Zibeline 49

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CULTURE LOISIRS TÉLÉ ciné

18.10 > 01.11.2019

ZIBELINE

Bimensuel culturel n° 49 2€50

Prison Miroir à la Friche

En Ribambelle, festival jeune public

L 18754 - 49 - F: 2,50 €

Spécial Expositions


sommaire 49

société (P.4-9) Les chroniques du changement climatique, deuxième volet Entretien avec Sarah Devos, SOS Méditerranée Mur Méditerranée, Méditerranée amère frontière Prison Miroir à La Friche, Marseille

Cité Queer (P.10-11) Entretien avec Wesam Farhat, protagoniste du documentaire Mr. Gay Syria ZeFestival, festival de cinéma LGBTQ+

Politique culturelle (P.12-15) La grotte Cosquer à la Villa Méditerranée L’espace Manifesta 13 a ouvert à Marseille ¡Viva Villa ! à la Collection Lambert, Avignon

événements (P.16-19) Le Mucem Agnès Mellon et Chrystèle Bazin à la Marseillaise Festival En Ribambelle, en région Festival La Fureur de dire, à Veynes Cirque en marche, à Alès

Grotte Cosquer © Drac Paca - SRA, Luc Vanrell

critique (P.20-32) Actoral, le Klap, les Bernardines, le Joliette, le Zef, le Massalia, Automne en librairies, l’Odéon, l’Opéra de Marseille, Musicatreize, le GTP, le Vitez, la Fête du Livre d’Aix, le Comoedia, Calms, les Salins, le Sémaphore, le théâtre d’Arles, la Passerelle, le Domaine d’O, les 13 Vents, l’Opéra de Montpellier Coup de grâce © 1Cube

arts visuels (P.33-39) Fuulguration au Centre d’art contemporain à Istres Parcours métropolitain d’art contemporain et expositions au Frac Lucien Clergue au GTP Arbres, l’intime échange à Châteauvert Chefs-d’œuvre du Musée d’Ixelles au Musée de Lodève Bonjour Monsieur Courbet au Musée Fabre à Montpellier Caroline Achaintre, Estrid Lutz et Ambera Wellmann à La Panacée - MoCo à Montpellier

Chefs-d'œuvre du Musée d'Ixcelles, à Lodève : George Morren, Femme épinglant son chapeau, 1901. Pastel sur papier. Photo © Musée d’Ixelles

AU PROGRAMME Spectacle vivant (P.40-45) Musiques (P.45-48) Arts visuels (P.50-53)

LITTÉRATURE (P.57-61) Livres de la semaine : Giono Furioso ; la Revue Giono ; Tu reviendras ; Une joie féroce ; Cora dans la spirale ; Une femme et la guerre ; Homo domesticus ; Une bête au paradis ; Sur la route du Danube ; Je reste roi de mes chagrins

CINÉMA (P.54-56) Annonce : Cinemed à Montpellier Films de la semaine : Martin Eden ; L’Âcre parfum des immortelles ; Hors Normes Retour : Best of Short Films Festival à La Ciotat

CONSEILS TÉLÉVISION (P.62-63)


edito

J

La pompe à honte ean-Claude Gaudin vient de faire une

le Rassemblement National à la Mairie. Il fau-

déclaration passée inaperçue mais

drait donc, pour se garder de l’extrême droite,

lourde de préjugés que l’on espère in-

reproduire, au-delà de son discours, ses actes ?

conscients. Emmanuel Macron, qui

Laisser périr en mer ceux qui fuient les exac-

envoie sa police retirer les couvertures des ré-

tions et le chaos libyens, auxquels l’État Fran-

fugiés parisiens, veut faire de Marseille un port

çais, en particulier Les Républicains de Sarkozy,

d’accueil pour les rescapés des naufrages. L’édile

ne sont pas tout à fait étrangers ? Les morts se

de la seconde ville de France a donc des raisons

comptent aujourd’hui sans doute par centaines

d’épingler cette hypocrisie, et le délaissement du

de milliers, comment peut-on envisager de lais-

Sud par un pays qui refuse d’être méditerranéen.

ser ainsi l’Afrique se noyer ?

Cela rappelle évidemment l’attitude d’une Europe

Il fut un temps où la France collaborationniste

qui a abandonné à l’Italie son devoir d’assistance,

refusa d’accueillir les Juifs étrangers et les livra

sans prévoir la répartition des « migrants » qui

avec zèle à Hitler, sous prétexte de protéger ses

débarquaient sur ses côtes.

citoyens et de rester un État non annexé. Dans ces

Mais fallait-il, à ce propos, parler de « pompe

années-là des Français choisirent de résister, de

aspirante », outil utilisé pour déboucher les ca-

désobéir à la loi scélérate de Vichy, de cacher les

nalisations, généralement à merde ? Et faire le

Juifs et de prendre, lorsqu’il le fallait, les armes.

parallèle avec le « centre d’accueil des familles de

Faudra-t-il en arriver là pour sauver nos frères

retour du Jihad » implanté à Marseille, établis-

humains noyés à nos portes sous prétexte de ne

sant une analogie honteuse entre les djihadistes

pas faire élire l’extrême-droite ? Quand le peuple

et ceux qui les fuient ? Quel est le point commun

de gauche se lèvera-t-il, uni et fier de ses valeurs

des réfugiés africains avec les djihadistes souvent

humaines, pour s’affirmer comme la seule op-

français sinon, parfois, leur couleur de peau ?

position aux remugles fascistes, et la seule force

Jouer avec la peur : Martine Vassal est plus di-

d’avenir ? AGNÈS FRESCHEL

recte encore, accusant l’État de vouloir, en faisant de Marseille un port d’accueil, faire élire

Photo de couverture : © Arnaud Théval, La Coursive aux dragons, exposition Prison Miroir à La Friche ZIBELINE BIMENSUEL CULTUREL CULTURE

LOISIRS

TÉLÉ

CINÉ

Hebdomadaire paraissant le vendredi Édité à 20 000 exemplaires par Zibeline BP 90007 13201 Marseille Cedex 1 Dépôt légal : janvier 2008 ISSN 2491-0732 Imprimé par Rotimpress Imprim’vert - papier recyclé

Chargée des abonnements

Directrice de publication Agnès Freschel

com.zibeline@gmail.com Contact diffuseurs :

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société

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e

Chronique du changement climatique. Au moment où le chaos global s’accélère -dérèglement climatique, pollution exponentielle et chute de la biodiversité- nous allons à la rencontre de personnes affectées dans leur quotidien, pour rendre compte de leur vécu. Si vous voulez témoigner, contactez la rédaction : journal.zibeline@gmail.com

« On ne peut plus définir ce qu’est un écosystème en bon état »

D

aniela Banaru travaille à « Les bactéries prolifèrent au détriment d’espèces plus l’Institut Méditerragrosses ; elles sont notablement moins nutritives ». néen d’Océanologie, Des prédateurs inconnus dans nos eaux appasur le campus de Luraissent, comme le vorace poisson-trompette, miny. Enseignante venu par le Canal de Suez, dont elle a trouvé et chercheuse, elle un représentant vendu sur le Vieux Port. nous reçoit dans Long de près d’un mètre, il avait six petits son bureau avec poissons dans le ventre. Autre constat : l’une de ses étules organismes marins, sans même pardiantes, Chialer du plastique qu’ils ingurgitent, sont Ting Chen, qui chargés de contaminants métalliques, s’apprête à souhormones, antibiotiques, emportées par tenir une thèse le flot de nos urines via les circuits d’assur l’alimentasainissement. L’émissaire de Cortiou, au tion des poissons cœur du Parc national des Calanques à planctonophages de Marseille, dégorge de mercure, entre autres la région marseillaise. substances toxiques. Dans ce laboratoire, les scientifiques observent les Dauphins : le loup des mers Da nie .C. écosystèmes marins pour déLes océanologues travaillent beaucoup avec les pêla B G © ana hen ru et sa thésarde Chia-Ting C terminer leur évolution. D’emblée, cheurs. D’après Daniela Banaru, ces derniers comDaniela Banaru prévient : « Les conséquences mencent à se poser des questions : « même si de l’activité humaine ne sont pas récentes, la contamination leur fait peur, ils veulent mais elles se sont accélérées et intensisavoir ». De plus en plus de programmes fiées. Il y a partout tellement d’impact de recherche se font en collaboration que l’on ne peut plus définir ce qu’est étroite avec ceux qu’elle qualifie de un écosystème en bon état ! » sentinelles de la mer, observateurs Le nombre de poissons est en baisse, particulièrement bien placés car en leur taille diminue. « On voit très peu permanence sur l’eau. À les côtoyer de requins désormais, et seulement de près, elle relève les difficultés auxcertaines espèces -Renard, Peau bleue, quelles ils sont confrontés dans leur Mako- parmi toutes celles qui devraient métier, le modèle économique fragilisé par la baisse des ressources, l’augmentaêtre là. » Les espèces communes, telles que les sardines ou les anchois, sont aussi tion du coût du carburant, la réglementation concernées. La surpêche est en cause, mais les en constante évolution. chercheurs relient aussi le phénomène à un problème Elle dresse un parallèle intéressant avec la situation des d’alimentation : le plancton est moins abondant en Méditer- éleveurs de brebis, dont la position se durcit d’autant vis-à-vis ranée, sous l’effet, entre autres, du réchauffement climatique. du loup que leurs territoires et leurs activités sont sinistrés

Une océanologue en Méditerranée : la taille des poissons diminue, et c’est loin d’être le seul problème


économiquement. « D’origine roumaine, je peux vous dire que chez nous les loups sont nombreux, et ce n’est pas un problème, les troupeaux sont bien défendus. Ce sont des prédateurs naturels, on en a besoin. Quand la pêche va mal, certains pêcheurs cherchent un responsable et seraient prêts à s’attaquer aux dauphins, qui sont des mammifères opportunistes, et viennent se servir dans les chaluts. » En Méditerranée, contrairement aux espèces invasives, poissons, invertébrés, algues, qui se déplacent apportés par les bateaux et déséquilibrent à grande vitesse les écosystèmes, ce ne sont pas les dauphins qui posent problème...

SCÈNE CONVENTIONNÉE

THÉÂTRE JOLIETTE

EXPRESSIONS ET ÉCRITURES

LENCHE+MINOTERIE

CONTEMPORAINES

ART ET CRÉATION

SAISON VII 2019-2020

CETTE FOIS-CI, IL NE S’AGISSAIT PAS D’UNE PANNE PASSAGÈRE, MAIS D’UN VIDE DÉFINITIF. Bernard Mazéas / Incident à Gaveau

Self control Lorsqu’on lui demande ce qu’elle ressent au quotidien dans l’exercice de sa profession, Daniela Banaru soupire : « J’aimerais que mes enfants connaissent le milieu marin que j’ai connu. Ça dépendra de nous. On a beau dire qu’il faut faire de la place aux autres espèces, au fond ce sont nos intérêts anthropocentrés qui priment. » Dans les aires marines protégées, telles que le parc national de Port-Cros, créé en 1963, elle observe que les animaux sont moins craintifs : « on peut presque gratter le dos des mérous ». En tant qu’enseignante, elle croit en la pédagogie, et considère que la population pourrait apprendre de la mer qu’elle n’est pas un espace libre où tout le monde peut se servir (ni une poubelle, pourrions-nous ajouter). Si d’après ses estimations, quelques 800 ou 1000 personnes pratiquent la pêche professionnelle artisanale en Paca, un nombre qui fluctue relativement peu, les techniques ont considérablement évolué, devenant bien plus effectives. Quant à la pêche récréationnelle -entre 15 000 et 17 000 licenciés sur la région, selon ses données- elle décime la faune marine, malgré les réglementations.

Parcimonie

GAËLLE CLOAREC

Bernard Mazéas / Maurice Vinçon

05 > 09 novembre

création / production Théâtre Joliette

www.theatrejoliette.fr - 04 91 90 74 28 du

E 05 X P 11 au O

PAR AGNÈS MELLON ET CHRYSTÈLE BAZIN

21 12

La dent creuse 2019 ENTRÉE LIBRE

CARTOGRAPHIE DE LA COLÈRE

Aux Rotatives de la Marseillaise

fb.me/AssociationVART5

Graphisme : www.nathaliegenot.com - Photo : Agnès Mellon

Daniela Banaru -c’est à célébrer car la pratique n’est pas si courante chez les scientifiques- s’intéresse à l’histoire. Elle a passé son été à lire, s’est penchée sur l’œuvre du naturaliste, géographe et explorateur allemand Alexander von Humboldt (1769-1859), et la thèse d’un confrère historien, Daniel Faget, intitulée Le milieu marin méditerranéen : usages, conflits et représentations. Le cas du golfe de Marseille (début XVIIIe-début XXe siècles). La chercheuse y a appris qu’avant l’industrialisation des pratiques de pêche, les pêcheurs trop gourmands étaient jugés par un tribunal constitué de pairs, « qui n’étaient pas tendres ». Au moment où la pêche s’est intensifiée, au début du XIXe siècle, sont apparues des méthodes redoutables, palangre ou drague, qui ont été dénoncées, le risque de surexploitation ayant rapidement été identifié. À quoi les pouvoirs publics auraient répondu que la demande accrue de produits de la mer justifiait de tels moyens. Elle déplore qu’alors comme aujourd’hui, l’appât du gain prime. Sa conclusion sera aussi la nôtre : « Il faut apprendre du savoir des anciens ».

Incident à Gaveau


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société

On meurt encore en Méd © Patrick Bar 2016

Zibeline : Depuis juillet SOS méditerranée est de retour en mer, et y sauve des vies, avec son nouveau navire Ocean Viking. En quoi diffère-t-il de l’Aquarius ? Sarah Devos : L’Aquarius, privé de pavillon, a dû arrêter ses missions en décembre 2018. Il a fallu chercher un autre navire capable de tenir la haute mer, avec un pavillon fort. L’Ocean Viking bat pavillon norvégien, un pays européen qui respecte le droit de la mer et les droits humains. Il possède un grand pont arrière qui a été aménagé en Pologne, avec des containers pour accueillir les personnes, un hôpital, des douches et des stocks pour faire face à de longues durées en mer. Il a fait route vers Marseille fin août et en est à sa troisième rotation en mer, commencée le 4 octobre. Il s’agit donc de sauver des hommes du naufrage. L’Aquarius en moins de trois ans a recueilli plus de 30 000 personnes. L’Ocean Viking prend le relais. Lors de sa deuxième rotation nous avons effectué plusieurs sauvetages au large de la Libye. Aujourd’hui on se trouve face à de petits bateaux en bois, ou à ces embarcations en plastique bleu qui ne tiennent pas la mer et se dégonflent très rapidement. Nous avons sauvé essentiellement de

Grâce à l’Ocean Viking, Sos Méditerranée a pu reprendre ses sauvetages en mer. Entretien avec Sarah Devos, membre du Conseil d’administration et référente de l’antenne de Marseille jeunes hommes, mais aussi des femmes avec de très jeunes enfants. Certaines enceintes. Une a dû être hélitreuillée. Parmi ces naufragés, 9 mineurs sur 10 voyagent seuls. Ils ont débarqué à Lampedusa, la réouverture du port italien est une bonne nouvelle... On peut se réjouir de cette réouverture des ports sûrs en Europe, mais le

mécanisme de désignation de ces derniers reste très mal défini, ce qui va entraîner encore des jours inutiles de souffrance pour les rescapés en attente à bord. Il faut que le sauvetage soit garanti par l’Union Européenne, ainsi que les mécanismes de débarquement et de répartition des naufragés. Durant la fermeture des ports italiens plus de 10 000 personnes ont été renvoyées dans l’enfer libyen, et 1000 autres sont mortes. Officiellement. Officiellement ? Vous pensez donc que les morts sont plus nombreux ? On a parlé d’un ralentissement de la migration par la route de Méditerranée centrale. Rien ne permet de le penser. Pendant près de 9 mois nous n’avons pas pu intervenir sur les côtes libyennes, et depuis que nous avons repris les rotations nous avons pu constater que les embarcations de fortune, avec des centaines d’hommes à bord, sont toujours là. Il y a donc des hommes qui meurent, sans que personne ne soit là pour les voir, les comptabiliser. Les traversées se font depuis la Lybie, qui n’est plus un état de droit, il n’y a pas de contrôle. Les morts officielles, qui se chiffrent pourtant en milliers, ne représentent sans doute qu’une faible partie du compte réel.


7 Les garde-côtes libyens ne sont-ils pas en charge du sauvetage ? Ils demandent qu’on les ramène vers la Libye contrairement au droit international. Ce ne sont pas des ports sûrs. Il y a la guerre civile, et avant même la guerre civile il y avait du trafic humain d’envergure. Tout cela est documenté, de notoriété publique. Pourtant l’Union Européenne continue de financer les garde-côtes libyens qui ramènent les naufragés vers des camps où se pratiquent le trafic d’esclave, le viol, et qui bafouent incontestablement les droits humains. L’obligation d’effectuer des sauvetages continue donc d’être bafouée ? Oui, soit elle n’est remplie par personne comme lorsqu’on nous a empêché de prendre la mer, soit elle est confiée aux ONG comme nous ou au Colibri, à l’Open Arms, aux Pilotes volontaires… ce qui reste un pis-aller. Tous les hommes ont le droit de se déplacer, surtout lorsqu’ils fuient un danger vital, et les États ont obligation de les recueillir et les protéger. Actuellement le droit international, et en particulier le droit de la mer, n’est pas respecté par les États européens. Les ONG ont été criminalisées pendant des mois et nous n’avons pas baissé les bras. De quoi avez-vous besoin pour continuer de sauver des vies ?

diterranée

De la part des particuliers nous avons besoin de dons. Une journée en mer de l’Ocean Viking, c’est 14 000 euros. 98% de nos revenus proviennent de particuliers, et nos dépenses sont faibles grâce à la grande implication de Médecins Sans Frontières, et de nos bénévoles sur les bateaux et à terre. Plus de 500 en France. Avec une antenne importante à Marseille. Oui, c’est un port d’ancrage pour nous, nous y expérimentons en particulier des actions de sensibilisation en milieu scolaire. Les Marseillais sont très impliqués, très actifs au niveau de l’accueil des réfugiés et les structures culturelles, comme le Mucem, nous ouvrent souvent leurs portes.

L’exil, du dedans

C

hez Actes Sud, pour soutenir le retour en mer de SOS Méditerranée et aider à financer les jours en mer de l’Ocean Viking, 16 auteurs ont écrit, gratuitement, des textes bouleversants. Tous très différents, ils disent que le monde ne peut rester plus longtemps aveugle. À l’impossibilité de vivre dans certains pays, au désir si légitime d’échapper qu’exprime Leïla Slimani, répondent le sentiment insondable de l’exil (Mahmoud Tawfik), le rejet des européens (Aminata Aidara), la guerre comme un cauchemar persistant, et les Noirs qui se cachent dans les caves alors que les algériens, au-dessus d’eux, revendiquent une liberté qui ne les inclut pas (Samir Toumi). Plus encore qu’un appel au don, ces textes rassemblés, dans leurs différences et leur complémentarité, sont un appel à notre humanité commune. Paru chez Sabine Wespieser, le roman de Louis-Philippe Dalembert s’attache au sort des femmes migrantes. L’écrivain haïtien pose un regard empathique et intime sur les souffrances et les dignités des femmes africaines. Ses trois personnages, issues de milieux, d’histoires, de pays différents, s’affrontent à des murs infranchissables qui leur faut pourtant franchir ; celui du camp, avant l’embarquement, où elles sont maltraitées ; celui de la cale du chalutier, qui rappelle l’esclavage ; celui du débarquement à Lampedusa. Et d’autres encore : chacune raconte l’histoire qui l’a menée là. Le roman, par la vraisemblance documentée de ses fictions, la force de sa langue et sa construction en 3 parties qui se répondent, chacune en miroir de l’autre, est remarquable de force littéraire, philosophique, poétique et humaine. A.F. Méditerranée amères frontières, ouvrage collectif Actes Sud, 15 €

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL

ENSEMBLE, SAUVONS

DES VIES EN MER SOS MEDITERRANEE a pour mission de secourir les personnes qui risquent leur vie en traversant la Méditerranée. Chaque jour en mer avec l’Ocean Viking coûte 14 000€.

Ensemble, sauvons des vies en mer.

FAITES UN DON www.sosmediterranee.fr

CS 20585 - 13205 Marseille Cedex 01

Photo: Laurin Schmid / SOS MEDITERRANEE

Mur méditerranée Louis-Philippe Dalembert Sabine Wespieser, 22 €


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société

Regarder la prison La prison, par essence, se cache et reste impensée. Avec Prison Miroir La Friche propose de se plonger dans des réalités méconnues de l’univers carcéral

D

epuis Michel Foucault et son Surveiller et punir les raisons de l’emprisonnement moderne ne sont plus dénoncées. L’abolition de la prison, aujourd’hui possible, reste un tabou politique, et l’enfermement demeure le seul moyen envisagé pour surveiller, parce qu’il est celui qui punit le mieux, à défaut d’être le plus efficace pour empêcher les récidives. Impensée l’incroyable disproportion des hommes et des femmes en prison. Elles ne représentent que 4% des détenus, non pas parce qu’elles seraient moins punies par les juges, mais simplement « parce qu’elles sont moins délictuelles », affirme Christine Charbonnier, Secrétaire générale de la Direction régionale des services pénitentiaires. « Celles qui arrivent en prison sont aussi généralement dans des états beaucoup plus graves, toxicomanes, infanticides, criminelles mais aussi victimes ».

Expositions Pourquoi une femme a-t-elle 26 fois moins de chance d’aller en prison, et infiniment moins encore de commettre de vols avec violence, ou crapuleux, ou des crimes sexuels ? L’exposition Détenues de Bettina Rheims, sans amener de réponse, parvient à donner à voir ces femmes, dignes, posant, marquées. De face. Si Ramy cache son visage elle laisse voir les cicatrices à son poignet, et Eve Schmit montre un cupidon tatoué sur son dos ; les autres regardent l’objectif, avec tristesse, colère, provocation ou confiance, plus ou moins maquillées et habillées pour l’occasion. La photographe, sur un fond blanc sans connotation carcérale, a tiré le portrait de 120 femmes parmi les 2400 détenues en France en 2014. Elle leur a redonné, dit-elle « une image d’elles-mêmes », dont elles sont privées. Arnaud Théval s’est penché sur un autre non-dit des prisons françaises : celui

Série Détenues - Eve Schmit II, novembre 2014, Roanne © Bettina Rheims

du quotidien des surveillants. Ceux qui doivent « tout voir sans rien montrer de soi ». Contrairement aux détenues de Bettina Rheims ils cachent leurs visages, posent de dos, dévoilant leurs tatouages, leur carrure, leur peau, et décalant ainsi sensiblement « notre imaginaire de la taule ». Ici on voit les cellules, les talkies,

les barreaux, les uniformes, mais aussi deux gardiennes qui se maquillent mutuellement : leurs corps, leur désir d’être beaux, qu’ils doivent cacher, anonymiser, existent, avec leurs dragons et leurs coquetteries, leurs blancheurs et leurs muscles.


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Rétrospective C’est Caroline Caccavale, réalisatrice et cofondatrice de Lieux Fictifs, qui est commissaire de l’événement Prison Miroir, produit par le ministère de la Justice, La Friche et la Fondation de France. Avec Joseph Césarini, depuis 1987, ils travaillent aux Baumettes et réalisent des films avec les détenus ou les populations sous-main de justice. Ils ont créé TéléVidéo Baumettes, canal interne à la prison, et un véritable studio de cinéma à l’intérieur des murs. Ils diffusent des films, développent des actions de formation mais surtout il fabriquent, avec des détenu-e-s, des documentaires. Un « cinéma travaillé collectivement », où les détenus ne sont pas montrés dans des positions de détresse, mais comme des êtres humains, capables de fabriquer des films, des récits, des images. Ces 10 films produits par Lieux Fictifs, réalisés par Caroline Caccavale ou Joseph

Césarini, mais aussi par Marc Mercier, Renaud Victor, Tiziana Banchieri... seront projetés au Gyptis ou à la Baleine jusqu’en février 2020. Tous ont été coécrits par des détenu-e-s des Baumettes à partir d’improvisations, de récits vrais ou de fictions.

1er week end L’événement Prison Miroir s’ouvrira et se clôturera par deux weekends de programmation artistique et de débats. Du 25 au 27 octobre, premier temps fort, avec l’inauguration des expositions le vendredi 25, puis des temps collectifs d’écoute radiophonique le samedi : une émission en direct du studio Radio Baumettes de la maison d’arrêt, puis des documentaires et podcast de France Culture (de 10h à 17h). Une Table Ronde proposera ensuite des Regards Croisés sur la prison : ceux des artistes de la programmation rencontreront celui d’Isabelle Gorce,

Présidente du Tribunal de Grande Instance de Marseille, celui de Christine Charbonnier et de Christophe Bass, avocat du Barreau de Marseille. Puis trois avocats plaideront, se demandant s’il faut « avoir peur de la prison ». Le dimanche, au Gyptis, la projection de De Jour comme de nuit, film de 1991 de Renaud Victor tourné durant 2 ans en prison, sera suivi d’un débat ouvert. AGNÈS FRESCHEL

Prison Miroir 26 octobre au 20 février 2020 Friche de la Belle de mai, Marseille 04 95 04 95 95 lafriche.org

La nécessité de l’art

L

a présence de l’art en milieu carcéral, et singulièrement de la photographie, de l’écriture et du cinéma, permet aux détenus privés de liberté de se reconstruire. Si la question de la détention et de ses difficultés apparaît souvent directement lorsqu’ils s’expriment, celle de la culpabilité et du rapport à l’autre transparaît aussi, en particulier quand il est question de jouer, de représenter, au cinéma et au théâtre. Les ateliers de théâtre ont depuis longtemps fait leur entrée en milieu carcéral et Isabelle Gorce, Présidente du Tribunal de Grande Instance de Marseille, parlait de « miracle » pour désigner les changements que peut opérer la rencontre avec l’art pour des criminels. La parole, le fait de travailler collectivement, de se dire plus ou moins directement « offre sans conteste un cadre utile à la réinsertion ». L’obstacle à la massification de la pratique artistique en prison reste idéologique : « la prison est perçue, et souhaitée, comme un lieu de souffrance ». Comment, dans une société conçue pour Surveiller et punir, pourrait-on concevoir que l’art, qui libère, a sa place en prison ? « L’art se mérite-t-il » ? Christine Charbonnier interroge judicieusement notre rapport à l’expérience artistique, toujours vécue comme un privilège, parce qu’elle nous élève. Les détenus doivent-ils, à ce titre, en être privés, « comme on punit un enfant turbulent de la récréation qui lui est d’autant plus nécessaire ? ». Elle rappelle cette expérience extraordinaire menée à la Maison Centrale d’Arles, celle des très longues peines, où le travail mené depuis 2015 avec Joël Pommerat bouleverse profondément détenus, artistes et personnel pénitentiaire (à lire sur journalzibeline.fr). Le travail se poursuit, se généralise. Celui de François Cervantes

Marius © Christophe Loiseau

avec Prison Possession, celui de la Criée aux Baumettes, qui du 16 au 19 octobre a fait venir les détenus d’Arles pour jouer Marius, celle d’Olivier Py au Centre Pénitentiaire du Pontet, auquel il a donné une audience nationale en le faisant entrer en Festival. Chacune de ces expériences est bouleversante. Pour les détenus d’abord : ainsi un « longue peine » au CV effrayant déclarait, après avoir joué, qu’il venait d’avoir « la peur de sa vie » ; un autre qu’il avait « enfin trouvé ses mots ». Quant aux artistes, ils éprouvent en prison l’impact tangible de leur travail, et font la démonstration que la société française s’est aussi construite sur la fraternité : pour qu’un homme, criminel ou délinquant, puisse changer, il faut certes le surveiller, peut-être même le punir, mais surtout lui laisser l’espace de se reconstruire. A.F.


10 actualité culturelle lgbt du sud-est

Rencontre avec le protagoniste d’un documentaire sur les réfugiés syriens gays en Turquie, aujourd’hui installé à Marseille

Cité Queer

Wesam, de Mr. Gay Syria, au Vieux-Port

O

n a découvert Wesam Farhat sur grand écran. C’était il y a un peu plus d’un an, dans Mr. Gay Syria, projeté lors de la première édition du festival Eden(s), consacré au cinéma documentaire LGBTQI en Méditerranée, à Marseille. Un film réalisé en 2017 par Ayse Toprak, qui retrace l’incroyable aventure de réfugiés syriens gay à Istanbul, volontaires pour participer dans la clandestinité à un concours de beauté masculine de leur petite communauté. À la clef de la compétition, la participation du premier représentant des Arabes de Moyen-Orient et du seul réfugié à l’élection de Mister Gay World qui avait lieu cette année-là à Malte. Le gagnant se nomme Husein, coiffeur de profession qui mène une double vie entre sa famille conservatrice et son orientation sexuelle. Mais le rêve tourne court, sa demande de visa lui est refusée. Parmi les compétiteurs, il y a Wesam, qui ne montera pas sur le podium.

Payé la moitié qu’un Turc En 2014, celui-ci quitte sa banlieue de Damas pour la Turquie. Non pas en raison de son homosexualité : « Je ne voulais pas faire la guerre », insiste ce jeune homme d’aujourd’hui 29 ans. Mais son quotidien à Istanbul devient exténuant. « La vie était trop difficile. Je travaillais 12 heures par jour et j’étais payé la moitié qu’un Turc. » Au bout de deux ans de formalité, il obtient son visa pour la France et débarque à Marseille, « le 23 octobre 2018 », raconte-t-il avec la précision des dates souvent étonnante chez les réfugiés. Après un mois et demi à l’hôtel, il obtient une allocation logement qui lui permet de s’installer dans son propre appartement. « J’ai retrouvé des amis syriens et turcs ici. Ils sont tous

Wesam Farhat © X-D.R

gays », sourit-il. Parmi eux, Husein… son concurrent au titre de Mister Gay Syria ! Mais Wesam a peu de loisirs bien qu’il adore danser. Il n’a qu’un objectif, virant à l’obsession : apprendre le français. Car en dépit d’études supérieures de comptable dans son pays, c’est au métier d’assistant social qu’il souhaite se destiner. « J’aime aider. Et si je parle le français, l’anglais, l’arabe et le turc, cela me donnera des atouts et des opportunités. » Trois fois par semaine, il prend des cours de langue. Les mercredi et jeudi à l’Afpa et le vendredi avec un ami. Persévérer, c’est un peu le fil rouge de sa jeune existence. « Quand on est LGBT et réfugiés, on se bat pour vivre et pour s’accepter soi-même. Car on ne veut pas mourir. »

« Outé » par une photo La famille Farhat est marquée par l’exil. Si les parents sont restés en Syrie, deux frères se sont installés au Koweït et une

sœur à Dubaï. Lorsqu’il communique avec eux, les sujets trop intimes sont proscrits. « Mes parents ont appris mon homosexualité car quelqu’un m’a pris en photo à la Pride d’Istanbul en 2015 et leur a envoyée. Ils ne l’ont pas accepté alors aujourd’hui nous n’en parlons plus. À présent, je me sens libre. Je recommence ma vie à zéro et je fais ce que je veux. » Wesam affirme ne pas être confronté à l’homophobie. « J’ai une vie normale. Peut-être parce que j’ai l’air straight (hétérosexuel). » De toute façon, construire une relation amoureuse n’est pas à d’actualité. « Je ne cherche pas de petit ami. » Ses priorités : obtenir un diplôme et devenir Français. LUDOVIC TOMAS


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Culture bigarrée 12e édition de ZeFestival, rendez-vous régional annuel qui propose un tour du monde de la création cinématographique LGBTQ+

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ortée par l’association niçoise Polychromes depuis 12 ans, la manifestation plante chaque année son drapeau aux couleurs de l’arc-en-ciel dans plusieurs villes de la Région Sud : après Avignon et Carpentras -nouvelles venues cette année-, Nice, Toulon et Seillans, c’est à Marseille qu’a lieu la clôture, au cinéma Les Variétés. Toujours avec l’ambition de défendre les droits humains et plus particulièrement les droits des lesbiennes, gays, bisexuel.le.s, trans, queer et plus, de contribuer à promouvoir des valeurs humanistes de respect, de non-discrimination, d’ouverture par le biais d’une sélection de films autour de ces thématiques. Karole di Tommaso sera présente pour la projection de son premier long-métrage, Mamma+Mamma (2018), dont elle a aussi écrit le scénario. Désireuses de devenir mères, Karole et Ali entament un long processus qui les amènera à Barcelone, où la PMA est accessible à toutes les femmes. Mais au sein de la famille de Karol, la démarche des deux femmes fait débat. Deux, de Filippo Meneghetti (2019), relate le quotidien de deux retraitées profondément amoureuses l’une de l’autre qui partagent leurs vies et leurs appartements, séparés par un palier. Leur vie

heureuse et discrète va basculer à la faveur d’un événement tragique… Wild nights with Emily, de Madeleine Olnek (2018) s’attache à la relation passionnée qui a uni la poétesse américaine Emily Dickinson et Susan Gilbert, son amie, inspiratrice… et belle-sœur. Un pan surprenant de sa vie qu’une correspondance censurée par sa famille, et récemment trouvée, permet de révéler. Autre passion secrète, celle de deux hommes, dont le père de David, venu ranger ses affaires après sa mort. Après la découverte de lettres cachées, il décide de rendre visite au mystérieux inconnu qu’aimait son père pour découvrir la vérité (Les blessures du vent, de Juan Carlos Rubio, 2019). Le multiprimé Socrates d’Alexandre Moratto (2018) suit le parcours de ce jeune adolescent qui se retrouve livré à lui-même après le décès de sa mère, en but aux préjugés liés à son homosexualité, et face à la misère dans la banlieue de São Paulo. C’est l’attirance de deux Cousins que tout oppose que filment Thiago Cazado et Mauro Carvalho (2019). Lucas, tranquille et dévoué neveu auprès de sa très dévote tante Lourdes, et Mario, charismatique voyou qui sort de prison. Une rencontre explosive au sein d’un univers

conservateur. La plasticienne et cinéaste iranienne Bani Khoshnoudi livre un film sensible sur l’exil, en s’attachant aux pas de Ramin, jeune homosexuel iranien fuyant la répression de son pays, parti sur un cargo en direction du Mexique. Là il devra se reconstruire, en découvrant la liberté. Enfin, rafraîchissant, Brève histoire de la planète verte de Santiago Loza (2019) nous plonge au cœur de l’Argentine profonde en compagnie de Tania, femme trans, de Daniela et Pedro, ses complices… et d’un alien ! Libre adaptation d’E.T., le film se transforme en road movie dans une société en marge fort réjouissante ! Ces films seront tous précédés de courts-métrages en lien avec leur thématique : Older than what ? de Steen Starr (2017), présente lors de la projection, Bacchus (Rikke Alma, 2018), Oiseaux de nuit de Mateo Ybarra, en sa présence (2018), Intimity (Elodie Dermange, 2017), Hallelujah (Matthew Richardson, 2019), La distance entre le ciel et nous (Vasilis Kekatos, 2019. Lire p56), Chechnya (Jordan Goldnadel, 2018) et Je fais où tu me dis (Marie de Maricourt, 2017). DO.M.

Wild nights with Emily © Courtesy of Greenwich Entertainment

ZeFestival 24 au 27 octobre Cinéma Les Variétés, Marseille lgbt.zefestival.fr


12 politique culturelle

D’un rêve l’autre

La Villa Méditerranée semble enf in avoir trouvé sa destination : elle sera préhistorique, et subaquatique !

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e bâtiment sorti de terre en 2013 n’a jamais vraiment trouvé sa place. Rêve méditerranéen de Michel Vauzelle conçu au moment où le projet du Mucem semblait à l’arrêt, la Villa s’est rapidement révélée malcommode, coûteuse et peu utile : aux difficultés politiques à imposer Marseille comme capitale méditerranéenne, et la Villa comme un parlement, s’ajoutaient la réussite, concurrentielle, du Mucem et les incommodités de l’architecture : Stefano Boeri avait conçu un bâtiment tourné vers la mer, l’accueillant généreusement en son sein, mais son porteà-faux audacieux est trop bas de plafond pour des expositions, son escalier monumental et peu pratique

occupe absurdement le centre de l’espace principal, la salle de spectacle manque de profondeur et le bassin prend l’eau... Bref, la Villa, conçue pour être un bâtiment protocolaire et symbolique, épinglée par la Cour des compte, fermée depuis 2018, devait se transformer ! Mais qu’en faire ? Christian Estrosi, élu président de la Région, voulait la vendre à la Ville qui pensa un moment, semble-t-il, à la transformer en casino... puis y renonça. Alors qu’en faire ? Boîte de nuit ? Accueil d’événementiel ? Centre de ressources ? Le projet de reproduction de la Grotte Cosquer est bien plus intéressant ! Sous-marine, méditerranéenne mais dans un autre espace-temps que celui du Mucem, nous interrogeant sur

notre nature humaine et sur l’élévation ancienne des eaux, elle est indéniablement LA bonne idée. Celle qui permet d’inscrire enfin la Villa Méditerranée dans un quartier culturel et touristique né en 2013, entre les audaces du FRAC, la vie intense du Théâtre Joliette, Regards de Provence et le Silo, et le flot continu du Mucem.

Scientifique et culturel Car il faudra 500 000 visiteurs annuels pour rentabiliser les investissements : la société Kléber Rossillon, qui gère en particulier avec talent et inventivité la réplique de la Grotte Chauvet (350 000 visiteurs annuels, en pleine Ardèche), a remporté un appel d’offre envisagé depuis 2016. Elle a été préférée pour des raisons financières et scientifiques à son principal concurrent Culturespaces (Arènes de Nîmes, Théâtre antique d’Orange, Carrières de Lumières...). En effet Kléber Rossillon apporte 13 millions d’euros d’investissement, allant au-delà des 10 millions demandés par la Région qui apporte elle aussi 10 millions. La

Villa Méditerranée © Paul Ladouce

Sauvée des eaux

D

écouverte en 1985 par un plongeur à qui elle doit son nom, la grotte Cosquer est accessible, dans le massif des calanques entre Marseille et Cassis, par une entrée située à 37 mètres sous le niveau actuel de la mer. Une galerie remonte ensuite sur environ 120 mètres jusqu’à une grande salle dont une grande partie est restée au-dessus de l’eau. C’est là déjà que réside le caractère exceptionnel de ce lieu, seul au monde à présenter une entrée sous-marine et avoir gardé intactes les représentations pariétales après la fin de la dernière glaciation et de la remontée générale des eaux. Jamais non plus on n’avait découvert dans la région provençale de vestiges artistiques de l’époque paléolithique. Malgré les destructions dues à la mer, les restes iconographiques sont remarquables tant par leur quantité que par leur

conservation : les scientifiques qui se sont attelés au recensement aux datations et aux descriptions -Jean Clottes (qui a même passé son diplôme de scaphandrier afin de pénétrer dans la grotte), Jean Courtin (qui outre les éditions savantes a évoqué Cosquer dans Le Chamane du bout du monde, éditions Point) et Luc Vanrell- ont dénombré 177 animaux de onze espèces différentes, un humain à tête de phoque, 44 mains négatives noires et 21 rouges, 216 signes géométriques sans compter les figures indéterminées, ce qui permet d’affirmer que la grotte Cosquer est l’une des plus importantes grottes ornées d’Europe, à l’instar de Lascaux, des Trois-Frères, Altamira ou Chauvet.

Une mine de renseignements Ces découvertes permettent de reconstituer ce qu’était la faune locale, il y a 27 000 ans : bouquetins (28), cerfs élaphes (15),


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© Drac Paca - SRA, Luc Vanrell

Délégation de Service Public consiste en un contrat de concession de 25 ans : Kléber Rossillon, sans apport en fonctionnement de la région, se voit confiés « l’exploitation, l’entretien, la promotion et le développement » de la réplique de Cosquer, mais aussi d’un « centre d’interprétation de haute qualité culturelle et scientifique ». Car c’est la qualité du projet culturel de Kléber Rossillon qui a, semble-t-il, convaincu Renaud Muselier : il s’agit de reproduire la Grotte, grâce au concours de l’État qui en est propriétaire, et de compléter cette réplique par un centre dédié au patrimoine archéologique, en particulier sous-marin. Le cahier des charges comprend également un travail de recherche et de diffusion des connaissances des civilisations sans écriture, mais aussi sur les conséquences futures de la

chevaux (63), bisons et aurochs (24)… et parmi les animaux marins, 9 phoques, 4 poissons et 3 pingouins. Ce qui permet aussi de concevoir l’état de la météo de l’époque ! Curiosité, nombre de mains sont mutilées, soit par ce que certains doigts étaient pliés ou avaient été perdus. En hauteur, des mains d’enfants font supposer qu’ils ont été tenus à bout de bras pour imprimer leur marque… Dans quel but ? Personne ne sait. Une hypothèse germe cependant quant à l’emploi des fragments de stalactites et de stalagmites dont les extrémités ont disparu : le carbonate de calcium provenant de la poudre de ces concrétions brisées pouvait être

montée des eaux, en regard de celle, de 40 mètres, qui a eu lieu il y a 29 000 ans. Des séries de visites guidées, ateliers de dessin, conférences... sont également prévues : celles de la Grotte Chauvet sont réputées pour leur pertinence, leur sérieux et leur succès.

Le calendrier La DSP a été accordée à Kléber Rossillon le 16 octobre 2019, la Villa leur sera livrée pour les aménagements intérieurs en janvier 2020, et la réplique de Cosquer devrait ouvrir en juin 2022. Ce sera, indéniablement, une chance pour Marseille et la région !

utilisé médicalement en cas de fièvres, de maladies cardiaques, d’ulcères, de blessures ou de membres cassés… (on l’emploie encore dans le traitement de l’ostéoporose). Ce serait alors l’un des premiers exemples concrets de la médication de l’histoire du monde !

Reconstitution et restitution Le projet de rendre accessibles ces savoirs et ces œuvres va enfin prendre forme dans l’actuel bâtiment de la Villa Méditerranée. Suivant la méthode utilisée pour la grotte Chauvet Pont d’Arc avec un maillage 3D et un ensemble de photographies (à lire sur journalzibeline.fr),

AGNÈS FRESCHEL

une reconstitution fidèle à l’original permettra à tous d’accéder aux fascinantes œuvres rupestres de la grotte Cosquer, servira aussi de point d’ancrage d’un comité scientifique, favorisant la recherche. Grand public et élites savantes y trouveront un centre culturel de premier plan. Cette appropriation d’un passé commun donnera aussi à réfléchir sur la montée des eaux actuelles et, s’inscrivant dans la perspective des modifications des reliefs de la préhistoire, combien est grave l’urgence climatique contemporaine. MARYVONNE COLOMBANI


14 politique culturelle

Manifesta dans la nasse L’instrumentalisation politique de la biennale d’art contemporain compromet son élan, malgré l’ambition artistique manifeste de l’équipe

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e 3 octobre l’inauguration de l’Espace l’art contemporain, que la Canebière Manifesta 13 sidérait l’ensemble fut « un triangle d’or bourgeois » dont il des journalistes présents. Parce faut retrouver « l’attractivité », entre qu’ils y étaient venus chercher « les filières d’excellence que sont le l’annonce d’un début de proLycée Thiers et le Conservatoire » gramme, des paroles d’aret la « diversité du marché de tistes, ou du moins la confirNoailles » ? L’art contemmation du discours qu’ils porain a-t-il vocation, entendent depuis des comme le revendique mois, sur l’importance Sabine Bernasconi, pour les organisateurs de à exalter « l’esprit répus’ancrer dans la ville, et de blicain » ? La déléguée à la la bouleverser profondément Culture du Département 13, grâce aux Traits d’union.s que maire de 1er secteur de Marles artistes peuvent faire surgir seille, conçoit l’art comme un entre les habitants, le local et l’in« vecteur de requalification ». Mais ternational, le réel, l’histoire et le rêve. une requalification qui permettrait Le projet est toujours aussi beau, et de retrouver un « triangle d’or bourEspace Manifesta 13 © Ange-Lorente - Ville de Marseille l’ancien Espace Culture, repensé par les geois » supposerait qu’on se débarrasse artistes Calla Henkel et Max Pitegoff, intègre les palissades de la « diversité » de Noailles. Les immeubles effondrés, les qui obturaient l’accès au bâtiment emblématique de la Cane- rues barrées, les expulsions n’y suffisent-elles pas et faut-il bière. À l’intérieur, des surfaces réfléchissantes, élégantes et encore que l’art contemporain se rallie à la chasse au pauvre ? sobres, vont accueillir les conférences, puis la billetterie, d’un Manifesta 13 dont nous ne saurons rien de plus sinon qu’il Croire au pouvoir de l’art semble en panne, figé dans l’attente des élections municipales Hedwig Fijen, directrice de Manifesta, a entendu les critiques à venir, sidéré par la catastrophe marseillaise dont personne venues des acteurs culturels : elle s’exprime en français, a ne parle, mais qui est dans l’esprit de tous. fait place aux artistes qui vivent ici, mis l’accent sur le Tiers Car comment oublier qu’il y a moins d’un an 8 personnes Programme (actions culturelles) et le Parallèle 13 (appel à promouraient à deux pas de la Canebière ? Que la capitale du jets cofinancé par la Région). Il ne manquait au tableau que le Sud détient le record de France des logements insalubres et Haut Patronage, symbolique, du Président de la République. des arrêtés de péril, que les expulsions continuent partout, Qui n’apporte pas d’argent supplémentaire et tient les engaet que les punaises de lit envahissent la grande bibliothèque gements de l’État mais veut associer son nom à Manifesta 13. municipale qui fermait ses portes, à 50 m de là, au moment Patronage, d’en Haut, l’expression est si signifiante qu’elle même où les élus inaugurait ce « nouvel espace », qui avait ajoute encore à la sidération, comme si Marseille n’avait d’autre fermé par la volonté municipale et offrait depuis des mois choix que de s’en remettre à la tutelle de l’État, ou d’être « reaux tagueurs un support de choix au centre même de l’artère qualifiée » par les élus mêmes qui l’ont laissée à l’abandon. principale de Marseille ? Il reste aux artistes, à l’équipe de Manifesta, à affirmer ce dont ils sont convaincus, mais qu’ils taisent, pris dans la nasse Culturewashing électorale : l’art n’est pas là pour réhabiliter, contribuer à l’atEn 2014 la campagne municipale de Jean Claude Gaudin s’est tractivité, donner tribune aux politiques en campagne. L’art largement appuyée sur « le succès de Marseille Provence 2013 » dérange, habilite l’incongru, transporte, décale, bouleverse. et il semble que nos édiles ont été convaincus d’accueillir Ma- L’art est subversif, ou n’est pas. AGNÈS FRESCHEL nifesta dans le but de renouveler la bonne affaire électorale. Las, des immeubles s’écroulent depuis, les rats et les punaises pullulent, et personne ne peut entendre sans frémir les élus L’Espace Manifesta 13 a été inauguré le 3 octobre à Marseille se féliciter de la réhabilitation de(s) façade(s). Car est-il vraiment nécessaire de rappeler, comme le fait Marie-Hélène Féraud, conseillère municipale déléguée à

manifesta13.org


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Retour en France Les Villas Françaises font leur Festival, ¡ Viva Villa !, à la Collection Lambert d’Avignon. L’occasion d’une exposition et d’événements à l’aura sous-dimensionnée

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a France soigne son prestige artistique à l’étranger : la Villa Kujoyama, la Casa de Velásquez et l’Académie de France, antique Villa Médicis créée par Louis XIV à Rome, sont nos ambassades artistiques. Elles accueillent chacune, chaque année, des dizaines d’artistes, les rémunèrent et diffusent leurs œuvres à Kyoto, à Rome, à Madrid. Mais, en dehors des mentions sur les bio des artistes, on voit peu de résultats de cette politique en France : c’est pourquoi ¡ Viva Villa ! a été créé il y a quatre ans, à la suite d’un rapport de la cour des comptes sur ces résidences préconisant, entre autres, une véritable diffusion en France. Elle reste nettement sous-dimensionnée : comment se satisfaire que les 50 artistes présents, les millions dépensés par l’État dans chacun des trois lieux, abondés par la Fondation AG2R et la Région Sud spécifiquement pour l’événement, débouchent sur une visibilité publique si restreinte ? Les organisateurs se réjouissent d’avoir réussi, l’an dernier, à drainer 5800 visiteurs à la Villa Méditerranée : c’est bien peu ! Si on ne peut qu’approuver le fait que ¡ Viva Villa ! n’ait pas lieu à Paris, il est évident qu’un événement de cette ampleur et de cette qualité, résultat de l’investissement de tant d’argent public (et privé), devrait être diffusé dans plusieurs villes (le réseau des FRACs existe !), bénéficier d’une communication et d’une mise en valeur de chacun des artistes par l’édition de catalogues, papier et virtuel... On peut noter néanmoins que l’événement prend de l’ampleur chaque année : l’exposition La Fin des Forêts est particulièrement riche, et elle entre en résonnance avec l’incomparable fonds contemporain de la Collection Lambert. Mais le musée avignonnais n’est pas connu pour sa fréquentation record, ni pour sa capacité à rayonner au-delà des remparts de sa ville. D’autant qu’au

© Lili Reynaud-Dewar - I want all of the bove to be the sun - Villa Médicis

delà du week-end gratuit d’ouverture l’entrée est à 10 euros... Le choix de ce port d’attache se comprendrait si, escale d’un voyage national, avec une communication efficace, à d’autres dates que la FIAC, il répondait à une exigence de diffusion avec les moyens de ses ambitions. Et si, plus globalement, une juste rémunération des artistes était pensée, au-delà des « parenthèses enchantées » des résidences.

Les œuvres Mais le Sud a donc la chance, pour la deuxième fois, d’accueillir cet événement : nombre d’œuvres sont intéressantes, et certaines passionnantes. Le parcours en 6 chapitres conçu par Cécile Debray, commissaire de l’exposition, s’articule autour de La Fin des forêts, images des arbres, écologie mais surtout résurgence, vestige, mémoire, effondrements et hybridations. Photographies, peinture, gravures, installations, tous les médias plastiques sont là, en particulier les vidéos ; on y voit une artiste peinte en bronze qui fume et danse, statue animée, dans un musée (Ophélie Reynaud-Dewar); un éléphant qui traverse la Villa Médicis (Rebecca Digne) ; un tableau de Paolo Uccello qui

laisse entendre ses bruits inattendus de bataille (Pauline Lafille) ; une Purification très belle, vidéo d’une femme malienne se lavant, projeté sur un écran de planchettes (Seydou Cissé). Des gravures aussi, en particulier celles de Marie Bonnin autour d’un Balcon dans la forêt, comme la trace mémorielle que les livres laissent en nous ; et le travail mixte d’Hélène Giannecchini (littérature) et Stéphanie Solinas (photographie) qui mettent en regard mots et images, les vestiges persistants des statues et fresques romaines... La programmation des arts vivants est à suivre à la trace : une seule représentation ! On a pu entendre le Bar/Bar pour mains de pianiste, pièce impressionnante de Giovanni Bertelli qui grondait, s’apaisait puis explosait remarquablement. Chaque jeudi jusqu’au 10 novembre, il y aura des rencontres, projections et performance. En particulier, le 17 octobre, Olivia Rosenthal dira/jouera son Macadam Animal écrit pour partie au Japon. AGNÈS FRESCHEL

¡ Viva Villa ! jusqu’au 10 novembre Collection Lambert, Avignon vivavilla.info


16 événements

Exposition Derrière nous © Gaëlle Cloarec

Jeunesse et archéologie Le programme d’automne du Mucem... et de son Centre de Conservation et de Ressources

A

u Centre de Conservation et de Ressources du Mucem (1 rue Clovis Hugues, Belle de Mai), le travail collectif réalisé par les élèves d’une classe de 5e du collège Louis Armand, auprès du sculpteur portugais Francisco Tropa, est en accès libre tous les après-midis. Derrière nous, visible jusqu’au 5 janvier, est une belle histoire inventée et racontée par ces collégiens marseillais, dont la voix fraîche plane sur l’exposition, habillée par le montage sonore de David Bouvard. Un naufrage, une civilisation disparue, reconstituée avec les méthodes de l’archéologie... La fiction est basée sur une sélection d’objets issus des riches collections du musée, stockées au CCR. Une torche utilisée pour les feux de la Saint-Jean, dûment identifiée par un cartel classique, s’éclaire différemment à la lecture d’un affichage parallèle : « Certains se vêtent d’écorce de bois ». Une loupe de dentellière leur a inspiré des usages exotiques : « La tradition était de noyer un oiseau capturé, pour rappeler que l’île avait été immergée ». Dès l’avant-salle, le visiteur comprend le processus de création : une série de photographies montre les ateliers menés par Francisco Tropa auxquels ils ont

participé. Les élèves ont effectué tout un travail préalable en dessinant les objets retenus, puis les ont reliés entre eux, pour donner une cohérence à la scénographie. Aux murs, les esquisses côtoient cinq sérigraphies de l’artiste, réalisées à partir de détails de leurs œuvres, agrandis ou détourés. En ressortent des éléments abstraits, sauf sur l’une d’entre elles, où l’on discerne des figures animales légèrement anthropomorphiques, qui surplombent avec intérêt une planète bleue, bien frêle d’apparence... L’évocation des fragilités de notre propre civilisation, dont on ne voit pas pourquoi elle serait moins fugace que les autres, à l’échelle de l’archéologie ?

Sur le site principal Au J4, la grande rétrospective consacrée à Jean Giono, annoncée le 30 octobre, célébrera le cinquantenaire de sa disparition. 300 œuvres et documents, dont une bonne part de manuscrits originaux, attendent de pied ferme les fervents admirateurs du grand écrivain... Ce même jour, dans le cadre de la Semaine de la pop philosophie (voir Zibeline 48 et sur journalzibeline.fr), une table ronde interrogera les aspects les plus sombres de sa pensée. Intitulée Crime et mise à mort : ce que Giono nous dit, elle réunira l’écrivaine Emmanuelle Lambert et le philosophe Dorian Astor. Le 31 octobre, une balade urbaine sur ses traces est proposée par la comédienne Bénédicte Sire, dans les rues de la cité phocéenne à propos de laquelle il a beaucoup écrit.

En attendant, dans la galerie semi-permanente consacrée à la ruralité, on peut déjà découvrir une nouveauté, l’installation Et in arcadia de l’artiste Vincent Chevillon. Son œuvre, réalisée principalement à partir d’archives, porte sur les traces matérielles du monde paysan. Côté rencontres, une journée d’études particulièrement intéressante est proposée le 23 octobre par l’association Remembeur et les éditions Albin Michel. En entrée libre sur inscription (i2mp@ mucem.org), elle portera sur Les relations entre juifs et musulmans en Méditerranée de la chute de Grenade (1492) au décret Crémiaux (1871). Mais les sujets sérieux réservés aux adultes n’empêcheront pas les enfants d’emprunter avec plaisir le chemin du Mucem. Les vacances de la Toussaint sont toujours l’occasion de leur dédier une belle programmation. Cela passera bien-sûr par l’accueil du festival En Ribambelle ! (lire p16), avec trois spectacles, dont l’un... classé au patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’Unesco (Opera dei pupi di Palermo par la Cie Carlo Magno, des marionnettes siciliennes exceptionnelles). Ainsi que par des séances de cinéma jeune public. On vous recommande tout particulièrement La tortue rouge, film d’animation de Michael Dudok de Wit, une pépite sortie en 2016. GAËLLE CLOAREC

Mucem, Marseille 04 84 35 13 13 mucem.org


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Cartographier la colère

Agnès Mellon, photographe, et Chrystèle Bazin, journaliste et artiste sonore, mettent en scène la révolte citoyenne dans la salle des rotatives de la Marseillaise

À

Marseille il y a eu, comme ailleurs, les gilets jaunes, les manifestations, les affrontements avec une police prompte à frapper et dégainer. Mais il y a eu aussi, en plus, le mur de la Plaine, et la tragédie de la rue d’Aubagne. Et, depuis, les expulsions qui se succèdent, les luttes contre les PPP des écoles... combats locaux qui rejoignent les luttes mondiales pour le climat ou l’accueil des « migrants »… Agnès Mellon et Chrystèle Bazin, chacune à sa manière et avec son média, sont des témoins obstinément subjectifs. Qui captent, montent, cadrent, cherchent des lignes et des thèmes, des sens, qu’elles dévoilent. La Dent creuse, allusion au trou laissé dans la rue d’Aubagne par la disparition des immeubles, veut cartographier la colère du peuple : sa réaction, en 4

thématiques, Rage ou Sidération, quand la tragédie arrive ; le Chagrin, qui en découle ; et puis le Feu, pour reprendre possession de la vie. L’exposition, politique, est aussi poétique : parce que les images d’Agnès Mellon sont toujours éclairées d’une flamme très personnelle, et qu’elle aime, depuis plusieurs années, enchâsser sa traque des visages et des corps dans des dispositifs plastiques, murs d’images, fragmentations et répétitions, auxquelles répondent les montages et création de Chrystèle Bazin. L’exposition, subventionnée par la Région, devait être hébergée à Ici Marseille, dont les murs appartiennent à Bouygues qui, au vu du sujet semble-t-il, s’est retracté… La Marseillaise accueille donc gracieusement l’expo militante, dans un lieu qui sera propice aux échanges,

© Agnès Mellon

conversations et débats qui sont prévus jusqu’en décembre. Dans la perspective d’une société nouvelle qui pourra naître, peut être, enfin, de la colère cartographiée du peuple. AGNÈS FRESCHEL

La Dent creuse, cartographie de la colère, du 5 novembre au 21 décembre, Salle des rotatives, la Marseillaise, Marseille

SAISON

Comédie documentée

TAÏGA

2019 2020

NOVEMBRE

(comédie du réel)

Cie Cassandre - Mise en scène Sébastien Valignat Texte Aurianne Abécassis

Création

mar 05 nov 19:00

MARDI SURPRISE #1

mar 19 nov 21:00 théâtre

La fin de l’homme rouge Emmanuel Meirieu

sam 09 nov 21:00 cirque

Deixe-me

Subliminati Corporation ven 15 nov 21:00 musique

Mar. 5, mer. 6 nov. à 20h30 Renseignements & réservations

04 92 52 52 52 www.theatre-la-passerelle.eu

Il Sole non si muove

Cie Rassegna – Bruno Allary [compositeur associé]

jeu 28 nov 19:00 théâtre

Pierre est un Panda Didascalies and Co [création]

04 92 64 27 34 THEATREDURANCE.FR


18 événements

Tous En Ribambelle ! Le festival jeune public En Ribambelle ! revient sur le territoire de la Métropole Aix-Marseille-Provence

Q

u’il est réussi, le teaser du Festival des arts de la marionnette et de l’objet En ribambelle ! Il faut dire qu’il est réalisé par Cyril Bourgeois, lui-même marionnettiste,

qui fait ainsi preuve de son autre talent, le film d’animation. En 2’29 minutes, ses personnages de rongeurs affables donnent le « la » de la manifestation : 13 spectacles dont 3 créations, et plus de 50 représentations, sur un territoire qui s’élargit. Lors de la conférence de presse, la directrice du Théâtre Massalia, membre fondateur du festival avec le TNM La Criée, se réjouissait d’accueillir un nouveau partenaire, Le Sémaphore de Port-de-Bouc. Car En Ribambelle !, dont ce sera la 6e édition, n’a cessé de se développer depuis ses débuts, intégrant progressivement nombre de structures phares du spectacle vivant sur le territoire de la Métropole Aix-Marseille-Provence, dans un travail de fond en direction du jeune public. Aussi Émilie Robert a bon espoir que la collectivité continue à le soutenir : si son aide était plus modeste cette année, au moins a-t-elle eu le mérite d’être maintenue, « alors qu’il était question d’arrêter toute subvention extérieure aux projets culturels directement portés par la Métropole ».

Pour petits et grands enfants

Frères, Cie Les Maladroits © Damien Bossis

En Ribambelle ! 2019, c’est avant tout le choix de la qualité. Certaines compagnies sont historiques, comme le Théâtre de Cuisine qui viendra

Mots en furie Contes, slam et lectures au programme d’un nouveau festival à Veynes

L

a compagnie Le pas de l’oiseau pratique un « Théâtre poétique d’utilité publique ». Sur son terrain, à Veynes, elle lance un festival, fougueusement intitulé La fureur de dire. Toute la journée du 26 octobre, et jusqu’au soir, se succéderont une série de propositions destinées à faire valser les mots des Haut-Alpins. Pour se mettre en bouche, rendez-vous à 11 heures au bar-snack Le Sambade : Amélie Chamoux vous régalera les oreilles de littérature, tandis que vous boirez l’apéro. Après la sieste (15h), direction la Salle des Arcades, pour écouter la conteuse Sabrina Chézeau (La Farouche Compagnie). Les souliers mouillés, spectacle tout public à partir de 7 ans, évoque avec délicatesse et humour la peur de perdre l’autre. Juste après la représentation, toutes les questions seront bienvenues lors d’une rencontre-goûter

avec la comédienne. À 16h30, c’est au cinéma Les Variétés que se poursuivra la programmation, avec la projection de Nous, princesses de Clèves, magnifique documentaire tourné par Régis Sauder dans les quartiers Nord de Marseille. Les souliers mouillés © Philippe Durand

Les élèves du lycée Diderot s’emparent du chef-d’œuvre classique de Madame de La Fayette, et ça fait des étincelles ! Le café-cycle du Buech, 2 Roues et Demi, accueillera à 18h30 une Fureur de slam, « poésie à portée de comptoir »


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présenter à La Joliette Conversation avec nos ancêtres, une pièce toute récemment créée au Massalia (lire p21). D’autres sont des habitués du festival : c’est le cas du Toutito Teatro, compagnie bretonne comme son nom ne l’indique pas. Coup de cœur du Forum de Berre, elle est invitée pour la troisième fois, avec Dans les jupes de ma mère, récit sans parole d’une première rentrée à l’école, à l’attention des deux ans et plus. L’une des nouveautés de cette année, qui nous réjouit particulièrement, est d’avoir élargi l’offre de spectacles aux enfants plus âgés, les adolescents étant trop souvent oubliés des programmations. Au Sémaphore, les douze ans et plus pourront par exemple voir Frères, par la Cie Les Maladroits, ou la petite histoire se mêle à la grande, celle de la Guerre d’Espagne, et au Massalia Nos fantômes de la Cie Tac Tac qui mêle souvenirs du collège et tragédie shakespearienne. Quel que soit leur âge, guettez le programme : vos enfants y trouveront leur bonheur. GAËLLE CLOAREC

En ribambelle ! 25 octobre au 9 novembre Aubagne, Berre l’Étang, Istres, Marseille, Miramas, Port-de-Bouc, Port-Saint-Louis-du-Rhône, Vitrolles festivalenribambelle.com

en présence des stagiaires de Laurent Eyraud-Chaume (stage d’écriture et lecture théâtralisée proposé en amont du festival, du 23 au 25 octobre, renseignements sur le site de la Cie Le Pas de l’oiseau). Modalités de participation à ce début de soirée sur les chapeaux de roues : un texte dit, un verre offert ! Le temps de se restaurer un peu, et un autre combat s’annonce à la Salle des Arcades : celui de Barbe Bleue et Coud’boule, dure à cuire qui ne s’en laissera pas conter dans Barbe Blues, récit écrit et interprété par Élodie Mora (21h, à partir de 12 ans). Enfin de 22h30 au bout de la nuit (« jusqu’à ce que mort s’ensuive », précisent les artistes), place au déhanchement. Les deux DJ de la Cie Coïncidences se livreront à un hybride de dancefloor et de clown dont ils ont le secret... et tout le monde est invité. G.C.

À vos marches... Cirque !

Fractales © Ian Grandjean

E

n collaboration avec la Verrerie d’Alès et son Temps de cirque dans le Gard, le Cratère héberge Cirque en marche, programmation de cinq spectacles dont la variété prouve, s’il en était encore besoin, que le cirque est pluriel, vivant, inventif, et destiné à tous les publics : petits, grands, habitué ou non des scènes de spectacles vivant, sensible à l’art chorégraphique, au théâtre visuel... Tout est dans le cirque, et le cirque traverse -et transgresse- toutes les disciplines. C’est à Saint-Julien-les-Rosiers que sera donnée la première représentation avec l’accueil de La Belle Apocalypse et son Appart’ à part (2 novembre). Ce n’est pas parce qu’ils sont très jeunes (et peut-être même en est-ce au contraire la raison) qu’ils ne possèdent pas déjà un niveau technique impressionnant : les cinq acrobates nous offrent une visite de leur appartement très spécial où les meubles et objets sont prétextes à multiples numéros virtuoses (roue Cyr, corde molle, cerceau...). Les parents d’Ambre ne sont pas ordinaires : deux clowns survoltés (Jean-Benoît Mollet et Cille Lansade) qui courent partout, même sur le plafond, tant ils ont à faire. À tel point qu’ils n’ont même plus le temps de voir leur fille, devenue invisible... Drôle et poétique, Moi, une petite histoire de la transformation s’adresse aux plus jeunes, dès 6 ans (6 novembre, Alès) Entre danse et théâtre, Fanny Soriano offre un spectacle où les cinq interprètes défient les lois de la gravité. Fractales évoque une symbiose totale entre l’homme et l’environnement, un moment de pur harmonie qui redonne espoir (à partir de 7 ans, 8 & 9 novembre, Alès). Le Groupe Bekkrell (quatre femmes qui ne s’en laissent pas conter) a inventé un nouvel agrès : treize perches accrochées au plafond, qui, pour compliquer encore un peu le jeu, bougent sans arrêt ! Verticalement, horizontalement, il va falloir s’accrocher dans le Clinamen Show ! (14 & 15 novembre, Alès). Et pour finir, dans le cadre de la Nuit du Cirque du 15 novembre (initiée par Territoires de cirque en partenariat avec le ministère de la Culture, qui met à l’honneur le cirque de création et les 12 Pôle nationaux de Cirque) la Cie Le Doux Supplice, associée à La Verrerie, invite à voir et danser En attendant le grand soir. Les cinq acrobates, avec deux danseurs et un clown virevoltent, mine de rien, et petit à petit, voici que le public réalise qu’il fait lui aussi partie du spectacle. Tout le monde en piste ! ANNA ZISMAN

La fureur de dire 26 octobre Divers lieux, Veynes 04 92 51 41 05 lepasdeloiseau.org

Cirque en marche 2 au 15 novembre Le Cratère, Alès 04 66 52 52 64 lecratere.fr


20 critiques

Artistes singuliers La dernière semaine d’Actoral a continué de proposer des univers d’artistes très singuliers, aux réussites diverses Intimité désinvolte Dans ma Chambre d’Arnaud Saury a le charme de sa désinvolture, et de la représentation minimale. On y retrouve un artiste dans l’espace de sa chambre jouant ce qu’il pourrait vraiment y faire. Dans le premier épisode Faissal el Assia raconte un concours de danse, rejoue ses passages, s’amuse avec son lit, entre confidence au public et répétition. On le suit dans ce parcours un peu minimal qui place son corps, virtuose, à la fois dans et au-dehors du spectaculaire. Le deuxième épisode repose sur les mêmes règles, mais avec plus d’ironie, et finalement de tendresse. Arnaud Saury joue de sa présence forte, décalée, ironique, avec Edouard Peurichard, lanceur de couteaux. Il y est question d’amour et de risque autour d’un jeu qui n’en est pas et de chansons populaires. Un presque rien qui touche à une essence : représenter, à peine, ce qu’on peut faire dans sa chambre, est déjà du théâtre, pour peu que l’intime, le risque, la virtuosité, le tremblement, affleure à la surface du banal.

Reconstruction zéro

Ruine, Erwan Ha Kyoon Larcher © Jacob Khrist

S

ix élèves de l’ensemble 27 de l’ERACM ont tenté de défendre un texte de Franck Leibovici mis en scène par Michel Schweizer. Tentative vaine, ne résorbant pas les platitudes d’un texte qui, sous prétexte de faire le portrait des nouvelles situations amoureuses d’une génération, n’en discernait que les caricatures : marchandisation de la séduction, sites de rencontres, tout y était schématique, les filles cherchant l’amour et les garçons le sexe, comme si cette génération n’était pas en train, justement, de questionner le genre, la domination masculine et la liberté du plaisir. Le metteur en scène avait beau trouver des subterfuges, faire jouer une scène de sexe par deux filles et confier la plupart du texte à une jeune comédienne remarquablement piquante, ces Mauxroses restaient tristes, machos, anachroniques...

Après Vimala Pons, Tsirihaka Harrivel et Maroussia Diaz Verbèke, c’est au tour d’Erwan Ha Kyoon Larcher, dernier membre du quatuor Ivan Mosjoukine, de poursuivre sa carrière en solo. Dans la performance, l’acrobate trouve « une similitude avec le cirque, via des actes simples et radicaux ». Mis en difficulté par l’eau, le feu ou des gravats, son corps constitue l’unique agrès du spectacle. Agencés à vue sur le plateau, les accessoires -carapace de tortue, flèches, parpaings, potence…- seront actionnés à tour de rôle pour reconstituer un parcours de vie aux allures de quête initiatique, abordant au débotté le racisme ordinaire ou la violence domestique. La Ruine du titre correspond pour l’artiste « à l’après collectif, comme un point zéro questionnant la manière de bâtir à nouveau ». Si la proposition ne manque pas de spontanéité, baignée notamment d’une gestuelle insolite et envoûtante, elle n’évince toutefois pas à ce stade la sensation d’assister parfois à un exercice de style un peu narcissique.

Tourbillons Warlop Sur une estrade une peluche géante est recroquevillée ; au-dessus sont accrochés les morceaux d’un nounours géant démembré, et des yeux de tailles variées. Autour, un moulage dentaire, des bases de culbutos, géants, et quelques machines et appareillages, à des endroits que l’on devine stratégiques de l’action à venir, énigmatique. Big bears cry too est impeccablement préparé par un comédien, seul en scène, et ses amis invisibles. Un tourbillon de jeux doux et sadiques commence, rituels étranges alimentés par tout ce tas d’objets et de signes morts et vivants à la fois. Un petit gobelet, gai et mobile, cherche à rentrer en contact avec un gros gobelet, renfrogné et immobile.


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Big Bears Cry Too, Miet Warlop © Reinout Hiel

Un Batman plane dans le noir. Des ballons roses éclatent au milieu du dentier blanc, dont une incisive supérieure a préalablement explosé. Un énorme cœur rouge qui, une fois dégonflé, sert de cape, flamboyante. Une gigantesque masse cotonneuse suspendue tourne sur elle-même, dans laquelle s’enfonce le comédien avant de l’arborer, fier, en se déhanchant en mode défilé. Pour finir, un déluge de balle de ping-pong, comme autant de petits globes oculaires rebondissant sur la scène. Tout est pris en permanence dans des vrombissements et des souffles de ventilateurs, de compresseurs et de machineries, qu’il

pilote en nous regardant souvent droit au fond des yeux, un petit sourire au coin des lèvres. Pour Ghost Writer and the Broken Hand Break, la scène et les gradins ont été enlevés, et ils tournent déjà sur eux-mêmes. Ils sont trois, chacun dans son rond de lumière, 2 hommes, 1 femme, les hommes torses nus, la femme jambes nues. Une main bleue, une rouge, une jaune. Ils ne vont plus s’arrêter pendant les 42 mn restantes. Un son de respiration émane des haut-parleurs, elle va devenir percussion électronique, actionnée depuis des capteurs fixés à l’un des corps, puis, petit à petit, une musique pop rock électro va se

déployer, assez banale, pendant que les derviches vont être chacun accessoirisé avec des instruments de musique, guitare électrique, cymbale, caisse claire de batterie. Ils vont les attraper (de façon pas très fluide) tout en tournant toujours sur eux-mêmes, en jouer, chanter en anglais, assez banalement, des chansons « qu’ils ont écrites à propos de la vie, de la mort, des métamorphoses » apprend-on dans la feuille de salle remise à la sortie. À la fin, la musique s’arrête et euxaussi. On salue la performance. Mais on reste dubitatif… AGNÈS FRESCHEL, JULIE BORDENAVE ET MARC VOIRY

Mauxroses a été créé à La Friche les 4 et 5 octobre Dans ma chambre épisode 1 et 2 ont été créé à Montévidéo dans le cadre de la programmation du ZEF, les 8 et 9 octobre Big bears cry too et Ghost Writer and the Broken Hand Break, de Miet Warlop, étaient présentés à la Criée du 3 au 6 octobre Ruine jouait le 3 octobre au Théâtre du Gymnase, Marseille

Trois questions de danse

A

lshe/Me de Linda Hayford met au centre de sa recherche la proximité avec l’autre, son influence. L’autre c’est son frère, Mike, qui lui a tout appris du popping. Performance intense pour deux corps très différents : lui massif et doux, elle déliée et vive, mais une qualité de présence très proche. On retiendra l’impact émotionnel de passages synchrones, corps parcourus par des arcs de tension très vifs successifs, brefs, suivis de relâchements. No Pasaran de Tom Grand Mourcel et Vera Gorbatcheva, était la toute première présentation publique d’un travail inspiré par la visite de l’exposition Soulèvements en 2017 au Jeu de Paume conçue par Georges Didi-Huberman. Comment traduire, dans les mouvements, l’écriture chorégraphique et le rapport au public, tous les échos de ce terme habitant les corps sociaux et politiques ? Le public, debout sur les bords du plateau, est conduit petit à petit à en occuper l’espace. 5 danseurs en émergent, évoluent en son sein. Accélérations et lenteurs, poussées, résistances, jusqu’à ce que l’un d’entre eux se retrouve au sol, inanimé. Comment réagir ? Parmi les questions qui restent ouvertes, l’écart entre le réel et sa représentation. Dans Not on this earth de Keren Rosenberg, le plateau est entièrement recouvert d’une bâche légère orange que les deux danseurs placés à un angle replient, produisant de délicieux sons de froissements. Puis

Not on this Earth © Paul Sixta.Still007

ils se glissent dessous et, en évoluant, chacun de leur côté, lui donnent l’apparence d’une terre, d’une peau, parcourues de mouvements telluriques, plis, creusements et soulèvements. Ils réapparaissent, rampant un moment à la surface, pour renaître ensemble, debout, tremblants et en sueur. Une recherche vers un corps originel, débarrassé de ses déterminismes sociaux. Assez sensuel. MARC VOIRY

Alshe/Me, No Pasaran, et Not on this earth étaient présentés le 5 et le 7 octobre au KLAP, Marseille dans le cadre de Question de danse


22 critiques

Sortir la tête de l’eau

S

ingulier parcours que celui de Maxime Taffanel. Promis à une carrière de champion de natation, il quitte la compétition à l’âge de 18 ans pour se tourner vers le théâtre. Formé à l’Ensad puis à la Comédie Française, il crée en 2018 Cent mètres Papillon au sein du Collectif Colette. Ce premier solo relate l’interruption prématurée de son parcours de sportif de haut niveau. © Romain Capelle Charismatique, le comédien livre une performance d’acteur upper- la relation à l’élément aquatique. Mais cut, drôle et poignante. Sur une mise en c’est aussi du théâtre physique. Basée scène léchée de Nelly Pulicani, ce spec- sur la gestuelle de la nage, moult fois tacle est avant tout du théâtre de texte. répétée, une réelle chorégraphie voit le Déclamé face public avec ardeur, il em- jour, tantôt évanescente, tantôt réglée au barque le spectateur d’un souffle épique cordeau. Cultivant les ruptures de ton, sur les bords du bassin, pour se laisser le spectacle aborde les prémisses de la transporter par l’évocation des sensa- vocation, le rapport sensoriel -voire sentions, truffées de poétiques envolées sur suel- à l’eau, de savoureuses caricatures

et des infos inédites sur le milieu fermé de la compétition, jusqu’à la douloureuse âpreté de la disgrâce : lorsque, totalisant « 8597 kms au compteur », le nageur est contraint de raccrocher, comprenant qu’il n’atteindra jamais le podium convoité. S’il s’est inventé un double -l’adolescent Larie- pour fictionner son récit, Maxime Taffanel n’a pas pour autant abandonné la natation, qu’il pratique désormais pour le simple plaisir depuis dix ans. Il prépare actuellement le 2e volet de son spectacle déjà auréolé de succès. JULIE BORDENAVE

Cent mètres papillon, récit d’un nageur, se joue jusqu’au 19 octobre au Théâtre des Bernardines, Marseille

Les points sur les I

L

a dernière création de Georges Appaix a fait salle comble s’aventurent avec délectation ; les mots fusent, s’enchaînent, au Théâtre de la Joliette, réunissant les aficionados se répondent en feu d’artifice ; les corps sautent, se déet de nouveaux spectateurs venus découvrir hanchent, roulent, se mélangent dans les sons des cet univers qui mêle de façon singulière les mots et de la musique variée qui va de Bach au mots, la musique et le mouvement. Voilà cha-cha-cha. Il semble que gestes et jeux trente-cinq ans que cet ingénieur qui de mots surgissent inopinément, sur un avait pratiqué le football a découvert coup de tête et qu’ils s’en étonnent ! On passe de quelques chansons enla danse et ne l’a plus quittée. Mais fantines à un air de jazz ou à la ciavec X, Y, Z, ou comment parvenir tation d’un poète, quelques vidéos à ses fins, Georges Appaix annonce son départ. Estime-t-il que de A à proposent des extraits de spectacles Z il a accompli son chemin, son précédents. La subtilité du travail œuvre ? Un livret, rédigé par Apd’Appaix réside dans cette désinvolpaix et Christine Rodès, critique ture : rien de statufié, de massif. Un chorégraphique, est offert, comme art simple, du grand Art. CHRIS BOURGUE un souvenir-témoignage où Francine Zubeil matérialise avec des lignes et des mots les parcours dans l’œuvre du choré© Ci e La Liseuse X, Y, Z ou comment parvenir à ses fins s’est donné graphe. Un nouveau site est aussi en cours au théâtre Joliette, Marseille, du 10 au 12 octobre d’exécution pour conserver la mémoire des créations. Un départ ? Ce dernier spectacle reprend depuis le A les références à l’alphabet, annoncé par Georges, d’abord seul en scène. Une à venir structure métallique porte de grandes lettres de bois, un arbre à lettres qui sera dépouillé de ses « feuilles » au cours 15 octobre Châteauvallon - scène nationale, Ollioules du spectacle pour proposer des mots et des idées. Les six in04 94 22 02 02 chateauvallon.com terprètes s’amusent avec naturel, jouent autour de ces lettres,


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Les histoires de Madeleine

M

adeleine Irène Thérèse Monique Ducasse était une sacrée grand-mère. Beaucoup plus farfelue qu’Isidore, comte de Lautréamont, malgré leur patronyme en commun. Sa petite-fille, qui lui était très attachée, hésite à pénétrer chez elle de peur de raviver le chagrin de sa disparition, mais franchit un jour le seuil, prête à retrouver les souvenirs de son enfance. La personnalité attachante de Madeleine, « qui n’avait peur de rien », se révèle à travers tout un théâtre de bric et de broc, exhumé des meubles empoussiérés. L’héroïne de Conversation avec nos ancêtres (Virginie Gaillard) tombe sur le dinosaure articulé qui effrayait tant ses cinq printemps, mais servait de prétexte, avec d’autres jouets de plastique, à de mémorables leçons grand-maternelles sur l’évolution, de la première cellule vivante au règne de l’Homo sapiens sapiens. Car Madeleine, adorant écouter à la radio les

© Eric Massua

émissions scientifiques, et dotée d’une pédagogie redoutable autant que d’une imagination sans bornes, s’en servait comme matériau de base pour parfaire son éducation. C’est ainsi que la fillette,

peu friande de champignons, apprenait, au lieu de bouder son assiette, à retracer la pré-histoire d’un couvert classique, à partir d’un squelette de fourchette Ça pique Ça pique, plus petite et plus trapue que les modèles modernes, en remontant jusqu’à l’australo-fourchette et la fourchette erectus. Du grand théâtre d’objets, orchestré au détail près par Katy Deville, initiatrice de cette discipline au riche potentiel poétique. Lorsqu’elle fonda, en 1979, le Théâtre de Cuisine avec Christian Carrignon, ils visaient un art « fait à la main », en s’appuyant sur les choses du quotidien, de celles dont « il suffit de les secouer pour que la mémoire d’une société en tombe ». Ce spectacle ne déroge pas à la tradition. GAËLLE CLOAREC

Conversation avec nos ancêtres a été créé le 3 octobre au Théâtre Massalia, Marseille

Jubilations cuivrées

L’

art de la joie et de la dérision ont conquis la salle comble du GTP : le septuor de cuivres le Mnozil Brass y fêtait son vingt-septième anniversaire avec un florilège de ses derniers spectacles réunis sous le titre Gold. Tous les registres, les thèmes, les formes musicales se retrouvaient là, condensés en un spectacle enlevé, potache autant que virtuose, où la musique traditionnelle autrichienne croise la parodie d’une composition contemporaine, la version scat de la chanson Mr. Sandman des Chordettes, ou I can’t give you anything but love qu’interprètent les musiciens en crooners hollywoodiens… N’est pas oublié le détour obligé par la valse viennoise, en clin d’œil au bar Joseph Mnozil qui a donné son nom à cet ensemble génial et farfelu. Situé face au conservatoire de Vienne, il offre une scène ouverte tous les deuxièmes jeudis du mois aux musiciens de tous horizons. Et c’est là que les jeunes étudiants de l’Académie d’Art de Vienne se rencontrèrent… Thomas Gansch (trompette), Gerhard Füssl (trombone), Willi Brandstötter (tuba) que rejoindront

Roman Rindberger, Robert Rother (trompette), Zoltan Kiss (trombone) et Leonhard Paul (trombone et trompette basse). Tout commence comme un numéro de clown, et la connivence avec l’assistance s’instaure d’emblée. Mimiques, équilibres improbables, pas- © Daniela Matejschek sages à la flûte à bec, chorégraphies désopilantes, explications qui n’en sont pas, rivalités surjouées, goût du burlesque, des effets poussés à l’extrême, notes tenues à bout de souffle, dextérité de passages à la Paganini, les artistes s’en donnent à cœur joie, entonnent Ramona, mais livrent aussi un pot-pourri de génériques de séries, ou se lancent dans une inénarrable scène de western-spaghetti, miment duels, morts, traîtrises et dévouements… un sommet de drôlerie !

Ajoutez à cela des tenues hétéroclites qui rendent l’ensemble bariolé et improbable… Deux heures enjouées que l’on ne voit pas passer et qui réjouissent nos zygomatiques ! MARYVONNE COLOMBANI

Gold a été donné le 3 octobre au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence


24 critiques

Médusante Méduse

E

Lisa Hours, Christophe Montenez, Jules Sagot et Manuel Severi, dans un dispositif scénique bi-frontal, rouvrent le procès intenté au capitaine Hugues Duroy de Chaumareys, tenu pour responsable du naufrage de la frégate La Méduse. Dans ce procès qui ramène les morts à la barre, se dévoilent au cours des témoignages les rouages qui ont mené à la mort 137 personnes sur les 152 abandonnées sur le radeau instable de La Méduse. À l’une des extrémités de l’espace scénique Lisa Hours, en robe de juge, surplombe la scène, de l’autre le plasticien Jean-Michel Charpentier peint en direct une fresque inspirée du tableau de Géricault. Entre les deux, Jean-Baptiste © Xavier-de-Labouret (doublement primée au Festival Impa- Savigny, médecin du bord, raconte sa vertience 2017 avec le prix du public et celui sion des faits, calme, rationnel, dans une du jury), Méduse, librement inspiré du version lisse et noble que vient contreNaufrage de la Méduse (1817) d’Alexandre dire avec colère et passion, écho d’Océan, Corréard et Jean-Baptiste Savigny. Les mer de Baricco, le matelot Jacques qui excellents comédiens, Romain Grard, accuse, révèle, rappelle l’organisation n ouverture de saison, le Vitez, désormais installé au Cube, proposait un grand moment de théâtre grâce au collectif Les Bâtards dorés qui reprenaient pour l’occasion leur création 2016

inégalitaire du radeau : au centre, les officiers et les vivres, les plus humbles sur les côtés, vite tombés à la mer, ou exécutés froidement s’ils étaient blessés. L’horreur s’invite, l’humanité s’effrite, se disloque. En point de rupture, bouleversant d’intensité, sur une musique de Lény Bernay, le poème de Fernando Pessoa, Ode maritime, ouvre une brèche terrifiante où la réalité des faits se décline, crue, sauvage. Les mots n’ont plus cours, dans l’expression brutale d’une cruauté primitive où le cannibalisme, la folie collective et le meurtre ne se dissimulent plus. Transparaissent alors derrière les rêves d’exotisme et de liberté le commerce triangulaire, les impérialismes, la Françafrique… La pièce nous renvoie aux dérives du libéralisme, et nous pousse à réfléchir la démocratie. Magistral ! MARYVONNE COLOMBANI

Méduse a été donné le 1er octobre au Théâtre Vitez, Aix-en-Provence

Voyage autour de sa chambre

D

ante a peur du noir. Lorsque la lumière du couloir s’éteint, des monstres peuplent sa chambre, et seule la compagnie de son ami imaginaire Virgile sait le calmer. Virgile l’entraîne au cœur d’époustouflantes aventures, plongées vertigineuses au fond des océans, ascensions de montagnes dressées au milieu des flots, jusqu’à ce que les ombres soient vaincues par les papillons de lumière. Bien sûr l’allusion est transparente, La Divine Comédie est passée par là, et le voyage initiatique nocturne de l’enfant lui apprend à affronter bien plus que ses peurs : à trouver la force d’être. L’étrange se love ici dans les formes familières, la couette, lieu de réconfort, se métamorphose en hutte, raie Manta… à la fois protectrice et un peu inquiétante. Entretemps il y a l’évocation de l’école, du foot, des bêtises, de la cour de récréation, des copains qui le sont un peu moins lorsqu’il leur avoue sa peur du noir, de Caroline aussi… on entend les voix des parents, toujours lointains, celle du bébé, mais le quotidien n’est pas d’un grand secours alors qu’au bout de la chambre se tasse l’ombre. Même si sa mère tente de le rassurer en affirmant « regarde c’est juste une ombre. Allez, rendors-toi maintenant ». En trois nuits Dante parcourt sa chambre, affronte les ombres, encouragé par Virgile, aborde une île, escalade une montagne, entre dans sa propre tête, plonge dans un univers de couleurs paradisiaques… prêtes à lui faire surmonter ses angoisses nocturnes. Le tout est porté avec une délicate intelligence,

© Eric Massua

poésie et humour. Lamine Diagne (aussi à la mise en scène aux côtés de Valérie Puech) campe un petit Dante émouvant et drôle, spontané et tendre, accompagné d’un Virgile attentif et encourageant, Rémi Lambert, tandis que la vidéo d’Éric Massua et les animations de Viviane Boyer-Araujo tissent les rêves de l’enfant et construisent la géographie de ce voyage initiatique baigné des belles lumières de Guillaume Suzenet. Une réussite. M. C.

Ombre, le voyage de Dante a été donné le 2 octobre au théâtre Comoedia, Aubagne


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Monument historique

C’

était il y a tout juste 30 ans, et ils ont tous (15 fringants comédiens) environ l’âge de sa chute. Le Mur de Berlin est tombé le 9 novembre 1989, et de cette nuit-là, tout le monde se souvient, « même ceux qui n’étaient pas encore nés », comme l’affirment Julie Bertin et Jade Herbulot, les deux conceptrices et metteures en scène de Berliner Mauer. Le © Denis Manin spectacle, fresque pointilliste balayant l’histoire de Berlin entre la fin de la Deuxième Guerre mondiale et l’abolition de la frontière entre le bloc communiste et la vitrine du monde capitaliste, créé en 2013, est repris cet automne. Alors défile, en costumes d’époque chaque fois très évocateurs, une kyrielle de silhouettes, incarnant des personnages parfois très connus : soit dévolus à représenter l’événement historique en farce presque clownesque (les Accords de Yalta avec les trois

maîtres du monde Staline, Roosevelt, Churchill), soit, et c’est bien plus réussi, comme des figures « piqure de rappel » (Kennedy et son « Ich bin ein Berliner », l’African reggae de Nina Hagen, les réflexions désenchantées d’Heiner Müller). Et la palette se complète avec une série de moments qui fonctionnent comme les illustrations d’un livre d’histoire : le creusement d’un tunnel, la Stasi qui veille et torture (tiens, voilà que l’accent allemand surgit tout d’un coup...). Mais

les meilleurs moments sont finalement ceux où la subjectivité s’autorise un passage entre les faits consignés. L’hémorragie de l’Est vers l’Ouest avant l’érection du Mur, la polyphonie fébrile avant sa chute, la journaliste qui se laisse dépasser par son excitation d’être là pendant que se joue l’Histoire : le théâtre existe vraiment là, dans cette liberté de réappropriation scénique des événements. Le dispositif, coupant le plateau en deux, séparant le public d’un côté ou l’autre de l’échiquier politique, entretient un manque bienvenu, suggère très efficacement l’invisible proximité, nourrit l’espoir et la crainte d’un monde à venir. ANNA ZISMAN

Berliner Mauer a été joué au Théâtre Jean-Claude Carrière du Domaine d’O à Montpellier les 10 & 11 octobre

Scène d’urgence

«

C’était l’urgence ». Après les attentats, la France se retrouvait, pour la première fois depuis la Guerre d’Algérie, en état d’urgence. Les cinq acteurs de la pièce en train de se faire, là, sur le plateau devant nous qui sommes assis sur des gradins face à face avec l’autre moitié du public, relatent, mi stars derrière leurs lunettes de soleil éblouis par les lumières de la scène, mi rats de laboratoire (« on ne voyait pas ce qu’ils nous demandaient ») : où en sont-ils, de ce qu’il faut raconter, jouer, incarner ; de quoi sont-ils l’urgence ? Peu à peu ils se muent en CRS, avec l’attirail complet, les gestes (chorégraphiés, esthétisés, rythmés par un métronome), et surtout les mots. Ils se parlent, pendant qu’ils « gardent l’horizon ». Philosophes désabusés, garant d’une paix qui s’éloigne chaque fois qu’on s’en rapproche. Ça gronde, et pas seulement dans les rangs de ceux d’en face, les « Apaches ». Ça dérape, ça bascule, le soulèvement se propage, l’ordre public vacille et les consciences se surprennent à devenir nomades, passent

© Jean-Louis Fernandez

au-delà de l’horizon. Tout ne serait-il que théâtre ? Le voilà en état d’arrestation, les spectateurs appelés à la barre du tribunal, accusés d’être les complices de cette pièce subversive. Le texte d’Olivier Saccomano et la mise en scène de Nathalie Garraud, toujours cernant la place de la représentation, interrogeant la mission de théâtre public, plongent alors joyeusement dans le registre de la farce -jolie dédicace à Kierkegaard, cité par un directeur des études théâtrales loufoque à souhait. Les personnages défilent devant

le corps de la justice d’État, outranciers, démontrant dans une ronde de rôles, de costumes enfilés à vue du public, de postures, la jubilation de ce que représente l’acte de jouer. Chacun en prend pour son grade, avec une dose rafraichissante d’autodérision. Qui se donne en spectacle ? Qui en joue ? Quels rôles endosse-t-on dans cette représentation de démocratie ? La porte reste ouverte, et c’est réconfortant de savoir que le théâtre (avec Godard en renfort, impérial !) sera toujours une solution envisageable. A.Z.

La Beauté du geste a été créé en octobre au Théâtre des 13 vents Centre dramatique national de Montpellier.


26 critiques

Marche vitale

Ikuemän © Vasil Tasevski

A

u centre d’un carrousel formé de cinq mâts nimbés de brume, cinq silhouettes fantomatiques s’avancent. Lentement elles s’en approchent, comme attirées par l’ascension. Dans le clair-obscur que révèlent les lumières les corps semblent suspendus, flottants dans une douce apesanteur. Délicats tableaux qui vont s’animer, provoquant leur chute en un étrange ballet qui les laisse disloqués. À terre. Là, debout, ils entament une étrange chorégraphie, incantation de bras qui s’élèvent pour saluer ces totems

érigés, scansion silencieuse impressionnante, exécutée à l’unisson. Avant d’entamer une longue marche, en rond. Se cherchant des yeux, les pas, les mouvements, toujours les mêmes, quête exutoire d’un lieu semble-t-il. Qui serait ni tout à fait celui qu’ils ont quitté, ni vraiment différent. Car à nouveau les mâts se dressent, appels irrésistibles qui les aimantent. Mais alors la communauté fait corps, des couples se forment, suspendus dans les airs, étranges créatures polymorphes, jusqu’à se rejoindre sur un

seul et même mât en une sculpture mouvante que la lumière sublime. Saisissant. Rafael de Paula est un nomade, un déraciné, né au Brésil puis exilé aux ÉtatsUnis, maintenant installé en France. Sa dernière création, Ikuemän (qui signifie marcher dans la langue des Kayapos, peuple indigène du Brésil) rend hommage à tous ceux qui sont comme lui, exilés et sans-terre. Dans une esthétique épurée qui tranche avec Nebula et Vigilia, ses précédents spectacles joués en solo ou duo, il met en scène une petite communauté qui se recrée un univers, des rituels, une culture propre. Le geste acrobatique, s’il est très présent, n’est plus seulement vertical, alimenté notamment par des mouvements dansés tout aussi aériens. Entouré de Béatrice Debrabant, Joana Nicioli, Harold De Bourran et Ward Mortier, il provoque un souffle puissant de liberté. DOMINIQUE MARÇON

Ikuemän a été joué les 10 et 11 octobre au Théâtre d’Arles dans le cadre Des cirques indisciplinés

Abstraction pour jeune public

À

la tête de la compagnie Rhizome, Chloé Moglia mise sur l’épure et la contemplation d’un effort suspendu, empruntant aux vertus des arts martiaux. C’est donc peu dire que notre curiosité était grande à la découverte de l’atelier jeune public Midi/Minuit, un domaine dans lequel on ne l’attendait pas. Ce jour-là, les acrobates Mathilde Arsenault Van Volsem et Mélusine Lavinet-Drouet accueillaient 17 enfants de CP, au sein de la somptueuse église arlésienne des Frères Prêcheurs. Posée au sol, la mini spire -un agrès inédit constitué d’un continuum de spirales blanches, immaculées-, trois fois plus petite que son prototype utilisé dans le spectacle éponyme de la compagnie (La spire). L’atelier se présente comme un « observatoire artistique » : « nous y observons, avec curiosité et attention, tout ce qui a lieu, ce qui se présente, sur le plan intellectuel, émotionnel et corporel. Le cadre permet cela : regarder dans le

détail ». Ce furent les langues qui se délièrent en premier lieu -« tourbillon, spirale, portail pour changer de dimension... »-, dans une lecture de paysage augmentée par l’attention des artistes focalisée sur une prise de conscience globale de l’environnement présent (lignes striant le décor, air…). Durant les 2h qui suivirent, la mini spire servit © Julie Bordenave d’outil d’exploration physique -sauter, artistes s’emparer elles-mêmes de cette grimper, éprouver et anticiper sa propre structure inédite durant 30 minutes de force, dépasser ses appréhensions- mais performance, les sculptures de corps en aussi intellectuelle. Car dans l’imaginaire suspension faisant miroir aux ogives godes acrobates, l’agrès se fit allégorie -d’un thiques de l’église. Audacieuse et lumicadran d’horloge, d’un globe terrestre…-, neuse, une réelle initiation et sensibilipermettant jusqu’aux considérations et sation au cirque le plus contemporain. JULIE BORDENAVE paradoxes métaphysiques sur le « temps qui passe », ou « nous qui passons sur le temps ? » Ayant éprouvé empiriquement Midi / Minuit se tenait dans l’Église des l’agrès, les enfants purent ensuite obser- Frères prêcheurs d’Arles, du 7 au 15 octobre, ver tout à loisir, au plus près, les deux dans le cadre Des cirques indisciplinés


27

Flamencomédie

C’

est une histoire touchante, celle d’un jeune garçon, Franito, passionné de flamenco et prodige du genre, et de sa mère andalouse, un tantinet étouffante et hyper protectrice, mais tellement aimante, qui voit d’un mauvais œil ce talent émergent. Un seul décor, la cuisine familiale, lieu de toutes les joutes, de tous les jeux, mais aussi des menues scènes de la vie quotidienne, irrésistibles de drôlerie. Deux rôles pour deux interprètes époustouflants : le danseur de flamenco Fran Espinosa est un Franito gracieux dans son costume coloré éclatant, dont la danse, la buleria, et les chants fougueux sont accompagnés par Cédric Diot à la guitare, face à Patrice Thibaud impérieux en madre imposante, tout en seins et fessier, à tomber. Les situations s’enchaînent sans baisse de rythme, avec une économie de paroles -les rares mots prononcés le sont en espagnol- accentuée par les mimiques

et attitudes hyper expressives de cette mère encombrante. Quelques accessoires de cuisine, deux chaises, une table, un balai et voilà qu’apparaît Don Quichotte, une scène de Titanic ou un bestiaire survolté. Comme dans les fameux duos de clowns, le grand et le petit se complètent à la perfection, la pantomime et le comique du premier soulignant la musicalité et la précision chorégraphique du second. Le décalage agit et l’on rit beaucoup, mais jamais par moquerie. Car sous le burlesque affleure souvent l’émotion, la tendresse et la poésie de ces deux complices. Loin d’être une espagnolade qui ne serait que caricature, le spectacle est au contraire un bel hommage au flamenco. Et au rire. DOMINIQUE MARÇON

Franito a été joué le 1er octobre au théâtre Le Sémaphore, Port-de-Bouc

© Jean-Louis Duzert-TDN

Parcours artistique et naturaliste Dans les espaces naturels des Hautes-Alpes, Curieux de Nature constitue un événement phare de la Passerelle, scène nationale de Gap

C’

est en partenariat avec l’ONF que s’est monté ce 8e Curieux de nature, pour investir la Forêt domaniale des Sauvas située à 1h de route de Gap. Commande avait été passée cette fois à La Mondiale Générale, compagnie arlésienne habituée à faire feu de tout bois avec ses créations circassiennes misant sur l’équilibre (Le braquemard du pendu, Sabordage…). « La proposition nous a déplacés sur les secteurs géographique et artistique », constatait en préambule le directeur artistique Alexandre Denis, avant d’inciter les spectateurs à se déconnecter de toute © Philippe Ariagno prise intempestive de photo ou vidéo, pour s’en remettre à leurs seuls sens. Assis sur des rondins parsemés dans un sous-bois, le public était convié à assister à la patiente édification d’une sculpture de tasseaux, avant un tour de chant dans un corps de ferme, les

yeux rivés au plafond pour mirer deux chanteuses perchées sur la poutre centrale. Place enfin à une procession à travers champ pour participer à l’édification collective d’un « oursin » géant, dardant ses épines de bois face au Pic de Bure dont la façade calcaire flamboyait dans le soleil déclinant. En écho, l’envoûtant brame du cerf, qui résonne à cette saison entre chien et loup... Se mesurer à la nature est une gageure chaque année renouvelée pour les artistes participant au dispositif. Les six artistes de la Mondiale générale ont visé juste, exposant avec délicatesse de Futiles perspectives humaines, trop humaines -la création sonore de Julien Vadet faisant coexister considérations naturaliste, métaphysiques et dérisoires, tels l’existence avérée d’insolites « concours de brameurs »- au sein d’un environnement terrassant de majestueuse beauté. JULIE BORDENAVE

Futiles perspectives s’est tenu à La forêt des Sauvas, HautesAlpes, les 4 et 5 octobre dans le cadre de Curieux de Nature


28 critiques

Notre mort

L

e Coup de Grâce de Michel Kelemenis est un coup de maître. Abandonnant sa fantaisie mutine, le côté coloré qui fait le charme de la plupart de ses pièces, il nous entraîne dans une puissante évocation des attentats de Paris. Sans renier sa foi inébranlable dans la vie, dans le pouvoir des corps à se tenir debout, il emmène les spectateurs aux confins de la peur, de la douleur, de la mort. Les images sont puissantes : fuites éperdues ; foule enserrée ; massacres, victimes innombrables qui, la tête dans les mains, la peur au ventre, s’écroulent, s’effondrent… tout est explicite sans être

simplement illustratif et nous fait éprouver, physiquement, la terreur. Et le but, simple, est atteint, grâce à une musique qui scande les affolements et étire des nappes sonores inquiétantes ; grâce aux corps émouvants et virtuoses de ces jeunes danseurs ancrés dans la terre ; grâce aussi à un rideau de perles noires qui, selon l’éclairage, s’opacifie ou laisse © 1Cube voir ce qui se passe derrière la scène. Car il est question ici de scène, celle du Bataclan, celles des théâtres où se donnent en spectacle les corps et leur plaisir. Corps jeunes et libres qui dansent, jusqu’au bout malgré l’horreur ; corps des bourreaux qui cherchent la grâce en assassinant ceux qui croient à la jouissance terrestre ; corps de nos mémoires communes, celle des nombreux tableaux qui sont cités par les danseurs arrêtés dans des positions de délice ou de supplice, toujours mystiques, extatiques, ambigus. Esthétisation de la mort ? sans doute : le sang ne coule pas, tout reste propre,

habité de grâce, et le noir uniforme des costumes et du décor s’orne de lumières et de brillances. C’est qu’il n’est pas question de désespoir ici mais de tristesse, infinie. Aucune défaite : cette jeunesse que l’on a assassiné continue de danser. Continuera, victorieuse, de dispenser sa grâce, et de goûter sa liberté. AGNÈS FRESCHEL

Coup de grâce a été créé au Théâtre Durance, Château Arnoux, le 4 octobre

à venir 16 & 17 octobre Le Zef, Marseille 04 91 11 19 30 lezef.org 23 novembre L’Autre Scène, Vedène 04 90 31 07 75 lautrescene.com 26 & 27 novembre Pavillon Noir, Aix-en-Provence 04 42 93 48 14 preljocaj.org 29 & 30 novembre Châteauvallon - scène nationale, Ollioules 04 94 22 02 02 chateauvallon.com

Contresens

M

ais qu’a voulu faire Ivo Van Hove ? Le Journal d’un disparu, cycle de mélodies de Leoš Janáček, n’est pas exactement un opéra, même miniature. Il raconte, comme les cycles de mélodies romantiques, un trajet, ici celui d’un paysan tombé amoureux d’une tsigane, qui se débarrassera de ses préjugés pour « disparaître » avec elle. L’œuvre est sublime, en morave, parmi les plus belles pages de Janáček, populaire, charnelle, lyrique, figurant la nature sans naïveté, et la sensualité de Zefka sans l’habituel diabolisme raciste de l’époque. Cette production bénéficie en outre de chanteurs irréprochables, et d’une musique « de © Jan Versweyveld complément » de toute beauté : 4 chants d’Annelies Van Parys viennent donner de l’épaisseur au rôle de la Tsigane, complété par un chœur de trois femmes qui tissent des harmonies atonales depuis les coulisses, comme un contrepoint animiste qui se fondrait dans le panthéisme du compositeur tchèque... Hélas, Ivo Van Hove vient massacrer cette dramaturgie musicale : en voulant imprimer sa marque, il rend le conte

incompréhensible. Par un jeu de double, d’abord, un comédien figurant le compositeur lisant des extraits de ses lettres à Kamila, sa jeune amante. Enchâssement qui pourrait se comprendre s’il n’était pas doublé par un absurde décalage, le paysan morave se retrouvant photographe dans un décor contemporain surchargé d’images, la Tsigane devenue son assistante (pfff...), Janik chantant son amour pour ses bœufs dans un cube oppressant d’artifices, Zefka faisant l’apologie de la nature, juchée sur des talons (pfff...) mais chantant le contact cru avec la terre... Janáček, dans toute son œuvre, dit la force de la nature et se libère des préjugés ; Ivo Van Hove y verrouille la femme libre, et le Disparu dont le double reste là, tourmenté par son désir et brûlant ses lettres d’amour. A. F.

Le Journal d’un disparu a été joué au Théâtre des Salins, Martigues, du 10 au 13 octobre


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Lyrique Pocket

R

éunis pour la première fois sous l’égide de la Régie culturelle régionale, les Opéras de Marseille, Nice, Avignon et Toulon ont travaillé ensemble à réunir en une production deux facettes d’un genre mésestimé. C’est en effet l’opérette que l’on célèbre avec les deux brèves pièces associées, l’illustre Pomme d’Api du non moins illustre Offenbach, et le plus méconnu Singe d’une nuit d’été de Gaston Serpette. Pour ses quatre représentations à Marseille, dont trois dédiées à un public scolaire, il a avant tout été question de toucher une tranche d’âge à la fois idéale et peu accoutumée au genre : les enfants. Conçu pour un public « à partir de sept ans », le spectacle allie la rêverie circassienne du Singe d’une nuit d’été au vaudeville offenbachien, avec le rire et la joie pour cœur commun. Le temps pourra certes sembler un peu long aux plus jeunes, en raison notamment de la difficile compréhension de certains airs. La faute en incombant avant tout au vocabulaire et aux lignes vocales dont la clarté s’est quelque peu

Opéras du Sud initie les enfants à l’Opérette altérée depuis Offenbach. Mais ces quelques instants de flottement sont vite balayés par la fluidité de la mise en scène d’Yves Coudray et l’énergie des interprètes. Les acrobaties des sopranes Clara Leloup et Amélie Tatti s’avèrent tout aussi réjouissantes que leur jeu d’actrice. Pierre-Emmanuel Roubet et Matthieu Justine campent deux Le singe d'une nuit d'été © Christian Dresse jeunes premiers savoureux, quand le charme et l’accent basques de à venir Gilen Goicoechea invoquent avec humour un registre plus aguerri. Le piano 16 novembre d’Hélène Blanic-Harismendy et les déOpéra de Toulon cors de Nicolas Delas confèrent au tout 04 94 92 70 78 operadetoulon.fr le cadre intimiste et le panache specta11 & 13 mars 2020 culaire, essentiels au genre ! Opéra Grand Avignon SUZANNE CANESSA 04 90 14 26 00 operagrandavignon.fr Le singe d’une nuit d’été / Pomme d’Api a été joué du 3 au 5 octobre à l’Odéon, Marseille

15 & 16 mai 2020 Opéra de Nice 04 92 17 40 79 opera-nice.org

Top cheffe

A

u pupitre de direction, on a troqué la queue-de-pie pour une queue-de-cheval, battant la cadence, pendulaire, au gré des tempi. À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Marseille, la cheffe coréenne Eun Sun Kim, magnifique interprète conquérant actuellement les scènes du monde, imprime sa marque, impose ses intentions, d’une battue aérienne, extrêmement travaillée, précise, efficace... Dans la Symphonie « classique » de Prokofiev, sa mesure suspendue (pulsation en l’air) allège le discours. L’orchestre, après un réveil brumeux et un peu « scolaire », trouve son souffle dès le deuxième thème. Il le conserve jusqu’au final, malgré quelque attaque un peu « derrière » de la fanfare, insufflant ainsi à l’opus Eun Sun Kim © Jürgen Keiper un style allant, tout de clarté mozartienne. Dans le Concerto pour piano de Grieg, on découvre un formidable musicien. Boris Giltburg (lauréat du « Reine Elisabeth » 2013) est une star montante : son piano chante, homogène sur tout le registre, jamais martelé... Le pianiste

privilégie un discours poétique, cohérent et néanmoins virtuose. La jeune paire Kim/Giltburg fait merveille ; les pâtes sonores se tissent, le plateau parle d’une seule voix, sans qu’aucun ne cherche à briller pour le gain des bravos à venir. Le public est ravi ! Il faut dire que l’œuvre, d’un lyrisme fougueux et populaire, possède des attraits que le temps ne dément pas. La 5e symphonie de Tchaïkovski vient couronner un programme « nordique » bien pensé. On pénètre dans le pathos de l’œuvre comme dans une nef obscure. Les solos se répondent, ciselés (hormis un petit poil à l’anche d’un bois mal « fagoté »), et l’orchestre au complet adhère au geste d’Eun Sun Kim dans la valse légère ou le final épique... emportant avec lui l’assistance captive. JACQUES FRESCHEL

1er concert de la saison de l’Orchestre Philharmonique de Marseille, donné le 12 octobre


30 critiques

Triomphe de la tragédie Madama Butterfly fait vibrer le Corum de Montpellier

R

ien ne semble résister à l’Orchestre national Montpellier Occitanie. Incontestable star, au même titre que ses interprètes de renom, du Fervaal donné cet été (voir journalzibeline. fr), l’orchestre confirme la qualité rare de ses pupitres -les soli sont toujours éclatants- ainsi que sa cohésion à tout épreuve. Sous la baguette affûtée de Matteo Beltrami, il ne fait qu’une bouchée du contrepoint poétique de Puccini, de sa peinture si colorée et mouvante des sentiments et du drame, de son alchimie entre sonorités occidentales et japonaises. Il a notamment l’intelligence de ne pas s’appesantir sur les traits les plus orientalistes de la partition, là où d’autres auraient surjoué leur dimension contemplative au détriment de l’esprit de la pièce : le compositeur souhaitant avant tout rendre justice au flegme modal nippon face au pompiérisme américain.

© Marc Ginot

Au diapason de cette lecture musicale irréprochable, la mise en scène de Ted Huffman propose, à rebours des décors surchargés et kitsch souvent réservés à cet opéra, une direction d’acteurs et un décor des plus sobres. Le tout ne rend cependant pas la tâche facile aux chanteurs, qui semblent parfois contraints dans leur jeu comme dans l’espace scénique trop nu pour un déploiement vocal idéal. Mais cette difficulté n’a jamais raison de la qualité de jeu et de projection des interprètes. Karah Son est une Cio-Cio San idéale, aux aigus dévastateurs, qui possède

une vaste palette de nuances vocales et théâtrales, indispensables au cheminement de la jeune geisha ingénue à la tragédienne. Jonathan Tetelman est un Pinkerton à la fois lumineux et abject, capable de réunir séduction et répulsion dans une même phrase. Impuissants face au déroulement de la tragédie, Armando Noguera incarne avec solidité un Sharpless fuyant, et Fleur Barron est une Suzuki impressionnante, d’une générosité de timbre et de jeu inépuisable. Au tomber du rideau, l’auditoire terrassé essuie vite ses larmes pour se lever et applaudir à tout rompre. SUZANNE CANESSA

Madama Butterfly a été joué les 2, 4 et 6 octobre à l’Opéra de Montpellier

Près des remparts de Marseille

E

n dressant son joli chapiteau coloré au cœur de la Gare Franche, la Cie Attention Fragile éloigne Carmen des maisons d’opéra de centre-ville et s’évertue à démystifier l’œuvre de Bizet

L’alternance musique-théâtre rappelle que Carmen fut d’abord un opéra-comique. Après un beau prélude contrapuntique, la réorchestration de Raoul Lay pour les six instrumentistes de l’Ensemble Télémaque parvient à retranscrire admirablement la majesté familière de la partition de Bizet. L’appel à des instruments modernes (vibraphone, guitare électrique) fait mouche, notamment sur le thème du destin, omis de l’ouverture pour être mieux mis en valeur après l’entracte. Au four et au moulin, l’infatigable percussionniste Pierre Quiriny se charge également de la direction. © Vincent Beaume Les quatre solistes sont très solsans lui ôter sa substance. Preuve de cet licités et doivent parfois assurer cerancrage populaire, des habitants du Plan taines lignes de chœur. Sophie Chabert d’Aou y campent une sorte de chœur an- se distingue en Micaëla par son timbre tique, commentant l’action avec gouaille ; assuré et aérien : son air « Je dis que des enfants interprètent une réjouis- rien ne m’épouvante » tient du tour de sante version cour de récré de l’acte III. force. Marie Pons porte le personnage

titre d’un timbre chaud et insolent. La direction d’acteurs exige beaucoup des chanteurs : des pompes au sémillant Don José d’Angelo Citriniti et des acrobaties au théâtral Toréador de Benoît Gadel. L’adaptation et la mise en scène de Gilles Cailleau se concentrent sur les moments forts du livret. Lorsque des raccourcis sont pris, souvent pour ne pas avoir à faire intervenir des personnages secondaires, c’est avec à-propos. La célébrissime Habanera devient au début de l’acte III la rétrospection d’une Carmen déçue par l’amour. Sur la Séguedille, l’air où tout bascule, des barreaux se referment sur un Don José pris au piège. Moins captif, le public n’en est pas moins captivé ! PAUL CANESSA

Carmen, opéra déplacé a été joué le 12 octobre à La Gare Franche, Marseille

à venir Les Salins, Martigues (7 & 8 mai) Théâtre en Dracénie, Draguignan (5 & 6 juin)


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Les voix du vin

L’

Ensemble Musicatreize et son chef Roland Hayrabedian dans une grande énergie, alternant bouche fermée, répétiont convié à une soirée très originale : des chansons de tion de motifs minimalistes, puis écriture verticale, dans le cabaret, autour du vin, suivies de Dionysos, le style d’un choral : « Que l’on peut être heureux ! ». vin, le sang, pour 12 voix et dispositif électroaLe dispositif électroacoustique fait entendre coustique, du compositeur grec contempodes gouttes, l’eau, le vin se mélangeant, rain Alexandros Markeas. La mise en puis des bruissements inquiétants. Le point culminant est ce long passage : espace, chanteurs au milieu des spectateurs, nous aimante d’entrée, pour « Qu’ils sont doux vos petits glouglous » un superbe prélude de chansons raf(Molière, Le médecin malgré lui) : finées ou grivoises. Patrice Balter, gammes complexes, arpèges, glisbondissant, est excellent dans le césandi impressionnants, très beau lébrissime Willkommen du film Catravail a cappella, sur des voix solistes baret. Hélène Richer cisèle Youkali de en contrechant. Après l’ivresse, les convives font place à la mélancolie, Kurt Weil, tango-habanera, avec une dans une magique révérence. voix d’une extrême sensualité. Gilles Schneider est craquant dans « Je bois » de Rares sont les pièces contemporaines Boris Vian. La pianiste Christelle Abinasr, sur le thème du vin. Plus rares encore les très expressive, se délecte dans ces répertoires Ensembles vocaux, spécialisés dans la mu© Yves Bergé variés. On retrouve Dionysos, Dieu de la vigne, du sique contemporaine, qui peuvent compter sur des vin, invité de la deuxième partie. voix solistes aussi remarquables, aux couleurs et caractères La création de Markeas explore le son, dans la tradition des si différenciés. YVES BERGÉ musiciens spectraux. Son banquet démarre par un clin d’œil au poète lyrique grec Anacréon, traduit par Ronsard (« Tout boit »), et un extrait du Bourgeois Gentilhomme de Molière (« Buvons, chers amis, buvons ! »). Les 12 chanteurs, assis à Musicatreize a fait son cabaret le 11 octobre une table de festin, se renvoient phrases et onomatopées, à la Salle Musicatreize, Marseille

Concert et solidarité

L

e CALMS (Collectif des Artistes Lyriques & Musiciens pour la solidarité) présentait dans la salle de spectacle de la Maison des Arts de Cabriès le 2e concert de sa saison solidaire qui « chaque mois lie une lutte et une association », ainsi que le rappelait en introduction Mikhael Piccone, fondateur du collectif aux côtés de Lucas Lombardo. Ce soir-là, le spectacle était donné au profit de la lutte contre les violences faites aux femmes et de l’association Le relais des possibles à Aix. Le programme consacré aux Femmes d’Espagne était superbement porté par la soprano Eleonora Devèze et la mezzo-soprano Laura Giuseppi accompagnées par le piano de Valérie Florac dont la précision et l’élégance du jeu suivaient avec intelligence les expressions des chants. Les deux cantatrices alternant

© Jean Gomez - BDPC

leurs venues nous entraînaient avec une subtile espièglerie dans le chant espagnol. Quatre pièces extraites du cycle des Siete Canciones populares Espagnolas de Manuel De Falla rendent l’esprit du chant populaire tout en restant d’une facture savante et lyrique, vivacité d’El paño moruno (le drap mauresque), de Canciòn, de la Jota (danse populaire espagnole) et sa brillante ritournelle, douceur de la berceuse Nana (Ma petite). Actrices autant que chanteuses, les deux brillantes interprètes se glissent avec aisance dans tous les registres et formes

musicales : opéra avec Bizet (Habanera de Carmen) ou José de Nebra (Aria des trompas d’Iphigenia en Tracia) ; baroque et son expressivité que ce soit dans Sé que me muero de Lully, livré avec tout le décalage qui se doit puisque au cœur du Bourgeois Gentilhomme de Molière, ou le spirituel Ay que si, Ay que no de Juan Hidalgo… On part en Argentine grâce à Guastavino ou Gardel, on suit Rossini dans sa Canzonetta spagnuola, on poétise avec Saint-Saëns et son duo El desdichado… Bissées après Besame mucho (Velasquez) repris en chœur par un public conquis, elles offrent un Quizás, quizás, quizás (Osvaldo Farrès) plébiscité par une salle en verve. Un seul bémol, si les interprètes étaient féminines, les compositeurs étaient sans exception masculins… MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 11 octobre à la Maison des arts, Cabriès


32 critiques

D’où naissent les livres

S

orj Chalandon le dit et le répète, tous ses romans sont nés d’une blessure et, au cœur de tous, se tapit la trahison. Une joie féroce ne fait pas exception à la règle. Le journaliste a été reporter de guerre pendant vingt-trois ans ; il a couvert de nombreux conflits : Irlande, Liban, Rwanda… La guerre, il connaît bien. Cette fois c’est une guerre intime qu’il retrace, avec une précision toute journalistique et des détails qui sentent le vécu. Le livre est né de la maladie de sa femme, atteinte, comme son héroïne Jeanne, d’un cancer du sein. De la sienne également, puisqu’on lui a diagnostiqué à lui aussi un cancer quasiment en même temps. Un roman de guerre donc, qui « se joue du cancer », l’utilise pour relater la métamorphose de Jeanne, la façon dont cette gentille petite libraire « sort du livre » et devient une guerrière. Sorj Chalandon adore raconter –c’est ce qui rend les rencontres avec lui si agréables- ; alors il explique tout –il en dit même parfois trop pour ceux qui n’ont pas encore lu ce roman trépidant- et on mesure à quel point celui-ci est plein d’épisodes tirés de sa traversée du cancer. Car il s’y entend, à faire fiction de la vraie vie, à

européennes ». C’est dans cet esprit qu’il a décidé de suivre le Danube, ce fleuve qui traverse dix pays d’Europe Centrale, d’Odessa à Strasbourg. À l’arrivée, 4000 kms à vélo et un livre de 600 pages ! Un ouvrage-fleuve qu’il a voulu « écrire comme on pédale » et qu’on serait bien en peine de classer dans un genre défini. Lui n’en a cure, de ces frontières inutiles ; il navigue à l’aise entre essai et fiction, géographie et histoire, documentaire et même utopie, puisqu’il a inventé (à neuf ans !) un pays, la Zyntarie, qu’on retrouve ici comme dans tous ses ouvrages. Un pays qu’il imagine tout près de la source du Danube…comme par hasard !

Emmanuel Ruben © FR

donner à ce parcours de la combattante une authentique dimension romanesque, sans pathos, dans une langue sobre, qu’il élague pour « rester au plus près ». Ce qui n’empêche pas, au contraire, l’émotion. Qui le rattrape lorsqu’il lit des extraits. Les larmes sourdent, l’ancien bégaiement revient ; cela rend l’homme encore plus sympathique et la rencontre mémorable. Qu’est-ce qui a poussé Emmanuel Ruben Sur la route du Danube (prix Nicolas Bouvier 2019) ? Sans doute sa passion pour les voyages et la géographie, sa volonté d’arpenter l’Europe. Le jeune auteur, remarquable d’érudition et de simplicité, envisage un grand projet de « suite européenne », une sorte de « cartographie littéraire des frontières

FRED ROBERT

Sorj Chalandon et Emmanuel Ruben étaient invités à L’Attrape-mots et à L’Odeur du temps (Marseille) dans le cadre d’Automne en Librairies, une manifestation qui s’est déroulée dans toute la région du 10 au 12 octobre Les chroniques de ces deux livres sont à retrouver dans ce numéro P.58 et 61

L’écorce du bouleau

A

C

M

é G

nnie Terrier, directrice des Écritures Croisées et orga- Vivre dans le monde réel nous ouvre à tout, à la sérendipité, sans nisatrice de la Fête du Livre aixoise -dédiée cette année être programmé par un algorithme ridicule. » Gérard Meuà Caroline Terrier qui l’a tant soutenue et à Toni Mordal, traducteur et journaliste, après avoir souligné combien « Louise Erdrich fait partie des plus grandes voix de rison-, rappelait en présentant l’invitée d’honneur la littérature américaine, conteuse hors pair, qui de l’édition 2019, Louise Erdrich, dont « les puise dans la réalité et la transfigure avec une histoires permettent de découvrir les mythes cachés de notre quotidien, et y puisent une invention inégalable », évoque la fidélité de énergie archaïque capable de sauver l’esl’auteure à son éditeur français, Albin Mipoir », qu’elle était aussi libraire et avait chel, et à sa traductrice, Isabelle Reinharez donné à sa librairie le beau nom d’Écorce qui rapporte combien, chaque fois, ses livres du bouleau. « J’ai commencé la librairie la surprennent, l’étonnent. À la question de pour faire quelque chose avec mes filles, la musicalité omniprésente, que ce soit par l’évocation du sujet soit par la musique des déclare Louise Erdrich, cela m’a rendu plus textes, l’auteure réplique « j’adore la musique consciente de la réalité économique du livre : rard © M ez eu ar da aux USA on voit la finalité du capitalisme, avec dans les mots. Souvent je lis mes livres à haute inh e l, L ouis eR e Erdrich, Isabell des organismes comme Amazon, ce dieu de la rapavoix pour la prosodie. J’entends une musique et c’est cité, la forme ultime du système, avec la fin de la petite librai- le début d’un livre» et nous dit la raison d’être de l’écrit : « la rie, de la petite pâtisserie, enfin de tout ce que l’on aime, qui littérature existe parce qu’elle reflète les secrets des cœurs ». MARYVONNE COLOMBANI crée des liens humains. Tout peut être privatisé aujourd’hui, sponsorisé, le capitalisme a pris contrôle sur nos politiques. Il faut arracher chaque tentacule de cette pieuvre. La littérature, La Fête du livre a eu lieu du 10 et 13 octobre c’est le toucher, l’odeur, l’autre, les interactions avec les autres. à La cité du Livre, Aix-en-Provence


arts visuels

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Figurez-vous… En quatre grands sauts de puce, Fuulguration !!, au Centre d’art contemporain d’Istres, nous engage sur les chemins (parfois détournés) de la figuration.

au premier plan François Mezzapelle, et Henri Cueco, Philippe Mayaux. © Zibeline/ C. Lorin

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aut-il rappeler que l’Artothèque intercommunale de Miramas possède une des plus importantes collection d’œuvres d’art de la région (à emprunter comme des livres !) ? Celle-ci s’est constituée au fur et à mesure, notamment en partenariat avec le Centre d’art contemporain d’Istres. Le parcours istréen propose une traversée sur 26 ans d’expositions suivant le fil de la figuration en quatre salles thématiques : la figuration au fil du dessin, figures et défigurations picturales, bestiaires et créatures, peinture libertaire et rebelle. C’est aussi un voyage composé de petits bout d’histoires de l’art où se mêlent thématiques et expressions plastiques variées, se croisent aînés et plus jeunes. Aux postures critiques d’Equipo Crónica des années 70 répond le travail de détournement de cartes de géographie scolaires

déclassées et réactualisées par Thibault Franc. On aura remarqué dès l’entrée une éclatante huile de Léonardo Crémonini, assurément une des plus séduisantes pièces de la sélection, et plus loin, une série de dessins gris sur papier journal de Laurence Favory suggérant différents niveaux de lecture ou les sculptures animalières anthropomorphes de François Mezzapelle. Dans la « salle découvertes » une sélection d’œuvres, films et livres de la Médiathèque intercommunale invite à prolonger la visite en empruntant des œuvres auprès de l’Artothèque de Miramas. Rencontres, soirée conférence / film et stages pour enfants renforcent le dispositif de médiation indispensable désormais à toute exposition. CLAUDE LORIN

Fuulguration !! jusqu’au 25 janvier Centre d’art contemporain intercommunal, Istres 04 42 55 17 10 ouestprovence.fr


34 arts visuels

L’art est dans la métropole Première édition initiée par le FRAC et la Métropole Aix-Marseille-Provence du « Parcours métropolitain d’art contemporain ». Retour sur la première étape du périple

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e parcours est construit en 4 expositions : deux expositions collectives thématiques L’art de détourner les objets et Il était une fois le paysage ; et deux expositions monographiques, Françoise Pétrovitch et Ymane Fakhir. Le tout décliné en cinq étapes, jusqu’à fin décembre, couvrant cinq bassins de population du territoire. Après être passées par Lambesc en juillet, Pertuis en août, c’est dans une salle de la bibliothèque municipale de Saint Mitre les Remparts qu’on a vu les quelques œuvres, peintures et lavis sur papier de Françoise Pétrovitch. De jeunes silhouettes, plutôt androgynes, aux contours fluides, sur fonds blancs ou colorés, accompagnées d’un oiseau, d’un lapin, d’une plante, ou bien de formes abstraites. Des yeux fermés, deux têtes d’enfants avec des masques d’animaux blancs aux yeux noirs, sur fond rouge et bleu. Des mains qui accueillent, d’autres qui cachent ou cherchent à toucher en vain, ou encore qui tiennent, celle-ci un revolver, celle-là un gant. Les personnages, absorbés dans leurs rêveries, semblent se diluer dans leur environnement, en apparence paisible, mais habité d’une violence sourde. Une peinture sensitive, précise, traversée par des présences et des absences simultanées. Au deuxième étage de la Tour Saint-Louis, à Port Saint-Louis, dans L’art de détourner les objet deux grandes photographies de Natacha Lesueur occupent l’entrée : un dos masculin courbé, et une paire de jambes féminines. Le dos semble être une sorte de pâté recouvert de gelée, truffé au niveau de quelques vertèbres, et la paire de jambes, surmontée d’une mini-jupe et accompagnée d’un sac à

L’art de détourner les objets, Tout Saint-Louis, Port-Saint-Louis-du-Rhône. Crédit photo Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, François Deladerrière

main, est gainée d’une membrane résillée de graisse. La société de consommation et ses corps-objets deviendrait-elle cannibale ? Juste à côté, des croquis de Carlos Kusnir, encadrés sous verre, où il s’amuse à brouiller les pistes entre

corps, image, espace, objet. De l’autre côté de la salle, trois œuvres issues de gestes répétitifs, pour deux démarches voisines : un globe, issu d’une multitude de chewing-gums séchés aux couleurs ternes, mâchés un par un au préalable,

De la photo

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près les peintures de « Chefs-d’œuvre et documents, 1983 – 1999 » voilà le deuxième chapitre du projet de relecture de sa collection initiée à l’automne 2018 par le Frac, dans ses murs de la Joliette, avec « Photographie et documents, 1983-2018 », qui investit les 3 plateaux principaux du bâtiment, les plateaux « expérimental » et « multimédia » étant eux dédiés, en partenariat avec Montevideo et Actoral, au travail du vidéaste et performer André Fortino (lire P.50). Une présence conséquente de la photographie dans cette collection publique régionale, logiquement orientée par la présence des Rencontres d’Arles et de l’École de la photographie d’Arles (le directeur actuel des Rencontres Sam Stourdzé faisant d’ailleurs partie du comité d’experts chargé des acquisitions du Frac). La photographie constitue 30% de la collection, soit 400 œuvres acquises

auprès de 103 artistes pour une collection totale de plus de 1000 œuvres acquises auprès de 544 artistes. L’exposition a été conçue par Pascal Neveux, directeur du lieu, de façon chronologique, avec sur le premier plateau, des petits et moyens formats noir et blanc de photographes devenant peu à peu « plasticiens » (Bernard Plossu, Jean Dieuzaide, Denis Brihat, Arnaud Claass, Christian Milovanoff...). À l’entrée, un accrochage qui claque d’une photographie plasticienne décomplexée avec Talon de Patrick Tosani, Le bruit de Suzanne Lafont ou Le drapeau, triptyque grinçant bleu blanc rouge de Sophie Ristelhueber. Entre le mur du fond et l’entrée, beaucoup de grands formats, et parmi d’autres : un monumental Dieter Appelt, le burlesque décalé d’une série de Joachim Mogarra, un bras gigantesque de Balthasar Burkhard, ou bien encore


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puis assemblés, par l’artiste Jeremy Laffon ; et deux dessins, abstraits, de Yazid Oulab, qui semble vouloir faire émerger de la feuille, à force de l’user en la saturant d’innombrables cercles concentriques et d’impacts de pointes de crayons, quelque chose d’immatériel.

Fausse banalité Enfin à Alleins, au-dessus de Salon, la salle des mariages de l’Hôtel de Ville accueille Il était une fois le paysage. Introduite par de sombres gravures de Mehdi Zannad, Fantômes de villes : pied d’immeuble, entrée fermée d’une résidence, tour CMA-CGM, bout de quartier, le tout en mode apparitions crépusculaires. D’autres apparitions, dans une série de six photographies de Monique Deregibus, prises à Chatila et à Beyrouth, encadrées et posées au sol, se déployant à l’horizontale le long d’un mur. Photographies d’apparences banales, qui, lorsqu’on les regarde attentivement, laissent apparaître et réactivent, petit à petit, des indices d’une histoire violente minant le paysage. En face, accrochée à hauteur des yeux, une photographie de Jean-Marc Bustamante semble travailler les mêmes enjeux temporels, mais de façon moins documentaire, plus « plasticienne » : une pente de colline méditerranéenne, terreuse, broussailleuse et arborée, apparemment banale là aussi. Mais de petites zones de flous, de bougés, apparaissent dans l’image de façon inexplicable, des accélérations dans un paysage fixe. Chourouk Hriech, elle, rassemble de façon verticale et circulaire paysages et temporalités : trois petites colonnes, arrivant à hauteur de genou, constituées de disques en bois de taille moyenne, noirs et

blancs, posés les uns sur les autres. Un empilement temporel au sommet duquel plusieurs perspectives urbaines sont rassemblées, dessinées en noir et blanc, composant des paysages imaginaires, tirant vers l’abstrait. Enfin, d’autres dessins, petits formats, clôturent l’exposition, ceux de Nkanga Otobong, colorés à l’acrylique, sorte de petits morceaux de territoires qui, d’un côté, semblent mis en culture sur des plates-formes se développant en même temps, et de l’autre, sont arrachés du sol, empalés vifs par des aiguilles végétales très très pointues. Le paysage est un conte cruel. MARC VOIRY

Ces expositions seront à nouveau présentées, du 19 octobre au 17 novembre dans les lieux suivants : Françoise Pétrovitch, Théâtre de l’Eden, Sénas Il était une fois le paysage, Médiathèque, Eyguières L’art de détourner les objets, Médiathèque, Meyrargues Ymane Fakhir, Bibliothèque, Fuveau 04 91 91 27 55 fracpaca.org

le vertigineux Bauhaus de Günther Förg. Sur le deuxième plateau, l’évolution dans les années 2000 d’une photographie plus documentaire et politique. Avec parmi d’autres œuvres exposées une émouvante Grisaille marseillaise de Marie Bovo, les vitrines de commerce fermés d’Anna Malagrida, les palestiniens engagés volontaires dans l’armée israélienne

d’Ahlam Shibli, les marginaux de Slab City dans le désert californien de Laura Henno, le travail autour de l’avortement de l’Espagnole Laia Abril, les objets vendus à la sauvette dans les rues de Marseille de Vincent Bonnet, ou les récifs artificiels de Nicolas Floc’h. Le 3ème plateau, au-delà de la mise à disposition de divers documents proposant de s’informer plus avant sur les reMarie BOVO, Grisaille 217, 2010 © Marie Bovo - Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur lations entre Frac et photographie, accueille un projet de recherche : L’usage du temps initié par l’artiste Nicolas Giraud au sein de l’École de la photographie d’Arles depuis 2016, autour de l’une des questions fondamentales de la photographie : la temporalité. On découvre les archives du projet, et une œuvre choisie dans la collection, liée à la marche. Une performance et deux rencontres viendront enrichir cette proposition d’ici fin décembre. M.V.

Photographie et documents, 1983-2018 Une histoire de la collection du Fonds régional d’art contemporain jusqu’au 5 janvier Frac, Marseille 04 91 91 27 55 fracpaca.org


36 arts visuels

L’ami retrouvé L’exposition Picasso mon ami témoigne de la longue amitié qui lia le photographe Lucien Clergue et Picasso sur les murs du hall d’entrée du Grand Théâtre de Provence

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es œuvres exposées ont été offertes par Yolande, Anne (commissaire de l’exposition) et Olivia Clergue au Fonds de dotation Assami qui les a confiées au GTP où elles seront visibles les soirs d’ouverture du théâtre jusqu’au 23 décembre. Ainsi, en attendant l’air de Lulli qui invite à s’installer pour le spectacle programmé, le public a la possibilité d’admirer les photos grand-format réparties dans le vaste hall. La même exposition est visible en parallèle au centre de soins palliatifs La Maison à Gardanne, accessible aux patients, leur famille et le personnel soignant. D’autres lieux de soins, partenaires des Théâtres et de l’Assami bénéficieront dans un deuxième temps de l’exposition, répondant à « l’esprit Assami » qui a, entre autres vocations, celle de contribuer au partage de la culture pour les publics empêchés.

Picasso trouve de vibrants échos dans la série Gitans, arlequins et saltimbanques : vivacité de la danse de Draga en robe à pois, (Saintes-Maries-de-la-Mer, 1958), pose rêveuse de l’Arlequin, (Arles, 1955), irréductible enthousiasme musical de la Jeune fille à la guitare cassée, (Saintes-Maries-de-la-Mer, 1957), vertigineuse géométrie du Funambule traversant le Rhône (Arles, 1956)… Les rencontres avec les proches du peintre sont évoquées, celle avec Cocteau, dont les clichés sont pris lors du tournage du Testament d’Orphée, dont l’Homme-cheval évolue encore dans la carrière des Baux… Puis, voici Manitas de Plata en train d’allumer une cigarette en mai 1966, tandis que l’un de ses amis boit à la régalade. Lucien Clergue fut en quelque sorte le Pygmalion du guitariste qu’il avait rencontré en 1955 aux Saintes-Maries-de-la-Mer : il le présenta à Picasso, qui Parce que c’était devint son ami, et en 1961 le lui, parce que c’était mit en relation avec le directeur de la Maison de disques moi… Connoisseur, Alan Silver qui « Tes photographies sont les carnets de croquis du Bon Dieu », cherchait vainement à entrer se plaisait à dire Picasso à son en contact avec lui… ami Lucien Clergue. Leurs Autre cliché qui dit tant de l’in53 ans de différence n’étaient timité des deux artistes, celui rien tant la complicité entre de Picasso au miroir (1955) : la les deux artistes était forte. Le photographie est prise dans peintre « avait une telle façon de l’atelier du maître dans sa villa vous mettre de plein pied avec « La Californie » à Cannes. Le lui ! » écrira le photographe. À Draga en robe à pois Saintes Maries de la mer, 1958 © Atelier Lucien Clergue miroir ne reflète pas le peintre, 19 ans, il rencontre le maître mais la suspension qui éclaire à Arles en 1953. Leur amitié durera vingt ans jusqu’à la mort la pièce et un personnage découpé qui trône en son centre. Le de Picasso en 1973. À travers le jeu des photographies, on peut sujet fictionnel prend toute la place, ombre de l’être de chair se plaire à chercher les éléments de filiation, rêver aux cor- qui pose… une mise en scène du propos même de l’artiste ? respondances entre les tirages noir et blanc et les tableaux Les cadrages photographiques sont ceux d’un peintre, en un du père de Guernica. L’intérêt du peintre pour le photographe équilibre parfait entre pleins et vides, mouvements et organine se contentait pas d’une simple bienveillance mais allait sation de l’espace… saisis dans une palette sensible qui laisse jusqu’à la collaboration : Picasso dessinera quelques cou- sourdre l’émotion de l’instant. MARYVONNE COLOMBANI vertures de livres du photographe. Étonnamment aucune échelle de valeur ne se glisse entre les deux arts qui semblent Picasso, mon ami ici s’épauler et converser. jusqu’au 23 décembre (les soirs de spectacle) Grand théâtre de Provence, Aix-en-Provence & Centre L’histoire d’une filiation de soins palliatifs La Maison, Gardanne L’univers des saltimbanques chers à la « période rose » de 08 2013 2013 lestheatres.net


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Entre les arbres et les hommes L’exposition du Centre d’Art Contemporain de Châteauvert, Arbres, l’intime échange, semble être une émanation de la nature qui entoure le lieu

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es deux commissaires de l’exposition, Li Ragu et Michel Muraour, artistes eux-mêmes, sourient en évoquant ce qui a suscité l’envie d’une telle exposition : « l’arbre est devenu un phénomène de mode, de société, depuis La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben ». C’est une visite chez le plasticien Yves Conte qui a tout déclenché, avec la découverte du livre du peintre Alexandre Hollan, Je suis ce que je vois. En plus de quelques-uns de ses fameux arbres au fusain, l’un de ses principes se trouve en exergue de l’exposition : « Le monde autre qu’humain, le monde de la nature est habité par l’inconnu. Certains arbres sont des portes ». Aux quinze artistes invités est laissé le soin de les ouvrir, dans le parcours de cette exposition qui trouve sa propre respiration dans l’organisation claire des espaces où la couleur s’invite avec une juste sobriété. Parmi les angles d’approche, on ne peut que se laisser séduire par celui de Joseph Beuys, l’un des fondateurs du parti écologiste allemand, qui préconise la « sculpture sociale », autrement dit le mouvement collectif qui mène à la réalisation d’un acte artistique, ainsi, celui des 7000 chênes (1984). Chaque arbre était accompagné d’une pierre basaltique dressée, de 1m20 de hauteur, témoin fixe de l’exploit du vivant, dans cette tentative de transcender l’histoire, de générer l’utopie et révéler ce héros qu’est l’humain. L’art comme un baume qui soigne le monde se retrouve aussi dans la construction symbolique d’Élodie Barthélémy, La cérémonie du Bois Caïman, qui nous rappelle l’événement majeur qui a conduit à l’insurrection des esclaves et à l’indépendance d’Haïti : arbre sacré, autel où se scella l’acte de sang des insurgés, et l’entremise du tambour, ce « Bois debout » qui conjugue l’énergie des arbres et celle des révoltés. L’arbre devient le trait-d’union entre les êtres, rassembleur et bienveillant comme Le manguier de Maputo de Michel Loye, qui abrite de son ombre immense la vie sociale. Abri,

refuge, l’arbre est aussi celui qui, coupé, donne accès à la connaissance, en devenant papier, dans l’installation du même artiste L’écrit des cernes. Union encore, fusion amoureuse des êtres avec les trois sculptures des Baobabs amoureux de

Billon convoque l’imaginaire médiéval et entraîne des silhouettes d’arbres dans la ronde sans fin d’une danse macabre. Les feuilles de figuier de Gérald Thupinier s’imprègnent d’une palette colorée issue du Quattrocento. Couleurs auxquelles répondent les « couché dessous » d’Yves Conte dans sa perception quasi fauviste des frondaisons. Angelica Julner témoigne des activités humaines sur la nature, décèle l’insolite des choses comme le bleu de Klein sur un

Alexandre Hollan, Le grand chêne dansant, fusain © Illès Sarkantyu

Yoyo Sorlin, mythe d’une tentation de l’absolu, parcourue des trois éléments, terre, eau, air, alors que Sylviane Bykowski nous interpelle en brossant au fil de ses photographies un portrait quasi anthropomorphique des palmiers qui meurent sur la côte.

Frontières abolies La distinction dans les œuvres exposées entre nature et humain n’est plus… Du geste de Christian Nironi, naissent les arbres, émouvants dans leur émergence au cœur de taches d’encre, ou d’échafaudages de fils de fer rouillés, les mémoires anciennes viennent alimenter l’imaginaire. Albane Hupin sollicite les arbres en tant que source de matières, Charlotte-Agnès Dugauquier métisse l’éphémère et le spirituel, explore la nature dans sa respiration et l’inscrit dans une mémoire universelle. Emmanuel

arbre… tandis qu’Henri Olivier s’identifie à l’arbre qui porte son nom, et lui rend une ombre décuplée de ses propres reflets. Enfin, jonction entre le dedans et le dehors, les installations et sculptures de Charlotte B. Lacordaire redonnent vie au métal et le végétalisent en souples hampes issues de l’industrie et rendues à l’état de roseaux… pensants ? MARYVONNE COLOMBANI

Arbres, l’intime échange jusqu’au 1er décembre Centre d’Art Contemporain, Châteauvert acac83.fr

à venir 9 novembre 16h Conférence (entrée libre) de Jonathan Vidal anthropologue (travaille au conservatoire d’espaces naturels Provence Côte d’Azur, Pôle Var)


38 arts visuels

Ligne très claire Le Musée de Lodève invite son confrère d’Ixelles qui exporte quelques-unes de ses pièces maitresses et offre un regard sur la spécificité de la peinture belge

«L

es pieds dans le sol, la tête dans les étoiles. » Ça n’est pas une formule lancée en l’air. Claire Leblanc, conservatrice du Musée d’Ixelles et commissaire de l’exposition présentée au Musée de Lodève, la prononce avec une réelle affection, une connivence certaine avec cet art belge dont elle décrit ainsi les traits spécifiques. En 90 œuvres exportées depuis Bruxelles (Ixelles est l’une des communes qui forment la ville), elle guide nos pas à travers neuf thématiques chronologiques dans les inspirations des peintres de cette jeune nation née en 1830 avec la « Vague paysagiste », absorbant, pour mieux les réinventer, les grands courants picturaux nés au creuset des XIXe et XXe siècles. Si le parti pris du parcours linéaire manque peut-être un peu de relief, l’accrochage est au contraire particulièrement réussi, associant pertinemment couleurs, regards, gestes, et dégage presque dans chaque salle une toile dont la commissaire, Belge d’adoption, confie que c’est l’une de ses préférées, que le peintre mériterait d’être mieux représenté, qu’elle espère que « cette exposition contribuera à déclencher des envies chez les conservateurs ». La Belgique a reconnu toute l’avant-garde européenne plus tôt et mieux que dans les pays d’origine des peintres qu’ils invitaient et comprenaient, il est en effet aujourd’hui grand temps de plonger dans l’univers « ancré dans le réel, toujours tourné vers le rêve » de la peinture belge. Plaisir du pinceau, engagement du corps dans l’acte de peindre :

René Magritte, L’Heureux donateur, 1966. Huile sur toile. © ADAGP Paris 2019, photo Musée d’Ixelles

on le perçoit très fortement dans la première section préimpressionniste. L’Efeil de Théodore Baron étonne et fascine dans ses teintes inhabituellement marrons, le trait évoquant une tornade de terre sous un ciel étrangement calme. Hippolyte Boulenger inverse le propos en laissant le saisissant Ciel nuageux envahir presque totalement sa toile : au-dessus d’une mer réduite à un trait, le mouvement, la vie, se concentrent dans la matière des nuages, que le peintre nous permet de scruter à hauteur d’oiseau, portés par le vent. Cette introduction dégage un fort sentiment de liberté dans l’appréhension des formes, sur le fil entre réalisme et quasi abstraction, où

Rencontre au sommet

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ustave Courbet a cette année 200 dernière collaboration avant son départ surtout fasciné par son audace, sa moans, et à Montpellier, ville de son pour la direction du CIRVA à Marseille) dernité, jusqu’à aujourd’hui où il insmécène Alfred Bruyas qui l’y invita nous proposent des pistes pour percer le pire nombre d’artistes contemporains. pour ainsi dire « en résidence artistique » mystère de ce tableau qui a tant divisé et Fortune d’un chef-d’œuvre : l’exposition en 1854, le musée Fabre fête raconte son « odyssée » (S. Colol’anniversaire en initiant la diet), retrace son itinéraire. Pour première d’une série d’expocommencer, les sources iconograsitions qui se propose de faire phiques qui ont inspiré son auteur : le focus sur une œuvre de son le pèlerin, le marchand ambulant, fonds. Et quelle œuvre, pour ce le juif errant - figures dans lescoup d’envoi d’« Au fil des colquelles s’est glissé Courbet qui arlections », puisqu’il s’agit de son rive triomphant devant le mécène emblématique La Rencontre, et son valet. Puis les retombées ou Bonjour Monsieur Courbet ! « médiatiques » de la présentation (1854). Ainsi, en quatre sections de la toile en 1855, créant la desticoncentrées sur trois salles, les née de ce « tableau-événement » : commissaires Michel Hilaire les critiques, les caricatures, les (directeur du musée) et Starécits de la découverte du tableau nislas Colodiet (dont c’est la COTTET René (graveur), Timbre d’après La Rencontre, de Gustave Courbet, Émission le lors de l’Exposition universelle. 12 novembre 1962, Retrait le 12 octobre 1963, 5,3 × 4,1cm, Montpellier, collection particulière © Numérisation Steve GAVARD – Reproduction interdite sans autorisation


39 vagues, nuages, terre sombre, ciel embrasés par le Soleil couchant (Louis Dubois) deviennent des entités de rapports de couleurs et d’épaisseurs de peinture, et le pinceau celui qui raconte l’histoire à la première personne. Chez les impressionnistes, les travaux présentés sont également d’une très grande richesse, avec les toiles de Théo Van Rysselberghe et Émil Claus qui réinterprètent le pointillisme de Seurat avec des touches plus larges, presque des aplats, vibrants et sensibles, les Dunes au soleil d’Anna Boch (la seule personne à avoir acheté un tableau de Van Gogh du vivant du peintre, ce qui en dit long sur l’ouverture artistique de nos voisins) oscillent entre petites touches abstraites et composition puissante et James Ensor clôture la section avec le quasi psychédélique Christ apaisant la tempête. Alors bien sûr on retrouvera, après les intéressants symbolistes (magnifique pastel de William Degouve de Nuncques, Paysage, effet de nuit, bleu liquide et brumeux), les importants fauvistes (Willem Paerels) quatre toiles de Magritte, avec ses thématiques « faussement naïves, faussement gentilles », dont son testamentaire L’Heureux donateur, mais le surréalisme est ici le mieux représenté par un de ceux qui n’ont pas signé le manifeste, Paul Delvaux. Ses modèles féminins glacés, souvent nus, dans des univers qui s’apparentent à des décors, désincarnés, ouvrent des perspectives qui sont loin d’avoir été défrichées, et on se réjouit de tous ces mystères encore à explorer.

Femme au pluriel

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e Mo.Co. La Panacée revient, après les deux expositions transitoires précédent l’ouverture de l’Hôtel des collections, à sa mission de vitrine de l’art émergent, celui qui « invente des formes, tout simplement » (Nicolas Bourriaud, directeur). Et le voyage est consistant. Puissance du discours, déconstruction des matières, incursion dans des mondes inconnus et retrouvés : nous sommes bien là au cœur de questionnements qui interpellent et nourrissent notre quotidien. Réunir ainsi la sculptrice Caroline Achaintre, dont c’est ici l’une des premières monographie en France, la plasticienne Estrid Lutz et la peintre Ambera Wellmann, qui présentent leur première exposition dans une institution publique, relève d’un choix presque provocateur (ou au contraire consensuel, à chacun d’en juger), dans ces temps où le monopole masculin ignore encore superbement une quelconque parité. Bref, et bien au-delà de ces considérations, ces trois démarches sont à découvrir pour leur originalité et leur force. Les toiles de Wellmann sont captivantes : collages, renversement des corps et des genres, découpages, fusions, pulsions, nudité flagrante et pourtant brouillée, Bacon n’est pas loin, Picasso pointe ici et là sa figure tutélaire, Goya veille... Et justement l’artiste, qui s’en revendique, affirme là son indépen-

ANNA ZISMAN

Ensor, Magritte, Alechinsky... Chefs-d’œuvre du Musée d’Ixelles Musée de Lodève 04 67 88 86 10 museedelodeve.fr

Une vitrine (sur laquelle trône ce qui ressemble bien au bâton à bout ferré fièrement tenu par le peintre, conservé au musée Courbet d’Ornans) présente ensuite la vie du chef-d’œuvre, désormais avéré : des documents émouvants permettent de pénétrer dans les coulisses du musée, dévoilant des demandes de reproduction, de prêt, les démarches accomplies pour l’édition d’un timbre à son image,... Enfin, la dernière section évoque la descendance contemporaine de La Rencontre, avec dix travaux qui lui sont directement reliés et dont L’Impossible rencontre, réalisé spécialement pour l’occasion par Yan Pei-Ming, mérite à lui seul la visite. Dialogue, bien réel, entre deux « monstres » de la peinture, au sommet de leur art.

Ambera Wellmann, Yurning, 2019, 152 x 140 cm, Photo: Gunter Lepkowski Courtesy : Ambera Wellmann ; Kraupa-Tuskany Zeidler, Berlin

dance face aux maitres de l’histoire de l’art en produisant une œuvre « féministe et queer ». Estrid Lutz a créé, lors d’une résidence de deux mois à Montpellier, une installation immersive, qui plonge littéralement le public dans un océan suspendu (des pièces en Kevlar, polycarbonate, pigments colorés) et sonore (Erwan Sene) : des morceaux d’un monde composite, invitant à une expérience quasi in utero. Les masques tissés géants de Caroline Achaintre parlent, crient, se moquent, consolent, sans un mot ni bruit, tout dans les creux et les pleins de ces masses laineuses à la troublante expression ; et les mouvements figés de ses céramiques, habitées encore des pulsations de ses créatures douces et inquiétantes, n’ont pas fini de nous habiter.

A.Z.

Bonjour Monsieur Courbet ! Fortune d’un chef-d’œuvre jusqu’au 19 janvier Musée Fabre, Montpellier museefabre.fr

A.Z.

jusqu’au 5 janvier Mo.Co. La Panacée, Montpellier moco.art


40 au programme spectacles bouches-du-rhône

L’incivile

Reprise par la troupe de la Comédie Française de la mise en scène de Claude Stratz, metteur en scène suisse, qui a fait date. Écrite par Molière aux heures les plus sombres de sa vie, abordée par Stratz comme une « comédie crépusculaire teintée d’amertume et de mélancolie » et déguisée en farce satirique peuplée de vrai-faux malade, vraifaux médecin, vrai-faux maître de musique, un spectacle aussi émouvant que festif.

L’ordre des choses La PMA et l’auto-conservation des ovocytes dans une comédie de boulevard ! Le texte est signé Marc Fayet, la mise en scène Richard Berry. Un trio : père soi-disant stérile, fils du père en recherche de père et éventuellement d’une maîtresse, et une femme pas insensible au charme du fils de son amant, interprétés respectivement par Pascal Légitimus, Vincent Desagnat et Pascale Louange. Le désir d’enfant, la procréation assistée et son éthique, en mode humour.

Une Antigone de Sophocle, interprétée voilée, dans le spectacle de fin d’année, voilà qui remue l’équipe pédagogique du lycée ! Les choses vont se nouer et se dénouer dans le huis clos d’un conseil de discipline. Spectacle choral élaboré lors d’ateliers en lycée, mis en scène de façon sobre et efficace par Ido Shaked (Théâtre Majâz), qui axe sa démarche avec détermination autour de « l’exploration des enjeux de territoires et de frontières, réelles ou imaginaires ». © Céline Nieszawer

23 au 26 octobre La Criée, Marseille 04 91 54 70 54 theatre-lacriee.com

© Nicolas Martinez

© Christophe Raynaud de Lage

Le malade imaginaire

24 au 27 octobre Le Gymnase, Marseille 08 2013 2013 lestheatres.net

La vie de Galilée

14 au 16 novembre Théâtre Joliette, Marseille 04 91 90 74 28 theatrejoliette.fr

UPOP / Le travail

Et pourtant elle tourne ! C’est Philippe Torreton, entouré d’une dizaine d’interprètes (qui incarnent plus d’une quarantaine de personnages) qui joue le rôle de Galilée, l’homme qui confirma, après Copernic, que la terre n’était pas au centre de l’univers, ce qui, comme on le sait, ne lui attira pas que des amis. Une pièce de troupe en 15 tableaux, écrite par Brecht en pleine période nazie, qui narre le combat de la vérité contre l’obscurantisme, mise en scène ici par Claudia Stavisky. 5 au 7 novembre La Criée, Marseille 04 91 54 70 54 theatre-lacriee.com

5 au 9 novembre Théâtre Joliette, Marseille 04 91 90 74 28 theatrejoliette.fr

Renato Di Ruzza © X-D.R

Maurice Vinçon de retour sur scène ! L’ancien directeur de l’ancien théâtre de Lenche, acteur et metteur en scène, a été interpellé par ce texte de Bernard Mazéas écrit en 2016, « qui questionne l’acte artistique, son processus et son inspiration dans un compte à rebours tragique ». Une création, un monologue, qui met en miroir crise d’inspiration et perte de sens dans nos sociétés contemporaines.

© Pierick Jeannoutot -Agence Zen

© Simon Gosselin

Incident à Gaveau

Qu’est-ce que le travail ? Et à l’heure d’une précarisation des travailleurs toujours plus grande, comment le changer ? Vaste question, posée à l’Université populaire. C’est l’économiste Renato di Ruzza, actuellement directeur du département d’ergologie de l’Université de Provence, qui viendra en parler. 21 & 28 octobre Casa Consolat, Marseille 09 52 91 66 99 casaconsolat.org


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Entre autres

La clairière du grand n’importe quoi

UPOP / Faire tomber les murs

23 octobre Bibliothèque de l’Alcazar, Marseille 04 91 55 90 00 bmvr.marseille.fr

Sous la direction artistique de Nicolas Dumont, le Marginalz Crew est un collectif de danseurs, musiciens et graphistes issus de la culture hip-hop. Être grands spécialistes de battles, ces confrontations ritualisées entre danseurs tous plus spectaculaires les uns que les autres, ne les empêche pas de pratiquer l’introspection philosophique. Entre autres leur permet d’explorer les chemins de la connaissance de soi.

Alain Béhar nous projette en 2043. Il ne fait pas bon vivre sur Terre : elle tourne carrément à l’envers, semant la zizanie dans la géopolitique ! Le continent africain disparaît sous les eaux, la faute au changement climatique, et ses habitants n’ont plus le choix, il va falloir se réfugier... dans l’imaginaire. Étonnamment, tout se passe très bien, à bord du grand bateau en papier sur lequel embarque la foule des exilés.

22 & 23 octobre Bois de l’Aune, Aix-en-Provence 04 88 71 74 80 boisdelaune.fr

© Sellig Nossam

Agathe Cagé © BALTEL-FAYARD

© CIACU

En prémisse au colloque « Les Murs » qui aura lieu au Mucem fin novembre, l’Université Populaire de Marseille-Métropole invite Agathe Cagé à l’Alcazar, pour présenter son livre Faire tomber les murs, entre intellectuels et politiques. Docteure en Sciences Politiques, ancienne directrice adjointe des ministres de l’Éducation nationale de 2014 à 2017, elle est également coordinatrice et cofondatrice du think-tank « Cartes sur table ».

5 & 6 novembre Bois de l’Aune, Aix-en-Provence 04 88 71 74 80 boisdelaune.fr

La rose des vents

La fin de l’homme rouge

Les Sea Girls, au pouvoir !

© DR

Lise Laffont, Judith Rémy, Prunella Rivière et Delphine Simon : un quatuor détonnant qui fait de la chanson politique, ou de la politique en chansons. Elles s’inspirent librement d’une comédie antique, L’assemblée des femmes. Pied de nez à Aristophane, lequel ironisait sur le manque de portée de la réflexion féminine, elles en récupèrent bien des idées intéressantes aujourd’hui : la mise en commun des biens de la cité, par exemple.

Huit jeunes circassiens formés à l’école marocaine Shems’y sont dirigés par la chorégraphe Aïcha Aouad. Un spectacle hybride, entre danse et acrobaties, accompagné en direct par les musiciens du groupe Aksak. À voir à partir de 8 ans, dans le cadre de Mômaix, temps fort automnal du spectacle vivant jeune public à Aix-en-Provence.

Elle fut la première auteurE de langue russe à recevoir le prix Nobel de littérature. Svetlana Aleksievitch a écrit une œuvre exceptionnelle, aux confins du journalisme et de la littérature, en s’intéressant avant tout à ceux qui ne sont pas pris en compte par l’Histoire. Le metteur en scène Emmanuel Meirieu s’empare des témoignages qu’elle a récoltés, qu’ils émanent de survivants du goulag, décontaminateurs de Tchernobyl, ou soldats de la révolution d’Octobre.

© DRl

© Nicolas Martinez

25 & 26 octobre Bois de l’Aune, Aix-en-Provence 04 88 71 74 80 boisdelaune.fr

30 octobre Le Comoedia, Aubagne 04 42 18 19 88 aubagne.fr

5 au 7 novembre Jeu de Paume, Aix-en-Provence 08 2013 2013 lestheatres.net


42 au programme spectacles bouches-du-rhône var

Hotel

3D

Le Cirque Éloise tourne depuis un quart de siècle, et pour fêter cela, nous invite dans l’univers luxueux des grands hôtels. Douze artistes, musiciens et acrobates, enchaînent les prestations ébouriffantes, dans un univers art déco du plus bel effet, où s’entrecroisent une soubrette espiègle, un majordome un peu dépassé par les événements, et l’inénarrable chien Carpette.

Si vous ne connaissez pas l’œuvre puissamment originale du dessinateur jeunesse Claude Ponti, voilà l’occasion de la découvrir, à travers ce spectacle où vous pourrez accompagner les enfants de votre entourage, à partir de 4 ans (nul doute qu’ils le connaissent, eux). Isabelle Florido incarne la petite aventurière Hippolène, qui apprend à dépasser ses peurs. Représentation bilingue en langue des signes.

22 au 24 octobre Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence 08 2013 2013 lestheatres.net

Halka

29 & 30 octobre Les Salins, Martigues 04 42 49 02 00 theatre-des-salins.fr

Une création collective du Groupe Acrobatique de Tanger, quatorze artistes à l’énergie débordante, qui puisent dans la riche tradition de spectacles en plein air du Maroc. Leur performance s’accompagne de poésie, chants et percussions. La compagnie « place la culture populaire au cœur de son projet, une culture militante et démocratique, accessible à tous », et ça se sent !

La chorégraphe Blanca Li explore pour la troisième fois, avec son abattage habituel, le registre de la danse électro, née dans les années 2000 à Paris. Une discipline aux mouvements inspirés du hip hop, mais extrêmement rapides, qui se pratique sur des airs oscillant entre le baroque et la musique industrielle. L’énergie féroce de la rue est dans son ADN.

Il était funambule, mais le circassien Jonathan Guichard a eu envie de tenter d’autres équilibres, en créant son propre agrès, une demi-lune en bois et fil métallique, assortie d’un petit gradin circulaire, pour être plus proche des spectateurs. Il en utilise les propriétés sonores, accompagné du musicien Mikaël Le Guillou. À voir en famille, à partir de 5 ans. 30 octobre Le Sémaphore, Port-de-Bouc 04 42 06 39 09 theatre-semaphore-portdebouc.com

© Jeanne Valés

© Richard Haughton

Elektrik

© João Paulo Santos

L’arbre sans fin

George Dandin

© Laurent Philippe

5 & 6 novembre Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence 08 2013 2013 lestheatres.net

29 octobre Les Salins, Martigues 04 42 49 02 00 theatre-des-salins.fr

Jean-Pierre Vincent fait de George Dandin, ce paysan qui s’est offert une femme au sang bleu, « un fou de parvenu abattu en plein vol ». Le symptôme, en somme, de « ce vieux pays où nous pataugeons », la France, qui n’a pas changé autant qu’on aurait pu l’espérer depuis l’époque de Molière. Les possibilités d’ascension sociale y sont toujours fort maigres, tandis que les femmes ont encore à lutter au quotidien pour défendre leurs droits. 5 novembre Théâtre de l’Olivier, Istres 04 42 56 48 48 scenesetcines.fr 8 au 10 novembre Théâtre Liberté, Toulon 04 98 00 56 76 theatre-liberte.fr


43

au programme spectacles bouches-du-rhône vaucluse alpes

Feutrine

Ballade à quatre

Un jongleur (Caio Sorana) et un acrobate (Clément Malin), immergés dans un espace fait de grands cartons, vont tester tous les équilibres possibles avec force empilements et jetés en tous genres ! Toujours au bord de la catastrophe, mais en faisant montre d’une grande virtuosité, ils se rendront maîtres de cet univers aussi absurde que fragile.

Il est autant question de jonglage que de musique dans cet incroyable ballet aérien de balles musicales acoustiques ! Les quatre jongleurs musiciens chanteurs (Vincent de Lavenère, Bogdan Illouz, Laurent Pareti et Martin Schwietzke) créent une composition polyphonique où chaque balle a un son, à l’impact ou durant son vol, chaque mouvement déclenche une sonorité, une mélodie, un rythme visuel qui se transforme en partitions. Une jonglerie qui s’écoute autant qu’elle se regarde !

24 octobre L’Alpilium, Saint-Rémy-de-Provence 04 90 92 70 37 mairie-saintremydeprovence.fr

S’emparant peu à peu de la gouvernance municipale, une famille de notables en profite pour augmenter l’immeuble où ils vivent d’étages supplémentaires. Plus la tour sera haute, plus leur pouvoir sur les habitants sera important. Jusqu’à ce qu’une des filles de la famille, artiste et frondeuse, se mette en tête de creuser des galeries dans le sous-sol… Le Théâtre du Verseau met en scène le texte de Sandrine Roche (éd. Théâtrales).

© Chant de balles

© Chantal Droller

© Leïla Brahimi

Inbox

29 octobre Théâtre Durance, Château Arnoux-Saint-Auban 04 92 64 27 34 theatredurance.fr

24 & 25 octobre Théâtre des Carmes, Avignon 04 90 82 20 47 theatredescarmes.com

Paroles de gonz’

Taïga (comédie du réel)

Qu’est-ce qu’être un homme aujourd’hui ? Pour bousculer et démonter les préjugés sur l’identité masculine, Nadjette Boughalem, ex médiatrice sociale et culturelle dans le quartier de Champfleury, est allée chercher des gonzes (des mecs), à qui on a appris à être le mâle, le combattant. À partir d’ateliers d’écriture, et de textes de Louis Calaferte et d’Olivier Py, elle met en scène des gonzes et gonzesses qui jouent et dansent les rapports des hommes avec la parentalité, l’intime, la politique, l’homosexualité…

Après T.I.N.A et Quatorze, la Compagnie Cassandre crée à nouveau une « comédie documentée » en questionnant « l’affaire de Tarnac » par le prisme du théâtre. Grâce à l’expertise de deux membres du Syndicat de la magistrature pour l’écriture du texte, le collectif remonte le fil de l’un des plus grands fiasco judiciaires français du début du XXIe siècle. Une belle réflexion sur les dérives sécuritaires et médiatiques et sur l’application des lois antiterroristes.

26 & 27 octobre Théâtre des Halles, Avignon 04 32 76 24 51 theatredeshalles.com

Le trio de Naïf Production danse La mécanique des ombres, un éloge de la fraternité qui ne peut advenir que grâce à un équilibre commun. Cagoulés, le visage à peine perceptible, Sylvain Bouillet, Mathieu Desseigne et Lucien Reynès se déplacent comme des aimants, un geste magnétisant l’autre, et tentent l’impossible : communiquer. 25 octobre Le Vélo Théâtre, Apt 04 90 04 85 25 velotheatre.com

© Clément Saïoni

© Christophe Reynaud De Lage

© Elian Bachini

La mécaniques des ombres

5 & 6 novembre Théâtre La Passerelle, Gap 12 novembre Salle Guy Obino, Vitrolles 04 42 02 46 50 ville-vitrolles13.fr


44 au programme spectacles alpes var alpes-maritimes

Le cirque des éléphants

En compagnie de Nijinski

Ces éléphants-là ne mesurent que quelques centimètres, mais ils savent et peuvent tout faire ! Des acrobaties de trompe à trompe, du funambulisme, de la musique, du jonglage, et même du dressage… de souris. Les marionnettes cousues main de Cécile Guillot Doat et Jean-Marie Doat donnent vie à une merveilleuse piste aux étoiles miniature qui réjouira les tout-petits dès 2 ans.

Gilles Cailleau relève un défi fou : il s’empare à lui tout seul du monument de théâtre Bérénice, de Racine. Il se démultiplie en six personnages, qu’il incarne avec le verbe classique, relevé de tournures contemporaines, et dont les quotidiens sont devenus les nôtres. Il reste que le propos traite d’une histoire d’amour contrarié entre jeunes gens, une tragédie toujours d’actualité, avec ici des figures toutes proches de nous. © Philppe Favier

© François Leyge

Gilles et Bérénice

4 au 8 novembre Théâtre du Briançonnais 04 92 25 52 42 theatre-du-brianconnais.eu

© Attention fragile

Un cœur simple

Les Ballets de Monte Carlo rendent hommage au flamboyant Nijinski avec quatre ballets qui lui font écho. Daphnis & Chloé (2010, chorégraphie Jean-Christophe Maillot), Le spectre de la rose (2009, Marco Goecke), Aimai-je un rêve ? (2018, Jeroen Verbruggen) et Petrouchka (2018, Johan Inger). Le tout mis en musique (dans l’ordre : Ravel, von Weber, Debussy, Stravinski) par l’Orchestre Philarmonique de Monte Carlo. 23 au 25 octobre Opéra de Monte-Carlo 377 98 06 28 55 balletsdemontecarlo.com

5, 7 & 8 novembre Théâtres en Dracénie, Draguignan 04 94 50 59 59 theatresendracenie.com

Imprévus 1

© I. Andreani

La mécanique du hasard

Isabelle Andréani excelle à incarner la joie de vivre de Félicité, la « bonne parfaite » selon Flaubert, auteur de cette nouvelle adaptée par la Cie Les Larrons, où la vie s’écoule au rythme du dévouement et de l’abnégation d’une femme qui trouve son bonheur dans les tout petits rien de la vie, aux côtés de son perroquet. Mis en scène par Xavier Lemaire, c’est un moment d’une sensibilité rare. La comédienne a été nominée aux Molières 2019. 5 novembre Espace Comedia, Toulon 04 94 42 71 01 espacecomedia.com

En adaptant le foisonnant roman américain de Louis Sachar (Le Passage, 1992) Olivier Letellier (Théâtre du Phare) nous embarque dans un road movie, avec Stanley dans son camp de redressement. Voyage initiatique, où libre arbitre et héritage social sont questionnés, le récit est porté par deux comédiens (Fiona Chauvin et Guillaume Fafiotte) qui naviguent entre un texte très concret et un imaginaire qu’ils nous laissent investir pleinement. À partir de 9 ans. 5 novembre Le Pôle, Le Revest-les-Eaux 0 800 083 224 le-pole.fr 8 novembre Théâtre de la Licorne, Cannes 04 97 06 44 90 cannes.com

Ce sont les élèves de l’Académie Princesse Grace qui ouvrent les premiers Imprévus de la saison. Les possesseurs de la carte « Ballets de Monte-Carlo » pourront ainsi découvrir les talents en gestation (de 13 à 18 ans), qui à l’issue de cette formation seront amenés à intégrer les meilleures compagnies internationales. 5 au 7 novembre Atelier des Ballets de Monte-Carlo 377 98 06 28 55 balletsdemontecarlo.com


45

au programme spectacles alpes-maritimes hérault musiques bouches-du-rhône

La reine de Saba

Ne surtout pas croire que ces musiciens qui nous emportent au-delà du monde par leurs œuvres ne savaient pas goûter aux plaisirs des papilles ! Bach dit-on raffolait de la bière, Rossini a donné son nom à un plat célèbre… Bénédicte Pereira et Emmanuel Trenque nous convient, en une direction enjouée à quatre mains, à entendre le Chœur d’artistes lyrique marseillais dans de savoureuses compositions de Rutter, Rossini, Bernstein, Françaix, Hahn, Legrand, De Séverac, Messager… Bon appétit !

Bénédicte Péreira © DR

20 octobre Abbaye Saint-Victor, Marseille 06 66 12 45 11 lesamisdesaintvictor.com

22 au 30 octobre Opéra, Marseille 04 91 55 11 10 opera.marseille.fr

Alpheus Bellulus / Petit Papier

Les Puritains

Ernest et Célestine

Alpheus Bellulus © Romain Escuriola

Jessica Pratt May © B. Ealovega

Le festival de spectacles pour enfants Saperlipopette essaime tout au long de l’année avant d’éclore en mai. Le CollectiHiHiHif est invité à présenter sa création 2016, duo de clowns (Alpheus et Bellulus) plongé dans une réflexion sur les changements d’échelles. Du cirque entre illusion et réalité, par le prisme de l’art numérique. Dès 5 ans. Autre duo, (Cie La Conciergerie) Petit papier s’adresse aux petits dès 3 ans, avec un théâtre d’objets aux images douces qui parlent du temps qui passe.

23 & 24 octobre Domaine d’O, Montpellier 0 800 200 165 domainedo.fr

Peu joué, cet opéra de Gounod qui s’inspire de la légende d’Hiram, ce maître architecte qui construisit le temple de Salomon ! Les librettistes Jules Barbier et Michel Carré, reprenant le nom que Nerval lui attribue dans son Voyage en Orient, Adoniram, déclinent une impossible histoire d’amour entre l’architecte (Jean-Pierre Furlan) et la Reine de Saba, Balkis, (Karine Deshayes), venue à Jérusalem pour y épouser le roi Salomon (Nicolas Courjal)… Intrigue palpitante et grands moments musicaux sous la houlette de Victorien Vanoosten en version concertante.

L’action se déroule à Plymouth dans l’Angleterre de Cromwell, peu après la décapitation de Charles 1er en plein affrontement entre les Stuarts et les Puritains. Le sublime opéra de Bellini met en scène les amours d’Elvira (Jessica Pratt) qui côtoie la folie lorsqu’elle se croit trahie par son fiancé, Arturo (Yijie Shi) qui a aidé à fuir Henriette (Julie Pasturaud), la reine promise au même sort que son époux… Une version concertante de haute volée sous la houlette de Giuliano Carella. 3 & 5 novembre Opéra, Marseille 04 91 55 11 10 opera.marseille.fr

Être une petite souris et devenir dentiste, quoi de plus naturel ? Mais l’envie de dessiner pousse à l’aventure ! Le délicieux personnage des albums de Gabrielle Vincent est réinterprété par la plume facétieuse de Daniel Pennac et mis en musique par Vincent Courtois. Les musiciens de l’Orchestre National de Lyon ajoutent leur verve à ce ciné-concert (film de B. Renner, V. Patar et S. Aubier) où les voix de Lambert Wilson et Pauline Brunner donnent vie à Célestine et Ernest, l’ours affamé mais à l’âme d’artiste. Miguel Harth Bedoya © Michal Novak

5, 10 & 13 novembre Théâtre de Grasse 04 93 40 53 00 theatredegrasse.com

Karine Deshayes © Aymeric Giraudel

Au c(h)œur du menu

Anne-Laure Janody et Éric Monvoisin (Cie 100°C Théâtre) mettent en scène et interprètent, avec Alix Mozin, ce pur joyaux de poésie. Antoine de Saint-Exupéry l’avait écrit autant pour les enfants que les grandes personnes, qui tous « ont d’abord été des enfants (même si peu d’entres elles s’en souviennent) ». En route pour l’astéroïde B 612, pour un bain philosophique tous âges confondus.

© Jean-Luc-Tourne

Le Petit prince

27 octobre Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence 08 2013 2013 lestheatres.net


46 au programme musiques alpes-maritimes hérault bouches-du-rhône

Requiem Francesco Piemontesi © Marco Borggreve

Piano série 1 : Chopin

Splash Opéra Elle est au bord de sa piscine, détente, rêve… le quotidien s’efface au rythme des grands airs d’opéra. Elle, la soprano Catherine Bourgeois, accompagnée de son « homme à tout faire » au piano, Emmanuel Borghi, nous plonge dans les années 50 d’Hollywood. La mise en scène onirique et colorée de Clara Le Picard rend floue les limites entre théâtre et opéra. On y croise Lully, Rameau, Gluck, Bizet, Gounod, Massenet, Dukas, Thomas, Debussy, Ravel, Messiaen, Satie… Une belle manière de revisiter le répertoire !

25 au 27 octobre Opéra Comédie, Montpellier 04 67 601 999 opera-orchestre-montpellier.fr

Loo & Monetti Catherine Bourgeois © DR

Deux pièces au programme de ce concert donné par le bel Orchestre de Cannes : la Quatrième Symphonie de Schubert (que le compositeur surnommera « Tragique ») qui porte les ferments de l’œuvre du musicien alors qu’il n’a que 19 ans ; autre monument de jeunesse, le Concerto n°1 pour piano de Chopin (composé à 20 ans), dont la fougue virtuose sera interprétée au piano par Francesco Piemontesi. (Certains passages sont familiers du grand public grâce aux films Le Pianiste de Polanski et The Truman Show de Weir).

L’Orchestre national Montpellier Occitanie et son Chœur (mené par Noëlle Gény) s’attache au Requiem de Mozart, sous la houlette de Magnus Fryklund. Angélique Boudeville (soprano), Alyona Abramova (mezzo-soprano), Kévin Amiel (ténor), Julien Véronèse (basse) interpréteront en latin (surtitré en français) les pages sublimes de cette œuvre dont l’histoire aime tant se parer de tragiques mystères.

20 octobre Théâtre Debussy, Cannes 04 92 98 62 77 orchestre-cannes.com

5 novembre Scène 55, Mougins 04 92 92 55 67 scene55.fr

Cartoon Orchestra La frivolité érigée en art de vivre, quiproquos amoureux, plaisirs de la séduction, danses, chant, légèreté des êtres, de la vie même… la musique d’Offenbach dit tout cela avec une virtuose aisance. L’Opéra de Nice en propose une nouvelle production sous la direction de Bruno Membrey dans une mise en scène de Serge Manguette… Champagne !

Deuxième album pour le tandem électro pop Marseillais, Broken Inside. Monetti aux machines et Loo en songwriting, voici 10 titres qui fleurent bon les nineties, avec des préoccupations très d’aujourd’hui, puisqu’il s’agit de notre monde qui s’éteint. Sorry en est le titre le plus représentatif. De la nostalgie qui percute : les deux termes ne sont assurément pas antinomiques. Laeticia Goepfert © DR

Poésie, imagination et fantaisie au programme de ce ciné-concert destiné aux enfants à partir de trois ans (et ce jusqu’à 127 ans), avec quatre dessins animés, Mariza l’âne têtu, Le Vagabond, One Two Tree, La chose Perdue. L’Orchestre de Cannes, sous la houlette de Benjamin Levy, et accompagné de la harpe de Claire Iselin, donnera vie aux personnages et à leurs tribulations sur des compositions d’Emmanuel Licari. 25 octobre Théâtre La Licorne, Cannes La Bocca 04 92 98 62 77 orchestre-cannes.com

© X-DR

Claire Iselin © DR

La vie parisienne

2 & 3 novembre Opéra, Nice 04 92 17 40 79 opera-nice.org

25 octobre Théâtre des Bernardines, Marseille 08 2013 2013 lestheatres.net


au programme musiques bouches-du-rhône var 47

Lou Doillon

Avishai Cohen Trio

C’est un mariage des influences qui donne de l’espoir (que tout peut aller bien dans la différence) et de l’énergie (jusqu’au bout de la nuit) : entre la musique klezmer, le funk et le hip hop, c’est l’amour fou, et la fusion se fait au sein de la formation Abraham Inc : onze musiciens nous convient à la fête, avec David Krakauer (Clarinette), Fred Wesley (Trombone) et Socalled (sample) en meneurs de troupe.

Le contrebassiste, chanteur et compositeur israélien retrouve une inspiration jazz sur son dernier album, Arvoles (Razdaz Records), paru en juin 2019, après le très pop 1970 sorti en 2017. C’est en trio acoustique, accompagné du pianiste Elchin Shirinov et du batteur Noam David, qu’Avishai Cohen délivrera ses compositions instrumentales originales, « sorte de réflexion sur l’univers qui [l’ont] entouré ces dernières années ».

© Matt Lipsen

© Craig McDean

Abraham Inc.

26 octobre Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence 08 2013 2013 lestheatres.net

Après Places en 2012, produit par Etienne Daho, et Lay Low en 2015, la chanteuse et comédienne a commis un 3e album, Soliloquy, au début de l’année 2019. Entourée par Benjamin Lebeau (The Shoes) et Dan Levy (The Do), elle pose sa voix rauque et légèrement éraillée sur une pop folk mâtinée de rock et d’électro, aux sons plus synthétiques que sur les précédents opus. 31 octobre Théâtre de l’Olivier, Istres 04 42 56 48 48 scenesetcines.fr

Le Back to School festival, c’est l’histoire d’une bande de copains gardannais qui, 20 ans après, se retrouvent sur la scène de la Maison du Peuple avec leurs groupes respectifs, dont certains se reforment exceptionnellement pour l’occasion, en hommage aux concerts portés par le Collectif G et le tremplin CourteEchelle de la Ville de Gardanne. Du rock, du metal, du funk...

Lalala Napoli

© Laetitia Gessler

5 novembre Châteauvallon - scène nationale, Ollioules 04 94 22 02 02 chateauvallon.com

Rescue Rangers © François Guery

25 & 26 octobre Maison du Peuple, Gardanne 04 42 65 77 00 ville-gardanne.fr

© Andreas Terlaak

Back to school

Emmenés par François Castiello, chanteur et accordéoniste du groupe Bratsch dissous depuis, les six musiciens du groupe réinventent à leur sauce la musique napolitaine et la tarentelle. Dans leur dernier album Disperato, des compositions crues ou douces viennent se greffer au répertoire traditionnel qui s’en trouve audacieusement détourné. Dans une transe mi trad mi rock, accordéons et violon se mêlent aux trilles de la flûte et aux riffs électrifiés de la guitare. 1er novembre Centre départemental, Rasteau 04 90 46 99 57 artsvivants84.fr

Latiname Lancé en 2014 par le pianiste Brice Lebert (diplômé du CNR de Marseille et de la HHEM de Genève), le projet Latiname revient après deux ans d’absence sur son répertoire de prédilection, la salsa, du latin-jazz au danzon, au boléro et la timba, dans la plus pure tradition des grands orchestres cubains. Soirée de danse et de musique déjantée à vivre ! 31 octobre La Fraternelle, Correns 04 94 59 49 le-chantier.com


48 au programme musiques bouches-du-rhône

(Without), très beau travail de composition qu’il incarne puissamment sur scène. Le même jour, La Vague alliera ses beats malpolis et ses envolées poétiques, il y aura aussi la soul éltronique et r’n’b de Flèche Love (13 novembre), l’homme orchestre David Walters (15 novembre),...

2 & 6 au 9 & 13 au 16 novembre Le Makeda & Espace Julien, Marseille

Elliott Murphy © X-D.R.

Jazz sur la ville

Festival L’Orgue vivant

Cinq concerts en cinq dimanches permettront d’écouter l’orgue de l’église Sainte-Marguerite, création née quasiment avec le siècle en 2003, du célèbre facteur Pascal Quoirin (dont l’atelier est situé à Saint-Didier en Provence). Le public profite de la rareté de son installation, dans le chœur face à l’assistance, si bien que l’on peut admirer la technique et la virtuosité des interprètes qui sont habituellement « cachés » dans les hauteurs des édifices. Quatre organistes de renom (Emmanuel Friot, André Rossi, titulaire de l’orgue, viendra sur deux concerts, Brice Montagnoux et Frédéric Isoletta) se succèderont devant les deux claviers et les 17 jeux de l’instrument, accompagnés tour à tour par la

Martin Mey © Seb Houis

Cinquième édition du festival marseillais, qui, d’une programmation de concerts (alléchants), s’est peu à peu enrichi de propositions satellites grâce à de nombreux partenariats : des ateliers radio pour les jeunes, qui pourront entre autres faire des interviews des artistes, un concert pour les adolescents du service psychiatrique de l’hôpital Salvador, des contes lus dans les écoles et centres sociaux de la ville... Les artistes invités cette année sont dans le ton de cette volonté de fédérer, faire plaisir, enrichir. Martin Mey (7 novembre) continue son voyage dans l’electro-folk avec sa dernière création Words

Durant un mois, le jazz investit une quarantaine de lieux répartis sur quatre des départements de la région Sud. Une 13e édition pour cette manifestation qui propose pas moins de 90 événements, portés par 250 artistes, grands noms de la scène jazz internationale ou formations plus confidentielles mais prometteuses, qui explorent le jazz sous toutes ses formes. Devant l’ampleur de la programmation, impossible de les citer tous, nous retiendrons les légendaires Roy Ayers et Elliott Murphy, la saisissante voix de contralto de Krystle Warren, Marie Kruttli en trio, Rémi Charmasson

et son quintet, Cathy Heiting en duo et en quartet, le blues explosif de Sarah McCoy, un concert spectacle « dessiné » autour de l’œuvre de Richard Wright, Black Boy, l’irrésistible contrebasse de Reggie Washington, Guillaume Perret, Perrine Mansuy et Christophe Leloil et leur Quatre vents, un hommage à l’accordéoniste Gus Viseur par Christophe Lampidecchia…

5 novembre au 7 décembre Divers lieux, Région Sud-PACA jazzsurlaville.fr

soprano Gabrielle Varbetian, le guitariste Philippe Azoulay, le violoncelliste François Olivier de Sardan, la clarinettiste Eva Villegas et la violoncelliste Marine Rodallec. Corelli, De Lalande, Bach, Saint-Saëns, Fauré et tant d’autres compositeurs seront au rendez-vous. Libre participation aux frais.

Le dimanche, du 27 octobre au 1er décembre Église Sainte-Marguerite, Marseille 06 84 77 61 76 aosmarguerite.org

Eva Villegas © X-D.R

Meltin’art


RTL2, LA RADIO PARTENAIRE DES PLUS GRANDS ARTISTES POP-ROCK

ÉCOUTEZ LE SON POP-ROCK DE RTL2 MARSEILLE LAURENT COUREAU 12H/16H marseille.rtl2.fr


50 au programme arts visuels bouches-du-rhône

Black is beautiful Huit artistes se sont emparés du thème, simple autant qu’abyssal, du « noir » et nous offrent une diversité d’expression : approche liée aux origines ethniques ou culturelles (Claudie Poinsard, Daniel Airam), recherche plastique et conceptuelle (Bambel, André Navez), traitement métaphysique (Abdullah Al Otaibi, David Thelim), exploration de l’insconscient (Véronique Dominici) et le fascinant bestiaire de Carole Perret à la manière d’un cabinet de curiosités du XIXe siècle. A.Z. jusqu’au 26 octobre Galerie Patrick Bartoli, Marseille patrickbartoli.fr

David THELIM - sans titre - Serie « Facettes» - 40x50 cm Technique mixte (acrylique, terre et eclats de miroirs) - 2019

Quinze étés Pendant 15 ans en été, les étudiants de l’École nationale supérieure de photographie ont photographié les festivals, les paysages de la région PACA, afin d’illustrer le guide régional des festivals, « Terre de Festivals ». Reliefs est le dernier volet du cycle d’expositions valorisant ce fonds exceptionnel constitué grâce à la commande publique de la Régie culturelle régionale. A.Z. jusqu’au 15 novembre Hôtel de région, Marseille regie-maregionsud.com

© Lea Habourdin

André Fortino Revenant d’un voyage au Kerala, André Fortino est happé par une des séquences qu’il a filmée lors d’un rituel chamanique. Quelques secondes où un homme se laisse lécher par une flamme. Voulant percer le mystère de cette image, l’artiste en passe par la puissance des ordinateurs pour la ralentir. Mais le feu échappe à la technologie... A.Z. Nuit Flamme jusqu’au 5 janvier Frac PACA, Marseille 04 91 91 27 55 frac-provence-alpes-cotedazur.org

André Fortino, Le Don, vidéo © André Fortino

Auguste Chabaud C’était au tout début du siècle dernier. Le jeune artiste en devenir saisissait les paysages de Provence sur des feuilles de papier de boucherie. Les animaux de la ferme aussi, avec une grande économie de moyens comme en témoigne cet ensemble de 52 dessins, complété d’une huile et plusieurs œuvres sur argile vernissée. C.L. Le bestiaire d’Auguste Chabaud 18 octobre au 9 février Musée de Région Auguste Chabaud, Graveson 04 90 90 53 02 museechabaud.com Auguste Chabaud, Chevaux de Saint-Eloi, 1902, dessin rehaussé de craies sur papier de boucherie, 33,5 x 56cm. Photo : Jérémy Laidi


au programme arts visuels bouches-du-rhône vaucluse 51

Jean-André Bertozzi Se régaler et admirer en même temps des œuvres d’art ? Il faudra se rendre au premier étage de ce resto arlésien, dédié régulièrement à la création artistique. Inauguration avec les photographies de Jean-André Bertozzi qui devraient réjouir la part poétique présente dans la banalité du quotidien que revendiquait tant André Breton. C.L. Ressort poétique jusqu’au 25 octobre Cuit-Cuit, Arles 09 80 84 28 53 facebook.com/Cuit-cuit

© Jean-André Bertozzi

Claire Degans Cette artiste montpelliéraine tisse patiemment des paysages méditerranéens, tremblés, contemplatifs, à la beauté impalpable : intemporels et spirituels, ces décors sauvages évoquent une nature onirique, proche de la peinture taoïste. Une série de formats carrés qui plonge dans une étrange quiétude. A.Z. Le souffle du paysage jusqu’au 3 novembre Abbaye Saint-André, Villeneuve lez Avignon 04 90 25 55 95 abbayesaintandre.fr

Claire Degans, Arabesques, acrylique sur toile, 50x50cm

Pierre Sgamma Voici données à voir ses cinq dernières années de création de l’artiste protéiforme, où les thèmes et les techniques originales font écho à la diversité de ses sources culturelles. Syncrétisme des contraires, paganisme et spiritualité, de nos failles comme de nos ressources...cependant toujours ancré dans le réel. Prolongement de ce regard rétrospectif avec Noëlle de Gransaigne, artiste invitée pour « Un certain regard ». Vernissage le 25 octobre. C.L. Adsum 26 octobre au 16 février Campredon centre d’art, L’Isle-sur-la-Sorgue campredoncentredart.com

Pierre Sgamma, Sans titre, 2018, série « Les cavaliers », céramique, grès émaillé, 56x42x20cm. © Pierre Sgamma 2019. Photo Lucile Retourné

Alain Grosajt Quelles traces laisse un artiste lorsqu’il se consacre à écrire pour et avec la peinture ? « Alain Grosajt cherche à inventer une écriture plastique qui à elle seule incarnerait tous les possibilités d’une peinture figurative » rappelle Élisa Farran, historienne et directrice du musée. Voici une belle opportunité de le vérifier avec cette rétrospective courant sur près de quarante années. C.L. Écrire la peinture jusqu’au 1er décembre Musée Estrine, Saint-Remy-de-Provence 04 90 92 34 72 musee-estrine.fr Alain Grosajt, Japon, 2016. Acrylique sur papier, 100x70cm. Collection particulière © cliché Fabrice Lepeltier


52 au programme arts visuels var alpes gard

Passage Fraichement diplômés de l’ESADTPM, Théo Martin (entre art et non-art, clip et performance), Camille Sart (reconstitution d’espaces traumatiques par le biais de maquettes), Ugo Schirru (pièces en matériaux bruts définies par une action protocolaire), Pauline Testi (éditions et dessins envisagés comme des séquences de films) et Nicolas Vince (expérimentations liées à la matière et à l’objet, recherches sur sa propre identité) entrecroisent leurs regards, leurs points de vue et leurs techniques. M.G.-G. La Galerie de l’école, Toulon jusqu’au 15 novembre 04 94 62 01 48 esadtpm.fr

Les vagabondes - Camille Sart © esadtpm 2019

Micheline Pelletier Le festival L’œil en Seyne suit pas à pas l’œuvre de la photographe et journaliste Micheline Pelletier depuis ses reportages autour de la planète réalisés pour les agences internationales, ses portraits d’artistes et de personnalités, jusqu’à ses récents clichés dans les parcs des châteaux du Grand Siècle. Bref, un tour du monde de 40 années de pratique photographique. M.G.-G. Ombres et lumières du monde jusqu’au 3 novembre Villa Tamaris centre d’art, La Seyne sur Mer 04 94 06 84 00 villatamaris.fr

Catherine Deneuve dans Le Bon plaisir de Francis Girod, 1983 © Micheline Pelletier

Alessandro Quaranta Univers inférieur nous plonge dans un bain de sons, d’images et de sensations à la rencontre des animaux et de la faune de la Réserve géologique de Haute Provence où l’artiste Alessandro Quaranta s’est immergé durant sa résidence. Au-delà du travail vidéo réalisé in situ, d’autres œuvres viennent « questionner la ligne de frontière entre intérieur et extérieur, entre visible et invisible ». M.G.-G. jusqu’au 30 novembre CAIRN centre d’art, Digne les Bains 04 92 31 45 29 cairncentredart.org

© Alessandro Quaranta, Les animaux de Stella, extrait vidéo, 2019

Peter Friedl La modélisation, la langue, la traduction : autant de thèmes récurrents dans l’œuvre de l’artiste autrichien Peter Friedl, ici mis en lumière dans l’exposition Teatro. Où l’on retrouve quelques-unes de ses pièces maitresses telles l’installation vidéo Report de 2016, les maquettes d’architecture Rehousing conçues entre 2012 et 2019, le projet au long cours Theory of Justice (1992-2010) ou encore un ensemble de dessins issus de la collection permanente du Carré d’art. M.G.-G. Teatro 25 octobre au 1er mars Carré d’art, Nîmes 04 66 76 70 01 carreartmusee.com

Teatro Popular, 2016-2017, 4 « barracas », bois, aluminium, tissus. 22 marionnettes gant, technique mixte, dimensions variables. Courtesy de l’artiste et Lumiar Cité, Lisbonne. Photo Daniel Malhao. © Peter Friedl


au programme arts visuels hérault

Valie Export Son puissant engagement féministe a entrainé l’artiste autrichienne Valie Export, influencée par le mouvement Fluxus, à développer des pratiques radicales. Expanded Arts pointe les riches connexions qu’elle produit à travers films ou art corporel, où sa photographie conceptuelle se construit au-delà de l’image individuelle traditionnelle. Une sélection rétrospective de travaux iconoclastes qui pointe les dérives médiatiques. A.Z. 23 octobre au 12 janvier Pavillon Populaire, Montpellier 04 67 66 13 46 montpellier.fr

VALIE EXPORT, Espace-paysage – espace-temps, 1972 Photographie

conceptuelle Photographie noir et blanc, 12 parties, 43 x 46 cm

Mais il y a ce lieu... Mécènes du sud Montpellier invite l’artiste Mathieu Kleyebe Abonnenc à concevoir une exposition réunissant 9 artistes vivant au sein d’un territoire qui s’étend de la Méditerranée aux Cévennes. Tenter de rendre visible l’oscillation entre enracinement et errance, imaginer une identité affective et géographique, au delà des constructions du roman national. A.Z.

Mais il y a ce lieu, qui nous maintient Mécènes du Sud, Montpellier 04 34 40 78 00 mecenesdusud.fr Karl Joseph, L’intermédiaire, 2019 Tirage Lambda, contrecollé sur dibond, 80x120 cm

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54 cinéma

Films en Méditerranée La 41e édition du Festival Cinéma Méditerranéen Montpellier est présidée par Leoluca Orlando, maire de Palerme, connu pour son combat contre l’emprise de la mafia sicilienne et son engagement en faveur des migrants

C’

est avec le 19e film de Costa Gavras, Adults in the room, film nous plongeant dans les coulisses de la crise grecque de 2015 adapté de Conversation entre adultes, dans les coulisses secrètes de l’Europe de Yanis Varoufakis, que commence CINEMED. En clôture, ce sera Seules les bêtes de Dominik Moll, inspiré du roman de Colin Niel ; un film noir, sur les Causses où une femme disparait lors d’une tempête de neige. Une programmation axée sur des œuvres qui nous parlent de transmission, d’engagement. Et entre avant-premières, films en compétition, séances spéciales, hommages, le choix est parfois difficile ! Invité d’honneur, André Téchiné, dont on pourra voir une quinzaine de films parmi lesquels Les Roseaux sauvages et L’Adieu à la nuit, animera une master class le 21 octobre et a choisi pour sa Carte Blanche Les Feux de la rampe de Chaplin et En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui. On pourra découvrir le travail du cinéaste espagnol Isaki Lacuesta, auteur d’une quarantaine de films, qu’on pourra rencontrer le 22 octobre après la projection de La leyenda del

Martin Eden

E

Seules bêtes de Dominik Moll © JC Lother

tiempo. On reverra avec plaisir une douzaine de films d’un des héritiers de la comédie italienne, Paolo Virzì qui présentera 5 de ses films, dont Folles de joie, le Thelma et Louise italien (19 et 20 octobre). Italie encore avec l’hommage rendu à Anna Magnani, actrice féministe et antifasciste. Une douzaine de films à (re) voir dont Rome ville ouverte en copie restaurée le 19 octobre, accompagnés d’une expo photo. Une douzaine d’avant premières parmi lesquelles on notera deux films réalisés par des femmes dans une programmation très masculine, Noura Rêve de Hinde Boujemaa et Trio d’Ana Dumitrescu.

Film de la semaine

n 1909 paraissait Martin Eden que Jack London écrivit à bord de son bateau, un « roman de 140 000 mots, une attaque contre la bourgeoisie et les idées bourgeoises. » En 1914, Hobart Bosworth en fait la première adaptation au cinéma. Et quelque 110 ans plus tard, Pietro Marcello s’attaque à ce qui fut le premier bestseller de l’histoire de la littérature,

livre qui a été pour lui et son coscénariste, Maurizio Braucci « le roman de formation, le livre qui a influencé notre jeunesse et nos rêves en déterminant notre vision du monde. » On n’est plus à Oakland et Berkeley mais à Naples, qui pourrait être n’importe quelle ville portuaire du Sud. Ruth Morse, « fleur d’or pâle sur une tige fragile », la sœur du © Shellac jeune Arturo à qui Martin a porté secours lors d’une rixe, devient Elena Orsini, sobrement incarnée par Jessica Cressy. Martin Eden, « jeune homme de 20 ans au front carré, bombé, couronné d’une forêt de cheveux châtains dont les vagues légèrement bouclées devaient tenter les mains caressantes des femmes », c’est Luca Marinelli qui l’interprète, superbement, un rôle

qui lui a valu, à juste titre, la Coupe Volpi , prix d’interprétation masculine à la Mostra de Venise. Pietro Marcello qui avait réalisé La Bocca Del Lupo en 2009 et Bella e Perduta en 2011, a choisi de ne pas ancrer son film dans une seule époque mais de « raconter notre histoire, celle de ceux qui ne se sont pas formés dans la famille ou à l’école mais à travers la culture rencontrée en chemin. » Et la première rencontre de ce marin issu du peuple est celle de l’amour. C’est Elena, une jeune bourgeoise, qui va lui faire découvrir la littérature, lui prêter une grammaire, lui donner le goût d’écrire. Sa rencontre avec le poète Russ Brissenden (Carlo Cecchi) va lui faire approcher le socialisme et la liberté de pensée. Le film commence par le récit de la vie de ce marin devenu un écrivain célèbre ; « le monde est plus fort que moi », confie-t-il à un enregistreur. Et le film va parcourir


55 Et bien sûr il y a les 9 films en compétition pour l’Antigone d’Or, de cinéastes dont on peut découvrir le premier long métrage comme Amin Sidi-Boumediène qui nous emmène à la recherche d’Abou Leila dans le désert saharien, ou Mehdi M. Barsaoui dans le Sud Tunisien où un couple va vivre un drame avec Un Fils, ou l’Égyptien Hisham Saqr qui présente Certified mail. D’autres n’en sont pas à leur coup d’essai, comme le Tunisien Nouri Bouzid avec son onzième film, Les Épouvantails, ou le Serbe Miroslav Terzić qui présente Stitches, son deuxième long, inspiré par des enlèvements de nouveau-nés dans des hôpitaux yougoslaves au début des années 1990. Parmi les 8 documentaires en compétition, citons le réjouissant When Tomatoes Met Wagner de la grecque Marianna Economou (lire journalzibeline.fr) ou Honeyland des macédoniens Ljubomir Stefanov et Tamara Kotevska, Grand Prix à Sundance. 22 courts métrages sélectionnés dont l’original Bab Sebta de Randa Maroufi ou le touchant Chant d’Ahmed de Foued Mansour. Il y en a donc pour tous les publics et pour tous les goûts à CINEMED ; un seul regret, ne pas pouvoir tout voir !

Hors Normes

O

n était en droit de craindre le pire d’Eric Toledano et Olivier Nakache sur le sujet, particulièrement casse-gueule, de l’autisme. Le souvenir d’Intouchables et de son traitement léger du handicap, encore frais, laissait craindre une mainmise du mot d’esprit bien senti, de la punchline obligatoire, sur un sujet en appelant plutôt à la nuance et à la sincérité. Hors Normes échappe heureusement aux facilités qui plombaient Intouchables, à cet excès de distanciation et d’artifice qui parasitait toute possibilité d’émotion. Et ce sans doute parce que l’écriture et la réalisation s’avèrent ici plus soignées, mais surtout plus cohérentes l’une avec l’autre. Toledano et Nakache ont notamment recouru à des acteurs non professionnels atteints d’autisme – dont l’épatant Benjamin

Film de la semaine

ANNIE GAVA

Festival Cinéma Méditerranéen Montpellier 18 au 26 octobre Divers lieux, Montpellier cinemed.tm.fr

© Carole Bethuel-Quad-Ten-Cinéma

tout le XXe siècle, Pietro Marcello, qui est aussi documentariste, alterne séquences narratives et images d’archives, sorte de contrepoint pour raconter la grande Histoire ou l’enfance de Martin. Images retravaillées, souvent, bleutées, colorées en sépia, rappels du passé comme la danse joyeuse de deux enfants, -Martin et sa sœur-, ou symboliques comme le voilier bleu qui coule au moment où Martin commence à publier. Il filme en gros plans les visages des gens de la rue, fatigués, marqués par la misère qui contrastent très fort avec les bourgeois que fréquentent Elena. Brouillant les temps, il n’hésite pas à nous faire écouter la chanson de Joe Dassin, Salut. Les images récurrentes de Martin en train de taper sur sa machine à écrire ou des manuscrits avec mention « Retour à l’expéditeur » renvoient aussi au roman dont Pietro Marcello a fait une superbe adaptation. Un moment de cinéma qui ravira tous ceux qui ont aimé le roman de Jack London et donnera aux autres le goût de le (re) lire. ANNIE GAVA

Lesieur – ainsi qu’à des témoignages de professionnels habitués au terrain, et cela se sent. C’est en effet sur le travail de l’association Le Silence des justes et de son fondateur Stéphane Benhamou, qui a consacré sa vie aux « cas lourds » de l’autisme, que se base le scénario de Hors Normes, ainsi que sur la collaboration de cette association avec celle de Daoud Tatou, Le Relais, qui favorise la prise en charge de patients autistes par des jeunes en réinsertion. Rarement plus à propos que lorsqu’il prend le temps de filmer le collectif, le duo de réalisateurs laisse le récit respirer et mettre à jour son propre rythme, entre le choc de l’urgence et les respirations nécessaires. À l’instar de Vincent Cassel et Reda Kateb, qui incarnent les protagonistes principaux, le film joue ainsi moins des oppositions et complémentarités entre les personnages que de leurs similitudes et de leurs points de rencontre. Et rappelle qu’ils se situent, tout comme les films réussis, davantage du côté du manque que de celui de la performance. SUZANNE CANESSA

Le film, présenté en avant-première à La Baleine le 12 octobre est sorti en salle le 16 octobre (2 h 08)

Hors Normes sort le 23 octobre en salles (1 h 54)


56 cinéma

L’âcre parfum des immortelles

O

n se laisse guider par une voix, « je », dans une forêt des Landes jusqu’à une palombière. Y surgissent les souvenirs… La voix de cette jeune femme qui criait « Thorn ! » comme un nom de divinité nordique. Lui, c’est Jean-Pierre Thorn. Elle, c’est Joëlle, son amoureuse, morte à 25 ans, juste après 68. Dans son dernier film, journal intime, lettre ouverte, collage poétique et politique, le cinéaste, pour la première fois, parle de lui et de cet amour qui l’a fondé et qu’il tente de retrouver : « Que reste-t-il de nos amours, de nos colères ? » De ce refus d’oublier, Jean-Pierre Thorn fait un film où se racontent, entremêlées, son histoire d’amour, son parcours de cinéaste et la grande Histoire, celle des luttes ouvrières, © Willy Vainqueur du combat des ouvriers de Renault / Flins jusqu’à aujourd’hui. Lettres passionnées de Joëlle, celle qui disait de lui qu’il était « le seul homme rencontré qui ne s’effritait pas sous ses doigts » ; - les premières datent du 13 avril 1966, au moment où la Seine avait envahi les quais - images d’archives, films de famille, extrait de son film Oser vaincre (1968) alternent. La mort de son aimée lui fait abandonner le cinéma « pour sauver sa

Film de la semaine

peau » ; il s’établit en usine comme OS et dix ans plus tard, se remet à filmer : ses camarades en grève dans Le Dos au mur. Suivent Génération Hip hop, (1995), Faire kiffer les anges (1997), La belle rebelle (2010) qui rappellent les années où l’on y croyait. Parmi les protagonistes de ses films, qu’il retrouve, certains sont amers et confient qu’ils se sont trompés ; « J’ai l’impression d’être perdu », confie un ancien de Longwy, évoquant un golf réservé à l’élite sur les lieux mêmes des hauts-fourneaux rasés. D’autres au contraire, comme Farid Berki, parle de la chance qu’il a de vivre sur une frontière, avec une identité non figée, et du « devoir d’optimisme ». Et comme le but du film est de retisser le lien entre les luttes d’hier et les combats d’aujourd’hui, Jean-Pierre Thorn filme la parole de gilets jaunes à un barrage, de nuit. Un film hybride, généreux et touchant qui a L’âcre parfum des immortelles. A.G.

Le film de Jean-Pierre Thorn sort en salles le 23 octobre

1.2.3. The Best

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our démarrer le 18e Best of short, avant même la soirée d’ouverture, 4 programmes de courts primés et ça a commencé très fort avec le film de Guy Nattiv, Skin, qui a obtenu l’Oscar du meilleur court métrage de fiction 2019. Un court cadré au cordeau, qui soulève deux fléaux rongeant les USA, le racisme et le libre port d’armes. Au bord d’un lac, Jeffrey, accompagné de sa femme Christa et de leurs copains, apprend à son fils Troy à tirer, à être un homme, un vrai ! Plus tard, dans un supermarché, il ne supporte pas que Troy échange, ne serait ce qu’un regard, avec un homme noir qui, tenant à la main un jouet, lui a souri. Avec ses amis, aussi « tarés » que lui, il l’agresse violemment devant les yeux horrifiés de la femme et du petit garçon de cet homme qui n’avait fait que sourire à un petit gamin blanc. Les conséquences vont être terribles et on sort de ce court métrage à la mise en scène efficace et au jeu parfait, sonné ! Encore plus glaçant, le court anglais de Vincent Lambe, Detainment, (nommé

aux Oscars ), inspiré du meurtre de James Bulger, âgé de 2 ans, torturé et tué par deux gamins de 10 ans en 1993 à Liverpool. Le réalisateur met en scène les deux meurtriers, accompagnés de leurs parents, pendant leurs interrogatoires, se fondant sur les retranscriptions des entretiens avec la police et y intercalant des flashbacks du jour du meurtre. Les deux interprètes, Ely Solan La Distance entre le ciel et nous, Vasilis Kekatos © Tripode Productions et Léon Hughes sont époustouflants ; Ioko Ioannis Kotidis) sont face à face. on ne peut que saluer le travail de di- L’un veut obtenir de l’autre quelques eurection d’acteurs de Vincent Lambe et ros pour rejoindre Athènes, et sans doute la prouesse d’avoir concentré 15 heures autre chose. Sur leurs visages, filmés en d’entretiens en 30 minutes. On est sous champ contre champ, se lit peu à peu le le choc, se demandant comment un tel désir qui nait. Et c’est très beau. ANNIE GAVA acte a pu être possible. Heureusement, les courts de ces programmes n’étaient pas tous aussi terribles ; la Palme d’Or Le Jury, présidé par Marianne Denicourt, a attribué le Soleil d’or à Skin et le 2019, La Distance entre le ciel et nous de jury jeunes a choisi Detainment. Vasilis Kekatos, aborde le thème de la naissance du désir amoureux. La nuit, Le Best of International Short Films dans une station service, deux jeunes Festival s’est tenu du 2 au 6 octobre hommes, beaux, (Nikos Zeginoglou et à l’Eden Théâtre de La Ciotat


littérature

Pour saluer Giono…

L

a Revue Giono vient de publier son N° 12 qui sort quelques jours avant la grande exposition organisée au Mucem pour le cinquantenaire de la mort de l’auteur. Cette revue annuelle diffusée par l’Association des Amis de Giono s’attache à publier des textes rares, mais aussi des témoignages, documents iconographiques, correspondances, articles critiques autour de son œuvre gigantesque… Ce dernier numéro s’ouvre sur une lettre inédite de Giono à Gide en date du 5 février 1942, acquise par l’association en avril dernier, écrite sur les pages quadrillées d’un cahier d’écolier ; suivent

quelques pages inédites de Deux cavaliers de l’orage acquises en 2018, qui seront intégrées dans la nouvelle édition du roman dans la collection Blanche en 2020. Un carnet de travail de Giono révèle ses préoccupations cinématographiques de 1959 avec notes et dialogues pour Crésus. Puis plusieurs pages sont consacrées aux relations entre Giono et Pierre Ambrogiani. Dès sa découverte de la peinture d’« Ambro », Giono s’est attaché à ses couleurs lumineuses qui viennent « de l’âme » ; il écrit la préface d’une exposition du peintre, lequel illustrera l’édition spéciale de Le Haut Pays en 1965, dont plusieurs images

enflamment la Revue. Enfin plusieurs études offrent des textes passionnants sur les héroïnes gioniennes. Julie Mallon s’interroge sur la place des femmes qui accèdent à une stature mythique et occupent la première place du récit en s’affranchissant des stéréotypes dans lesquels la société les enferme ; des femmes, emblèmes de liberté, qui accèdent au désir… Et tandis qu’Agnès Landes s’intéresse au personnage d’Hélène de Troie revu par Giono, Jean-Yves Laurichesse met en lumière le rôle des héroïnes qui s’émancipent et Michèle Ducheny nous émerveille par sa subtile analyse des femmes métamorphosées en « femmes-oiseaux », dans le frémissement de leurs longues jupes. De quoi donner envie de replonger avec ivresse dans les romans ! CHRIS BOURGUE

Revue Giono N°12-2019, 20 €

Un homme et ses livres

C

hoisie pour mettre en place une exposition au Mucem pour le cinquantenaire de la mort de Giono (lire P 16), Emmanuelle Lambert s’est plongée pendant deux ans dans cette œuvre protéiforme et tellurique. Elle avoue qu’elle le connaissait peu. Aussi son immersion dans ses romans, ses carnets, sa correspondance l’ont tellement habitée qu’il lui a fallu se retrouver dans une sorte d’intimité avec l’auteur, sans la contrainte de montrer, d’expliquer. Aussi, parfois, s’adresse-t-elle directement à lui : « Vous m’avez entraînée dans votre folie. » Le Giono qu’Emmanuelle Lambert nous restitue est un Giono de désir, de violence, d’énergie créatrice, bien loin de celui, contemplatif, un peu fade, de l’icône provençale. En mélangeant éléments biographiques et anecdotes des romans, en évoquant les personnages de la fiction et ceux de la vraie vie, elle fait apparaître les familiarités, les liens secrets et souterrains qui ont fait naître cette œuvre intarissable. Elle restitue

sa colère lorsque l’autre guerre a montré son sale museau et que ses positions pacifistes lui ont fait des ennemis. Emmanuelle Lambert n’élude pas ces moments plus obscurs, de même qu’elle évoque les femmes que Giono a passionnément désirées et aimées. Car c’est cela aussi, Giono. Et ses amours d’écriture : Virgile et Homère, Melville et Stendhal, Rabelais et Machiavel. L’auteure sème au milieu de ces évocations des souvenirs personnels, nous livrant un livre sensible qui nous prépare à l’exposition. CHRIS BOURGUE

la place du père cordonnier qui lisait la Bible, de la mère repasseuse, de la nature sauvage. Et surtout elle met l’accent sur le désastre inhumain de la guerre de 14, celle qui a livré ses jeunes hommes sur les champs de bataille. Jamais Giono n’oubliera la mort de son ami et de ses illusions sur l’humanité. Ainsi s’explique

L’auteure était présente aux Correspondances de Manosque en compagnie de Clémentine Mélois, artiste qui propose une évocation ludique de la bibliothèque de Giono dans l’exposition à voir au Mucem à partir du 30 octobre.

Giono, furioso Emmanuelle Lambert Stock, 18,50 €

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58 littérature

Fragments d’un retour

L

e dernier texte de Brahim Metiba endosse un titre aux allures de prophétie ou d’injonction : Tu reviendras. À la manière de Proust qui débute À la recherche du temps perdu par le célèbre « Longtemps je me suis couché de bonne heure », Brahim Metiba évoque en incipit le coucher imposé à huit heures du soir, « quand j’étais petit, mon père faisait régner un règlement inébranlable »… La figure paternelle « jupitérienne » s’oppose à la douceur de la sœur qui lui tenait la main pour l’aider à s’endormir. Au passé magnifié et fantasmé de la jeunesse, répondent les réalités du retour au pays natal pour celui qui l’a quitté. Le narrateur, double fictionnel de l’auteur, a quitté l’Algérie et sa ville natale Skikda pour Paris. Son retour au bout de dix années d’absence est lié à « une séance au cabinet du psy, en juin, (son) mois de naissance. ». Le départ, rompant tout contact avec son père, avait suivi l’annonce de son homosexualité, « drame pour

Livre de la semaine

certains, une trahison pour d’autres » ; une « incompréhension » assurément. Entre la quête de soi, abondant en questions sans réponses, l’incompatibilité du corps et des dogmes qui avaient dirigé toute son enfance, le jeune homme revient sur son passé, confronte les langages, les atmosphères. L’écriture de son journal se mêle à la narration principale, en un dédoublement théâtral de soi. Les mots mettent en scène avec une acuité bouleversante l’auteur et son double, le protagoniste et ses écrits, jeu de miroir où le présent cherche son reflet dans un passé aboli. Pas de longues phrases, mais un texte fragmenté en courts paragraphes, notations brèves où tout un monde affleure… dans ce long poème en prose

Bande de femmes

«

C’est l’histoire de quatre femmes. Elles se sont aventurées au plus loin. Jusqu’au plus obscur, au plus dangereux, au plus dément. Ensemble, elles ont détruit le pavillon des cancéreuses pour élever une joyeuse citadelle. » Ces phrases, qui figurent sur la quatrième de couverture, sont extraites du carnet bleu que remplit assidûment Jeanne Hervineau, personnage central et narratrice du nouveau roman de Sorj Chalandon. Impeccable résumé d’un livre émouvant - mais jamais mièvre loin s’en faut -, d’une ode à la sororité, à l’amitié dans la tourmente, au courage des femmes, à leur nécessaire rébellion. Quant au titre, Une

les vides construisent les formes, comme dans une toile de peintre. L’incapacité à tout dire, tout embrasser dans l’orbe des mots, dans une vaine tentative proustienne, devient objet à la fois de littérature et constat de nos capacités à appréhender ce qui nous entoure et nous-mêmes. « Où sont toutes ces secondes réellement vécues et que j’ai finalement oubliées en écrivant ? » s’exclame le poète. Ici, la simplicité nue des phrases s’emplit d’une étonnante profondeur. MARYVONNE COLOMBANI

Tu reviendras Brahim Metiba éditions elyzad, 13 €

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joie féroce, il décrit plutôt bien l’état de Jeanne. Car voilà, on l’apprend au début du roman, Jeanne a un cancer du sein. Ce qui veut dire opération, chimiothérapie, effets secondaires, etc etc… Mais passés « [la] sidération, [la] peur de mourir, la frayeur des jours à venir », elle se sent pleine d’une « force nouvelle ». Une guerrière, prête à tout, y compris à en finir avec Jeanne Pardon, celle qui s’excuse toujours, qui accepte tout. Cette énergie, elle la doit avant tout à Brigitte, qui lui a tendu une bouteille d’eau à la fin de sa première séance de chimio, et qui va l’accompagner…puisque son couard de mari se défausse. Dans ce roman écrit par un homme, la gent

masculine en prend pour son grade, et pas qu’un peu. Chalandon semble se délecter de peindre la lâcheté ordinaire de l’un, la violence de l’autre, le machisme du troisième. Peu d’exceptions (un vieux médecin de famille, un commissaire de police) dans ce tableau tout sauf reluisant. Aux femmes en revanche (du moins à presque toutes), l’amour sans condition, la générosité, le sens de la vie et de la fête quand même. Alors exit la peur, tous les coups sont permis, même les plus fous… Bref, une belle histoire d’amitié et de lutte, qui flirte avec le thriller et prend le crabe par les pinces pour le tordre, impitoyablement. FRED ROBERT

Sorj Chalandon était à Marseille le 11 octobre, dans le cadre d’Automne en Librairies, organisé par l’association Libraires du Sud

Une joie féroce Sorj Chalandon éditions Grasset, 20,90 €


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Chronique d’une chute annoncée

D’

une véritable descente aux enfers même ! Voici ce que relate, par le menu et selon différentes sources, le troisième roman de Vincent Message, Cora dans la spirale. Cora n’était pourtant pas mécontente de reprendre le travail après son congé maternité. Envie de retrouver les collègues et le service marketing du groupe Borélia (spécialisé dans les assurances) où elle avait su se faire une place, une fois remisés ses rêves de photographie et de vie d’artiste. Cora Salme donc. Un compagnon, Pierre ; une fille de quelques mois, Manon ; un travail qui permet de payer les traites de la maison achetée à Montreuil ; une existence confortable en somme. Conforme. Tranquille. Sauf que la crise de 2008 est passée par là (l’action débute en 2010), que l’entreprise est en pleine restructuration. Un nouveau manager, un déménagement, une politique drastique de réduction des coûts… et c’est la spirale. Au 27e étage de la tour de La Défense où la boîte s’est repliée, on

Livre de la semaine

que les patrons se versent des salaires toujours plus élevés, on demande aux salariés toujours plus en moins de temps, on pousse certains vers la sortie… Dans cet enfer, Cora se débat, fait des rencontres qui ensoleillent son existence, prend des risques. Elle finira par tomber, au propre comme au figuré. Voici donc « la chronique de la vie de Cora Salme », « Une toute petite histoire parmi toutes les histoires du monde », racontée par Mathias pour qui « ce livre qui avance oppose une forme de démenti à ce sentiment tenace de ne compter pour rien. » Un livre intense, touchant, qui explore habilement les nouveaux visages du capitalisme et les dommages collatéraux qu’ils entraînent infailliblement. travaille désormais en open space (bruit continuel, concentration plus que difficile) et impossible d’ouvrir les fenêtres. Il faut subir la climatisation, l’air « épuré peut-être des pollutions et des microbes qui rendent malade, mais aussi des parfums nomades et de tous les germes de vie. » Et ce n’est pas le plus grave. Tandis

FRED ROBERT

L’auteur était présent aux Correspondances de Manosque (25-29 septembre)

Cora dans la spirale Vincent Message éditions du Seuil, 21 €

Entre deux

O

bjet double que la nouvelle parution aux éditions Picquier, Une femme et la guerre. Selon la manière dont vous ouvrirez le livre, vous aborderez l’œuvre soit par le double texte de Sakaguchi Ango, soit par le manga de Kondô Yôko qui le transcrit avec une fine précision. Les « deux nouvelles-sœurs » de Sakaguchi Ango ont été publiées à la suite de la capitulation japonaise du 15 août 1945. Une première nouvelle fut éditée en octobre 1946, et sa jumelle un mois plus tard sous le titre Une femme et la guerre suite. Pourtant il ne s’agit pas d’une suite mais d’un miroir faussé qui met en regard deux points de vue : la première

Livre de la semaine

nouvelle voit l’action par les yeux du personnage principal masculin, Nomura, mais d’une manière distanciée, à la troisième personne, la seconde par ceux du personnage principal féminin qui se dévoile dans l’évidence d’un « je ». Les récits retracent des faits identiques mais leurs interprétations s’opposent. La guerre, omniprésente, est à la fois cadre, justifications des actes, des émotions et des projections de chacun. Sans elle, l’histoire d’amour entre Nomura et « la femme », n’aurait sans doute pas existé, et l’on ignore ce qu’elle peut devenir alors que les deux amants ont survécu. « La femme » a perdu toute capacité à ressentir le plaisir physique après avoir été

vendue par sa famille à une maison de prostitution. L’homme s’avère incapable de comprendre cet être dont il partage la vie, il est désorienté par son absence d’émoi et sa fascination pour les combats aériens (on dirait que le texte s’inspire de Fusées d’Apollinaire). La guerre fausse tout dans la relation entre les êtres... Prenez le livre par l’autre bout : lecture manga, donc, l’on commence par la dernière page. Le manga composé par Kondô Yôko tisse les deux textes en un seul mouvement, précis, efficace, et ajoute par la pureté des dessins la part d’enfance qui a échappé aux héros du texte. Un travail précieux qui nous conduit à relire, à comparer ces œuvres qui disent tant sur l’envie de vivre. MARYVONNE COLOMBANI

Une femme et la guerre Sakaguchi Ango et Kondô Yôko, traduction Patrick Honnoré, éditions Picquier, 16.50 €


60 littérature

Où est le Paradis ?

I

l se trouve sur la Terre, répond Cécile Coulon dans son septième roman, Une bête au Paradis. Et même dans la terre. Le Paradis, c’est d’abord le nom de la ferme dans laquelle se déroule la violente et sensuelle saga familiale que la jeune autrice a imaginée. Un paradis qui grouille, qui suinte, qui germe et qui pourrit. Un lieu vivant, quoique plein de fantômes. Une terre qu’il faut travailler durement et jalousement garder. On est loin de l’Eden… Après un prologue – description quasi clinique du domaine et de sa dernière gardienne, Blanche (est-elle la bête de ce Paradis ?)- le roman se déploie au rythme de ses souvenirs. De brefs

Livre de la semaine

chapitres se succèdent, tous précédés d’un titre à l’infinitif (« faire mal », « protéger » « se tordre », « partir »…), comme autant de gestes à faire, sans hésiter, sans pleurer. Comme autant de jalons dans une histoire semée de deuils et de souffrances, remplie d’amour aussi. Après la mort accidentelle de leurs parents, Emilienne, « un arbre fort aux branches tordues », a élevé seule ses deux petitsenfants, Blanche et Gabriel ; elle a aussi accueilli Louis, devenu l’homme à tout faire de la ferme. Elle est « de celles qui continuent, sans relâche, à consolider leur petit empire, à la seule force de leur âme, qui est si grande, habitée de miracles et d’horreurs, si grande. » Blanche ressemble

à sa grand-mère, une « guerrière » elle aussi… Sa passion pour le séduisant et ambitieux Alexandre (est-il la bête de ce Paradis ?) manquera de la détruire ; seul son amour inconditionnel pour sa terre la tiendra. On peut juger le scénario mélodramatique, l’intrigue convenue. Ce qui fait l’originalité, et la grande qualité de ce roman, c’est la langue. Une langue musclée comme les corps des travailleurs de la terre. Une langue pleine d’images aussi, qui compare les humains à des chevaux de labour, ou à des portées de chatons, et fait saigner et pleurer les arbres comme des hommes. Une langue puissante et dure, comme la gardienne de cet infernal paradis. FRED ROBERT

Cécile Coulon était présente aux Correspondances de Manosque (25 au 29 septembre) Une bête au paradis Cécile Coulon éditions de L’Iconoclaste 18 €

Sous la surface

I

l y a ce titre, Je reste roi de mes chagrins, d’une fulgurante beauté. Emprunté à Shakespeare, il annonce la forme théâtrale du roman et son sujet même, cet isolement des hommes de pouvoir qui, Richard II ou Roi Lear, divertis ou sans divertissement, finissent par ne conserver qu’une seule maîtrise, celle de leur solitude et de leurs peines. Philippe Forest, depuis 20 ans et L’Enfant éternel, écrit la douleur liée à la mort de son enfant. Elle revient, plus ou moins présente, dans chacun de ses romans, insondable comme l’étang dont un « roi » peint inlassablement la surface : ce roi c’est Churchill, peintre occasionnel et Premier Ministre retraité, qui se fait tirer le portrait officiel par Graham Sutherland. Tous deux ont perdu un enfant. Le roman, divisé en quatre actes, ne fera entendre que leurs dialogues, comme au théâtre, avec la voix off du narrateur, le « je » du titre, qui suppose, contextualise, parle de la lumière et de ce qui paraît sur

Livre de la semaine

mais apparaitra, lisible, sur le portrait de cet homme d’État qui, derrière son cigare et son whisky, devient l’incarnation de sa mort prochaine. Le roman évite le récit pour se construire entre description et dialogue, exposer ses thèmes et leurs variations, leurs précisions. Il navigue entre l’Histoire et le théâtre, la fiction et le réel, les miroitements et leur réflexion, aux deux sens du terme. Il construit sa forme, pas à pas, ne se lit pas d’un trait mais fait naître l’envie, une fois clos, de rouvrir ses pages, pour sonder à nouveau ce qui habite sous sa surface. AGNÈS FRESCHEL

les visages, et commente aussi sa propre forme, l’universalité des histoires et ce qui git dessous. Le rythme est lent, les phrases courtes sonnent comme de sublimes aphorismes parfois, et de longues périodes cheminant à d’autres endroits. On avance vers ce chagrin commun qui ne se dira pas,

Je reste roi de mes chagrins Philippe Forest Gallimard, 19,50 €


61

Vélocipède

S

ur la route du Danube est un récit d’arpentage à vélo, une traversée de dix pays d’Europe, d’est en ouest, à contre-courant du fleuve. Pendant 48 jours, de l’Ukraine à la Forêt Noire, en passant par la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie, la Hongrie, la Slovaquie, l’Autriche et l’Allemagne, Emmanuel Ruben, géographe de formation, parcourt sur 4000 kms les chemins de halage qui longent le vaste cours d’eau vert-degris, à la rencontre des vies minuscules qui peuplent les campagnes d’une Europe centrale enclavée et périphérique. Entre roman et essai, le texte se déroule au rythme du deux roues. L’écriture, dense et débridée quand rien

Livre de la semaine n’entrave la course, se veut resserrée et comme contrariée sur les temps d’infortune. Au long de 600 pages prolifiques et très documentées, l’auteur revient sur les flux migratoires d’hier et d’aujourd’hui, alimentant une vaste réflexion sur la question des frontières intra et extra-communautaires, dénonçant à l’infini le cloisonnement territorial. Il s’inscrit dans la lignée de Claudio Magris et de son roman-fleuve Danube, s’en réfère aux idéaux d’Elisée Reclus sur la circulation des peuples dans Histoire d’un ruisseau. Foisonnement de données humaines, géographiques et historiques observées à la loupe, le récit nous emporte dans une fuite en avant

de connaissances sur la Mitteleuropa. Saviez-vous que Ada Kaleh, petite île forteresse aux us et coutumes turcs, devenue roumaine par plébiscite en 1922, passerait sous la ligne des eaux dans les années soixante, engloutie dans le vaste projet d’un barrage roumano-yougoslave ? À l’âge de 10 ans, Emmanuel Ruben inventait un état imaginaire en Forêt Noire, la Zyntarie, déplacée en mer Baltique après une leçon de démocratie familiale - on n’annexe pas les territoires ! Évoqué par fragments à chaque publication, ce pays utopique, fil rouge de son œuvre, aura-t-il un jour son propre roman dédié ? MARION CORDIER

Emmanuel Ruben était invité à la Librairie L’odeur du temps le 11 octobre dans le cadre d’Automne en Librairies, événement porté par l’association Libraires du Sud et les librairies partenaires (lire P 32) Sur la route du Danube Emmanuel Ruben éditions Payot-Rivages, 23 €.

Redevenir barbare

L’

anthropologue anarchiste James C. Scott a écrit Homo Domesticus, Une histoire profonde des premiers États, publié par les éditions La Découverte, en sortant de son champ habituel de recherche. Il s’en explique en introduction : « Au meilleur de ses capacités, l’Histoire est à mon avis la discipline la plus subversive parce qu’elle nous révèle comment les choses que nous tenons pour évidentes sont réellement advenues ». En remontant à la période où sont apparues les premières formes étatiques, vers 3 100 avant notre ère dans la vallée du Tigre et de l’Euphrate, il démontre que ce mode d’organisation n’avait rien de naturel ou d’évident. Bien au contraire, selon lui, durant des siècles ces structures fragiles avaient tendance à se désagréger au gré des rivalités territoriales, des famines ou des épidémies. La population se réorganisait alors de manière décentralisée, plus diffuse et plus résiliente... mais en laissant moins de traces archéologiques.

Livre de la semaine

James C. Scott estime que le passage d’un mode de vie de chasseur-cueilleur à une sédentarisation agricole, préalable à l’apparition des États, ne s’est pas fait sans contrainte : il a fallu plier les nomades à un travail éreintant, soumis aux aléas du climat, et à l’imposition de leurs récoltes. Le chercheur relie dans une vaste chronologie la culture des

céréales, l’apparition de l’écriture et de la comptabilité, celle des murailles édifiées autant pour repousser les razzias que pour maintenir un contrôle politique sur les contribuables. Il fait l’hypothèse, convaincante, que « l’État est à l’origine un racket de protection mis en œuvre par une bande de voleurs qui l’a emporté sur les autres ». Même une fois bien installé, solidement campé sur un système esclavagiste, comme cela a été le cas dans la période ultérieure, l’Antiquité, il ne parvenait pas toujours à retenir ses populations dans l’aire civilisée. « La charge fiscale impitoyable et le désarroi des citoyens face à la délinquance des nantis » amenaient certains romains à rejoindre... les Huns d’Attila. GAËLLE CLOAREC

Homo Domesticus Une histoire profonde des premiers États James C. Scott Éditions La Découverte, 23 €


Les films à ne pas louper Le salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot dimanche 20 octobre à 20h55 L’homme de la plaine d’Anthony Mann lundi 21 octobre à 20h55

petit

écran

La charge des tuniques bleues d’Anthony Mann lundi 21 octobre à 22h35 Gemma Bovery d’Anne Fontaine mercredi 23 octobre Broken Flowers de Jim Jarmush dimanche 27 octobre à 20h55 Dernier train pour Busan de Sang-Ho Yeon mercredi 30 octobre à 23h25

Sentir et ressentir, des nez qui valent de l’or lundi 21 octobre après Soir 3 En opérant une incursion en territoire grassois, les réalisateurs Alban Guillien et Arnaud Gobin sondent les racines d’une science singulière : l’olfactothérapie. Désormais inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité pour ce savoir-faire singulier, la commune des Alpes-Maritimes accueille des étudiants du monde entier. Des vertus apaisantes du parfum aux qualités stimulantes des arômes, qui impactent la mémoire et sont utilisés en milieu hospitalier, le documentaire opère un tour d’horizon du domaine, sondant les mystères du sens olfactif, l’art « des Nez » et la présence parfois insoupçonnée des parfums dans notre quotidien.

Microbiote, les fabuleux pouvoirs du ventre samedi 19 octobre On le serine depuis quelques temps, l’intestin serait notre deuxième cerveau. En étudiant le microbiote, les chercheurs se tournent vers l’avenir de la médecine : tapis au cœur de notre ventre, ces 100 000 milliards de micro-organismes semblent en effet ouvrir un nouveau champ thérapeutique. En Occident, l’appauvrissement avéré de la flore intestinale d’une personne sur quatre pourrait être à l’origine de troubles tels que l’asthme, les affections intestinales inflammatoires, l’obésité et le diabète de type 2. Après Mâles en péril et Le jeûne, une nouvelle thérapie ?, les réalisateurs Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade se saisissent d’un nouveau sujet d’actualité, avec toujours humour et pédagogie.

La nation de l’enfant unique

Ma vie à côté de la centrale

mardi 22 octobre à 20h50

mardi 22 octobre à 23h35

« Moins de naissances pour une plus belle existence », tel fut le crédo de la Chine pendant plus de trois décennies. Née sous ce régime, la réalisatrice Nanfu Wang mène l’enquête auprès de ses proches, d’anciens agents du planning familial et de trafiquants d’êtres humains repentis. Aux ÉtatsUnis, elle rencontre le couple fondateur de Research China, un organisme qui tente de retrouver les parents biologiques d’enfants adoptés. Le documentaire fait jaillir les nombreux traumatismes causés par ce contrôle des naissances volontariste : stérilisations et avortements forcés, bébés abandonnés ou enlevés par des fonctionnaires afin de les faire adopter à l’étranger… Tandis que le pays le plus peuplé au monde est aujourd’hui confronté au vieillissement de sa population et à un excédent de garçons. La soirée se poursuit avec la diffusion à 22h30 du documentaire Birmanie, les coulisses d’une dictature.

Ce nouveau volet de l’excellente émission documentaire Infrarouge lève le voile sur la vie quotidienne des habitants de Fessenheim. Le village alsacien jouxte l’une des plus vieilles centrales nucléaires du pays, promise à la fermeture pour cause de vétusté - 40 ans d’activité cette année. À l’occasion de cette cessation d’activité longtemps reportée, la réalisatrice Julie Roth récolte le témoignage des habitants, entre colère, sentiment d’abandon, mais aussi fierté bafouée : avant de devenir symbole de dangerosité, la centrale fut le fleuron ultramoderne de l’énergie nucléaire des années 80. Du maire au militant écologiste, en passant par le responsable syndical et les nombreux travailleurs - 850 salariés d’EDF, 350 salariés d’entreprises sous-traitantes -, il ressort une inquiétude partagée quant à l’avenir de la commune, confrontée à une complexe reconversion annoncée.


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La politique à portée de clic

La télévision peut-elle changer le monde ?

lundi 28 octobre à 14h30

mercredi 30 octobre à 20h30

Réalisé par Valérie Brochard, LCP Le Mag consacre son nouveau numéro à un sujet d’actualité chez nos adolescents : la politique décryptée par les Youtubeurs. Hugo Décrypte, Whip, Osons Causer… Des milliers d’internautes suivent avec assiduité les analyses livrées sur les réseaux sociaux par ces jeunes activistes 2.0. Enregistrées ou en direct, via un smartphone ou face caméra, chaque intervenant souhaite rendre la politique accessible aux jeunes.

À l’occasion des 30 ans de l’agence CAPA, l’émission Débat Doc consacre une soirée autour de l’utilité de la télévision. La soirée débute par la diffusion de Souffre-douleurs, ils se manifestent. Réalisé par Laurent Follea et Andrea Rawlins-Gaston, ce documentaire manifeste a permis de libérer la parole et d’interpeller les pouvoirs publics sur le phénomène du harcèlement scolaire en France. En plateau, le journaliste Jean-Pierre Gratien interrogera ensuite ses invités sur l’impact que peut recéler un documentaire sur la société.

JULIE BORDENAVE

Des bêtes et des sorcières lundi 28 octobre à 18h55 À l’occasion des vacances de la Toussaint, Arte propose une rafraîchissante série, sur la thématique des légendes et superstitions entourant les animaux sauvages. Les observations de terrain sont entrecoupées d’animations signées John Howe, directeur artistique du Seigneur des anneaux, pour renouveler en quatre volets notre regard sur certaines espèces décriées : renard, chenille à tête de sphinx, chouette effraie, pie voleuse, cerf, pic noir, blaireau, couleuvre, chauve-souris, serpent… À découvrir tous les soirs de la semaine à 19h, et sur le site arte.tv du 24 octobre au 29 novembre.

Un pour un lundi 28 octobre à 22h55 Réalisé par Eric Toledano et Olivier Nakache, le film Hors Normes sort en salles le 23 octobre (lire p.55). Il s’inspire entre autres du travail mené par l’association Le Relais Ile-de-France, qui forme des jeunes issus des quartiers populaires à la prise en charge de jeunes adultes atteints de troubles autistiques. Pendant trois ans, le réalisateur Thierry Bellanger, assisté de son comparse Philippe Elusse, a effectué des séjours d’immersion au sein de la structure. Son documentaire raconte la rencontre de ces deux univers en marge : Un pour un, ce sont ces binômes inédits, prémices de relations singulières. Parmi les apprentis éducateurs, on suit notamment le parcours de Sadio et d’Aymeric, deux amis issus de Seine-Saint-Denis, qui se forment pendant deux ans au Relais en vue de l’obtention de leur diplôme d’éducateur spécialisé.

Et aussi… Le scandale Clouzot dimanche 20 octobre à 23h20 Assemblée nationale, quand les enfants font la loi lundi 21 octobre à 20h Sommeil, prenez soin de vous mardi 22 octobre à 20h50 Violences contre les élus, est-on monté d’un cran ? mercredi 23 octobre à 20h30 Le roman de la colère mercredi 23 octobre à 22h35 Profs en première ligne jeudi 24 octobre à 20h30 La fantasy, toute une histoire vendredi 25 octobre à 22h45 Mystères d’archives dimanche 27 octobre à 13h25 Le fantastique Mr Murray dimanche 27 octobre à 22h35 Turquie, nation impossible mardi 29 octobre à 20h50 La passion Van Gogh mercredi 30 octobre à 20h55 Le funeste destin du docteur Frankenstein mercredi 30 octobre à 22h30


Giono Exposition Avec le soutien de

Mucem

J4, 30 octobre 2019—17 février 2020 Photographie : Portrait de Jean Giono par Irving Penn, Manosque, 1957, Irving Penn © Conde Nast

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