Carnet de résidence au CIAP à Vassivière Du 20 au 29 Juin 2018
Atelier Bivouac

Ce carnet de résidence contient des réflexions, des recherches et des références que nous avons compilées durant notre première résidence au CIAP.



Carnet de résidence au CIAP à Vassivière Du 20 au 29 Juin 2018
Atelier Bivouac
Ce carnet de résidence contient des réflexions, des recherches et des références que nous avons compilées durant notre première résidence au CIAP.
La fermeture des paysages s’est imposée comme le point central de notre réflexion lors de la résidence. Nous en avons pris conscience par les discussions que nous avons eues, lorsque des anciens nous ont raconté comment la forêt avait progressé, et que sa nature avait changé, faisant disparaître les horizons. Le terme géologique qui désigne la morphologie de ces paysages est «alvéoles». Un alvéole et non une alvéole. Un paysage constitué d’une multitude de petites cellules, close mais ouvertes les unes sur les autres par les voies taillées par l’eau.
Malgré cette structure en alvéoles, on pouvait tout de même apercevoir depuis un hameau une maison, un village construit sur un point haut. Il existait une certaine covisibilité entre les différentes zones d’habitat. Avec la croissance de la forêt et l’enrésinement du paysage, ces liens visuels se sont perdus, et les lieux d’habitats se sont retrouvés cloisonnés.
«En vérité, c’est tout un paysage qui nous est devenu plus lisible. Là où le lobby forestier a tendance à ne voir que des arbres plantés dans un désert humain, et où nous autres habitants avons tendance à envisager notre vie comme se déroulant sur le fond d’une « nature » immuable, nous avons découvert que l’état de la forêt, au fil de l’histoire, ne faisait qu’exprimer la façon dont le plateau était habité. L’état de la forêt est le reflet fidèle de notre rapport au territoire.»
Extrait du «Rapport sur l’état de nos forêts, par quelques habitants du plateau de Millevaches»
Nous avons effectué un choix de photographies prises autour de Saint-MartinChâteau que nous avons imprimées afin d’en faire des éléments à combiner. Ces photographies ont toutes été prises sur le chemin de découverte de la vallée de la Maulde, qui permet de découvrir le patrimoine et les paysages de la vallée. Il donne à voir différents paysages, différents systèmes agricoles et sylvicoles, différents rapports qu’entretiennent ou ont entretenu les habitants avec leur vallée. Les photographies sont très variées : paysages larges, éléments agricoles, textures, sous-bois... C’est un peu un jeu de dominos dans lequel on cherche à établir des correspondances entre des éléments disparates du paysage, à trouver des liens de formes, de matières, de causalités. C’est aussi d’une certaine manière un jeu de l’oie où l’on avance, inventant une histoire dans laquelle peuvent survenir des péripéties. La progression se fait soit par association d’idées, par association de couleurs, de sens ou par intuition. La construction de ce parcours forme une espèce de carte mentale du territoire que l’on a arpenté, nous permettant de nous l’approprier et d’y chercher un sens que l’on ne décelait pas à première vue. L’amorce d’une narration.
(Vendredi 22 Juin)
Pourquoi raconter un mythe, une histoire ?
Au départ il y a le fait d’être arrivé un 21 juin, jour important pour les fêtes païennes. Il y a aussi la découverte du rite d’Ayyanar : très ancien dieu du Tamil Nadu. C’est un guerrier monté à cheval qui protège les villages des êtres malfaisants. De nombreuses statues sont érigées, notamment dans certaines forêts sacrées (dans lesquelles il est interdit de couper les arbres ou de ramasser le bois) où des potiers fabriquent des statues de cheval de terre cuite qui se dégradent avec le temps. Ces effigies sont alors les gardiennes d’un territoire
La forêt « industrielle » d’aujourd’hui pose une série de problèmes qui suscite de la colère, de l’indignation et une certaine opposition de la population pour des raisons politiques, économiques, écologiques et paysagères. Nous avons ressenti dans certains lieux un égarement, une difficulté à saisir le territoire et le sentiment que certains lieux avaient été engloutis, que quelque chose d’inexorable, de presque surnaturel était en marche. Nous pourrions imaginer d’aborder ces problématiques sous l’angle du mythe, de l’histoire ou du conte.
Plutôt que de nous inscrire dans une critique frontale du fonctionnement du système d’exploitation forestière dominant , nous proposons de célébrer des espaces ouverts. Les espaces ouverts sont la condition du paysage, de l’horizon : luter contre l’isolement, pouvoir voir le ciel, pouvoir respirer.
Nous proposons de célébrer le bien commun qu’est l’espace ouvert d’y faire attention et d’y goûter, de faire prendre conscience de sa préciosité, de partager une qualité du paysage et de mettre en valeur des lieux riches. Et pourquoi pas faire naître une symbolique décalée.
Objets et tentures d’adoration du culte agricole inventés par les artistes Ferruel et Guedon
Un malaise s’est lentement installé dans la région. Petit à petit la forêt a progressé en avalant lentement les champs, prairies et landes sur son passage, s’arrêtant aux portes des villages et au bord des cours d’eau. Les horizons se sont fait plus rares. Les villages se sont coupés les uns des autres. L’ombre s’est propagée. Dans le même temps la forêt est devenue plus sombre, disparaissant de façon aléatoire, laissant derrière elle des déserts desséchés puis croissant à nouveau, et avec elle son ombre. Les animaux des bois ont aussi fui ces lieux qui ne pouvaient les nourrir. Une nostalgie des temps passés s’est installée, le souvenir du ciel et du lointain.
En contemplant les derniers espaces épargnés par la croissance de la forêt, les villageois ont remarqué que ces espaces étaient soit occupés par du bétail soit par de l’eau. Ainsi ils décidèrent de vénérer les brouteurs : vaches, moutons, brebis, chèvres et chevaux qui en pâturant empêchent bouchée après bouchée la forêt de progresser. Ils célébrèrent aussi l’eau, entretenant cours d’eau, lacs et pêcheries. Ainsi effigies, hôtels, statues votives sont érigées autour des clôtures, des plans d’eau et des rivières.
Petit à petit le ciel et l’horizon revinrent et la forêt se maintint dans des proportions raisonnables et harmonieuses...
(Samedi 23 Juin)Après ce temps d’arpentage, de balade, vint le temps des rencontres. Des intuitions se confirment, des hypothèses s’avèrent erronées. Après une rencontre avec une partie de l’équipe municipale, nous nous retrouvons pour une balade avec plusieurs membres de l’association Eclats de Rives, qui ont mis en place à travers de nombreux chantiers participatifs, le sentier de découverte de la vallée de la Maulde. L’association oeuvre à la découverte et à la mise en valeur d’un patrimoine qui constitue l’expression d’un rapport riche et fécond entre les membres d’une communauté et les paysages qu’ils habitent et façonnent : ponts, système de haie, de prairie, de murets et gestion de l’eau en tirant partie de la morphologie te du système hydrographique de la vallée. Ce sentier donne à voir des paysages vernaculaires, ainsi que d’autres qui disparaissent, progressivement remplacés par de nouveaux.
Au cours de cette balade est née l’envie de penser notre intervention en résonnance avec leurs actions et l’énergie qu’ils déploient : écouter le récit des chantiers passés, connaître les actions qu’ils envisagent de mener dans l’avenir et inventer ainsi une oeuvre qui soit cohérente avec leur projet.
Village de Pont
Les planches de Pont
Départ du sentier de découverte de la vallée de la Maulde
Bourg de Saint-MartinChâteau
Pêcherie (retenue d’eau alimentant les rigoles d’irrigation des prairies)
le pont de Verrières
l’étang de Verrières
Plantation de résineux
Forêt/Alignement de feuillus
Prairie
Sentier de découverte de la vallée de la Maulde
Clairière pâturée bordant l’étang, cernée par des plantations de résineux (site d’intervention)
La clairière qui borde l’étang de Verrières, dans laquelle on s’arrête un moment lors de la balade avec l’association Eclats de Rives retient notre attention. Elle fait partie en effet des sectionnaux du village de Pont. Les sectionaux sont des biens communs villageois, qui ont toujours permis aux habitants de faire pâître leurs animaux.
L’idée de travailler sur une parcelle relevant d’une propriété villageoise nous intéresse : «Au fil des générations l’enrésinement a entériné la fin des communaux et des sectionnaux, et avec eux, de toute la vie sociale paysanne qui faisait leur raison d’être. La « désertification » rurale a fait le reste, dissociant de plus en plus propriété foncière et habitants.» Extrait de : Rapport sur l’état de nos forêts et leurs devenirs possibles, novembre 2013
Depuis quelques années, la commune et l’association ont mis en place un pâturage de la clairière une fois l’an, par le troupeau de Stéphane Momboisse. Il s’agit de ne pas laisser cet espace ouvert, rare au milieu des plantations de douglas et des terrains qui s’enfrichent, se refermer.
Se dessine plus clairement alors l’idée d’une intervention qui aide à conforter le statut de clairière de cet espace, qui parle de l’action des bêtes sur le paysage à travers la création d’une oeuvre revisitant le motif de la clôture et de l’enclos.
L’enclos c’est la limite à l’intérieur de laquelle la forêt ne s’installera pas.
L’enclos permet de dessiner l’espace ouvert. L’enclos protège le troupeau et permet au berger de se reposer
La clôture est un motif linéaire que l’on répète. Chaque culture a construit ses systèmes de clôture, diversifiant les motifs selon les ressources à sa disposition.
La fauche est l’autre action qui pérennise l’espace ouvert, empêchant la prairie de devenir prairie armée, forêt en puissance. Chaque été d’étranges formes apparaissent dans les champs. Des tas, plus ou moins architecturés, des réserves pour les jours moins fastes de l’hiver qui reviendra, c’est sûr.
L’action de conforter la clairière pâturée près de l’étang de Verrières en abattant des saules vieillissants et des arbres morts permettra d’obtenir une ressource abondante pour la construction de l’enclos/installation.
Il s’agit maintenant de réfléchir à l’assemblage de ces différents matériaux : perches de saules, troncs entiers, troncs débités, bois usiné issu de la scierie locale, piquets de châtaigner, pierres glanées, foins de l’année passée...
Comment imaginer des assemblages simples qui peuvent être mis en oeuvre avec les habitants? Comment créer un motif élémentaire que l’on peut reproduire ou répéter et qui augmente et croît avec l’énergie collective?
Comment construire un squelette durable, qui peut chaque année être renforcé, réalimenté par les ressources issues d’un nouveau chantier de défrichage de la clairière?
Affaire à suivre.