Marcellesuruneparallele

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FICHE TECHNIQUE_ à renseigner..

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Nom du projet: Nouveau Campus de Fontenay-Sous-Bois Programme et surface: 89 000 m2 Shon Bureaux 76 000 m2 Shon Services associés Maître d’ouvrage: société générale Maître d’ouvrage mandataire: Sogeprom Architecte mandataire: Anne Démians Jack Weinand (directeur d’études) Directeur de projet: Martin Mercier, Philippe Monjaret Equipe: Alain Sabounjian (chef de concours), Maël Esnoux, Maxime Decaudin,Elie Moutel, Felix Millory, Ignacio Echevarria, Gabriel Ober, Hyoran Park,Chen Cong Silvio Evora, Igor Sanchez, Elena Guiro Lopez, Julia Leroy.


Marcelle* sur une parallèle

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PREFACE_


Il nous est tous arrivé, un jour, d’être en contact immédiat avec un lieu rêvé ou qui nous semble familier. Cette facette de l’inconscient est souvent intrigante. Anne Démians a vécu ce phénomène en se rendant inopinément aux Salins de Giraud en Camargue. En effet, dès ses premiers pas foulés en bordure de Méditerranée, l’architecte fut immédiatement frappée par la correspondance évidente entre cette plage sauvage laissée à la libre appropriation d’urbains venus s’installer le temps d’un été et le concours qu’elle venait de remporter pour le futur siège de la Société Générale à Val de Fontenay. Autrement dit, elle voyait, sous ses yeux, un campement pensé et réalisé par un groupe humain disparate, sans grand moyen mais avec force caravanes, toiles de tentes et morceaux de bois, un campement en totale harmonie avec la nature alentour dont l’organisation spatiale coïncidait avec l’esprit du projet imaginé pour ce siège social et ses cinq mille salariés.

Ce livre est né du choc de cette prise de conscience. L’intérieur et l’extérieur. L’équilibre de notre vie - publique et privée -dépend de cette dualité. A fortiori quand il est question de densité, de grande échelle, de mobilité, d’urbanité, thèmes intrinsèques aux défis de la ville du XXIe siècle. Imaginer demain, l’habitat, ou le tertiaire, est un acte symbolique, mâtiné d’utopie, qui révèle une époque ou, mieux, la précède. Y parvenir suppose un désir et une force d’anticipation. Cette science instinctive galvanise Anne Démians pour qui l’essence même de l’architecture est de préserver un lien subtil avec les éléments naturels, l’une des clefs, selon elle, du bien vivre ensemble. Cet idéal la pousse à revisiter les codes et les usages, à bousculer les espaces confinés, notamment ceux de l’univers corporate où, par [mauvaise] habitude, l’on préfère l’accumulation d’entités à l’esprit de synthèse de concepts collectifs, un exercice qui est cher à l’architecte. Parce qu’il n’y a plus d’attente, plus de grand dessein, Anne Démians aime ouvrir des pistes, une manière, dit-elle « de faire bouger les montagnes ».

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Marcelle* sur une parallèle


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*Marcelle, c’est cette dame, rencontrée sur la plage. Elle était installée confortablement dans un transat, devant sa cahute, et regardait juste la mer, sans rien faire. Faut-il forcément établir un parallèle de recherches en « similitudes », entre le futur siège social de la Société Générale à Val de Fontenay et les installations estivales des Salins de Giraud ? Une comparaison qui chercherait à rapprocher typologiquement les deux organisations urbaines qu’elles proposent ? Pas nécessairement. Ce qu’elles développent en commun, ce ne sont pas leurs formes, engagées de manières différentes, pas plus que leurs systèmes de référence sociale, âprement et diamétralement opposés, mais une transversalité d’éléments naturels ou fonctionnels qui traversent, de part en part, cette organisation linéaire apparente qui dimensionne et équilibre leur dimension sociale.


HABITAT

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HABITAT

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HABITAT

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HABITAT HABITAT

La ville/ campement est sans échelle. Chez l’une (Les salins de Giraud), ce sont la mer et la plage qui remontent perpendiculairement sous les alignements hachés et infinis des abris provisoires, construits sommairement. C’est un « côte à côte » féroce, mais policé, qui s’incruste en sillon sur le sable. L’espace est étiré longitudinalement et dilaté, à l’à-propos, transversalement. On peut y prendre une place ou deux, y déposer une ou deux caravanes, suivant qu’on est seul ou en famille.


TRAVAIL

TRAVAIL

TRAVAIL

TRAVAIL

TRAVAIL

Les bâtiments sont sans échelle critique pour leur expansion. Chez l’autre (Val de Fontenay), ce sont la grand ’rue et ses équipements qui se glissent perpendiculairement en dessous des grandes lignes de constructions qui abritent, en continu, des surfaces libres devenant de grands espaces de travail. Ce sont elles qui rendent le lieu identifiable, avec leurs grands effets de vagues .On peut choisir d’occuper un bureau, deux, voire trois, suivant que l’espace est disponible et que le statut du destinataire le permet. On est, là, dans l’élasticité longitudinale et transversale des programmes.

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goût des autres

Cette règle

vivre ensemble 10

Dans le cas des Salins, des règles de préservation du site s’imposent d’elles-mêmes par l’esprit qui règne sur place: celui du « goût des autres ». Les habitations s’agrègent sans qu’aucune loi ne vienne contrarier ces potentialités sauvages de s’installer, en toute liberté, dans ce site exceptionnel, mais néanmoins toujours accessible, de la Camargue. « Cette règle », de nature impulsive, a pour corollaire sa survie. Car, c’est bien « de vivre ensemble » qu’il s’agit, malgré la quantité des installations qui croît chaque année. Auto régulées sur deux lignes parallèles entre la plage et la dune et auto règlementées, les constructions peuvent, toutes, bénéficier de la proximité immédiate de la mer, un moyen de la vivre pleinement à travers une réalité corporelle transversale et continue.

Dans le cas de Fontenay, c’est l’ordonnancement des lieux de travail qui permet de réguler cette densité. Il n’y a pas, à proprement parler, de règles enjointes, mais plutôt des « codes de la pratique de l’espace » qui organisent l’ordre d’une nouvelle culture : celui de travailler ensemble, avec une totale liberté individuelle, précisément au moment où les réalités économiques et politiques deviennent de plus en plus exigeantes avec l’individu. « L’ordre libertaire», donné aux bâtiments à travers des caractéristiques nouvelles de surfaces transversales, par exemple, apporte de quoi résister au rétrécissement de la pensée contemporaine en terme « d’espaces partagés ». Nous sommes, ni dans le chaos, ni dans le désordre, mais dans un travail intense sur l’insolente liberté d’un espace ordonné.


codes de la pratique de l’espace

ordre libertaire

espaces partagés 11

Tout le contraire de celui de la Plage des Salins. Celui-ci se réalise spontanément, sans qu’aucun ordre constructif ou qu’aucune règle d’installation, (autres que celles qui résultent d’une discipline commune où l’occupant, identifié, précède, in situ, la construction du site) n’apparaisse à aucun moment, pendant que l’autre résulte d’un acte organisé autour d’individus, pas encore identifiés au moment de la réalisation du projet, dans un ordre efficace, totalement imprégné d’une ribambelle de règles et de réglementations «toujours en cours», après lesquelles «on court toujours». Or, on s’aperçoit que dans ce parallèle, aussi improbable qu’aventureux, que - quelles que soient les différences fondamentales que l’on observe entre ces deux bonnes raisons de faire les choses (organisées

ou non) - l’authenticité et les logiques de pensée (spontanées ou préparées) pourtant issues d’univers opposés, produisent, étrangement, des aménagements urbains et des installations sociales qui se présentent comme comparables sur le plan de l’organisation de l’espace.


presque bourgeois

qui veut

cette absence totale de tout

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La plage des Salins rassemble des gens simples, simplement fatigués d’avoir à respecter des règles de collectivité qu’ils refusent un peu plus, d’année en année. Issus de milieux modestes ou « presque bourgeois », ils vivent, là, une aventure de camping libre, sans eau, ni électricité (.. même à portée de véhicule), sur une période comprise (en partie ou en totalité pour certains), entre mai et octobre, laps de temps pendant lequel la commune met à disposition de « qui veut », la Plage des Salins, dans sa totalité et sans aucun équipement. C’est « cette absence totale de tout », (hormis, le ciel, la mer, les coquillages, la plage, la dune, le vent et le soleil), que ces gens précisément viennent chercher. Question d’économie ? Oui, bien sûr.

Mais, pas seulement. C’est d’abord une manière personnelle de jouir naturellement des éléments (en rien similaire à celle des naturalistes), de vivre à pleins poumons, en silence, et dans la dimension aérienne exceptionnelle d’un espace apparaissant aussi vite qu’il disparait. Alors, tout se joue sur des combinaisons de voisinage incertaines et sur fond d’une incontrôlable autorité de l’espace :


mi dur, mi toile la propriété

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*« Ici, on ne contrôle rien et surtout pas le terrain. On ne sait pas qui va s’installer à côté de nous et comme d’une année sur l’autre, on ne retrouve pas l’emplacement de l’année d’avant, on prend quelques repères, comme le font les marins, en mer, quand ils prennent des amères. » « Sauf que la mer a tout déménagé d’une saison sur l’autre et que l’espace reste grand. Alors, on essaye d’arriver les premiers pour trouver la meilleure place, mais comme les endroits sont tous pareils, alors on s’arrête là, sans savoir pourquoi exactement. Et les autres font pareil » « Là, on débarque notre bazar et on s’installe « mi dur, mi toile » suivant l’usage et la durée. La chambre, il faut la faire en dur (attention, c’est des cagettes de fruits ou des bastaings qu’on assemble. (On n’a pas le droit au parpaing.) On prend la place qu’on

veut. On peut même clôturer « la propriété ». Mais, c’est théorique tout ça ». « Les voisins, viennent d’Aix, d’Arles, d’Avignon ou d’Espagne. Ils connaissent la combine, comme nous, et sont tous dans le même état d’esprit. Ici, on n’ennuie pas les autres avec son bazar, sa sœur et ses histoires. On n’encombre pas l’espace personnel des autres. On se voit tout le temps dehors. On partage le territoire et le sentiment de former une société temporaire et éphémère qui crée sur cet endroit confidentiel (pourtant si étendu) un lien familial et amical, qu’on ne trouve pas ailleurs. On se rend naturellement service. On partage des astuces et une philosophie de l’ordinaire, sur fond commun d’une plage omniprésente. Les règles ne sont pas dites mais elles s’appliquent. Tout est ouvert, vu que rien n’est fermé et, qu’ici, avoir l’heure, ne veut rien dire. ».


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territoire

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* « Là l’architecte a voulu installer

des jardins – à la fois au pied de chaque bâtiment et entre chacun d’entre eux – afin de donner une échelle plus petite et plus accessible à l’ensemble, les immenses voûtes accentuant sa ressemblance avec une grande cathédrale. On a le sentiment d’entrer plus dans un paysage (qu’elle décrit comme «vertical») que dans un bâtiment. D’ailleurs, vous le voyez, il n’y a pas « un » bâtiment, mais « plusieurs » qui s’apparentent à des dunes mises en parallèles sous l’effet régulier du vent. On va devoir partager ce territoire à plus de 5000 personnes. D’ailleurs, si je dis « territoire » plutôt que bâtiment, c’est parce que nous sommes, ici, dans un morceau de ville plus que dans une succession de constructions qu’on voudrait différentes pour laisser croire qu’on s’intéresse à chacun d’entre nous. Les choses sont claires : soit, nous sommes

dans le prolongement des champs qui sont ouverts par l’architecte et ça réussit, soit nous cherchons à créer, à l’intérieur des limites, une vie qui s’en affranchit totalement et ça échoue ». « Les gens qui occuperont ces bureaux appartiennent tous à une même entreprise: la Société Générale. Le Plan d’installation des agents aura été mis à la disposition des personnels, bien avant le déménagement, et nous pourrons ainsi vérifier que les espaces sont aussi faciles à décloisonner et ouverts que le prétend l’architecte » « Mais, pourquoi chercherions nous à nous en écarter ? C’est, en même temps, tellement différent de ce que nous voyons».


un programme

vivre et travailler ensemble

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Le site de Val de Fontenay rassemble des gens dont les temps d’occupation du bâtiment sont moins importants, en temps passé journellement, que celui des acteurs précédents. Mais, il est de même importance sur la durée complète d’une année. Car, l’histoire, ici, est continue. Et les règles sont fixées à l’avance. Elles procèdent d’une chartre du « vivre et travailler ensemble », écrite en parallèle, et qui fixe la structure hiérarchique de l’espace. On dit alors qu’on réalise « un programme » et que tout est prévu. Rien ne peut alors échapper à la vigilance des investisseurs et des concepteurs, des contrôleurs et des constructeurs. Nous sommes donc bien au croisement d’un système où la liberté d’action de l’individu qui s’installe est confiée à des organisateurs de l’espace ou à des experts en ressources humaines. C’est cette absence totale de toute

forme possible d’individualisme (hormis, l’emplacement du bureau, la photo de famille ou le philodendron du dernier anniversaire), que tous les salariés de la Société Générale sont invités à suivre. Question de régulation et d’équilibre social ? Certes. Mais, pas seulement. C’est aussi une manière de rendre possible le regroupement d’individus, au service d’une même mission, sur un même site dont seulement les édifices construisent le paysage. Alors, tout se joue sur les combinaisons programmées de voisinages, par secteur de travail ou d’influences, sur fond d’un espace contrôlé par l’architecte


les absences, les ruptures, les sĂŠquences

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lignes de force

en stries

sur deux lignes parallèles

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On passe donc de la suprématie du hasard et de l’auto-construction à la prépondérance de la programmation sur un espace construit sur ordre de service. A Val de Fontenay, les absences, les ruptures, les séquences et la dimension aérienne exceptionnelle de l’espace apparaissent à travers les lignes de force des constructions, simplement installées en stries. Les installations de la Plage des Salins se placent, les unes à côté des autres, sur deux lignes parallèles qui apparaissent, à l’œil nu,

sans début, ni fin, et qui s’égrènent ou qui s’intensifient suivant l’intensité, ou pas, des voisinages. Val de Fontenay, regroupe parallèlement des lignes de constructions, sur des segments plus courts, mais dont les abouts (sectionnés nettement) appellent à poursuivre le système.

Anne Démians


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CONVERSATION_


ML. Quels nouveaux champs d’investigations avez-vous explorés à propos de la grande échelle et de la densité ? A.D. Lors d’une récente conférence à Strasbourg sur la grande échelle et la densité, j’ai insisté, une fois encore, sur le fait que la construction de tours n’était pas forcément la bonne réponse, moins encore l’unique voie possible. Leur implantation n’est pas une obligation, ni une fin en soi, bien que ce type de construction réponde, mais en partie seulement, à la problématique de la densité. Pour approfondir notre échange sur cette actualité urbaine, je voulais vous faire part d’un constat que j’ai fait lors de la découverte des Salins de Giraud en Camargue, un lieu extraordinaire qui, contre toute attente, m’a poussé à une réflexion rétrospective sur l’espace et la densité, deux thèmes sur lesquels j’avais planché quelques mois plus tôt pour nourrir mon projet de bureaux pour la Société Générale.

ML. Qu’est-ce qui vous a frappé de prime abord ? AD. Par hasard, je suis tombée sur cette plage incroyable en Camargue, lieu qui est, en fait, le miroir de la crise actuelle et de ses conséquences sociales. Il s’agit d’un bord de mer où se sont fixées les résurgences de la pauvreté. En d’autres termes, cet espace sauvage – assez peu connu des gens du coin – accueille dès le 1er mai des estivants qui viennent y installer leurs caravanes, mais également des baraquements faits de brique et de broc, qui les abritent jusqu’en septembre avant que les grandes marées d’automne ne les chassent. Les autorités tolèrent la présence de ce groupe humain parce qu’il autogère cet espace public. Durant les quatre mois de leur séjour, ces drôles de « campeurs » construisent leurs abris avec du matériel de récupération, le rafistolent et créent une sorte de collectif bricolé afin de se prendre en charge dans un cadre organisé. Détail d’importance : aucun détritus ne

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de manière citoyenne

transhumance

ML. Y avez-vous fait des rencontres ?

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jonche le sol, les poubelles sont organisées et triées. Les visiteurs du dimanche sont, eux, beaucoup moins disciplinés, du moins ne prennent-ils pas soin de respecter le lieu de manière citoyenne comme le font tous ceux qui s’y installent de façon précaire.

A.D. J’ai effectivement rencontré une toulonnaise, Marcelle, cette dame évoquée au début du livre qui fréquente les lieux depuis cinq ans dans une transhumance régulière qu’elle pratique en bon esprit avec les autres. La population qui s’invite aux Salins est diverse, il ne s’agit pas de marginaux ou de beatniks attardés, ni de SDF, moins encore de gens du voyage, ou de citoyens antisystème, mais de gens du peuple qui viennent des banlieues des villes et qui n’ont pas les moyens de s’offrir des vacances d’été. Du coup, chacun recréé son propre univers avec des matériaux de récupération qui sont incinérés après usage pour qu’il ne reste aucune pollution ni aucune trace de cette occupation spontanée. Ces familles illustrent un pan de notre société, car il se trouve aujourd’hui des foyers dans un état de pauvreté extrême ou des gens appartenant à la middle class qui tombent dans la grande précarité


l’espace d’un été

appropriation

ML. Au fond, vous avez vu in-situ une anarchie urbaine qui se régule toute seule ? A.D. Tout à fait ! L’espace d’un été, ces personnes apaisées se déplacent par groupes, il y a souvent les grands parents et quand ils se retrouvent tous ensemble ils prennent les repas en commun, ils partagent l’espace, la vie au jour le jour, et se parlent. On les sent bien.

ML. Pourquoi ce campement a-t-il, selon vous, un lien direct avec la problématique de la densité ? A.D. Parce que ce groupe s’est organisé et « s’impose » naturellement des règles de vie et de conduite civiles et urbaines. Ceux qui ne viennent que le week-end pour polluer les lieux et qui n’ont pas le même état d’esprit ou de responsabilité vis-à-vis de l’environnement sont pointés du doigt. Ce campement est aussi la preuve que l’on peut vivre en collectif de pas grand-chose, en outre, il ne représente pas une pollution visuelle. Du coup, cette appropriation m’a conduite à repenser à la gestion de l’espace et à la notion de densité.

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le partage spatial paradis

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ML. Cette leçon vivante de civisme nourritelle la question récurrente du partage de l’espace ? A.D. Très certainement, cela étant, nous ne sommes pas dans la mixité sociale, tous ces occupants vivent de la même façon et ont les mêmes désirs à savoir une vie simple en bord de mer pour être en contact avec la nature et mettre de côté la dureté de la ville et ses contraintes. Au lieu de rester dans leurs barres Hlm à la périphérie des villes, ils s’octroient un espace de vie incroyable, sorte de paradis, pour échapper à leurs conditions.

ML. J’essaie de comprendre ce qui vous a touché. Est-ce l’autonomie de ce groupe ? A.D. Oui, leur autonomie est une source fertile de comportements urbains car, pour une fois, la main de l’Etat n’est pas là qui règle tout à leur place. Nous ne sommes pas dans le cadre d’une société hyper régulée, ces gens de peu organisent leurs propres implantations de vacances et j’ai été bluffée par leur sens de l’engagement vis-à-vis d’eux-mêmes et vis-à-vis leur environnement immédiat. Mais attention, dans le cas présent, ce n’est pas l’auto construction ou participative qui m’intéresse mais le partage spatial. Plus précisément, l’ordonnancement des Salins fait concrètement écho aux partis pris qui m’ont guidée lors du concours pour le siège social de la Société Générale, autrement dit j’ai vu, in situ, mais à postériori, la projection d’une théorie que je développe, cet « après coup » m’a bouleversée.


vivre ensemble

ML. Quels sont vos partis pris ?

ML. Où est le curseur de la grande échelle ? A partir de quel indice sommes-nous dans cette dimension-là et où se situe l’effet de rupture ?

AD. Aux Salins, il s’agit d’un aménagement à petite échelle, même s’il s’étale sur une longue distance. Cet état de fait vient à la rencontre d’un parti pris que je défends actuellement dans des conférences où je suis invitée, à savoir la remise en cause de l’accumulation d’objets architecturaux. Je m’inscris en faux contre cette attitude extrêmement répandue en ce moment, j’en veux pour preuve, par exemple, le quartier Seine Rive Gauche, à Paris. L’accumulation d’originalités architecturales y est telle que nous sommes tombés dans un discours spatial égotiste et une urbanisation bavarde. C’est à qui marquera le territoire de sa signature architecturale. A contrario, aux Salins, ce qui prime, c’est la dimension collective dans la petite échelle, autrement dit une approche sensible et plus juste « du vivre ensemble ». Toute la difficulté, on l’aura compris, est de hisser cet exemple au rang de la grande échelle, ce qui est naturellement plus complexe.

AD. Je n’ai pas fait cette analyse et c’est une question importante, peut être se jouet-elle par le rapport au sol. Pour le projet du siège de la Société Générale j’ai un COS de 6, c’est-à-dire que l’on multiplie par 6 la surface du sol alors qu’aux Salins de Giraud nous sommes sur un COS de 0,2. Le sujet serait surtout d’examiner comment gérer les espaces vides entre la grande et la petite échelle. La transition entre la partie construite et non construite est ce sur quoi il faut désormais réfléchir, car dès lors que l’on s’écarte de cette rentabilité de la densité, il y a une tendance à la déshérence. Or, il n’y a rien de plus riche que le vide et cette préoccupation n’est pas inscrite dans les règles d’urbanisme. La densité liée au collectif est une question vitale. A Val de Fontenay pour les bureaux de la Société Générale, nous sommes dans une densité voulue, instrumentalisée par l’idée de la rentabilité soudée par le fonctionnement interne et par le fait qu’il y a une volonté

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entre le ciel et le sol

l’urgence ML. Comment expliquez-vous que la ville de New York, créée de toute pièce entre la fin du XIXe et le XXe siècle reste adaptée aux nouveaux modes de vie d’aujourd’hui sans souffrir d’aucun décalage avec le XXIe siècle?

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d’avoir un résultat de travail par rapport à l’investissement sur l’immobilier ; il y a donc quelque chose de régulé. Et c’est là, qu’il faut prendre position : je crois que l’on ne peut plus être dans l’addition de formes, l’addition d’individualités construites. Voilà où je veux en venir depuis le départ de notre conversation. Au fond, ce que m’inspirent les Salins de Giraud, c’est l’urgence de répondre aux besoins contemporains. Cette démarche doit primer dans la façon de dessiner ou de concevoir la grande échelle. Autrement dit, il faut se soustraire de la démagogie qui consiste à mettre en visibilité une architecture bavarde qui va satisfaire tel élu ou tel autre, et revenir au fondamental par cette question ; pour quelle raison faire un nouveau projet de bureaux ? La grande échelle n’est possible que s’il y a quelque chose de pacifié dans sa lecture et si l’on est très attentif à ce rapport sensible entre le ciel et le sol.

AD. Bon exemple ! Il va tout à fait dans le sens de ce que je veux démontrer. New York n’est pas plus dense que Paris, mais son édification a du sens : les gratte-ciel construits sur ce rocher il y a plus d’un siècle correspondaient à cette audace, à cette folie collective de l’époque qui véhiculait l’idée de conquête du nouveau monde. Les tours étaient le symbole de cette énergie. En d’autres termes, cette architecture fut liée à un moment clef de l’histoire des hommes et à un contexte économique florissant. Et j’en reviens aux Salins de Giraud ; leur forme spatiale est authentique parce qu’elle se calque sur la nécessité et la demande de ceux qui s’approprient le lieu. Les Salins d’aujourd’hui correspondent à ce moment de crise économique que nous vivons et figurent l’inverse du phénomène new yorkais en son temps.


le besoin du collectif

ML. L’idée qui se dégage est-elle celle d’une architecture adaptée à un temps donné, à un usage donné, à un contexte économique et historique donnés et non une réponse spatiale formulée par à une accumulation de partition architecturales aux signatures individuelles ? AD. Il s’agit en effet de retranscrire le besoin du collectif, d’être attentif à lui. L’architecte est le traducteur d’un besoin collectif et ce besoin s’est renouvelé depuis trente ans. Le problème est que l’on est resté longtemps dans une reproduction de modèles qui sont aujourd’hui complètement à remettre à plat. Les tapisseries de verre des bureaux à la Défense et d’ailleurs, tout cela est à reconsidérer…

ML. Est-ce que l’architecture devrait sortir d’une posture théoricienne pour être davantage le révélateur d’un contexte social et économique ? AD. J’en suis intimement persuadée. Longtemps, le caractère humaniste de l’architecture est resté en veilleuse par rapports aux problématiques économiques et de rentabilité foncière des Trente Glorieuses. Parallèlement à l’expansion libératoire de cette époque et de manière pernicieuse, le boom économique a imprimé l’idée que l’expression architecturale était liée à cette réussite au détriment d’une expression plus adaptée. C’est d’ailleurs paradoxal. Alors que dans les années 1970 nous étions dans une libération personnelle, la réalité était tout autre : ceux qui légiféraient ont mis une chape de plomb sur les vraies traductions de la modernité. A nouveau, il me semble que pour des raisons de crise économique, nous sommes obligés de revenir à l’extrême nécessité de l’efficacité. Du moins, sommes nous contraints de revenir à davantage de vérité au regard de l’indigence de l’emploi, au regard des pressions subies par les

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une part d’imaginaire

traverser

ML. La traduction de ce phénomène peut-elle se produire en ville ?

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gens dans leur travail et des pressions qui s’exercent dans l’entreprise. C’est pourquoi les Salins de Giraud m’ont tant marquée parce que je crois qu’ils figurent les prémices de crises diverses qui vont surgir de proche en proche. Ce qui est frappant sur cette plage partagée de Camargue c’est l’expression d’un vrai contentement de vivre modestement auprès de la nature. Cette transhumance organisée traduit non seulement un besoin de survie, mais aussi une part d’imaginaire et une véritable bouffée d’oxygène. En prime, les rapports humains y sont d’une grande simplicité, le conflit n’est pas à fleur de peau.

AD. C’est ce qu’il faudrait démontrer ! Je pense que nous allons être amenés à travailler autrement la densité pour éviter de faire dans la démagogie qui consiste à dire que chacun à travers l’architecture peut s’exprimer. Il est sans doute possible d’agir autrement, c’est la raison pour laquelle j’ai écrit un texte sur les maires tyrans : un élu est là pour prendre des décisions et lorsqu’il considère la densité, il doit prendre des partis pris qui soient liés à une attention particulière auprès de ceux qui habitent un quartier. La densité a donc une dimension très politique. L’étude des pleins et des vides sert à construire davantage à condition de dégager des espaces de liberté qui sont indissociables de cette « autorité ». Or, actuellement nous le faisons de manière étale. C’est pourquoi je préconise que l’on considère le ciel comme une nappe que l’on aurait le droit de « traverser » à 30 % seulement et si collectivement il a été décidé


durable

ML. La deuxième décennie de l’an 2000 marque une véritable réflexion sur la ville, commencée avec les accords de Kyoto et le Grenelle de l’environnement. Cela signifie-t-il que nous sommes déjà dans une autre étape qui annonce un changement de braquets pour les acteurs de la ville, élus et promoteurs réunis ? que c’était utile. Ce principe éviterait l’éparpillement des espaces verts alors qu’ils pourraient être regroupés, à l’exemple de Central Park où tout d’un coup apparaît une bouffée de verdure libératoire pour contrebalancer la densité. Il s’agirait donc de décider collectivement des espaces de liberté pour en finir avec l’effet médian qui tire vers le bas et ne procure aucun art de vivre.

AD. J’en ai le sentiment. Et je ne suis pas la seule à le penser. Dans le secteur privé de la construction, l’on ressent un état d’anxiété devant la valeur dite « durable », les promoteurs ont le souci de préserver une valorisation de ce qu’ils bâtissent, c’est tout leur intérêt au sens propre comme au figuré. Si l’on saccage, si l’on mite l’espace, les aménageurs n’auront bientôt plus d’espaces qui vaudront cher. Construire autour d’un parc, cela a du sens, les acquéreurs ou locataires recherchent ce positionnement.

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hyper rentabilité

tapisseries de verre

dilatation de l’espace intérieur

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ML. Ce voyage aux Salins de Giraud n’a-til pas été une prise de conscience de votre engagement et de ce que vous portez en vous ? AD. Je me suis surtout aperçue que j’ai gagné le projet de la Société Générale parce que je m’intéressais aux gens qui allaient y travailler. L’idée directrice était de ne pas reproduire l’organigramme de l’entreprise dans les murs mais de chercher autre chose. Au fond, je suis dans l’hyper rentabilité, je m’explique : jusqu’à présent les murs rideaux que j’appelle les tapisseries de verre offraient une rentabilité « dans la boite », c’est-àdire, un retour sur investissement au mètre carré. Cette règle intègre plusieurs facteurs, notamment, la bonne distance par rapport à la façade pour contenir les employés sur une surface donnée, puis l’intégration des escaliers et des ascenseurs sur la place la plus réduite possible. L’exercice s’arrêtait là. Dans mon projet, je réponds à ces mêmes données, ou contraintes, à ceci près que je mets à contribution l’espace extérieur qui est pour moi une dilatation de l’espace intérieur.

Par conséquent, la nécessaire clôture pour des raisons thermiques est un enjeu d’arrêt du rapport à l’espace, si ce n’est que l’extérieur est vraiment mis à contribution.


des cabanes

vague naissante entre la paroi et le ciel

mouvements telluriques

les sens

herbiers ML. Ce constat est-il criant sur le site des Salins de Giraud ? AD. Exactement, les estivants des Salins sont venus chercher l’extérieur. Ils se font des cabanes comme les enfants. Quant nous organisons une nature reconstituée en ville, donc artificielle, il faut parvenir à lui donner la même « tenue » que la vraie. Pour autant, je ne souhaite pas la confusion des genres, j’assume l’espace reconstitué pour répondre à une nouvelle façon de vivre, et ce, pour que l’on cesse de passer notre temps dans des espaces neutralisés qui ne disent plus rien, ce que l’on appelle des espaces blancs, des lieux neutres où l’on travaille en attendant d’en sortir au bout de huit heures. Dans mon esprit, il s’agit de reconstituer un cadre de vie qui implique de la lumière, un rapport de la matérialité entre la paroi et le ciel, de manière à convoquer « les sens ». Aux Salins de Giraud, les gens sont dans une autosatisfaction des éléments dont ils ont besoin collectivement, ils se serrent les

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coudes pour y parvenir. Mais soyons prudents! Il ne s’agit pas d’une vision bobo d’un retour à la nature, mais d’un phénomène sociétal et politique considérable que l’on aurait tort d’ignorer, il croise les dimensions politiques, les questions d’aménagement du territoire, de la résurgence du collectif par rapport à l’individualisme, c’est une vague naissante qui se trouve aux antipodes du monde passé. Il n’y a rien de plus proche que les contraires. Donner un autre espace à vivre et à travailler aux urbains, des espaces qualitatifs, est « Le » sujet charnière de notre époque. Pour ma part, il s’agit de construction systémique. On invoque une pluralité de raisons de faire les choses, à Val de Fontenay je parle d’herbiers, de bois, et de mouvements telluriques pour traduire la transcription d’une idée à un site parce que nous ne sommes pas à la Défense. Le croisement de différents vecteurs parlent


dimensions oniriques

ces coins

percée visuelle

ML. Le quartier Seine Rive Gauche que vous prenez pour exemple est-il bavard parce qu’il accumule des partitions architecturales?

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de dimensions oniriques ou intellectuelles qui donnent du sens à projeter une forme. J’emploie le mot systémique parce qu’il y a accumulation de ces différentes références intellectuelles. L’amplitude dont je parle, ici, fait écho à ce que Bachelard appelait « ces dimensions d’espace » qui invoquent la rêverie, la cave, le grenier, ces « coins » qui nous construisent dans un état de bien être. De mon point de vue, le bien être offert aux utilisateurs finit par faire du collectif. J’ai le sentiment que le ratage actuel de la ville correspond à une volonté d’accumuler des objets architecturaux et que « cela le fera bien ». Il y a une paresse intellectuelle de la transcription de la grande échelle qui est rare dans l’histoire de l’urbanisme et de l’architecture. En un mot, on a laissé tomber. Nous sommes actuellement dans la collection des individualismes et l’accumulation est bavarde.

AD. Articuler un dispositif urbain pour créer des percées visuelles n’oblige pas à concevoir deux architectures différentes. On pourrait imaginer une architecture qui privilégie la percée visuelle sans se retrouver dans la parcellisation de la commande. Cette attitude encourage l’échelle de la fragmentation qui va à l’encontre de l’échelle globale, et cela, au motif que l’on a toujours peur de s’ennuyer !


lien social

vides utiles

plus dense

ML. A votre avis, par quoi pourrait-on remplacer cet ennui supposé? AD. Par la qualité d’usage ! Pour cela il faut s’appliquer à redessiner des grands espaces, ne serait-ce que par l’aménagement de places. Contemplons Rome ! Le piéton passe de places en places, ce sont des vides « utiles » qui attrapent le mental. Or, je trouve qu’actuellement, nous subissons les absences de l’espace urbain au profit d’un urbanisme événementiel. La qualité de la partition d’Haussmann est en cela toujours enrichissante à relire qu’elle inscrit quelques monuments dans une mono matière globale. Aujourd’hui, la ville manque des respirations publiques, peut être aussi parce que l’autorité de la ville en tant qu’espace politique et républicain n’est plus à l’ordre du jour…. Le collectif n’a plus le droit de s’exprimer. Jadis, derrière le geste urbain il se trouvait une volonté politique et une notion de Cité avec un grand C qui donnait un sens à la manière de vivre ensemble. Nous avons perdu cette grandeur au sens vision du terme.

ML. Ne pensez vous pas que la Grande Bibliothèque du quartier Seine Rive Gauche voulue par François Mitterrand symbolise la rénovation du XIIIe arrondissement en même temps qu’elle incarne la grandeur de l’Etat ? AD. Certes, la Grande Bibliothèque joue un rôle d’icône, mais peu de gens occupent la place qui ne fédère pas et reste un lieu déserté. En revanche, c’est plutôt sur les quais que le lien social commence à prendre… Pour ma part, je continue de penser qu’il faut construire plus dense mais en lâchant prise sur de vastes périmètres de jardins à l’image des plans d’Alphand, le paysagiste d’Haussmann, qui nous lègue un bien être urbain dont nous ne saurions nous passer. (Propos recueillis par Michèle Leloup)

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