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La fermeture du paysage
La fermeture des paysages s’est imposée comme le point central de notre réflexion lors de la résidence. Nous en avons pris conscience par les discussions que nous avons eues, lorsque des anciens nous ont raconté comment la forêt avait progressé, et que sa nature avait changé, faisant disparaître les horizons. Le terme géologique qui désigne la morphologie de ces paysages est «alvéoles». Un alvéole et non une alvéole. Un paysage constitué d’une multitude de petites cellules, close mais ouvertes les unes sur les autres par les voies taillées par l’eau.
Malgré cette structure en alvéoles, on pouvait tout de même apercevoir depuis un hameau une maison, un village construit sur un point haut. Il existait une certaine covisibilité entre les différentes zones d’habitat. Avec la croissance de la forêt et l’enrésinement du paysage, ces liens visuels se sont perdus, et les lieux d’habitats se sont retrouvés cloisonnés.
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«En vérité, c’est tout un paysage qui nous est devenu plus lisible. Là où le lobby forestier a tendance à ne voir que des arbres plantés dans un désert humain, et où nous autres habitants avons tendance à envisager notre vie comme se déroulant sur le fond d’une « nature » immuable, nous avons découvert que l’état de la forêt, au fil de l’histoire, ne faisait qu’exprimer la façon dont le plateau était habité. L’état de la forêt est le reflet fidèle de notre rapport au territoire.»
Extrait du «Rapport sur l’état de nos forêts, par quelques habitants du plateau de Millevaches»

















Associer des motifs, des fragments de paysage
Nous avons effectué un choix de photographies prises autour de Saint-MartinChâteau que nous avons imprimées afin d’en faire des éléments à combiner. Ces photographies ont toutes été prises sur le chemin de découverte de la vallée de la Maulde, qui permet de découvrir le patrimoine et les paysages de la vallée. Il donne à voir différents paysages, différents systèmes agricoles et sylvicoles, différents rapports qu’entretiennent ou ont entretenu les habitants avec leur vallée. Les photographies sont très variées : paysages larges, éléments agricoles, textures, sous-bois... C’est un peu un jeu de dominos dans lequel on cherche à établir des correspondances entre des éléments disparates du paysage, à trouver des liens de formes, de matières, de causalités. C’est aussi d’une certaine manière un jeu de l’oie où l’on avance, inventant une histoire dans laquelle peuvent survenir des péripéties. La progression se fait soit par association d’idées, par association de couleurs, de sens ou par intuition. La construction de ce parcours forme une espèce de carte mentale du territoire que l’on a arpenté, nous permettant de nous l’approprier et d’y chercher un sens que l’on ne décelait pas à première vue. L’amorce d’une narration.
(Vendredi 22 Juin)




La place du mythe dans le paysage
Pourquoi raconter un mythe, une histoire ?
Au départ il y a le fait d’être arrivé un 21 juin, jour important pour les fêtes païennes. Il y a aussi la découverte du rite d’Ayyanar : très ancien dieu du Tamil Nadu. C’est un guerrier monté à cheval qui protège les villages des êtres malfaisants. De nombreuses statues sont érigées, notamment dans certaines forêts sacrées (dans lesquelles il est interdit de couper les arbres ou de ramasser le bois) où des potiers fabriquent des statues de cheval de terre cuite qui se dégradent avec le temps. Ces effigies sont alors les gardiennes d’un territoire
La forêt « industrielle » d’aujourd’hui pose une série de problèmes qui suscite de la colère, de l’indignation et une certaine opposition de la population pour des raisons politiques, économiques, écologiques et paysagères. Nous avons ressenti dans certains lieux un égarement, une difficulté à saisir le territoire et le sentiment que certains lieux avaient été engloutis, que quelque chose d’inexorable, de presque surnaturel était en marche. Nous pourrions imaginer d’aborder ces problématiques sous l’angle du mythe, de l’histoire ou du conte.
Plutôt que de nous inscrire dans une critique frontale du fonctionnement du système d’exploitation forestière dominant , nous proposons de célébrer des espaces ouverts. Les espaces ouverts sont la condition du paysage, de l’horizon : luter contre l’isolement, pouvoir voir le ciel, pouvoir respirer.
Nous proposons de célébrer le bien commun qu’est l’espace ouvert d’y faire attention et d’y goûter, de faire prendre conscience de sa préciosité, de partager une qualité du paysage et de mettre en valeur des lieux riches. Et pourquoi pas faire naître une symbolique décalée.
Objets et tentures d’adoration du culte agricole inventés par les artistes Ferruel et Guedon


Quel mythe ? :
Un malaise s’est lentement installé dans la région. Petit à petit la forêt a progressé en avalant lentement les champs, prairies et landes sur son passage, s’arrêtant aux portes des villages et au bord des cours d’eau. Les horizons se sont fait plus rares. Les villages se sont coupés les uns des autres. L’ombre s’est propagée. Dans le même temps la forêt est devenue plus sombre, disparaissant de façon aléatoire, laissant derrière elle des déserts desséchés puis croissant à nouveau, et avec elle son ombre. Les animaux des bois ont aussi fui ces lieux qui ne pouvaient les nourrir. Une nostalgie des temps passés s’est installée, le souvenir du ciel et du lointain.
En contemplant les derniers espaces épargnés par la croissance de la forêt, les villageois ont remarqué que ces espaces étaient soit occupés par du bétail soit par de l’eau. Ainsi ils décidèrent de vénérer les brouteurs : vaches, moutons, brebis, chèvres et chevaux qui en pâturant empêchent bouchée après bouchée la forêt de progresser. Ils célébrèrent aussi l’eau, entretenant cours d’eau, lacs et pêcheries. Ainsi effigies, hôtels, statues votives sont érigées autour des clôtures, des plans d’eau et des rivières.
Petit à petit le ciel et l’horizon revinrent et la forêt se maintint dans des proportions raisonnables et harmonieuses...
(Samedi 23 Juin)





