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Opiniâtre, empêcheuse de bétonner en rond, impliquée dans l’acte de construire et chercheuse appliquée en espaces urbains et domestiques, Anne DEMIANS, appuyant ses propositions pour construire mieux sur les réflexions du groupe RBR 2020, nous livre là, un état abrasif des risques majeurs produits par des dispositifs territoriaux et une architecture totalement autistes. Nous mettant en garde contre les leurres écologiques qui sont actuellement « généreusement parsemés sur notre territoire », elle propose des solutions attractives commençant, comme par exemple, par la création d’un modèle français d’échanges énergétiques (s’attaquant à la généralisation des règles de construction) et qui se poursuit jusqu’à la construction d’immeubles-embases propres aux hybridations diverses, facteurs d’une dimension variable et attendue en architecture. Le livre blanc d’une colère noire… ! ML
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Avant-propos
Au lendemain de l’adoption de la loi Grenelle 1, et dans l’optique de participer pleinement aux réflexions sur le futur de la construction en France, le Plan Bâtiment Durable a lancé en 2011 le groupe de travail Réflexion Bâtiment Responsable 2020-2050, ou «RBR 2020-2050» Dès 2011, je suis donc invitée à participer à ce groupe de réflexion, composé d’acteurs représentatifs de la construction, ayant en charge de mener une réflexion prospective sur la ville du futur, à partir des enjeux actuels. Ces enjeux sont ceux d’une transition énergétique qui devrait faciliter une construction durable et responsable. Ce sont aussi ceux d’une reconquête industrielle et d’un regard bienveillant sur la planète qui nous porte. Ce livret est concu dans le cadre de ce cheminement exploratoire et dans le but d’essayer de faire vivre du partage énergétique et des pistes réalistes qui diffuseraient intelligiblement les vertus d’une attitude durable et responsable. Alain MAUGARD et Christian CLERET souhaitent que « l’ensemble des rapporteurs puisse contribuer au grand débat sur la transition énergétique. Un débat qu’ils désignent comme une des clés urgente d’un espoir industriel, économique et de collectifs humains responsables» Anne DEMIANS
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VOUS N’EN AVEZ PAS MARRE ? Interview Michèle LELOUP
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piniâtre, empêcheuse de bétonner en rond, impliquée dans l’acte de construire et dans la recherche en matière de loge-
ments et d’espaces de bureaux, Anne DEMIANS livre une architecture exigeante en phase avec les mouvements profonds de notre société. Mouvements qui gouvernent à une vitesse vertigineuse nos changements de vie dans l’art d’habiter ou de travailler. A travers son écriture, elle en fait une synthèse rigoureuse et opérante à contre-courant des modes opératoires d’hier ou d’aujourd’hui, en tenant compte des modèles économiques en plein bouleversement. En qualité de maitre d’œuvre à l’ouvrage, elle se dit responsable des programmes urbains qui lui sont confiés, un sentiment qu’elle partage avec ceux et celles qui s’interrogent sur les lègues laissés aux générations futures. Sa détermination sans faille se lit dans les chapitres de ce livre blanc qui questionne autant qu’il répond aux actions à mettre en œuvre au plus vite. A la lecture de ces pages militantes qui motivent son besoin d’agir, une question taraude mon esprit. Anne, n’en avez-vous pas marre ? Marre de vous situer à contre-courant des postures contre-productives ? Je suis fatiguée d’entendre des niaiseries sur l’environnement et de voir des acteurs de la construction planter des lits entiers de chicorées pour ne pas traiter les vrais sujets qui intéresseraient davantage et plus fondamentalement l’avenir de notre planète.
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Editorial
Marre de vous battre contre des moulins ? Le ministère le plus important est devenu celui de la Transition écologique et solidaire, loin devant celui de l’Economie qui ne laissera certainement pas de traces durables. A mes yeux, le ministère de Nicolas HULOT est aujourd’hui le seul capable (avec son caractère transversal) de faire la synthèse territoriale qui regroupe les intérêts respectifs de la ville, ceux de la construction, des transports, de l’architecture, de l’écologie, du paysage, du patrimoine et de la qualité de l’air. Marre de faire partie de commissions savantes sans voir aboutir votre action ? En effet, trop de commissions préfèrent s’en tenir à des rapports de synthèse qui aboutissent à rien. Mon rôle, dans le cadre du groupe RBR 2020, fut de faire basculer dans le réel des notions abstraites et réglementaires. L’ environnement m’intéresse dans sa dimension scientifique et non dans celle, superficielle, de sa communication. Plus que des architectes se contentant de mettre en scène une vision réduite de l’environnement, je me sens plus proche des chercheurs de l’Ecole Supérieur de Physique Chimie Industrielles (pour lesquels je redessine actuellement l’Ecole de Paris) qui s’intéressent à la Recherche fondamentale appliquée, à travers des applications directes qui font la synthèse entre la physique, la chimie et la biologie. Marre d’argumenter preuves à l’appui ? Prouver ne sert à rien tant qu’il n’existera pas de liens directs et sûrs entre l’écologie et l’architecture. Le but de ce livre est de situer la réflexion exactement là où j’ai le sentiment qu’elle devrait être exposée, pour qu’un vrai état des systèmes écologiques s’impose à nous qui construisons. 5
CHAPITRE 1 La ville et ses bonnes intentions C’était hier,
p.9
Quand en parallèle, C’est pour demain 1/ Innovation et mutabilité
p.14
Le numérique et la chronotopie, La mutabilité, Strasbourg, en cours de réalisation, La réglementation 2/ Décarboner et biodiversifier
p.18
Décarboner l’usage des énergies. Le nappage vert, L’ eau douce et l’énergie propre 3/ Modèle français
p.20
Une politique d’échanges responsable, Une ligne de partage nord/sud ou est/ouest. Trois grandes échelles ou l’immeuble, la ville, le territoire 4/ Les trois échelles
p.22
5/ Instituts pour un environnement évolutif
p.23
Pactes d’Intérêt Energétique (P.I.E.) et Lignes d’Echange Responsable (L.E.R.) Instituts pour le Développement d’un Environnement Evolutif. (I.D.E.E). Une assemblée d’experts 6/ Assembler les mesures nécessaires
p.24
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Sommaire
CHAPITRE 2 Illustrations
p.27
CHAPITRE 3 Des immeubles pas tout à fait finis
p.37
1/ Les alertes qu’il faut actionner (deux alertes sont possibles) p.38 2/ Les dispositions qu’il faut prendre (deux dispositions sont possibles) p.39 3/ Constater, transposer
p.41
4/ Assemblages hybrides
p.43
5/ L’heure du métissage
p.44
6/ Consonnances et dissonances
p.45
7/ Pas tout à fait finis
p.46
8/ Plus de malléabilité et d’imagination, moins de planification
p.48
9/ Les architectes de l’hybride
p.49
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Il s’agit dans ce propos d’explorer, voire de dessiner, des hypothèses censées définir les contours d’une ville responsable, bâtie moins sur des ordonnances que sur des raisonnements fiables et d’agir en conséquence pour diminuer, en priorité, nos émissions en carbone. Il s’agit enfin de montrer que c’est par les mises à jour continues des bâtiments (réhabilitations suivies ou hybridations fortuites) que la ville qui fait évoluer ses usages, sera moins émissive en carbone.
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CHAPITRE 1
LA VILLE ET SES BONNES INTENTIONS C’était hier C’était un temps où les objectifs urbains et les contrecoups climatiques n’avaient rien en commun, sans qu’on s’en soit vraiment aperçu. Dès lors, et alors qu’ils paraissaient si solides, comment aurions-nous su agir pour nous séparer de tous ces modèles planifiés, dépassés par la raréfaction croissante des ressources naturelles de la planète ou par l’accroissement inflexible de la population sur terre ? Est-ce parce que l’intérêt que nous portions à nos modèles économiques et sociaux se serait déplacé en rythme avec l’actualité, les alliances politiques renforcées, les désaccords scientifiques ou ces inventions insensées, sensées enrichir nos existences, sans que nous ayons pu maîtriser quoi que ce soit ? Et, aurions-nous pu assimiler ces facteurs changeants, sans essayer d’en rompre les mécanismes pernicieux? A travers les différentes époques que nous avons croisées, on le sait, ce furent toujours les systèmes sociotechniques qui modifièrent nos comportements. Ceux qui, articulant nos sociétés et ses croyances, présidaient à nos malaises. Ceux qui, contrefaisant les réflexes que nous avions acquis depuis tant de temps, accéléraient leur inefficacité. Il s’agit donc bien de revoir la technicité de nos villes et de leurs architectures.
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EMBARQUEMENT IMMEDIAT
L’internet fit réapparaitre l’idée de condominiums, du partage des espaces quotidiens comme de celui du travail, des villes gérées en assemblées, des mesures nouvelles renforcées par les dernières combinaisons foncières. On constate que ces changements se fabriquent à travers l’accroissement fulgurant d’une économie nouvelle et d’activités plus universelles. Différentes analyses évoquent une hybridation des cultures qui se développent de manière hypersonique, à travers des échanges permanents qui ouvrent à de plus grandes libertés d’expression et de mouvement, exceptées celles, encore vivaces, qui restent circonscrites aux réflexes dogmatiques des castes et des religions simplificatrices. Car, plus l’énergie d’une ville se transforme en culture (voir l’identification et l’embellie des architectures qu’elle produit) plus elle s’hybride, comme se complexifie simultanément l’accès à la compréhension des composants essentiels que sont ses architectures. L’invention de l’ascenseur aura permis de construire plus haut et de modifier la densité de la ville. La voiture aura permis de nous déplacer de plus en plus loin (et de plus en plus vite), contribuant à l’étalement incontrôlable de l’urbanisation. Le téléphone mobile aura changé les comportements courants et facilité la multiplicité et la simultanéité des actions dans un temps compressé, en faisant exploser la notion de distance effective. Le « recyclable » aura modifié la valeur d’usage, le « renouvelable », l’emploi de l’énergie.
EMBARQUEMENT IMMEDIAT
Quand en parallèle A/ On constate quelquefois découragés, notre incapacité à juguler la démesure commerciale, prioritaire sur toutes les autres, faite de mutations sociales et technologiques, quand il serait facile d’en recaler les facteurs serviables. La société, banalisant les effets d’une consommation excessive reste durablement enracinée dans des décisions faibles et ordinaires, paralysant ainsi l’évolution des villes. B/ On se dit que la dimension planétaire de l’internet a définitivement changé la forme du travail et l’accès aux connaissances, pendant que le développement des villes et des territoires reste tenu par des règles devenues totalement obsolètes. Cette contradiction renforce le mitage de nos régions par des constructions toutes aussi inertes que destructrices, sans qu’elles n’émettent aucune idée d’avenir (82 000 m² de terres agricoles disparaissent chaque année, en France, pour peu de résultats en retour). C/ Mal pensées et mal construites, les villes se figent par une réactivité beaucoup trop lente face à la vitesse d’évolution des complexités urbaines et des technologies galopantes. On le sait, elles n’évolueront que si elles se libèrent de l’emprise de ces stratèges du foncier qui raisonnent exclusivement en valeurs de rendement. Ou si elles parviennent à s’extraire de ces stratégies, encore plus restrictives et perverses, façonnées par les nouveaux ensembliers, prolongements directs et naturels des grandes entreprises françaises du BTP.
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EMBARQUEMENT IMMEDIAT
C’est pour demain C’est ce temps innocent au cours duquel le développement des villes connaitrait une nouvelle Renaissance. La présence de 7 milliards d’individus sur terre nous rapproche précipitamment, et non sans inquiétude, du chiffre des 9 milliards d’individus avancé par les démographes. Pour répondre utilement aux besoins de cette démographie, en pleine expansion, il devient urgent de reconsidérer, le plus largement (et le plus fondamentalement) possible, ce que nous apprend l’évolution naturelle des espaces urbains, une fois les densités remises à jour. Repensée avec ses extensions, la densité est le facteur majeur de la transformation des villes. Considérée comme la forme la plus efficace pour éviter de gaspiller les dernières ressources de la planète, cette densité réoriente la ville dans une direction neuve et pragmatique. En effet, la planète est un gisement de ressources fossiles dont on atteint les limites d’exploitation. Et les énergies renouvelables, même si elles se substitueront un jour au nucléaire et au fossile, ne savent pas être dissociées de la production des terres réservables, terres arables et productives, capables de nourrir, depuis toujours, les hommes et la faune ou de développer, en surface, la flore. L’identification précise des ressources et la manière la plus économe de les exploiter comme de les stocker, sont donc les clés des prochains modèles socio-urbains.
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Aussi, faudra-t-il rendre nos constructions garantes de leurs propres projets et voir ce que cela veut dire, en les inscrivant dans les actes, encore vierges, d’une nouvelle Renaissance. On peut affirmer qu’apprendre à moins (ou à mieux) consommer, comme apprendre à moins (ou à mieux) construire, deviendrait alors un code de conduite ordinaire. L’action la plus efficace consisterait donc à inverser l’ordre des priorités actuelles. On réfléchirait aux vides avant d’évoquer les pleins et on ne penserait à construire du neuf, que si on n’avait pas pu, avant, optimiser l’existant. Il s’agit donc bien, là, de cette idée qui consiste à proposer des mécaniques urbaines et constructives bâties sur une dimension juste et particulière. Puis, de les déposer ensuite au sol, dans des échelles variables. La ville resterait alors en lien interactif et continu avec son territoire. Les marqueurs de cette conquête effective (beaucoup moins théorique) pourraient être ceux-ci : 1/ Favoriser l’innovation dans les bâtiments en les soustrayant à la réglementation. 2/ Définir comment décarboner et biodiversifier. 3/ Installer un modèle français comme une référence de politiques d’échanges responsables. 4/ Renforcer les trois grandes échelles d’intervention. 5/ Subventionner des idées pour agir et promouvoir L’I.D.E.E. 6/ Assembler les mesures nécessaires
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1/ Innovation et mutabilité Le numérique et la chronotopie, d’abord La croissance de l’internet a des incidences certaines sur les modes de vie. « Petite Poucette » signé Michel SERRES permet de comprendre comment et combien le numérique a pu changer nos comportements au cours des dix dernières années. Cette énergie, qui fonctionne en dehors de la physique des matériaux courants, dématérialise nos rapports. Cette présence numérique s’est introduite dans nos phrases comme dans nos gestes, faisant glisser un pouvoir vertical et hiérarchisé vers un déploiement de décisions métissées, horizontal et plus collaboratif. La conduite au travail s’en trouve modifiée et l’espace est bouleversé, qu’il se situe sur une échelle rapprochée ou sur une échelle territoriale. Les centres-villes se transforment, intégrant l’idée d’une « chronotopie » fidèle aux objectifs d’une occupation optimisée annoncée. Il s’agit, en outre, de renforcer et de diversifier l’usage des surfaces, dans le temps, en leur attachant un calendrier qui optimise leur mise à disposition. Ce modèle horizontal, construit comme un étalon intelligent, dans lequel le temps est le facteur principal, renforce l’idée qu’on peut éviter de gaspiller des espaces, en donnant à les occuper plus de temps. Et, par conséquent, de construire moins.
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La mutabilité, ensuite Pour éviter de gangrener davantage un territoire mité par beaucoup trop de surfaces obsolètes et éradiquer cette surenchère d’espaces mal maitrisés (5 millions de m² de bureaux restent vides aujourd’hui parce qu’ils ne sont plus adaptés aux exigences actuelles de fonctionnement), on glisse, dans de nouveaux immeubles, bâtis hors la perspective de péremption à 10 ans, Cette idée de mutabilité qui s’inscrit obligatoirement dans l’ADN de chaque bâtiment. Nous sommes, là, dans la logique de ne rien figer, de proposer des surfaces disponibles et de faire en sorte que les villes, devenues des « villes-outils », se transforment aussi vite que les usages l’exigent (changements d’affectations qui dépendent de cycles économiques devenus de plus en plus courts). Cette mutabilité va incontestablement provoquer une nouvelle esthétique de la ville et des immeubles, de la rue et des espaces publics. Elle reste à découvrir et est certainement éloignée des modèles proposés jusque-là. Strasbourg en est un exemple concret.
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La réversibilité des espaces est traçable et vérifiable. Mise en place à l’occasion de l’opération des BLACK SWAN, construite à STRASBOURG, pour le compte d’ICADE, la réversibilité est une donnée tangible. Plus de hauteur sous plafond est donnée à la construction des logements qui constituent l’ossature du projet, améliorant ainsi le confort des habitations et permettant leur transfert vers des espaces de travail connectés. Une architecture banalisée de la façade (plus travaillée techniquement) contribue à cette disposition. Et sa texture concourt à augmenter la durée de vie du bâtiment. Des espaces disponibles (et non des espaces dédiés) sont proposés et l’ouvrage devient alors un espace capable, prêt à encaisser toutes les modifications d’affectations et de reconversions qu’on lui demande, sans aucune dégradation de son architecture et de son équilibre technique. Bien au contraire. La réglementation enfin : il devient urgent et capital de déréglementer. En effet, on devra engager des actions de dérèglementations (cf. le PERMIS de FAIRE) si on veut faciliter la réalisation d’architectures aussi adaptables que disponibles ou si on pense élargir les profils de la ville à des figures plus avenantes et plus souples. On corrigera donc les règles en cours, beaucoup trop contraignantes afin de booster l’innovation.
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En conclusion, il s’agira en priorité, de : 1/ modifier les autorisations de construire en établissant des permis mixtes montrant les installations initiales et leurs destinations potentielles finales. 2/ changer la règlementation technique (par exemple, s’affranchir du service de sécurité 24h/24h en proposant une sécurité alternative, mieux concertée avec les services de sécurité incendie) 3/ uniformiser les hauteurs des constructions dites domestiques en réglant leurs hauteurs respectives à minima sur un même gabarit maximum (règle affichant aujourd’hui une hauteur maximum de 28m pour les bureaux et de 50m pour les logements). 4/ inciter à investir ou de stimuler fiscalement la construction au travers de crédits RCBCE, équivalents à la somme due et qui peuvent être utilisés à l’occasion d’une autre opération. 5/ proposer d’étendre le taux réduit de la TVA à la vente de la majorité des logements en s’en tenant à la directive TVA et en revenant à une durée de régularisation, à 10 ans, au lieu de 20, pour éviter ses reversements. 6/ ramener le taux de l’IS de 33% à 19%, pour les opérateurs qui s’engageraient, par exemple, à transformer leurs immeubles de bureaux en immeubles de logements, sous 15 ans.
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2/ Décarboner et biodiversifier Décarboner l’usage des énergies. L’évolution rapide des technologies numériques a permis d’abaisser le coût du transfert de l’information sur les consommations en énergie (eau, électricité, gaz). En identifiant les pics de consommation journaliers, on peut désormais gérer plus efficacement les échanges énergétiques et les énergies renouvelables, dans chaque région. Un écosystème se met en place à travers un dialogue qui se situe au niveau des objets numériques et sans intervention humaine. On s’aperçoit que les gestes responsables ne sont pas forcément partagés par tous et compatibles avec nos modes de vie. Mais il faut agir vite maintenant sur l’ensemble des aspects d’une ville durable connectée pour stimuler la compétition et l’entraide inter-régionales. Avec un peu de discipline, on décarbonera l’ensemble de nos actions sur terre. Il faut, en effet, savoir qu’au mois d’août 2017, soit sur une période de 8 mois, nous avions déjà consommé l’équivalent de ce que peut produire la terre, sur une année, en énergie. La ville, la construction, les transports, l’architecture, l’écologie, le paysage, le patrimoine et l’atmosphère doivent faire l’objet d’une véritable synthèse territoriale. On évitera toute surconsommation, en s’interdisant de toucher davantage aux sols et aux sous-sols et en remettant à profit une atmosphère corrigée, une fois décarbonée.
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La biodiversité et le nappage vert C’est le pouvoir de mettre en œuvre, au niveau des agglomérations et des collectivités, une politique de gestion initiée par le public et étendue au secteur privé, à travers des mesures d’incitation à agir. Ce sont des actions concrètes qui visent à ralentir la perte de biodiversité. Des corridors écologiques sont créés (ou renforcés) avec l’intention de préserver le plus d’espaces naturels et de terres agricoles possibles. C’est un nappage vert qui préserve les caractéristiques végétales du territoire. C’est l’idée de moins construire et de mieux construire pourpermettre de plus grandes libertés d’action et de décisions pour la prochaine génération. Les territoires, laissés vacants, sont requalifiés par d’authentiques espaces de biodiversité suggérant, qu’en contrepartie, on réalise de la densité urbaine. Les villes sont contenues dans leur expansion. Leurs limites ne sont pas floues et distendues. Les paysages préservés sont structurants. Ils permettent de fabriquer des liaisons douces et ombragées entre les cités.
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3/ Modèle français Une politique d’échanges responsable Et comme il s’agit de poser une politique d’échanges responsables (matériaux, énergies, ressources et savoir-faire) à travers tout le territoire, on proposera d’établir ses bases, en priorité, sur un modèle français de développement. On sait bien que la réglementation et les certifications françaises ne font aucune différence entre les régions Nord, Sud, Est ou Ouest de la France. Car, quel que soit l’espace géographique sur lequel on construit, on subit l’esprit centralisateur et estampilleur du contrôleur technique ou la pensée martiale du codificateur. La condition réglementaire, qui se montre plus généralisante que bienveillante, montre ses limites quand il s’agit du climat et de ses comparateurs thermiques. Les orientations, le confort d’été, le confort d’hiver, les ponts thermiques, les isolations, l’inertie des ouvrages, la dimension des ouvertures et même l’arrosage des jardins, sont exclus de toute logique spécifique ou régionale au profit de règles universelles construites sur des modèles administratifs toujours aussi autistes. Les objectifs particuliers y sont absents. Les résultats qui sortent des études en cours montrent une certaine contre-productivité économique, portant sur des surabondances
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énergétiques (graves) ou des insuffisances calorifiques (inquiétantes). De grandes différences climatiques existent. (voir le nord et le sud de la France) en face desquelles il s’agit d’opposer la notion d’échanges responsables (dont nous parlions) et d’en exploiter les différences par voie règlementaire. On rééquilibrerait alors les charges énergétiques à travers le territoire, comme on le fera bientôt avec les ressources agricoles, maritimes ou bioénergétiques (vent, pluie, eau, soleil). L’eau douce et l’énergie propre En même temps, et dépassant l’intérêt qu’on porte à l’indépendance énergétique des nations, la vraie indépendance des pays va s’organiser dans l’avenir à partir de la raréfaction de l’eau, sur les réserves naturelles et sur l’énergie. L’eau douce et l’énergie propre vont devenir, de manière croissante, les nouvelles valeurs d’échange. Face aux enjeux énergétiques mondiaux, un nouveau modèle français, qui découle directement de la situation géographique privilégiée du pays, peut émerger sur sa capacité à réorganiser les consommations et à accroitre son autonomie énergétique (sans oublier toutefois de les inscrire dans un système d’échanges avec les pays limitrophes). Une ligne de partage nord/sud ou est/ouest.
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La France possède, en effet, des terres, des mers, des côtes, des plaines et des montagnes. Il y fait froid et chaud, au même moment, sur une ligne de partage nord/sud ou est/ouest. On y croise des terres humides ou des terres sèches. On y répertorie des énergies renouvelables et des ressources naturelles, comme le soleil des régions sud, les vents des côtes d’ouest, les pluies du nord et la neige de sa façade est. L’eau y est présente, sous toutes ses formes, et en abondance. C’est cette richesse de l’eau qu’on doit exploiter cardinalement dans toute ses dimensions.
4/ Les trois échelles Il existe trois grandes échelles sur lesquelles appuyer un raisonnement et rendre toute intervention construite pertinente (l’échelle de l’ouvrage, l’échelle des assemblages du quartier, celle du territoire) Ces trois échelles désignent ce qu’on appelle la Ligne d’Echange Responsable (LER) C’est sur l’échelle des lignes de partage nord/sud et est/ouest, que l’on peut créer un échange d’intérêts spécifiques entre deux villes éloignées l’une de l’autre ou entre deux pays limitrophes, mais opposés sur le plan climatique. Des complémentarités se mettent alors en place sur une échelle macro-économique et sociale, en créant de nouvelles relations culturelles, économiques et industrielles dont les exercices se pratiquent entre des cibles territoriales (ou urbaines) consentantes.
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5/ Instituts pour environnement évolutif Instituts pour le Développement d’un Environnement Evolutif (I.D.E.E.). Pour agir efficacement et développer Pactes d’Intérêt Energétique (PIE) et Lignes d’Echange Responsable (LER), il est indispensable de monter et de financer des comités d’incitation à la réflexion, au développement et à la surveillance des applications. Ces hauts conseils de l’Environnement se présenteraient sous la forme de 4 Instituts pour le Développement d’un Environnement Evolutif. (I.D.E.E.). Ce seraient des établissements gérés à la fois par l’Etat et par le secteur privé, et qui se répartiraient dans 4 régions de France. Ils fonctionneraient, transversalement, sur des morceaux de ville et des bâtiments, apportant aux maires, aux collectivités territoriales et aux régions, des propositions critiques et constructives. Une assemblée d’experts Leurs réflexions se manifesteraient à partir de celles qui auraient été émises par une assemblée d’experts, élargie aux hommes de terrain. Des aides et des subventions d’Etat stimuleraient ceux qui se seraient inscrits sur ces Lignes d’Echange Responsable, et qui auraient signé les pactes qui s’y référent en poussant toutes les réflexions théoriques, suffisamment vérifiées, à se situer sur les champs opérationnels. L’I.D.E.E. est renouvelé. Les membres sont choisis dans des branches professionnelles et universitaires différentes : planification, environnement, politique, paysage, économie, énergies, anticipation, sciences, philosophie et architecture.
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6/ Assembler les mesures nécessaires Bâtir ou aménager le territoire, on le sait, est un acte engageant. Mais il ne s’agit pas de tout arrêter pour réparer ce qui ne fut pas fait dans des règles de sauvegarde de notre environnement dans ces longues périodes pendant lesquelles construire tenait lieu de progrès social, évident et majeur. Il s’agit seulement d’en prendre conscience et d’agir collectivement, de repenser complètement notre culture d’approche des situations énergétiques et territoriales et penser à tout ce qui nous y conduit, de manière plus synthétique. Un modèle français est possible. Il servirait de plateforme d’échanges à des énergies très différentes mais produites en France avec des données climatiques spécifiques à chaque région. Elles seraient mises en ligne pour être partagées, après qu’on eût doté l’espace habitable de toutes les dernières technologies. Il s’agit, avec ce modèle, de prendre toutes les mesures nécessaires, en partenariat avec tous les secteurs concernés, pour les assembler dans une vision plus unifiée et interconnectée de la ville et du territoire.
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Il s’agit, dans ce qui suit, de mettre à la suite une série d’illustrations qui accompagnent le propos sans, pour autant, les commenter autrement qu’en les reliant à leur sujet avec juste quelques mots significatifs. C’est le lecteur qui fera l’effort de les rapprocher, à travers son imagination, aux thèmes abordés dans le propos.
Nils UDO / photographie / regards sur les racines
Geoffroy FARMER / leaves of grass / 2012 / assemblée poreuse
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CHAPITRE 2
Christian LACROIX / veste de satin noir hybridée broches acier et perles
Jean Paul GAULTIER / extensions colorées d’un tailleur noir support
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NiLs UDO / paysage synthétique
Yona FRIEDMANN / ville support aux espaces interchangeables
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New York city / homogénéité
Vitiligo mannequin / how is beautiful
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Black Swans à Strasbourg / Anne DEMIANS / disponibilité
Black Swans à Strasbourg / Anne DEMIANS / la ville-outil
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Exposition LONDRES / 2016 / urgence des mutations
L’eau / la prochaine rareté
7 milliards d’individus
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C
Emissions carbone dans l’atmosphère : « on marche sur la tête ! »
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Espaces capables et espaces disponibles, Pop UP/ 2016/ AAD
Mobilité et déplacement / Lycée Hôtelier de GUYANCOURT / AAD
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Résolution climat/ dispositifs passifs/ Val-de-Fontenay/ Société Générale
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Black Swans à Strasbourg / Anne DEMIANS/ Réversibilité
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Territoire incertain à urbaniser dans une situation improbable C’est décider de créer un paysage composite dans un territoire homogène à condition de bien compre,dre ce que doit être l’échelle de chacun. Avis aux amateurs.
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CHAPITRE 3
DES IMMEUBLES PAS TOUT A FAIT FINIS Actuellement, la performance en architecture, (au sens où les artistes l’entendent), est une machine à mettre de la forme sur tout ce qu’on vous propose sans jamais réinterroger le programme, mais pourvu qu’on produise des objets visibles, servant une communication qui n’a, à priori, plus rien à voir avec l’architecture. Ce que veut dire cette simple observation, c’est que le monde se déplace si rapidement et si brutalement dans l’embrouillamini que nous vivons que toutes les évolutions actuelles de la pensée (qu’elles soient mécaniques ou artificielles), ne sont pas assez puissantes pour influencer le milieu des architectes, complètement raccord avec l’abandon des valeurs essentielles qui fondent sa discipline. Il faut du temps et de l’engagement pour construire. Et rien n’est possible si le déroulé des évènements s’arrête à de la production façonnée pour du court terme ou à des architectures mises en route sans que le mode d’emploi de leur mutation soit donné avec leur livraison. « La bonne attitude en architecture est donc bien celle qui fait œuvre, avant même que l’œuvre soit achevée. Car, après, c’est trop tard. Elle est prématurément figée dans l’espace et contraint sa propre évolution. Et ça, ce n’est pas actuel. La bonne attitude avec la ville, c’est un peu pareil. Le mieux, c’est quand elle ne décide pas trop tôt à quoi elle veut ressembler à la fin ».
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EMBARQUEMENT IMMEDIAT
1/ Les alertes qu’il faut actionner (deux alertes sont possibles)
Admettons que nous soyons à un moment important d’une histoire urbaine et territoriale perturbée par les bouleversements numériques et énergétiques qui nourrissent nos expériences en cours. Une réorientation des attitudes vers quelque chose de plus constructif semblerait nécessaire. Nous pourrions alors attester que l’inventaire citoyen que nous laissons derrière nous (considérer toutes ces années de surconsommation négligente de l’espace), nous aurait au moins servi à mieux savoir construire. Parallèlement, en attendant une transformation inévitablement radicale de la pensée ou un bouleversement dans les attitudes qui conduisent à la construction traditionnelle de l’espace, il semble bon qu’on s’intéresse à des solutions capables de remobiliser notre discipline dans les voies du questionnement, de la réflexion, de l’expérimentation.
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EMBARQUEMENT IMMEDIAT
2/ Les dispositions qu’il faut prendre (deux dispositions sont possibles)
Dans un cadre d’une ouverture franche, nous pourrions mettre à jour deux dispositions constructives qui transposeraient dans l’architecture tout ce qui s’exprime culturellement autour de nous. Nous avons bien conscience que nous traversons un système politique et social structurant et des digressions de plus en plus nombreuses provenant, toutes, sans aucun frein, des signaux de l’internet et de l’éclatement des codes de conduite. Aussi, pourrions-nous les traduire dans ce que nous bâtissons : ce seraient, soit des immeubles aboutis mais, en même temps, aptes à embarquer d’autres programmations (l’embase), soit des immeubles d’anticipation s’exprimant librement sur leurs contours (l’hybridation). Mais, s’agit-il pour autant de libérer la construction au point de ne plus contrôler le placement de l’ut sur la partition ? Bien sûr que non. Car, peut-être est-il seulement redevenu utile de re-profiler des projets d’architecture en commençant par le début et non pas par l’image d’une promesse qu’on ne saurait tenir.
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Considérons donc, pour étayer cette démarche, qu’il faille, tout de suite, dégager les expressions convenues, ces traductions évaporées de tranquillisants consensuels, pour espérer juste faire un peu mieux. L’architecture serait peut-être alors plus inspirée, plus solide et plus singulière. Ces architectures d’embase s’enrichiraient d’additions de ponctualités nuancées de nouveaux usages associés à de nouvelles esthétiques Elles formeraient de nouveaux paysages dans lesquels les transformations seraient regardées avec grande acuité, puis assemblées par des acteurs dont le rôle serait de vérifier leur place dans les différentes échelles d’une pertinence urbaine. On produirait certainement des morceaux de ville mieux éduqués, révélateurs d’une société en déplacement, mais placés en situation de « ne pas vieillir si vite ». Pour le moins, nous développerions des hypothèses mieux construites que ces bonnes et vieilles formules reconduites par des arrangeurs de villes. « tout serait alors plus inattendu et nous évoluerions en dehors des circonvolutions ténébreuses d’une époque que Michel ONFRAY qualifie de blanche et neutre, pendant que Michel HOUELLEBECQ la décrit, comme transie et soumise ».
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3/ Constater puis transposer Imaginons maintenant que nous décidions de mettre à mal toutes ces figures simplificatrices que la communication (cette reine des raccourcis), nous livre en masse et que nous regardions du côté d’une société plus exigeante (mais indolente), plus mobile (mais confuse) ou plus alerte( mais dispersée). Nous constaterions qu’à ce momentlà, on parlerait plus d’hybridations fortuites, d’assemblages bâtards ou de coïncidences chamarrées, base d’une nouvelle esthétique. Imaginons ensuite que nous nous intéressions à des ouvrages-supports (des architectures-socles) pour mettre fin à des constructions trop abouties, seulement produites pour favoriser l’investissement dans la pierre ou la location libre. Les immeubles se présenteraient alors sous la forme de structures en situation d’attente, potentiellement capables de prolonger l’espace au-delà de ses propres limites verticales et horizontales. L’architecture des immeubles et le dessin des façades seraient engagés géométriquement dans un pas universel. Les embases ne subiraient aucun dégât d’ordre esthétique et technique et l’équilibre foncier en sortirait même amélioré. On corrigerait la trajectoire du programme ou on s’étendrait in situ, en favorisant la sédentarisation de ceux qui voudraient rester sur place, se rendant mobiles par l’extension numérique, infiniment plus économe en bilan carbone que les déplacements mécaniques à l’envi, à tarif réduit.
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Black Swans / après hybridation (autour de 2030)
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A l’évidence, ces mutations réclameraient des dispositions foncières particulières et immédiates. Les règles s’appliquant sur les gabarits et les alignements seraient à réécrire entièrement. Et nombre de règlements deviendraient obsolètes. Mais, après tout, n’est-ce pas aux administrations de convaincre par leurs capacités d’anticipation ? « Nous serions entrés alors, ouvertement et conscients, dans l’univers d’une hybridation d’un genre nouveau, voulue et préparée »
4/ Assemblages hybrides En 2003, Christian LACROIX, dans sa collection printemps-été, ose la cohabitation, avec une capote fin XIXe, portée avec un court jupon en organdi, croisement des temps, des matières et des destinations. En s’attaquant au mélange des genres, le couturier poursuit dans la voie d’une créativité débridée. Parallèlement, Jean Paul GAULTIER récupère, découd, casse puis assemble. Il démontre que cette inventivité est en train de casser les édits au profit d’œuvres pleines d’àpropos. Désormais, associé à l’image de l’architecture, cet éclectisme d’assemblages maitrisés, ne se situe plus dans les différentes pièces d’une même collection de printemps ou d’une série de bâtiments, élevés sans grande unité de matières ou de formes. Il peut configurer la pièce, elle-même.
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5/ L’heure du métissage Voici donc venu le temps des appellations semi contrôlées, des demi garanties, des certifications incertaines, des matériaux composites et des moteurs hybrides. Nous sommes à l’heure du métissage, du mélange des mots et des expressions, des langages et des genres. Le cinéma et la télévision nous apprennent à confondre réalité et fiction, les vrais mensonges et les fausses vérités. Chacun installant ses propres entassements. D’ailleurs, pourquoi se gênerait-on de laisser apparaître la traçabilité de ses emprunts ? Plutôt que de laisser se faire des réalisations imparfaites, il semble plus sûr et préférable de consolider l’idée de construire d’abord des architectures qui seraient des socles ou des embases capables de préparer leur propre suite et qui seraient les premières roches poreuses d’une œuvre qui trouverait sa finalité, non pas dans l’annonce de sa forme définitive mais à travers les signes en creux de sa propre descendance. En 2006, avec Consonances & dissonances, je disais qu’il était possible de revoir les bases d’une l’architecture utile, en la comparant avec ce qui se passait alors dans l’art, l’industrie, le design ou la haute couture. Il me semblait impossible alors de faire l’impasse sur le rôle que devait tenir l’architecte dans une société qui se modernisait à la vitesse ahurissante du développement de l’internet. « Les réponses qu’il devait rendre devaient surtout éviter les travers d’une communication réglée sur la fulgurance de l’information plus que sur l’information elle-même ».
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6/ Consonances et dissonances Consonner, c’est pactiser d’abord avec les différentes échelles de la ville et des ouvrages. L’embase est consonante. Elle est unitaire. Elle est solidement ancrée autour d’une ossature normalisée et finalisée. On dirait aujourd’hui qu’elle est capable et qu’elle doit, pour convaincre, affermir ses dispositions constructives par de la mutabilité et de la réversibilité. L’embase est une grille élevée à partir de structures répétitives qui restent entr’ouvertes à des additions ou à des adaptations plus ou moins importantes. Elle s’exprime avec un minimum de signes, dans un ouvrage sans complexité apparente et se rapproche de ce qu’on appelle une appellation contrôlée. Elle n’est que l’état provisoire d’une œuvre, une façon d’anticiper les mutations de l’ouvrage et ses extensions. C’est un quadrillage simple qui se forme sur une échelle provisoire, en attendant que se dessine l’espace définitif, après qu’auront été écartés tous les développements licencieux. « Le principe étant de déterminer, le plus tard possible, la destination de l’ouvrage sans donner dans la banalisation de son architecture ».
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7/ Pas tout à fait finis Car l’idée est bien de laisser se propager des univers pas tout à fait finis, construits pour laisser se produire de nouvelles tonalités. On arrête les premiers temps d’une maquette grandeur qu’on vient compléter par des états successifs pris dans un monde réactif. On usine un cadre brut à compléter, en prenant soin, à chaque fois, de reconstituer une architecture coordonnée et déliée, avec autant de vues que nécessaires mais n’empêchant pas un résultat esthétique et technique parfaitement maitrisé. Entêtées, ces turbulences, occasionnelles, temporaires ou définitives, chargent le projet en sensations fortes et en ambiances imprévisibles. Elles sont différentes de celles qui ressortent de l’embase et reformatent ses destinations en en changeant l’architecture, sans trop forcer le trait. « Plus concrètement, la méthode par support extensible est pensée en termes d’espaces immédiatement disponibles, présentant des mesures conservatoires adaptées et autorisées pour permettre extensions, superpositions ou surélévations contrôlées ».
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Black Swans / dans leur état d’origine (2017-2018)
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8/ Plus de malléabilité et d’imagination, moins de planification C’est ainsi, qu’avec plus de malléabilité et moins de planification, nous pourrions reprendre la main sur la fabrication de la ville et sur ses composants, pour qu’elle respire surtout mieux. L’organisation de l’espace urbain se réaliserait à partir des masses construites mais aussi d’une densité autorisée qui s’étendrait au-delà des limites foncières d’origine, d’alignements ou de gabarits désavantageux. Les dilatations deviendraient maitres du jeu. La ville se reconstruirait sur elle-même, mais différemment. Elle deviendrait presque automatiquement expressive. Les codes de lecture changeraient, les références feraient peau neuve et l’esthétique de la cité se construirait sur l’interprétation, en live, des bouleversements socio-fonctionnels en cours et de toutes les technologies nouvelles et numériques économisant l’énergie. «Tout effet de style est devenu vain et tout projet, remplissant correctement les cases, fâcheux et ennuyeux. Ils conduisent la ville à n’être visible que dans une figure finale et stratégique dont l’imagination ressort de celle qui se programme avec chiffres, tableaux et règlements, faisant fi de l’espace et du temps ».
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9/ Les architectes de l’hybride La Renaissance avait fait de l’architecte un homme universel. Il était architecte, mais pas seulement. Il pouvait être en même temps architecte, philosophe, peintre, mathématicien, sculpteur, inventeur ou négociateur et ne se contentait pas d’exercer seulement dans l’art de construire. La période moderne, jouant sur l’efficacité absolue de l’individu, l’obligea à se spécialiser dans un art ou dans une discipline précise, lui ôtant toute initiative interdisciplinaire et réduisant son champ d’action à une seule matière. C’est ainsi que les architectes perdirent non seulement toutes attributions parallèles ou complémentaires, mais encore se retrouvèrent, à l’intérieur de leur propre discipline (et pendant tout leur exercice), enfermés dans un registre unique et précis. L’internet reconsidère le rôle de l’architecte et le projette dans un univers hybridé mais pas de la même manière qu’à la Renaissance. L’homme perd ses facultés à n’exercer que spécialisé, percuté par l’accès aux connaissances diverses portées par l’internet. Ses connaissances sont celles qu’il moissonne sur un écran, quand bon lui semble et sans jamais s’encombrer d’informations qu’il sait trouver instantanément. Le net lui explique que l’addition des informations peut créer une information en elle-même, entière et synthétique, et que l’interdisciplinarité prônée dans le courant du vingtième siècle (pour pallier à l’impasse de l’hyperspécialisation à l’américaine) se résout aujourd’hui plus par les réseaux sociaux et les banques de données numériques que par l’addition d‘individus spécialisés.
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C’est donc qu’on en vient bien à des architectures hybrides dont les paramètres différenciés sont donnés non plus par des hommes autour d’une table, mais par un individu qui synthétise un ensemble de données devenues plus facilement accessibles mais pas forcément approfondies. « La différence entre une bonne et une moins bonne architecture relevant désormais de la capacité de l’architecte à faire un tri sévère dans un trop plein d’informations ».
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Architecte, diplômée en 1990, Anne DEMIANS est aujourd’hui à la tête de l’agence Architectures Anne DEMIANS (AAD) « Son travail est au cœur de cette façon neuve de voir l’architecture. Elle mène des travaux synthétiques et fondamentaux qui s’inscrivent dans leur temps, avec un cadrage à la DOLAN et une énergie à la BANSKY ? que quelques rares observateurs ( journalistes, critiques, universitaires ou commanditaires) ont déjà décryptés » Anne DEMIANS construit son parcours avec une unique obsession : celle d’élargir le plus possible les champs d’application de ses réalisations et de ses contributions pour qu’elles résultent instantanément des évolutions ultra-rapides de notre société. Le texte « Consonance et Dissonance », qu’elle publie dès 2006, parle déjà du mélange des genres et des langages, des vrais mensonges et des fausses vérités, en architecture. Elle parle des fabrications consonantes, bâties volontairement sur des valeurs dissonantes et propose que l’on admette « l’hybridation et la circonstance » comme les possibles ossatures d’une œuvre d’architecte. Mais, c’est sa nature profonde, faite d’art, d’histoire et de technique, qui lui permet d’exercer sportivement ce métier, avec une nouvelle manière de faire, usant de réflexes qui tiennent d’une société coulée puissamment dans le numérique et dans l’instantané. Ce qui ne l’empêche pas de prendre le temps de resituer les fondamentaux, partout là où elle intervient, quelles qu’en soient les contingences. Elle écrit, prend position, réalise, enseigne et apporte sa contribution à plusieurs groupes de travail sur la ville mutable, l’environnement et l’énergie, en refusant les images trop rapides, vides de sens, d’un environnement caricaturé et attendu. Michèle LELOUP 52
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Textes : Anne DEMIANS ARCHITECTURES ANNE DEMIANS 15 rue de Chabrol 75010 Paris www.annedemians.com Conception graphique et fabrication : AAD / Anne LERONDEAU / David DAHAN Relecture : Anne LERONDEAU / Michèle LELOUP Agence 14 septembre Photos : Jean-Pierre PORCHER Perspectives : Igor SANCHEZ Achevé d’imprimer en décembre 2017 en France par Panoply la chaine graphique
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