Zibeline l'hebdo Cult' #39/40

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CULTURE LOISIRS TÉLÉ ciné

28.06 > 12.07.2019

ZIBELINE

L’hebdo Cult’ n° 39-40 2€50

L 18754 - 39 - F: 2,50 €

les expos de votre été

Richard Martin Révolte au se rebiffe Département 13



sommaire 39 40

Politique culturelle (P.6-19) Enquête sur la culture au Conseil départemental 13 La Gare Franche et le Merlan se marient Montévidéo et Actoral en danger Fermeture du Polygone étoilé Droit de réponse du théâtre Toursky Réponse au droit de réponse du théâtre Toursky Inauguration du MoCo à Montpellier

Cité Queer (P.20-21) Marches de la fierté gay à Nice, Marseille et Montpellier Homo ça coince , création du collectif Manifeste Rien

société (P.22-24) Les multinationales de l’eau Prix Médiatiks au journal scolaire de l’école Chabanon, Marseille

festivals (P.25-27) Festival de Marseille Cabaret Nomade Les Estivales de Berdine Les Musicales de Gardanne Kalune, en concert lors du Cabaret Nomade

© X-D.R

ARTS VISUELS (P.28-43) Jean Prouvé à La Friche de l’Escalette, Marseille Rhum Perrier citron menthe à La Friche, Marseille On n’a rien inventé ! au Musée d’Histoire de Marseille Chefs-d’œuvre du Guggenheim à l’Hôtel de Caumont, Aix Aki Kuroda au Musée Lapidaire, Avignon Picasso au Musée Angladon, Avignon Bêtes de scène à la Villa Datris, L’Isle-sur-la-Sorgue Picture Yourself à la Maison de la photographie, Toulon Vincent Bioulès au Musée Fabre, Montpellier Jaap Gardenier au Musée de Salagon, Mane Au programme : Marseille, Aix, Martigues, Avignon, Châteauvert, Lodève, Sète, Exposition de Jaap Gardenier au Musée Salagon, à Mane. Abattoir 1 1982 © J.M. D'Agruma

Sérignan, Occitanie

CONSEILS TÉLÉVISION (P.44-45) LITTÉRATURE (P.46-47) Feuilleton littéraire d'Éric Pessan, troisième épisode Exposition au Musée Fabre, Montpellier. Vincent Bioulès, Carnon, 1989-1992, photo Didier Michalet © ADAGP, Paris, 2019


cepacsilo-marseille.fr 09 70 25 22 12

VILLE DE MARSEILLE

CEPAC SILO

z e n n o Ab vous ! -

Martin Carrese

2019

CEPAC SILO ARA MALIKIAN | LE SECRET DES CIGALES AVEC PATRICK SÉBASTIEN | CIRQUE PLUME ENCORE UN INSTANT AVEC MICHÈLE LAROQUE & FRANÇOIS BERLÉAND CASSE-NOISETTE PAR LE BALLET DE MILAN | FILLS MONKEY | MICHÈLE BERNIER | TUTU LA DAME DE CHEZ MAXIM AVEC ÉNORA MALAGRÉ, SOPHIE MOUNICOT & CHRISTOPHE ALÉVÊQUE

2020


edito

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Miss France n’est pas de la culture populaire

e Conseil municipal de Marseille vient d’allouer 150 000 € à l’accueil du concours de Miss France dans la ville. Un socle, susceptible d’être largement augmenté : l’accueil du dernier concours a coûté 500 000 €. Au-delà de l’indécence d’une telle dépense dans une ville traumatisée, où les expulsés pour cause d’habitat indigne ne sont pas relogés, au-delà de l’illusion que l’organisation d’un tel concours va participer, comme le déclare Jean-Claude Gaudin, au « rayonnement de la ville », c’est l’idée même de la culture populaire qui est gravement dévoyée. Samia Ghali (PS) souligne que « Les Français aiment Miss France » tout en regrettant que les associations féministes de Marseille ne reçoivent que 46 000 € de subventions. Propos repris par Yves Moraine (LR) qui reconnaît qu’« on peut aimer Miss France ou pas » mais qu’on ne dit pas non à un direct de TF1 suivi par 9 millions de Français. Mais faut-il donner de l’argent public à un prime time sur une chaîne privée juste pour redorer une image médiatique ? Est-ce au nom

du goût commun qu’il faut attribuer l’argent public, ou au titre de l’intérêt général ? La culture vue à la télé, promue par TF1, n’est généralement pas celle qui sert au partage de l’art et à l’éclosion de pensées nouvelles ! Est-il utile de démontrer qu’exposer des femmes en bikini participe au maintien des préjugés de genre ? La prétendue beauté de ces jeunes femmes est fabriquée à coup de tout ce que des siècles de domination ont érigé en critères esthétiques : chaussures malaisées, cheveux longs défrisés, lobes troués, lèvres repulpées, poils arrachés et cils rallongés de colle noire. Et, surtout, camouflage coûteux des marques que les ans, la vie et ses joies, impriment sur nos corps et nos visages... Le goût commun se fabrique à force de messages répétés. Les Français aiment Miss France ? Peut-être. Ils aiment aussi le sexe monnayé, les blagues racistes et homophobes et le spectacle de la violence. L’argent public devrait servir à les détourner des préjugés qui les oppriment, et non à conforter leur prétendue culture populaire. AGNÈS FRESCHEL

Photo de couverture : Katia Bourdarel, Je suis une louve, © Aeroplastics, Bruxelles

Exposition Bêtes de Scène jusqu'au 3 novembre, Villa Datris, L'Isle-sur-la-Sorgue ZIBELINE L'HEBDO CULT' CULTURE

LOISIRS

TÉLÉ

Administration admin@journalzibeline.fr contact@journalzibeline.fr

CINÉ

Hebdomadaire paraissant le vendredi

Directrice de publication Agnès Freschel

Édité à 20 000 exemplaires par Zibeline

Rédaction : journal.zibeline@gmail.com

BP 90007 13201 Marseille Cedex 1 Dépôt légal : janvier 2008 ISSN 2491-0732 Imprimé par Rotimpress Imprim’vert - papier recyclé

Commerciale Rachel Lebihan rachel.zibeline@gmail.com

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politique culturelle Conseil départemental 13

Au cœur de la Vassalisation Au Conseil départemental 13 et chez les opérateurs culturels qui en dépendent la révolte gronde. Gros plan sur un système d’asservissement conférences de presse, les ouvertures de festivals ; on crée des événements gratuits et populaires dans les communes amies ; on y déploie ses kakemonos, ses slogans, ses logos. Cela est commun, pratiqué par tous. Mais le Conseil départemental 13 va plus loin : non seulement il exerce une censure idéologique au sein même de ses services culturels (voir pages suivantes), mais encore il instrumentalise les événements culturels et, par là-même, féodalise les artistes.

Un système

© AF

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es opérateurs culturels dépendent directement et sans filtre des financements publics, globalement en baisse. Une situation délicate qui les amène souvent, lorsqu’ils sont en difficulté, à taire les pressions auxquelles ils sont soumis et dont ils n’ont pas de trace écrite. La pratique d’un certain chantage tacite n’est pas récente, et les élus ont tendance à utiliser les subventions culturelles pour récompenser ceux qui les servent, confondant leurs intérêts politiciens, c’est-à-dire le fait d’être réélus, et l’intérêt politique, c’est-à-dire les droits culturels de leurs administrés et la santé des professionnels de la culture. Ils incitent donc les opérateurs culturels à participer à leurs opérations de

communication. Les élus ont cependant un problème avec cette instrumentalisation courante : la loi interdit que les subventions de fonctionnement soient attribuées en échange de prestations : si une association, un festival, reçoit une subvention pour son activité, les collectivités ne peuvent lui demander « en échange » de participer aux événements dont ils sont opérateurs. Ils doivent les financer indépendamment. Comment font-ils pour que le financement de fonctionnement des opérateurs culturels bénéficie à leur propre image ? Les moyens sont nombreux, et mis en œuvre par tous, depuis longtemps : on s’empare de la parole pour vanter la politique de sa collectivité durant les

Depuis son arrivée à la présidence du département Martine Vassal a commencé par baisser très nettement les subventions aux associations culturelles. Puis elle a créé des événements : les Capitales Provençales de la Culture, les Dimanches de la Canebière, l’Année de la Gastronomie. Les opérateurs culturels, s’ils veulent retrouver leur niveau de financement d’avant la vassalisation, doivent donc obtempérer, répondre aux appels d’offre et participer à ces opérations. Qui sont très nettement orientées : ainsi les capitales affirment l’identité provençale. Quant à passer une année à fêter la gastronomie quand les réfugiés se noient à nos portes que les immeubles s’écroulent, cela cantonne les artistes à une superficialité désespérante... De plus, la confusion règne entre les intérêts des collectivités. Ainsi les Dimanches de la Canebière ont lieu dans le secteur dont Sabine Bernasconi, adjointe à la Culture du CD 13, est aussi maire. Un secteur essentiel pour qui veut conquérir la Mairie de Marseille, mais aussi la gouvernance de la métropole, actuellement présidée par... Martine Vassal. Le slogan, qui a été décliné lors de vastes campagnes d’affichage, semble délivrer un message subliminal :


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Suite de l'enquête pages suivantes

Quand le Département s’engage, c’est La Provence qui gagne. Faut-il lire plutôt que l’on gagne ? La prochaine disparition du département, et son remplacement par une métropole dont l’assemblée est élue au suffrage indirect par les conseillers municipaux, va donner un poids inédit au prochain scrutin municipal...

Sortir du silence Les opérateurs culturels dénoncent « en off » les pressions qu’ils subissent lors de rendez-vous auprès de la collectivité. Ils savent que le maintien de leurs subventions dépend directement de leur participation aux politiques culturelles

départementales mais ne parlent pas, de peur de devoir se passer de ces financements essentiels à leur survie. Sauf quand ils sont au bout des restrictions, comme les événements arlésiens particulièrement mis à mal (voir page suivante). Aujourd’hui ce sont les salariés du département qui dénoncent ce système aux Archives, à la Bibliothèque ou dans les musées départementaux. Du moins ceux qui subsistent : le Château d’Avignon, la Galerie d’Aix ont été fermés, le Domaine de Saint-Pons n’a plus de programmation culturelle, celui de l’Étang des Aulnes n’accueille plus que des résidences d’artistes sans technicien et sans prise en charge

des frais des compagnies.... Pour retrouver leur indépendance, il faudrait que les opérateurs culturels prennent, ensemble, le risque de parler. Et les médias celui de dénoncer les pressions économiques qu’eux-mêmes subissent : les marchés publicitaires du département, essentiels à la survie de la presse, fluctuent au gré du contenu des articles, plus ou moins favorables à la politique départementale. Zibeline, depuis 4 ans, ne bénéficie d’aucun achat publicitaire ni d’aucun financement du département. Nous en vivons plus mal, mais en aimons la liberté ! AGNÈS FRESCHEL

Coup de gueule

Gitans, disparaissez ! La censure n’est pas qu’économique, elle est aussi idéologique Comme aux grandes heures des purges staliniennes et des photos trafiquées, l’histoire culturelle et ethnologique du Pays d’Arles, de la Camargue et de la Provence en général est la cible des coups de ciseaux de la censure institutionnelle. Pendant ses longs travaux, le Museon Arlaten est certes fermé au public mais ses agents travaillent. Et tentent d’honorer tant bien que mal leurs missions. Une équipe scientifique a ainsi consacré six années de recherches à la présence gitane dans le territoire, thématique déjà présente dans l’ancienne configuration

muséale. La démarche, identique à celles menées sur les costumes traditionnels arlésiens ou la culture ouvrière, permet de collecter d’importantes pièces et des témoignages audiovisuels. Une vitrine dédiée à la cérémonie du mariage doit exposer une magnifique robe de mariée de la communauté. Comme à la fin de chaque travail d’enquête, le Museon prévoit d’organiser une restitution ouverte au public. Mais la hiérarchie départementale oppose à l’époque un niet sans précédent, inaugurant un interventionnisme politique d’un autre âge sur la

compétence scientifique d’un établissement labellisé « Musée de France ». Le mouvement de grève, la détermination des équipes et... les fuites dans la presse viennent semblent-ils de provoquer un premier rétropédalage de la direction départementale de la culture. Mais pour Jérôme Bonin, de l’Observatoire pour les droits des citoyens itinérants, ces faits relèvent ni plus ni moins d’« une volonté ethnocidaire contre la population gitane et les gens du voyage ». L.T.

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politique culturelle Conseil départemental 13

80% des subventions supprimés

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Le festival Les Suds, à Arles a pris de plein fouet la nouvelle orientation politique du Département. Entretien avec son directeur, Stéphane Krasniewski Zibeline : Quelle a été l’évolution du montant des subven- renommée internationale, dont le dernier n’est autre que tions du Département entre la dernière année de la précé- Jordi Savall, venu présenté son projet Orpheus XXI. Ces évédente mandature et aujourd’hui ? nements étaient tous gratuits et la seule charge supportée par Stéphane Krasniewski : Le Département a été un les musées était souvent le manque à gagner de leur billettepartenaire historique des Suds, à Arles, nous accompagnant rie, puisque nos spectateurs pouvaient entrer librement à ces sur le festival bien sûr, ce qui nous a permis de concerts. En décembre 2017, les équipes des mul’amener au niveau de reconnaissance qu’il sées se sont vu refuser le droit de collaborer a aujourd’hui, mais également sur toutes avec nous. Nous n’en savons pas plus, les actions que l’on mène à l’année, mais nous continuons évidemment en direction des publics les plus de le regretter, tant ces croisements divers : collégiens, personnes en étaient fertiles et riches de sens ! insertion, seniors… Cela était Quelles sont les conséquences possible du fait de la nature des de tous ces changements sur compétences de cette institule fonctionnement et la protion et de l’excellence de ses grammation du festival ? services qui ont développé Nous avons appris la première des appels à projets adaptés baisse de 50% en 2017, une seà la réalité de ce territoire. En maine avant le festival, alors 2015, nous étions soutenu par que nous avions reçu publiqueles services culture, éducation, ment l’assurance d’une reconducinsertion, jeunesse, politique de la tion. La seconde, qui a concerné en 2018 la totalité de la subvention ville. En 2018, la culture avait quasiculture, nous a été annoncée en avril ment disparu, puisque la subvention soit trois mois environ avant le festival. principale de 88 000 € (pour un budget de Sté pha r ne K arbie rasnie 1,2M €) n’a pas été votée. Entre 2015 et 2018, Dans le premier cas, nous n’avons rien pu wski © Stephane B le soutien du Conseil départemental, tous projets faire pour amortir cette perte. Dans le second, nous confondus, a baissé de 80%. avons pu limiter les dégâts en supprimant une scène. Mais Cette décision a-t-elle été argumentée ? nous avons très peu de marges de manœuvre, ayant toujours Oui. Madame Bernasconi, élue à la Culture, a d’ailleurs justifié tout investi dans nos projets. Aujourd’hui, l’image du festival publiquement la décision de ne pas faire voter notre subven- à l’international et localement est toujours aussi forte, mais tion en avançant que « sur les musiques du monde, on a déjà nous devons réinventer un modèle économique qui repose un gros festival, la Fiesta des Suds à Marseille, et les budgets désormais plus sur la billetterie et les partenariats privés. sont contraints, il faut faire des choix. On n’a pas besoin en Cela n’a pour l’instant pas de conséquence directe sur la prol’état de deux festivals de musiques du monde de cette am- grammation, même si l’injonction d’accueillir des têtes d’afpleur financés par le département » (Marsactu, 31 mai 2018). fiches est plus forte. Les Suds avaient construit un beau partenariat avec les deux Le CD 13 vous a-t-il suggéré de participer gracieusement à musées départementaux d’Arles, traversés aujourd’hui par des opérations dont il est à l’initiative ? un mouvement social inédit. Par qui et pourquoi a-t-il été On nous a conseillé d’investir les Dimanches de la Canebière, supprimé ? ce que nous aurions fait avec plaisir si nous en avions eu le Arles a la chance d’avoir deux magnifiques musées dépar- temps et les moyens. Et avant que le partenariat avec les tementaux qui exposent son riche patrimoine, le Musée dé- Musées ne finisse, nous avons fait évoluer celui-ci avec une partemental Arles Antique et le Museon Arlaten. Ces deux opération hors les murs, en programmant, avec le Museon acteurs majeurs de la vie culturelle arlésienne ont été res- Arlaten, une création de Yom et du quatuor IXI à Trets, capectivement pendant 21 et 19 ans les partenaires du festi- pitale provençale de la culture. Mais on ne peut pas faire de val, illustrant l’esprit de partenariat qui règne à Arles. Nous lien entre la fin du soutien financier et ces « conseils ». ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LUDOVIC TOMAS avons inventé ensemble de multiples projets, avec des créations inédites, des rencontres mémorables et des artistes de


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Lieux à la dérive et personnels en souffrance

Parti d’Arles, le mouvement social des agents départementaux de la culture révèle un profond malaise dans l’institution

de communication ? « Même les usagers ne sont plus informés des activités », témoigne une salariée. Grâce à leur mobilisation, les agents ont obtenu l’embauche de vacataires pour pallier le sous-effectif impactant les conditions d’accueil du public. Programmation culturelle sans

droite, je connaissais. Mais là nous subissons une pression psychologique avec des méthodes de management de cow-boy », témoigne une autre. Ce qui est certain, c’est que l’interventionnisme politique de la collectivité ne respecte en aucune sorte le Manifeste de l’Unesco pour la

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vec une grève suivie à 99% au Museon Arlaten, le 13 juin 2019 marque une journée inédite dans l’histoire de l’établissement. Un message fort envoyé par des salariés méprisés et meurtris. Pour Jean-François Gast, responsable syndical CGT au Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, c’est le signe que « pour la culture, il y a un avant et un après 2015 », année de l’arrivée à la présidence de l’institution de Martine Vassal, après la défaite de la majorité de gauche. Au musée ethnographique provençal fermé au public pour travaux depuis plusieurs années, l’équipe ne voit pas le bout du chantier et dénonce des conditions inacceptables en vue de la réouverture : non recrutement de personnels d’accueil et technique, poste de direction toujours vacant, ingérence politique sur le contenu muséographique (lire ci-contre), absence de stratégie de communication. Quelques jours après le pic de mobilisation, la directrice départementale de la culture a assoupli son discours et confirmé ce qui se profilait : la réouverture annoncée en décembre sera décalée aux premiers mois de 2020. Chez leurs voisins et collègues du Musée départemental Arles Antique, lui pourtant ouvert, la situation est tout aussi alarmante. Principal motif d’inquiétude : une fréquentation en chute libre, avec une perte de 40 000 visiteurs en trois ans et 3500 scolaires en moins pour le service pédagogique. Comment pourrait-il en être autrement avec la suspension, voire la suppression, de tout matériel

Pique nique des agents de la culture du CD 13 © AF

cesse remise en cause et donc inexistante, restriction des moyens et de l’espace dédiés à la lecture publique... À Marseille, le sort des Archives et bibliothèque départementales (ABD), où la fréquentation a aussi connu un net recul, n’est guère plus enviable. « Notre budget collections a baissé de 40% alors que nous sommes censés alimenter d’autres bibliothèques du département », s’indigne une agent. « Une nouvelle équipe a été nommée à la programmation événementielle avec des personnes externes alors que nous faisions cela depuis dix ans. On supprime la salle d’exposition et on installe une patinoire ! Martine Vassal rétorque que la culture n’est pas une compétence obligatoire du Département. Mais je ne savais pas que l’organisation des loisirs en était une. Les changements d’orientations de politique culturelle entre la gauche et la

bibliothèque publique : « Les collections et les services ne doivent être soumis ni à une forme quelconque de censure idéologique, politique ou religieuse, ni à des pressions commerciales », indique ce document de référence adopté en 1994 à Paris. Une question subsiste : pourquoi plutôt que de valoriser un patrimoine exceptionnel, l’organisme de tutelle semble, à l’inverse, organiser l’invisibilité de ses établissements culturels ? « La culture a toujours été un outil idéologique », avance Bruno Bidet, syndicaliste FSU. LUDOVIC TOMAS


10 politique culturelle marseille

Mariage d’amour, célibat forcé

à Marseille les théâtres Tandis que le Merlan prépare ses noces avec la Gare Franche, Mon de la naissance de sa petite dernière. Quant au Polygone Étoilé, dé

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a politique de financement des collectivités envers les opérateurs culturels marseillais a quelque chose de l’inconstance amoureuse. La Ville ne tient pas les promesses faites un soir de bringue au Toursky, les collectivités s’allient pour organiser des mariages d’intérêt, parfois forcés,

le Département 13 coupe les vivres aux enfants préférés des élus précédents, et la Région, plus bienveillante, s’en méfie aussi. À chaque coin de scène se vivent des sagas de famille, qui pourraient être drôles si elles ne dynamitaient pas les compagnies et les artistes.

Le Zef vent debout Le mariage du petit dernier est une belle histoire d’amour

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’il est un endroit où la Droite ne détricote pas ce qui a été mis en place lors des mandatures précédentes, c’est dans les 13e et 14e arrondissements, détenus par Stéphane Ravier, maire de secteur Rassemblement national. L’alliance républicaine n’a pas eu lieu au second tour des municipales en 2014, offrant ce secteur de Marseille à l’extrême-droite. Mais l’État, la Région, le Département et la Ville s’entendent à soutenir et pourvoir convenablement le Théâtre du Merlan, ce repaire d’artistes en lien direct avec les habitants du quartier et les publics de la ville. Il faut dire que le projet mené par Francesca Poloniato depuis son arrivée à la tête de la scène nationale est exemplaire, tant au niveau de la conquête des publics de proximité que de celui des actions artistiques et culturelles, ou de la collaboration avec les autres opérateurs du territoire de Marseille Nord. C’est pourquoi Catherine Verrier, actuelle coordinatrice de la Gare Franche fondé par l’artiste Wladislaw Znorko, est venue demander au Merlan son voisin si un projet de rapprochement était possible... « Depuis le décès de Wlad nos subventions baissaient régulièrement, et la DRAC -direction régionale du ministère ndlr- nous

Francesca Polionato et Catherine Verrier © AF

a prévenus que ce projet d’artiste n’avait plus lieu d’être, que la baisse allait continuer. Le Merlan est apparu comme une solution d’évidence : comme nous ce théâtre travaille sur le territoire, et dans la durée avec les artistes. Et très vite nos différences sont devenues des complémentarités. Depuis toujours on travaille sur la diversité des usages des lieux culturels, le jardin, la cuisine. Chez nous les artistes sont chez eux, les habitants passent, partagent un café. »

La belle union Même si ce sont des baisses de subventions qui sont à l’origine de ce rapprochement, il est visiblement vécu par les deux équipes, qui y travaillent depuis deux ans, comme une chance : pensé avec les subventionneurs, il va permettre de remettre en état la salle de spectacle de la Gare Franche, ancienne usine qui prend l’eau dès qu’il pleut. Les bâtiments, qui appartenaient à l’association de Znorko, sont donnés en legs à la Ville, qui sera


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fusionnent ! tévidéo ne se remet pas de son divorce avec le GRIM, ni le Toursky laissé, il se met au régime... désormais propriétaire des murs comme elle l’est du Merlan, et donc responsable des investissements. Le personnel de la Gare Franche rejoint celui du Merlan, sans réduction d’effectif. Francesca Poloniato dirigera désormais une équipe de 30 personnes : celle du ZEF ! nouveau nom du pôle. Et lorsqu’on lui rappelle que le GRIM/GMEM est passé de 3 festivals annuels à 1 seul après la fusion, ou que le pôle Joliette/ Lenche a perdu en moyens et en nombre de représentations, elle nous rassure : « Cela ne nous arrivera pas, parce que nous sommes 30 à le vouloir et que les tutelles le veulent aussi. Ce n’est pas un mariage forcé, ni même un mariage de raison, même si au départ il s’agissait de sauver la Gare Franche. Aujourd’hui c’est devenu un mariage d’amour ! Toutes les collectivités nous suivent, nous allons pouvoir faire les travaux nécessaires, programmer davantage de spectacles,

accueillir davantage d’artistes dans des séjours longs, leur offrir les moyens de répéter, de rencontrer les publics, de faire des ateliers, de travailler et écrire avec eux. » Elle attend donc que la Gare Franche bénéficie de cette fusion, mais aussi que le Merlan en profite ! « Ce que nous amène la Gare Franche, c’est une équipe spécialiste du développement durable de la culture, en pointe sur la diversité des usages. C’est le lieu et l’esprit dont la scène nationale avait besoin pour une permanence artistique réelle sur un territoire où la greffe a déjà pris. Il s’agit, pour tous, de travailler « avec ». Avec les habitants, les artistes, les écoles, les journalistes, tout le personnel. Au ZEF on n’est plus RP -relation public ndlr- , on est animateur culturel, on met en place des ateliers, des projets artistiques partagés. » Il y aura donc des spectacles à la Gare Franche, en commençant par un pour les tout-petits, à prix très doux. La saison

2019/2020 sera déjà une saison commune, que l’on découvrira en septembre. D’ici là la nouvelle identité visuelle, créée par Stephan Muntaner, est dévoilée, ainsi que le nouveau nom. On veut y voir un signe : aucune des autres fusions n’a été suivie d’un baptême. L’absorption des Bernardines n’a fait que rajouter un pôle aux Théâtres de Dominique Bluzet, le GMEM a absorbé le GRIM sans changer son nom, tout comme le Joliette/Lenche qui venait d’abandonner le nom de Minoterie, l’Opéra/Odéon qui n’y songe pas, ou La Friche/Gyptis qui fait chambre à part. On peut vraiment espérer que cette fusion ne privera pas le public de la diversité artistique dont il a besoin, et les artistes d’un lieu de production, de travail et de programmation ! AGNÈS FRESCHEL

Montévidéo en danger Chez Hubert Colas, à force d’usure et de raccommodages de fortune, il semblerait bien que le point de rupture menace

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e divorce est déjà consommé : le GRIM avec qui la Compagnie d’Hubert Colas, Diphtong, ainsi que son festival Actoral vivait en concubinage à Montévidéo. Mais la compagnie musicale a pris ses quartiers, avec le GMEM, à La Friche. Un mariage de raison qui semble convenir aux musiciens, mais prive les trois associations (Diphtong, Actoral et Montévidéo) dirigées par Hubert Colas du loyer de son ex. Ce qui serait vivable si les puissances tutélaires qui veillent sur la trinité n’en profitaient pas pour raboter, année après

année, les subsides de ce lieu, cette compagnie, ce festival si essentiels à la création contemporaine. Car qui voudrait vraiment qu’Actoral, moment irremplaçable qui permet d’accueillir à Marseille « l’art actuel, c’est-à-dire le futur de la ville », s’amenuise et disparaisse ? Essentiel à la profession, accueillant un public curieux d’aventures nouvelles, ce festival est devenu un véritable label international, cofinancé par le Canada, les Pays Bas, l’Allemagne, la SACD... Avec 400 000 € de subventions il parvient à rassembler plus de 200 000 € d’aides internationales, et à faire coproduire les formes par tous les théâtres marseillais qui les accueillent. Pourtant, trois mois à peine avant le début du festival 2019 seules les productions accueillies au Mucem, à La Criée, à La Joliette, au Merlan et au Gymnase/Bernardines sont assurées


12 politique culturelle marseille

d’avoir lieu, ainsi que celle à La Friche (qui ne co-finance pas). Les commandes plus pointues, faites aux artistes émergents, risquent de rester dans les cartons si les collectivités ne mettent pas d’urgence la main au porte-monnaie. Il manque 50 000 € pour fabriquer Actoral 2019. En 2018 la Région a baissé la manifestation de 30 000 euros, et le département 13 de 20 000 euros. Actoral 2018 a eu lieu en vidant les caisses, et la baisse étant reconduite en 2019 il ne reste plus rien pour compenser. « À l’heure actuelle seule la moitié de nos projets sont stabilisés. Evidemment on pourrait faire une édition plus maigre, mais cela serait le premier pas vers une régression irrémédiable. Actoral est reconnu internationalement, partout dans le milieu de l’art actuel il est devenu un label... Une édition où nous n’accueillerions plus les artistes canadiens, allemands ou belges nous ferait perdre les partenaires internationaux qui nous cofinancent... » Car dans le système de coproduction 50/50 d’Actoral, perdre 50 000 euros de subventions c’est faire une croix sur 100 000 € de moyens de production. « Le Canada, ou le Deustche Performing Arts qui nous donne 60 000 euros, ne renouvelleront pas leurs partenariats si nous ne sommes pas en capacité de programmer leurs artistes. Dans la situation actuelle perdre un partenaire peut nous être fatal ».

Interdépendance mutualisée L’urgence est d’autant plus criante que Montévidéo, seul lieu culturel qui accueille des artistes, des expositions, des lectures et des représentations dans ce secteur de Marseille, peine à payer son loyer : là encore, malgré les déclarations répétées des collectivités, les subsides baissent. « Le département nous a assuré de son soutien à notre lieu en lui donnant 10 000€ de plus, qu’il a aussitôt retirés à Diphtong, moins 5000, et à Actoral, moins 5000 également. Tout en refusant de renouveler le partenariat que nous avions depuis des années autour des écritures contemporaines à la bibliothèque départementale. Aujourd’hui, sans Diphtong, nous serions en faillite. » Car heureusement la compagnie d’Hubert Colas marche bien. Elle aussi a dû subir des baisses de subventions successives. Mais Désordre, la dernière

Hubert Colas © Marc-Antoine Serra

création de l’auteur/metteur en scène, verra le jour dans sa version définitive à la Criée, coproduite également par la scène nationale d’Amiens. Avant de partir en tournée. Et Képi Blanc, un monologue sidérant de Sonia Chiambretto, sera repris au Carreau du Temple à Paris, tandis que les deux créations 2020 seront produites au Théâtre National des Amandiers à Nanterre, au Centre Dramatique National de Saint Etienne, au Théâtre National de Strasbourg ainsi qu’au Merlan... Des coproductions prestigieuses qui permettent de financer les activités de Montévidéo. « Nous avons bien sûr pensé à trouver un autre opérateur culturel pour partager ce lieu. Mais d’une part il faudrait qu’il puisse s’acquitter de la moitié du loyer, et plus personne n’a d’argent, d’autre part il faudrait qu’il l’occupe sans empêcher nos répétitions et celles de nos artistes résidents. Pour l’instant nous n’avons trouvé personne qui puisse répondre à ces critères, et qui ait des affinités artistiques

suffisantes avec nous. » Actoral, Diphtong, Montévidéo : pour ces 3 perles de l’art actuel la dépense publique s’élève à peine à 900 000 euros. Pour un lieu unique et précurseur, un festival de 4 semaines qui est une véritable fabrique de demain et a révélé un nombre impressionnant d’artistes, une compagnie qui rayonne sur toutes les scènes nationales. Car Hubert Colas est un artiste précieux. Depuis des années il se bat pour son lieu, sa compagnie, son festival, une énergie qu’il pourrait consacrer plus bénéfiquement pour tous à l’écriture et à la mise en scène... Il est urgent de rallonger les financements dès 2019. Des négociations sont en cours, les tutelles semblent sensibles aux difficultés évoquées, mais rien n’est effectif : la Ville semble plus pressée de financer le concours de Miss France que la création contemporaine... A.F.


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Le Polygone condamné ? Cet outil cinématographique unique en Europe peut pourtant se développer !

U

n électrochoc. C’est ce qu’a provoqué la fermeture du Polygone étoilé, annoncée début juin par Film flamme, l’association qui le gère. La raison : des moyens insuffisants pour continuer l’aventure démarrée en 2001. Plus précisément, ce cinéma pas comme les autres, lieu à la fois de création et de diffusion, voit ses subventions publiques continuellement baisser depuis 2016. Alors que le total des aides accordées par les collectivités territoriales s’élevait à 95 000 € en 2015, celles-ci ont chuté à 52 000 selon les montants initialement prévus par chacune pour 2019. Si le soutien de la ville de Marseille est resté globalement stable (il est passé de 23 000 à 22 000 € entre 2016 et 2017), Département et Région ont littéralement lâché l’autre cinéma de la Joliette. Alors que les deux collectivités versaient chacune au cinéma 36 000 € en 2015, le Conseil départemental a diminué sa subvention à 25 000 € dans un premier temps pour ne proposer que 10 000 pour l’exercice en cours. L’évolution de la subvention régionale fut elle aussi brutale, passant de 26 000 € en 2017 à 20 000 aujourd’hui. Soit en-deçà du coût de la seule occupation des locaux (loyer, charges, électricité, contraintes de sécurité...) « Une fois les arrêtés reçus, l’équipe a décidé dans l’heure de fermer », explique Martine Derain, artiste éditrice et administratrice de la structure. Et d’argumenter : « Ce n’est pas un outil à des fins privées, nous accueillons beaucoup de jeunes qui sortent d’écoles, du Satis (le département de formation aux métiers de l’image et du son d’Aix-Marseille Université, ndlr), mais aussi des cinéastes qui ne trouvent pas les moyens pour passer par le cinéma industriel. Pour le coût normal d’un court-métrage, c’està-dire 70 000 €, nous en soutenons dix par ans ». Autre coup de massue, la fin des contrats aidés avec l’impossibilité évidente de réembaucher.

Etoiler l’avenir Au-delà d’une salle de projection proposant des ateliers au public du quartier, le Polygone étoilé peut accueillir toutes les étapes nécessaires à la fabrication d’un

film, du tournage à la post-production. Depuis 2003 il a soutenu une centaine d’œuvres, d’une manière ou d’une autre, dont certaines ont été sélectionnées voire primées dans de grands festivals. Dès l’annonce de la fermeture, les institutions ont réagi et amorcé un rétropédalage, conscientes que leurs décisions risquaient d’être fatales à cet équipement unique en Europe. « Le Département nous a assuré oralement avoir fractionné son aide en deux temps, bien qu’il ne nous en ait pas averti et que la seule convention écrite à ce jour est sur 10 000 €. Quant à la Région, elle a décidé de remonter sans toutefois revenir au niveau de 2016 (36 000 €, ndlr) mais la discussion se poursuit », détaille Martine Derain. De cette grave crise peuvent toutefois émerger de nouvelles perspectives de développement pour le Polygone étoilé, à partir d’un modèle économique qui ne reposerait pas que sur les financements publics. « Nous avons monté un projet d’investissement car il y a un gros marché avec la numérisation des films sur support analogique ou pellicule. » Une autre piste pourrait également donner à l’établissement une nouvelle dimension et un avenir national voire international. « Il faudrait que la Région,

qui est en relation avec le CNC, voie comment un équipement comme le nôtre peut être inscrit au prochain Contrat de plan État-Région par exemple. De plus, cela permettrait à d’autres lieux, dans d’autres territoires, d’obtenir des financements. Je suis certaine que toutes les associations de cinéastes rêvent de disposer d’un tel outil dans leur région, avance Martine Derain. C’est le moment ou jamais de se transformer. Tous les éléments sont sur la table ». Mais la première urgence est que les subventions, ne serait-ce que celles qui ont été votées avant l’engagement de nouvelles discussions, parviennent sur le compte bancaire de l’association qui, aujourd’hui, n’a plus un centime pour fonctionner. LUDOVIC TOMAS


Droit de réponse du Théâtre Toursky

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Le théâtre Toursky exige un droit de réponse aux articles parus dans Zibeline 38. Nous le publions en intégralité, et y répondons dans les pages suivantes Marseille, le 18 juin 2019

Les faits, les chiffres, la vérité : En réponse à Madame d’Estienne d’Orves qui affirme à Zibeline que « c’est un grand échec pour elle de ne pas être parvenue à travailler avec Richard Martin comme elle le fait avec les autres et qu’il a été impossible pour eux (sous-entendant la Ville) de s’asseoir avec le Toursky autour d’une table et de bâtir un projet de territoire et un projet d’avenir pour ce théâtre », nous répliquons de qui se moque t-elle ? Nous sommes en colère justement parce que depuis 2015, no us n’avons eu de cesse de demander à la Ville, par courriers ou par mails, (à Monsieur Gaudin, à Monsieur Cavalier, à Madame d’Estienne d’Orves) des rendez-vous pour évoquer avec eux l’avenir de ce théâtre depuis la gestion de la nouvelle salle Léo Ferré. Nous tenons à disposition tous nos mails et courriers où nous demandons des rendez-vous avec la Ville. À l’inverse, Madame d’Estienne d’Orves et son administration peuvent-ils, eux, fournir un courrier, une notification ou un mail dans lequel ces derniers demanderaient au Toursky une rencontre pour pouvoir bâtir ensemble un projet d’avenir pour le Toursky ? Nous défions Madame d’Estienne d’Orves de justifier ses dires. La vérité est que nous avons réussi seulement deux fois en 6 ans à voir Madame d’Estienne d’Orves. Deux rendez-vous courts durant lesquels nous lui avons exposé nos vives inquiétudes face aux difficultés financières que le Toursky n’allait pas manquer de rencontrer sans soutien dédié pour la gestion de la nouvelle salle Léo Ferré. Nous avons rappelé à Madame d’Estienne d’Orves, la promesse de Monsieur Gaudin de soutenir cet espace, promesse faite publiquement en janvier 2014 lors de sa création. Madame d’Estienne d’Orves nous a répondu qu’elle allait réfléchir et qu’elle nous donnerait sa réponse. Nous attendons toujours aujourd’hui sa réponse malgré nos relances. Devant l’urgence de la situation, le Toursky s’est alors démené pour organiser deux tables rondes en présence de tous les partenaires institutionnels. À l’issue de la deuxième table ronde, en mai 2017, attentifs aux problèmes du Toursky, le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, le Conseil Régional PACA, la DRAC PACA ont eux annoncé une aide spécifique de 50 000 euros pour l’Espace Léo Ferré. Seule, la Ville de Marseille n’a pas tenu ses promesses et n’a apporté aucun soutien

financier supplémentaire. Mais Monsieur Cavalier s’était engagé publiquement devant les institutions à maintenir les subventions du Toursky. Fin de la dernière table ronde. Puis, nous n’avons plus jamais eu aucune nouvelle de la Ville, aucun rendez-vous accordé, aucune rencontre. Alors quand Madame d’Estienne d’Orves affirme qu’il aura été impossible de s’asseoir à une table avec nous pour discuter, cela renforce notre colère et notre détermination à combattre ses mensonges, sa volonté de manipuler l’opinion publique pour cacher sa politique calamiteuse envers le Toursky. Car en réalité, Madame d’Estienne d’Orves, manipulant cyniquement les faits, et alors qu’elle savait parfaitement que nous étions en difficulté, nous a retiré 170 000 euros en deux ans, en plein exercice et en plein effort de redressement interne, anéantissant totalement, et de façon incompréhensible, les aides des autres institutions. Un piège mortel et volontaire organisé par cette dame contre le Toursky, son travail, ses actions, ses salariés. Nous avons écrit et demandé un rendez-vous à Monsieur Gaudin. Nous n’avons reçu aucune réponse. La seule réponse de la Ville a été l’annonce par communiqué de presse trois jours avant notre propre conférence de presse de leur volonté de « réaliser un audit pour vérifier si le projet culturel du Toursky est en adéquation avec le projet culturel de la ville ». C’est indécent. De qui se moque t-on ? Après 24 ans de règne sur la Ville, et après tout le bien que Monsieur Gaudin ou Madame d’Estienne d’Orves disent sur le Toursky ou de Richard Martin : « un lieu historique et nécessaire, une figure incontournable de la Ville, un artiste fantastique avec un cœur énorme… » et à quelques mois de leur départ, Madame d’Estienne d’Orves affirme qu’il faut faire un audit sur l’utilité du Toursky et sur son avenir, alors même qu’elle sait, et que Monsieur Gaudin l’avait promis publiquement, que le Toursky a besoin de soutien supplémentaire depuis l’existence de sa nouvelle salle Léo Ferré. Tous les autres théâtres, quand la Ville leur a confié une salle supplémentaire à gérer ont reçu des soutiens supplémentaires ou ont hérité des subventions que les théâtres avaient avant leur rapprochement. Un théâtre a besoin pour exister d’aide dédiée. Il n’y a que le Toursky qui s’est vu supprimer des subventions malgré toutes ses activités, son rayonnement international, ses


Nous contestons aussi les affirmations de Madame d’Estienne d’Orves qui décidément a des problèmes soit avec les chiffres, soit avec la vérité sur le Festival de Jazz des 5 Continents qu’elle a longtemps dirigé et sur lequel elle ose proclamer : « depuis que je suis adjointe à la culture, je suis particulièrement attentive à ne pas les augmenter… Leur subvention a baissé depuis 2014 et ils m’en veulent un peu. » Pourtant tout le monde peut vérifier sur le site officiel de : subventions mairie.marseille.fr pour le Festival de Jazz des 5 continents : Avant l’arrivée de Madame d’Estienne d’Orves : année 2014 : 965 000 euros Après l’arrivée de Madame d’Estienne d’Orves : année 2017 : 1 034 000 euros. Donc, le Festival de Jazz des 5 continents a bien bénéficié d’une augmentation totale de 69 000 euros pour 15 jours de programmation et 6 à 9 salariés. Nous nous en réjouissons sincèrement pour lui. Quant au Toursky, nous persistons et nous signons, nous avons été amputés de 85 000 euros. Nos subventions ont régressé, malgré une salle supplémentaire à gérer et la

promesse de Monsieur Gaudin de soutenir davantage le Toursky, à 945 000 euros soit un saut en arrière de 24 ans ! Pour un an de programmation pleine, deux salles à gérer et 35 salariés. Nous attendons sereinement les poursuites en diffamation de Madame d’Estienne d’Orves. Et nous lui disons aussi publiquement que nous sommes d’accord avec son affirmation : c’est bien d’argent public dont il s’agit. Cet argent public est l’argent de nos impôts. Et elle ne peut le distribuer au gré de ses envies, amitiés ou intérêts… ou le retirer au gré de ses antipathies ou inimitiés. Est-ce le souhait des citoyens de cette ville que Monsieur Gaudin ne tienne pas ses promesses de soutenir davantage le Toursky, pourtant si cher au coeur des Marseillais et bien au-delà car le public vient de Bretagne, de Belgique, d’Allemagne, de Paris, de Corse, de Montpellier, de Nice, Monaco…, mais aussi cher au coeur des centaines d’artistes qui le soutiennent ? Nous rentrons en résistance active au point d’aller jusqu’à une grève de la faim le 28 septembre justement parce que Madame d’Estienne d’Orves maltraite ce Théâtre. Nous combattrons toutes les fausses déclarations publiques sur le Toursky dans le seul but de manipuler l’opinion publique. Et aussi, à l’encadré de Madame Freschel intitulé « La faim, les fées, les faits », qui interpelle « l’homme de gauche » Richard Martin et fait référence à deux principes de Proudhon : « La possession en droit, ne pouvant jamais demeurer fixe, il est impossible, en fait, qu’elle devienne propriété », ajoutant également « ainsi l’occupant d’un lieu, même lorsqu’il en est créateur, n’en est jamais que l’usufruitier, placé sous la surveillance de la société, soumis à la condition du travail et à la loi de l’égalité », nous répondons que justement nous voulons être traités de façon équitable et égale avec les autres théâtres et festivals. Donc si un audit doit être réalisé sur le Toursky, il faudrait qu’un audit général, indépendant et totalement neutre, soit réalisé sur l’ensemble des théâtres et festivals de la Ville. Madame Freschel souligne aussi que depuis 50 ans, les luttes de Richard Martin sont « dantesques et magnifiques et que le public le suit avec enthousiasme », mais elle écrit qu’il « faudra un jour que Richard Martin laisse des fées bienveillantes penser à l’avenir du lieu qu’il a créé. Sans le vouer aux Fées Carabosses ! ». Déjà nous nous interrogeons sur ce genre de position et nous rassurons Madame Freschel : Richard Martin est bien assez grand et clairvoyant pour s’occuper de l’avenir d’un lieu qu’il a créé. Que beaucoup de Fées bienveillantes de Léo Ferré à Barbara Hendrix, de Madame Charles-Roux à Monsieur Vigouroux, se sont toujours penchées sur ce Théâtre et que de nouvelles nous accompagnent toujours. Quant aux Fées Carabosses, et bien justement c’est ce que le Toursky combat depuis toujours et encore aujourd’hui en rentrant en résistance active.

Théâtre Toursky

Droit de réponse du Théâtre Toursky

actions, son travail dans le quartier le plus défavorisé et le plus pauvre de Marseille et d’Europe. Alors que justement c’est ce quartier et ce théâtre qui ont le plus besoin d’aides des institutions publiques, au contraire ces dernières se désengagent. Et aussi, quand Madame d’Estienne d’Orves et Monsieur Gaudin reconnaissent que ce théâtre est « plein, dynamique », « qu’il ne faut pas écrire un autre projet » mais « l’aider à écrire la suite » et vérifier à travers un audit que le projet du Toursky est en adéquation avec le projet du territoire, de qui se moque t-on ? Cela fait 50 ans que le Toursky fait rayonner, y compris sur le plan international, ce territoire abandonné et oublié par tous et de tous. Devant un tel mépris, nous avons donc décidé de « rentrer en résistance active ». Par ailleurs, dans son article paru le 31 mai, la journaliste de Zibeline demande à Richard Martin de rendre public son salaire ainsi que celui de Françoise Delvalée, car dit-elle « on parle aussi de votre salaire et de celui de votre administratrice, qui est aussi votre femme », sans indiquer qui est ce « on ». Des rumeurs terribles, selon elle, circuleraient à ce sujet, sans indiquer quelles rumeurs. Sous la pression, choqués par de telles calomnies, et n’ayant en réalité rien à cacher, nous avons donc finalement accepté de rendre public le salaire de l’équipe dirigeante. Mais tout le monde s’interroge. Car, dans ce cas, pourquoi ne pas rendre public la grille des salaires de l’ensemble des directeurs de théâtres ou festivals marseillais ? Pourquoi le Toursky subit-il de telles insinuations ? Pourquoi autant de fantasmes ? Et tout le monde s’interroge aussi sur le traitement réservé à Françoise Delvalée. C’est de l’anti-féminisme absolu. Françoise Delvalée n’est pas administratrice et directrice de communication parce qu’elle est la femme de Richard Martin mais bien pour ses qualités professionnelles, reconnues par tous et de tous.


16 politique culturelle

En réponse au droit de réponse du Théâtre

N

ous avons publié dans les pages précédentes, comme la loi nous y enjoint, le droit de réponse du Théâtre Toursky à nos articles parus dans Zibeline 37. La première partie de ce droit de réponse met gravement en cause Anne-Marie d’Estienne d’Orves, l’accusant de « mensonge » et de « cynisme », la mettant « au défi » de prouver qu’elle n’a pas pu se mettre autour d’une table avec Richard Martin et parler avec lui. Il ne nous appartient pas de répondre à ces accusations, et elle n’a pas souhaité le faire, se déclarant fatiguée et choquée par le ton employé à son encontre. Nous pouvons en revanche répondre à certains autres points de ce droit de réponse, en précisant préalablement notre attachement au Théâtre Toursky. Ce lieu, comme l’affirme Madame d’Estienne d’Orves d’ailleurs, est nécessaire, important. Aucun dénouement à cet affrontement ne serait pire que celui d’une disparition du Théâtre Toursky qu’il nous faut, tous, défendre becs et ongles. Plus particulièrement, notre équipe est reconnaissante à celle de Richard Martin et à son sens désintéressé du partage : lorsqu’en 2010 nous nous sommes trouvés sans lieu de dépôt possible de notre journal, pour cause de travaux à La Friche qui nous accueillait jusqu’alors, ils sont les seuls à avoir répondu à notre appel. Tous les mois, pendant plusieurs années, ses salariés ont accueilli notre camion à 8h du matin, nous aidant souvent à décharger nos journaux et nous offrant un café sans rien demander en échange. Mais malgré ce lien particulier il serait impensable que nous ne fassions pas notre travail de journalistes.

Égalité Le Théâtre Toursky nous reproche d’avoir publié le montant des salaires de la direction, sans en faire autant pour d’autres structures. Il nous reproche aussi de dire que des rumeurs couraient à ce propos sans préciser nos sources. Effectivement, Zibeline ne dévoile pas la source de ses informations quand ses informateurs ne le désirent pas. C’est le b.a.ba du journalisme, et nous y tenons. Pour répondre cependant à la première

objection du Toursky, nous avons demandé aux directeurs d’équipements analogues le montant de leurs salaires nets, qu’ils nous ont livré sans hésitation. Nous écrivions dans notre article que les salaires de la direction du Toursky étaient conformes à ceux d’équipements de cette taille : en effet notre intention n’était pas de les montrer du doigt, mais de faire savoir que leurs salaires étaient en-dessous des fameuses « rumeurs » que nous voulions combattre. Or, s’ils sont effectivement en dessous des « bruits qui courent », les salaires de la direction du Toursky sont de fait supérieurs à ceux pratiqués ailleurs. Nous n’avons pas comparé ces salaires à ceux de la direction de La Criée ou du Gymnase/Bernardines, ces équipements étant nettement plus « gros » en termes

Théâtre Toursky Scène nationale du Merlan

Joliette/Lenche Théâtre Nono

Directeur ou co-directeur Richard Martin 4500 € Francesca Poloniato 3700 € Pierrette Monticelli 2900 € Marion Coutris 3400 €

de budget, de production, de nombre de levers de rideau et de fréquentation publique. On peut noter cependant que les théâtres du Merlan ou de la Joliette, dont les directions sont moins bien payées, programment davantage de spectacles que le Toursky et obéissent à des impératifs différents : ils passent des contrats de cession avec les compagnies, c’està-dire qu’ils achètent et coproduisent certains spectacles, alors que le Toursky reverse simplement 80% de la recette. De taille analogue, ils remplissent de coûteuses missions de service public qui ne sont pas celles du Toursky. De plus

ils sont soumis à l’obligation de partir à la retraite à l’âge légal, alors que Richard Martin, qui a 76 ans, continue de diriger le théâtre qu’il a créé. Le théâtre Nono, dirigé par des artistes qui y programment également leurs productions, a moins d’activité que le Toursky, mais la même indépendance, en particulier celle de décider comment il rémunère les artistes et quand partir à la retraite. Pourtant Serge Noyelle, qui a atteint l’âge légal, ne se rémunère plus, en dehors des cachets lorsqu’il joue (150 € nets par représentation). Le salaire de Marion Coutris comprend également des cachets, et les 3400 € nets mensuels sont à entendre « toutes casquettes confondues ».

Féminisme Co-directeur ou administrateur Françoise Delvalée 4300 € Salaire le plus élevé parmi les chefs de service 3000 €

Total net

8800 € 6700 €

Haïm Menahem 2900 €

5800 €

Serge Noyelle -

3400 €

Ceci étant précisé, nous répétons que les rémunérations de l’équipe dirigeante du Toursky ne sont pas démesurées. Nous répondrons cependant à deux autres reproches formulés à notre égard. Nous avons écrit que Françoise Delvalée est la femme de Richard Martin. Le fait n’est pas rare : Haïm Menahem est le compagnon de Pierrette Monticelli, tout comme Serge Noyelle est celui de Marion Coutris. Les artistes dirigent souvent en couples, cela est dû aux particularités de ces métiers, et le fait que Françoise Delvalée ne soit pas une artiste ne change rien à la légitimité de sa place. Elle était d’ailleurs employée de Richard Martin avant de devenir sa femme, et ne doit à son mariage ni son


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Toursky, quelques éléments salaire ni sa place. Pourquoi donc cette simple mention du fait qu’ils sont mariés serait-elle « anti-féministe » et qui peut sérieusement soupçonner Zibeline de l’être ? Chacun sait que notre journal est dirigé par des femmes, qu’il compte 3 hommes (précieux) parmi ses 11 salariés et relève chaque fois qu’il le peut l’absence des femmes sur les scènes...

Anarchisme Enfin le Théâtre Toursky nous reproche de citer Proudhon, et remettre ainsi en cause la notion de propriété du théâtre et d’égalité des salaires, sans soumettre les autres établissements marseillais aux mêmes objections. Il s’agit pour nous, une fois encore, de rappeler une proximité : Richard Martin se proclame un homme de gauche, ce que nous ne remettons pas en cause. La mémoire de Léo Ferré, anarchiste, et de Proudhon, lui importent. C’est au nom de cette proximité, que les autres directeurs de théâtre ne revendiquent pas, que nous nous étonnons de son sens de la propriété et de l’inégalité des salaires qu’il pratique. À Zibeline, qui revendique le même sens de l’égalité, nous l’appliquons à nos rémunérations, qui tournent toutes autour de 1500 € nets, les dirigeants n’étant pas les mieux payés. Loin de nous l’idée d’en faire un modèle, surtout à ces hauteurs de salaires ! Nous restons néanmoins assez fiers de mettre en œuvre nos principes d’égalité.

Fraternité Le Toursky est également un adepte de la fraternité, souvent le premier à ouvrir ses portes à des démarches politiques et revendicatives. Il organise ainsi une Fête de la Fraternité et proclame qu’il va entrer en Résistance. Pourtant, pour réclamer le soutien qui lui a été promis, il tient des propos que l’on peut qualifier de peu fraternels. Dominique Bluzet, directeur des théâtres Gymnase et Bernardines, le fait justement remarquer : pourquoi se plaindre publiquement des financements des autres ? Si l’on peut ne pas approuver les fusions qui s’opèrent depuis quelques années entre les institutions culturelles (voir pages précédentes), imputer ses propres

baisses de subventions à une augmentation des autres théâtres est pour le moins peu fraternel ! Dominique Bluzet explique avec raison que la gestion des Bernardines lui incombant, les subventions qui étaient allouées à ce théâtre lui sont désormais versées puisqu’il en a la charge. Ce qui n’est guère comparable avec le fait de créer une salle nouvelle. Les combats de Richard Martin, comme nous l’écrivions, sont « dantesques et mémorables ». On ne l’a cependant pas vu se battre pour défendre les équipes du Gyptis ou celle du Lenche quand leurs subventions ont baissé avant leurs fusions forcées avec la Friche ou la Minoterie : son sens de la Fraternité ne semble pas s’exercer envers ses collègues. Et le Festival de Jazz des Cinq Continents est le principal objet de sa vindicte.

Vindicte La raison ? Anne-Marie d’Estienne d’Orves, bien avant d’être élue à la culture, sans en être salariée, en était très proche : son mari en était le créateur. À son arrivée à la mairie un de ses premiers gestes a été de baisser la subvention allouée par la Ville au Festival. Le Théâtre Toursky, en confondant les années, commet une erreur : en 2014 le Festival recevait 1 010 000 €, votés avant la prise de fonction de l’adjointe. En 2015, première année de son mandat, le Festival a accusé une baisse de 55 000 €. Il est revenu depuis à 1 005 000 €, c’est-

2014 2015 2016 2017 2018 2019

1 010 000 € 965 000 € 1 010 000 € 1 010 000 € 1 005 000 € 1 005 000 €

de « diffamation », on ne peut que noter l’erreur, sans aucun doute involontaire.

Résistance Nous le répétons, nous défendrons toujours le théâtre Toursky. Il est impensable que les engagements pris en 2014 ne soient pas tenus. Il convient néanmoins de rappeler que, lorsque cette promesse a été faite, Richard Martin venait d’affirmer son soutien à la candidature de Bruno Gilles à la mairie de secteur dans son film de campagne. C’est-à-dire à Jean-Claude Gaudin à la mairie centrale. Car si Richard Martin se proclame un homme de gauche, ses soutiens sont étonnants pour qui défend la liberté des artistes. Ainsi il se réjouit de la distinction qu’il a reçue de Vladimir Poutine, même s’il ne fait pas bon être artiste ou journaliste en Russie. Ou du soutien du Roi du Maroc, qui n’est pas non plus un défenseur ardent des libertés. Aujourd’hui le théâtre Toursky « entre en résistance », Richard Martin veut entamer une grève de la faim, sa troisième, et en appelle à la solidarité du public et des artistes pour 85 000 € annuels perdus à la Ville, mais retrouvés pour partie (50 000 €) grâce au soutien des autres collectivités. Au-delà du fait de combler cette baisse, le financement de la salle Léo Ferré doit être abondé, et Anne-Marie d’Estienne d’Orves se dit prête à en étudier la possibilité. Mais il nous semble que cette lutte, juste, ne doit pas entraîner le public à attaquer les autres théâtres. Il n’induit pas d’insulter les élus que l’on a soutenus, de s’en prendre aux autres opérateurs culturels qui n’en peuvent mais, et de réclamer un droit de réponse de deux pages, en partie erroné, et édité aux frais d’un journal pauvre, associatif et solidaire... AGNÈS FRESCHEL

à-dire que malgré une expansion que nul ne conteste il n’a pas retrouvé son niveau initial de financement. Les chiffres exacts sont publics, et ceux que le théâtre Toursky publie dans les pages précédentes sont décalés d’une année, et faux quant à 2017. Sans parler


18 politique culturelle

Montpellier sur la route de Los Angeles Après presque 5 ans de gestation, l’Hôtel des Collections complète le MoCo : Montpellier inaugure son ère contemporaine

MOCO, Hôtel des collections à Montpellier – Image de synthèse Agence PCA Stream

C

e fut, avec le moratoire imposé sur la construction de la ligne 5 du tramway, le deuxième point de positionnement radical contre les projets en cours interrompus par le décès de Georges Frêche. Philippe Saurel décidait en effet, très rapidement après son élection à la mairie de Montpellier en avril 2014, de stopper les études visant à transformer l’Hôtel Montcalm en musée « de la France en Algérie », pour impulser une orientation différente à ce beau bâtiment XIXe situé en plein centre de la ville : Montpellier aurait son centre d’art contemporain, engageant la métropole méditerranéenne dans une dimension fortement revendiquée de capitale culturelle. Quelques nominations plus tard (Nicolas Bourriaud à la direction, Vanessa Bruno présidente du conseil d’administration, Philippe Chiambaretta architecte de la réhabilitation de l’Hôtel Montcalm), et après un chantier long et délicat, le dernier et principal élément de la structure tripartite du MoCo (Montpellier Contemporain) va ouvrir ses portes lors d’un week-end inaugural introduit depuis le 8 juin par la ZAT 100 artistes dans la ville (jusqu’au 28 juillet, lire journalzibeline.fr). L’Hôtel des Collections, « vaisseau amiral » du MoCo, comme l’appelle l’architecte chargé de son réaménagement,

constitue en effet le troisième volet de cette institution qui rassemble, avec La Panacée (désormais espace de production et d’exposition pour les artistes émergents) et l’École des Beaux-Arts, trois entités visant à enseigner, créer, diffuser l’art contemporain. Une forme horizontale et hybride, maillant l’ensemble du centre-ville pour faire de Montpellier la « contre-scène culturelle française, comme l’est Los Angeles par rapport à New York » (N. Bourriaud).

The place to be Trois expositions temporaires y seront proposées chaque année, présentant une collection spécifique (collective, individuelle, thématique ou historique) : celle d’une fondation, d’un collectionneur privé, d’une entreprise, d’un musée ou d’un artiste, souvent dévoilée pour la première fois dans un contexte public. Le bâtiment a aussi la vocation de devenir un rendez-vous des sorties culturelles (lieux d’expositions ouvert jusqu’à 22h en été) / dominicales / apéritives, avec son restaurant, son parc avec œuvres d’art en libre accès (imaginé par l’artiste Bertrand Lavier, ouvert jusqu’à 1h du matin, 2h en été), et... sa boutique (dont l’espace sera renouvelé chaque saison). Coup d’envoi le 29 juin avec la toute

première collection, celle initiée en 2011 par Yasuharu Ishikawa. Ce (riche) entrepreneur japonais a rassemblé, en peu de temps, un corpus exceptionnel, porté par une grande cohérence. Ce sont 30 des œuvres du collectionneur que nous pourrons découvrir dans l’exposition Distance intime (commissariat Yuko Hasegawa, directrice artistique du Musée d’Art Contemporain de Tokyo), créations d’artistes internationaux (Pierre Huyghe, Tino Sehgal, Simon Fujiwara, Steve McQueen...) reliées autour de récits personnels intimes et universels. Les sculptures, peintures, photographies, vidéos et installations sélectionnées, couvrant une période qui s’étend des années 60 à aujourd’hui, et dont beaucoup utilisent l’interaction directe avec le spectateur, invitent, annonce la commissaire, à un voyage empreint d’une étrange sérénité. Démarrage en douceur... Week-end inaugural gratuit (29 et 30 juin), avec de nombreuses performances, une soirée au Rockstore, des visites et parcours dans la ville (ZAT), des ateliers participatifs, des concerts. ANNA ZISMAN

Ouverture le 29 juin MoCo, Hôtel des Collections, Montpellier moco.art


BOB SINCLAR

BLASTOYZ BON ENTENDEUR FRITZ KALKBRENNER JULIAN JEWEIL MANDRAGORA MOHA LA SQUALE N’TO NEELIX POPOF SYNAPSON WORAKLS ORCHESTRA FATAL BAZOOKA live show 47TER CLÉA VINCENT DARIO ROSSI ELECTRO POSÉ EMROD FRANCKY VINCENT FRENCH FUSE JAZZY BAZZ JACK OLLINS (résident cabaret aléatoire) KIKESA MIEL DE MONTAGNE OPAL OCEAN SAHALE SARO TEZ CADEY UNDERS VIDÉO CLUB AND MORE... 1RDT CAISSON GAUCHE DJ MOXO DUPOND DYSK EMROD KEDAM LUDE MARK HÖFFEN (live) MATT MÜLLER MEZERG OSCH PAS SAGES ZAVE AND MORE ...

6&7

Juillet

MARSEILLE

PLAGES DU PRADO


20 société

Un demi-siècle après Stonewall, pourquoi marchent-ils/elles encore ? De Montpellier, Marseille et Nice, trois responsables associatifs nous répondent

Cité Queer

«Un événement symbolique parmi d’autres » Olivier Vaillé, président de Fierté Montpellier Pride, association organisatrice de la Marche des diversité. « Cinquante ans après ce qui est considéré comme l’événement à l’origine des Prides, que ce soit en France, en Europe ou de par le monde, nous n’avons pas encore atteint l’égalité parfaite ni la liberté totale en tant que LGBTQI+. Le projet de loi sur la PMA va être discuté et nous devons rester vigilants. Mais les droits des personnes trans et intersexe, ceux des migrants LGBTQI, la protection des personnes face aux agressions et aux discriminations sont autant de points pour lesquels il faut continuer à marcher. Un autre aspect est la solidarité avec celles et ceux pour qui les droits n’ont pas énormément avancé : au Maghreb et plus généralement en Afrique ou dans les pays de l’Est de l’Europe y compris ceux de l’Union européenne comme la Pologne. Les actes LGBTphobes continuent de progresser alors que le refus de l’égalité ne concerne qu’une frange minoritaire de la population. Mais selon qui arrive au pouvoir politique, il pourrait y avoir un retour arrière. On le voit aux États-Unis avec l’administration Trump, en particulier sur le droit des personnes trans, ainsi qu’au Brésil même si la justice a rappelé à l’ordre Bolsonaro. La Pride n’est qu’un événement symbolique parmi d’autres, qui permet de relayer et visibiliser le travail mené par les associations au quotidien. La lutte contre les LGBTphobies

Pride Marseille, 2015 © Lee Bob Black - CC.

doit faire l’objet d’un vaste plan d’action dans lequel interviennent les associations mais aussi l’État. Cela passe par différents moyens comme la formation des administrations, dont la police, et par l’éducation. Ce sont les futures générations qu’il faut faire évoluer et auxquelles on doit apprendre à respecter tous les citoyens, quelle que soit leur sexualité ou leur orientation de genre. »

« Des marches dépolitisées » Sarah Saby, présidente du Collectif Idem, structure organisatrice de la Pride Marseille de 2014 à 2016. « Les Prides sont toujours un outil de visibilité essentielle, à un moment donné, où toute la communauté qui se sent concernée par les droits LGBT peut descendre dans la rue. On commence à voir dans certaines de villes, partout dans le monde, des marches alternatives aux Prides officielles. C’est le cas des Prides de nuit ou la Pride des banlieues qui a eu lieu

à Saint-Denis (93) récemment. Ces initiatives soulignent combien les marches officielles sont dépolitisées. Organiser des Prides, ce devrait d’abord poser la question du politique, or, aujourd’hui, c’est répondre à des demandes de sponsors et à des subventions. Du coup des questions politiques essentielles qui dépassent la problématique LGBT mais qui la traversent, comme le racisme d’État, la précarité, l’exclusion des personnes afro-descendantes, sont absentes des

Prides. Quand on regarde la programmation de celle de Marseille, il n’y a rien, à part la PMA. Lorsque le collectif Idem était en charge de coordonner l’organisation de la Pride, nous lui avons toujours donné une orientation politique inter-sectionnelle. À l’exception de 2016 où l’on a dû annuler la quasi-totalité des événements à la suite de l’attentat de Nice. »


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« On est une force politique » Benoît Arnulf, coordinateur de l’association Les Ouvreurs et directeur artistique du festival de cinéma In&Out à Nice et Cannes. « Marcher à Nice, Marseille ou Montpellier et marcher en Serbie, ce n’est pas la même chose. À Nice, on s’inscrit dans une histoire. Il s’agit d’un héritage qu’il faut qu’on questionne autant qu’on défende. Le Bostwana vient de légaliser l’homosexualité et l’Équateur le mariage entre personnes de même sexe. Cela fait partie d’un même mouvement qui démarre véritablement avec Stonewall et les premières Gay Prides l’année suivante. Des choses existaient avant 1969, mais c’est quand même cet événement et sa réappropriation politique -alors qu’il n’a pas forcément été pensé comme tel- qui a permis tout ça. Une Pride, c’est un moyen pour dire que

l’on n’a aucune raison d’avoir honte et de le montrer. C’est donc un moyen pour lutter contre les LGBTphobies. Malgré le grand nombre d’avancées en France, il reste beaucoup de choses à faire. En cela, la marche, comme toute manifestation revendicative, permet de mettre en avant un agenda politique et de montrer qu’on est toujours là. Même si on peut être extrêmement critique vis-àvis de la politique du gouvernement sur d’autres sujets, on est assez contents de l’annonce du premier ministre concernant la loi sur l’ouverture de la PMA pour toutes les femmes. On est une force politique. Le mois des marches est l’occasion pour nous de parler de ces sujets dans le monde entier, en ouvrant des espaces de discussion depuis la rue et repris par des acteurs de la société civile, les médias, les intellectuels. Tout

cela permet d’avancer et de faire dire ce dont une société a envie ou pas. Là où je suis sceptique, c’est que ces derniers temps, les marches ont plus donné dans le caractère festif. C’est important, cela a toujours été notre spécificité mais cela ne doit pas dénaturer le visage politique. La fête, c’est bien mais cela ne permet pas de penser. » PROPOS RECUEILLIS PAR LUDOVIC TOMAS

Les dates des marches 28 juin : Pride de nuit, Nice 6 juillet : Pride Marseille 20 juillet : Marche des diversités, Montpellier

27 juillet : Pink Parade, Nice

Conte de gay

U

n homo sans nom, blanc de peau comme de vêtements, maniéré et amateur de Dalida. Betty, transgenre argentine et ancienne prostituée. Albert, à l’accent chti, pilier de comptoir et violent. C’est en grossissant volontai-

© Manifeste Rien

rement le trait que le collectif Manifeste Rien a imaginé les personnages de sa dernière création Homo ça coince... Ce qui peut s’entendre dans une société dont la tendance est à la caricature et où s’expriment encore, souvent avec violence, le rejet des personnes LGBT.

Pour donner vie à toute une galerie de portraits, un acteur, seul en scène et prodigieux : Olivier Boudrand. Il en fait parfois des tonnes, mais la qualité de son jeu parvient à poser avec finesse les questions essentielles à la déconstruction des normes sociales. Préoccupation connexe, le droit à la ville et l’occupation de l’espace public. Grâce au socio-anthropologue Laurent Gaissad qui a contribué à l’écriture de la pièce avec le metteur en scène Jeremy Beschon, on découvre comment Marseille, dans les années 90, aseptise la place Sébastopol, faisant disparaître un lieu de drague populaire de la communauté gay dans le centre-ville. Car « il faut nettoyer la ville des indésirables ». Pourtant, même ce père macho, qui n’a pas touché sa femme depuis un an, aimait y promener le chien…

Dépénalisée en 1982 en France, l’homosexualité ne sera supprimée de la liste des maladies mentales par l’OMS qu’en 1993. Cela n’empêche pas de brûler vif un jeune homme au Parc Borély, toujours à Marseille. De torturer, voire de tuer impunément des gays en Tchétchénie ou que certains (in)dignitaires religieux promeuvent des thérapies de conversion. En revanche, « la tapette créative, on adore », rappelle Betty dont Albert est tombé amoureux. Il y a donc de l’espoir. Le mariage pour tous, une avancée ? Mieux vaudrait « lutter contre le capitalisme que pour ses fesses ». Si Homo ça coince… aborde la question du genre et de l’orientation sexuelle en alignant en apparence les clichés, ne serait-ce pas pour mieux souligner les ravages de l’inconscient hétéronormé ? LUDOVIC TOMAS

Homo ça coince… a été joué les 23 et 24 mai au Théâtre Liberté à Toulon et du 28 au 30 mai au Théâtre de l’Œuvre à Marseille


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L’eau est à tous

La convoitise des multinationales de l’eau, entre Marseille et Dakar Le CME, quézaco ?

Créée en 1996, cette structure internationale revendique « plus de 300 organisations dans plus de 50 pays », dont 23% d’autorités gouvernementales, et 30% d’entreprises. Elle ambitionne, avec le jargon caractéristique de la technocratie, de « s’engager dans une hydro-diplomatie active à travers les prismes du savoir, des finances et de la gouvernance », et travaille à « positionner l’eau au sommet de l’agenda politique mondial ». Ce dernier objectif pourrait être louable étant donné le contexte de raréfaction des ressources et de réchauffement climatique, lequel accentue terriblement les tensions géopolitiques et aggrave la situation des populations les plus pauvres. Dommage ! Le CME est accusé par la société civile de ne promouvoir que les intérêts des géants économiques du secteur, au premier rang desquels les françaises Suez ou Veolia. Selon Bernard Mounier, référent d’Eau Bien Commun, « il tente de faire croire qu’il représente tous les acteurs de l’eau, alors qu’il ne défend que les marchands, les multinationales ». Lesquelles font partie des responsables de la pénurie d’eau -qui selon l’ONU concernera les deux tiers de la population mondiale d’ici 2030, demain !- et n’ont évidemment aucun intérêt à ce que cette ressource vitale sorte de leurs griffes. En 2008, l’ancien PDG de Nestlé Peter Brabeck considérait le postulat selon lequel tout être humain doit avoir accès à l’eau comme « extrême ». Pour lui comme pour ses pairs, elle a avant tout une valeur économique.

Bien commun ? Connais pas !

Eau courante au Sénégal © CC0

M

amadou-Mignane Diouf tapote posément sur son ordinateur, installé à l’étage du bar La Caravelle, sur le Vieux-Port de Marseille. Le coordonnateur du Forum social sénégalais est présent, ce 17 mai, à l’invitation de l’association Eau Bien Commun France, qui a souhaité réunir des journalistes pour une conférence de presse. Ces derniers sont peu nombreux, et c’est bien dommage, car ce que M. Diouf a à dire est intéressant. Il est venu dénoncer le rôle du Conseil mondial de l’eau (CME), dont le siège est situé à Marseille, dans son pays.

Le Sénégal doit accueillir le prochain Forum mondial de l’eau, organisé à Dakar, par le CME, en 2021. Cette manifestation intervient, d’après Mamadou-Mignane Diouf, « dans un contexte brûlant : l’affermage de l’eau qui concerne toutes les grandes villes du pays, et pour lequel un appel d’offres a été lancé ». Le mouvement altermondialiste observe avec suspicion toute la procédure, conduisant à l’attribution du marché à Suez, en octobre dernier. Bizarre en effet : la multinationale est retenue alors qu’elle aurait mis sur la table des tarifs beaucoup plus élevés que la SDE, sa concurrente, pour un service équivalent, avec des coûts d’adduction (raccordement des foyers au réseau de distribution) conséquents et donc une eau payée plus cher par les sept millions d’usagers... Plusieurs médias dont le Canard Enchaîné relèvent des dons curieux en amont : Suez a notamment offert des camions-bennes à la ville de Saint-Louis, l’une des plus grande du Sénégal. Son maire, Mansour Faye, beau-frère de l’actuel président du pays, et son ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, lui accordait quelques mois plus tard ce marché estimé par nos confrères à 130 millions d’euros annuels pendant 15 ans.


Un forum alternatif sera évidemment organisé à Dakar, pour démontrer que d’autres solutions existent, et que les sentinelles citoyennes sont vigilantes. En attendant, elles observent que le gouvernement sénégalais va verser 4 millions d’euros pour l’organisation du Forum mondial de l’eau. « Soit l’équivalent de combien de forages, raccordements au réseau, abonnement sociaux ? » s’étouffe M. Diouf.

Et à Marseille ? À Marseille où les élections municipales de 2020 se préparent, l’un des objectifs d’Eau Bien Commun est d’obtenir la suppression des subventions accordées par les collectivités locales au CME. Bernard Mounier estime à 740 000 € par an les aides reçues par la structure, dont 300 000 € par la Ville*. « Il est scandaleux qu’elle encaisse autant alors qu’elle promeut des multinationales véreuses ». Et de citer les péripéties survenues en 2013 lors du renouvellement du service de l’eau : « Veolia n’était pas représentative du mieux-disant, mais c’est elle qui a été retenue... Martine Vassal, ancienne trésorière du CME, soupçonnée, ainsi que Loïc Fauchon, son actuel président, de favoritisme dans l’attribution du marché, a été mise en garde à vue et perquisitionnée ». L’homme s’insurge contre la volonté des pays occidentaux d’exporter en Afrique leur modèle de Délégation de Service Public, sans prendre en compte les besoins des populations qui manquent d’eau potable. « Il faut que les citoyens soient à la manœuvre, avec un service public démocratique, de proximité, l’inverse du modèle des multinationales ! » Et de marteler : « Suez est la plus corrompue et la plus corrompante dans le secteur de l’eau et l’électricité. Nous faisons face à un monstre » Sa collègue Christine Juste, membre également d’Eau Bien Commun, renchérit : « Si Suez a mis le pied au Sénégal, c’est pour ensuite s’intéresser au Bénin, à la Côte d’Ivoire... ». Afin d’agir depuis la France, ils lancent une procédure pour soupçon de corruption auprès du Parquet National Financier, et ont pris contact avec l’Office anti-fraude à Bruxelles. GAËLLE CLOAREC

* L’Observatoire des multinationales relève quant à lui une subvention annuelle de 440 000 € allouée par la municipalité assortie de mise à disposition de locaux et de fonctionnaires (source : multinationales.org/A-Marseille-lelobby-mondial-de-l-eau-imagine-par-Veolia-sous-pression)


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Joies de l’écriture journalistique

Les élèves d’une école marseillaise remportent le prix Médiatiks 2019 avec un journal scolaire exceptionnel

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rente pages bien remplies de sujets fouillés -qui est Greta Thunberg, jeune activiste du climat, comment travaille un boulanger, quel est le quotidien des joueuses de l’OM ?- assortis de critiques cinéma, musique et livre, le tout illustré d’une foule de splendides dessins : voici Chabaschool Scoop, le journal créé par les élèves de l’école primaire Albert Chabanon, dans le 6e arrondissement de Marseille. Une œuvre collective tellement réussie qu’ils viennent de remporter le premier prix du concours national des médias et productions médiatiques scolaires, Médiatiks1, auquel participaient les établissements de 34 Académies. Une sacrée flambée de fierté pour ces minots durement éprouvés par l’effondrement meurtrier des immeubles de Noailles, le quartier limitrophe où beaucoup vivent. Un de leurs camarades a perdu sa maman dans le drame du 5 novembre dernier. Ils en parlent aussi, sobrement, gravement, dans leur journal.

Tout concevoir Jean-Pierre Bertalmio, enseignant UPE2A (Unité pédagogique pour enfants allophones et arrivants), explique que la primaire Chabanon accueille jusqu’à 25 nationalités. « C’est cette diversité qui permet de faire des projets intéressants », précise Fatma Djellel, sa collègue professeure des écoles. « On a sans doute créé des vocations. Amener les enfants aux joies de l’écrit est le plus difficile dans notre métier, mais là ils se sont énormément investis, déjà chez eux, en famille. » La ligne éditoriale du journal a été soigneusement élaborée avec les élèves, ainsi que le choix des sujets, l’objectif étant de ne pas réaliser un travail centré seulement sur le milieu scolaire, mais ouvert sur l’extérieur. Grâce à un financement de la Drac, l’association Because U Art a envoyé la journaliste Mélodie Maurel en résidence sur place, une fois par semaine de novembre à avril, pour encadrer le projet. Olivia Moukouri, membre de cette structure

© X-D.R.

culturelle d’éducation aux médias, entend bien revenir l’année prochaine pour un prochain numéro : « C’est notre première expérience avec des enfants de cet âge. Le jeudi après-midi était notre bouffée d’oxygène hebdomadaire ; leur enthousiasme nous a marquées. »

Qu’avez-vous appris ? À cette question, les sourires fleurissent 2 sur les visages d’Albina , Ikhram et Mohamed, qui ont participé à l’élaboration de la revue. « J’ai appris qui était le résistant Albert Chabanon, dont notre école porte le nom, ce qu’il a fait et comment il est mort », souffle ce dernier. « Et aussi que quand on travaille dur, on peut faire un journal, l’imprimer, en être fier. » « Pour ma part, j’ai adoré filmer », répond Albina. Ikhram, elle, a préféré l’exercice de l’interview, et déclare que désormais, elle s’informera différemment, plus attentivement. « Greta Thunberg, je ne la connaissais pas. Maintenant, je la reconnais quand elle passe à la radio. » À sa sortie de l’école, un autre enfant avise l’exemplaire du Chabascool Scoop sous le bras de la journaliste de Zibeline et demande... à l’embrasser. « Mon bébé », dit-il avec délicatesse avant de le lui rendre, un peu plus chargé d’émotion. GAËLLE CLOAREC

1 Après avoir reçu la récompense de l’Académie Aix-Marseille le 7 mai, des mains du lauréat du prix Albert-Londres 2014 Philippe Pujol, ils sont allés récupérer le trophée national à Paris le 5 juin dernier.

2 Le 6 juin, lendemain de la remise du prix Médiatiks, la maman d’Albina, originaire du Kirghizistan, a reçu une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Tous les recours sont examinés pour qu’elle puisse demeurer en France avec sa fille, qui doit entrer en sixième.

Le Chabaschool Scoop est consultable sur le site du Clemi : pedagogie.ac-aix-marseille.fr/ jcms/c_10695794/fr/mediatiks-2019-les-prix


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Le souffle de l’audace Retour sur les premières propositions du Festival de Marseille qui confirme son goût pour la prise de risque

L

’édition 2019 du Festival de Marseille a commencé par une pièce détonnante. Cion a rempli 4 fois la grande salle de la Criée d’enfants ravis, puis d’adultes enthousiastes. Il faut dire que la troupe sud-africaine de Grégory Maqoma est époustouflante. Les 4 chanteurs, dont un beat boxer hallucinant, tiennent le Boléro et son crescendo mythique en lui donnant une oralité et une plasticité déroutante, et juste pourtant : il s’agit de lui faire les poches, de lui faire la peau, à cette musique occidentale, pour qu’elle s’ancre dans les corps. Il ne s’agit pas du Boléro, mais de son Requiem : les danseurs, eux aussi virtuoses, portent révolte et douleur, mémoire et mort, sur un plateau traversé de croix et de cris. On aimerait comprendre ce qu’ils disent, sur l’esclavage, l’impossible amour, la violence, l’apartheid. Des survitrages manquent. Et puis non : les corps et les voix expriment si bien l’émotion, que l’on comprend sans doute l’essentiel des chants zoulous et de la poésie de Zakes Mda.

Pas une Diva L’Afrique du Sud encore, couplée avec la République démocratique du Congo, a donné de la voix et du mouvement avec la première en France de Not another diva, une proposition mêlant le chant engagé de Hlengiwe Lushaba et une chorégraphie de Faustin Linyekula. Un spectacle sans fard au souffle contemporain où contes, danse et musique dessinent un continent émancipé, riche d’artistes porte-drapeaux d’une génération loin des stéréotypes. Sur des rythmes blues et soul colorés de sonorités africaines, des musiciens -avec une mention spéciale pour la batteuse– une danseuse et l’anti-diva tissent une ode à la liberté artistique, porté par un vent de fraternité entre les peuples anciennement soumis.

Not another diva, Faustin Linyekula © Gregor Brändli

Marseille et le monde Depuis toujours pluridisciplinaire, le Festival de Marseille s’aventure depuis peu dans les musiques actuelles et du monde. Une orientation risquée que le public a encore le tort de ne pas avoir complètement intégré. Et c’est bien dommage. En programmant 47 Soul, le festival accueillait quatre musiciens de la diaspora palestinienne qui se réapproprie le son de la dabké, danse traditionnelle arabe, qu’ils fusionnent à un rock électro universel. Une énergie et une inventivité qui en dit au moins autant qu’un long discours sur la détermination d’un peuple à exister et à créer. S’il sait accueillir le monde, le Festival de Marseille a plus que jamais le regard tourné vers sa ville et ses habitants. Deux projets participatifs ambitieux illustraient cette volonté assumée de mettre au cœur de la pratique artistique des danseuses et danseurs non professionnels voire totalement novices. Avec Le Sacre, ce sont plus de 300 participants venus d’écoles de danse de la ville qui ont conjugué leurs esthétiques sur la célèbre partition de Stravinski, au centre d’un parc Borély pris d’assaut par le public. Ce n’est pas

en termes d’écriture chorégraphique que cette re-création d’un concept imaginé par le belge Alain Platel marque les esprits mais la beauté des valeurs qui s’en dégagent. Que l’on en pince pour le flamenco, le tango, le hip-hop, la danse orientale ou contemporaine, que l’on soit valide ou en situation de handicap, enfant ou senior, une visée commune peut nous permettre de vivre en harmonie et de mettre notre diversité en partage. Que dire de Sous influence ? Expérience sensorielle intense chorégraphiée par Eric Minh Cuong Castaing, à laquelle notre journaliste -moi-même- s’est laissé tenter. Dans l’espace vide du Musée d’art contemporain, le public était invité à se laisser contaminer par des danseurs sur le voie de la transe, réagissant aux changements de couleur de projecteurs indisciplinés, sur un mix produit en direct par le duo de DJ Yes Sœur. Stimulés par les danseurs du Ballet national, nos corps se sont laissés guider par un incontrôlable désir de contact et de liberté. AGNÈS FRESCHEL ET LUDOVIC TOMAS

Le Festival de Marseille continue jusqu’au 6 juillet 04 91 99 02 50 festivaldemarseille.com


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Itinérance et lien social Entre concerts, projections, rencontres et expositions, Cabaret Nomade est une émanation du festival Nuits Métis. Entretien avec Marc Ambrogiani, son initiateur devenait prioritaire. C’est enfin, pour nous, une réponse par la mutualisation et la coopération à la baisse de subventions de certaines collectivités. Notre locomotive, c’est le faire ensemble et l’engagement citoyen dans la prise en main de l’avenir. Comment ont été choisis les thèmes des débats ? Nous montons chaque étape de l’événement en réflexion avec les partenaires du terrain. Pour cette 2e édition, trois soirées sont graKalune © X-D.R tuites, grâce aux partenariats avec Zibeline : Comment est né le projet ? la mairie des 15e et 16e arrondissements Marc Ambrogiani : Nous avons de Marseille et les municipalités de Marlancé le Cabaret nomade en 2018, année tigues et Port-de-Bouc ; les trois autres de la 25e édition de Nuits Métis. Le projet sont à 5 euros seulement. À Marseille, a différentes origines. La première est avec la Ligue de l’enseignement, nous le Tour 13, organisé en 2017 pour soute- allons croiser les regards entre acteurs nir SOS Méditerranée. Cette forme de culturels et travailleurs sociaux en pronomadisme, qui fait partie de l’histoire posant un débat sur l’avenir de l’éducade Nuits Métis, nous a permis de ren- tion populaire. À Cavaillon, avec l’assocontrer de nombreux acteurs du terri- ciation Foll’Avoine, nous allons évoquer toire. Cela nous a également confortés l’urbanisation des terres agricoles. À Midans l’idée que croiser des moments ramas, nous parlerons de la réhabilitade spectacle et d’engagement citoyen tion de l’Étang de Berre avec l’association

l’Étang nouveau. Dans les autres villes, c’est le documentaire Syrie, Rojava, la révolution par les femmes qui donnera lieu à un échange. ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LUDOVIC TOMAS

Cabaret Nomade 6 au 20 juillet Divers lieux, Marseille, Cavaillon, Miramas, Forcalquier, Port-de-Bouc, Martigues 04 90 58 98 09 nuitsmetis.org

Au programme

Kalune, Temenik Electric, Tin’Fa Trio, Maclick 6 juillet Théâtre de la Sucrière, Marseille

Kalune 11 juillet Restaurant le Bio’s, Cavaillon Kalune, Triouch’Mano 13 juillet Grange du Clos Ambroise, Miramas Kalune, Sex Lulu 14 juillet Le K’fé Quoi, Forcalquier Kalune 17 juillet Le Mélies, Port-de-Bouc Kalune, Cumbia Chicharra 20 juillet Théâtre de Verdure, Martigues

La fête à Berdine Depuis 2013, au mois de juin, la Bergerie de Berdine organise une journée de fête, Les Estivales de Berdine, dédiée aux arts vivants

Sous le pont © Anahi Matteo

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ans ce lieu de vie -un hameau en ruine, au-dessus de St-Martin-de-Castillon, transformé au fil des ans en village- sont accueillies depuis 46 ans des personnes en grande difficulté, le plus souvent en situation d’addiction, qui se reconstruisent par le travail manuel, mais aussi par l’accès à la culture avec des ateliers d’écriture et de théâtre qui leur sont proposés toute l’année. C’est tout naturellement que Les Estivales ont trouvé leur place au sein de cette structure, moment fédérateur et valorisant programmant des artistes de renom, mais aussi un spectacle travaillé toute l’année par les Berdinois (ainsi se nomment les résidents). Autour d’une déambulation théâtrale proposant les plus grands moments du théâtre, menée et


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Musique d’été

À

Gardanne et Biver, Les Musicales reviennent avec une programmation éclectique et savoureuse ! Début des festivités le 29 juin avec du son non-stop dès 19h dans le centre-ville : sur la scène Eglise place aux groupes rock locaux Tedde et Ororyload, tandis que sur la scène République, dès 21h, se succèderont Thursday Addict, jeune groupe d’étudiants aixois qui mêle des reprises soul à leurs compositions, et Scratchophone Orchestra qui croise électro et swing des années 30 sur fond de clarinette et violon. Le 5 juillet à Biver le rockabilly endiablé du jeune groupe The Hillockers succèdera au groupe Streaming’ Blues. Le 9 juillet au parc de la médiathèque c’est une grande soirée placée sous le signe de l’opéra et de la gastronomie : en partenariat avec le Festival d’Aix, et dans le cadre de MPG 2019, est projeté, en direct, Tosca de Puccini, dans une mise en scène de Christophe Honoré et sous la direction musicale de Daniele Rustioni (il est également projeté à Martigues au Théâtre de Verdure, à Miramas à La Colonne, à Manosque place des Observantins…). Auparavant, des food trucks proposeront une restauration en lien avec la thématique et de grands airs d’opéras interprétés

interprétée par cette troupe motivée, du cirque, un conte, de la musique… et une conférence gesticulée, Addict !, qui prend tout son sens en ce lieu. Cyrille Coton est comédien, auteur et marionnettiste, il est aussi un ancien toxicomane : une vingtaine d’années de poly-addictions qu’il raconte avec humour, autodérision et distance, sans juger ni condamner, mais pour faire naître de précieuses réflexions et prises de conscience. Auparavant, la Cie du Courcirkoui aura mis à l’épreuve Pamela avec une Roue de la fortuna facétieuse, décidant des choix de son destin pour le moins acrobatique ! La conteuse Aïni Iften illuminera les lieux des histoires merveilleuses de son enfance et des contes kabyles qui la berçaient alors,

par la Callas seront projetés pour vous mettre en appétit ! La double proposition du 13 juillet à Biver rassemblera le duo WhO is WhO, les sœurs jumelles Daisy et Emilie Cadeau, qui chantent leurs compositions pop/folk en faisant des claquettes, et The Grasslers, groupe auto proclamé Ovni spatio-temporel dont le folk acoustique croise l’univers de Tarantino et Jules Verne… Après un 14 juillet très dansant passé en compagnie du groupe Haute Tension et de son nouveau spectacle Au bout du monde, Les Musicales se clôtureront le 20 juillet au parc de la médiathèque avec l’excellente Cathy Heiting accompagnée du trio formé de Wim Welker à la guitare, Sylvain Terminiello à la contrebasse et Gérard Gatto à la batterie et leur jazz/funk tonique ! DO.M.

Cathy Heiting quartet © Eric Massua

Les Musicales 29 juin au 20 juillet Divers lieux, Gardanne et Biver 04 42 65 77 00 ville-gardanne.fr

entremêlant mots et musique, avant que ne résonnent les sons chauds et envoûtants du groupe Djenavi. Sous le Pont fera danser tout le monde dans la soirée avec un Grand Bal Trad, belle clôture d’une journée qu’aura accompagné Jean-Louis Trintignant, compagnon de route de la Bergerie depuis des années. DO.M.

Les Estivales de Berdine 29 juin Bergerie de Berdine, Saint-Martin-de-Castillon 04 90 75 13 08 berdine.fr


28 critiques expositions

Dans les méandres de l’Escalette Elle a réchappé à l’édification d’un Luna Park et d’un complexe immobilier. Ancienne usine de plomb reconvertie en friche artistique, l’Escalette expose un étonnant patrimoine industriel, le long de la sinueuse route des Goudes En attendant, deux modules conçus par Prouvé sont désormais à demeure sur le site de l’Escalette : le Bungalow du Cameroun, habitat en aluminium destiné aux pays tropicaux, actuellement en travaux pour se muer en habitation de loisir ; et le Pavillon 6x9, initialement pensé pour les sinistrés de Lorraine en 1944, désormais voué à devenir pièce de lecture et atelier d’artiste.

Terrils et herbes folles

Pavillon 6x9 de Jean Prouvé, 1945 © Chris Bourgue

À

l’été 2017, quelques chanceux avaient eu le loisir de découvrir une exposition sous forme d’oxymore en cette ère d’Anthropocène, Utopie Plastic, regroupant de poétiques unités d’habitat temporaire des années 50. Un aperçu de la passion fiévreuse qui anime Éric Touchaleaume, propriétaire de la Friche de l’Escalette depuis 2011. Auto proclamé « chasseur de mobilier Prouvé », il a sillonné les anciennes colonies pendant 20 ans pour racheter des éléments originaux imaginés par Jean Prouvé, Le Corbusier ou Charlotte Perriand. Retapés par les soins de son équipe dans ses ateliers parisiens, qui prennent soin de conserver les éléments d’origine (piliers, placage en métal, toiture…), ces modules sont ensuite revendus, notamment dans les pays sismiques. Intarissable sur la tôle pliée de Jean Prouvé, comme sur le concept de portique porteur mis au point par Pierre Jeanneret, le collectionneur caresse le rêve secret de bâtir un campement sur une île, avec 6 unités ainsi restylisées.

La Friche de l'Escalette © Chris Bourgue

Ces témoins du Modernisme prennent naturellement place dans un cadre somptueux de bout du monde. Entre collines et mer, le paysage idyllique ne doit toutefois pas évincer une réalité moins riante : active de 1851 à 1925, l’usine était à la fin du XIXe siècle le premier producteur de plomb en France. 1,5 millions d’euros sont désormais nécessaires pour dépolluer le vallon voisin, propriété du Conseil Départemental, sur lequel persistent d’anciens terrils, « le plus gros dépôt de scories des Calanques » selon Eric Touchaleaume. Souvenir d’une époque où pas moins de 8 usines étaient en activité sur cette portion de littoral reliant La Madrague Montredon aux Calanques. Du côté de l’Escalette, les travaux de réhabilitation vont bientôt démarrer, visant à consolider les ruines pour les pérenniser en l’état. L’objectif étant d’exposer à ciel ouvert un précieux patrimoine industriel, tout en valorisant la végétation qui a repris ses droits au fil des décennies : figuiers géants, salsepareille, ciste, câprier sauvage, se délient par-dessus les cheminées rampantes comme dans l’intérieur des


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La Friche en jaune Rhum Perrier Menthe Citron, une exposition évolutive et rafraîchissante tout l’été à La Friche

fours. En projet, une salle d’expositions, dans les anciens bassins de stockage de minerais.

Extension du domaine de la visite Depuis 2016, la Friche propose quotidiennement 4 visites guidées gratuites, assurées par les étudiants de l’école d’architecture. À l’issue d’une procédure judiciaire de 7 ans, les trois hectares du site sont désormais accessibles au public. En sus de cette extension du domaine de la visite, l’Escalette accueille cet été une œuvre de la plasticienne franco gabonaise Myriam Mihindou. Créée en 2018 pour la chapelle Picasso de Vallauris, l’installation Transmissions se déploie ici sur les branches d’un placide pin géant surplombant la Méditerranée. Confectionnées avec l’aide de spécialistes des émaux de Vallauris, onze « canes sensorielles » se balancent indolemment dans ses branches. Évoquant bâton de parole comme fourche de sourcier, elles se muent en serpents, hippocampes ou tubercules selon la lumière du jour teintant leurs reflets chamarrés. Ces ex-voto créent un espace méditatif dominant l’Azur, ceint du vert des collines et de la force tellurique des minéraux environnants. À l’occasion de Manifesta en 2020, l’Escalette offrira une carte blanche à l’artiste, qui prévoit de travailler sur les ombres portées avec le céramiste aubagnais Ravel. JULIE BORDENAVE

Jean Prouvé Nord Sud et Transmissions jusqu’au 30 septembre, visites sur rendez-vous La Friche de l’Escalette, Marseille friche-escalette.com

Flora Moscovici, Do you love me now that I can dance ? Peinture acrylique pulvérisée sur murs, poteaux, sol et dalles de linoléum et aluminium. La nouvelle adresse, CNAP, Pantin, 2018 © Aurélien Meimaris

C

e qui frappe au premier abord, selon qu’on est plutôt visuel ou olfactif, c’est soit la couleur éclatante du vaste espace réservé, au 4e étage de La Friche, à l’exposition Rhum Perrier Menthe Citron, soit l’odeur évocatrice des bottes de paille qui parsèment les lieux. Enfin, à l’instant T, car dans une semaine ou un mois, l’expérience ne sera plus la même : il s’agit d’un dispositif évolutif, conçu par les curateurs Cédric Aurelle et Julien Creuzet. La jeune femme qui délivre les informations à l’accueil nous souffle : « Ils sont amis. Tout est parti d’une discussion, durant laquelle ils ont conçu le projet de réaliser une exposition représentative de leur vision de Marseille ». Quatre mois durant, les deux hommes ont invité des artistes à investir successivement l’espace, en s’inspirant du thème de l’hospitalité et de l’ancrage dans cette ville à la si forte personnalité. Flora Moscovici est intervenue la première : on lui doit ce jaune splendide qui a envahi le sol, les murs et les colonnes de l’immense salle. Pour elle, l’idée d’accueil est importante, « mais plutôt dans une relation de passage, afin d’emmener l’autre, de produire un déplacement ». C’est bien ce que ressent le visiteur, que la teinte, solaire, attire et invite à la déambulation. À partir de la fin juin, une autre caractéristique de son travail se révélera en nocturne : sous la peinture a été posée une couche de résine phosphorescente,

que l’on pourra observer, plutôt dans les tons violets, lors des soirées On Air prévues cet été à La Friche. La polonaise Jagna Ciuchta a pris sa suite avec 200 bottes de pailles (ignifugées) disposées en blocs invitant à l’assise, et des rideaux de chaînes grises. Au centre de la pièce, une salle de projection a été dressée, qui attend pour l’heure ses images. En feront sans doute partie les films sur « la race et la sexualité » du marocain Sido Lansari, invité par Basile Ghosn parmi de nombreux autres artistes pour la période du 1er juillet au 25 août, avec le collectif emmené par ce dernier, Belsunce Projects. Lequel nourrira tout une programmation encore mystérieuse de performances, événements musicaux ou éditoriaux durant les mois les plus chauds, où l’hospitalité ne sera pas un vain mot. Souriante, l’hôtesse d’accueil précise : « l’usage du verre dans l’enceinte de l’exposition est encore en discussion, mais une chose est sûre : il y aura un stand à mojitos ». Rhum, Perrier, menthe, citron... c’est la bonne recette ! GAËLLE CLOAREC

4 autres expositions seront à découvrir durant l’été à La Friche (lire P 40) Rhum Perrier Menthe Citron jusqu’au 29 septembre Friche La Belle de Mai, Marseille lafriche.org


30 critiques expositions

Si lointains, si proches… Dans le cadre de Marseille-Provence-Gastronomie, le Musée Départemental Arles Antique en partenariat avec le Musée d’Histoire de Marseille propose une exposition originale

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ombreuses sont les idées reçues à propos de l’alimentation des Romains dont le Satiricon de Pétrone livre une description hallucinante où l’on mange puis vomit pour manger encore ! David Djaoui, archéologue au musée départemental Arles Antique et commissaire scientifique de l’exposition On n’a rien inventé ! Produits, Commerce et Gastronomie dans l’Antiquité romaine

pour permettre de reconstituer ce qu’était la base de la cuisine antique, vins, huiles, poissons, coquillages, fruits, légumes, miels, céréales, viandes, produits laitiers (…) que dévoilent les diverses spécialités de la recherche archéologique, ichtyologie (étude des poissons), carpologie (étude des graines), malacologie (étude des mollusques). Les recettes émergent alors, que se plaît à élaborer

marques, les repères, les représentants de commerce avec leurs échantillons.

Un étrange Déjeuner sur l’herbe Le Déjeuner sur l’herbe, de l’artiste contemporain Daniel Spoerri, en épilogue de l’exposition, met en évidence les difficultés interprétatives, la fragilité des témoignages, et le nécessaire recours à la confrontation des sources et surtout à la science archéologique qui confirme ou infirme les éléments apportés. Tous les restes d’un repas, assiettes, verres et couverts compris, sont enterrés et « fouillés » vingt-sept ans plus tard… contredisant les souvenirs des « sources directes »… Une belle leçon d’humilité ! Nihil novi sub sole* ? En tout cas, de sacrées concordances ! MARYVONNE COLOMBANI

* Rien de nouveau sous le soleil On n’a rien inventé ! Produits, Commerce et Gastronomie dans l’Antiquité romaine jusqu’au 24 novembre Musée d’Histoire, Marseille 04 91 55 36 00 musee-histoire.marseille.fr © MC

joue, dans la première section du parcours, sur la série de clichés véhiculés par la littérature : objets luxueux, évocation du triclinium, richesse des fresques, assortis çà et là d’anachronismes, afin de titiller le regard du visiteur, aiguiser son sens de l’observation et le préparer à une solide mise en perspective de la fantaisie romanesque avec l’archéologie.

À table ! Que mangeaient donc les romains ? Les traces des mets sont rares, mais les restes alimentaires ainsi que les inscriptions latines sur les amphores, sans compter leurs formes, correspondant à tel ou tel contenu, sont suffisamment éloquents

l’archéologie expérimentale qui retrouve saveurs, gestes, techniques, à partir des objets parfois mystérieux dont l’usage s’éclaire à force de tâtonnements et de confrontations avec les corps de métier actuels… On retrouve la manière de découper, de préparer, d’épicer… et les boites des produits actuels viennent conforter l’idée d’une certaine permanence, vins vieux et nouveaux, sardines au naturel ou aromatisées aux oignons. Tous ces produits voyagent, une cartographie des appellations contrôlées irrigue tout l’empire, les routes commerciales se dessinent, les moyens de transport, les conditionnements, le « packaging », les entreprises fleurissent ; naissent déjà les

Catalogue de l’exposition remarquablement documenté, sous la direction de David Djaoui, 30 €

à voir aussi Le service archéologique municipal propose en parallèle à l’exposition un récit des mœurs culinaires marseillais sur une période de 7000 ans. Au Musée des Docks romains, l’on découvrira Delirium Dolium, projet porté en partenariat avec l’association Pareidolie (commissariat de Julie Miguirditchian) : l’artiste plasticien contemporain Samuel Rousseau sélectionne dans les œuvres antiques des motifs (poissons, méduse, végétation), qu’il détoure, pixelise, anime et projette, fantômes mouvants du passé au cœur des dolia, ou émergeant d’une amphore restée dans les profondeurs marines…


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De la collection au musée Plus de cinquante œuvres issues de la Collection Thannhauser sont présentées pour la première fois en Europe à l’occasion d’une exposition itinérante commencée au Guggenheim de Bilbao : escale à l’Hôtel Caumont d’Aix-en-Provence

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n 1978, le Musée Guggenheim inclut dans ses collections exposées. Certaines sont montrées pour la première fois dans permanentes le legs du collectionneur et marchand d’art la région, Les Carrières de Bibemus de Cézanne, peint aux enallemand Justin K. Thannhauser, legs qui sera enrichi en virons d’Aix, retrouve la Provence après un siècle et demi, la 1981 et 1991 par des donations effectuées par sa veuve, Hilde. Femme en robe à rayures de Manet est exposée aussi pour la L’Hôtel de Caumont accueille une série de chefs-d’œuvre de première fois en France depuis sa restauration en 2018, le peintres impressionnistes et postimpressionnistes de la fin Paysage enneigé de Van Gogh a été vu en France pour la derdu XIXe et du début XXe, aussi célèbres que Cézanne, Degas, nière fois dans l’exposition de la galerie Thannhauser dans Manet, Picasso, Van Gogh, Seurat, Delaunay, Braque… les années 1937-1940… à ses côtés, on peut admirer le sublime Justin K. Thannhauser, suivant la voie de son père, le mar- Montagnes de Saint-Rémy (Van Gogh), vibrant de couleurs et chand d’art Heinrich Thannhauser, a joué un rôle de premier de formes torturées. L’amitié entre le mécène et Picasso se plan dans la diffusion de décline en une multitude l’art moderne en Europe, d’œuvres. On sourira à son choisissant avec une belle humoristique détournement de la nature morte pertinence les œuvres d’avant-garde, souteavec Le Homard et le chat, nant les artistes émeron suivra sa démarche à gents, dont les travaux travers trois portraits de étaient qualifiés d’« absurfemmes, Fernande dans dités de fous incurables » une mantille noire (1905), par la critique conservala Femme dans un fauteuil trice. La Deuxième Guerre (1922), enfin La Femme mondiale le contraint à aux cheveux jaunes (1931). s’installer à New York : Que de coups de cœur ! déjà la galerie de Munich Étonnante tendresse de avait pâti de la chasse aux La vache jaune de Franz « arts dégénérés » menée Marc, drôlerie des Joueurs par les nazis. C’est d’ailde football d’Henri Rousleurs (outre les pertes maseau, finesse des statérielles considérables que Paul Cézanne (1839-1906), Bibémus, vers 1894-1895, huile sur toile, 71,4 x 90,1 cm. Solomon R. Guggenheim tuettes de Degas, lumisa famille juive allemande Museum, New York, Thannhauser Collection, don Justin K. Thannhauser, 78.2514.6 nosité de la Venise vue par a subies), les morts prématuMonet (Le Palais ducal vu de rées de ses deux fils, Heinz et Michel ainsi que de sa première Saint-Georges-Majeur), fascination exercée par La Montagne épouse, Käthe, qui le décideront au don de sa collection ainsi bleue de Kandinsky… Que d’instants suspendus à ajouter dit-il, « l’œuvre de (sa) vie trouve enfin son sens ». aux collections de notre mémoire ! MARYVONNE COLOMBANI

Passions Les œuvres présentées à l’Hôtel de Caumont suivent un parcours en sept sections, qui nous donnent à comprendre un large pan de l’histoire de la peinture. Les tableaux, remarquablement mis en espace par Hubert le Gall, sont situés et expliqués avec une sobre et intelligente précision par le biais de textes généraux à l’orée de chaque salle, tandis que d’immenses photographies des pièces à vivre de Justin K. Thannhauser instaurent un air d’intimité. Un court documentaire présenté par Megan Fontanella, commissaire de l’exposition et conservatrice au Solomon R. Guggenheim Museum de New York, nous livre une intéressante évocation des œuvres

Chefs-d’œuvres du Guggenheim : de Manet à Picasso jusqu’au 29 septembre Hôtel de Caumont, Aix-en-Provence 04 42 20 70 01 caumont-centredart.com


32 critiques expositions

Telle est la question To or not to be ?, l'exposition du plasticien Aki Kuroda investit le Musée Lapidaire d’Avignon avec ses toiles monumentales

A

ki Kuroda est né au Japon en 1944, vit et travaille entre Paris et Tokyo, et même si lors de ses expositions dans le monde entier on aime à le présenter comme un « artiste japonais », il se définit lui comme un déraciné, ou, avec une connotation plus positive et inspirante, un habitant du cosmos. Il aime à se plonger dans l’atmosphère des grandes villes, dont il scrute et prélève des fragments qu’il replace, comme les signes d’un jeu de piste, dans son œuvre multi styles. Avignon est l’une des cités qu’il a déjà investi, puisqu’il a créé deux des affiches du Festival d’Avignon (en 1993 puis 2000), et le décor de Parade, pièce d’Angelin Preljocaj pour la Cour d’Honneur en 1993. D’une ville à l’autre, d’un espace à l’autre, d’un support à l’autre, Kuroda déploie son imaginaire nourri de références littéraires et de vocabulaire scientifique. Ce « jardiner du cosmos » navigue entre échanges avec les astrophysiciens (Hubert Reeves) et les auteurs contemporains (Pascal Quignard, Philippe Lacoue-Labarthe, Marguerite Duras...). La tête dans les étoiles et les mains dans la matière, il ponctue son parcours de points de repères qu’on situe dans chacune de ses propositions. À commencer par ses personnages sans bras, longilignes, à la présence entêtante parce qu’énigmatique. Par son bleu outremer. Par la taille impressionnante de ses toiles. Éléments qu’on retrouve dans l’exposition installée dans le Musée lapidaire, parmi les pièces de la collection archéologique de la Fondation Calvet. To be or not to be. Sacré titre. Inspiré de la création en 2016 des illustrations d’un Hamlet (Gallimard) ; imposé par la dimension supra temporelle du lieu habité des présences antiques (objets, sculptures, mosaïque).

Fausse rencontre Aki Kuroda s’est mis au défi d’instaurer un dialogue multi temporel. Au-delà des frises chronologiques, se jouant du passé et du présent, instaurant un hic et nunc où tout serait à égalité, sans avant, sans maintenant, où après serait peutêtre la seule direction à suivre. Il faut dire que dans cette chapelle du Collège des Jésuites (XVIIe), habitée par les présences antiques d’Égypte, de Grèce et de Rome, c’était tentant. Malheureusement, l’accrochage des dix toiles monumentales, tout autour de la nef, (trop) largement au-dessus des éléments du parcours du musée, produit l’effet inverse voulu par l’artiste et Yoyo Maeght, commissaire de l’exposition. Aspirés par les motifs et les couleurs des peintures, les regards passent au-delà des traces archéologiques. On oublie où on est, le dialogue est tronqué, laissant un arrière-goût de frustration et de gêne envers les personnages statufiés qui, floués par cette fausse rencontre, ne parviennent pas à accrocher l’attention. Dommage, en particulier, que les six impressionnantes têtes (Minotaure, 2005, Minosidéral,

Aki Kuroda, Landscape I, Acrylique sur toile 300 x 200 cm, 2008

2009-2015, Autoportrait, 2018...), dont un très beau crâne sur fond jaune, imprimant une improbable ombre à la limite de minuscules personnages qui semblent hésiter à y entrer (Landscape I, 2008), ne soient pas mieux insérés parmi les sculptures drapées, les tombeaux monumentaux. Quant au complice de l’artiste, ce personnage blanc, comme une statue se découpant sur un bleu à l’épaisseur tourmentée, qui toiset-il ? Sa place ne serait-elle pas parmi nous ? ANNA ZISMAN

Aki Kuroda, To be or not to be jusqu’au 29 septembre Musée Lapidaire, Avignon avignon.fr


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Picasso noir sur blanc Le musée Angladon accueille l’exposition du musée suisse Jenisch, conçue grâce à deux dépôts exceptionnels des collections des Fondations Coninx et Planque

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icasso à échelle humaine. Le maître espagnol à portée de regard, sans rien ni personne entre son trait et notre œil. Au troisième étage du musée avignonnais, la rencontre est possible, parmi la très intéressante sélection opérée par Florian Rodari et Lauren Paz, qui présentent une mise en perspective synthétique -et pourtant d’une merveilleuse richesse- des lignes et obsessions récurrentes de l’artiste aux techniques multiples. Trois chapitres, sonnant comme un vers aux inspirantes assonances (L’Arène, L’Atelier, L’Alcôve), dessinent un parcours en 91 estampes, plein de surprises dévoilées à travers les approches toujours renouvelées, encore surprenantes, d’un Picasso qu’on suit sur plus de soixante ans de création. La syntaxe de la gravure, (eaux fortes, lithographies) limitée au noir et au blanc -portes d’entrée vers l’infini des nuances- semble représenter pour le peintre des périodes bleue et rose la possibilité d’un langage en marge de sa peinture. Face à face avec le dessin, la répétition d’un motif, l’invention d’une estompe, la précision d’une portion hachurée, on entend peu à peu comme un méta discours, délivré depuis une intimité qui se cherche dans le trait. Un récit se trame, depuis sa première série de gravures (Les Saltimbanques, 19041905), la Suite Vollard (années 30), jusqu’à sa sulfureuse Suite des 347 (1968). Une sorte d’autobiographie à peine déguisée d’un génie : le peintre en minotaure, le peintre en voyeur, le peintre en peintre, avec sa palette d’où surgit son pouce, tel un organe turgescent, le peintre en pleines bacchanales, le peintre en acrobate... Un sous texte, une vision d’entre les lignes, qui nous arrive directement depuis le geste, le trait, de celui qui jamais n’a cessé de chercher, qui toujours était habitée par un sentiment d’urgence, boulimique de formes et de matières. Picasso disait encore en 1973, année de sa disparition, après l’exécution de

plus de 3000 gravures : « Personne ne sait combien il faut penser un trait. Rien n’est plus difficile qu’un trait ». Le dessin, et donc plus encore la ligne : ce fut l’affaire de sa vie. Le Faune dévoilant une femme (12 juin 1936, de la Suite Vollard) apparaît tel un condensé des trois axes choisis pour l’exposition Picasso, Lever de rideau. Le taureau, héros de l’arène, la toile,

dégage en toute simplicité apparaissent tels un cliché radiographique, aussi lucide qu’inconscient, de la manière d’être au monde de son créateur. ANNA ZISMAN

Faune dévoilant une femme, de la Suite Vollard, 12 juin 1936, Aquatinte sur vergé, 342 x 447 mm Musée Jenisch Vevey, Fondation Werner Coninx © Succession Picasso / 2018, ProLitteris, Zurich Photo Julien Gremaud

symbolisée ici par le drap que le faune soulève, la chambre, baignée de lumière qu’on devine méridionale. Les détails de la toison animale de l’homme, timidement émerveillé par la femme qu’il observe (qu’il étudie), contrastent avec la simplicité du trait de la belle endormie. Le regard et le soleil pointent dans la même direction, triangle enserrant les seins, le ventre et les cuisses de l’icône féminine. La concentration douce et grave qui émane de cette scène, la magie qui filtre dans les ombres et sous les paupières fermées, la sensualité qui se

Picasso. Lever de rideau jusqu’au 22 septembre Musée Angladon, Avignon 04 90 82 29 03 angladon.com


34 critiques expositions

Plastique animale Les animaux occupent la Villa Datris jusqu’en novembre, et ils ont beaucoup de choses à nous dire

D

anièle Kapel-Marcovici est une gourmande. Du type de ceux qui ne profitent que s’ils partagent. Présidente d’une entreprise qu’elle a su développer jusqu’à la rendre leader sur le marché de l’emballage, elle s’attache à y appliquer les principes qui régissent une grande partie de sa vie : engagement en faveur des femmes dans le monde entier (fondation d’entreprise qui promeut

sur les 4 niveaux de la demeure, les cheminées,...) et le jardin qui l’entoure est tout simplement une merveille, regorgeant de sculptures (25, cette année) astucieusement disséminées, comme des surprises à découvrir au détour d’un buisson. Avec un budget totalement assumé par la fondation Datris (entre 800 et 1 million d’euros chaque année, hors les acquisitions faites par le centre), le

CRETEN Johan, Nur ein Fisch, Coll. FRAC Auvergne © Ludovic COMBE © Johan Creten, ADGAP, Paris 2019

leurs droits, santé, formation, culture), et création d’une collection qui réunit de très nombreuses œuvres d’art contemporain, installées dans les locaux de la fabrique. En 2011, elle inaugure, avec son compagnon architecte Tristan Fourtine, la Villa Datris. À L’Isle-sur-la-Sorgue, c’est une nouvelle aventure qui commence, où chaque année, ce centre d’art privé propose gratuitement de grandes et foisonnantes expositions de sculptures contemporaines. On entre dans le bâtiment comme si on était accueilli chez des particuliers. L’aménagement intérieur a gardé son caractère domestique (les lavabos dans la spacieuse salle de bain, scénographie naturelle pour les œuvres qui y sont exposées, les petits escaliers en colimaçon

postulat de départ –démocratiser l’accès à l’art contemporain, transmettre- est fortement affirmé, et les 45 000 visiteurs de l’an dernier confirment que ce type de mécénat, généreux et désintéressé, est pertinent.

Miroir révélateur 2019 sera l’année des Bêtes de scène, 120 œuvres réalisées par les 85 artistes exposés. La thématique est parlante, on y entre par plusieurs chapitres déclinant les différents rapports entretenus avec nos alter egos terriens, palette de sentiments qui traduisent les tiraillements toujours plus criants qui nous hantent, nous, humains. On les aime, on les craint, on y rêve, on y lit notre propre disparition annoncée, on s’y mire,

on les accompagne. La variété des travaux exposés est à l’image de la richesse de tout ce qu’évoque la nature animale aujourd’hui. Les noms des artistes sont pour beaucoup prestigieux (Johan Creten, Annette Messager, Jean Tinguely, Xavier Veilhan,...), et les commissaires (Kapel-Marcovici, assistée de Stéphane Baumet) ont su mettre tout le monde sur le même plan : les plus connus avec ceux à découvrir, les animaux et les hommes, les créatures et les vivants. On circule d’une pièce à l’autre, on se laisse rapidement contaminer par ces langages qui nous invitent à réévaluer notre position d’humain. Échelles et valeurs sont interchangeables. On est soudain tout petit sous le plafond de Chauves-souris (faïence émaillée, 2012) de Serena Carone. L’Accident de chasse (Pascal Bernier, 2018) nous renvoie cruellement la balle avec ce renard taxidermisé, oreille et pattes bandées, regard triste. Le temps coule presque à l’envers sur le Paysage rupestre (2017) projeté sur une lauze par Samuel Rousseau, bestiaire vidéo, troublant de vie, hommage aux artistes de Lascaux. La nature morte de Mark Dion (Water fawl, water foul, 2019), quatre oiseaux des marais (des leurres de chasse, entièrement recouverts de goudron) est étrangement belle, dans sa hiératique immobilité. Les fourmis géantes de Nicolas Eres (Fourmilière R50VD, 2019), les Paresseux (Élodie Antoine, 2014) accrochés aux arbres, le Cheval de Robert Combas (2018), hybride coloré entre jouet et symbole de guerre nous guident sur un cheminement ludique (ou inquiétant), tandis que La Bête de Julien Allègre (2017, acier corten) rouillée, rugueuse et coupante, nous fait nous y plonger comme dans un miroir révélateur. ANNA ZISMAN

Bêtes de scène jusqu’au 3 novembre Villa Datris, L’Isle-sur-la-Sorgue 04 90 95 23 70 fondationvilladatris.com


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Ciel, mon image ! Picture yourself , six photographes de l’agence Magnum à Toulon

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uelle idée bizarre : faire sauter des stars en l’air pour les blanc capturés dans les rues de New York par Bruce Gilden, prendre en photo ! C’était dans les années 50 et 60. Et il des années 80 jusqu’à 2001. Et des stars hollywoodiennes qui en a fait sauter beaucoup, Philippe Halsman, des gens posent pour Paolo Pellegrin en mode solo-en-lumière-tamisée connus : Marylin Monroe, Fernandel, Brigitte Bardot, Jacques dans les années 2008 et 2009. Si au rez-de-chaussée, décalage, Tati, Grace Kelly, Groucho Marx, Peter Ustinov, Cassius Clay… jubilation, et extériorité donnaient le ton, ici c’est l’intérioLes sauts sont joueurs, arrité qui prédomine. Steve McCurry réalise des portistiques, clowns, surréalistes, pré-pop. Reliés à la traits d’une grande douspontanéité, à l’enfance, ceur, non exempts de au plaisir d’être aérien gravité, dans lesquels les un instant. Et sans doute visages sont montrés, avec à un peu d’auto-désacraempathie mais sans mièlisation. Si l’ambiance est vrerie, comme de pures gaie et légère, certaines de merveilles, dans des écrins ces stars semblent néande couleurs. Des icônes. moins se soucier de l’atCertains regards ont des terrissage. Ce ne sont pas transparences vertigiles moins drôles. neuses, « fenêtres de l’âme » Autres regards, mais tout grandes ouvertes… on y aussi amusés, curieux, aiplonge sans hésiter ! Plonguisés, sur l’être humain gée également, mais celle-ci devenant forme photograun peu oppressante, décaphique, chez Elliott Erwitt drée, dans les rues de la et Martin Parr. Erwitt phogrande pomme, entrailles tographie Marylin Monroe urbaines, traversées par sur une bouche d’aération une série de personnages, de métro en 1954, une fades « gueules » , dont on mille américaine sur caperçoit, attrapés à la volée napé en 1962, et, en 1976, en par Bruce Gilden, toute l’exnoir et blanc sur fond très centricité, voire le chaos inblanc, deux ouvriers du bâtérieur, incorporé à la ville. timent, un bébé, un teckel, Enfin, Paolo Pellegrin se un Père Noël, un homme glisse dans l’intimité claire muni d’un trombone avec obscure de quelques stars. son chien. Tous épinglés, Il photographie Brad Pitt qui se rase à Los Angeles, au sens propre comme au sens figuré, avec une exMickey Rourke qui zone au trême précision. Tels des bas d’une cage d’escalier papillons sur une planche. USA. New York City. Woman walking on Fifth Avenue. 1992. © Bruce Gilden - Magnum Photos à Londres, Sean Penn qui fume une clope dans une Martin Parr, lui, se met en scène dans des montages photographiques pince sans rire, vo- rue de San Francisco, Kate Winslet qui médite à New York, lontiers kitsch, s’amusant de ses voyages autour du monde, de se maquille à Los Angeles, Robert Downey Jr. torse nu dans 1991 jusqu’en 2012. Dans des cadres colorés, divers et variés, une chambre à Londres, et Vivienne Westwood qui exhibe sa sa placidité immuable d’une photographie à l’autre, son ap- chevelure à Paris. C’est à la fois assez creux et assez lourd. parence radicalement banale, et sa bonne volonté touristique L’inverse des sauts de stars par lesquels on a commencé. MARC VOIRY font ressortir toute l’incongruité de sa présence au monde. Et, en miroir, l’étrangeté du monde lui-même.

Des « gueules » et des stars À l’étage se trouvent des portraits en couleurs, des années 80 jusqu’en 2014, pris dans plusieurs pays d’Asie, ainsi qu’au Mali et en Éthiopie, par Steve McCurry. D’autres en noir et

Picture Yourself jusqu’au 28 septembre Maison de la photographie, Toulon toulon.fr


36 critiques expositions

Bioulès, une figure Le musée Fabre propose une rétrospective éclairante sur six décennies de création du peintre montpelliérain

A

ppuyé sur son rameau à bout ferré, du haut de ses 81 ans solidement ancrés dans le territoire languedocien, il écoute, sincèrement amusé, les commentaires de Stanislas Colodiet, co-commissaire de l’exposition (avec le directeur de l’établissement Michel Hilaire). Vincent Bioulès, « l’enfant du pays », comme l’appelle fièrement Bernard Travier, délégué à la culture, est bien campé sur ses six décennies de création picturale, et les théories que son travail engendre semblent glisser sur lui. Au milieu de plus de 200 de ses œuvres, il circule, il s’approche soudain, redécouvrant un détail sur un nu esquissé au fusain (Juliette A, 1991), il déroule, au fil des salles et des confidences, le parcours de ce peintre qui, à la fin des années 60, avec ses copains d’ABC Productions et Supports/ Surfaces « n’avait pas une seule seconde le sentiment de faire partie de l’histoire ». On la connaît un peu, cette histoire (de l’art) : ils étaient fauchés, jeunes, avaient le besoin de ruer dans les brancards, de faire un acte collectif et révolutionnaire. Abstraction, geste créatif et matériaux éclipsent le sujet, pendant trois courtes années. Avant cela il y avait eu, pour l’artiste passé par les Beaux-Arts de Montpellier, une première libération, vécue après les longs mois du service militaire, lorsqu’un jour (26 avril 1965) il se lance à peindre le Marronnier en fleurs encadré par sa fenêtre. Ce jour là il a la sensation physique, spirituelle même, de laisser advenir une vérité, la sienne, de la voir apparaître sur la toile, sans fards, pleine de surprises, dans la profondeur de son regard révélé. Acte fondateur, chemin vers l’abstraction (l’influence de Viallat se devine entre les branches), le tableau devient la matrice d’un style qui toujours évolue mais jamais ne dévie, affirmant un dialogue entre un espace lyrique, onirique, et des couleurs qui rappellent les peintres primitifs. Le langage se radicalise, mais pourtant Bioulès remarque que « dans toutes ces peintures

Vincent Bioulès, L’Ile Maïre I, juin 1994-mars 1995, huile sur toile, 200 x 300 cm, Collection du Musée d’Art de Toulon, photo Aleksander Rabczuk, © ADAGP, Paris, 2019

non figuratives, il y a l’expression d’un espace, dont [il a] toujours eu besoin ». La transition apparaît sur une huile de 1974 (Sans Titre) : bandes verticales, bleu outremer, noir, fine ligne verte, et puis du blanc, grignoté par une tentative d’intrusion bleue, encore. Quelque chose d’inachevé, de presque dessiné, laisse la place à un récit qui sourd.

D’un radicalisme à l’autre Et les voilà qui surgissent, ces sujets, ces figures. Les Places d’Aix (débutées en 1976), monumentales, nocturnes ou baignées de la lumière méridionale, traduisent une seconde libération. La ville stylisée, colorée, le motif répété et décliné en série, accompagne la mutation de la peinture de Bioulès. Avec les complices Matisse et Dufy, le montpelliérain continue son incursion dans la couleur. Saisissante nuit, bleue ou noire, incarnée par une présence urbaine qu’on devine sous le trait. Mais les temps sont durs, et le peintre se sent « comme en exil » dans la contrée de l’art figuratif. Ce sera encore un acte radical qui l’inscrira pleinement sur son nouveau chemin. Une série de Nues, grand format, provocante, sur fonds monochromes, affirme une

démarche que le peintre considère finalement bien plus subversive (entre la fin des années 80 et le début 90) que ses gestes iconoclastes passés. Il faut dire que Julie IV (1989), visage coupant, échappé de chez Bernard Buffet ou Albine II (1990), jambes ouvertes en un vibrant hommage à Gustave Courbet affirment clairement que le virage est assumé. Bioulès gagne sa place dans la figuration. Dans la « Salle des paysages », (l’ensemble de la scénographie est parfaitement conçu par Maud Martinot), entre Pic Saint Loup, Lozère ou Méditerranée, l’histoire intime (souvenirs des lieux, sensualité des matières) noue l’ensemble des récits picturaux. Explosions de couleurs, multiplication des rappels (Braque, Cézanne, Signac, Picasso), pierre et mer célébrées comme des déesses mythologiques : l’octogénaire a encore bien des histoires à nous raconter. ANNA ZISMAN

Vincent Bioulès, Chemins de traverse jusqu’au 6 octobre Musée Fabre, Montpellier 04 67 14 83 00 museefabre.montpellier3m.fr


TERIE BILLET BILLETTTERIE TERIE

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Photos © C.Brau, J-M.d’Agruma

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38 critiques expositions

La peinture en art de vivre Le peintre hollandais Jaap Gardenier avait choisi la Haute Provence pour y vivre et y travailler. Le Musée de Salagon lui rend hommage à travers une superbe exposition

«J

e peux vivre sans femme, mais je ne peux pas vivre sans la peinture. Crois-tu pouvoir l’accepter ? », déclara Jaap Gardenier à celle qui allait devenir son épouse, Danielle Mérope-Gardenier. Cette dernière, depuis le décès de son époux s’emploie à obtenir une reconnaissance de son œuvre, par des donations à des institutions publiques. Elle a conçu avec Isabelle dalCanto, directrice des Musées de Salagon et commissaire de l’exposition, un parcours qui rend compte par un florilège d’œuvres choisies après moult discussions et déchirements parmi les centaines produites par ce peintre inlassable… « une lente distillation », sourit Isabelle dal-Canto. Mises en valeur sous les voûtes de l’église du cloître, ces pièces retracent en cinq séries, New York, L’abattoir, les Halles de Paris, Amsterdam, Lumières du Nord, l’originalité de la démarche du peintre, ses recherches, son recours à diverses techniques, (lavis, encre de Chine…), les détournant parfois de leur usage traditionnel, empâtant l’aquarelle, allégeant la peinture à l’huile en la traitant comme une aquarelle. « Il s’agissait de montrer l’élaboration de l’œuvre à partir des dessins, des esquisses, faire jaillir la compréhension de l’œuvre par la multiplication des proposition. » L’artiste, après des études d’histoire de l’art, (il renoncera à rédiger sa thèse afin de se consacrer totalement à la peinture) se lance à corps perdu dans la peinture et le dessin, se forgeant ses propres techniques et son vocabulaire. Grand coloriste, il mène une réflexion sur les couleurs, leurs combinaisons, compose une « charte des couleurs » dans son atelier, tente rapprochements, superpositions, interroge leurs rapports entre elles, certaines s’éteignent, d’autres chantent… « Il savait faire chanter les couleurs, à l’instar d’un Bonnard ou d’un Matisse, et décliner toutes les nuances. Il s’est nourri aussi des théories de Van

Abattoir 1 -1982 © J.M D'Agruma

Gogh, la maison de vacances familiale se situe d’ailleurs au bord d’un petit lac, à Nuenen, le village où Van Gogh a peint ses Mangeurs de pommes de terre… », raconte son épouse. Il a toujours cherché par lui-même sa propre voie, poussé par la nécessité impérieuse de peindre. L’un de ses textes phare était la fameuse lettre de Rilke à un jeune poète, lui enjoignant de ne persévérer dans le travail de l’écriture que si elle lui était sa raison de vivre. « Jaap a vécu pour sa peinture, c’était sa respiration ».

Un émerveillement jusqu’à l’épure

Avec son « regard d’entomologiste », explique la conservatrice, Jaap Gardenier calligraphie l’espace, lui laisse son épaisseur mystérieuse, l’orchestre entre lignes et masses de couleurs, superpose les temps, celui météorologique et celui qui passe, réinsuffle de la vie en passant par une reconstruction mentale. Lorsqu’il va à l’épure, c’est par l’essentiel, jamais par une simplification. Le mouvement est capté jusque dans la vibration des tableaux de la série d’Amsterdam, la couleur

devient une épure de la réalité dans les paysages nordiques. On se laisse transporter par le vert newyorkais des toiles structurées par les lignes de photographies prises à Harlem, puis subjuguer par la fascination exercée sur le peintre par les halles, le ballet des bouchers, la palette extraordinaire des chairs, dont chaque nuance rend l’émerveillement devant la mécanique biologique, même si elle est sans pitié… La gageure est de rendre la beauté avec les sujets les plus terribles. Le corps d’une bête abattue (Abattoir 1) rend compte d’une réalité matérielle et laisse entrevoir peut-être une transcendance… La magie opère au cœur de cette œuvre puissante, profonde et envoûtante. MARYVONNE COLOMBANI

Catalogue de l’exposition (remarquable par ses reproductions et ses commentaires), 20 €

jusqu’au 30 septembre

Salagon, Mane

04 92 75 70 50 musee-de-salagon.com



40 au programme arts visuels bouches-du-rhône

Emmanuelle Lainé Comme toujours, Emmanuelle Lainé utilise les ressources des lieux qu’elle investit. Pour cette carte blanche, elle met en images une sélection d’objets empruntés au Mucem, installées aux côtés d’articles ménagers intimes. Dans l’espace du Panorama, cela représente une réflexion sur l’univers des open-spaces, où activités créatives et prosaïques s’interpénètrent. A.Z. Suspension volontaire de la crédulité 30 juin au 29 septembre Panorama, Friche de la Belle de mai, Marseille lafriche.org Emmanuelle Lainé, Learn The Rules Like A Pro, So You Can Break Them like an Artist !, installation in-situ, objets et photographies, 2018 © Thierry Bal

Paul Maheke Pour sa première exposition personnelle dans un centre d’art en France, Paul Maheke, actuellement nominé au Prix Ricard, convoque Ooloi, figure du troisième sexe imaginée par l’auteure Ocatvia Butler. Revoir l’histoire sans forcément partir de sa représentation humaine, s’autoriser les subjectivités marginalisées dans la culture occidentale. A.Z. 30 juin au 29 septembre Tour / 3e étage, Friche de la Belle de mai, Marseille lafriche.org

© Paul Maheke

Ludovic Carême Voyageant pendant plus de dix au Brésil, Ludovic Carême a photographié des habitants des favelas de Sao Paulo, ces travailleurs qui avaient fui celles de leur Amazonie natale. Puis il est remonté à la source de leur misère et de leurs espoirs, dans la forêt menacée, continuant sa série de portraits noirs et blancs, mélancoliques, le regard frontal, saisissants de présence. A.Z. 30 juin au 29 septembre Tour / 5e étage, Friche de la Belle de mai, Marseille lafriche.org

Antonio chez lui, Seringal Santo Antonio, Acre, Bresil 2017 © Ludovic Careme 2017, Modds

40 ans après 40 ans après la chute des Khmers rouges, Phnom Penh, de ville fantôme envahie par la végétation, est devenue une cité grouillante et modernisée, sur fond de corruption et développement anarchique. Une scène artistique riche et singulière émerge, sans écoles, sans références. Les photographes en sont l’un des piliers. Christian Caujolle donne à voir la multitude des inspirations de ces jeunes créateurs, au cœur d’un pays en grande mutation. A.Z. 40 ans après, la photographie contemporaine au Cambodge 30 juin au 25 août Galerie La salle des machines, Friche de la Belle de mai, Marseille lafriche.org © Lim Sokchanlina, Wrapped Future II, 2017


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Pierre-Alain Hubert « Je vais te dessiner tes cours ! » lança-t-il en sortant d’un enseignement sur la physique quantique. Le projet a jailli comme une évidence pour Pierre-Alain Hubert, artiste pyrotechnicien et chercheur associé à l’IMéRA (Institut Méditerranéen de Recherches Avancées). En sont sortis une vingtaine de dessins « informés » par la pensée quantique sur fond de photos de feux d’artifices ou de radios du cerveau, retravaillés en numérique. Vernissage mercredi 3 juillet à 18h. C.L. Quantic Dreams Voir l’invisible 3 au 31 juillet Espace GT, Marseille 06 52 40 24 91 espacegt.free.fr

Quantique 7 © Pierre-Alain Hubert

Fabienne Verdier C’est la première rétrospective consacrée à l’artiste peintre en France, de ses débuts en Chine, auprès des lettrés chinois après la Révolution culturelle, à ses dernières créations réalisées en plein air sur les terres de Cézanne. Une cinquantaine d’œuvres visibles au musée Granet -peintures grands formats, dessins et objets, vidéos-, une installation (à la Cité du Livre, en partenariat avec le Festival d’Aix) et un atelier nomade qui présente les techniques de travail de l’artiste au Pavillon de Vendôme. DO.M. Sur les terres de Cézanne jusqu’au 13 octobre Exposition rétrospective Musée Granet, Aix Atelier nomade Pavillon de Vendôme, Aix Sound Trace, installation Cité du Livre, Aix aixenprovence.fr

Paysage de l’Oberland à la tombée du jour II, 2008, Acrylique et technique mixte sur toile, 240 x 180 cm, Collection particulière © Adagp, Paris, 2019

Créatures Baroques Le duo de photographe Philippe et Claire Ordioni (le père et la fille) sont des orfèvres du l’art du portrait. Mis en scène, maquillés, costumés, les modèles (anonymes ou figures du monde artistique) surgissent comme des apparitions sorties de la peinture classique. Mais les codes sont bousculés, et les rois relèvent plus d’Ubu que de la cour d’Espagne... A.Z. Galerie Goutal, Aix-en-Provence jusqu’au 15 août galerie-goutal.com Claire et Philippe Ordioni, Baroquistador#02

Félix Ziem Venise fut la deuxième patrie de Félix Ziem qui y trouva l’une de ses principales sources d’inspiration. Le musée Ziem expose près de 105 de ses œuvres -de la Place Saint-Marc aux Jardins français, de l’église de la Salute au Pont des Soupirs…- qui permettent de découvrir cette Venise rêvée, paysagée et plastique, annonciatrice de l’Orient fantasmé qu’il peignit par la suite. DO.M. Félix Ziem, peintre de Venise Jusqu’au 22 septembre Musée Ziem, Martigues 04 42 41 39 60 ville-martigue.fr

Félix Ziem, Venise, Grand Canal avec le Campanile au coucher de soleil, Huile sur toile, 84 x 117 cm - Musée Ziem, Martigues / cliché Gérard Dufrêne


42 au programme arts visuels vaucluse

BigTorrent Sur l’invitation d’EDIS, les artistes HeHe, Cyril Hatt, Jérôme Hoffmann, Vincent Mauger, Benjamin Nuel et Adelin Schweitzer investissent l’Île de la Barthelasse (scénographie : Christophe Goutes) pour une lecture renouvelée du fleuve. Exposition à ciel ouvert, les œuvres plastiques, propositions en réalité virtuelle et performances sonores invitent à une initiatique sur les bords du Rhône. A.Z. 4 au 17 juillet Île de la Barthelasse, Avignon ardenome.fr

Jerome Hoffmann © C Mouchette

Basquiat remix Aussi fulgurant qu’ait été son passage, le parcours de Jean-Michel Basquiat est très fortement relié à une histoire de l’art qui l’inscrit dans le temps plus long des influences et dialogues entre artistes. Comme Matisse, Picasso ou Twombly, il convoque le trait naïf et la maladresse. Les quatre peintres sont exposés dans une mise en perspective qui multiplie les portes d’entrées dans le langage de cet artiste emblématique des années 80. A.Z. 1er juillet au 29 septembre Collection Lambert, Avignon collectionlambert.fr

Jean-Michel Basquiat, Asbestos, 1981-1982, gouache et encre sur papier marouflé sur toile / gouache and ink on paper mounted on canvas, 282 x 272 x 3,5 cm, FNAC 2013-0538, Donation Yvon Lambert à l’État français / Centre national des arts plastiques / Dépôt à la Collection Lambert, Avignon © Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York

Ernest Pignon-Ernest Près de 400 œuvres -photographies, collages, dessins au fusain pierre et encre noire, documents- brossent plus de 50 ans de la démarche artistique, intellectuelle et politique de celui qu’on considère aujourd’hui comme l’initiateur du street art. Avec son art éphémère, il est le gardien de la mémoire et de l’histoire collective, qu’il met en scène sur les murs de nos cités. A.Z. Ecce Homo, interventions 1966-2019 29 juin au 29 février 2020 Palais des Papes, Avignon 04 32 74 32 74 palais-des-papes.com Pasolini Scampia-Naples 2015 © Ernest Pignon-Ernest

Arbres, l’intime échange La communauté d’agglomération Provence Verte et le Centre d’art contemporain de Châteauvert réunissent quinze artistes (Alexandre Hollan, Michel Loye, Henri Olivier, Joseph Beuys,...) aux pratiques diverses (installations, sculptures, peintures, photographies, dessins), et approches différentes autour de la belle thématique de l’arbre. Un corpus riche et sensible. A.Z. 6 juillet au 1er décembre Maison communale, Châteauvert 0781020466 acac83.fr Henri Olivier, L'ombre d'un olivier © François Fernadez


au programme arts visuels hérault

Pays-Âges En écho à ses collections permanentes qui évoquent magnifiquement la transformation et l’évolution des paysages à travers les matériaux archéologiques, le Musée de Lodève présente les regards croisés de photographes, vidéastes et plasticiens contemporains : un regard sensible sur l’imperceptible, notre environnement envisagé sur le long terme. 15 artistes livrent leur nature en mouvement (Georges Souche, Dove Allouche, Véronique Ellena, Alexandre Hollan,...). A.Z. jusqu’au 25 août Musée de Lodève 04 67 88 86 10 museedelodeve.fr Georges SOUCHE, Silence #349, L'île flottante, 2018 © Georges Souche

Crac de Sète Deux femmes artistes pour cet été au Crac. Anne-Lise Coste, plasticienne prolifique aux multiples techniques (aérographe, crayons, gouache, fresque...) exposera ses sujets intimes et/ou politiques, joyeux et torturés. Valentine Schlegel, née à Sète en 1925, accessoiriste pour les premiers festivals d’Avignon, a fait de son lieu de vie une œuvre d’art. L’exposition présente ses matériaux, ses objets, sur le lieu même du territoire qui l’a toujours inspirée. A.Z. La vie en rose, Anne-Lise Coste Tu m’accompagneras à la plage ?, Valentine Schlegel jusqu’au 29 septembre Centre Régional d’Art Contemporain, Sète 04 67 74 94 37 crac.laregion.fr

Anne-Lise Coste, Woman, série WOMAN, 2015 - Aérographe et acrylique sur papier, 70 x 50 cm - Courtesy de l’artiste et Lullin + Ferrari, Zurich

Mrac de Sérignan Les Chemins du Sud, une théorie du mineur invite à une traversée de l’Histoire de l’art depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours, suivant le trajet de ces artistes qui se sont démarqués de la veine révolutionnaire tissée entre Paris et New York, assumant le statut d’héritiers. Une forme de résistance à l’industrialisation, revendiquant la manière artisanale, le décor, provenant d’un Sud métaphorique. (Odilon Redon, Gustave Fayet, Raoul Dufy, Betty Woodman, Gérard Traquandi...) A.Z. jusqu’au 3 novembre Musée Régional d’Art Contemporain, Sérignan mrac.laregion.fr Betty Woodman, Courtyard : Pontormo, 2016. Faïence vernie, résine epoxy, laque, peinture acrylique, canvas, 280 × 214 × 25 cm. © Woodman studio, New-York

In Situ C’est un parcours qui se renouvelle chaque année en faveur de la découverte du patrimoine et de la création contemporaine. Cette 8e édition offre des œuvres et des créations spécifiques pour ces lieux remarquables répartis dans les huit départements de la région Occitanie, avec Miguel Chevalier, Basserode, Lionel Sabatté, Sandra Lorenzi, Delphine Renault... Les visiteurs sont accompagnés sur place par les équipes de médiateurs. C.L. jusqu’au 29 septembre Région Occitanie 04 67 06 96 04 patrimoineetartcontemporain.com

Éric MICHEL, Le Clocher de Lumière, 2019, sculpture lumineuse - Création IN SITU à La Livinière © Ludovic Charles – Éric Michel, ADAGP 2019

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Les films à ne pas louper Alexandre le bienheureux d’Yves Robert, lundi 1er juillet à 20h55 Le temps des gitans d’Emir Kusturica, lundi 1er juillet à 22h25

petit

écran

Much Loved de Nabil Ayouch, mercredi 3 juillet à 20h55 The Big Lebowski de Joel et Ethan Coen, dimanche 7 juillet à 20h55 Saint-Amour de Benoît Delépine et Gustave Kervern, dimanche 7 juillet à 22h30 Théorème de Pier Paolo Pasolini, lundi 8 juillet à 22h55 Sunshine de Danny Boyle, mardi 9 juillet à 23h25 La communauté de Thomas Vinterberg, mercredi 10 juillet à 20h55

John & Yoko vendredi 5 juillet à 22h30 Après Lennon NYC, le réalisateur Michael Epstein plonge le spectateur dans les coulisses de l’enregistrement d’Imagine, le premier album de John Lennon après son départ des Beatles. Au cœur du manoir de Tittenhurst Park, près d’Ascot, le musicien a aménagé un studio d’enregistrement avec sa compagne Yoko Ono, conviant les fidèles – George Harrison, le bassiste Klaus Voormann, le producteur Phil Spector… - aux sessions d’enregistrement. Les images d’archives dévoilent ainsi les premiers accords de la chanson éponyme Imagine, sur le fameux piano à queue immaculé de l’artiste, mais aussi des souvenirs familiaux des deux musiciens reclus dans leur propriété campagnarde avec leur fils Julian, et la naissance de l’activisme pacifique en pleine guerre

Algérie, les promesses de l’aube mardi 2 juillet à 21h50 Tandis que la contestation bat toujours son plein en Algérie après le départ de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, Julie Peyrard et Sonia Amrane ont tendu leur micro à la jeunesse algéroise qui a impulsé le mouvement fin février. Du nettoyage des rues après les manifestations aux aspirations sociétales et politiques pour leur pays, elles tentent de dresser le portrait d’une société composite en sondant le quotidien d’un lycéen, d’un supporter de foot, d’une étudiante et d’une femme active. Les témoignages s’accompagnent d’analyses émanant d’historiens et de journalistes, et d’observateurs parmi lesquels la cinéaste Safia Djama et l’écrivain Kamel Daoud. À voir également sur arte.tv : Une autre Algérie est-elle possible ?, avec le journaliste Akram Belkaïd, dans la collection Les experts du Dessous des cartes. L’émission est précédée à 20h50 du documentaire Golfe, la guerre des princes, et suivie à 22h45 de Mossoul, après la guerre.

du Vietnam. Et revient, une fois n’est pas coutume, sur le rôle prépondérant de Yoko Ono dans la conception de l’album au succès planétaire.

Un air de déjà-vu, dimanche 7 juillet à 19h10 Avec beaucoup d’à-propos, Philippe Collin revient tout l’été sur quelques phénomènes ayant animé la saison culturelle qui vient de s’écouler. Son angle est limpide et pertinent : décrypter ces événements à l’aune du passé, en dévoilant les racines et les démarches similaires d’aînés qui les ont précédés. Trois sujets au menu de cet épisode inaugural : la saga des albums posthumes, après le succès du disque post-mortem de Johnny Hallyday publié en décembre dernier. On passe ensuite au passage en revue d’artistes œuvrant à

l’autodestruction de leur travail, pour saluer la nouvelle pirouette effectuée par Bansky lors d’une vente aux enchères à Sotheby’s en octobre dernier. Enfin, on revient sur un historique des biopics musicaux, pour accompagner le succès en salles de Bohemian Rhapsody. Une manière intelligente d’inscrire l’actualité dans une histoire plus globale des arts. À découvrir chaque dimanche jusqu’au 25 août, et sur arte.tv.

Belle en travaillant, dimanche 7 juillet à 01h05 Leslie Bedos s’est inspirée d’un livre éponyme des années 70 recensant la garderobe idéale d’une secrétaire ou d’une patronne, pour son nouveau documentaire.


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Avec son habituel humour grinçant, la réalisatrice commente des archives issues de l’INA, pour tenir le compte des injonctions faites aux femmes dans le milieu du travail, des années 50 à nos jours. Elle émaille son reportage d’interviews d’archives avec la productrice Éliane Victor, la chef d’entreprise Hélène Rochas, l’éditrice Françoise Verny, la romancière Françoise Xenakis, ou encore les actrices Brigitte Bardot, Jane Fonda et Jeanne Moreau.

Sentier des douaniers, la Bretagne en toute liberté mardi 9 juillet à 14h55 Le GR34 a fêté ses 50 ans l’an dernier. Achevé en septembre 2018, le sentier emprunte le chemin littoral utilisé par les douaniers dès 1791, pour lutter contre le pillage d’épaves et le trafic de sel. Ce sont désormais plus de 2 000 kms qui s’offrent au randonneur, reliant la Baie du Mont-Saint-Michel à Saint-Nazaire, invitant à la contemplation de paysages à couper le souffle : longues plages de sable, falaises et côtes déchiquetées, dunes et roches colorées, phares, abers, îles… Sans oublier une riche flore et faune, notamment aviaire (fous de Bassan, macareux moines…). Pour un avant-goût estival, Mathieu Despiau s’attelle à la traversée de ce littoral breton, des plages de sable fin du Morbihan aux roches roses de Ploumanac’h, en passant par les falaises vertigineuses du Finistère.

Nos maisons ont une histoire vendredi 12 juillet à 21h40 Durant tout l’été, France 5 propose une enquête sur des bâtisses chargées d’histoire. Fouille dans les archives, rencontre avec habitants et historiens, permettent d’exhumer le passé d’une ville et d’une région. Pour ce numéro consacré à Avignon, Stéphane Thebaut choisit de mettre à l’honneur la Maison de Fogasses. Aux côtés de son actuelle propriétaire, Corinne Guyon, il retrace l’histoire de cette remarquable demeure datant du XIIe siècle, depuis l’époque des Papes jusqu’à nos jours. Durant les bombardements de 1944, un éclat d’obus atterrit dans le jardin. Actuellement, c’est ce même site qui accueille des pièces de théâtre durant le festival off d’Avignon.

JULIE BORDENAVE

Et aussi… L’homme des bois, Cévennes, forêt des résistances samedi 29 juin à 16h45 Les pionniers de Trémargat dimanche 30 juin à 14h La minute vieille à partir du lundi 1er juillet à 20h50

Les enfants du secret mardi 9 juillet à 22h25 « Ma fille porte déjà en elle une partie de cet homme, et je ne sais absolument rien de lui » : à l’orée de sa paternité prochaine, Rémi Delescluse, 36 ans, né d’une insémination artificielle avec donneur anonyme, s’apprête à partir sur les traces de son père. Après une discussion introductive avec ses parents, il élargit ses recherches à la banque de sperme pour en connaître davantage sur son patrimoine génétique, confiant se sentir « dépossédé de son histoire » devant l’inexorable secret de confidentialité. Le réalisateur témoigne pour sa propre cause, mais aussi pour celle des 70 000 enfants issus d’un don en France depuis les années 70. Les récents tests ADN, toujours illégaux en France, permettent de faire avancer cette quête destinée à « effacer des points d’interrogation ». Certains membres d’associations, telles que PMAnonymes ou Origines, se pourvoient désormais en justice, pour lever le voile sur la question existentielle de leurs origines. L’émission est suive à 23h25 du documentaire Itinéraire d’un enfant placé, sur les pas de Yanie, sommé de quitter sa famille d’accueil à l’orée de ses 14 ans, pour apprendre à vivre par intermittence avec sa mère. Cette soirée thématique ouvre la collection L’été des grands documentaires de société, sur Arte chaque mardi jusqu’à la fin du mois d’août .

L’héritage de Pina Bausch mercredi 3 juillet à 22h35 Des rites et des hommes mercredi 3 juillet à 00h35 Mon pays fabrique des armes vendredi 5 juillet à 00h30 Olympie, aux origines des jeux samedi 6 juillet à 14h55 Je suis la fête des vignerons samedi 6 juillet à 19h05 Sound of Freedom dimanche 7 juillet à 22h45 Les mensonges de l’histoire : 1985, le Rainbow Warrior dimanche 7 juillet à 0h Histoires courtes, Delépine Kervern échappements libres dimanche 7 juillet à 00h10 La Méditerranée va-t-elle passer l’été ? mardi 9 juillet à 20h50 Ils ont marché sur la Lune, mardi 9 juillet à 21h05


46 feuilleton littéraire

Nos éclipses épisode 3 : Une lune immense et incongrue dans le ciel résumé de l'épisode 2 En passant en coup de vent chez elle, Eva a failli surprendre Imré, son mari, au lit avec Luce sa maîtresse. Elle a ramassé un livre oublié par Luce, La Ronde d’Arthur Schnitzler, qu’elle a glissé dans son sac. Elle se rend à son bureau alors que bientôt va se produire une éclipse solaire spectaculaire.

Eric san Pessan © Mélio Pes

L'auteur Éric Pessan, né en 1970 à Bordeaux. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages : des romans, des pièces de théâtre, des textes destinés à la jeunesse, des livres réalisés avec des plasticiens. Il est membre du comité de rédaction de la revue Espace(s) du Centre National d’Études Spatiales. Derniers ouvrages parus : Quichotte, autoportrait chevaleresque (2018, Roman, Fayard), La connaissance et l’extase (2018, Essai-récit, éditions de l’Attente), L’homme qui voulait rentrer chez lui (2019, Roman jeunesse, L’École des loisirs).

en co-production avec La Marelle

U

ne main glisse sur la hanche d’Eva, descend en lisière de la jupe droite, un doigt agace la peau en tirant sur le tissu, remonte le sillon des fesses. La main vient se placer sur le pubis, caresse le renflement. Eva sourit. Dans la déontologie qu’elle s’est inventée, il est hors de question qu’elle s’offre à Imré après avoir fait l’amour avec Antoine. Il lui faut du temps entre deux corps, deux étreintes. Eva frissonne. Elle trouvera un prétexte pour se refuser à Imré ce soir, elle se laisse gagner par la chaleur des mains d’Antoine, relève sa jupe, tremble, se tend, voudrait se ramasser toute entière autour de la caresse de son amant. Eva retient son souffle ainsi que les tremblements de ses jambes, elle est debout, dans le bureau d’Antoine - son amant et son principal client - totalement à l’écoute du passage de sa main, elle appelle le plaisir, l’appelle si bien qu’il vient d’un coup, la foudroie quasiment et l’oblige à reprendre une longue bouffée d’oxygène.

moment être surpris par une secrétaire, et il doit s’absenter. Eva tire sur sa jupe, la lisse, Antoine respire l’odeur intime de la jeune femme sur ses doigts. Elle quitte le bureau si précipitamment qu’elle n’a pas remarqué que le livre est tombé de son sac à main. Elle est déjà dans l’escalier, elle est heureuse des attentions d’Antoine, elle serait choquée si quelqu’un un jour faisait le lien entre les contrats qu’il lui confie et leur liaison. Ils sont devenus amants bien après avoir commencé à travailler ensemble. Ce sont ses qualités qui lui ont valu la signature de contrats importants. Le reste - l’attraction des corps, les caresses rapides, l’excitation des rendez-vous furtifs - n’est venu qu’en un second temps. Quittant à son tour le bureau, Antoine découvre le livre au sol, sourit en le reconnaissant. Il l’a lu il y a déjà bien longtemps.

De la fenêtre du taxi, Antoine contemple le ciel : des nuages imprévus s’amoncellent et risquent fort de gâcher la fête. Le chauffeur ne parle Il n’est pas possible que de l’éclipse, le plus grand aujourd’hui pour Eva de événement cosmique depuis rendre à Antoine le plaisir août 1999, l’année où Paco qu’il vient de lui donner, elle Rabanne avait prévu la fin est en retard, ils peuvent à tout du monde durant une éclipse


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similaire. En baissant son regard, Antoine croit entrapercevoir cinq ou six hommes donner des coups de pieds à deux hommes recroquevillés au sol sur des cartons, mais il a peut-être mal vu. En s’excusant d’arriver si tard, Antoine retrouve Émilie chez elle. Il a fait livrer le déjeuner par un traiteur. Ils ne touchent pas aux plats, occupés qu’ils sont à s’entredévorer. Antoine déborde d’une excitation qui ne demande qu’à exploser. Ils font l’amour sur le vieux lit tremblant d’Émilie, Antoine la domine en tout et impose en tout ses désirs. C’est ce qu’il aime chez Émilie : sa stricte obéissance. Il s’est arrangé pour ne pas avoir à jouir avec Eva, elle se montre plus réticente, plus directive, plus dominatrice. Émilie est tout l’inverse : il se dégage d’elle une certaine mollesse qui contraste fortement avec la vigueur d’Eva. Elle ne se rebiffe jamais, elle se laisse faire, s’abandonne absolument. Antoine repart aussi vite qu’il est arrivé, abandonnant Émilie seule avec ses angoisses. Chaque visite de son amant lui laisse ce même arrière-goût d’humiliation : elle jouit comme jamais avec lui et pourtant se sent niée. Cela fait longtemps qu’elle ne se demande plus si elle l’aime. La nourriture sur la table l’écœure. Elle n’a pas faim. En fronçant les sourcils, elle considère le livre qu’Antoine a posé là sans qu’elle ne s’en rendre compte. Elle prend une douche et très vite, se retrouve dans la rue. Elle a le livre avec elle, elle l’ouvre, le feuillette en marchant. Elle ne connait ni le titre, ni l’auteur. Du théâtre, qui aurait envie de lire ça ? Dans ses oreillettes un homme dit que l’éclipse aura peut-être des conséquences sur les systèmes de guidage et les réseaux téléphoniques, il semblerait que les satellites

puissent être momentanément perturbées. Le seul point positif de l’éclipse est l’abandon des manifestations. Deux étaient prévues aujourd’hui : l’une contre les nouvelles mesures d’austérité du gouvernement, l’autre en soutien des migrants climatiques. C’est peut-être la première journée depuis des mois où il est possible de traverser la ville sans croiser un cortège ou respirer des lacrymogènes. Un peu partout, les vitrines des banques sont remplacées par des panneaux d’agglomérés, les distributeurs de billets sont démolis, les abris bus brisés. Des croûtes de poubelles calcinées obligent à descendre des trottoirs. Depuis combien de mois s’est-on habitué à ce que les villes deviennent semaine après semaine des champs de bataille ? Pour les migrants, contre les migrants, pour la défense des acquis sociaux, contre le gouvernement, chaque semaine une nouvelle manifestation dégénère, des vitrines volent en éclat, des mains sont arrachées par des grenades, des yeux sont crevés par des tirs de flash-balls à bout portant. L’extraordinaire est devenu familier. Dans la rue, un jeune homme avec un gilet d’Amnesty international fait signer une pétition contre les violences policières. Le sujet des manifestations est devenu la meilleure façon de s’engueuler à table en famille ou au bureau. Émilie donne une pièce à un vieil homme qui remercie en une langue qu’elle ne connait pas. Elle n’a jamais parlé politique avec Antoine, réalise-t-elle. Et là, à cette seconde précise, alors qu’un nuage passe devant le soleil et que la lune parait aussi immense qu’incongrue dans le ciel diurne, elle décide de ne plus le revoir.

Suite du feuilleton dans le prochain numéro...


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MARSEILLE

JAZZ

20 edition

DES CINQ CONTINENTS 17 / 27 JUILLET 2019

Mercredi 17 juillet • 20h

• Delgrès • MINO CINELU / NILS PETTER MOLVAER Duo • “Home” Papanosh + Roy Nathanson & Napoleon Maddox

THEATRE SILVAIN Jeudi 18 juillet • 21h

• VINCENT PEIRANI Autour du Monde Création Marseille Jazz Harold López-Nussa, Vincent Ségal, Eyvind Aarset, Michele Rabbia, Ballaké Sissoko, Stéphane Hussard, Basel Rajoub Vendredi 19 juillet • 21h

• THOMAS DUTRONC et les Esprits Manouches Samedi 20 juillet • 20h30

• CHILLY GONZALES PianoVision

MUCEM Dimanche 21 juillet • 20h

• Samy Thiébault • Elina Duni & Rob Luft • Omri Mor • Donny McCaslin

JARDINS DU PALAIS LONGCHAMP Lundi 22 juillet • 20h30

• MARIUS ET FANNY

Opéra Jazz de Vladimir Cosma d’après l’œuvre de Marcel Pagnol

Mardi 23 juillet • 20h30

• José James

• MARCUS MILLER Mercredi 24 juillet • 20h30

• Raphaël Imbert Cie Nine Spirit, Guest Eric Bibb • THE GOOD, THE BAD AND THE QUEEN Damon Albarn, Paul Simonon, Tony Allen et Simon Tong Jeudi 25 juillet • 20h30

• Juan Carmona Septet

• CHUCHO VALDÉS « Jazz Batá », Special Guests : Yilian Cañizares & Kenny Garrett avec la présence exceptionnelle d’Omara Portuondo Vendredi 26 juillet • 20h

• JOHN ZORN Bagatelles Marathon Samedi 27 juillet • 20h30

• Fiona Monbet « Contrebande » • MELODY GARDOT

photo : Mink Mingle/Unsplash

PARVIS ABD


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