain nombre de « Tâches jalons » pour aider l’ensemble des formatrices et formateurs à valider les parcours d’apprentissages. Cette année ont débuté des travaux en comités sur le financement des centres de formation

1 Jamboard est un tableau blanc interactif (un outil Google) dédié à la collaboration en équipe.

2 Voir l‘encadré pour un exemple d’exercice.

MOTIVATION RESPECT MÉTHODE INCLUSIVITÉ HUMOUR

et Gabrielle Lopez souhaite multiplier les approches et les pro jets collaboratifs au sein du réseau : le projet « Référentiel des compétences3  » , qui a démarré depuis quelques mois, en est un exemple.

Il va permettre de bien définir les rôles, les tâches et les niveaux de compétences qui sont assignés aux gestionnaires ainsi qu’aux formatrices et formateurs. Le projet est né des besoins d’un partenaire potentiel de la COFA qui souhaitait développer une formation pour les praticiennes et praticiens de l’éducation des adultes et voulait utiliser un référentiel pour en garantir la pertinence.

Cette demande initiale a incité la COFA à travailler sur ce référentiel au sein de son réseau, avec ses membres. Pour Gabrielle Lopez, cet exercice de définition va aussi permettre une meilleure standardisation des pratiques et à terme, une professionnalisation du réseau.

Ce qu’elle retient du Forum, c’est que les modes collaboratifs peuvent prendre des formes très variées, et que les appren tissages collectifs sont aussi forts, et souvent plus durables que les apprentissages individuels. La dernière demi-journée a porté sur la recherche de meilleures collaborations au sein du réseau : comment mieux tirer parti des différentes expertises en créant par exemple des communautés de pra tiques, qui peuvent aussi offrir du soutien. Elle souhaite qu’à terme, le réseau devienne un réseau apprenant, agile, avec une vraie posture d’organisation apprenante, une vraie souplesse qui lui permette de répondre aux changements rapidement. Elle-même voit tous les avantages offerts par cette posture : « J’aime ça, ne plus avoir à réfléchir et trouver des solutions dans mon coin, aux enjeux que vit notre réseau. Je veux que tous les Centres participent pour que leurs idées, leurs besoins, remontent au sommet et que nos solutions soient adaptées et pertinentes pour eux. C’est ça aussi la job de la COFA. En col laborant, en faisant réfléchir tout le monde dans nos centres, on donne une chance à chacun de s’approprier les enjeux et les solutions. Ça rend le réseau plus fort ».

3 Un référentiel est un cadre ou un système de référence qui détaille les compétences nécessaires pour pratiquer un métier ou occuper un emploi de façon optimale.

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LÂCHER-PRISE
La collaboration n’est pas une compétence, mais plutôt un état d’esprit, ou une culture [...].
7 COMMUNAUTÉS DE PRATIQUES / LIEUX DÉDIÉS AUX APPROCHES collaboratives 1

L’ATELIER D’INNOVATION SOCIALE : un tremplin de collaborations

Lorsque vient le temps de parler de « collaborations » entre le milieu universitaire et la communauté, les discussions restent souvent vagues et générales : il est question de l’importance de « décloisonner les savoirs », de favoriser le partage d’expériences, l’entraide et le soutien mutuel pour favoriser l’émergence de solutions aux problèmes complexes de notre époque. Cependant, nous manquons souvent de ressources et de moyens pour concrétiser cet idéal. Comment peut-on réellement faciliter les collaborations entre des personnes issues des milieux universitaires, communautaires, entrepreneuriaux, francophones, anglophones, autochtones et immigrants?

8 communautés de pratiques / lieux dédiés aux approches collaboratives
Photo : Atelier d’innovation sociale

Un début de réponse se trouve du côté de l’Atelier d’innova tion sociale Mauril-Bélanger, un espace unique en son genre à Ottawa. L’Atelier a ouvert ses portes en avril 2018 dans un local de 5 500 pieds carrés au sein de l’Université Saint-Paul. Il s’agit d’un espace bilingue et inclusif axé sur la collaboration, le partage de savoirs et le soutien des innovations sociales, c’est-à-dire des projets qui visent à avoir un impact positif sur la communauté. Cet organisme à but non lucratif (OBNL) a été fondé par des professeurs et professeures de l’École d’innova tion sociale Élisabeth-Bruyère de l’Université Saint-Paul, dans le but de favoriser les échanges entre le monde universitaire, les organisations sociales dans la région d’Ottawa-Gatineau, et l’émergence de projets au croisement de multiples influences.

Les membres de l’Atelier sont les acteurs et actrices du milieu de l’innovation sociale, ils sont issus de plusieurs communautés : étudiantes, de recherche, entrepreneuriales, praticiennes, citoyennes, engagées et locales. Avec ses partenaires, l’Atelier offre des formations, de l’accompagnement, des occasions de visibilité et de financement pour des personnes et groupes qui inventent des modèles d’organisation, de pratiques sociales et d’engagement permettant la lutte contre les inégalités sociales et les différentes formes d’oppression. Comment se déploient concrètement les collaborations dans cet espace?

VOICI TROIS EXEMPLES QUI POURRAIENT INSPIRER D’AUTRES INITIATIVES :

PREMIÈREMENT,

il est possible de mettre en place des « communautés de pratiques », soit des groupes de personnes qui « partagent une préoccupation ou une passion pour quelque chose qu’ils font et apprennent à mieux faire en interagissant régulière ment »1. En réponse à la pandémie de COVID-19, certaines animatrices pro fessionnelles, qui travaillent surtout de façon autonome, ont eu le besoin de trouver un espace commun pour se ras sembler et échanger. Elles souhaitaient pouvoir discuter de leur pratique, parler des défis en animation de groupe et partager des ressources. C’est ainsi qu’est né le « pôle d’animation et de facil itation », un lieu de rencontre axé sur les enjeux vécus par les praticiens et pratici ennes de ce domaine. Jusqu’à présent, le pôle d’animation a servi à réunir des per sonnes intéressées par les rapports de pouvoir au sein des groupes et organi sations. Les relations de pouvoir sont omniprésentes, que ce soit dans la façon dont nous communiquons ensemble ou dans nos prises de décision. Le pôle a offert des dizaines de formations sur l’animation en ligne depuis 2020, avec une grille tarifaire flexible favorisant l’acces sibilité. La communauté de pratique est en train de prendre forme comme une deuxième phase de développement de ce pôle, afin de créer des collaborations plus durables qui vont au-delà de cette offre de services.

DEUXIÈMEMENT,

il est possible de stimuler les collabora tions par des événements de réseautage. Par exemple, l’Atelier organise chaque année un Salon de l’innovation sociale, soit un « carrefour » ou espace d’échange, entre plusieurs acteurs et organisations de la région d’Ottawa/Gatineau. Avec ses nombreuses salles, son espace de travail partagé (coworking) ouvert et modulable, son lounge et sa cuisine, il peut accueillir des dizaines d’organisations, de kiosques d’information, d’activités et de conférences pour faciliter les contacts entre des per sonnes issues de différents milieux et ayant potentiellement des intérêts com muns. Lors de sa deuxième édition du 26 septembre 2022, plus de quarante organismes francophones, anglophones, autochtones et en lien avec l’accueil des personnes migrantes, ont été invités à présenter leurs initiatives, démarches et activités. Un mélange de groupes com munautaires, d’organisations militantes, d’entreprises d’économie sociale et solidaire, de même que des citoyennes et citoyens curieux ont participé à l’événe ment, où de nombreuses collaborations futures pourraient éventuellement fleurir. Ces moments de partage, d’échanges et de réseautage représentent de véritables tremplins ou catalyseurs de changement, pour augmenter la visibilité d’initiatives locales, générer des occasions (d’emplois, de stages et de partenariats), voire des coalitions plus durables entre plusieurs organisations.

1 Etienne et Beverly Wenger-Trayner, « Introduction to communities of practice - », A brief overview of the concept and its uses, 2015. En ligne: https://fr.wikipedia.org/wiki/Communaut%C3%A9_de_pratique

2 Pour en savoir plus, consulter le site Web de Habitations partagées Mirela : https://hpmirela.ca/

3 Pour un aperçu de ces différents projets, consulter : http://innovationsocialeusp.ca/projets-heberges

TROISIÈMEMENT,

il est possible de stimuler les collabora tions entre l’université et la communauté par le soutien à des projets dévelop pés par des étudiants et étudiantes de l’École d’innovation sociale. Depuis 2020, la bourse Desjardins (d’une valeur de 10 000$) a permis de propulser dif férentes initiatives pour répondre à des besoins et enjeux sociaux variés dans la région. L’un de ces projets, les Habitations Partagées Mirela2 , est un modèle al ternatif de logement solidaire et abor dable qui jumelle deux personnes ou plus, ayant des affinités et des besoins complémentaires – l’une pouvant béné ficier d’une présence et d’un soutien, et l’autre d’un logement abordable. Ce nouvel organisme facilite la mise en place d’habitats intergénérationnels avec une plateforme rassemblant des per sonnes jeunes et âgées, permettant ainsi de répondre simultanément à plu sieurs enjeux liés à l’isolement social, le vieillissement, la crise du logement, etc. D’autres projets collectifs hébergés par l’Atelier d’innovation sociale, comme un centre intergénérationnel, une coopéra tive de santé autogérée, un jardin com munautaire lié à une école secondaire, une plateforme facilitant l’insertion économique des nouveaux immigrants, sont différents exemples d’initiatives basées sur des collaborations qui visent à avoir un impact positif sur le monde3.

9communautés de pratiques / lieux dédiés aux approches collaboratives

En conclusion, bien que les collaborations représentent le cœur de l’Atelier, celles-ci ne naissent pas spontanément. Il faut tout un travail d’idéation, de planification, de mobilisation, de démarchage, de suivis et de demandes de subventions pour réaliser ces activités et événements. La collaboration est un véritable « travail », un effort constant, exigeant beaucoup de ressources en ce qui concerne le temps, l’argent et l’énergie. Heureusement, la mise en commun des idées, des connais sances et des compétences de chaque personne permet de réduire les efforts nécessaires pour faire émerger des projets et des partenariats plus durables. Sortir de la « tour d’ivoire » de l’université ou du « travail en silo » au sein des organismes n’est pas chose facile. Mais cela devient possible par des espaces de collaboration comme l’Atelier qui facilitent des échanges créatifs. D’autres espaces du même genre fleurissent déjà dans différentes communautés, différentes villes et différents villages au Canada, et il est essentiel de les encourager afin que la collaboration porte ses fruits!

10 communautés de pratiques / lieux dédiés aux approches collaboratives
Sortir de la « tour d’ivoire » de l’université ou du « travail en silo » au sein des organismes n’est pas chose facile. Mais cela devient possible par des espaces de collaboration comme l’Atelier qui facilitent des échanges créatifs.
Photo : Atelier d’innovation sociale

LES COMMUNAUTÉS DE PRATIQUE : co-apprendre pourtransformer les modèles

Illustrations : Projet Collectif, Isadora Lima

L’importance d’apprendre tout au long de la vie est bien reconnue. Face aux transformations du monde professionnel et à la complexité des enjeux sociaux, acquérir de nouvelles connaissances, affiner l’esprit critique et développer les capacités d’action individuelle et collective deviennent essentiels. Si la formation formelle est intégrée dans les plans de développement des compétences et dans les budgets des organisations, d’autres formes d’apprentissage ont fait leurs preuves, comme le co-développement professionnel, le mentorat et le coaching.

La communauté de pratique (CdP) est également une approche potentiellement riche. Elle s’appuie sur un apprentissage par les pairs et elle est ancrée dans la pratique. Elle permet de partager des connaissances explicites comme tacites, de co construire de nouveaux savoirs et de développer le potentiel créatif d’un groupe, en s’appuyant sur des espaces de col laboration et de soutien mutuel. Dès que nous collaborons, nous apprenons les uns des autres. Cependant, rendre ces processus visibles et mieux les comprendre permettent de les

rendre plus accessibles et fonctionnels, avançait Etienne Wenger lorsqu’il a théorisé les CdP au début des années 19901. La manière la plus fréquente de définir une CdP est celle proposée par Wenger, McDermott & Snyder, en 2002 2 : « un groupe de personnes ayant en commun un domaine d’expertise ou une pratique professionnelle, et qui se rencontre pour échanger, partager et apprendre les uns des autres, face à face ou virtuellement ».

1 Wenger, E. (2005). La théorie des communautés de pratique. Apprentissage, sens et identité. Presses de l’Université Laval.

2 Wenger, E., McDermott, R. et Snyder, W. M. (2002). Cultivating Communities of Practice: A Guide to Managing Knowledge - Seven Principles for Cultivating Communities of Practice. Harvard Business School Working Knowledge.

11communautés de pratiques / lieux dédiés aux approches collaboratives

LES FACTEURS

DE SUCCÈS

Si les recherches sur les CdP confirment leur grand potentiel d’apprentissage, elles mettent également en évidence la difficulté de les mettre en place. Concevoir, déployer, dynamiser et faire évoluer les CdP demandent du temps et de l’énergie. Une revue de littérature sur le sujet a permis d’identifier

17 conditions de succès3, dont :

• la qualité de la conception;

• l’engagement mutuel;

• la pertinence du mandat;

• un contexte favorable;

• l’autonomie du groupe;

• le temps disponible;

• un soutien adéquat;

• des outils numériques appropriés;

• un langage commun;

• un rythme adéquat;

• une diversité des niveaux de participation;

• un climat de confiance;

• une ouverture d’esprit;

• une coopération entre les CdP;

• une capacité à faire évoluer la démarche;

• des résultats concrets et une reconnaissance.

Les personnes responsables de l’animation peuvent plani fier des activités, offrir du soutien, stimuler la participation, accroître la confiance entre les membres, travailler sur l’identité du groupe ou encore contribuer à l’organisation des contenus. Toutes ces actions sont nécessaires au bon fonctionnement de la communauté.

DES PERSPECTIVES ET DES CONTEXTES VARIÉS : AVANTAGES ET DÉFIS

Les CdP ont surtout été étudiées dans un contexte organisation nel, notamment au sein d’entreprises privées, alors que le groupe est relativement homogène. Elles font alors partie d’une stratégie de développement des compétences, mais également de gestion des connaissances et des expertises internes, ici vues comme un avantage compétitif qu’il faut systématiser et préserver. La CdP est également une stratégie de collaboration et de transfert de connaissances utilisée dans une variété de contextes, par exem ple en santé, en éducation ou dans un milieu communautaire. On y retrouve alors plus souvent des membres qui sont issus d’une variété d’organisations et occupant des postes différents. Cette variété de contextes et de perspectives est susceptible d’enrichir les processus, de stimuler l’innovation et de multiplier les possi bilités d’intersections entre CdP, tout comme elle présente des défis supplémentaires de mobilisation et d’animation.

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S’il n’y a pas de recette infaillible ni d’unanimité sur les conditions de succès, un facteur est mentionné systématiquement : l’importance de l’animation soutenue.
Illustrations : Projet Collectif, Isadora Lima

LES APPRENTISSAGES DE PASSERELLES

L’expérience de Passerelles, qui se déroule au Québec depuis 2018, a permis d’étudier le fonctionnement de 120 CdP dans le champ de l’innovation sociale. Passerelles est à la fois une plateforme numérique collaborative et une démarche de sou tien à l’animation, initialement portée par Territoires innovants en économie sociale et solidaire. Une grande partie de ces CdP ont éprouvé des difficultés de déploiement ou de maintien dans le temps. Une analyse réalisée dans le cadre de l’évaluation de Passerelles et d’un mémoire de maîtrise a permis de valider l’importance des facteurs de succès énumérés plus haut et de dégager certains constats, dont trois sont présentés dans cet article.

UTILISER DES OUTILS NUMÉRIQUES ADAPTÉS

Premièrement, la démarche permet de confirmer l’importance d’utiliser des outils numériques adaptés aux besoins des CdP. Plusieurs groupes ont tendance à utiliser des réseaux sociaux ou des logiciels commerciaux qui sont accessibles et déjà in tégrés aux habitudes des membres. Or, ces outils soulèvent des préoccupations éthiques, brouillent parfois la frontière entre la vie privée et professionnelle et ne permettent pas de constituer une mémoire collective du groupe, pourtant essentielle pour son évolution. Certains outils sont coûteux et développer une plateforme sur mesure représente de nombreux défis, en plus de limiter les possibilités de collaboration entre CdP.

RÉSERVER DU TEMPS À LA CDP

Si l’environnement numérique est important, il n’est pas dé terminant dans le succès de la CdP. L’obstacle le plus souvent mentionné est le manque de temps, que ce soit pour la participation ou pour l’animation. Or, nous avons pu constater que le manque de temps découle généralement d’une mau vaise reconnaissance du rôle des CdP dans l’apprentissage. Pour que les personnes puissent s’y consacrer et pour que les ressources soient au rendez-vous, ces démarches doivent être visibles et considérées comme stratégiques aux yeux des organisations et des bailleurs de fonds, ce qui est rarement le cas. Le fait que la composition des CdP soit variée amène des défis supplémentaires, puisque cela exige une coordination entre des organisations qui ont des mandats et un rythme qui ne sont pas toujours compatibles. Les silos, les tensions entre organisations, la compétition pour le financement et la culture d’impact social, qui peut avoir une influence sur les priorités organisationnelles, constituent également des enjeux.

PRÉVOIR UNE STRATÉGIE DE MOBILISATION

DES CONNAISSANCES

Finalement, nous avons identifié une nouvelle condition de succès, soit la présence d’une stratégie de mobilisation des connaissances. Pour que les membres d’une communauté puissent apprendre les uns des autres et constituer un réper toire commun, encore faut-il qu’ils soient en mesure de capter leurs propres apprentissages, de les rendre accessibles aux autres et de les faire évoluer. Nous constatons que ceci demande des compétences, que ces processus doivent être reconnus et valorisés, et que le design des CdP doit en tenir compte. De plus, ces connaissances ne doivent pas être considérées comme des ressources stratégiques visant à donner un avantage compétitif, mais comme des communs à partager librement et à garder vivants. La circulation des con naissances entre les CdP au sein d’un écosystème ouvert peut bénéficier à l’apprentissage de tous. Surtout, le libre accès aux savoirs théoriques et pratiques est crucial pour transformer les modèles et pour relever les défis sociaux et écologiques aux quels nous sommes aujourd’hui confrontés.

Constituer une infrastructure numérique éthique et mutualisée, développer une culture de la collaboration et faciliter l’accès aux connaissances apparaissent comme des leviers prioritaires pour créer une société plus équitable et écologique. C’est du moins le postulat de Projet collectif, qui y travaille au Québec, en collaboration avec plusieurs réseaux. L’approche de la CdP est ici un cadre de référence pertinent, en plaçant la collabora tion, l’expérimentation et la mise en commun des connaissances sur un large continuum pour stimuler l’apprentissage ainsi que l’action individuelle et collective.

GÉOMÉTRIES VARIABLES

Les CdP prennent des formes et des envergures variables. Il peut s’agir autant d’un regroupement professionnel d’agents et d’agentes de développement territorial qui partagent des trucs et des astuces, d’organisations hétéroclites qui coconstruisent des modèles et des ressources pour transformer des églises, d’acteurs et d’actrices qui mettent en commun leurs efforts pour accroître l’autonomie alimentaire d’une région ou encore d’un réseau informel de personnes militantes qui veulent tisser des liens entre des luttes locales isolées.

13communautés de pratiques / lieux dédiés aux approches collaboratives
3 Nadeau, J. (2018). Les dynamiques d’apprentissage dans les communautés de pratique. Revue de littérature réalisée dans le cadre d’une formation à la TÉLUQ.

L’approche collaborativeDANS LES COOPÉRATIVES

Il est difficile de parler d’approche collaborative en entrepreneuriat sans mentionner les coopératives. En ce début de XXIe siècle où les appels à une richesse partagée plus équitablement et à un capitalisme modéré sont monnaie courante, la vision alternative qu’elle apporte à l’entreprise semble aujourd’hui tomber sous le sens. Cependant, les coopératives n’ont pas toujours été une solution évidente à l’absence de partage équitable des profits au sein d’une entreprise.

L’ORIGINE

Bien qu’elle n’ait pas été inventée en un jour et qu’elle découle de nombreuses initiatives étalées sur plusieurs siècles, la coopérative moderne peut être considérée comme apparue dans le courant du XIXe siècle. D’abord sous la forme des sociétés amicales au Royaume-Uni, puis sous la forme d’organisations mutuelles, elles offraient une alternative au système établi de l’époque en donnant le droit de parole à tous. En effet, l’idée qu’un membre d’une organisation puisse avoir le droit de vote sans en être le propriétaire était tout à fait nouvelle. Cette nouveauté n’empêchait pas un grand nombre de per sonnes de joindre ces organisations leur offrant une sécurité financière encore introuvable autre part.

ontarien à être toujours en opération.

14 communautés de pratiques / lieux dédiés aux approches collaboratives
La
Fromagerie St-Albert est l’une des plus vieilles coopératives
canadienne,
fondée
le
8 janvier 1894 par dix partenaires. Elle était enregistrée sous
le nom de « The St-Albert Co-Operative Cheese Manufacturing Association » et
elle
est
aujourd’hui la seule fromagerie
coopérative de l’Est

Si l’on doit faire émerger un point commun à toutes les coopératives, c’est la responsabilité partagée.

EN ONTARIO

La première mutuelle d’assurance vie sera créée en Ontario en 1863 : l’Union St-Joseph du Canada (Union du Canada)1. La corporation visait à aider et secourir ses membres dans l’éventualité d’une maladie, ainsi que leurs veuves et leurs en fants en cas de décès de ces derniers2 . Au début du XXe siècle viendront s’ajouter dans leur lignée les caisses populaires dont bon nombre d’entre elles sont encore en bonne santé aujourd’hui, grâce entre autres au soutien d’un certain Alphonse Desjardins. Les coopératives ne seront régulées par la loi qu’en 1922; les caisses populaires devront attendre 1940.

ET LA COLLABORATION DANS TOUT ÇA?

Si l’Alliance Coopérative Internationale définit la coopérative comme « une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement », cela ne peut nous aider qu’à confirmer davantage le caractère protéiforme si spécifique aux coopératives. Cela n’est pas un problème, mais bien une fonctionnalité. Les coopératives n’ont pas de limitations : elles peuvent être financières, comme les caisses populaires, per mettant ainsi des prêts à des populations marginalisées par les banques dites « classiques », de consommation, en ras semblant le pouvoir d’achat de plusieurs particuliers pour leur permettre de se procurer de l’équipement agricole par exemple (genèse commune de beaucoup de coopératives). Les possibilités sont nombreuses. Si l’on doit faire émerger un point commun à toutes les coopératives, c’est la responsabilité partagée.

Premier local de la Caisse populaire Notre-Dame d’Ottawa, 97, rue Clarence, vers 1940. Photo : Université d’Ottawa, CRCCF, Collection générale du Centre de recherche en civilisation canadienne-française (C38), Ph123ph1-XOFDH-38.

1 www.cco.coop/historique_du_mouvement 2 https://crccf.uottawa.ca/passeport/III/B/B1a/IIIB1a03.html

COMMENT CELA FONCTIONNE-T-IL?

S’il était possible de le simplifier en un mot, ce serait celuici : le vote. Chaque personne membre d’une coopérative a un poids égal à toutes les autres, sans aucune préférence ni aucun avantage lié à son statut social, religieux, de genre, ou autre. Ainsi, le modèle coopératif diffère de tout autre modèle en ce sens qu’il garantit réellement la pleine entente des revendica tions et demandes de chacun de ses membres, sous l’unique condition de participation démocratique aux assemblées générales où tous et toutes peuvent s’exprimer sans jugement. À cela s’ajoute le partage équitable des profits, incarné par le principe de la ristourne : toute épargne ou tout surplus est partagé équitablement entre les membres de la coopérative,

empêchant ainsi les enrichissements disproportionnés aux dépens de certains, comme cela peut arriver dans le modèle d’entreprise « classique » où peu de régulations sont mises en place à cet effet.

DANS LA PRATIQUE

Au Conseil de la coopération de l’Ontario, c’est notre travail d’aider les coopératives à être les meilleures versions d’ellesmêmes. Cela peut vouloir dire mettre en place un réseau pour consolider les services proposés par des coopératives existan tes, comme nous l’avons fait dans le nord-est de l’Ontario en collaboration avec la fédération des coopératives funéraires du Québec, aider des habitants à sauver leur épicerie sur le point de fermer en la transformant en coopérative (par ex emple, l’épicerie de Moonbeam3), ou encore mettre en place une initiative coopérative en faisant de la sensibilisation pour aider une communauté tout entière, comme nous avons pu le faire dans la communauté d’Attawapiskat, dans le Grand Nord de l’Ontario.

Aider à partager et faire rayonner les idéaux de collaboration, c’est avec fierté que nous le faisons chaque jour à travers le soutien que nous apportons aux coopératives dans toute la province. Ce n’est certes qu’une des façons de le faire, mais c’est celle que nous avons choisie. Quelle est la vôtre?

16 communautés de pratiques / lieux dédiés aux approches collaboratives 3 www.moonbeamcoop.com/a-propos-de-nous
En 1950, la Fromagerie inaugure un tout nouvel édifice: Le Plan laitier coopératif St-Albert. Il était dédié à la fabrication de beurre et de fromage. Photo : Fromagerie St-Albert
Aider à partager et faire rayonner les idéaux de collaboration, c’est avec fierté que nous le faisons chaque jour à travers le soutien que nous apportons aux coopératives dans toute la province.
Ce n’est certes qu’une des façons de le faire, mais c’est celle que nous avons choisie. Quelle est la vôtre?

PARTENARIATS DE communautés

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LA MAISON DE LA FRANCOPHONIE D’OTTAWA : un carrefour communautaire

La Maison de la francophonie d’Ottawa (CFMO) est située à l’ouest de la capitale nationale, au cœur d’une communauté francophone dynamique, forte de 100 000 personnes, utilisant le français à différents niveaux. Cette coopérative a vu le jour en 2020, grâce à l’implication de tous ses membres actifs et au soutien de différents acteurs francophones locaux.

La vision communautaire de la Maison de la francophonie d’Ottawa repose sur le consensus établi par la collectivité, sur ses souhaits et ses besoins. Ce projet de société a été conçu comme un carrefour communautaire et scolaire, conformé ment au cadre stratégique de la province de l’Ontario et à son plan d’action de 2015.

LES OBJECTIFS DE LA MAISON DE LA FRANCOPHONIE

L’idée de la Maison de la francophonie est née durant les années 1990 en réponse à la pénurie de services offerts en français suite à la réorganisation de la grande région d’Ottawa avec la fusion de plusieurs villes ontariennes. La communauté avait grand besoin d’un centre communautaire (ou centre multiservice) francophone qui serait à la fois un lieu de ras semblement des francophones de la région ouest d’Ottawa et qui logerait un ensemble de services. La CFMO œuvre aujourd’hui comme un centre francophone multiservice pour les familles francophones de l’ouest d’Ottawa, notamment celles à faible revenu, nécessitant l’appui des services sociaux, com munautaires, récréatifs et culturels de la Maison. Les services considérés, dont une grande partie est déjà opérationnelle, comprennent des services de santé, des services sociaux, des services juridiques, des espaces récréatifs, des services cul turels et artistiques ainsi qu’un appui aux personnes nouvelle ment arrivées et aux personnes ainées.

18 Partenariats de communautés
Venez nous visiter au 2720 Richmond! Nous serons heureux de partager avec vous la chaleur humaine de la Maison de la francophonie d’Ottawa.
Photo : Maison de la Francophonie d’Ottawa

LES SERVICES OFFERTS

Le projet de départ devait regrouper différents services pour la population, tels qu’un médecin, une banque alimentaire, une gar derie, une librairie ou encore une enseigne bancaire. En cours de route, le besoin d’offrir un cadre à la fois ludique, culturel, mais aussi de soutien à la personne et aux familles a fait son chemin. Outre les services actuellement disponibles qui com prennent une librairie, une garderie, un café bistro et un centre de spectacle; la coopérative met tout en œuvre pour inviter les organismes communautaires existants (p. ex., AFO, ACFO, Cité collégiale, les conseils scolaires, CÉSOC) à venir se greffer sur les installations afin d’offrir une gamme d’événements et de services francophones. À titre d’exemple, des organismes com munautaires tels qu’Ami Jeunesse et le Club Centre Soleil, qui ne possédaient pas de locaux permanents auparavant, travail lent aujourd’hui au sein de l’édifice et offrent différents services à la communauté.

Dans cette panoplie de services, l’accent est mis sur le soutien à la personne et à la famille en général en matière de bien-être,

d’alphabétisation et d’éducation, d’orientation et d’autonomisa tion grâce notamment au centre d’employabilité. Pour concré tiser ces objectifs l’on retrouve sur place, les centres éducatifs du CEPEO, de la Cité Collégiale, de l’université d’Ottawa et de l’Université de l’Ontario Français, ainsi que des services sociaux offerts par le CÉSOC, Action interculturelle, Grandir Ensemble et OnYva.

Il existe également un centre de formation destiné aux personnes nouvellement arrivées et qui appuie leur insertion sociale. Ce centre d’apprentissage fonctionne en collaboration avec l’École des adultes Le Carrefour. L’enseignement du français favorise une meilleure intégration, mais sont aussi offerts des cours qui mènent au diplôme d’études secondaires de l’Ontario.

Assujettie aux aléas des subventions, la CMFO peine parfois à atteindre ses objectifs. D’où son projet d’autonomisation financière depuis le retour en présentiel de ses employés et de sa clientèle en février 2022.

« Jamais rien pour eux sans eux »

Ronald Bisson est le vice-président du Conseil d’administration de la Maison de la francophonie d’Ottawa. Originaire de La Broquerie au Manitoba, il demeure à Ottawa depuis 1982. Toute sa carrière a été dédiée au développement communautaire; une cause qui lui tient à cœur puisqu’il lui consacre aussi du temps comme bénévole, notamment à travers l’accueil des personnes réfugiées.

Pour Ronald Bisson, si la Maison de la francophonie est une coopérative selon la loi sur les coopératives de l’Ontario, c’est parce qu’elle a été pensée comme telle et voulue comme telle, pour que chacun de ses membres embrasse ses buts et sa mission, qu’il soit membre corporatif ou membre individuel. Il rappelle que son principe directeur est : « Jamais rien pour eux sans eux » : la Maison s’engage avec les communautés, elle travaille avec elles pour qu’une réponse aux besoins soit trouvée collectivement. La mission de cette entreprise sociale est dédiée à l’avancement de la francophonie dans l’ouest de la ville d’Ottawa et plus largement sur tout son territoire. La particularité de cette coopérative est qu’elle n’a qu’un seul

employé, Marcel Morin, à la direction générale. Tous les autres employés sont attachés à des projets ponctuels spécifiques, communautaires principalement.

Mais ce qui distingue surtout la Maison de la francophonie, c’est son mode de fonctionnement. Chaque fois qu’un besoin de la communauté francophone est identifié, la question posée est : qui pourrait délivrer ce service dans la communauté? La Maison, est par exemple, fréquentée par de nombreux retraités. Plutôt que de créer un nouveau programme qui leur soit des tiné, l’organisme Retraite en Action a été approché. Ils offrent maintenant une gamme d’activités et de services sur place.

19Partenariats de communautés

Ce modèle de fonctionnement, en faisant appel aux organis mes qui peuvent offrir des services de qualité dans ses murs, lui permet à la fois d’offrir une gamme étendue de services et de renforcer les organismes francophones existant, en multipliant leur clientèle et en évitant de diviser les finance ments existants pour offrir des services similaires. Le Conseil Économique et Social d’Ottawa Carleton (CÉSOC) est un autre exemple de partenaire offrant des services dans la Maison de la Francophonie : les nouveaux arrivants francophones peu vent ainsi se faire accompagner pour faciliter la réussite de leur projet d’immigration.

Selon Ronald, la Maison s’efforce de trouver le partenaire qui peut livrer les services sur place et en français à la commu nauté. Si ce n’est pas possible, la Maison se positionne alors pour les offrir elle-même. « Les ressources des bailleurs de fonds sont rares, explique-t-il, il faut éviter de les diviser. On ne monte pas un programme qui pourrait entrer en compétition avec un programme existant. Nous voulons éviter à tout prix d’affaiblir le mouvement francophone », assure-t-il.

UNE FRANCOPHONIE PLURIELLE

« Chez nous, c’est les Nations Unies : la population qui fréquente la Maison est originaire de 72 pays différents. Elle regroupe la francophonie plurielle dans toutes ses expressions. Ce qui nous rassemble, c’est la francophonie, et l’intérêt que nous avons à travailler ensemble pour la rendre plus forte ». C’est aussi ce qui amène la Maison à innover. Au début du mois de septembre 2022, plutôt que d’organiser un sempiternel débat traditionnel avec les candidates et candidats à la mairie d’Ottawa, aux postes de conseillers municipaux et aux conseils scolaires catholiques et publics, la Maison de la francophonie a organisé une foire de rencontres. Les personnes candidates étaient invitées à s’assoir chacun à une table et à discuter seule à seule ou en petits groupes avec les membres du public par ticipant à l’événement. Elles étaient aussi invitées à se déplacer pour échanger avec les autres. Ce qui a été entendu ce soir-là n’était pas les classiques allocutions politiques, mais plutôt des échanges sur les sujets qui intéressaient particulièrement les participants. Ce qui a en retour permis aux candidates et candidats de découvrir la francophonie dans toute sa diversité, une approche grandement appréciée de tous.

Pour Ronald Bisson, la partisanerie n’a pas sa place à la Maison, mais il considère essentiel de faire connaitre aux candidates et candidats les enjeux francophones exprimés par ceux qui les vivent et du même coup, de leur faire réaliser que leurs électeurs sont aussi des francophones. Que dix-sept d’entre eux participent à cet événement, dont six à la mairie, fait dire à Ronald Bisson qu’il y a consensus pour reconnaître que « la francophonie, c’est important ».

20 Partenariats de communautés
Ce qui nous rassemble, c’est la francophonie, et l’intérêt que nous avons à travailler ensemble pour la rendre plus forte
Ronald Bisson, à gauche, en compagnie des candidates et candidats et des chefs de file de la communauté, lors de la Foire de rencontre des candidates et candidats à la Maison de la Francophonie.

DÉVELOPPER DES ACTIONS collaboratives

21Développer des actions collaboratives
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PARTIR DE LA PAROLE CITOYENNE

les réussites et les défis de la mise en pratique de la justice épistémique

22 Développer des actions collaboratives
DANS UN ORGANISME COMMUNAUTAIRE :
Par Mathilde Manon // doctorante en études urbaines et Grégoire Autin // chercheur, coordonnateur de la recherche à Parole d’excluEs Activité citoyenne de Parole d’excluEs à Montréal-Nord.
Photo
: Parole d’excluEs

Depuis 2006, l’organisme Parole d’excluEs œuvre à la mise sur pied de projets collectifs afin de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, dans des quartiers défavorisés de Montréal. Alliant recherche-action et mobilisation citoyenne, l’organisme part de la parole citoyenne pour développer des actions par et pour les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale, adoptant une posture de justice épistémique. Par posture de justice épistémique, nous entendons une volonté et un effort de donner du crédit à l’expérience des personnes vivant une situation de pauvreté et d’exclusion sociale, et de mettre en val eur leurs idées et leurs savoirs pour remédier aux enjeux du quartier. Le fait de donner une crédibilité à une parole provenant de personnes rarement entendues, trop peu écoutées, du fait de leur statut économique, de genre, de leur couleur de peau ou appartenance cul turelle, de leur lieu de résidence ou de leur niveau de diplomation, nous semble s’inscrire directement dans la vision de justice sociale de cet organisme.

1PARTIR DE LA PAROLE CITOYENNE POUR TRANSFORMER

LE QUARTIER : UNE POSTURE DE JUSTICE ÉPISTÉMIQUE

Le concept de justice épistémique est difficile à définir. Il se lit plutôt par la négative, à partir des inégalités de valeur ac cordées aux expériences, savoirs ou idées en rapport au statut social, de genre, racial ou encore économique des personnes qui les expriment. Les inégalités épistémiques entraînent une incapacité à témoigner de vécus ou d’expériences, mais aussi une incapacité collective à entendre et donner du crédit à la parole de certaines personnes et certains groupes1. Les effets sur la vie de ces personnes sont négatifs : incapacité de déposer une plainte pour les femmes victimes d’agression sexuelle, invisibilisation du racisme vécu par les personnes racisées ou encore persistance de pratiques discriminatoires dans les services publics. Par exemple, au cours d’une étude sur les services de santé à Montréal-Nord, Heck et Lapalme (2017) ont récolté le témoignage de personnes disant ne pas se sentir écoutées ni prises au sérieux par les professionnels de la santé2 . En résultaient des discriminations dans les traitements accordés à ces personnes, pouvant aller jusqu’à une mauvaise prise en charge de leurs problèmes de santé.

En donnant la parole aux personnes en situation d’exclusion sociale et de pauvreté, Parole d’excluEs cherche à lutter contre ces inégalités épistémiques et à redonner du pouvoir à celles et ceux qui vivent directement les conséquences des inégal ités sociales et économiques. La parole citoyenne sert de base à la compréhension des enjeux locaux, et les actions mises en œuvre avec les personnes concernées sont basées sur les besoins et aspirations citoyennes.

2LA MISE EN PRATIQUE D’UNE POSTURE : CROISER LES SAVOIRS POUR PASSER À L’ACTION

Parole d’excluEs reconnait la complémentarité des savoirs en mobilisant plusieurs formes de savoirs :

• les savoirs des citoyens et citoyennes, vivant sur le territoire (on parle ici de leurs expériences des enjeux locaux, mais aussi de leurs idées pour y remédier);

• les savoirs des praticiens et praticiennes intervenant sur le territoire (notamment les personnes du milieu communautaire);

• les savoirs académiques, qui allient les capacités d’analyse des chercheurs et chercheures avec leurs connaissances théoriques.

Aucun de ces trois types de savoirs, pris de façon isolée, ne suffit à saisir l’ensemble des problématiques sociales du quartier. Leur croisement conduit à une connaissance collec tive et une vision commune des enjeux et des solutions possi bles pour les affronter. Cette approche ne vise pas seulement la production de connaissances3: il s’agit surtout de renforcer la capacité d’agir des acteurs locaux, y compris des personnes résidentes du quartier, et de passer à l’action afin de trans former leur quartier. C’est en ce sens que ce croisement des savoirs concrétise la posture de justice épistémique de Parole d’excluEs et la met en pratique.

1 Kidd, Medina, and Pohlhaus, The Routledge handbook of epistemic injustice. Routledge, 2017 / Fricker, Miranda. Epistemic injustice: Power and the ethics of knowing. Oxford University Press, 2007. Godrie, Baptiste et Dos Santos, Marie « Présentation : inégalités sociales, production des savoirs et de l’ignorance ». Sociologie et sociétés 49, no 1 (2017) : 7–31. https://doi.org/10.7202/1042804ar

2 Heck et Lapalme, « Étude sur les besoins et aspirations des citoyenNEs en termes de services de santé à Montréal-Nord. Vers un service complémentaire de santé dans le quartier », Blogue IUPE, 2017 : http://www.parole-dexclues.ca/wp-content/uploads/2020/08/Heck-Lapalme-ServiceSante-2017.pdf

3 Voir ainsi les différentes publications sur le blogue de l’IUPE : https://iupe.wordpress.com/

23Développer des actions collaboratives

UN OBJECTIF SIMPLE, DE GRANDS DÉFIS

Donner la parole aux personnes en situation d’exclusion sociale, construire avec elles les solutions qui vont améliorer leur cadre et leurs conditions de vie; ces objectifs peuvent sembler simples. Mais l’analyse de la posture de justice épistémique de Parole d’excluEs révèle un certain nombre de défis dans la pratique.

L’effort à faire pour inverser les dynamiques de pouvoir très an crées au sein des groupes est grand. Le partage de la parole et du leadership entre les citoyens et citoyennes impliqués dans l’organisme demande une vigilance constante. Ainsi, les per sonnes les plus diplômées ou maitrisant le mieux le français par exemple, prennent plus de place dans les discussions alors que d’autres personnes ayant une moins grande confiance dans leur capacité d’expression se mettent en retrait du groupe.

L’organisme souhaite amener des personnes diverses à se ras sembler autour d’une vision commune des enjeux locaux et à bâtir des projets communs. Cependant, l’hétérogénéité des opinions ou des manières de s’exprimer peut conduire à des tensions et conflits, que les praticiens et praticiennes doivent désamorcer.

Enfin, ceux-ci ont témoigné d’une tendance, celle de se ras sembler en fonction du genre ou de l’appartenance ethnocul turelle. Ce dernier défi souligne la nécessité pour l’organisme de réfléchir à ses pratiques, pour envisager la non-mixité com me une étape nécessaire du processus de prise de parole de certains groupes et de la mise en commun des vécus.

COCONSTRUIRE UN OUTIL DE RÉFLEXION SUR LA JUSTICE ÉPISTÉMIQUE

Dans une deuxième phase de cette recherche, nous cherchons à coconstruire avec l’équipe de travail de Parole d’excluES, un outil permettant d’orienter les décisions prises par l’organisme dans une perspective de justice épistémique. Il prend la forme d’une boussole, dont les points cardinaux et intercardinaux sont des questions permettant d’explorer la place que chacun des savoirs et des personnes qui détiennent ces savoirs pren nent dans l’action. Plutôt qu’un outil d’évaluation, cette bous sole est un moyen d’analyser en continu la place de chacun et chacune dans les décisions qui sont prises par l’organisme. Nous avons testé la boussole avec l’équipe de Parole d’excluEs et des chercheurs et chercheures proches de l’organisme, sur le projet de Magasin Général, un point de services mul tiples allant de l’alimentation à du soutien et référencement en santé, mené par un groupe de citoyen. Le point cardinal « Qui parle? » a montré que le leader du groupe, impliqué de longue date dans l’organisme, semble très outillé pour mener à bien le projet, notamment parce qu’il a reçu une formation de leadership partagé. À la question « Qui fait? », nous avons vu que les citoyens et citoyennes impliqués dans le projet étaient en majorité des personnes d’origine québécoises blanche vivant dans une situation de pauvreté et d’exclusion sociale. Néanmoins, ces personnes ont fait l’effort de sonder les au tres résidents du quartier afin de connaître leurs besoins pour adapter les services offerts par le magasin général. Répondre aux questions de la boussole permet d’explorer les angles morts de ce projet et de remarquer qu’il ne rejoint pas toute la diversité culturelle du quartier.

Nous allons continuer à expérimenter cet outil et produire un guide d’utilisation. Nous espérons ainsi pouvoir le transférer et le rendre utile à d’autres milieux souhaitant rendre visibles et audibles les voix de celles et ceux qui ne sont pas suffisam ment entendus et écoutés.

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En donnant la parole aux personnes en situation d’exclusion sociale et de pauvreté, Parole d’excluEs cherche à lutter contre ces inégalités épistémiques et à redonner du pouvoir à celles et ceux qui vivent directement les conséquences des inégalités sociales et économiques.
24 Développer des actions collaboratives

LE COMMENTAIRE DE RENELLE BÉLISLE

Renelle Bélisle est directrice générale du Centre de formation de Cochrane-Iroquois Falls (Ontario) depuis 2014. Elle a accepté de commenter l’article de Mathilde Manon et de Grégoire Autin sur la justice épistémique et de partager sa propre vision de cette problématique.

La justice épistémique, ou peut-être plutôt les injustices épistémiques touchent surtout les per sonnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale. Beaucoup des personnes qui fréquentent les centres de formation francophones dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) vivent ce type d’injustice. Non seulement les personnes qui appartiennent à des groupes sociaux ou de genre minoritaires (par exemple, les personnes autochtones, racisées, d’appartenance LGBTQ+ ou encore en situation de handicap) mais aussi celles qui souffrent de dépression ou de bipolarité, ou encore les per sonnes ayant des handicaps cognitifs.

Les approches collaboratives sont un cadre im portant pour l’AFB. Elles donnent une voix aux personnes apprenantes qui fréquentent les centres d’AFB et se fient à leur vécu, à leurs expériences.

Je trouve très intéressante l’expérience de Parole d’excluEs pour travailler sur les problématiques sociales d’un quartier.

J’ai lu un commentaire d’Isabel Heck1 dans un arti cle du Devoir sur Parole d’excluEs2 qui rejoint tout à fait notre expérience au Centre de formation de Cochrane-Iroquois Falls. Elle mentionnait que les chercheurs et chercheuses qui vont sur le terrain ne savent pas sur quoi ils et elles vont travailler : « C’est vraiment le savoir récolté dans la commu nauté qui va dicter les priorités d’actions de Parole d’excluEs, et non le contraire, et c’est comme ça également que nous avons fonctionné lorsque la pandémie a frappé ».

C’est exactement ce qui nous est arrivé à Cochrane. On voulait continuer coûte que coûte à soutenir nos personnes apprenantes et à offrir les services du Centre. Alors on leur a demandé quels étaient leurs besoins et leurs attentes et ça a été notre point de départ pour nous adapter, adapter nos outils et nos façons de faire. Par exemple, nous avons communi qué chaque semaine par téléphone avec elles pour garder le contact et déterminer de quelle façon leur formation pouvait se poursuivre. On a poursuivi beaucoup de choses en ligne, en fournissant par fois un ordinateur ou une tablette, mais on a aussi fait des formations à l’extérieur ou donné des clés USB contenant du matériel.

Je suis convaincue que les personnes qui vivent en situation de pauvreté et d’exclusion sociale doivent être des acteurs dans le développement des programmes qui leur sont destinés. C’est vrai pour l’alphabétisation et la formation de base (AFB), mais c’est aussi vrai pour toutes les initia tives de lutte contre la pauvreté.

1 Isabel Heck est chercheure et professeure associée à l’UQAM. Elle a dirigé pendant sept ans l’Incubateur universitaire de Parole d’excluEs (IUPE) et elle est membre associée du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES).

2 Catherine Martellini, 27 mars 2021, « Parole d’ExcluEs : pour une justice épistémique »,

Le Devoir : www.ledevoir.com/societe/597530/parole-d-exclues-pour-une-justice-epistemique.

25Développer des actions collaboratives

CONSTRUIRE UNE ÉQUIPEde projet performante

En 2019, la COFA a initié un nouveau projet de Centre de ser vices pour l’est de l’Ontario. Initialement pensé comme un guichet unique multiservices sur le modèle de « Fonce.ca Nord », il a commencé par un état des lieux réalisé avec des fournisseurs de services de l’Est ontarien pour identifier les besoins et les services disponibles en AFB dans la région. Lors des consultations menées par la COFA, les partenaires ont plutôt souhaité s’orienter vers un projet mené par des équipes performantes, destiné à mieux cibler les publics d’adultes qui pourraient avoir un intérêt à améliorer leurs compétences dans les communautés francophones. Ce nouveau projet se terminait fin octobre 2022.

1. UN ENGAGEMENT ORIENTÉ VERS L’ACTION

Une équipe performante se fixe un objectif spécifique et réalisable, assorti de jalons de progression précis. Elle décompose les projets complexes en sous-productions à court terme et se fixe un rythme de production rapide.

2. TESTER, ÉCHOUER ET S’ADAPTER RAPIDEMENT

(« TEST FAST, FAIL FAST, ADAPT FAST »)

Pour assurer sa réussite, l’équipe doit tester rapidement ses concepts et ses versions Béta, tirer les leçons de sa « mise en marché » et passer rapidement à l’étape suivante pour tester et affiner à nouveau son produit. Elle doit faire preuve d’une tolérance au risque élevée.

3. COMPLÉMENTARITÉ

Une équipe performante doit mobiliser les compétences requises pour chaque produit ou sous-produit du projet. Elle doit intégrer des perspectives différentes. Les membres vont con tribuer de manière complémentaire à l’objectif commun à atteindre et la somme de leurs contributions donnera donc un meilleur résultat.

En avril 2022, le comité encadreur de ce projet, « Fonce de l’Est », a lancé une première équipe de travail, pensée comme une « équipe performante », avec un modèle de fonctionne ment collaboratif. Sa mixité, son approche terrain et les ob jectifs de résultats à court terme garantissaient une bonne motivation de ses membres. Ces types d’équipes sont pensées sur le modèle des entreprises en démarrage (ou start-ups).

Leurs principales caractéristiques ont été détaillées dans le rapport « Information, Assessment and Referral Services in Eastern Ontario and Collaborative Model » écrit par Matthieu Brennan de Brynaert, Brennan & Associé.e.s, Ottawa, en décembre 2021.

4. RÉSILIENCE

L’équipe doit être agile et bien se débrouiller dans les situa tions ambiguës. Elle doit procéder par essais et erreurs et rester résiliente pour atteindre son objectif.

5. STRUCTURE

La structure des équipes performantes et leur fonctionne ment sont comparables à ceux d’une entreprise en démarrage (Start-Up). Une start-up doit nécessairement passer par cer taines étapes pour se lancer en affaires. Un parcours similaire pour les prestataires de services en AFB est proposé comme modèle de fonctionnement dans la section suivante.

Photo : Jason Goodman, Unsplash

LES PARALLÈLES ENTRE UNE START-UP ET UNE ÉQUIPE PERFORMANTE

START-UP

La start-up a un chef d’entreprise, un noyau de développeurs ou un groupe d’investisseurs providentiels (Angel investors) qui lui apportent leur expertise.

POUR UNE ÉQUIPE PERFORMANTE

La combinaison gagnante : L’équipe mobilise l’expertise liée à la tâche.

Lorsque la tâche est terminée, l’équipe se dissout. L’équipe suivante est formée par ceux des membres qui ont l’expertise nécessaire.

Dans notre cas, un comité encadreur joue le rôle d’investisseur providentiel (Angel Investor) et assure la continuité du travail des équipes. Les commissions de planification de la main-d’œuvre pourraient être une voie à explorer.

Elle saisit une opportunité, une idée, un besoin.

L’équipe reconnaît le besoin commun d’élargir la clientèle francophone. Focus : zones géographiques, segments de clientèle, nouveaux produits.

• La Start-up développe rapidement des prototypes à tester sur le terrain.

• Elle maintient des boucles de rétroaction étroites entre les concepteurs et les utilisateurs.

• Elle développe un plan d’affaires itératif qui intègre rapidement les leçons apprises.

L’étude de marché constitue une partie du plan d’affaires.

La start-up développe et affine sa compréhension du comportement des utilisateurs.

Elle redéfinit constamment sa compréhension des besoins à satisfaire.

La Start-up travaille avec les ressources disponibles.

Elle recherche des fonds auprès d’inves tisseurs providentiels (Angel investors).

Elle s’assure d’avoir une croissance organique.

• L’équipe élabore un cadre de travail collaboratif de type « Charte de projet » ou « Charte d’équipe ».

• Elle assure la complémentarité de ses forces, de son expertise et de ses ressources.

• Elle attribue les attentes et les rôles respectifs selon une matrice MAR1.

• Elle établit un protocole de communication.

Les étapes d’une équipe de projet d’étude de marché réussie :

1. L’équipe recherche et découvre des informations;

2. L’équipe analyse les données et élabore des profils d’utilisateurs types;

3. Elle modélise le format de produit souhaité;

4. Elle l’expérimente;

5. Elle évalue et évolue avec les résultats obtenus.

L’équipe réalise les montages financiers :

1. Exploration pour le Financement initial - Exploration et concepts;

2. Financement de la validation du concept;

3. Financement de la mise en marché;

4. Financement de l’expansion.

1 Une matrice d’attribution des responsabilités qui indique les rôles et responsabilités des intervenants au sein de chaque processus et activité.

27Développer des actions collaboratives

La ruchée : un projet innovant POUR DÉVELOPPER ET RENFORCER

L’ENSEIGNEMENT DES ARTS EN FRANÇAIS

Le laboratoire d’éducation artistique

La ruchée est une initiative portée par la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF). La ruchée a été pensée pour trouver des solutions concrètes au développement et au renforcement de l’enseignement des arts en français au Canada. Elle vise à partager son expertise à l’échelle nationale pour en faire bénéficier toutes les communautés en francophonie minoritaire au pays.

Durant la première phase de La ruchée, qui s’est déroulée de 2020 à 2022, sept équipes performantes, composées de trois à six membres ont réfléchi et testé des services d’appui et d’accompagnement à l’enseignement des arts. Chaque équipe performante avait comme mandat de développer une solu tion pour aider à contrer un enjeu spécifique du domaine de l’enseignement des arts, comme le manque de formation en enseignement des arts ou la faible reconnaissance des com pétences transversales des artistes. Elles étaient composées de personnes œuvrant dans les domaines des arts et de la culture et de l’éducation partout au Canada.

Le 29 mars 2022, la

a célébré les résultats de la toute première phase de La ruchée,

28 Développer des actions collaboratives
FCCF
avec un événement virtuel à Ottawa.
Photo : Dany Lepage, 2022

JEAN-PIERRE DURETTE,

participant au projet du laboratoire d’éducation artistique La ruchée, a souhaité partager son expérience dans une équipe performante. Il a été membre de l’équipe d’accompagnement du développement de prototypes durant la phase 1 (2020-2022) de La ruchée. Il est natif de Sudbury, où il réside. Durant ses années de carrière, dont 28 ans en éducation et 20 ans en administration, il a porté plusieurs chapeaux, dont ceux de directeur d’écoles élémentaires, secondaires, alternatives et pour adultes, de formateur pour les directions d’école, de conseiller pédagogique et d’enseignant de mathématiques, de sciences, d’informatique, de design, de technologie et d’anglais. Très impliqué dans les dossiers de l’éducation des adultes, de l’éducation permanente et de l’apprentissage virtuel au niveau provincial, il a fait partie de plusieurs conseils d’administration, dont celui de la Coalition ontarienne de la formation aux adultes (COFA).

VOUS AVEZ PORTÉ PLUSIEURS CHAPEAUX DURANT VOTRE CARRIÈRE : DIRECTEUR, ENSEIGNANT EN MATHÉMATIQUES ET EN TECHNOLOGIE, CONSEILLER PÉDAGOGIQUE... QU’EST-CE QUI VOUS A AMENÉ À PARTICIPER AU LABORATOIRE D’ÉDUCATION ARTISTIQUE LA RUCHÉE?

Durant ma carrière, je n’ai pas travaillé directement dans le do maine artistique. Cependant, en tant que fier Franco-Ontarien, j’ai toujours été à la recherche d’occasions et d’opportunités de collaborer avec le domaine artistique. Dans un contexte éducatif, les arts font cheminer la connaissance et favorisent la rétention de la culture canadienne-française chez les élèves. La ruchée a donc piqué ma curiosité.

QUELLE ÉTAIT LA MISSION DE VOTRE ÉQUIPE D’ACCOMPAGNEMENT AU SEIN DE LA RUCHÉE ?

Notre équipe avait tout d’abord le mandat de mettre en place un processus d’appel d’offres de prototypes, c’est-à-dire de solutions pour contrer les enjeux en enseignement des arts. De plus, nous avions pour mission d’accompagner des équipes performantes afin d’optimiser les chances de succès de leur prototype en développement. Nous devions aussi dégager des apprentissages de ces expériences pour la suite de La ruchée.

QUELLES SONT VOS OBSERVATIONS SUR LE PROCESSUS ET LA STRUCTURE DES ÉQUIPES PERFORMANTES?

La structure des équipes performantes a nécessité une adap tation pour plusieurs membres des équipes. Rappelons que les membres des équipes avaient un mandat à temps partiel pour La ruchée. Plusieurs d’entre eux occupaient donc, en parallèle, des emplois à temps plein. Pouvoir travailler ensemble de façon constante sur une longue période est très important. Il faut une certaine continuité dans le travail pour arriver à respecter les échéances, tout en tenant compte des vies occupées de ses coéquipiers et coéquipières. Une personne chef-d’équipe avec de la disponibilité et une habileté à faire des suivis rapides facilite aussi la communication.

La composition des équipes, qui rassemblaient des membres ayant une variété d’expériences professionnelles et person nelles, était très intéressante. Ça contribuait à des discussions très riches et ça stimulait la créativité. J’ai souvent dit pendant le projet : « Osez rêver! » Quand les gens se rassemblent et parta gent leurs expériences, ça permet de faire des remue-méninges et de susciter des idées originales.

29Développer des actions collaboratives
Voici ses réponses à nos questions :
J’ai souvent dit pendant le projet : « Osez rêver! » Quand les gens se rassemblent et partagent leurs expériences, ça permet de faire des remueméninges et de susciter des idées originales.

AVEZ-VOUS DES APPRENTISSAGES À PARTAGER SUR LA COLLABORATION À LA SUITE DE VOTRE EXPÉRIENCE D’ACCOMPAGNATEUR ET DE MEMBRE D’UNE ÉQUIPE PERFORMANTE?

Les relations humaines sont très importantes. Avoir l’oppor tunité d’apprendre à connaître son interlocuteur facilite les communications franches et ouvertes. J’ai eu l’occasion de connaître des gens impliqués dans diverses facettes du projet, ce qui a facilité l’accompagnement des équipes.

Lorsque l’accompagnement de certaines équipes était moins évident, il était important de bien pratiquer l’écoute active afin de mieux adapter nos communications et nos interventions. Il s’agit de savoir quand et comment intervenir selon les méthodes de travail, les sensibilités à des sujets politiques ou autres par ticularités. Il est important d’établir un respect mutuel.

J’ai pu mettre à profit mon expérience professionnelle. Je ne suis pas un artiste professionnel. Cependant, je peux adopter le point de vue d’un directeur d’école, et parler de la manière dont on reçoit les artistes dans les écoles. J’ai expérimenté diverses facettes du monde, de l’éducation et de l’enseigne ment pendant ma carrière. J’avais donc ce luxe de voir les choses sous différents angles dans mon accompagnement des membres des équipes de La ruchée.

Bref, quand les gens sont passionnés, je peux travailler avec eux de n’importe quelle manière, n’importe quand.

QUELS SONT SELON VOUS TROIS INGRÉDIENTS CLÉS À UNE BONNE COLLABORATION D’ÉQUIPE?

Évidemment, l’ouverture d’esprit! Il faut aussi un certain courage pour ne pas avoir peur de faire des erreurs en collaboration d’équipe. Et un bon sens de l’humour. N’oublions pas la créativité : on ne peut pas s’attendre à un résultat différent quand on fait mille fois la même chose.

Pour en savoir plus sur les initiatives et activités du laboratoire La ruchée : laruchee.ca

30 Développer des actions collaboratives
AU COURS DE L’AUTOMNE 2022, LA RUCHÉE A ENTAMÉ SA DEUXIÈME PHASE (2022-2024). ELLE TESTERA SUR LE TERRAIN DES PROJETS PILOTES QUI VISENT À RENFORCER L’ENSEIGNEMENT DES ARTS ET PAR LES ARTS DANS LES ÉCOLES DE LA FRANCOPHONIE CANADIENNE ET ACADIENNE.
Bref, quand les gens sont passionnés, je peux travailler avec eux de n’importe quelle manière, n’importe quand.

APPRENTISSAGES collaboratifs

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PARTAGE ET RÉCIPROCITÉ DES APPRENTISSAGES POUR COCONSTRUIRE une thèse de doctorat

Récemment diplômée d’un doctorat en communication sociale et publique, Ingrid a travaillé auprès d’enfants et de familles immigrantes et réfugiées pendant près de 10 ans. Ses intérêts de recherche s’articulent autour des populations marginalisées et sont ancrés dans des approches collaboratives, intersectionnelles, décolonisées et anti-oppressives. Elle cherche une posture située et réflexive dans sa pratique professionnelle et ses recherches, ainsi que dans sa vie personnelle.

Voici un aperçu de son expérience de recherche.

Il y a quelques années, j’ai fait une maîtrise en étude des pra tiques psychosociales à l’Université du Québec à Rimouski. Une maîtrise pour réfléchir sur nos pratiques personnelles et professionnelles, de façon individuelle et collective. Elle nous donnait l’occasion de faire de nos savoirs expérientiels, profes sionnels, des savoirs valides « scientifiquement », c’est-à-dire construits selon une rigueur imposée par le milieu académique. J’y ai appris la possibilité de contribuer aux savoirs scientifiques par le partage des savoirs tacites, « cachés dans l’agir pro fessionnel »1 et dans l’expérientiel2 . J’y ai appris aussi l’impor tance du groupe pour réaliser un travail réflexif, pour le partage et la réciprocité des apprentissages, pour construire notre pensée critique. Quelques années plus tard, des questions ancrées dans mon expérience personnelle d’immigrante et de professionnelle travaillant avec des personnes immigrantes et réfugiées m’ont amenée à m’inscrire au doctorat.

S’ADAPTER À L’ESPACE ACADÉMIQUE

D’abord très résistante à cet espace académique auquel je ne me sentais pas appartenir en tant que praticienne, et auquel je n’étais pas certaine de vouloir m’identifier ou être identifiée, j’ai eu la chance d’être accompagnée par une directrice de thèse très ouverte aux approches collaboratives en recherche et à l’importance d’intégrer les savoirs issus de la pratique dans le contexte académique. Je souhaitais réaliser ma recherche

doctorale au sein de mon milieu professionnel et il était évi dent, dès le début, que ma recherche s’incarnerait dans une démarche collaborative. Je voulais que celle-ci puisse prendre en compte les voix des personnes accompagnées dans le milieu (les parents immigrants et réfugiés) et celles des per sonnes accompagnantes (ou personnes intervenantes). J’ai lu beaucoup sur les approches participatives, partenariales, collaboratives en recherche. Des termes similaires pour des approches comportant chacune leurs spécificités.

J’ai choisi d’utiliser l’approche collaborative de Desgagné3 parce qu’elle me permettait de prendre en compte les intérêts des personnes participantes sans leur imposer de participer à toutes les étapes. Le manque de temps étant une notion récur rente chez les parents et les personnes accompagnantes de mon milieu de travail, j’anticipais la difficulté de leur demander une implication aux étapes de définition de la problématique de recherche, d’analyse et de diffusion. Toutefois, il était important que les personnes participantes puissent vérifier, valider ou corriger les propos qu’elles avaient tenus lors d’entretiens individuels, et commenter, compléter les résultats qui émergeaient de ces premières rencontres lors d’entrevues de groupe.

1 Schön, D. A. (1994). Le praticien réflexif : à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Logiques.

2 Galvani, P. (2006). L’exploration des moments d’autoformation : prise de conscience réflexive et compréhension dialogique. Éducation permanente, 3(168), 59 73.

3 Desgagné, S. (2007). Le défi de coproduction de savoir en recherche collaborative. Autour d’une démarche de reconstruction et d’analyse de récits de pratique enseignante. Dans Anadon, M. (dir.)

La recherche participative. Multiples regards (p. 89 121). Presses de l’Université du Québec.

32 Apprentissages collaboratifs

RÉALISER UNE ŒUVRE COLLECTIVE

À l’issue du terrain de recherche, j’ai rassemblé l’ensemble des personnes participantes pour une rencontre finale dans laquelle je leur exposais les résultats de la recherche, résultats qu’elles pouvaient interroger et commenter, et dans laquelle nous avons réalisé une œuvre collective symbolisant la théma tique de ma recherche, c’est-à-dire l’accompagnement en con texte de diversité culturelle. Une personne m’a ainsi indiqué que les intervenants n’étaient pas les seuls à trouver difficiles les partages de vécus traumatiques par une femme dans un groupe. Les autres participantes présentes sont elles aussi touchées et n’ont pas les ressources pour prendre soin de ce qu’éveille en elles la réception de ce type de témoignages. C’est un angle mort de ma recherche que j’ai pu intégrer à ma thèse grâce à cette participante. Nous coconstruisions ainsi les résultats de la recherche.

Tout au long de mon doctorat, les nombreuses lectures, mais également les pairs rencontrés et les conférences auxquelles j’ai participé m’ont permis de m’éduquer sur les mouvements féministes4, intersectionnels5 et anti-oppressifs6, sur la recher che avec les Premiers peuples7, sur les approches décolo niales8 et critiques9. Des mouvements et approches qui ont largement contribué à construire ma posture de praticienne

et de chercheuse, tout du moins à théoriser une posture vers laquelle je tendais et à m’autoriser à me situer dans des courants de recherche non neutres10. S’il était trop tard pour modifier ma méthodologie de recherche, je pouvais tout au moins adapter l’angle à partir duquel j’analysais mes données et rédigeais ma thèse.

UNE PRISE DE CONSCIENCE

Travailler avec des familles immigrantes et réfugiées et comprendre les enjeux qu’elles rencontraient dans leur parcours migratoire m’amenait à prendre conscience du système colonial et patriarcal dans lequel nous évoluons. Cela remettait alors en cause la façon même dont sont construits les savoirs scientifiques. Les approches décoloniales venaient réconcilier la chercheuse/praticienne que j’étais et qui résistait initialement au milieu académique. Les approches critiques me donnaient de nouvelles perspectives à considérer tant dans ma pratique professionnelle que dans ma recherche. C’est donc à partir de ces approches, mais aussi en laissant émerger le sens des données recueillies auprès des personnes participant à ma recherche, que les savoirs des parents immigrants et des personnes accompagnantes ont pris leur place dans ma recherche. En analysant les résultats, de nombreux éléments cités par les parents et par les personnes accompagnantes relataient des savoirs des uns et des autres. Ils devenaient des incontournables de mon projet pour expliquer la construction de la relation d’accompagnement entre les parents et les personnes intervenantes.

4 Bourassa-Dansereau, C. (2019). L’intervention interculturelle féministe : intervenir en conciliant les enjeux interculturels et de genre. Dans La psychologie interculturelle en pratiques (Mardaga, p. 251 263).

5 Marchand, I., Corbeil, C., Boulebsol, C. et Fédération des maisons d’hébergement pour femmes. (2020). L’intervention féministe à l’ère de l’intersectionalité. https://interventionfeministe.com Hill Collins, P. (2016). La pensée féministe noire. Les éditions du remue-ménage.

6 Tremblay-Marcotte, Y. et Mehreen, R. (2020). Accompagner la formation en travail social. Quelques ressources pour soutenir la lutte au racisme. (C. Chesnay & L. Rachédi, dir.). École de travail Social de l’UQAM.

7 Basile, S. et Robertson, F. (2012). Lignes directrices en matière de recherche avec les femmes autochtones. Femmes autochtones du Québec.

8 Coenga Oliveira, D. (2019). Épistémologies du Sud, pensées et féminismes décoloniaux latinoaméricains. Revue Possibles, 43(2), 61 73. Grosfoguel, R. et Cohen, J. (2012). Un dialogue décolonial sur les savoirs critiques entre Frantz Fanon et Boaventura de Sousa Santos. Mouvements, (4), 42 53.

9 Montgomery, C. et Agbobli, C. (2017). Mobilités internationales et intervention interculturelle : conceptualisations et approches. Dans Mobilités internationales et intervention interculturelle: Théories, expériences et pratiques (p. 29 50). Presses de l’Université du Québec.

Halualani, R. T. et Nakayama, T. K. (2013). Critical intercultural communication studies. At a crossroads. Dans T. K. Nakayama et R. T. Halualani (dir.), The handboof of critical intercultural communication (p. 1 19). Wiley-Blackwell.

10 Brière, L., Lieutenant-Gosselin, M. et Piron, F. (dir.). (2019). Et si la recherche scientifique ne pouvait pas être neutre? Sciences et Bien Commun. http://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/34463/1/Et-si-la-recherche-scientifique-ne-pouvait-pas-être-neutre-FINALE._print.pdf

33Apprentissages collaboratifs
J’ai eu la chance d’être accompagnée par une directrice de thèse très ouverte aux approches collaboratives en recherche et à l’importance d’intégrer les savoirs issus de la pratique dans le contexte académique.

COCONSTRUIRE LA RELATION D’ACCOMPAGNEMENT

J’observais alors un modèle de coconstruction de la relation d’accompagnement (Figure 1) : une réciprocité, une circularité et un partage des savoirs entre parents et personnes inter venantes qui participaient à construire la relation11; une pos ture d’équivalence dans laquelle la personne intervenante se laisse transformer par la rencontre des parents et les accom pagne, c’est-à-dire travaille AVEC eux; une posture d’humilité et une recherche d’égalité, passant par la reconnaissance des privilèges induits par le statut de personne intervenante; la reconnaissance du pouvoir oppressif créant des situations de vulnérabilité chez les familles et la reconnaissance du pouvoir d’agir des parents par les personnes intervenantes. Cette rela tion coconstruite est une relation dans laquelle chacun, parent accompagné ou personne intervenante, se laisse transformer

et participe au changement social. Une relation dans laquelle l’ensemble de ces personnes coconstruisent des savoirs es sentiels à leur relation, essentiels à l’accompagnement des situations de vulnérabilité traversées par les familles, plus ou moins, tôt dans leur processus d’installation au Canada.

C’est alors à travers tout ce cheminement doctoral que la co construction des savoirs s’est imposée à moi comme l’une des manières de m’engager dans une approche décoloniale, antioppressive de recherche, de participer au changement de paradigme de la science, vers une science plus ouverte, acces sible et inclusive. Une posture et une perspective que je tente d’incarner et de transmettre dans les différents milieux profes sionnels que je fréquente afin de prendre part au changement nécessaire pour une société plus juste.

11 La réciprocité se remarquait par l’échange réciproque de savoirs : c’est-à-dire que les personnes accompagnantes transmettent des savoirs aux parents dans la relation d’accompagnement, et les parents transmettent également des savoirs aux personnes accompagnantes.

La circularité des savoirs apparaissait dans les entrevues des personnes participant à la recherche comme des savoirs qui circulent entre personnes accompagnantes, entre parents, mais aussi entre personnes accompagnantes et parents, dans les réseaux transnationaux des parents et des personnes accompagnantes, etc.

34 Apprentissages collaboratifs
Figure 1 - Modèle de coconstruction de la relation d’accompagnement. (Lathoud, 2022)
C’est alors à travers tout ce cheminement doctoral que la coconstruction des savoirs s’est imposée à moi. Adaptation des rôles complémentaires et réciproques Agissent sur les dimensions Favorisent Participent Soutiennent Rôle des accompagnant.es MICRO : renforcer le pouvoir émancipateur MACRO : reconnaître le pouvoir oppressif Rôle des parents Conditions à la relation d’accompagnement Posture d’équivalence CONSTRUCTION DE NOUVEAUX SAVOIRS / DE LA RELATION D’ACCOMPAGNEMENT EN CONTEXTE INTERCULTUREL SAVOIR DES PARENTS IMMIGRANTS ET RÉFUGIÉS ; SAVOIRS DES ACCOMPAGNANT.ES CIRCULARITÉ RÉFLEXIVITÉ RÉCIPROCITÉ TRANSFORMATION DE SOI / DE SA POSTURE ET PARTICIPATION AU CHANGEMENT SOCIAL
LE MONDE DE LA RECHERCHE ET LES MILIEUX PRATIQUES :
une solution gagnante pour tous!
Par Julie Bérubé //professeure à l’Université du Québec en Outaouais
Bâtir des ponts
entre

Mes projets de recherche s’intéressent aux milieux culturels où j’étudie par exemple les tensions identitaires vécues par les artistes entre les impératifs monétaires et les impératifs de création. J’étudie aussi les questions d’équité, de diversité et d’inclusion dans les milieux culturels. Les impacts de pan démie de la Covid-19 sur les milieux culturels ont aussi retenu mon intérêt dans les deux dernières années. Je ne peux pas étudier ces sujets sans comprendre le vécu des personnes qui œuvrent au sein de ces milieux. J’ai besoin de parler avec les acteurs de ces milieux, ils nourrissent ma réflexion. Sans leur participation active, mon rôle de chercheuse n’a plus de sens.

QU’EST-CE QUE LA RECHERCHE PARTICIPATIVE?

Mon approche de chercheuse s’insère dans le courant de la recherche participative1. Depuis une dizaine d’années, on note un intérêt grandissant pour une recherche plus inclu sive, avec des participants qui ne sont plus uniquement l’objet étudié, mais bien partie prenante de l’ensemble du processus de recherche2 . La recherche collaborative ou participative vise à réunir des chercheurs et des praticiens afin de créer un espace de co-construction des savoirs où s’enchâssent savoirs théoriques et savoirs pratiques3. Un des objectifs de la recherche participative, donc de projets communs entre des organisations et les milieux universitaires est : « de permettre la production de nouvelles connaissances, de nouveaux outils et de nouvelles méthodes visant à élaborer les meilleures con naissances ou stratégies possibles concernant divers aspects de l’intervention, de l’action, de la prestation des programmes et de l’élaboration des politiques »4. La co-construction des savoirs implique que le ou la chercheure ne dicte pas la recherche, mais que celle-ci se bâtit conjointement entre le monde de la recherche et les milieux pratiques. Audoux et Gillet5 présentent trois clés afin de déterminer si une recherche est participative. Premièrement, dans un processus de recherche traditionnelle (peu importe l’approche méthodologique), les

personnes participantes interviennent généralement au mo ment de la collecte de données. Elles ne sont donc pas partie prenante du développement de la recherche. Avec la recher che participative, les personnes participantes s’impliquent dès le début, c’est-à-dire au moment même de déterminer le thème de la recherche et elles participeront à chacune des étapes. Deuxièmement, Audoux et Gillet6 parlent de la visée de la recherche. Ils expliquent que la recherche-action a une visée transformatrice afin d’être en adéquation à la réalité des organ isations. Une visée transformatrice implique un désir d’apporter un changement réel à un secteur spécifique ou à une organi sation ou à la société en général. Il pourrait s’agir, par exemple, de revoir une politique ou encore de créer des programmes adaptés à des clientèles particulières. Ainsi, si les populations visées par une politique participent à l’ensemble du proces sus de la recherche, la nouvelle politique devrait mieux refléter leurs besoins. Dans le cadre d’un programme, il pourrait s’agir par exemple d’un programme de subvention pour des artistes : il permettra d’apporter des changements visibles aux milieux culturels en étant mieux adapté aux artistes touchés par ce programme de subvention. Audoux et Gillet7 soulignent que la recherche participative peut ou non avoir cette visée trans formatrice. Pour sa part, Plenchette8 insiste sur les effets transformateurs de la recherche participative. Troisièmement, Audoux et Gillet9 évoquent la forme et la modalité de la col laboration de la recherche collaborative : l’idée est de créer un espace de co-construction des savoirs qui permettent un rapprochement des mondes théoriques et pratiques. Cet espace implique encore une fois que les participants soient partie prenante de chaque étape de la recherche.

1 Bien que je préconise la recherche participative, mes projets ne retiennent pas tous cette approche au même niveau. Pour certains projets la participation des milieux pratiques est présente du début à la fin et pour d’autres, les milieux pratiques n’interviennent qu’à certains moments clés du processus de recherche.

2 Tremblay, D.-G., & Demers, G. (2018). Les recherches partenariales/collaboratives : Peut-on simultanément théoriser et agir ? Recherches sociographiques, 59 (1-2), 99-120. https://doi.org/10.7202/1051427ar

3 Audoux, C., & Gillet, A. (2015). Recherches participatives, collaboratives, recherches-actions. Mais de quoi parle-t-on ? In Les recherches-actions collaboratives (pp. 44-47). Presses de l’EHESP. https://doi.org/10.3917/ehesp.lesch.2015.01.0044

4 Tremblay, D.-G., & Demers, G. (2018). Les recherches partenariales/collaboratives : Peut-on simultanément théoriser et agir ? Recherches sociographiques, 59 (1-2), citation p.102. https://doi.org/10.7202/1051427ar

5 Audoux, C., & Gillet, A. (2015). Recherches participatives, collaboratives, recherches-actions. Mais de quoi parle-t-on ? In Les recherches-actions collaboratives (pp. 44-47). Presses de l’EHESP. https://doi.org/10.3917/ehesp.lesch.2015.01.0044

6 Ibid.

7 Ibid.

8 Plenchette, M. (2020). La pratique de la recherche participative et ses effets transformateurs. Les Politiques Sociales, 1-2 (1), 77-89. https://doi.org/10.3917/lps.201.0077

9 Audoux, C., & Gillet, A. (2015). Recherches participatives, collaboratives, recherches-actions. Mais de quoi parle-t-on ? In Les recherches-actions collaboratives (pp. 44-47). Presses de l’EHESP. https://doi.org/10.3917/ehesp.lesch.2015.01.0044

36 Apprentissages collaboratifs
Je suis professeure à l’Université du Québec en Outaouais (Gatineau), ce qui veut dire que mes fonctions principales sont l’enseignement et la recherche. Si les tâches qui relèvent de l’enseignement sont assez claires pour la majorité des personnes, il n’en est pas de même de la recherche. L’image caricaturale du chercheur dans son laboratoire habite l’imaginaire de certaines personnes. La recherche en laboratoire est une forme de recherche pertinente, mais il en existe plusieurs autres.

UN EXEMPLE

J’ai mené un projet de recherche sur les effets de la pandémie de la Covid-19 sur les milieux culturels en Outaouais. Cette recherche a été élaborée avec un organisme culturel local qui a participé dès le départ aux discussions. Ces personnes participantes ont établi, conjointement avec l’équipe de recherche, l’approche méthodologique et les outils de collecte des données. Il a été décidé de mener dans un premier temps des groupes de discussion : nous avons donc élaboré un guide pour mener les discussions. Les résultats de cette première collecte de données nous ont permis de développer, toujours en partenariat avec l’organisme culturel, un guide d’entrevue pour des entrevues semi-structurées. Les résultats de la recherche ont été discutés et revus avec l’organisme partenaire. Cette approche participative nous a permis de mieux cerner la réalité et les enjeux des milieux culturels.

AVANTAGES ET DÉFIS DE LA RECHERCHE PARTICIPATIVE

Est-ce qu’une telle recherche peut être qualifiée de scien tifique? Tout à fait! Le rôle du chercheur dans ce processus est de s’assurer de son caractère scientifique. La participation des milieux pratiques assure une représentation réelle de la réalité vécue. À l’issue de ce type de projets de recherche, les résultats contribuent à améliorer une situation ou à mieux comprendre ces milieux. Ultimement, la recherche doit avoir un impact positif sur la société et la participation active des milieux pratiques favorise l’atteinte de cet objectif. Un de ces impacts positifs est que les personnes participantes qui ne proviennent pas des milieux académiques estiment générale ment que la recherche participative répond mieux à leurs besoins et permet d’esquisser des pistes de solutions mieux adaptées à leurs réalités10. Obertelli11 présente un exemple réel de recherche-action collaborative dans le secteur de la con struction. La recherche s’intéressait aux risques professionnels encourus par des maçons en vue d’en améliorer la prévention. Différents groupes professionnels ont participé à la recherche, dont des conseillers en prévention, des médecins du travail et des maçons. Les résultats de la recherche ont été présentés à différents groupes professionnels où des pistes de solu tions concrètes afin de réduire les risques professionnels des maçons ont été exposées. Ainsi, la recherche participative peut permettre à la fois de dégager des savoirs académiques qui seront partagés dans le cadre de communications ou d’articles scientifiques, et des savoirs pratiques qui seront partagés lors de conférences destinées à des publics variés ou dans des rapports de recherche. Cependant, la recherche participative entraîne également des défis; Tremblay & Demers12 en identifient quelques-uns. Premièrement, les chercheurs et chercheuses peuvent parfois peiner à concilier les attentes des partenaires

et personnes participantes à celles du monde académique. Ensuite, la réalité des milieux pratiques peut amener des défis, comme les affectations qui changent parfois rapidement et qui peuvent compromettre le bon déroulement du projet. Tremblay et Demers13 rapportent également une implication parfois limitée des personnes participantes. Finalement, on peut aussi voir des tensions et négociations entre les milieux pratiques et académiques. Ces défis sont bien réels et il est important de les prendre en considération lors de l’élaboration d’un projet de recherche participative. Ultimement, la communication entre les chercheurs et chercheuses et les personnes participantes permet d’en relever plusieurs et d’avoir des projets de recher che riches qui auront un réel impact sur les milieux pratiques.

La

10 Tremblay, D.-G., & Demers, G. (2018). Les recherches partenariales/collaboratives : Peut-on simultanément théoriser et agir ? Recherches sociographiques, 59 (1-2), 99-120. https://doi.org/10.7202/1051427ar

Obertelli, P. (2015). Chapitre 7. Une recherche-action collaborative dans les métiers de gros œuvre du bâtiment. In Les recherches-actions collaboratives (pp. 66-74).

de l’EHESP. https://doi.org/10.3917/ehesp.lesch.2015.01.0066

12 Tremblay, D.-G., & Demers, G. (2018). Les recherches partenariales/collaboratives : Peut-on simultanément théoriser et agir ? Recherches sociographiques, 59 (1-2), 99-120. https://doi.org/10.7202/1051427ar

37Apprentissages collaboratifs
11
Presses
13 Ibid.
recherche doit avoir un impact positif sur la société et la participation active des milieux pratiques favorise l’atteinte de cet objectif.

LE COMMENTAIRE DE MARC L. JOHNSON

Marc L. Johnson est sociologue-conseil. À l’enseigne du cabinet Socius recherche et conseil et maintenant de PGF consultants, il a réalisé plusieurs études sur tout le continuum des besoins et des services de l’apprentissage tout au long de la vie dans la francophonie canadienne.

L’article de Julie Bérubé fait l’éloge de la recherche participative, une approche que l’on pourrait aussi qualifier de col laborative ou de partenariale. Cette ap proche de recherche se veut rigoureuse et utile. La question qu’on peut se poser est : peut-elle l’être pour le secteur de l’éducation des adultes?

Madame Bérubé estime que cette ap proche bâtit un pont entre le monde de la recherche et celui des milieux de pratique. Ce pont accueille à la fois des universitaires ou des personnes profes sionnelles qui se consacrent à la recher che, et des praticiens et praticiennes qui interviennent plutôt sur le terrain. Sur ce pont, tous ensemble, ils mènent une activité de recherche, en tout ou en partie, et construisent ainsi de nouveaux savoirs qui seront utiles aux uns comme aux autres.

J’ai eu la chance de participer à une ré flexion sur la recherche collaborative1 il y a quelques années et j’en avais alors tiré des leçons qui concordent avec celles de Madame Bérubé. Il s’agit d’une pratique de recherche qui obéit aux règles de base de la science, tout en faisant preuve d’utilité sociale. Les co chercheurs et cochercheuses ainsi réu nis se donnent les moyens de mieux comprendre des problèmes qui les préoccupent, de mieux cerner leurs be soins, de trouver des solutions transfor matrices et de les faire connaître dans leurs milieux respectifs.

Revenons donc à l’éducation des adultes. La plupart d’entre vous êtes des acteurs

et des actrices bien ancrés sur le terrain. Vos préoccupations sont de bien servir les adultes apprenants, de faciliter leurs apprentissages, mais aussi de rehausser leur estime de soi, de les rendre opti mistes face à l’avenir, peut-être même de les conscientiser aux enjeux de leur communauté francophone. Vous avez sans doute des anecdotes qui témoi gnent de l’efficacité de votre travail, vous entendez parler de méthodes et de bonnes pratiques qui se font ailleurs, mais vous n’avez pas le temps de vérifier cette information, de la comparer et d’en tirer des leçons. C’est ici que la recher che peut être utile!

Or, la recherche traditionnelle, faite en laboratoire, dans les bibliothèques ou dans le silence des officines, manque souvent d’accroche sur la réalité vécue.

Les données et les conclusions pro duites ne collent pas à votre réalité, vous semblent abstraites, désincarnées ou idéalistes. Vous n’y retrouvez pas la per spective des gens du terrain, qu’ils soient apprenants ou formateurs. La recherche collaborative vient pallier cet écart.

Dans une démarche participative ou collaborative, vous n’êtes pas invités à répondre à quelques questions de cher cheurs et chercheuses avant que ceuxci ne disparaissent dans le brouillard.

Vous êtes parmi eux, dès le départ, pour détailler le problème qui doit être étudié, pour préciser l’utilité qu’aura cette recherche, pour choisir de quelle façon réunir des données, les analyser et les interpréter, puis les communiquer aut our de vous.

Ainsi, vous pourriez par exemple vous asseoir avec des andragogues, des psy chosociologues ou des technologues afin d’étudier ce qui cloche avec les stratégies d’apprentissage numériques actuelles. Dans la mesure de vos dis ponibilités, vous participeriez alors à l’identification des personnes avec qui il serait souhaitable de parler, des situ ations qui devraient être observées et à quels moments, des groupes de com paraison ou encore, des bonnes pra tiques utilisées ailleurs qui pourraient amener un autre éclairage. Ensuite, vous pourriez participer à quelques activités de collecte des données, aider à interpréter et classer les informations recueillies, à en dégager des tendances et à formuler des conclusions, voire des recommandations pour améliorer ces stratégies. Enfin, vous pourriez parler de cette étude dans une conférence, dans un média, dans une classe ou même au cours d’une démarche envers un bailleur de fonds.

La recherche participative signifie que vous participez de façon substantielle à une vraie recherche, sur un problème réel, en compagnie de chercheurs et chercheuses chevronnés, en apportant votre expertise pour bien le comprendre et que le fruit de cet exercice vous sera utile en même temps qu’il le sera pour le monde de la recherche et, bien sûr, pour la collectivité.

Je vous invite à l’essayer!

38 Apprentissages collaboratifs
1 Johnson, M. L. (2014). La recherche collaborative. Apprentissages et guide. Ottawa : L’Alliance de recherche. Les savoirs de la gouvernance communautaire
(Université d’Ottawa).

LES COMMUNAUTÉS D’APPRENTISSAGE :désapprendre à enseigner, sereinement

Lorsque je suis entré en poste en 2021 à l’Université Saint-Paul, ma directrice de département m’a confié deux charges de cours : l’une sur les théories du leadership et l’autre sur le leadership transformatif et les communautés d’apprentissage1. Si je savais clairement à quoi renvoyait le premier cours (ayant étudié la sociologie et la gestion), le second était un mystère… Les communautés d’apprentissage, mais quel sujet ennuyant! Et puis, comment est-ce qu’on enseigne « ça », le leadership de communautés apprenantes à une vingtaine d’adultes de niveau maîtrise et doctorat?

J’ai donc commencé à faire mes devoirs pour comprendre ce à quoi pouvait bien renvoyer le concept de communauté d’ap prentissage et celui, plus tendance, d’organisation apprenante. Ma première surprise fut de constater que ces concepts, popularisés dans les années 1990, invitent à un renversement de perspective pédagogique2 : les personnes étudiantes (ou employées) ne sont plus seulement des réceptacles de con naissances développées par d’autres, mais en sont les produc trices actives. Ce renversement devient justement possible en créant des communautés d’apprentissage, c’est-à-dire « des groupes de personnes engagées dans une interaction intellec tuelle, dans le but d’apprendre3».

QUATRE INGRÉDIENTS POUR UN RENVERSEMENT PÉDAGOGIQUE

Aussi simple que puisse sembler cette définition au pre mier abord, certaines personnes penseront même que c’est ce qui se fait déjà dans n’importe quelle salle de classe; il est nécessaire de combiner quatre ingrédients pour créer le renversement pédagogique évoqué plus tôt4. Tout d’abord, il

faut concevoir l’apprentissage comme un processus collaboratif, une co-construction, rendue possible parce que chaque membre du groupe apporte sa pierre à l’édifice du savoir ou réinterprète ce qui est proposé à partir de son expérience. Pour qu’une telle co-construction soit possible, il faut aussi que le groupe s’entende sur une visée commune, que ses membres s’accordent sur ce qu’ils souhaitent apprendre ensemble (peu importe que la visée soit instrumentale; se développer comme individus ou transformative, transformer le monde autour d’eux). Pour que cet apprentissage prenne tout son sens, il doit être particulièrement pratique, en ce sens que les sujets et enjeux abordés doivent être liés à des problèmes réels qui touchent au quotidien des membres du groupe et qui les interpellent sur un plan personnel. Enfin, leur motivation sera d’autant plus grande que les personnes formeront une authentique communauté, c’est-à-dire un groupe dont elles se sentent entièrement membres, où elles peuvent exercer une influence, où leurs préoccupations sont prises au sérieux et où la présence des autres crée un soutien émotionnel. C’est à ces conditions seulement que l’on pourra décrire une commu nauté d’apprentissage comme favorisant « un apprentissage actif plutôt que passif, la coopération plutôt que la compétition, et la communauté plutôt que l’isolement5».

DES APPRENTISSAGES TRANSFORMATIFS

Avec un tel cadre théorique, il devenait impossible pour moi de donner un cours magistral. Je devais trouver des moyens de renverser la dynamique top-down de transmission des savoirs. J’ai donc inversé la classe, mais en proposant tout de même des lectures et des évaluations pour les douze semaines du cours et je me suis organisé pour donner le plus d’espace possible au partage en groupe. Pendant les cinq premières semaines

1 De manière formelle, le descriptif du cours est « Cadres théoriques des communautés d’apprentissage qui permettent de saisir les changements systémiques et sociaux. Accent mis sur le langage, la rétroaction, la vision, l’inspiration, l’influence et la créativité comme outils de changements positifs. » (Université Saint-Paul, « D.É.S. en leadership transformatif et spiritualité », Université Saint-Paul, 2022. https://ustpaul.ca/programme-new/des-en-leadership-transformatif-et-spiritualite-666.htm).

2 Sur l’idée de communauté d’apprentissage, on pourra consulter Karen Littleton, Dorothy Miell & Dorothy Faulkner (dir.), Learning to Collaborate, Collaborating to Learn, New York, Nova Science Publishers, 2004. Sur l’idée d’organisation apprenante, on pourra voir Peter M. Senge, The Fifth Discipline : The Art and Practice of the Learning Organization, New York, Currency Doubleday, 2006.

3 Traduction libre de K. Patricia Cross: « groups of people engaged in intellectual interaction for the purpose of learning », in « Why Learning Communities? Why Now? », About Campus, vol. 3, no 3, 1998, p. 4.

4 Je m’inspire ici des travaux de K. Patricia Cross, Idem, pp. 4-11; Roth Wolff-Michael et Yew-Jin Lee, « Contradictions in Theorising and Implementing Communities in Education », Educational Research Review, vol. 1, no 1, 2006, pp. 27–40; David W. McMillan et David M. Chavis, « Sense of Community: A Definition and Theory. » Journal of Community Psychology, vol. 14, no 1, 1986, pp. 6-23.

5 Traduction libre de Cross, Ibid, 1998 : p. 5. L’original se lit « active learning over passive learning, cooperation over competition, and community over isolation ».

39Apprentissages collaboratifs
Michaël Séguin est professeur adjoint à l’École Providence de leadership transformatif et spiritualité de l’Université Saint-Paul à Ottawa. Il partage dans son texte, une première expérience in vivo de communauté d’apprentissage dans le cadre de son enseignement.

de cours, j’ai alors enregistré des capsules vidéo d’environ une heure qui permettaient de faire le tour des concepts présentés dans les lectures (communauté d’apprentissage, organisation apprenante, apprentissage transformatif, pensée systémique et leadership complexe). Le temps de nos rencontres en classe ne visait plus à transmettre de la matière, mais à échanger sur celle-ci, à critiquer les théories, à les articuler entre elles et à les appliquer à nos vies. Pour y arriver, de longues périodes en petits groupes (souvent de 25 à 35 minutes) étaient accordées aux étudiants et étudiantes avant de passer à des partages en plénière. Ces longs moments de partage visaient eux-mêmes un apprentissage transformatif plutôt qu’informatif6

Pendant les cinq semaines qui ont suivi (qui portaient sur le dialogue, le storytelling, le mentorat, l’usage des arts et les com munautés d’apprentissage professionnelles comme pratiques organisationnelles), j’ai poussé cette dynamique encore plus loin en laissant aux étudiantes et étudiants le soin de produire les vidéos présentant eux-mêmes les textes de la semaine. Autrement dit, j’ai « cessé » d’enseigner en les mettant en charge de la classe inversée et je me suis limité à un rôle d’animateur des discussions de groupe, veillant par contre à ce que tout le monde participe.

LA PLUS GRANDE RÉUSSITE DE L’ANNÉE

Enfin, le « contrôle » de la classe a été presque entièrement remis entre les mains du groupe lors des deux dernières semaines où chacun et chacune était appelé à faire une présentation orale sur un sujet de son choix et à commenter les présentations de ses collègues. La seule contrainte, hormis la notation des présentations, est qu’elles devaient porter sur un sujet lié aux communautés d’apprentissage, qu’il s’agisse de réflexions théoriques, d’analyse de cas concrets ou encore de la discussion de plans d’animation de communautés d’appren tissage potentielles.

À ma grande surprise, ce cours a été ma plus grande réus site de l’année, probablement parce que j’ai accepté de lâcher prise, permis aux étudiantes et étudiants de prendre le contrôle de leur apprentissage et accepté d’apprendre d’eux un peu plus que d’habitude. Ils me l’ont bien rendu, non seulement en participant activement à chacune des séances, mais en faisant preuve d’une grande créativité dans leurs travaux. En un sens, le retrait contre-intuitif de la posture classique du prof était le prix à payer pour former une communauté d’apprentissage. Cette expérience m’a aussi permis de vérifier la validité d’un apprentissage essentiel : savoir s’effacer au bon moment est une des grandes qualités de tout leader transformatif.

LE COMMENTAIRE DE LOUISE LALONDE

Directrice générale du Centre moi j’apprends à Ottawa pendant presque 30 ans, Louise Lalonde a pris sa retraite début 2022 et participe depuis à divers projets en lien avec l’éducation des adultes francophones de l’Ontario. Elle a accepté de commenter l’article de Michaël Séguin sur les communautés d’apprentissage. Dans cet excellent article, l’auteur nous explique bien le fonctionnement d’une communauté d’apprentissage. Nos formatrices et formateurs se reconnaîtront lorsqu’il parle de processus collaboratif puisqu’ils en sont des experts! En ayant lui-même vécu cette expérience, l’auteur confirme que pour réussir l’apprentissage d’une personne adulte, il faut lui permettre d’en être partie prenante :

• Lui présenter des thématiques qui collent à sa réalité;

• Lui permettre de participer aux choix de sujets abordés;

• Lui donner l’occasion de présenter ses savoirs personnels et de les partager avec le groupe;

• Lui permettre de se sentir valorisée au sein du groupe.

L’auteur illustre bien la différence entre une approche péda gogique et une approche andragogique. Il termine en évaluant ce qu’il a retiré de ce changement d’approche et présente un bilan très positif de son expérience. Mon souhait est que tout adulte qui choisit un retour en formation puisse vivre l’expéri ence d’une communauté d’apprentissage dans son parcours.

40 Apprentissages collaboratifs
6 Robert Kegan, “What ‘form’ Transforms? A Constructive-Developmental Approach to Transformative Learning.” In Dans Contemporary Theories of Learning, sous la direction de Knud Illeris, Londres, Routledge, 2018, pp. 29-45.

Ressources

ALLONS DE L’AVANT - LE RÔLE DE L’ALPHABÉTISATION DES ADULTES DANS LE SOUTIEN DES INITIATIVES PROVINCIALES

Ce rapport, produit par Literacy Link South Central en 2022, présente les programmes d’AFB et les programmes relatifs au marché du travail et à l’apprentissage des adultes, dans le contexte de l’année 2021-2022, qui a vu une pandémie et divers autres changements dans leurs secteurs d’intervention.

https://www.coalition.ca/wp-content/uploads/2022/04/ Le-role-de-lalpha-des-adultes_2022-FINAL.pdf

RÉSEAUX RÉGIONAUX D’ALPHABÉTISATION ET COMMISSIONS DE PLANIFICATION DE LA MAIN-D’ŒUVRE : LES PARTENARIATS CONTINUENT

Cette publication de Literacy Link South Central (LLSC), porte sur les partenariats existants entre les réseaux régionaux d’alphabétisation et les commissions de planification de la main-d’œuvre, qui constituent tous deux un élément important du système d’emploi et de formation en Ontario depuis des décennies. Ce sont des organismes de réseautage, à la dif férence des autres organismes œuvrant en AFB, qui eux fournissent des services directs. Depuis 2012, les commissions de planification de la main-d’œuvre et les réseaux régionaux d’alphabétisation collaborent pour déterminer les besoins du marché du travail local et y répondre.

https://www.coalition.ca/wp-content/uploads/2022/09/

CRÉER DES LIENS ENTRE LES AGENCES

AFB ET LES EMPLOYEURS

En décembre 2021, la Community Literacy of Ontario (CLO) a publié trois fiches d’information passant en revue les obsta cles, les défis et les pratiques liés au soutien des personnes apprenantes ayant un objectif d’emploi. Chacune de ces fiches aborde un aspect précis du parcours d’emploi de ces per sonnes apprenantes adultes, ainsi que les liens possibles entre les fournisseurs de services d’AFB et les employeurs.

Fiche 1 : Obstacles à l’emploi rencontrés par les personnes apprenantes

Les personnes apprenantes adultes peuvent être confrontées à de nombreux défis et obstacles au cours de leur forma tion en AFB, et à des défis supplémentaires pour trouver un emploi qui leur convienne. Cette fiche liste les obstacles les plus fréquents.

https://www.coalition.ca/wp-content/up loads/2022/09/1-Barriers-Print-FR.pdf

Fiche 2 : Défis en matière de mise en relation des employeurs et des personnes apprenantes Cette deuxième fiche dresse la liste des obstacles à l’emploi les plus fréquemment signalés par les organismes d’AFB, comme la pauvreté, la santé mentale et physique ou encore les problèmes de transport.

https://www.coalition.ca/wp-content/uploads/ 2022/09/2-Challenges-FR.pdf

Fiche 3 : Stratégies et pratiques prometteuses La troisième et dernière fiche de la série se concentre sur les stratégies et les pratiques prometteuses des fournisseurs de services d’AFB, également répertoriées dans le rapport « Bâtir des ponts », qui contribuent à atténuer les problèmes rencon trés par les personnes apprenantes adultes sur leur voie de transition vers l’emploi.

https://www.coalition.ca/wp-content/uploads/ 2022/09/3-Strategies-FR.pdf

41
LLSC-Les-partenariats-continuent-FINAL.pdf
ressources

Les contributeurs DE CE NUMÉRO

GRÉGOIRE AUTIN

Chercheur et coordonnateur de la recherche à Parole d’excluEs Co-directeur de l’IUPE Professeur associé à l’UQAM Incubateur universitaire de Parole d’excluEs (IUPE) https://iupe.wordpress.com charge-recherche@parole-dexclues.ca

RENELLE BÉLISLE

Directrice générale Centre de formation de Cochrane-Iroquois Falls www.votrecentre.ca info@votrecentre.ca

JULIE BÉRUBÉ

Responsable de la maîtrise en administration des affaires (MBA) Professeure agrégée Université du Québec en Outaouais (UQO), Gatineau https://uqo.ca/dep/sciencesadministratives Julie.Berube@uqo.ca

RONALD BISSON

Vice-président du conseil d’administration de la Maison de la francophonie d’Ottawa Directeur des opérations Association des collèges et univer sités de la francophonie canadienne (ACUFC) https://acufc.ca rbisson@acufc.ca

NATHAN BRUNELLIÈRE

Rédaction Bilingue Pôle Soutien Opérationnel Conseil de la coopération de l’Ontario www.cco.coop nathan.brunelliere@cco.coop

JONATHAN DURAND FOLCO

Professeur adjoint École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère Université Saint-Paul d’Ottawa http://innovationsocialeusp.ca jdurandf@ustpaul.ca

MARC L. JOHNSON

Sociologue-conseil PGF consultants www.pgf.ca mjohnson@pgf.ca

LOUISE LALONDE Consultante louise1905@sympatico.ca

INGRID LATHOUD

Ph.D en communication sociale et publique ingrid@lathoud.fr

MATHILDE MANON

Doctorante en Études Urbaines Université du Québec à Montréal https://deut.esg.uqam.ca manon.mathilde@courrier.uqam.ca

MARCEL MORIN

Directeur général Maison de la francophonie d’Ottawa https://cmfo.ca marcel.morin@cmfo.ca

JOËL NADEAU

Co-directeur général de Projet collectif https://projetcollectif.ca joel@projetcollectif.ca

AMÉLIE NEAULT

Coordonnatrice de l’Atelier d’innovation sociale Mauril-Bélanger Université Saint-Paul d’Ottawa http://innovationsocialeusp.ca/atelier direction@innovationsocialeusp.ca

MICHAËL SÉGUIN

Professeur adjoint Coordonnateur des études supérieures École Providence de leadership transformatif et spiritualité Université Saint-Paul d’Ottawa https://ustpaul.ca/leadershiptransformatif.php michael.seguin@ustpaul.ca

MARIE SUZOR-MORIN

Agente de mobilisation des connaissances et soutien wiki La ruchée Fédération culturelle canadienne-française www.fccf.ca/initiatives/la-ruchee mariesuzormorin@fccf.ca

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MERCI!

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Les opinions exprimées dans cette publication ne réflètent pas nécessairement celles du ministère.

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