Zibeline l'hebdo

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CULTURE LOISIRS TÉLÉ ciné

02.08 > 06.09.2019

ZIBELINE

L’hebdo Cult’ n° 44-45-46

Martigues

L 18754 - 44 - F: 2,50 € - RD

cultive son patrimoine populaire


sommaire 44 45 46

société (P.4-5) Sur la piste animale avec le philosophe Baptiste Morizot

Politique culturelle (P.6-9) Martigues cutive son patrimoine populaire Le Festival de Chaillol, scène conventionnée d’intérêt national

Concert d'ouverture du Festival de Chaillol, Sibongile Mbambo à l'Église du Hameau de Saint-Michel © Alexandre Chevillard

critiques festivals (P.10-33) Avignon Off, Festival d’Avignon, Festival d’Aix, Festival de piano de La Roque, Festival de musique de Toulon et sa région, Festival Radio France Occitanie, Les Rencontres du Thoronet, Opéra au village, Marseille Jazz des cinq continents, Les Suds à Arles, Zik Zac, Jazz à Junas, Les Transes Cévenoles, le Festival de Thau, Les Musicales de Gardanne, le FidMarseille Concert de Chucho Valdès au Festival Marseille Jazz des 5 continents © Valentine Kieffer - Jazz des 5 continents

ARTS VISUELS (P.34-41) Art-O-Rama, Pareidolie, le Mucem, festival Design Parade à Toulon, MoCo Château La Coste, Istres, Gordes, Sète, Mouans-Sartoux, Cannes, Cagnes-sur-Mer, Nice

Lewis Versus Alice, Macha Makeïeff © Christophe Raynaud De Lage - Festival d'Avignon

CINÉMA (P.42-43) Films de la semaine : Rêves de jeunesse,

LITTÉRATURE (P.44-45)

Daniel Darc, pieces of my life

Livres de la semaine : Dérangé que je suis, Belles sanguinaires, Washington Black, Le français est à nous !

CONSEILS TÉLÉVISION (P.46-47)


edito

Il n’est plus de beau temps

H

ier encore faire la causette autour des aléas météorologiques était anodin. Aujourd’hui le temps est devenu le sujet majeur de nos inquiétudes. Comme des animaux blessés nous découvrons, sidérés, notre dépendance aux éléments et au vivant. Déformés par des années de contact virtuel, indirect, avec la réalité, nous ressentons soudain dans nos corps que la température nous affaiblit, qu’une trombe marine peut noyer la Corse, que la grêle d’été dévaste les cultures. Cette révélation, qui relève de l’effroi répété, affecte jusqu’à nos intimités, provoquant cette inquiétude raisonnée décrite par Pessoa. « Mon état d’âme actuel a une cause. Autour de moi tout s’éloigne et s’effrite. » Cette intranquillité fait désormais partie de nous, de nos sociétés humaines, où les maladies mentales se multiplient devant l’impossibilité avérée d’un avenir meilleur. Terminés les lendemains qui chantent : les plus revendicatifs d’entre nous demandent seulement aux politiques d’enfin désamorcer la fin du monde qui menace. On en est loin. Le ministre de l’Écologie mange du homard, sa remplaçante a organisé la casse de la SNCF, le CETA est voté

en douce, le plomb de Notre-Dame est camouflé, les policiers violents médaillés, Steve disparu sans un mot officiel de regret… Comment confier à ces politiques le soin de nous sortir de l’inquiétude raisonnée qui nous assaille ? La perte de confiance dans notre État de droit, régulateur et protecteur, ajoute à l’angoisse délétère qui s’empare d’un monde gouverné par Trump, Bolsonaro, Netanyahou, Poutine, Modi et Johnson, tous élus par les peuples qu’ils étouffent. Et lorsque d’autres peurs surgissent encore qui affectent notre conscience de nousmêmes, peur de l’autre, de la différence, de l’envahissement, du trouble sur le genre, alors les homosexuels, les handicapés, les racisés sont les victimes directes des plus désorientés, des plus effrayés d’entre nous. Face à l’effondrement de l’avenir, aux collapsus, il n’est que deux attitudes « naturelles » possibles nous disent les éthologues : la guerre individuelle pour mettre la main égoïstement sur les moyens limités de survie, ou la solidarité active, qui sauve l’essentiel des espèces. La barbarie ou la civilisation, le repli ou l’accueil, l’ignorance ou la culture. AGNÈS FRESCHEL

Photo de couverture : Martigues © A.F

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Administration admin@journalzibeline.fr contact@journalzibeline.fr

CINÉ

Hebdomadaire paraissant le vendredi

Directrice de publication Agnès Freschel

Édité à 20 000 exemplaires par Zibeline

Rédaction : journal.zibeline@gmail.com

BP 90007 13201 Marseille Cedex 1 Dépôt légal : janvier 2008 ISSN 2491-0732 Imprimé par Rotimpress Imprim’vert - papier recyclé

Commerciale Rachel Lebihan rachel.zibeline@gmail.com

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société

Au loup ! Sur La piste animale avec le philosophe Baptiste Morizot

Loup des Appennins dans le Massif-Central (France) © Clame Reporter

B

aptiste Morizot vient de la « philosophie de bibliothèques ». Il en est sorti pour suivre les pistes animales à l’air libre, notamment celle du loup. Mais encore aujourd’hui, alors que ses œuvres alimentent un puissant courant de réflexion qui s’est échappé des livres pour mieux y revenir, il doit souvent justifier auprès de ses pairs un tel sujet d’études. C’est pourtant cette approche charnelle de la pensée qui donne à ses lecteurs l’impression de sortir enfin d’un air confiné, de se « délyophiliser » l’intellect. L’été bat son plein. On émerge d’une vague de canicule pour tomber dans une autre, les nouvelles de l’environnement et de la biodiversité sont catastrophiques. Le moment idéal pour se dérouiller les neurones avec un jeune homme capable d’admettre son trouble. Lors du festival marseillais Oh les beaux jours ! où il était invité, Baptise Morizot a décrit la « tonalité affective puissante » ressentie sur le terrain, en zone de pastoralisme où il est allé enquêter. « Je me suis attaché aux bergers, aux loups, aux chiens. Cela entraîne un barbouillement moral, l’impression d’être traître à chacun ». Autant dire que le manichéisme ne passera

pas par lui, qui préfère garder la capacité à ne pas trancher entre le gentil et le méchant. Plutôt travailler la relation même avec l’animal, d’où le titre de son ouvrage Les diplomates, paru aux éditions marseillaises Wildproject, lequel suggère une négociation possible pour préserver les troupeaux.

Diplomates-garous Quelques chiffres sur lesquels s’appuie le philosophe : il y a dix mille ans, 97% de la masse des animaux étaient sauvages. Aujourd’hui, 85% sont domestiques. Les habitats naturels se réduisent comme peau de chagrin sous les coups de boutoir de l’anthropisation, et pourtant, traversant nos autoroutes, s’approchant des périphériques urbains, le loup est revenu. « Ce symbole de la sauvagerie vit collé à nous ». Et c’est une sacrée bonne nouvelle, car ce grand prédateur nous oblige à poser d’excellentes questions. Pourquoi par exemple, se demande Baptiste Morizot, quand le loup évolue dans un secteur qui n’est pas économiquement sinistré, la cohabitation du croqueur de brebis avec les éleveurs se passe-t-elle bien ?

Maître de conférence à l’Université d’Aix-Marseille, il est allé voir par-delà nature et culture sur le terrain, comme l’anthropologue Philippe Descola invite à le faire. Parfois très près, sur le plateau de Canjuers, camp militaire du Var, parfois à l’autre bout du monde. Il en fait le récit dans un court ouvrage paru chez Actes Sud, Sur la piste animale, s’appuyant sur ses notes prises à dos de cheval les doigts figés par le froid en altitude, truffé de poèmes, traversé d’élans lumineux. Il écrit qu’on a « besoin de diplomates entre hommes et loups, littéralement : de diplomates-garous, pour décoder ses mœurs exotiques ». Rapproche leurs pillages de ceux des vikings, pour qui on ne possède effectivement que ce que l’on peut protéger. Précise que le loup, comme n’importe quel animal, « n’est pas en faute, et qu’il n’est pas sans droit ».

Pister, un apprentissage Le philosophe rappelle la conception animiste des cohabitants de la terre ou des eaux : les animaux sont « un peuple fier et étranger, qui partage avec nous ce monde, et dont la proximité énigmatique


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Apprendre à partager Lors du festival Oh les beaux jours !, un autre auteur, Alessandro Pignocchi, relatait son choc lorsqu’il a appris qu’il n’existait pas de terme signifiant « nature » chez les indiens Achuar d’Amazonie. Y aurait-il donc d’autres sociétés humaines qui ne considèrent pas les espèces végétales et animales comme des ressources à exploiter ? Le vertige et les conséquences intellectuelles qui ont découlé de cette prise de conscience, nul doute que Baptiste Morizot les a lui aussi ressentis. Ses livres invitent à repenser « la grande politique vitale qui tisse les vivants dans la communauté écologique ». Nous ne sommes pas seuls au monde, tenons compte les uns des autres. Nul besoin pour cela de courir les sentes en espérant voir le loup, même si sa simple présence dans un paysage a pour effet de réveiller nos sens. En ville, observant le vol gracieux des oiseaux marins piochant dans les poubelles ; sur mer, lorsque les bateaux ramènent des filets entiers de poissons qui ne seront pas mangés ; dans les champs gorgés de pesticides où ne bourdonne plus un insecte, laissons nous déprendre de notre logique mortifère. GAËLLE CLOAREC

à lire Baptiste Morizot Les diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant Éditions Wildproject, 22 € Sur la piste animale Actes Sud, 20 €

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élève notre conception de nos propres existences ». Pister demande à décentrer son regard, exercice d’intelligence et de sagesse, à se couler dans l’umwelt du chevreuil, du serpent ou de l’oiseau, ce mot allemand intraduisible qui désigne l’environnement sensoriel propre à une espèce ou un individu. Ce qu’il voit, entend, perçoit et qui peut être radicalement différent de nos expériences humaines. En s’appuyant sur sa propre pratique du pistage et sur les récits des chasseurs-cueilleurs bushmen du Kalahari relatés par l’anthropologue Louis Liedenberg, Baptiste Morizot donne crédit à l’hypothèse selon laquelle l’humain s’est développé intellectuellement parce que pendant des siècles trouver sa nourriture exigeait d’enquêter. Dépourvu d’un odorat, d’une vue ou d’une ouïe suffisants, il a dû développer sa force de spéculation. C’est aussi, selon lui, ce qui a pu fonder la recherche collective, encourager le dialogue. Car lorsqu’on chasse en groupe et qu’on perd la piste, si précieuse, il faut deviner par où l’animal a pu passer, accepter de se tromper, chercher le parcours le plus plausible : dans cette quête, les échanges argumentés et égalitaires sont alors plus efficaces.


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politique culturelle

Martigues cultive son patrimoine Deux mois de festivités partagées, concerts, balades, repas, expos… tout est gratuit, et les habitants en profitent !

À

Martigues depuis 30 ans le festival de folklore mettait la ville en ébullition. Mais il ne durait qu’une semaine ! Aujourd’hui le relais est pris par la Ville elle-même, qui réussit son pari : il s’agit bien, encore, de convoquer le monde à Martigues, mais à partir d’une réflexion sur la culture populaire qui diffère sensiblement, et pourrait faire modèle...

La mémoire du peuple

Cultiver un patrimoine, c’est aussi valoriser les usages populaires qui persistent au Calen, cabanon sur le chenal où l’on mange les muges directement remontés des filets tendus entre les rives, immortalisé dans le roman de Sigolène Vinson (voir encadré). Dans le plaisir de la cuisine, soupe au pistou partagée, sardinades, poutargue, mélets, favouilles : Nadia Sammut, enfant étoilée de Martigues, a conduit les festivités culinaires autour des créations de la mer, en orchestrant les gestes des habitants, dans les maisons de quartiers et la cuisine centrale de la Ville, dont sont sorties 650 assiettes offertes !

Car il n’est plus question de costumes, de danses et de musiques traditionnelles, mais de ce qui fait la culture populaire à Martigues, c’est-à-dire essentiellement la mémoire ouvrière, les usages autour de la pêche, du canal et de la mer, de la nourriture, des paysages et de l’hospitalité. Et quelques Anti-festival œuvres, et quelques faits, qui se sont déroulés là et fondent ce Car la grande originalité de cet « anti-festival », comme se plaît qui peut se définir comme une « identité » commune. à le nommer Florian Salazar Martin, élu à la culture, c’est Sans doute le film Toni de Jean Renoir est-il le plus embléma- de réunir toutes les forces de la ville, pour penser, manger, tique de ce patrimoine commun, métissé et complexe. Juste danser, marcher ensemble. Et cultiver le sens de l’hospitaavant le Front Populaire c’est là que le cinéaste, produit par lité, celle qui a poussé les habitants, en 46, à partager leurs Pagnol, posa le cadre tragique de tickets de rationnement avec les cette histoire ouvrière où l’immipassagers de L’Exodus, rescagré italien défend une Martégale pés d’Auschwitz, refoulés dans opprimée par un cynique de la des bateaux prisons au large de capitale, et meurt descendu par Entre l’Étang de Berre et la Côte Bleue, non loin des tor- Port-de-Bouc. un facho. Une histoire d’amour, chères brûlantes de l’industrie pétrochimique, une ville, ja- Un élu qui affirme que le monde d’égalité et de liberté, inspirée par mais nommée mais dont les descriptions ne laissent aucun est ici, et que ces Fadas ne sont un fait divers survenu à Marti- doute : Martigues, où Sigolène Vinson a ancré son dernier pas conçus, « même s’ils sont biengues : la copie restaurée de Toni roman, Maritima. Ferrières, le pont levant qui relie l’Île à venus », pour faire venir les toua été projetée en plein air le 17 Jonquières, le canal Saint-Sébastien… et le Chenal de Ca- ristes, mais pour reprendre la juillet devant un public médusé ronte, appelé le Miroir aux oiseaux, « enclave paisible qui, main sur le symbolique : ce qui par la beauté de ce chef-d’œuvre, avec l’étang, donne l’impression que la ville entière flotte », lieu nous fonde, et ce que l’on en fait. où Martigues apparaît sous un d’élection des muges, poissons dont les œufs, séchés, donnent Dans une ville communiste où la jour plus politique que dans La la poutargue, fil rouge d’une histoire terrible et magnifique. première opposition est le RasC’est dans cet environnement atypique qu’évolue une petite semblement National, rappeler cuisine au beurre… communauté immensément attachante : Jessica, jeune mère que Martigues s’est fondé sur son Paysages et usages bousillée par la mort de son Frankie, incapable d’aimer son sens de l’accueil, du travail et du D’autres facettes de la ville sur- petit garçon Sébastien, et qui passe ses journées les yeux collés partage est important. Pour cela gissent : avec les œuvres de Félix aux jumelles pour guetter les poissons dans le chenal et tout la gratuité va jusqu’aux assiettes : Ziem, qui peignit ses paysages ce qui l’entoure ; le vieux Joseph, son grand-père, et Emile, « Pourquoi la nourriture ne sevénitiens et stambouliotes sous pêcheurs de muges ; Antoine et Dylan, deux frères orphelins rait-elle pas gratuite ? elle n’est pas la lumière et les miroitements recueillis par Emile ; Ahmed, amant de Jessica, ingénieur dans plus chère à offrir qu’un concert ». des eaux de l’étang ; avec celles la pétrochimie… et les autres, tous les autres. D’une écriture Cette gratuité, ces deux mois de de Bernar Venet et de ses sculp- poétique et ciselée, Sigolène Vinson rythme l’implacable et festivités, Martigues peut les offrir tures industrielles, fabriquées avec époustouflante mécanique d’une tragédie annoncée, et l’air à ses habitants « pour à peu près le l’acier d’Arcelor Mittal de Fos, et vient à manquer quand les mots se font durs, assombrissant même prix que le Festival de Folkentreposées à Martigues ; avec les regards et raréfiant les paroles. Pendant ce temps, imper- lore ». Soit 350 000 euros, auxquels les paysages qui mêlent les eaux turbables, les muges viennent grossir les calens… viennent s’ajouter la mise à disDOMINIQUE MARÇON marine et douce, les arbres, le position des lieux et des services calcaire et les torchères : on les de la Ville. Et l’enthousiasme des redécouvre à pied, à la voile ou en Maritima Sigolène Vinson artistes, qui « demandent moins Les éditions de l’Observatoire, 20 € cher ici qu’ailleurs ». zodiac, guidé chaque jour.

Le roman du Calen


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populaire Bals et beaux débats Entre les petits déjeuners patrimoniaux, les plages vidéos, les baletti avec Moussu T ou celui de la Libération, les Rencontres du Tout-Monde ont tenté, elles aussi, d’inventer une nouvelle forme. Où il n’est pas question d’entendre un discours, mais d’y prendre part, aux côtés de spécialistes invités pour susciter la parole, au même titre que les œuvres programmées. Ainsi, en juillet, 4 rencontres ont réuni une soixantaine de participants chacune, venus parler Mondialité, Egalité, Hospitalité et Écologie. Des échanges si fructueux que Martigues va poursuivre et enrichir la formule, dès le 6 septembre, avec une Rencontre autour des migrations, de l’exil et de l’accueil, où cinéastes, associations, militants, hôtes et exilés occuperont plus généreusement encore l’espace public… Gratuité, culture participative, mémoire ouvrière, art industriel, paysage naturel, conservation des usages populaires et attention aux artistes du territoire… décidément quelque chose s’élabore cet été à Martigues, qui renoue, entre la culture et le peuple, des liens qui n’auraient jamais dus être dénoués ! AGNÈS FRESCHEL

Au programme Toni, le tournage de Renoir aux Martigues Exposition jusqu’au 22 septembre Cinémathèque Prosper Gnidzaz Soirée Afrique du Sud Sibongile Mbambo (voir page 8) 5 août La Cour de l’Ile

Petrole, de Christian Sébille, au Fort de Bouc le 26 juin © Ville de Martigues

Artistes d’ici Car les Fadas du Monde s’appuient sur le patrimoine pour tenter la création, en favorisant les artistes de la région : Rara Woulib qui donne des couleurs et des sons haïtiens au quartier de Ferrières, Ilotopie qui invente des îles sur l’étang et la mer ; et puis Nevché et Imhotep, Isaya et Margaux Simone pour célébrer les musiques nées ici, Thomas Leleu, Christian Sébille pour en créer des nouvelles, Sophie Pondjiclis pour célébrer le chant lyrique méditerranéen… la liste des artistes qui ont animé les soirées de juillet est longue, et se poursuit en août (voir encadré). Et, déjà, c’est tout l’esprit de l’été à Martigues qui est bouleversé : parce que le Théâtre de Verdure est devenu un lieu accueillant et ouvert à tous. Parce que Yes we camp s’y est installé, avec ses campements, ses tables où l’on vient partager ce que l’on apporte (rien ne se vend à Yes we camp !), chanter, prendre la parole, et, intempestivement, se baigner. Rapidement devenu le QG des Fadas du Monde, le nouveau lieu semble définitivement entré dans les usages martégaux !

Récital Chopin Nicolas Bourdoncle 6 août Chapelle de l’Annonciade Soirée Maloya Banyan et DJ Galland 19 août Théâtre de Verdure Soirée Flamenco Nuevo Piel Canela 10 août Théâtre de Verdure Soirée Guinée Sayon Bamba 12 août La Cour de l’Île Soirée Bénin Tchalé 19 août La Cour de l’Île Fête de la Libération Marché, restauration et bal populaire 23 & 24 août Divers lieux


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politique culturelle

Les Alpes au sommet Le Festival de Chaillol devient une scène conventionnée d’intérêt national. Récit d’une belle aventure, exemplaire

Table ronde des partenaires lors de la signature de la convention © Alexandre Chevillard

C

écile Bigot-Dekeyzer, préfète des Hautes-Alpes, se réjouit du succès du Festival, devenu un modèle national, élaboré depuis 23 ans dans un territoire rural, montagneux, où l’accès à la culture est particulièrement difficile, au sens propre : un habitat dispersé, des routes qui serpentent, enneigées l’hiver… la culture, dans les Hautes-Alpes, se mérite ! Est-ce pour cela que les salles sont pleines et les initiatives particulièrement remarquables ? Ce département compte 140 000 habitants, soit un peu moins que la ville d’Aix ou que le septième secteur de Marseille (13e et 14e arrondissements). Il bénéficie d’une scène nationale, La Passerelle, qui ne désemplit pas, et de son festival des Arts de la Rue, Tous dehors enfin, dont la programmation attire plus de 30 000 spectateurs ; d’une scène conventionnée à Briançon qui ose la création avec une rare pertinence ; et du Festival de Chaillol, qui en dehors du temps d’été propose aussi des weekends musicaux d’une intense qualité. Accès à la culture ? Les Hautes-Alpes comptent 101 bibliothèques et médiathèques, dans chaque village, alors que le 7e secteur de Marseille en compte 1 seule, et que l’absence de transports en commun éloigne plus encore ses habitants, pour la plupart sans voiture, de la vie culturelle…

Un modèle de développement La population des Hautes-Alpes double en hiver, et triple en été, en partie grâce à l’offre culturelle. Qui y est, si on la rapporte aux nombre d’habitants, incomparable, pour les touristes mais surtout pour les habitants. Cela est sans aucun doute dû à la conviction de Pierre-André Reiso, qui créa la Passerelle, scène nationale de 800 places, en 1988, et sut y inventer de nouveaux modèles d’action culturelle, et y accueillir des artistes débutants tels que Catherine Marnas, Nathalie Pernette ou Hubert Colas. C’est là qu’il a inventé Les Excentrés, ces scènes nomades qui parcourent les villages et sont, depuis 30 ans, les modèles de ce « vagabondage » qui va à la rencontre du public rural ou périurbain.

Aujourd’hui ce modèle, toujours opérant à la Passerelle, est repensé par les élus des petites communes qui savent que la culture est un enjeu majeur du développement de leur territoire autour de la « grande » ville, Gap (40 000 hab.) : elle empêche la désertification, incite les jeunes à rester, crée de l’emploi, de l’activité, de la cohésion sociale. « Et de l’intelligence, et du plaisir », ajoute Joël Bonnafoux, président de la communauté de communes de Serre-Ponçon et Maire de La Bâtie Neuve (2700 hab.). Car au Festival de Chaillol l’intelligence du territoire se partage, depuis les groupements de communes des vallées gapençaises jusqu’à l’État, en passant par la région et le département, qui soutiennent et financent aussi le projet, ainsi que la SACEM. Michaël Dian, directeur et créateur du Festival de Chaillol, explique ses particularités qui lui valent aujourd’hui ce soutien unanime.

Musiques en territoire Les concerts sont nombreux dans les Alpes, l’été, mais le Festival de Chaillol a fondé son « écosystème » sur l’itinérance : sans lieu dédié, ce sont les concerts qui se déplacent dans toutes les vallée gapençaises depuis les hauteurs de la station de ski de Chaillol (1600m) jusqu’au château de Tallard, au sud du département (600m). Les week-end musicaux, de janvier à juin, assurent une présence permanente dans le territoire, et

Premiers concerts

L

e concert d’ouverture était confié, de façon emblématique, à Sibongile Mbambo, chanteuse sud-africaine venant présenter son premier album de compositions personnelles : une fusion de musiques d’inspiration traditionnelle zoulou, traversée d’élans très jazz grâce au saxophone et au duduk de Lamine Diagne et à son lyrisme tout personnel. Grâce aussi à un sens très subtil de la rythmique, entraînante et dansante à la fin des titres, mais surtout très sensuelle : les mains de Dimitri Reverchon, caressant les clochettes, frappant les peaux, tissaient un habile contrepoint à la voix de la chanteuse, qui lui renvoyait les claquements de bouche de la langue Xhosa… Un voyage en Afrique du Sud qui parlait d’exil, d’amour et des traces de l’apartheid, dans une petite église, comble, de ces vallées des Alpes qui ont su, bien mieux que d’autres, accueillir les migrants. Les enfants ne sont pas oubliés, spectateurs d’aujourd’hui et de demain… et accueillis Abraz’Ouverts ! Cet atypique « petit


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l’été le Festival s’étire durant 4 semaines. Ce sont 60 concerts qui sont programmés, auprès de communes qui sont à la fois contributrices et partenaires, et ouvrent des lieux d’accueil, église, cathédrale à Gap ou Embrun, salles des fêtes... Selon une enquête réalisée auprès de leur public, les spectateurs, fidèles, fréquentent tous les types de concerts, musiques du monde, classique ou contemporaine, durant l’année ou l’été, confiants dans la qualité de la programmation : moins de 10% du public vient parce qu’il connaît l’artiste programmé, c’est la proximité, l’ambiance et la soif de découverte qui sont leurs principales motivations.

Action culturelle et création Il faut dire que l’équipe du Festival de Chaillol pratique la proximité active. Ils interviennent, avec les artistes en résidence, dans les établissements scolaires (18 classes par an), la prison de Gap, le foyer pour travailleurs handicapés de Tallard, la Chrysalide. Il s’agit d’apporter la musique partout et à tous, non pas pour présenter les concerts mais pour expérimenter les sons, les langages, avec les artistes : Manu Théron, Perrine Mansuy, le trio de Pascal Charrier (jazz contemporain), Mandy Lerouge… apportent avec eux un monde à partager. Car le Festival de Chaillol est particulièrement attentif aux artistes de la région. Et si la SACEM s’engage dans la convention pluriannuelle aux côtés de l’État, de la Région, du Département et des communes, c’est parce que la création musicale est au cœur du projet. François Besson, directeur de l’action culturelle à la SACEM, rappelait les difficultés des compositeurs. S’engager auprès du Festival de Chaillol c’est, selon lui, « faire bénéficier les compositeurs vivants d’une aide réelle, dans un monde où seule une poignée de créateurs vit de son écriture ». La société

théâtre de son » rassemble les deux percussionnistes Jérémie Abt et Bastian Pfefferli. Retrouvailles où les rythmes deviennent langage et soulignent malicieusement les expressions des musiciens-comédiens avec une légèreté et une fantaisie réjouissantes. Zarbs complices, embrassades qui

de perception des droits, « la plus importante en volume » précise-t-il, salue la pertinence du projet : ce sont 10 compositeurs qui vont bénéficier non seulement d’un hébergement mais aussi d’une rémunération. Pour écrire, sans obligation de résultat, des œuvres qui seront, ou non, programmées et enregistrées. « On sous-estime l’importance, pour un compositeur, du cadre de son travail. Le silence, ou du moins la différence des sons qu’on entend ici, des espaces et des odeurs, de la relation au temps, aussi, sont des éléments qui influent sur l’écriture. Les conditions d’accueil aussi… » Michaël Dian est persuadé que ce dispositif de résidence de compositeur est à même de susciter un répertoire nouveau. Contemporain, inspiré par les cimes et les questions écologiques, mais aussi par les échos du monde. AGNÈS FRESCHEL

Chaillol en chiffres (2019) Les signataires de la Convention Ministère de la Culture : 110 000 € Région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur : 120 000 € Département des Hautes-Alpes : 55 000 € Communauté de communes du Champsaur Valgaudemar : 35 000 € SACEM : 50 000 € Autres communes partenaires (une quarantaine) : 60 000 € 60 concerts 10 à 12 commandes d’œuvres nouvelles 5 salariés permanents, quelques intermittents, une quarantaine de bénévoles, un Conseil d’Administration paritaire de 14 membres très impliqués

transforment les dos en instruments percussifs, table devenue peau de tambour sur laquelle s’exercent verre et bouteille en un difficile partage. La palette des relations humaines se trouve déclinée ici avec humour, amitié, rivalité, brouille, réconciliation… Les deux compères cintrés dans leurs costumes sages réinventent une langue qui emprunte à toutes, composition éloquente que viennent habiter des extraits musicaux de Jean-Pierre Drouet (aussi à la mise en scène) et Georges Aperghis, et du Duo Braz Bazar himself. On peut aussi colorier la « feuille de salle », en s’inspirant des êtres fantastiques qui naissent parfois sur scène… Un petit régal à partager en famille ! AGNÈS FRESCHEL ET MARYVONNE COLOMBANI

Le Festival de Chaillol se poursuit jusqu’au 12 août Concert d'ouverture du Festival, Sibongile Mbambo à l'Église du Hameau de Saint-Michel © Alexandre Chevillard


10 festivals

Derniers ret Trois solos de Valletti Mary’s à Minuit

À plein gaz

Catherine Marnas avait créé ce spectacle il y a 17 ans, avec Martine Thinières, qui lui avait fait découvrir le texte. Un monologue douloureux, celui d’une femme délaissée, simplette, inadaptée, dont la pensée tourne en rond, se répète, chemine étrangement, avec des éclairs de lucidité sidérant. Le texte était tendre et drôle, cruel de solitude, mais pas tragique… 17 ans après il l’est devenu. Les robes de mariée qui entourent Maryse semblent aujourd’hui flotter comme des spectres : Martine Thinières, plus âgée, fait vibrer plus cruellement cet échec de vie, le rejet profond, le désir d’amour. Elle est constamment juste, et bouleversante dans la dernière scène, quand elle retire comme un masque sa perruque rose pour laisser apparaître les marques du temps… Mais ce texte résonne aussi différemment parce que la société est devenue plus cruelle, plus excluante. Que les psychiatres s’inquiètent de la forte recrudescence des maladies mentales, en particulier chez les jeunes, chez les femmes. Cette Maryse pourrait, bien plus qu’il y a 17 ans, être nous, notre voisine, notre sœur, dans une classe populaire prête très souvent à basculer dans la folie.

Ce solo-là remet profondément en cause l’empathie que l’on éprouve généralement avec les personnages de théâtre. Parce que la folie de cet homme, son dérangement, l’amène vers une violence criminelle, un féminicide, et l’attentat qu’il pourrait perpétrer après même si les psys l’ont déclaré inoffensif. Contrairement à ses solos de femmes, Valletti a créé ici un personnage déplaisant, mais dont on comprend chaque faille, chaque motivation. L’oppression du travail, les trois huit inhumains qui le dérèglent et laissent sur sa peau une constante odeur d’huile. Ses rapports avec sa femme qui dégénèrent. Ses rêves qui n’en sont pas, sa violence immaîtrisée qui le dépasse, le tord et le torture. Alain Timar le place dans le même décor immaculé et pseudo bourgeois que la jeune femme de Pour Bobby, fait entendre, là encore, les voix qui naissent de la psychose. Nicolas Gény est inquiétant, ironique, antipathique, et puis bouleversant parfois d’éclat de douleur niée. A.F. Mary’s à Minuit, Pour Bobby et À plein gaz ont été joués au Théâtre des Halles du 5 au 28 juillet

Pour Bobby Alain Timar s’est lui aussi penché sur un solo pour femme de Serge Valletti, traquant toujours ces singularités qui poussent certains d’entre nous vers ces états limites, borderline, où le réel perd pied. Charlotte Adrien incarne une jeune femme pleine de vie, d’énergie, prête à travailler, être « distributrice » ou « metteuse », être utile et se préparer, comme tout le monde, un « frichti » le soir. Le texte de Valletti, fondé sur une tension moins digressive que Mary’s à Minuit, dévoile peu à peu les difficultés sociales, les chocs subis, son désir de « déchoquer » qui se heurte à des murs intimes et à l’incompréhension des psychiatres… jusqu’à la révélation finale, bouleversante.

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À plein gaz © Louise Maignan

L’Ambition d’être tendre Christophe Garcia et sa compagnie La Parenthèse aiment la danse qui danse, contemporaine et essoufflante, physiquement impliquée. Le public du théâtre Golovine aussi, et leur création a soulevé l’enthousiasme. Le trio -un danseur, deux danseuses- évolue en cercles et rotations, bras ouverts, se touchant, se caressant, s’empoignant et se portant, esquissant un récit de leur relation implicite, accompagné par une musique inattendue et hors du temps. Il y est question de tendresse autour d’un temps concentrique, à la fois

archaïque et actuel, symbolisé par une ronde qui ouvre et clôt le spectacle. Les musiciens font résonner cornemuses, tambourins et galoubets, relayés par des compositions et dispositifs électroniques, et les danseurs foulent une terre ocre et sans artifice. Le rythme prend, la musique et les corps emportent, vers une transe non pas effrénée mais tranquille… Tendre, et suspendu. A.F. L’Ambition d’être tendre a été créé au Théâtre Golovine du 5 au 26 juillet


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ours du Off ! Bérénice/Paysages Une proposition étonnante que ce solo de l’Ensemble Atopique II. Il s’agit de la pièce de Racine revisitée, réduite à l’essentiel, c’est-à-dire la douleur de la séparation. Un hommage que Frédéric Fisbach a souhaité rendre à la somptueuse langue de Racine, avec son interprète, magnifique Mathieu Montanier. Pour cela il adopte le point de vue de l’acteur, traversé par le texte. De retour dans sa loge, il se démaquille, consulte son portable, murmure des mots du texte qu’il

vient d’interpréter. Mais son téléphone ne lui annonce pas ce qu’il attendait. Ramené totalement dans le texte, il enchaîne les répliques de tous les rôles, tour à tour Bérénice, Titus et Antiochus, drapé dans une fouta. La vie de l’acteur se mélange alors avec celle des personnages, et l’émotion affleure, bouleversante. C.B. Bérénice Paysages s’est joué au Théâtre des Halles du 5 au 28 juillet

Ava, la dame en verte Somptueuse femme fatale tout de vert vêtue, la suave Ava sait dompter jusqu’aux rideaux de scène. Dans une ambiance glam rock tendance RKO Pictures, l’acrobate Orianne Bernard remet à la mode quelques techniques oubliées : suspensions par la mâchoire ou les poignets, saupoudrées d’une certaine dose de fakirisme. La circassienne assaisonne sa pratique aérienne d’un joli personnage de clownesse glamour, empoignant un ukulélé à l’occasion. À la mise en scène, la fantaisie d’Alexandre Pavlata (à la

tête de la Cie n°8 en rue) se niche dans un plateau sans cesse partitionné, des rideaux qui n’en font parfois qu’à leur tête, laissant apparaître ou disparaitre agrès comme accessoires. Les hommages à la pop culture sont légion, telle la démultiplication de la silhouette de la trapéziste en ombre chinoise, dans un effet split screen aux couleurs acidulées que n’aurait pas renié Brian de Palma. J.B. Ava, la dame en verte a été donné au Théâtre du Chêne noir du 5 au 28 juillet

Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner Cela devait être un atelier théâtre, ou l’occasion de faire un film. Quelque part en banlieue parisienne, l’auteure-comédienne Christine Citti et le metteur en scène Jean-Louis Martinelli se sont immergés dans un foyer d’accueil d’urgence. Une semaine plus tard, il s’est avéré que ni les jeunes, ni les éducateurs ne les « calculaient ». Tout semblait dérisoire, dans ce chaos immobile, pétri de violence et d’ennui étrangement mêlés. Et Christine Citti, peu à peu, s’est intégrée, les a écouté vivre. Les mots de ces oubliés de la société se sont imposés pour faire théâtre, entre document et écriture. Le texte est brut et le jeu des jeunes comédiens est troublant de

vérité. Jouent-ils leur propre rôle, comme Christine Citti qui incarne cette femme venue d’ailleurs, posée là autant comme une intruse qu’une alliée ? C’est peut-être la limite de ce beau moment de théâtre, qui ne choisit pas entre dramaturgie fictionnelle ou documentaire tout droit sorti d’une réalité à exposer brute. A.Z. Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner a été donné au Théâtre des Halles du 5 au 28 juillet. La pièce se jouera à Châteauvallon - scène nationale Ollioules les 4 et 5 octobre, et au théâtre du Gymnase les 8 et 9 octobre

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12 festivals

Être ou ne pas La Cie Les Passeurs continue son projet en trois volets Héroïne(s) sur les addictions, initié en 2018 et se poursuit en 2020, mené par la comédienne-metteur en scène Lucile Jourdan. Elle a passé commande à trois auteur(e)s d’un monologue pour une actrice, chacun traitant d’un problème de dépendance, l’alcool, l’amour et le travail. Deux ont déjà été créés au Théâtre Joliette à Marseille, Lamento de Livia de Sabine Tamisier et Des cercles bleus et noirs de Dominique Richard. Le 3e, Être ou ne pas, a fait l’objet d’une lecture par son auteure, Sophie Lannefranque. Texte séduisant et intense :

une femme qui a tout donné à son boulot se voit proposer une mutation ; son monde s’écroule. La lecture était suivie d’un dialogue entre les auteur(e)s et la metteuse en scène portant sur les contraintes soumises à la commande d’écriture et sur la place des personnages féminins dans les textes de théâtre. Mais aussi sur l’empathie de l’auteur(e) avec son personnage. C.B. La lecture et l’échange ont eu lieu le 15 juillet au Conservatoire d’Avignon. La pièce sera créée au Théâtre Joliette du 11 au 14 février

La terre se révolte Un large extrait de la pièce de Sara Llorca, Omar Youssef Souleimane et Guillaume Clayssen, La Terre se révolte était donnée en avant-première à la Chartreuse sous forme d’une lecture duelle avec Lou de Laâge et Elie Youssef (Cie du Hasard Objectif). Le texte rend compte d’une discussion entre un poète, réfugié syrien, à l’instar de l’auteur du livre Le petit terroriste (Ed. Flammarion), Omar Youssef Souleimane, aujourd’hui réfugié politique à Paris, et une jeune philosophe française, descendante de migrants espagnols. Elle souhaite étayer de témoignages un mémoire qui a pour thème les fanatismes et les exils. Lui, « philosophe des Lumières arabes du XXe » (dit-elle), est devenu athée en relisant le Coran, après avoir été élevé dans une école salafiste, et a fui la violence de la dictature du salafisme. Les histoires de chacun permettent une confrontation riche et nuancée sur laquelle plane la musique de Fairouz, les poèmes de Souleimane… échos de son merveilleux recueil, Loin de Damas (Ed. Le Temps des Cerises). M.C. Lecture donnée le 17 juillet à La Chartreuse de Villeneuve-Lez-Avignon. Le spectacle sera créé aux Bernardines du 21 au 25 janvier 2020

40° sous zéro © Darek Szuster

L’homme canon

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Tandis qu’il fête les 10 ans de sa création Miettes, l’équilibriste Rémi Luchez fait une nouvelle entrée fracassante -au sens propre du terme- dans le paysage du cirque minimaliste. Cette fois, il s’adjoint les services de Lola Calvet, époustouflante chanteuse et musicienne. De la plante posée sur le plateau dans sa seule motte à un improbable matelas de céramique, tout est ici à l’économie de gestes et de décors, pour servir l’idée la plus juste, l’émotion la plus essentielle. Chez les deux artistes, absorbés à leur tâche nous restant parfois de prime abord absconse, la tenue de jeu est impassible ; les silences, ménagés. Chaque action n’en est que davantage

mise en valeur, de l’insensée mise en danger de l’acrobate, qui attaque patiemment au marteau le petit socle de grès sur lequel il est perché, à l’irrésistible reprise a capella d’un tube pop des années 2000. Une nouvelle fois l’acrobate trouve de merveilleux subterfuges pour échapper à la gravité. Jamais son propos n’aura été aussi dépouillé et limpide, au plus près de l’essence de sa discipline, l’équilibre. J.B.

L’homme canon s’est donné sur l’Île Piot, du 8 au 20 juillet


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L’Âge d’or C’est sur proposition du Festival de Marseille que le chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing se lance dans l’aventure de l’Âge d’or. Pendant deux ans, avec sa compagnie Shonen, il mène des ateliers de danse avec une dizaine d’enfants en situation de lourd handicap, au centre d’éducation motrice Saint-Thys à Marseille. Généralement accompagné d’une performance, le court-métrage l’Âge d’or était présenté sans son « complément vivant », à Avignon. Un choix qui permet finalement d’apprécier le travail pour ce qu’il est : une œuvre d’art à part entière. Inspiré par des propos de Merce Cunningham,

Eric Minh Cuong Castaing choisit de rendre la caméra protagoniste de la danse. Et de poser une question intrinsèque à l’artiste : qu’est-ce que la beauté ? Dans une lumière irradiante et onirique, nouvelles technologies et références mythologiques s’entremêlent pour donner vie à une danse commune entre corps virtuoses et empêchés, de laquelle chacun peut sortir transformé, augmenté. L.T.

L’Âge d’or a été programmé du 11 au 17 juillet par la Manufacture

Jeanne Quand paraît Jeanne d’Arc de Joseph Delteil en 1925, son auteur s’attire autant les foudres de l’Église catholique, qui cinq ans plus tôt canonisait l’héroïne nationale, que celles d’André Breton, qui le bannit du mouvement surréaliste. C’est cette Jeanne que Chantal Raffanel adapte (avec Kamel Guennoun) et raconte, seule sur scène. Dès l’enfance à Domrémy apparaît une aura indéniable, une autorité naturelle qui lui font épouser la cause du Royaume de France. Au fil d’un récit admirablement mené par la comédienne, la petite histoire réécrit l’officielle et déconstruit un mythe. On (re)découvre comment cette adolescente qui ne sait ni lire ni écrire ni monter à cheval se laisse convaincre de prendre la tête d’une armée de dépravés au service d’un jeune roi incapable. Au final, de quoi Jeanne d’Arc est-elle le nom ? D’une adolescente pure, entière et passionnée, dont le sentiment national, l’engagement militaire et le dévouement religieux ne seront pas remerciés mais bel et bien trahis par ceux-là même pour lesquels elle s’est jusqu’à l’extrême dévouée. L.T. Jeanne a été joué du 5 au 28 juillet au théâtre Isle80

40° sous zéro Munstrum Théâtre, compagnie associée à La Filature de Mulhouse, propose deux pièces de Copi, jouées à la suite. Toutes deux se passent dans le froid, en Sibérie et en Alaska, dans un univers où la survie est difficile et sur lequel plane une menace sournoise. La première pièce, L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, met en scène une mère et sa fille (ou son fils) qui « se fait sauter par les cosaques dans les chiottes de la gare », puis une bourgeoise à laquelle son père a fait greffer une « bite » en or. Ces êtres étranges changent de sexe sans arrêt et sans réel plaisir. La seconde pièce, Les quatre jumelles, est

encore plus déjantée. Affublées de faux seins, de fausses fesses et en patins à glaces, les jumelles s‘écharpent, se piquent à l’héroïne, meurent et ressuscitent. Le spectateur se perd un peu dans cet univers grand guignol, mais les costumes ahurissants de Christian Lacroix, les masques double-peau de Louis Arène et l’engagement absolu des comédiens sauvent la mise. C.B. 40° sous zéro a été joué du 5 au 25 juillet à la Manufacture La pièce se jouera du 30 janvier au 1er février 2020 à Châteauvallon - scène nationale Ollioules

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14 festivals

J’entrerai dans ton silence Hugo Horiot est né Julien, diagnostiqué autiste Asperger à l’âge de trois ans. Une enfance qu’il perçoit très tôt comme différente et dont il souffrira, couvrant ses mots. De sa volonté de tuer Julien, l’enfant enfermé dans son silence, naîtra celui qui devra entrer dans le langage et affronter le monde, Hugo. Sa mère, Françoise Lefèvre, ne se résout pas à attendre une prise en charge, médicale et sociale, tardive et dénuée d’humanité. Sa rage d’amour pour son fils lui donnera le courage de partir au combat, « un combat de larmes et de violence », radical, qui les révèlera l’un à l’autre. La mise en scène minimaliste de Serge Barbuscia fait s’affronter

ces deux paroles, ces deux corps qui se cherchent dans une communication à inventer sur scène, après celle que chacun a donné à lire (L’empereur c’est moi, éd. L’iconoclaste, et Le petit prince cannibale, éd. Actes Sud). Camille Carraz et Fabrice Lebert les incarnent à merveille, épaulés par Serge Barbuscia mué en narrateur intrusif et nécessaire d’une épopée bien réelle. DO.M.

J’entrerai dans ton silence a été donné du 5 au 28 juillet au Théâtre du Balcon

Une goutte d’eau dans un nuage Elle est l’une des révélations du Off. Éloïse Mercier est une jeune artiste soutenue par le Liberté, scène nationale de Toulon. Seule derrière un micro, d’une voix posée, elle nous fait partager une tranche de vie à Hô-Chi-Minh-Ville, où elle a décroché un poste dans une société de BTP. Loin du récit de l’expatriée en quête d’exotisme, l’auteure, metteure en scène et comédienne décrit son arrivée, en pleine mousson, dans ce Saïgon si présent dans l’imaginaire collectif. De la densité de la ville à celle de la jungle, en passant par la rencontre avec « B », tout commence dans la moiteur, se poursuit dans la suggestivité et termine par un lâcher-prise. Un univers durassien, égayé par des néons sous forme d’objets miniatures et un poisson rouge comme témoin muet d’un passage. Celui d’un corps étranger à un corps immergé, où les questions d’identité et de culture se diluent dans l’excitation et l’abandon. L.T. Une goutte d’eau dans un nuage a été joué du 5 au 28 juillet, au Théâtre transversal et sera donné à Châteauvallon - scène nationale Ollioules les 29 et 20 mai 2020 Semeurs de rêves © Cie Les Vagabonds des étoiles

Music-Hall Comme beaucoup de pièces de Jean-Luc Lagarce, Music-Hall raconte le monde du spectacle et ses coulisses. Derrière le strass et les projecteurs, l’envers du décor n’est pas toujours aussi flamboyant. Une artiste de cabaret et ses deux « boys » interprètent le même spectacle depuis des lustres. Une troupe avec de maigres moyens et qui tourne, sans répit, dans les salles les plus paumées. La langue est belle, le texte rythmé. L’interprétation de Céline Pique, Christophe Champain et Éric Sanjou porte ce qu’il faut de dépit et d’exaltation. La scène, une passion ? Certes mais aussi un travail avec ses contraintes, ses galères, sa routine. Artiste,

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un métier comme les autres ? Quasiment, et bien souvent exercé dans des conditions d’artisan. Avec ce rapport ambivalent au public qui ne facilite pas la protection de l’intime. Mais malgré tout, quelle autre issue, quel autre désir voire quel autre besoin que de jouer ? Encore et toujours. L.T.

Music-Hall a été joué du 5 au 28 juillet, à l’Espace Alya


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Burnout Un homme et une femme impeccablement habillés sont dans un espace vide. Tous deux se lancent dans un discours qui nous livre leurs pensées. Ils se répètent des encouragements au travail, à la performance, à la course à la réussite : travailler plus, atteindre les objectifs, « rentabiliser le temps ». L’auteure Alexandra Badea (lire aussi p16 et 17 ) livre avec Burnout un texte incisif, implacable. L’homme (Pierre-Marie Paturel) se justifie : « Il ne faut pas avoir honte de vouloir une vie plus facile pour sa famille », tandis qu’elle (Hélène Tisserand) clame ne pas baiser, mais jouir de son investissement dans son travail. Tous deux, impeccablement justes,

sont efficacement dirigés par Marie Denys. Mais la mécanique déraille : d’entretiens annuels en thérapie, leur univers se craquelle. La fin de la pièce, totalement inattendue, nous transporte dans un espace plastiquement séduisant. Les personnages ont tous deux lâché leurs longs cheveux, jouent avec des faisceaux lumineux dans des images oniriques : retour aux sources ou nouvel avenir ? C.B.

Burnout s’est joué au 11. Gilgamesch du 5 au 26 juillet

L’abattage rituel de Gorge Mastromas Né sous la plume de l’auteur britannique Dennis Kelly, Gorge Mastromas est un cas unique dans l’Humanité : il choisit toujours la bonté contre la lâcheté. Pour restituer la grandeur et décadence de ce personnage, dans lequel il voit une « espèce de Richard III moderne », Guillaume Gatteau, ancien membre de la compagnie Stanislas Nordey, donne à sa mise en scène les allures d’un conte, sculptant la scène avec des aplats de lumière. Sans jugement moral, les faits s’égrènent de manière quasi clinique, de la bouche de deux narrateurs très pince-sans-rire. Les ruptures de tons et d’émotions sont légion, abordant les affres d’une banale jeunesse en province, la violence d’un capitalisme outrancier mais aussi les abus conjugaux, jusqu’à l’apothéose. Pas de projection vidéo ici, ni d’accessoire superflu. La fidèle Idée mise sur l’essentiel : le choix du bon texte, servi par les très belles présences des comédiens (mention spéciale à Gilles Gelgon dans le rôle-titre). J.B. L’abattage rituel de Gorge Mastromas a été joué du 5 au 26 juillet à LaScierie

Prix régional La Région Sud a lancé cette année un Prix du Off récompensant un spectacle présenté pour la première fois à Avignon par une compagnie installée sur le territoire régional, et n’ayant bénéficié d’aucun soutien de la Région. Une façon d’aider en notoriété, en financement (3000 euros) et en ingénierie : la compagnie bénéficiera d’un temps de répétition dans les studios de la régie régionale, ainsi que d’une formation administrative à l’Arcade. C’est la compagnie Les vagabonds des étoiles qui a remporté le prix de cette première édition. Retenu par un jury composé de jeunes et de professionnels, son spectacle Semeurs d’étoiles s’adresse aux enfants (fin primaire et collège) par une jolie fable : Charlotte Clément (écriture, mise en scène et jeu) et Stefan Mandine (scénographie, animation et jeu)

proposent une fable sur l’accueil, dans le village de Griseville, d’un couple qui va remettre un peu de joie et de rêve dans les cœurs d’habitants. L’animation qui sert de décor mobile, la musique jouée en direct, les figures dessinées manipulées comme des marionnettes, les jeux d’ombres derrière les fenêtres hostiles, font de ce spectacle une joie pour les yeux, et le message d’hospitalité et de foi dans la puissance créative est bienvenu… Le spectacle tourne depuis un moment dans des cadres scolaires, et ce prix permettra sans doute une reconnaissance nouvelle à la compagnie ! A.F.

Semeurs de rêves a été joué du 5 au 28 juillet au théâtre du Coin de la lune

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Avignon est une étoile Il y a des années brillantes, des ternes, des tristes et des inattendues. L’édition 2019 aura marqué un tournant générationnel

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Festival d'Avignon

livier Py annonce son départ, après 2021 : il ne prolongera pas au-delà de ses deux mandats. Avec un festival raccourci de quelques jours faute de financements, et privé de quelques lieux essentiels comme Boulbon ou les Célestins, le Festival 2019 aura fait au mieux : près de 140 000 entrées, plus de 95% de fréquentation… Le mystère des choix de financement public persiste : pourquoi manque-t-il à ce festival, qui rapporte au territoire près de 3 millions par jour -le Off s’asphyxie après la fin du In-, les 200 000 euros qui lui permettraient de revenir vers un festival de 4 semaines, ou au moins 3 complètes ? Durant la conférence de presse de clôture le 23 juillet, Olivier Py défendait le bilan de cette édition et répondait à certaines critiques. Au Figaro lui reprochant un festival trop politique (de gauche ?), il rappelait que le théâtre l’est forcément. À ceux

qui regrettaient l’absence des stars européennes de la mise en scène, il répondait qu’il fallait programmer des artistes jeunes, et des femmes, et donc prendre le risque d’une affiche moins connue et nouvelle. Sans doute la défection de Katie Mitchell, prévue un temps dans la Cour d’Honneur et remplacée trop tardivement par Pascal Rambert, explique-t-elle aussi les faiblesses du début du Festival (voir Zibeline 41) qui s’est conclu avec beaucoup plus de réussite.

Spectacles du monde Dans la Cour Akram Khan a « dompté le diable » (Outwitting the devil) de très belle manière ; Outside a bouleversé le public et rappelé que Kirill Serebrennikov est toujours retenu en Russie. Très explicite, Quais de scène d’Alexandra Badea

Nos produits régionaux Trois des meilleures surprises du Festival ont été créées, répétées, financées dans la région, et pourront y être vues durant la saison à venir

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vec L’Amour vainqueur, Olivier Py joue en modes mineurs et populaires. Le conte, récit d’essence traditionnelle dont il est familier -c’est sa 4e adaptation d’un conte des frères Grimm- ; le théâtre jeune public, considéré encore comme un petit frère simplifié du théâtre pour adulte ; l’opérette, dont le diminutif en français dit sans ambiguïté le statut et sa condescendance ; la versification sans rime, alexandrins blancs depuis longtemps (Rostand ?) méprisés. Et, surtout, un mode de jeu grandguignolesque, extérieur, où les acteurs jouent des archétypes plus que des personnages, maquillés, grimés, excessifs, qu’ils soient princesse ou jardinier, roi, prince ou traître. Traître surtout, à la fois burlesque et effrayant, intemporel et si actuel, pourtant. Car la forme populaire et quatre fois mineure met en scène des enjeux majeurs, la guerre, l’amour, la politique, le jardin, la violence et les ruines. La Fille de vaisselle et le Jardinier brouillent les pistes des assignations sociales et genrées, et les comédiens, à la fois musiciens et chanteurs, sont formidables. La musique sonne, la scéno machinée est ingénieuse et belle,

Lewis Versus Alice, Macha Makeïeff © Christophe Raynaud De Lage - Festival d'Avignon

le spectacle est enlevé, ironique, charmant, incongru. Le public emporté applaudit debout, les vers, les mélodies et contrechants restent dans les oreilles… Délicieux !

Les rêves défaillants L’univers de Macha Makeïeff est tout aussi particulier, et plus fêlé, plus intime. Son Lewis versus Alice est un voyage

au pays de Lewis Carroll mais surtout dans les rêves que son univers provoque. Un rapport à l’enfance douloureux, où la fantaisie est inquiétante, les images sublimes, où les couleurs, les chants, les objets, les costumes semblent doués d’une âme enfouie et familière, témoins de cette « inquiétante étrangeté » dont parle Freud, faisant surgir et ressentir, un instant, ces choses indicibles que l’on


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(voir aussi p 15) confirme le talent de l’auteure metteuse en scène, et surtout sa pertinence à s’attacher, dans ces Points de non-retour, aux « récits manquants » de notre histoire officielle. Ici celle du 17 novembre 61 à Paris, où des dizaines, sans doute des centaines d’Algériens ont « disparu » de la réalité et des mémoires. Comme dans le premier volet consacré aux tirailleurs sénégalais, Alexandra Badea s’attache aux stigmates inconscients de ces crimes d’état et omissions nationales dans les mémoires individuelles et l’inconscient collectif, faisant coexister deux plans scénographiques. Une production que nous n’aurons pas l’occasion de revoir dans la région cette saison, tout comme Le reste vous le connaissez par le cinéma, texte de Martin Crimp sur l’éternelle histoire d’Œdipe, version Euripide, avec une Dominique Reymond absolument hallucinante en Jocaste, et un chœur de jeunes filles formidable. Nous ne verrons pas davantage La Maison de thé, production chinoise difficile à déchiffrer pour qui ne connaît pas l’histoire chinoise et sa tradition théâtrale, dynamitée par Meng Jinghui sans qu’on comprenne vraiment en quoi, sauf tout au bout des 3 heures du spectacle. Quelques indications, sur les époques traversées, les changements de temps, l’implicite sans doute

Les désirs antagonistes Naomie Wallace, juste avant la prise de conscience de « me too », a écrit un texte subtil et éclairant sur les relations sexuelles adolescentes, dans une petite ville américaine qui pourrait être n’importe quelle banlieue pavillonnaire après 68. La Brèche met en scène 4 adolescents, une fille et trois garçons, en 1974 puis 15 ans plus tard. Il y est question de pouvoir, de classes sociales, de difficultés financières, de mort et de travail,

mais surtout de désir et de sexe. De domination sexuelle. La jeune fille, plus âgée, séduit et retient deux adolescents obsédés par leur dépucelage. Le troisième, frère fragile de cette Jude fascinante, y perdra pied… Tommy Milliot rend avec subtilité les nuances du texte : la notion de consentement y apparaît dans ses contradictions, rien n’est manichéen ; les coupables, du moins l’un des deux, restent sympathiques, le frère inadapté est joué avec une infinie tendresse, et les deux époques s’intercalent dans une scénographie minimaliste qui crée ses espaces par des jeux d’ombre et de lumière. Les 7 comédiens, très jeunes pour les 4 qui jouent les adolescents, jeunes encore pour les 3 qui se retrouvent 15 ans après, sont formidablement dirigés, tissant ensemble un destin qui fait froid dans le dos, parce qu’il aurait suffi d’un rien pour que la tragédie n’advienne pas. La dernière scène est, à ce titre, bouleversante. AGNÈS FRESCHEL

À voir dans la région Outwitting the devil Akram Khan 29 & 30 novembre au GTP, Aix Phèdre ! François Gremaud 2 au 4 mars au Théâtre de Fontblanche, Vitrolles 5 & 6 mars au Théâtre de l’Olivier, Istres Sous d’autres cieux Maëlle Poésy 10 janvier au théâtre Anthéa, Antibes 17 janvier à Châteauvallon – scène nationale, Ollioules 12 au 14 février au théâtre du Gymnase, Marseille 13 mars au Théâtre Durance, Château-Arnoux-St-Auban L’Amour vainqueur Olivier Py 19 & 20 mars au Théâtre National de Nice Lewis versus Alice Macha Makeïeff 21 & 22 novembre au Liberté – scène nationale, Toulon 27 novembre au 7 décembre à La Criée, Théâtre National de Marseille 19 au 21 décembre au Théâtre National de Nice La Brèche Naomie Wallace/ Tommy Milliot 2 & 3 avril au théâtre du Bois de l’Aune, Aix 8 au 10 avril au Théâtre Joliette, Marseille

Festival d'Avignon

sait et qui viennent chaque nuit peupler nos rêves, pour disparaître au matin. Le lapin blanc, le chat cinglé, les œufs jumeaux, le jabberwock, le son des cloches, tout dans ce spectacle parle et apparaît, les non-sens obstinés, Alice et son double, les larmes qui noient le monde. Dans une scénographie raffinée, à étages et recoins, les miroirs réfléchissent mais laissent surtout surgir les apparences, les distorsions, les revers. Tout fonctionne, surprend, émerveille. Les comédiens tiennent un rythme millimétré, un jeu délicat entre murmure et surprise, et font entendre les chants de l’inconscient entrecoupés d’éléments disparates, narratifs ou poétiques, approchant les zones où nos psychés peuvent s’égarer, ces états limites où la réalité perd pied, mais où le spectacle peut prendre corps.

très clair en Chine, auraient permis de suivre plus facilement… Problème de prérequis qui ne se pose pas dans Histoire(s) du théâtre II : Faustin Linyekula plonge dans la mémoire du Ballet National du Zaïre, faisant résonner l’histoire et la culture officielle, les parcours des artistes retrouvés, les relations de la Belgique et son ancienne colonie, Mobutu, le Rwanda tout proche, et la construction d’une identité culturelle factice, insuffisante, oubliée. Un autre spectacle qui ne passera pas dans la région… contrairement au Phèdre ! que nous avions vu au Théâtre du Merlan (voir journalzibeline.fr) ou au beau travail de Maëlle Poésy sur l’Enéide. Sous d’autres cieux s’attache en particulier à l’épisode de Didon, reine amoureuse : douleur de l’exil, hospitalité, rapport homme/femme, amour/politique, il est question de ces thèmes qui traversent les premiers Chants du poème de Virgile, mais avec une acuité toute contemporaine, et juste ce qu’il faut d’anachronisme pour atteindre l’universel. La jeune équipe de comédiens, au jeu plus cinématographique que théâtral, pose, comme auparavant dans Ceux qui errent ne se trompent pas, des questions politiques sans hystérie ni revendication, comme discrètement, avec persistance…


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Aixtases

Un concert par jour pour que tout au long du festival d

Envolées lyriques à l’Archevêché

Aixtases musicales

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a mezzo-soprano Lea Desandre (Lauréate HSBC 2016) et le luthiste Thomas Dunford, tous deux aux jeunes carrières déjà internationales, arpentent les siècles, du XVIIe au XXe avec un programme consacré à la musique française. Expressive dans son phrasé et ses intonations, la jeune artiste sait rendre avec une sobre et lumineuse élégance les variations des textes (parfaitement articulés) et des mélodies, soulignant certains traits avec espièglerie, sertissant d’autres de poésie. Les accords du théorbe ourlent l’ensemble d’une fine dentelle. Ici Les berceaux de Gabriel Fauré attendent le retour des marins, les Soleils couchants de Déodat de Séverac déversent leur lumière nimbée de mélancolie, là, tout n’est plus que Tristes déserts (Marc-Antoine Charpentier) pour l’amant délaissé… L’inévitable thème baroque des amours champêtres est traité avec une espiègle distanciation, dans une auto-parodie de la fantaisie pastorale : la bergère de Michel Lambert préfère aux effusions sans doute un peu trop larmoyantes de son amant, « son troupeau, sa houlette et son chien, ouaf ! ». Le théorbe s’emporte dans les intermèdes de Robert de Visée, au point de casser une corde, occasion de rappeler que le luthiste du roi, son « jukebox », était sans doute le mieux payé de tous les musiciens. La légèreté prime, en une pétillante plongée dans le monde de l’opérette avec « J’ai deux amants… » d’André Messager : « Mon Dieu, que c’est bête un homme, alors vous pensez…deux ! » ! Bissés, trissés, les deux artistes offrent un extrait de Haendel et finissent sur Dis, quand reviendras-tu de Barbara… Abolissant les frontières entre les catégories.

Pointe libertine Julie Fuchs (soprano, lauréate HSBC de l’Académie 2013) et le pianiste Alphonse Cemin (lauréat HSBC de l’Académie 2010) reviennent à Aix, comme à un rendez-vous familier, drainant une salle comble, sur un répertoire qui offrait « des mots de femmes, par des femmes et par des hommes », en un croisement d’univers où la création contemporaine rejoint les périodes plus anciennes. Ainsi, la cantatrice, d’une lumineuse présence, abordait la toute nouvelle œuvre du jeune compositeur Arthur Lavandier (présent au concert), Le chant des accusées, quatre pièces pour soprano et piano à partir d’archives de procès au Parlement de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles : sorcellerie, « recel de grossesse », « réparation d’honneur »… Les mélodies soulignent avec une virtuose puissance la violence des accusations, des châtiments, le terrifiant obscurantisme qui les nourrit. Y répondaient la

Léa Desandre et Thomas Dunford © Julien Benhamou

suave légèreté des mélodies de Debussy sur les Ariettes oubliées de Verlaine, la tendresse de chansons de Barbara sur des arrangements composés spécialement pour ce beau duo par Pablo Campos (également présent). Une pointe libertine se dégustait avec les poèmes de Louise de Vilmorin sur les airs de Francis Poulenc. À la « partie française » succédait une « américaine », où le sulfureux Sun in my mouth de Björk précédait la composition savante et contemporaine de George Crumb Apparition, d’après des poèmes de Walt Whitman ; la mort prend alors les traits d’une « Sombre mère » libératrice et apaisante. Julie Fuchs, actrice, espiègle, éloquente, se glissait enfin dans les musiques de Cole Porter. Le duo cédait aux rappels avec bienveillance, en bis, un Rossini nous ramenait au bel canto, puis en ter, on se quittait sur le phrasé de Debussy avec Apparition de Paul Verlaine et « la fée au chapeau de clarté », incarnée par le chant. MARYVONNE COLOMBANI


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musicales

la ville frémisse de musiques d'Aix : pari tenu et gagné !

suite p.20-21

Grands Orchestres au Grand Théâtre

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aphaël Pichon a trouvé dans l’œuvre de Mozart un écrin parfait pour son amour de la vocalité et son goût du montage, dans son Requiem comme dans les concerts programmés tout au long du festival. « Vado, ma dove ? » et « Chi sa, chi sa, qual sia », doivent leur texte à Da Ponte et leur musique au génie viennois, mais ont été insérés en 1789 dans une version remaniée de l’opéra Il bubero di buon core, signé par le compositeur Vicente Martín y Soler. Ils ponctuaient la Symphonie 40 et la Symphonie 41 : en s’appropriant cette pratique dialogique, Raphaël Pichon confirme son souhait de demeurer fidèle à l’esprit plutôt qu’à la lettre de cette époque élégamment revisitée. L’équilibre mozartien entre sensualité, accents tragiques et subtile ironie est rendu à merveille par la soprano Siobhán Stagg, qui interrompt le déroulement du concert pour convoquer l’imaginaire de l’opéra. Si bien qu’on pourra se demander si ce sentiment de décalage est à imputer à la nature vocale ou orchestrale des œuvres choisies ou au traitement même du timbre et du son que Pichon et l’ensemble Pygmalion proposent. Entre la voix vibrante et vibrée, tour à tour légère et dense de la soprane, et le grain baroque appuyé des instruments d’époque et leur sécheresse de phrasé, deux univers semblent s’esquisser, malgré la complicité communicative des musiciens, de la chanteuse et du chef, et la qualité d’interprétation du tout. Mais ces petites irrésolutions de texture sont vite balayées par un sens affirmé du mouvement et de la couleur.

Sensualité épurée Le programme élaboré par Esa-Pekka Salonen a fait quant à lui frémir le Philharmonia Orchestra sur des pages plus tardives, et savamment choisies : Sibelius,

compositeur phare de la Finlande natale contemplatifs, pour mieux s’amalgamer de Salonen, y côtoyait le plus imposant dans un mouvement dansant. DiableStravinsky, qui n’a plus aucun secret ni ment sensoriel ! pour le chef ni pour l’orchestre qu’il di- L’Orchestre de Paris, sous la direction rige depuis plus de dix ans. L’orchestre avisée d’Ingo Metzmacher, a choisi de frappe ici par sa transparence : les voix donner le célèbre Chant de la Terre de et les pupitres brillent de toute part. Por- Mahler, et d’y entrecroiser les voix sutées par l’acoustique du GTP, les lignes blimes de Sarah Connolly et d’Andreas se font entendre dans leur individua- Schager : malgré une prononciation lité. Fait rare : les accords plaqués et autres clusters font résonner les timbres de chaque instrument, des cuivres rugissants aux bois suaves. Cette distinction des lignes impressionne mais ne sacrifie pourtant ni la nature des œuvres, ni l’inventivité de leur interprétation. Sur Sibelius, le Esa Pekka Salonen et le Philharmonia Orchestra © Camilla Greenwell phrasé cotonneux souvent prêté à De- quelque peu expéditive, la mezzo-sobussy laisse la place à une sauvagerie prano fait montre d’une sensualité et du trait empruntée plutôt à Stravinsky. d’une gravité bouleversantes, quand Sur L’Oiseau de feu, c’est le lyrisme des les élans vitaux du ténor wagnérien se envolées et la grâce de l’arabesque im- dardent d’un désespoir d’autant plus pressionniste qui priment au fil des pre- poignant. Un grand moment ! miers mouvements, jusqu’à la conclu- Donné en première partie de ce concert et sion endiablée qui s’impose. Entre ces également en création française, Über die deux exégèses, le Concerto pour violon- Linie VIII a confirmé à ceux qui en doutecelle d’Esa-Pekka Salonen, donné ici en raient encore que Wolfgang Rihm est un création française et interprété avec vir- des compositeurs les plus passionnants tuosité et souffle par Trus Mørk, fait de son temps. L’inquiétude mahlérienne office de manifeste. Son rapport fluc- y demeure intacte, et jamais mise à distuant et postmoderne au rythme alterne tance : d’une simple quinte s’échevèlent épures suspensives, coucous d’horloge motifs et lignes brisées, renouvelés par et galops dansants. Les sons mutent, se les timbres versatiles d’un orchestre dégreffent l’un à l’autre, s’amoncellent en cidément irréprochable. SUZANNE CANESSA couches infimes le temps de moments

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20 festivals

Aixtases musicales

Deux fois quatuor

Quatuor Van Kuijk © Vincent Beaume

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a pluie fait se replier public et Quatuor Van Kuijk, lauréat HSBC 2014 de l’Académie, dans l’amphithéâtre qui jouxte la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède. L’atmosphère potache de l’improvisation prédispose l’assistance à écouter passionnément le lyrisme désespéré entre notes tenues, infiniment, comme sur un fil ténu, et variations calmes auxquelles succèdent les rythmes exacerbés du Quartettstudie für Streichquartett de Wolfgang Rihm. Nicolas Van Kuijk (1er violon), Sylvain Favre-Bulle (second violon), Emmanuel François (alto), François Robin (violoncelle) dialoguent, polyphonisent dans l’irisation de l’œuvre. Puis s’attachent à la douloureuse évocation de Chostakovitch qui dans son Quatuor à cordes n° 8 en ut mineur op. 110 décrit autant les victimes de la guerre que du fascisme. Le Quatuor n°1 op. 11 en ré majeur de Tchaïkovski fit, dit-on, pleurer Tolstoï. L’élégance subtile des musiciens s’accorde à la vivacité des allegros, laisse émerger la couleur slave du scherzo et le thème folklorique de l’andante, « Vania, assise sur son divan fumait la pipe ».

Clou de la soirée, sans aucun doute, la création française de l’œuvre de Benjamin Attahir, Achrakyne (en présence du compositeur) qui convoque aux percussions Vassilena Serafimova aux côtés du Quatuor, époustouflante de virtuosité dans cette pièce irriguée d’une inextinguible énergie. En rappel, cette formation espiègle reprend la mélodie que Poulenc écrivit pour Yvonne Printemps, Les chemins de l’amour…

Résolument contemporain Est-ce parce que délibérément contemporain, que le programme du Quatuor Tana (Lauréat HSBC 2013 de l’Académie) ne fait pas salle pleine ? Pourtant, la virtuosité des musiciens, (Antoine Maisonhaute, 1er violon, Ivan Lebrun, second violon, Maxime Desert, alto, Jeanne Maisonhaute, violoncelle) et la clarté des présentations permettaient une découverte enthousiasmante des divers visages de la création actuelle destinée à la formation resserrée du quatuor. Le Quatuor à cordes n°13 de Rihm ouvrait le bal : « devant cette partition, on a

l’impression de se trouver face à un mur », sourit Antoine Maisonhaute, mur face auquel les musiciens se fraient des espaces, et défient les rythmes parfois impitoyables dans lesquels l’œuvre s’emporte. Puis, le Quatuor n° 1 « Métamorphoses nocturnes » de György Ligeti déployait d’un seul trait ses douze mouvements marqués d’influence bartokienne, du goût des contrastes, et d’humour avec sa « fausse valse »… Suivait le maître du mouvement de la Saturation (forme musicale qui « masque ce que l’on entend d’habitude, et fait apparaître ce que l’on n’entend pas, attaques et harmoniques, grâce à un jeu très proche du chevalet »), Raphaël Cendo, présent ce soir-là avec son Quatuor n° 1, « In Vivo » : bouleversante énergie. Enfin, le « classique » et sublime Quatuor n° 7 de Philip Glass tissait sa subtile et profonde poésie en une réconciliation avec la respiration du monde. MARYVONNE COLOMBANI


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Modernités et jeunesse à l’honneur

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grégorien apparaît quand pointe l’Apocalypse, la Marseillaise accompagne le soulèvement des machinistes … Illustrative, facétieuse mais toujours foisonnante, la musique accompagne les émotions brutes que l’esthétique et le propos révolutionnaires du réalisateur suscitent constamment. Passionnant.

Inspirante jeunesse Encadrées par le chef Daniele Rustoni et des musiciens du London Symphony Orchestra, les recrues de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée ont concocté un concert symphonique ambitieux : à la création française d’une très belle pièce d’Amir ElSaffar, Cornu Luminis, ont succédé les plus familiers Chants d’un compagnon errant de Mahler et la Symphonie n°2 de Brahms. Difficile de ne pas s’émouvoir lorsque la jeunesse d’un orchestre rencontre celle d’un compositeur ! Coutumier d’un style à la croisée du jazz, d’inspirations orientales et d’une tradition plus classique, Amir ElSaffar, présent sur scène en temps que trompette solo, a puisé dans le substrat postromantique un lyrisme contagieux, où le trait mélodique se mue de broderies en arabesques. Le baryton John Chest, mobilisé sur Mahler, porte décidément bien son nom : quel coffre ! quel vibrato !

quelle belle transition de la joie pastorale à la noirceur tempétueuse ! Un peu plus en retrait, l’orchestre jouera sur Brahms la sécurité plutôt que la fougue. Dommage ! Une partie de l’OJM a participé à une session de création interculturelle sous la houlette de Fabrizio Cassol. Le propos : faire se rencontrer les diverses formes et traditions musicales de la Méditerranée, et créer avec ce matériau des œuvres communes. Le résultat est éblouissant de verve, d’invention, d’écoute de l’autre. Les instruments entrent en résonnance, goûtent aux rythmes et aux gammes des autres, avec une virtuosité et un bonheur communicatifs, voix (Wafa Abbes, Fabiana Manfredi), violons (Athina Siskaki, Colin Heller), kemenche (Elif Canfezã Günduz), saxophone baryton (Giovanni Chirico), oud (Nada Mahmoud), violoncelle (Adèle Viret), contrebasse (Pablo Patiño Moledo), percussions (Hamdi Jammoussi, Diogo Alexandre), harpe (Ottavia Rinaldi). Se joignait à eux Amir ElSaffar avec Two Rivers Ensemble, sur une composition inspirée par ces jeunes musiciens. L’utopie d’une humanité réconciliée prend chair dans le plaisir ineffable de jouer ensemble… MARYVONNE COLOMBANI ET SUZANNE CANESSA

Le Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence a eu lieu du 3 au 22 juillet

Blank Out © Priska Ketterer - Lucerne festival

Aixtases musicales

ort obligatoire des lunettes 3D pour Blank Out, l’opéra de chambre pour soprano (fabuleuse Miah Persson), baryton (bouleversant Roderick Williams), chœur et film 3D de Michel van der Aa (qui signe le livret, inspiré de l’œuvre d’Ingrid Jonker, la composition et la mise en scène). Le spectacle explore nos fragilités et nos capacités à nous reconstruire en évoquant l’instant traumatique. Est-ce cette femme seule sur scène, dans sa robe rouge qui pleure la noyade de son enfant ? Existe-t-elle vraiment ? Ou cet enfant, devenu adulte, prisonnier de l’écran à taille humaine, dressé sur le plateau, qui se souvient de la mort de sa mère ? L’image filmée de la soprano, retransmise sur l’écran, dédouble l’interprète, voire la triple, en une schizophrénie scénique troublante. Un bijou d’orfèvrerie poétique et poignant. Le chef allemand Frank Strobel a pris possession du londonien Philharmonia Orchestra le temps d’un ciné-concert. Grand bien lui en a pris ! Metropolis, présenté au GTP en contrepoint au logos brechtien de Mahagonny, a rencontré un beau succès. Il faut dire que la musique originale de Gottfried Huppertz sert à merveille le passionnant long-métrage de Fritz Lang et les bouleversements permanents de son intrigue. Le Dies Irae


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Le piano en mode

Le Festival International de piano,

Ouverture lumineuse

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a première soirée du Festival International de piano de La Roque d’Anthéron, donnée au parc du Château de Florans, conviait deux géants, Evgeny Kissin et son jeu lumineux, et l’Orchestre

© Christophe GREMIOT

La Roque

Philharmonique de Radio France à l’impeccable tenue, dirigé avec une précise passion par Andris Poga. En lever de rideau, symphonique et théâtrale à la fois, l’Ouverture des Maîtres chanteurs de Nuremberg (Wagner) s’irisait de la

palette fine de l’orchestre, qui livrait en deuxième partie une somptueuse version (en larges extraits) du Roméo et Juliette, suites pour orchestre de Prokofiev. Tout s’y retrouvait, la puissance, la douceur, l’attente… Sept contrebasses accordaient leur ampleur à la célèbre « danse des chevaliers », et devenaient aériennes dans leurs pizzicati de la Valse triste de Sibelius, offerte en bis à la fin du concert. Evgeny Kissin donnait la réplique à l’orchestre avec la clarté de l’évidence sur le Concerto n°1 pour piano et orchestre en mi bémol majeur de Liszt. Des doigts de magicien, une articulation élégante et sobre, un miroitement de couleurs, un dialogue constant avec les instrumentistes de l’orchestre, une liberté d’interprétation qui sait rester fidèle au texte, tout concordait pour plonger le public dans un état de

grâce que rien ne pouvait troubler. La fragilité, le panache, le drame, l’épopée semblaient prendre de nouveaux élans, dans ce jeu qui faisait oublier la matérialité de l’instrument, puis l’imposait de nouveau, traits fulgurants, trilles infinis... Généreux, le pianiste offrait quatre rappels au cœur desquels il ajoutait sa fantaisie. La Valse op. 64 n° 1 en ré bémol majeur de Chopin, ou Valse du petit chien débordait d’espièglerie avec un final surjoué, la Bagatelle opus 33 n° 2 en do majeur de Beethoven déclinait ses volutes tendres, et la Valse opus 39 n° 15 en la bémol majeur de Brahms sa subtile douceur, tandis que le Tango dodécaphonique de Kissin lui-même abordait avec vigueur les flancs d’une musique contemporaine où le piano, percussif, s’emporte en larges émois. MARYVONNE COLOMBANI

Au gré des fantaisies d’Abdel Rahman El Bacha

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e Mozart à Balakirev, programme on ne peut plus éclectique, que celui, énorme, choisi par l’un des pianistes phare de la maison Bechstein, Abdel Rahman El Bacha, qui s’est plu ce soir-là à explorer le genre de la Fantaisie en un parcours chronologique dense. La remarquable maîtrise technique de l’artiste ne palliait pas, au début, le manque de ce supplément d’âme que réclame particulièrement cette forme musicale, qui tend à échapper au corsetage traditionnel des sonates pour laisser libre cours à l’émotion et à la subjectivité de l’interprète. Les pièces de Mozart (Fantaisie en ut mineur K. 475), Beethoven (Fantaisie en sol mineur opus 77), Schumann (Fantasiestücke opus 111), Chopin (Fantaisie en fa mineur opus 49), données en première partie semblaient être tout en retenue, dans un jeu pudique où la sensibilité du pianiste restait en retrait

avec une exécution presque trop parfaite, à laquelle manquait une respiration intime. Est-ce grâce à la température plus clémente lors de la seconde partie (la fatigue de la journée de canicule pesant sur la première) ? Le pianiste se métamorphosait du tout au tout après l’entracte. Certes, ne se perdaient pas la précision du jeu, l’élégance des attaques, la virtuoAbdel Rahman El Bacha © Renaud Alouche sité des traits, mais un univers s’ouvrait : la Fantaisie en fa dièse mineur partition Islamey, fantaisie orientale de opus 28 de Mendelssohn trouvait une Balakirev, souvent considérée comme la fluidité expressive, des élans irisés ; le plus difficile jamais écrite pour le piano, flux poétique ne cessait pas avec la So- s’emportait dans la folie de ses acrobaties nate-Fantaisie en sol dièse mineur op. rythmiques et ses impossibles tempi. Le 19 de Scriabine, propice aux envols ; la charme se poursuivit lors des deux bis, Fantasia Baetica (ou Betica) de Manuel l’Impromptu n°2 opus 162 de Schubert de Falla, malgré son austérité offrait un et la Fantaisie Impromptu de Chopin. MARYVONNE COLOMBANI paysage pittoresque ; enfin, l’impossible


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majeur à La Roque un rendez-vous qui a la touche

Ravel vous va si bien

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Karol Mossakowski, sans peur et sans reproche

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a nouvelle génération d’organistes a décidément tout pour plaire, et le Festival de la Roque l’a bien compris : à ce très beau programme Bach proposé par Karol Mossakowski succèderont en effet deux autres récitals : Constance Caillard le 4 et Grégoire Rolland le 10 août prochains. Le jeune polonais n’est pas le plus mal loti d’entre eux : déjà titulaire de Notre-Dame de la Treille à Lille, il succèdera la saison prochaine à Thomas Ospital aux orgues de Radio France. Tout comme Ospital, Mossakowski aborde à peine la trentaine. Il a lui aussi suivi les enseignements d’Olivier Latry ou encore de Thierry Escaich. Il a surtout réussi à synthétiser sans effort apparent les apports des écoles qui l’ont précédé. Si bien qu’un postromantisme

flamboyant, un néo-classicisme sympathiquement rococo, la technicité méthodique d’un Latry et un touché inspiré du renouveau baroque cohabitent dans son jeu décomplexé et généreux. Denses, techniques et avant tout expressifs, le Prélude et fugue en la mineur (BWV 543) et la grande Passacaille et fugue en ut mineur ne font sous ses doigts (et ses pieds) aguerris aucun pli : les lignes sont solides, le toucher oscille entre legato et détaché subtil, un rubato bien senti accompagne intelligemment les montées et retombées en puissance. Le reste du programme laisse découvrir d’autres facettes d’un compositeur qui a ici valeur de maître-étalon, de cette Suite française n°5 écrite pour clavecin, à la Sonate en trio n°6, en passant par une transcription

de la Cantate BWV 29, qui laissent deviner un sens de l’ornement et une netteté d’articulation irréprochables. Les bis opèrent à leur tour une excursion bienvenue vers d’autres horizons. Une improvisation « maison » entremêlant la célèbre Badinerie au Libertango de Piazzolla, et une jolie transcription de la Cantate BWV 208, souvent entendue au piano et ici revigorée, achèvent de rappeler que le répertoire d’orgue ne se conçoit aujourd’hui que dans ce bel élan vital. SUZANNE CANESSA

Le Festival international de piano de La Roque d'Anthéron se poursuit jusqu'au 18 août

La Roque

vec son jeu subtil et pur, et les falaises au bord desquelles les Bertrand Chamayou, accomaccords se brisent… glissandos irpagné d’un chœur de cigales, réels, chromatismes aériens, exuoffrait au public averti de la conque bérances colorées, houles arpégées, du parc du Château de Florans le frérythmes impossibles, harmonies missement de Blumenstück op. 19 de voluptueuses… la palette de l’artiste Schumann, comme une simple évisemble repousser les limites ad lidence. La clarté lumineuse du piabitum. Suivaient Les Cloches de Las niste s’accordait ensuite au scintilpalmas de Saint-Saëns, dans un eslement du Carnaval op.9 de l’époux prit proche de celui de Ravel, puis de Clara Schumann : les tableauses Mazurkas n° 2 en sol mineur op. 24 et n° 3 en si mineur op. 66, en un tins se tissent de rêve, Pierrot lutempo effréné qui trouve son acmé naire cède le pas aux facéties d’Arlequin, les personnages se promènent dans son Étude en forme de valse. Gésous les étoiles, se livrent aux aveux, néreux, Bertrand Chamayou concélaissent parler Chopin, tandis que les dait trois bis : la Pavane pour une Papillons s’envolent, légers… tourinfante défunte, tout en épure dans sa gravité nostalgique, puis la Tocnoiement où l’esprit s’évade. La fine technique de l’interprète se fait oucata du Tombeau de Couperin de Rablier au cœur de la narration, laisse Bertrand Chamayou © Christophe GREMIOT vel, à la démoniaque vivacité, enfin, la place à l’immatérialité des rêves. La deuxième partie du empreinte de douceur onirique, la Fille aux cheveux de lin de concert, avec Miroirs de Ravel, permettait de donner toute la Debussy qui parachevait un concert que le public de la Roque mesure de la virtuosité du pianiste. Phrases taillées dans le d’Anthéron salua debout. MARYVONNE COLOMBANI diamant, temps suspendu entre la coulée sensible de l’émotion


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Mises en bouche estivales

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our sa saison estivale, le Festival de impressionnait tant par sa musicalité que Musique de Toulon et sa Région a par son touché subtil et singulier porté repris ses quartiers d’été dans l’écrin par une concentration impressionnante. majestueux de la Tour Royale en bordure Passant avec une facilité déconcertante de rade, loué encore une fois pour ses d’une pièce à l’autre, l’artiste habité se qualités acoustiques par des jouait des pièges de la singularité artistes visiblement ende son programme avec un chantés par la singunaturel confondant en allière beauté du site. ternant les esthétiques Lors de la soipurement romanrée « Die innere tiques, telles les rares Variations Stimm », Simon sur le thème de Ghraichy ofl’allegretto de la ficiait sur la 7ème symphonie scène derrière de Beethoven de le Steinway de Schumann ou la rigueur ; avec la musique de Robert plus rare et redoutable Schumann comme fil Chanson de la folle au Ale ga conducteur, la voix inbord de la mer d’ Alkan, et xan ove dra S Eal oumm © Benjamin térieure comme thème de les œuvres plus contemporaines à voyage. D’une complexité évidente, la l’image de Robert On the Bridge de Chilly variété du répertoire joué rendait grâce Gonzales certainement appelée à deaux multiples talents de son interprète, venir un futur classique. D’une qualité la virtuosité en tête. La science du jeu irréprochable, on aurait juste aimé que

ce beau périple musical soit plus long. La violoniste Alexandra Soumm et le vibraphonsite Illya Amar nous invitaient eux aussi à un voyage musical nommé « Odyssées », fruit d’une belle complicité. La combinaison des timbres peu habituelle et le répertoire qui faisait la part belle aux musiques folkloriques d’Europe de l’est et du bassin méditerranéen ainsi qu’à quelques pièces de compositeurs du XXe siècle, brillamment transcrites par le duo, étaient une invitation sonore au voyage. Musicalement parfait, l’embarquement fut toutefois là encore de courte durée. Signe des temps ou volonté délibérée... mais de qui ? Ces concerts n’ont guère excédé les 70 minutes, seul bémol que l’on puisse mettre à ces deux soirées, au demeurant splendides, dans un cadre exceptionnel. ÉMILIEN MOREAU

Ces deux concerts ont eu lieu les 8 & 10 juillet au Festival de Musique de Toulon et sa Région

Fervent Fervaal

Fervaal renaît de ses cendres au Festival Radio France Occitanie de Montpellier

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incent d’Indy, passé à la postérité Arquez. Entre le ténor et la mezzo s’érige davantage pour son apport à la mu- comme souvent un baryton aux registres sicologie et à la pédagogie que pour versatiles mais au volume constant, dont ses compositions musicales, a souvent Jean-Sébastien Bou semble connaître été présenté comme un chantre du wagnérisme, et son Fervaal comme le Parsifal français. L’inspiration celte du livret, son patriotisme au mieux douteux, la linéarité de sa masse harmonique et ses recours aux chromatismes signifiants ont en effet indéniablement emprunté au logos wagnérien. Mais le style musical de Vincent d’Indy n’est en rien un copié-collé de la manière © Luc Jennepin bayreuthienne. Malgré le dispositif qui n’est pas sans rappeler Parsifal leas tournures par cœur. Le recours aux et Kundry, ce sont parfois les prémices chœurs et les dialogues entre les chande Pelléas et Mélisande qu’on croit en- teurs évoquent quant à eux le mouvetendre dans les échanges amoureux entre ment à l’œuvre chez Meyerbeer, voire le Fervaal puissant de Michael Spyres et même l’héritage rossinien. Au croisela Guilhen sensuelle et robuste de Gaëlle ment de toutes ces influences, la partition

de Vincent d’Indy, sans jamais véritablement fasciner, se révèle assez riche de toutes ces influences pour éveiller la curiosité. L’Orchestre national Montpellier Occitanie, sous la direction animée et inspirée de Michael Schønwandt, excelle à la mettre en lumière, porté par de très belles prestations des chefs de pupitre – l’alto solo Eric Rouget en tête. Les quatre heures (entracte compris) pourront par endroits sembler un peu longues au spectateur peu habitué aux versions concertantes, ou aux instrumentistes victimes d’un Acte II disparate. Mais de beaux moments reprennent vite le dessus ! SUZANNE CANESSA

Concert donné le 24 juillet au Corum, à Montpellier, lors du Festival Radio France Occitanie


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Au pays de Colum Cille

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es Rencontres Internationales du Thoronet, profitant de la douceur du soir, se sont installées sur la place de la Mairie de la ville - à l’indéfectible soutien depuis 29 ans. Au programme, The Curious Bards, groupe de cinq instrumentistes qui depuis 2015 s’intéressent aux musiques traditionnelles irlandaise et écossaise. « Nous cherchons à faire entendre des musiques oubliées, collectées et imprimées dans des recueils d’airs au XVIIIe siècle. Cette musique irlandaise de l’époque baroque est à la fois populaire et savante », sourit le violoniste Alix Boivert. Nous devenons rapidement « experts » des reels à deux temps ou des gigues au rythme ternaire… Les investigations historiques, loin d’être pesantes, se The Curious Bards Thoronet 2019 © MC peuplent d’anecdotes : on écoute les vers attristés que Mary Stuart, reine de France, aurait composés lors de sa traversée de retour en Ecosse après la mort de son époux, le jeune et fragile François II… La harpe, allégorie de l’Irlande, s’éveille de son « doux sommeil » par la plume de Thomas Moore, ou devient l’instrument de prédilection de l’aveugle, le barde par excellence, dans la tradition des poètes homériques. Les guerres et les départs hantent le

répertoire, chanson d’une jeune fille qui pleure son mari parti à la guerre, Since sounding drums, ou description complète d’une bataille, Highland Battle. Le tout prend des allures de fête, servi par la verve malicieuse et intelligente des musiciens, Alix Boivert, Jean-Christophe Morel (cistre irlandais), Sarah Van Oudenhove (viole de gambe), Louis Capelle (harpe triple baroque), Bruno Harlé (flûte traversière baroque et whistle). Attaques précises, envols, attention scrupuleuse du détail, mélodies ourlées de dentelle, pureté des motifs, profondeur du jeu, explosions sonores, l’auditeur est transporté par l’énergie et la joie communicative de l’ensemble, rejoint par la voix pure et colorée de l’expressive mezzo-soprano Ilektra Platiopoulou, tour à tour espiègle et bouleversante. L’on peut retrouver l’esprit du concert dans leur CD publié chez Harmonia Mundi, [Ex]Tradition. MARYVONNE COLOMBANI

Le concert a été donné lors des Rencontres Internationales du Thoronet, le 22 juillet.

Harmonies du soir

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a dynamique association Opéra au Village, présidée avec un inépuisable enthousiasme par Suzy Charrue Delenne, invitait dans la délicieuse cour du couvent des Minimes de Pourrières le Duo KW sur un programme de musique française. Escale provençale pour les deux

Duo KW © MC

Steinway B de Clara Kastler et Hubert Woringer qui ont arpenté le monde entier avec leurs instruments. Dans l’assistance, on pouvait compter François-René Duchâble, inclassable et génial pianiste ami de ces deux grands musiciens. Est-ce la qualité de l’accueil, la beauté du cadre,

la présentation fine nourrie d’anecdotes des œuvres interprétées ? Il y a dans ce concert quelque chose d’intime, une familiarité de salon de musique où l’on vient écouter et partager. On imagine le rendez-vous au café Austin à Paris entre Debussy et l’officier écossais qui lui passe commande de la Marche écossaise sur un thème populaire et Alphonse Allais entre les deux, dans le rôle de l’interprète, ou encore le même compositeur, admirant les toiles du peintre américain James Whistler et écrire ses Nocturnes, (Nuages, Fêtes et Sirènes), dont le Duo KW interprète Fêtes : notes colorées, tableau impressionniste vibrant de lumière… Voici Francis Poulenc qui affirme qu’il faut jouer Élégie, aux graves harmonies, avec un verre de cognac à la main et un cigare

aux lèvres, tandis que la « note fatale » qu’est le ré, familière des Requiem, domine dans la Danse macabre de SaintSaëns, où se fait entendre « l’accord du Diable », le triton (quarte augmentée, comme l’écart fa-si) que condamna la fin du Moyen… Le jeu fin et élégant des deux musiciens, leur évidente complicité, se glisse avec une intelligence sensible au cœur des répertoires, voici encore l’espièglerie du Scaramouche de Darius Milhaud, la Pavane de la Belle au bois dormant, la spirituelle fantaisie de Laideronnette, impératrice des Pagodes, de Ravel dont La Valse, somptueuse dans sa transcription de Dutilleux pour deux pianos, clôt le spectacle. En bis, le Clair de lune de Debussy, chatoyant et onirique, rêverie qui s’incarne… MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 25 juillet au Couvent des Minimes, à Pourrières


26 festivals

Marseille Jazz

Communion musicale, géographique, inter rassemble et invente

Albarn et Valdès, deux bands et deux sons

Jazz des 5 Continents

A

près Another honest Jo’s chop up en 2011 et Africa Express en 2013 (programmés tous deux à la Fiesta des Suds), Marseille a eu l’honneur d’accueillir The Good, the Bad and the Queen (TGTBTQ), autre collectif musical du prolifique Damon Albarn, entouré de Tony Allen, Paul Simonon et Simon Tong. Autrement dit l’ancien leader de Blur, l’ancien batteur de Fela, l’ancien bassiste de The Clash et l’ancien guitariste de The Verve. Influencée par la scène rock des années 1990, la voix mélancolique et révoltée de Damon Albarn nous invite à un retour à l’âge d’or de la « Britpop » dont il fut une icône incontournable. Sous le grésillement des cigales, TGTBTQ déroule Merrie Land, son deuxième album studio inspiré par la crise politique du Brexit. Une succession de ballades pensives, dont les accords déchirants et viscéraux sont servis par une batterie qui rythme nos cœurs et résonne dans nos poitrines. Renouant avec l’émotion juvénile de grandes envolées harmoniques, auxquelles succède l’explosion de refrains efficaces, on demeure ainsi, suspendus au lyrisme de cordes entêtantes, sur lesquels se lovent les accords martelés et puissants de la basse de Paul Simonon. On retrouve ici

The Good, the bad and the queen © Valentine Kieffer

des sensations des groupes américains Imagine Dragons ou OneRepublic, dans la rage et la passion du grain de voix, la manière de hacher et asséner les accords au piano, mais également des impressions de Coldplay dans certains versants plus romantiques. Un concert engagé et pro-européen, que le hasard du calendrier a voulu placer au lendemain de la nomination de Boris Johnson à la tête du gouvernement britannique, comme un pied de nez à la position extrémiste de Concert Chucho Valdès © Valentine Kieffer

ce dernier. Appelant à un peu d’« unity in this crazy world », le groupe singe et dénonce, dans son air Order, les carcans et la rigidité d’un système parlementaire aux accents désuets. Sur scène, en toile de fond, un pont, une jetée qui semble ne mener nulle part et se perdre dans l’immensité d’un océan qui ne peut que nous évoquer l’impasse des négociations du Brexit et le futur incertain d’un Royaume-Uni qui peine à s’extraire du giron européen.

Chucho chouchou C’est près d’un demi-siècle en arrière que nous plonge le concert exceptionnel de Chucho Valdés, le lendemain. Le pianiste cubain, fondateur du groupe Irakere, recrée l’esprit de Jazz Batá, album mythique enregistré en 1972, auquel il a donné un deuxième volet l’année dernière. Le batá est un tambour en forme de sablier à tête double, l’une étant plus grande que l’autre, instrument sacré pour la religion yoruba, originaire du Nigeria, et par extension, pour la santería de Cuba. C’est d’ailleurs par un


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mélange les genres

générationnelle, le Jazz des Cinq Continents te toujours et encore

entre jazz, musiques latines et classique bientôt âgé de 78 ans s’amuse à glisser quelques notes du Boléro de Ravel. D’une bonne décennie son aînée, Omara Portuondo offre Tres palabras et Besame mucho d’une voix presque insensible au passage du temps. Après un hommage à Michel Legrand, Valdés convie le dernier guest de la soirée en la personne du saxophoniste américain Kenny Garrett pour un final puissant en dialogue improvisé entre cuivres jazzy nord-américains et percussions afro-caribéennes. SELMA LAGHMARA ET LUDOVIC TOMAS

Gonzales, dandy joueur

«J

’aime dialoguer avec les oiseaux, j’ai l’impression violoncelle à celle du piano, ou encore évoquant son admiqu’on est bien là, non ? » Tandis que le soleil cou- ration pour Bach, « tâcheron pressé et laborieux », révélant au chant faisait place à l’air tiédi du début de soirée, à passage quelques ficelles de composition pop, via un inédit savourer sur les bancs de pierre encore chauds des gradins, mix entre Nirvana et Britney Spears. Les concerts du muChilly Gonzales entrait seul en scène. De fait, le somptueu- sicien québécois sont toujours promesse d’un mélange désement intimiste Théâtre Silvain constituait le cadre idéal complexé de musique savante et populaire - à l’image d’une pour accueillir le dandy joueur, tout en mules fourrées et peignoir de satin. Dans l’écoute suspendue d’un public acquis à sa cause, le premier set dévoilait l’inédit concept du concert Pianovision : trônant au-dessus de la scène, un écran géant retransmettait en direct les mouvements des mains du pianiste sur le clavier. À mesure que la lumière du jour déclinait, les oiseaux dans le ciel faisant place aux chauves-souris, l’écran prenait de plus en plus d’importance, dévoilant à l’envi chorégraphie de mains ou messages écrits sur des bouts de papiers. Puis l’arrivée de la violoncelliste Stella Lepage, suivie du batteur Joe Flory, créait une parfaite alchimie pour un set im- Chilly Gonzales © Valentine Kieffer peccable, entre compos dédiées - Cello Gonzales, datant de reprise de Michel Berger en premier rappel -, oscillant entre 2011 - et reprises de classiques, tel Take Me To Broadway en- contemplation et jubilation, et celui-ci n’y fit pas exception. JULIE BORDENAVE trecoupé de sonates. On aime Chilly Gonzales pour son talent de pianiste enfiévré, mais aussi pour sa verve de showman. L’entertainer avait tôt fait de réapparaître pour délivrer ses Le festival Jazz des Cinq Continents s’est tenu dans fameuses digressions amusées, comparant l’expressivité du plusieurs lieux de Marseille, du 17 au 27 juillet

Jazz des 5 Continents

chant afro-cubain entonné de manière invocatoire par le joueur de batá Dreiser Durruthy Bombalé qu’est lancé le show. S’enchaînent alors les soli comme pour présenter chaque musicien et, d’emblée, montrer à qui on a affaire. Du contrebassiste Ramón Vázquez au percussionniste Yaroldy Abreu Robles, jusqu’au batteur Omara Portuondo © Valentine Kieffer Abraham Mansfarroll. Le décor est posé, un autre défilé peut com- la violoniste et chanteuse Yilian Cañimencer, celui des invités de prestige. zares pour deux morceaux pendant lesHonneur à la nouvelle génération avec quels le pionner du décloisonnement


28 festivals

Aux Suds, toujours du nouveau

Des étoiles qui déçoivent, des premières parties qui décoiffent et des audaces qui rassurent. S’il a changé de direction, le festival arlésien garde tout son sens

Aux Forges, la nouvelle sono mondiale

Les Suds

D

ans un parc des anciens ateliers SNCF où le mètre carré de terrain disponible se raréfie, les Suds continuent de faire vivre leurs Nuits des forges, au gré des chantiers. Si, cette année, l’emplacement attribué était aussi convivial qu’un parking de centre commercial, la programmation musicale n’avait rien à voir avec un gala de supermarché. Leader du groupe Yémen Blues, Ravid Kahalani, israélien d’origine yéménite, est un showman, l’élégance tendance queer. Un léger excès de style et de mouvements qui en ferait presque négliger l’originalité de sa musique. Au chant et au guembri, il compose une sorte de blues arabe très moderne, aux influences africaines marquées, autant sahariennes que mandingues. Dans ce melting-pot culturel, il convoque aussi funk, jazz, soul ou musique gnawa tout en construisant son chant sur la tradition yéménite. Autre croisement intéressant que celui de Pixvae, des Lyonnais épris de musiques afro-colombiennes. Sur la scène des Forges, le groupe défend d’ailleurs son deuxième album accompagné des musiciens colombiens avec lesquels il l’a enregistré. Si Cali, son titre, évoque inévitablement la capitale colombienne de la salsa, c’est aussi la ville tournée vers les rythmes et folklores métissés de la côte pacifique comme le currulao que Pixvae assaisonne de sonorités jazz et rock. Guitare saturée, batterie et percussions envoutantes et belles voix (celles d’Alexandra Charry et Margaux Delatour) et la direction artistique assurée par Romain Dugelay, au saxophone baryton, créent une musique de transe tout aussi urbaine que tropicale. Celle qui déchaînera les esprits s’appelle

Pongo. Révélée par le Buraka Som Sistema, groupe lisboète, elle incarne à présent en solo le renouveau du kuduro, son venu des ghettos d’Angola dont elle fuit à 8 ans, avec ses parents, la guerre civile. Flirtant parfois de très près avec l’imagerie commerciale d’une Rihanna qu’elle admire par ailleurs, Pongo n’a pourtant rien d’un produit mainstream. Et ni sa tenue dorée et sexy à souhait, ni ses coups de reins et de bassin ne doivent occulter la puissance et l’énergie de son mix d’afrohouse, de dancehall et d’électro. Africaine dans son âme comme

dans ses mouvements, Pongo nous rappelle que le continent de ses origines est non seulement entré dans l’histoire mais il la fait. Juste après elle, le dj set afro-futuriste de l’Ougandaise Kampire ne fera que le confirmer.

Pongo © Yann Etienne

La grâce de Ruşan Filiztek

À

seulement 28 ans, Ruşan Filiztek semble hors-d’âge tant sa virtuosité et son savoir musical comme musicologique sont précieux et fournis. Lors de deux éditions précédentes, il avait déjà marqué Les Suds par sa maîtrise du luth saz. Dans le cadre du projet Orpheus XXI dirigé par Jordi Savall puis dans la troupe de Djam, version scénique du film de Tony Gatlif. Cette fois invité pour lui-même, et en première partie de Bobby McFerrin (lire ci-contre), il a ébloui par son charisme, sa grâce et la charge émotionnelle de sa musique. Troubadour kurde de Diyarbakir (Turquie) étudiant l’ethnomusicologie à la Sorbonne, il s’est entouré pour l’occasion de quatre musiciens hors pairs, d’autres traditions et tout aussi envoûtants. Marie-Suzanne de Loye à la viole de gambe, François Aria à la guitare flamenco, Sylvain Barou aux zurna, doudouk et cornemuse et Wassim Halal aux percussions accompagnent son jeu et sa voix exaltés. Un voyage à travers l’Orient et le répertoire saisissant des stranbej (chants de ménestrels kurdes), entre jazz, baroque et musique traditionnelle. Un moment de recueillement malgré l’immensité du théâtre antique.


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La surprise Djazia Satour

E

lle a fait l’effet d’une petite tornade. Et pas seulement en demandant au public d’acheter son CD à son propre stand et de boycotter celui du partenaire du festival, la librairie Actes Sud. C’est véritablement par sa voix, sa musique, son énergie et sa fraîcheur que Djazia Satour a conquis le public venu en toute logique pour découvrir la rencontre entre Ibrahim Maalouf et le Haïdouti Orkestar (voir plus bas). Sur des textes dont elle est l’auteure et qu’elle chante avec intensité, cette ancienne choriste du groupe grenoblois Gnawa

Diffusion mêle bendirs, banjo, mandole, basse et claviers au chaabi algérois : les ingrédients de son deuxième album, Aswât, qu’elle a choisi d’écrire exclusivement en arabe, et qui dégage, en studio comme à la scène, une pop-folk chaleureuse et débridée. Musique à danser autant qu’à rêver et à penser, mélodies à reprendre en chœur, les compositions de Djazia Satour, également guitariste, résonnent comme des pépites poétiques, conscientes des tourments du monde. Dja zia S atour © Florent Gardin

Des stars en demi-teinte

M

ario Batkovic pourrait être un super héros. Ni homme-araignée, ni homme-chauve-souris, il serait homme-accordéon. Mi-punk mi-électro. Mais toujours dans la nuance. Son super pouvoir ? N’utiliser aucun artifice ou autre effet de pédalier, mais une technique époustouflante, 100 % acoustique. Bosniaque grandi en Suisse, musicien autodidacte, il explose les codes d’un instrument bien souvent cloisonné dans le carcan du bal musette et du folklore. Avec lui, c’est plutôt sur un dancefloor que l’on imagine le piano à bretelles. Dans la cour de l’Archevêché, ses premiers complices sont les oiseaux qui piaillent au rythme de ses cliquetis métalliques et auxquels il s’amuse à répondre. Minimaliste ou plus expansif, de boucles répétitives en envolées jazz, Batkovic pousse le potentiel de l’instrument à l’extrême. Jusqu’à l’essoufflement de la bête. Ici baroque, là contemporain. Entre silences et accélérations. Le regard malicieux et l’esprit rock’n’roll. Du neuf pour les oreilles. Mario Batkovic © Stephane Barbier

C

LUDOVIC TOMAS

Le festival Les Suds a eu lieu dans divers lieux à Arles du 8 au 14 juillet

Les Suds

Batkovic, l’homme-accordéon

omme souvent, les têtes d’affiche ne sont pas ce que l’on retient du festival. En effet, Ibrahim Maalouf et Bobby McFerrin, pour des raisons différentes, ont pu décevoir. Non pas que leurs prestations aient manqué d’enthousiasme et encore moins de générosité, mais d’intérêt. Du moins pour le spectateur qui espérait entendre la touche singulière ayant contribué à la renommée des deux artistes. Ces derniers se sont mis au second plan au profit du collectif. Le trompettiste aux quatre pistons, ostensiblement heureux de partager la scène avec ses amis du Haïdouti Orkestar, était peut-être le soliste le plus absent de l’ensemble. En retrait - sans doute par humilité - Maalouf privilégia son rôle de chef d’orchestre et de Monsieur Loyal. Restera une soirée festive, menée tambour battant par des musiciens investis, empreints des cultures des Balkans et du Moyen-Orient. Pour Bobby Mc Ferrin, c’est une autre histoire. Lui aussi effacé et visiblement très fatigué, le vocaliste jazz n’a pas semblé être en capacité de donner à voir l’étendue de ses talents d’interprète et d’improvisateur, laissant au quatuor Gimme 5 le soin d’impressionner le public. Ce que réussit particulièrement l’une de ses complices, l’incroyable Rhiannon. Point commun aux deux concerts, des amateurs sont conviés sur scène. Chez Maalouf, il s’agit d’enfants, chanteurs et danseurs, issus de quartiers populaires d’Île-de-France et incarnant leur diversité culturelle. McFerrin, de son côté, invitera les participants au stage de circle song et improvisation vocale, dirigé tout au long de la semaine du festival par David Eskenazy. Heureusement, à ces deux soirées, les premières parties, Djazia Satour et Rusan Filiztek Ensemble (lire ci-dessus et ci-contre) valaient pour elle-même le déplacement. Quant au célèbre Mystère des Voix bulgares, autre formation de notoriété internationale invitée par les Suds, si un mystère subsiste, n’est-il pas celui de la présence aussi inutile que déplacée d’un beatboxer à leurs côtés ?


30 festivals

En juillet sur les Festival de Thau

V

alorisant la thématique environnementale depuis ses origines, le Festival de Thau a choisi le réalisateur, écrivain et figure du mouvement Colibris Cyril Dion comme maître de cérémonie d’un grand concert collectif sur le port de Mèze. Au programme, musique et appel à la mobilisation avec

à l’affiche des artistes aussi variés que Nach (Anna Chedid), Kalune, Féloche, Emily Loizeau, Hugh Coltman, Gaël Faure, Piers Faccini et Aziz Sahmaoui qui ont conclu la soirée par le titre on ne peut plus explicite de Patti Smith People have the power. Plusieurs reprises ont ponctué le concert. Un peu plus tôt, c’est

sur Try with a little help from my friends qu’a communié la joyeuse troupe. Après une version orientalisante de Chic Planète de l’Affaire Louis Trio par Féloche et avant que Gaël Faure entonne le Get up Stand up de Bob Marley. Toujours dans la thématique donc. Plus facétieuse, Emily Loizeau chante son aversion pour le Plateau repas, symbole de la société de l’aggloméré. Toujours aussi remarquable de finesse, Piers Faccini a confirmé ses talents de troubadour de notre temps et Aziz Sahmaoui d’immense musicien aux multiples influences. Un seul regret, certaines interventions ambivalentes de Cyril Dion qui prône « la révolution tranquille » pour « construire un nouveau système et réorienter la société » tout en mettant au même niveau de responsabilité dans la crise actuelle nos modèles économique, financier et social. Carton rouge. LUDOVIC TOMAS

Ce concert a eu lieu le 18 juillet dans le cadre du Festival de Thau, à Mèze Concert Un Monde pour demain, Emily Loizeau © Paul Amouroux

Jazz à Junas

A

u cœur de carrières d’où fut extraite la roche pendant 2 000 ans, Jazz à Junas proposait sa 26e édition, avec pour thème « Voyage en Orient ». Après Dorantes, Rabih Abou-Khalil ou encore Avishaï Cohen, le festival donnait carte blanche au Trio Chemirani pour sa soirée de clôture. Les frères Bijan et Keyvan et leur maître de père Djamchid ont invité pour l’occasion un autre maître, de la kora celui-là, le Malien Ballaké Sissoko. Ou quand les musiques savantes persanes dialoguent avec la tradition mandingue. La famille franco-iranienne excelle par son jeu délicat au zarb autant que par son aisance dans l’improvisation. L’instrument émet une sonorité différente selon s’il est frappé ou frotté, selon aussi le positionnement des doigts. Les musiciens alternent mélodies

Zik Zac

à l’unisson et jeu des questions-réponses musicales entre le paternel et sa progéniture. Adepte des scènes partagées et des croisements d’esthétique, Sissoko se mêle subtilement au trio qui devient quartet, dans un esprit très jazz d’échanges et d’improvisations. Passant du zarb au daf, avec la même dextérité, Bijan et Keyvan interviennent aussi avec leurs propres instruments à corde, saz et santour. On ne parvient plus à distinguer laquelle des deux cultures musicales influence l’autre. Est-ce la harpe africaine qui s’immisce dans les partitions orientales ou les rythmes de Perse qui s’aventurent en terres mandingues ? L.T.

Le Trio Chemirani et Ballaké Sissoko se sont produits le 20 juillet à Jazz à Junas

O

n ne compte plus les raisons d’aimer le festival aixois Zik Zac. Il y a cette ambiance populaire, familiale et de diversité, autant sociale que d’origines. Plutôt rare dans un festival de musiques actuelles. Si cela fonctionne ici, c’est d’évidence parce que les organisateurs, l’association La Fonderie, ont fait le choix de la gratuité totale. Mieux, la manifestation se déroule dans un parc paysager en plein cœur du Jas de Bouffan, quartier « prioritaire » d’une ville perçue à tort comme exclusivement bourgeoise. On ne peut qu’aimer aussi l’esprit cosmopolite où les stands de restauration proposent croque-monsieurs, burritos, mafé ou nouilles sautées au wok. Comme on aime la pluridisciplinarité, entre spectacles jeune public et street art, et l’engagement éco-responsable. Évidemment,


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routes musicales Les Transes Cévenoles

I

l y a des festivals qui, même au bout de 22 éditions, ne perdent pas leur âme, ne transigent pas sur leurs valeurs. Les Transes Cévenoles, à Sumène, sont de ceux-là. Cette année encore, l’association les Elvis Platinés avait construit une programmation léchée, qui n’oppose pas les notions de risque et d’exigence à une approche populaire. En accueillant Fred Nevché dans un prieuré reculé, à une dizaine de kilomètres du village par une route sinueuse, les organisateurs ne pensaient sans doute pas devoir ajouter des chaises. L’artiste marseillais semblait le premier surpris. Accompagné aux clavier, machines et voix par son complice Martin Delgres © Pierre Wetzel Mey, il a interprété des morceaux de son dernier album Vadevaqueros. Le nom d’une plage andalouse jusqu’à laquelle il nous emmène au cours d’un voyage musical et verbal. Sur une electro douce et mélodieuse, ponctuée de quelques accords de guitare, la voix et les mots de Nevché, ni véritablement slam ni tout à fait spoken word. Mais une poésie urbaine qui peut aussi s’aventurer vers les grands espaces, des territoires nocturnes, des rêves improbables. Non pas un « road movie » mais plutôt des « road songs ». Nonchalant et grave à la fois, l’auteur-compositeur-interprète exprime les questionnements d’une génération d’entre-deux siècles qui peine à s’émanciper d’un système mortifère pour ériger un

toutes ces sensibilités se retrouvent dans la programmation musicale, exigeante, curieuse et soucieuse de proposer des artistes d’envergure internationale comme des formations plus locales. Cette année, six groupes de la Scène jeunes talents étaient invités à se produire à côté de Flavia Coelho, Yugen Winston McAnuff&Fixi © Frederic Kodjayan

nouveau modèle commun. C’est un voyage plus concret géographiquement que propose Delgrès : un aller-retour circulaire entre la Guadeloupe et la Louisiane. Ayant choisi comme nom de groupe le patronyme d’un symbole de la résistance à l’esclavage, le trio impose sur scène le son singulier qui les a révélés sur l’album Mo Jodi. Rugueux et lumineux, le blues de Delgrès s’affirme comme une musique de mémoire autant que de combat. Chanteur, auteur et compositeur, Pascal Danaë est aussi à la guitare Dobro, entouré de Baptiste Brondy à la batterie et Rafgee aux tuba et sousaphone. Une formation assez inédite pour mettre du lien et faire apparaître l’évidence de passerelles entre le blues des Noirs américains et les sonorités caribéennes des Antilles. Si le concert démarre par le titre en anglais Can’t let you go, c’est en créole que se poursuit l’odyssée de Delgrès, voguant du rock le plus épais à la transe brûlante. À travers des chants de lutte et d’espoir, le répertoire aborde la question de l’identité par le prisme du respect, de la dignité et de la fraternité. Un message qui, dans ce festival militant, a fait mouche. L.T.

Fred Nevché et Delgrès étaient programmés le 21 juillet aux Transes Cévenoles, à Sumène

Blakrok, Les Wriggles, Cimafunk ou Baloji. Le vendredi, après la séduisante expérience électroacoustique de Rumbo Tumba, bricolée par l’Argentin Facundo Salgado autour des sonorités andines, Kristel a déboulé en famille pour dévoiler son rock malgache habité. Chanteuse et bassiste évoquant parfois Kate Bush et les Red Hot Chili Peppers, elle n’oubliera pas de sensibiliser le public à l’injustice sociale qui frappe son île, « un peuple pauvre dans un pays riche ». Depuis quelques années déjà, Winston McAnuff et Fixi construisent fraternellement un univers musical mêlant reggae, maloya, soul ou encore afrobeat. Si la voix aérienne et rocailleuse du Jamaïcain fusionne toujours à merveille avec l’accordéon enflammé du Parisien, l’exploration musicale du dernier album s’avère un peu moins audacieuse. Mais sur scène, la prestation garde son panache, notamment grâce à la présence de deux musiciennes solides aux percussions et à la guitare. L.T.

Le Zik Zac festival a eu lieu du 25 au 27 juillet au Théâtre de verdure du Jas de Bouffan, Aix-en-Provence


32 festivals

Surf sur gamme

D

ans le parc de la Médiathèque, on s’installe pour une soirée aux Musicales de Gardanne. Sur l’herbe un peu rêche, les plus prévoyants sont équipés de couvertures, de fauteuils pliants, ou sont arrivés fort en avance pour occuper la cinquantaine de sièges mis à disposition du public. Puis, elle arrive à la tombée de la nuit, entourée de ses musiciens, et d’emblée, le lien se crée, évident… Cathy Heiting, diva, rockeuse, funky, blueswoman, jazzy à souhait, a ce talent rare, quelle que soit l’assistance, de nouer ainsi une complicité familière et potache, entourée par Wim Welker et ses beaux solos de guitare, Sylvain Terminiello aux époustouflantes improvisations à la contrebasse et Gérard Gatto à la batterie, imperturbable et superbe soliste. Cathy Heiting passe de la voix de petite fille à celle de l’actrice américaine, puis espagnole ou sud-américaine, fait un détour par les caraïbes et la fièvre cubaine, pardon « cubana »…, aborde avec une intelligente légèreté tous les répertoires. Pas d’échelle de valeur, tout est musique : les variations, les improvisations, les enrichissements polyphoniques, accordent à chaque morceau une dimension autre. Certes, pas d’erreur dans les choix éclectiques de ce parcours débridé, on commence par Someone to watch over me, de Gershwin, on poursuit avec Bob Marley, autour duquel la chanteuse tisse une saga désopilante et farfelue… On groove avec l’orthographe g-r-ou-v-e, on glisse dans l’univers de Duke Ellington avec une présentation délirante et c’est dans « una noche para cantar » qu’éclot le « chant gitano », Caravan… Cathy Heiting sait aborder aussi des thèmes sensibles, avec la superbe interprétation de Chandelier de Sia, ou, de manière plus personnelle, avec l’hommage qu’elle a écrit en mémoire à son metteur en scène, le regretté André Lévêque, Prayer for A… Passant du lyrique au jazz ou au funk dans la même coulée, Cathy Heiting est en effet d’un autre monde, celui où la musique est enthousiasme et jeu. MARYVONNE COLOMBANI

Le concert a eu lieu le 20 juillet lors des Musicales de Gardanne, dans le Parc de la Médiathèque

FIDMARSEI Le Festival International de Cinéma Marseille a drainé un public nombreux et varié, attiré par « ce cinéma d’hier et d’aujourd’hui » qui éclaire « des vies exceptionnelles ou minuscules » Ouverture burlesque On se pressait sur les gradins du Théâtre Silvain ce 9 juillet pour l’ouverture officielle de la trentième édition du Festival International de Marseille. Après le discours en duo du Délégué général Jean-Pierre Rehm et de la toute nouvelle Secrétaire générale Tsveta Dobreva, les deux invités d’honneur, l’artiste-cinéaste Sharon Lockhart et le cinéaste-artiste Bertrand Bonello ont reçu le prix d’honneur du FID. Initiée par un premier miracle météo qui avait arrêté la pluie du matin, la journée offrait un autre miracle en soirée : le Miracle du Saint Inconnu, premier film franco-marocain d’Alaa Eddine Aljem, ravi de le présenter devant un public si nombreux. Sélectionné à La Semaine de la Critique 2019, cette comédie burlesque lorgne du côté de Kaurismäki pour l’humour décalé façon clown blanc, les dialogues a minima et les plans dépouillés. Sauf que le désert marocain a remplacé la neige finlandaise et que le disciple, quoique talentueux, n’est pas encore au niveau du maître. Amine, juste avant son arrestation, a façonné une tombe sans nom dans le désert pour y cacher l’argent qu’il a volé. Après dix ans de prison il revient exhumer son butin. Las ! La tombe est devenue lieu de culte et de tourisme religieux. L’ancien bled s’est vidé pour se reconstruire autour du mausolée soigneusement gardé et exploité. Comique de situation et de répétition : les tentatives du malfrat, flanqué d’un acolyte benêt, échoueront toutes jusqu’à un surprenant revirement. Réjouissante galerie de portraits : un coiffeur-prothésiste filou, un médecin distributeur de Doliprane pour femmes désœuvrées, un infirmier placide un tantinet alcoolique, un paysan dépressif, un gardien amoureux de son chien aux dents d’or… Une micro société engluée dans les superstitions et l’ennui, tiraillée entre la foi et l’argent, un monde moderne qui avance à coup de dynamite et un mode de vie paysan moribond mais tenace. Il s’agit bien d’une fable sociale dont la morale comme souvent dans ce genre reste incertaine.

Bon anniversaire le FID Le lendemain, première projection dans un cinéma flambant neuf, Les Variétés, dont la réouverture tant attendue va réjouir les Marseillais. Ça fleure bon le neuf, et dans de confortables fauteuils, les premiers spectateurs ont eu la chance de voir le cadeau offert par plus d’une trentaine de cinéastes à un festival qui souffle ses trente bougies. Un kaléidoscope d’images et de sons, de très courts films venus du monde entier, réalisés spécialement ou choisis dans la cinémathèque personnelle de ceux et celles qui sont venu-e-s un jour au FID. Séquences en couleurs ou en noir et blanc, tournées en pellicule Cathy Heiting quartet © Eric Massua


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LLE #30

La Mer du Milieu, J-M Chapoulie © Baldanders Films

ou en numérique, narratives, contemplatives, poétiques ou politiques, plans-séquences ou scènes au montage percutant, plans fixes ou en caméra portée, images floutées, ralenties ou en surimpression. On se laisse embarquer, surprendre. On reçoit certaines comme de belles évidences, on est déçu aussi parfois. On a des coups de cœur : des étudiant-e-s d’une classe d’hypokhâgne dans un gymnase lisant Proust dans un superbe noir et blanc, Une madeleine pour le FID de Véronique Aubouy ; un bateau filmé en plongée sur le Bosphore, au milieu de larges trainées d’huile, Border boat, plan efficace de Sepideh Farsi ; la traversée d’un champ de fleurs jaunes à Fukushima, tableau délicat de Suwa Nobuhiro, extrait de The phone of the wind ou encore Kvira, de jeunes sportifs filmés au ralenti sur la musique de Strauss, clin d’œil à 2001 L’Odyssée de l’espace par le Géorgien Alexandre Koberidze…

Les mondes clos de Bonello Entre la lucidité de l’intelligence et l’entêtement d’une innocence, se crée la tension d’où naîtraient poésie et beauté. C’est en ces termes que Jean-Pierre Rehm a introduit la Master class de Bertrand Bonello le 11 juillet au Mucem. Et pour poser ses réflexions et les nôtres, le cinéaste, dont le FID proposait une rétrospective, nous a offert son premier film : QUI JE SUIS. Documentaire tourné entre l’Italie et le théâtre des Amandiers, raté, bricolé selon ses dires mais porté par le texte de Pasolini lu par Laurent Sauvage. Écrit à New York en 1966 alors que Pasolini est malade, Qui je suis, entre origines et prospectives, dans une langue à couper le souffle, accompagne Bonello depuis toujours, lui redonnant quand nécessaire force et désir. Comment ce désir naît-il et comment se

met-il en forme ? Bonello raconte avec des mots simples et justes la complexité du processus. Avant tout synopsis, l’idée se concentre sur une scène fondamentale, non pour son importance scénaristique mais pour sa force de déflagration imaginaire à l’instar des larmes de sperme dans L’Apollonide. Antoine Thirion, qui animait la séance, avait choisi trois extraits de films : De la guerre, Le Pornographe, et Zombi Child pour mettre en évidence les constances du héros bonellien flottant dans des « entre-deux », le goût de l’artiste pour les fantômes, l’obsession de la mort et l’écriture musicale conçue dès le scénario. « Les mondes clos aussi, comme le cerveau ou la salle de cinéma » a ajouté le réalisateur. « Des boîtes où se créent des circulations et une réorganisation du réel. »

Le palmarès 2019 36 films étaient en lice. Le Grand Prix de la Compétition Internationale est revenu à Nunca subi et Provincia du Chilien Ignacio Agüero, déjà primé en 2017 : un film qui « tricote très serré l’intime et le public ». La Compétition Française a couronné La Mer du Milieu de Jean-Marc Chapoulie, dédié à la Méditerranée et monté à partir d’images de surveillance, produit par la société marseillaise Baldanders Films. Enfin, le Prix GNCR a été décerné au tonique et féministe Delphine et Carole, insoumuses de Callisto McNulty (lire journalzibeline.fr) Chacun avait fait ses pronostics. Ils furent déçus ou validés mais l’important, c’est que le cinéma y soit demeuré gagnant. ANNIE GAVA ET ÉLISE PADOVANI

Le Festival international de cinéma Marseille a eu lieu du 9 au 15 juillet. Palmarès complet sur fidmarseille.org


34 au programme arts visuels

Art-O-Rama, retour à la Friche Les 25500 m2 du hangar J1 à la Joliette étant promis pour 2023 à un avenir de loisirs imaginé par Vinci Construction, l’édition 2019 se déroulera à La Cartonnerie

L

a beauté du site avait l’année dernière ravi les visiteurs de la foire d’art contemporain Art-O-Rama et du salon de dessin Paréidolie. Mais pour cette rentrée, les 31 galeries invitées (12 pays différents) réintègrent le site de La Friche, et présenteront des œuvres signées à 52% par des artistes hommes, à 44% par des artistes femmes, à 4% par des collectifs, et à 76% par des artistes de moins de 40 ans. La naissance cette année d’une collaboration d’Art-O-Rama avec Contempory Istambul, la foire d’art contemporain d’Istanbul (dont la 15e édition se tiendra du 11 au 15 septembre) sera marquée par la présence de deux galeries stambouliotes, Öktem Aykut et the Pill, et par une série de discussions (« Talks ! ») sur la création contemporaine et ses soutiens autour de

la Méditerranée. Des échanges qui débuteront à Marseille et se poursuivront à Istanbul, où des galeries marseillaises seront présentes (Double V Gallery, Crèvecoeur, et South Way Studio). La galerie Öktem Aykut présentera à Marseille un travail de ré-évaluation de la peinture, décrit comme joyeux, critique et fluorescent par Renée Levi, artiste suisse, née à Istanbul en 1960. La galerie the Pill exposera elle des sérigraphies sur toile, vanités architecturales et « Archiheads » de la franco-danoise Eva Nielsen, mises en dialogue avec des sculptures de l’artiste marseillais Ugo Schiavi autour de la notion d’effondrement.

Foire exposition Des 29 galeries présentes au J1 l’année dernière, 11 reviennent, parmi lesquelles

Kris Lemsalu, V (2019), Céramique, tissus, panier en osier 33x22x19cm , Courtoisie de l’artiste, Koppe Astner, Glasgow et Temnikova & Kasela, Tallinn

la galerie Philipp von Rosen (Cologne) avec des œuvres de Florian Schmidt, expérience de recyclage de matériaux en deux dimensions, combinant geste pictural et architectural. Également Sans Titre (Paris), qui proposera une présentation de groupe (Basile Ghosn, Katharina Schmidt, Hamish Pearch) autour de l’environnement urbain, en résonnance avec des problématiques marseillaises actuelles, Katharina Schmidt ayant notamment consacré une série d’œuvres au Centre Bourse. Ou bien encore Koppe Astner (Glasgow) présentera des sculptures « socialement critiques » de l’estonienne Kris Lemsalu, matériaux divers (céramiques, porcelaines, tissus synthétiques) s’inspirant de thèmes féministes. Parmi les galeries nouvelles entrantes Lucas Hirsch (Dusseldorf) présentera le travail du collectif HC autour de l’exploration plastique des récipients à boire, la Galleria Six (Milan) exposera des œuvres de Gianluca Codeghini et d’Ange Leccia autour de l’inframince, notion développée par Marcel Duchamp, reprise récemment par le critique d’art italien Elio Grazioli. Dürst Britt & Mayhew (La Hague) proposeront des peintures de la situationniste Jacqueline de Jong, et les travaux autour du vide, de la disparition et de l’effacement d’Alexandre Lavet. Beaucoup d’autres travaux seront à découvrir, et éventuellement à acheter, dans ce 13e Art-O-Rama. Et comme de coutume, la foire (30 août au 2 septembre) se prolongera sous forme d’exposition (jusqu’au 15 septembre) et sera accompagnée de propositions associées, dont une section Éditions, une section Prix Région Sud, un showroom, un projet (Hot wheels project- Athènes) et un artiste (Jonathan Vidal) invités. MARC VOIRY

Art-O-Rama 30 août au 15 septembre Friche de la Belle de Mai, Marseille 04 95 04 95 36 art-o-rama.fr


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Carte blanche au dessin Désormais inscrit dans les rendez-vous incontournables de la rentrée de l’art contemporain à Marseille, Paréidolie joue les prolongations. La rançon du succès ! Zagdanski. Quant à la galerie en ligne Moka, une fois n’est pas coutume, elle s’échappe de la toile virtuelle et s’autorise un ancrage dans le réel en exposant « pour de vrai » Myriam Mechita, Clarisse Tranchard, Virginie Trastour, Lisa Signorini. C’est aussi çà l’ADN de Paréidolie, bousculer les galeries, les inciter à prendre des risques, à changer leurs habitudes, à se confronter à d’autres pratiques. C’est le jeu, et ça marche ! Cette année, toutes ont répondu positivement à la demande de Jean de Loisy de présenter un artiste Coup de cœur dans le cadre d’un focus sur l’émergence : l’occasion pour la jeune création de capter la lumière comme leurs aînés…

Hors les murs

Kris Knight, Peacock 2, 2019, Pastel, crayon sur papier en coton, 45,7 x 35,5 cm

A

près une incursion exceptionnelle au J1 l’an dernier qui laissait espérer des lendemains qui chantent (création d’un lieu pérenne dédié à l’art et à la culture), Paréidolie retrouve son nid d’origine au Château de Servières. Pour sa 6e édition, marquée du sceau de sa nouvelle présidence confiée au directeur de l’ENSB* de Paris, Jean de Loisy, le salon international du dessin contemporain s’offre le luxe d’ajouter un troisième jour à son calendrier pour cause de public de plus en plus conquis (30 et 31 août, 1er septembre). Et repousse une fois de plus les murs de la galerie, non pas pour entasser un plus grand nombre d'exposants mais, au contraire, pour aérer les espaces d’exposition et permettre au public de déambuler à son aise. Paris, Barcelone, Londres, Neuchâtel, Cologne, Berlin, Zurich, Madrid : elles sont quatorze au total venues des quatre coins d’Europe, sélectionnées par un comité artistique composé de professionnels, de collectionneurs et d’artistes. Des fidèles comme 22,48 m2 ou Laurent Godin, et des « novices » comme la galerie parisienne Éric Dupont qui fait sa première apparition au salon. Si elle représente notamment l’artiste algérien installé à Marseille Yazid Oulab, son choix s’est porté ici sur le travail de Willys Kezi, Carlos Kusnir (exposé au Frac et au Panorama au printemps 2018, lire journalzibeline.fr), Paul Pagk, Katarzyna Wiesiolek, Stephane

À propos de coup de projecteur, Paréidolie met en avant un artiste invité, Gilles Pourtier, installé à Marseille depuis 2009, dont les travaux photographiques ont été présentés à l’Atelier de l’image et à La Compagnie il y a quelques années. Place ici au dessin, au feutre rouge, vert et bleu sur papier, mais pas seulement… Il donne carte blanche à l’association marseillaise Jeune création en binôme avec La Cabane Georgina (exposition d’une dizaine d’artistes se jouant des apparences et des retournements de situation) et à Asphodèle - Espace pour l’art à Arles (travaux de Catherine Melin). Et, œuvrant à la synergie entre les acteurs culturels du territoire, il lance sa Saison du dessin hors les murs au Frac et au musée des Docks Romains : respectivement Nicolas Daubanes, Prix des Amis du Palais de Tokyo 2018, qui fit sensation au Château de Servières avec son exposition-installation OKLM ; et Samuel Rousseau, sélection du Prix Marcel Duchamp 2011, dont l’œuvre créée in situ, Delirium Dorium, « est une nouvelle brèche intemporelle ouverte dans le travail vidéo de [ses] installations ». Le plaisir de la découverte et des retrouvailles se poursuit tout l’automne dans une vingtaine de lieux partenaires ayant en partage la passion du dessin. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI *

École nationale supérieure des Beaux-Arts

Paréidolie 30, 31 août, 1er septembre Château de Servières, Marseille 04 91 85 42 78 pareidolie.net Nicolas Daubanes Le monde ou rien jusqu’au 22 septembre Frac, Marseille 04 91 91 27 55 fracpaca.org Samuel Rousseau Delirium Dolia jusqu’au 22 septembre Musée des Docks Romains, Marseille 04 91 91 24 62 musees-mediterranee.org


36 au programme arts visuels

L’idée de l’Orient La Collection Fouad Debbas est mise à l’honneur au Mucem, et dialogue avec des artistes contemporains pour La fabrique des illusions

A

u Mucem, les collections de l’ingénieur d’origine liba- Ombres et lumières naise Fouad Debbas (1930-2001) s’exposent et mettent à Le dispositif tel que l’ont conçu les deux commissaires, alterl’honneur les photographies orientalistes d’un XIXe siècle nant images d’archives et œuvres contemporaines, nourrit colonial. Dépassant un prétendu vérisme photographique, une intéressante réflexion sur le medium photographique. l’exposition orchestrée par les commissaires Yasmine Che- Ainsi, au début du parcours, un projecteur dessine au sol les mali et François Cheval renvoie la photographie à une voca- contours d’un Buddha méditant, réalisé en ombre chinoise par l’artiste Mac Adams, au tion oubliée, celle de l’illusion. Elle ne documente pas, elle moyen de galets très préciinstalle et met en scène, elle sément disposés. Une image ne saisit pas dans l’instant habilement mise en scène, un un moment de vérité, mais « objet illusoire utilisé à des l’agence à travers une lentille. fins idéologiques », comme Ici, des séries de portraits le souligne François Cheval esquissent le pastiche d’un avec humour, en homme Orient fantasque et bigarré. fasciné par la théâtralité viOn rencontre toutes les fisuelle. Plus avant, le diapogures idéales typiques qui rama Sparks, signé Wiktonourrissent l’imaginaire ria Wojciechowska, attire l’attention : la toute jeune orientaliste : ici un druze, là un derviche tourneur, plus femme a photographié des loin une femme aux bijoux combattants volontaires après chargés et à la lourde poitrine. six mois passés au cœur du Saturées de couleurs passées, conflit Ukrainien, en 2015. ces images frappent par leur Leurs regards hanté touche exotisme forcé, construit de d’autant plus profondément toutes pièces dans des studios, qu’un cartel indique ce qu’ils comme ceux de Bonfils, où faisaient avant la guerre : DJ, s’entassent un chaos d’étoffes, étudiant en marketing, barde coiffes et de pierreries pêleman, chauffeur, philosophe... mêle. Autant d’artefacts, qui La légende d’une image la rentransforment les peuples en fiforce indéniablement ! En fin gurants bariolés et grotesques. de parcours, c’est le travail Lallemand, Ludovico Hart, Femme chrétienne de Zouk Mikael (Liban septentrional) fumant La bourgeoisie et l’intelligent- Charles de Louis Quail sur son frère le narguilé et préparant le café sur la terrasse d’une maison, vers 1863-1865. Tirage sur papier ald’après négatif sur verre, rehauts de peinture, 29 x 22.5 cm. Publié dans Galerie universelle sia occidentales du XIXe siècle buminé schizophrène qui émerge pardes peuples de Syrie, éditeur A. Varroquier & Cie. Collection Fouad Debbas / Musée Sursock ont vu dans l’Orient un terrain © Collection Fouad Debbas / Musée Sursock ticulièrement. Résumer un de jeu, une scène où pourrait s’épancher le lyrisme de leurs être humain à ses symptômes, comme un portrait stéréotypé, élans romantiques. Ce fond de photographie oriental, recou- c’est ne jamais prendre conscience de l’infinie profondeur vrant le Liban, la Syrie et la Palestine, ne nous renseigne ainsi de sa vie. Au moment de conclure la visite, le commissaire pas tant sur l’Orient que sur le regard que l’Occident portait esquisse un fin sourire : « Cette exposition a été conçue pour dessus. Un regard qui voudrait l’enfermer dans un folklore contribuer à ce que l’on cesse de nous imposer une vision du inoffensif, dans une grandeur passée et mythologique, comme monde. Après tout, former son propre regard est la seule maen témoignent les photographies jaunies de Palmyre ou de nière de survivre dans ce monde vulgaire. » SELMA LAGHMARA ET GAËLLE CLOAREC la vieille ville de Jérusalem. Un voyeurisme renforcé par la duplication. Éditée sous forme de cartes postales énormément diffusées, la photographie orientale est soumise aux La Fabrique des illusions injonctions coloniales, elle se monnaye entre producteur et jusqu’au 29 septembre consommateur. « Ces images ont été essentiellement produites Mucem, Marseille par des photographes européens, avec une visée commerciale », 04 84 35 13 13 mucem.org souligne Yasmine Chemali. Sous couvert d’une documentation (factice), elles ont construit et diffusé fantasmes et préjugés jusque dans les années 1930.

Nocturne exceptionnelle le 4 août Visite + Concert de Rami Khalifé Entrée libre


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L’évasion des cartes Le temps de l’île, nouvelle exposition du Mucem, invente le lointain au Château d’If

L

e temps de l’île est une exposition composée de quatre espaces différents : les îles « de l’ambiguïté », à la fois lieux d’évasion et d’enfermement ; les îles de la connaissance, des sciences de la nature, humaines ou sociales ; les îles du pouvoir géopolitique ; et les îles de l’imagination, littéraire, artistique ou cinématographique. Les commissaires

lesté de perles et strass, allait défaire les liens symboliques qui l’attachent au continent pour voguer vers un destin plus kitsch. « L’exposition est un outil d’analyse du monde » déclare Guillaume Monsaigeon. Elle amène notamment à penser les problématiques environnementales, à travers en autres l’œuvre du collectif

L'invention du lointain, Les îles antipodes David Renaud © Antoinette Gorioux CMN

Guillaume Monsaingeon et Jean-Marc Besse se sont interrogés sur toutes ces représentations, qui amènent à de profondes réflexions scientifiques, philosophiques, voire utopiques, derrière la figure tutélaire de Thomas More. Les 200 pièces qu’ils ont réunies proviennent d’institutions françaises, européennes et méditerranéennes -cartographies, relevés d’explorateurs, animaux naturalisés, mais aussi mosaïque romaine- ainsi que des œuvres d’art contemporaines, parfois réalisées spécialement pour l’occasion (peintures, sculptures, photographies ou vidéos). Fetish Map of the British Isles est une frappante carte des îles britanniques, entièrement recouvertes d’épingles colorées. L’artiste Chris Kenny y évoque puissamment le Brexit, comme si ce morceau d’Europe,

Map Office Moving Lemuria from the Indian to the Pacific Ocean, qui mêle coquillages et déchets plastiques récoltés sur une plage. Les îles, qui subissent de plein fouet le réchauffement climatique, peuvent également être symptomatiques d’une actualité brûlante, comme celle de Lampedusa. La richesse thématique de l’exposition a un revers : les deux commissaires l’ont souhaitée « lisible à beaucoup de niveaux ». Ils l’auraient voulu suffisamment ludique pour qu’elle soit adaptée également au jeune public, mais le côté scientifique, philosophique et littéraire prend le pas sur la vision divertissante souhaitée.

Au bateau ! Sur ces mots s’achève la visite, comme une invitation au voyage. Que les visiteurs

pourront prendre au pied de la lettre, en embarquant sur l’une des navettes qui relient le continent au Château d’If. Car le Centre des monuments nationaux s’est allié pour la première fois au Mucem, afin de prolonger l’exposition et permettre de vivre et ressentir l’expérience insulaire, et découvrir une série de cinq œuvres de David Renaud, L’invention du lointain. Cet artiste, enseignant aux Beaux-Arts de Lyon, explore notamment la représentation du paysage, mêlant volontiers science et fiction à ses tableaux, sculptures ou installations. Conscient de sa « chance exceptionnelle de se confronter avec un lieu tel que le Château d’If », forteresse construite au XVIe siècle sur les ordres de François Ier, il a travaillé in situ, désireux de se frotter à l’âpreté du lieu géographique, comme à la fécondité du lieu littéraire qui inspira Alexandre Dumas. Le Comte de Monte-Cristo sourd sous ses œuvres, notamment sur la Place d’armes, avec son installation Tourisme d’évasion : Île du Diable, Alcatraz, Garden Key, Makronissos... neuf îles ayant servi de prison et devenues touristiques, nommées sur autant de plaques métalliques disposées au sol, avec leurs coordonnées géographiques. « Que vient-on voir quand on visite ces espaces de contrainte du corps ? » CHEYENNE TYRAKOWSKI ET GAËLLE CLOAREC

Le temps de l’île jusqu’au 11 novembre Mucem, Marseille 04 84 35 13 13 mucem.org L’invention du lointain jusqu’au 30 octobre Château d’If, Marseille Embarquement au Vieux Port (bas de la Canebière) 06 03 06 25 26 / 06 80 52 75 96 / 04 91 59 02 30 chateau-if.fr


38 au programme arts visuels

Vagues de design À Toulon, le festival Design Parade propose en corollaire une exposition insolite et ludique au Cercle naval

L

e Cercle naval de Toulon, lieu de réception pour la Marine, ressuscite exceptionnellement sous l’impulsion du 4e festival international d’architecture intérieure Design Parade qui irrigue la ville d’une nouvelle proposition : Nouvelles vagues, Collections design du Centre Pompidou. L’événement est de taille à double titre. D’abord parce que le bâtiment d’André Maurice inauguré en janvier 1933 est un pur produit de l’architecture Art déco avec ses décors sculptés, son escalier d’honneur à double volée tournante, ses toiles

la troisième enfonce le clou du plaisir et des loisirs à travers des spécimens gonflables aux lignes aériennes (apparition de nouveaux matériaux PVC). L’ensemble est joyeusement mis en scène par l’architecte et designer India Mahdavi qui emprunte à l’imagerie de la plage son motif de rayures bleu et blanc décliné des murs aux plafonds, sur le mobilier d’accueil, les présentoirs, les jarres, les rideaux, et sur toute la panoplie des outils de communication (flyers, catalogue, cartes postales, plans de salle). À la géométrie rigoureuse et un peu froide de l’écrin « archéologique » répond les ondulations des espaces Pop : la rayure cède la place aux vagues mouvantes et à l’insouciance. Miroir de l’Histoire… Du plaisir aquatique à la sieste bienheureuse, il n’y a qu’un pas que l’on franchit avec délices dans deux salons-boudoirs attenant à l’espace de réception. S’y lovent deux versions revisitées du traditionnel hamac, l’un signé de Jean-Baptiste Fastrez, composé d’un millier de tubes de tissus, et inspiré du Quetzalcoatl, le serpent à plumes dans la mythologie aztèque ; l’autre de Bless habillé de taffetas rose poudré nacré. Deux cocons sculptés comme un appel à la volupté.

Un territoire pour le design Événement encore, que la signature d’un partenariat entre le président du Centre Pompidou Serge Lasvignes et le président de la Métropole Toulon Provence Méditerranée Hubert Falco « autour de ses collections design dont il assurera l’ensemble du commissariat incluant le choix du scénographe ». Pierre Paulin (1927-2009), Fauteuil RibbonChair 582 (1966) ARTIFORT / TUBE D’ACIER, MOUSSE DE LATEX, Cet engagement de trois ans, signé à l’ocJERSEY DE POL Y AMIDE, BOIS LAQUÉ DON DE STRAFOR 1996 / AM 1996-1-3 casion de l’inauguration de l’exposition, se marouflées de six mètres de haut, et qu’il est désormais pro- concrétisera par l’organisation d’une exposition annuelle à tégé de toute démolition. Occupé par la Marine jusqu’en 2017, l’Hôtel des arts transféré à la Métropole TPM en janvier 2020. fermé au public, son horizon était sombre jusqu’à l’arrêté du 8 L’esprit design promu par la Villa Noailles (Design Parade) et février 2018 qui l’a inscrit en totalité au titre des monuments l’École d’art s’ancre durablement à Toulon qui accueillera à historiques. Un sursaut vital dû, en partie tout au moins, à la rentrée le second site de l’école Camondo (Paris), avec un la volonté de la Ville et des associations relayée par la Villa master 1 architecture intérieure et design suivi du premier Noailles qui l’a investi en 2017 avec Design Parade 2. C’est cycle en 2020. Face à la Méditerranée. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI dans cet espace au fier passé qu’une soixantaine de pièces des collections Design du Centre Pompidou ont pris leur aise, sur deux niveaux et en trois parties : la première retrace l’ar- Nouvelles vagues chéologie du transat et de la chaise longue depuis les années jusqu’au 24 novembre 1920, et la naissance de la modernité dans un dispositif ri- Cercle naval, Toulon goureux (lignes austères, formes épurées, tubes d’acier, toiles et chêne, cuir synthétique se déploient) ; la deuxième épouse la grammaire révolutionnaire des années Pop où les idées, le corps et la parole se libèrent (couleurs acidulées, formes sexy, assises confortables, l’hédonisme règne dans les années 60) ;

Design Parade jusqu’au 29 septembre Divers lieux, Toulon villanoailles-hyeres.com


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MoCo, nouvelle adresse contemporaine Distance intime, première exposition de l’Hôtel des Collections de Montpellier, propose un univers dont l’homme semble avoir définitivement disparu

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ollicité par un collectionneur japonais, Yasuharu Ishikawa s’est décidé en trois minutes pour acheter les douze pièces de la série Date Paintings d’On Kawara. Il est depuis ce coup de foudre lui aussi devenu collectionneur d’art contemporain. Les 12 toiles noir et blanc (la date du jour où l’artiste à réalisé la peinture sur fond noir, comprise entre le 8 janvier et le 16 décembre 1994, extraits de la célèbre Today series, calendrier à trous, témoins concrets de l’existence de l’artiste qui réalise une prise directe du temps qui file) risquaient de sortir du Japon si personne ne les achetait ; l’entrepreneur Ishikawa s’est senti en devoir d’acquérir ce morceau de patrimoine conceptuel (et national). C’est aujourd’hui sa toute jeune collection qui inaugure le MoCo - Hôtel des collections de Montpellier, dont c’est la plus importante présentation (une trentaine d’œuvres, 17 artistes en majorité occidentaux) en dehors du Japon. La première pièce provoque une forte sensation. Une multitude de flèches noires, plantées en faisceaux très graphiques, occupe le sol et une partie des murs. Ftt, Ft, Ftt, Ftt, Ffttt, Ftt : c’est le titre de l’œuvre de Ryan Gander (2010), dont on a l’impression d’avoir réchappé de justesse, arrivé là après la bataille. En l’occurrence une guerre de théories, entre Van Doesburg et Mondrian, qui s’écharpaient autour du sens de la ligne à adopter dans l’art abstrait : diagonale ou verticale/horizontale ? On ne tranchera pas, ému d’être pris dans un feu qui, tant que la création existera, jamais ne s’arrêtera.

Désolation Puis, Distance intime (commissariat Yuko Hasegawa, directrice artistique du Musée d’art contemporain de Tokyo) se déroule sans réelle cohésion, si ce n’est un sentiment diffus de catastrophe, dont on ne sait si elle est imminente ou déjà survenue. Il y a le Sida, dont le couple

Ryan Gander, Ftt, Ft, Ftt, Fttt, Ftt. Plastique, caoutchouc, acier. Fondation Ishikawa, Okayama. Courtesy TARO NASU, Tokyo © Ryan Gander © Adagp, Paris, 2019

d’ampoules suspendues, allumées, les fils entremêlés, figure celui, fauché par le virus, de Felix Gonzalez-Torres (Untitled, March 5th, #2, 1991) et son compagnon. Son monument à emporter (Untitled, Monument, 1989), une pile d’affiches blanches, que chacun peut prélever, portant l’inscription Ten men came, only three returned entretient une mémoire à diffuser, à partager, à disperser au gré des trajets de cette œuvre nomade. Le cataclysme a sévi dans la vidéo de Pierre Huyghe. Une petite fille erre, gestes saccadés, obsessionnels. Elle porte un masque blanc de théâtre Nô. Ses bras sont longs et poilus. C’est un singe (Untitled, human mask, 2014). Filmé par un drone dans une zone sinistrée trois ans après Fukushima, l’animal déguisé en humain (Fuku-Chan, qui a dans « la vraie vie » a été dressé pour faire le garçon de café) circule dans le silence et la désolation, à la fois ancêtre et survivant d’une humanité perdue. Dans Zoodram 4 (Pierre Huyghe, 2011), les restes de civilisation

sont colonisés par un bernard-l’hermite installé dans une réplique de La Muse endormie (Brancusi). Il occupe cette tête connue et creuse, référence absurde et noble, souvenir d’humain dont il aurait mangé le cerveau - dans son aquarium aux verres loupes si épais que s’en approcher provoque une sorte de nausée. ANNA ZISMAN

Distance intime - Chefs-d’œuvre de la collection Ishikawa jusqu’au 29 septembre MoCo - Hôtel des Collections, Montpellier moco.art


40 au programme arts visuels bouches-du-rhône

Château La Coste Pour l’été, le Château La Coste présente trois artistes d’envergure internationale. Le Japonais Yoshimoto Nara, avec sa première exposition majeure en France (dessins, peintures). Jean-Michel Othoniel créera une installation unique et spéciale pour le nouvel espace conçu par Renzo Piano. Et une exposition illustrera le processus de création de Jean-Michel Basquiat, découvrant le large éventail de supports qu’il a utilisé : colle, mine de plomb, stylo, crayon, collage, Xerox... A.Z. Jean-Michel Basquiat,10 août au 20 octobre Yoshimoto Nara, 10 août au 10 novembre Jean-Michel Othoniel, 20 août au 20 novembre chateau-la-coste.com Jean-Michel Basquiat, Sans Titre / Untitled (Chinese), 1984 ©The Estate of Jean-Michel Basquiat/Licenced by Artestar - Courtesy Galerie Enrico Navarra, Acrylique et crayon gras sur papier / Acrylic and oilstick on paper 76 x 105,5 cm

Zineb Guerout Sur les murs de pierre de cette chapelle chargée d’histoire, Zineb Guerout revient pour la deuxième fois accrocher ses toiles viscérales et sincères, qui parlent du « je » et de l’humain. Lumineuses elles nous touchent et figurent l’abstraction « au fond de toutes choses », chère à l’artiste. Entre rêve et dépouillement, un équilibre élégant, qui nous enjoint à une réflexion sur l’ailleurs et l’altérité. S.L. De l’abîme abstrait jusqu’au 1er septembre Chapelle Saint-Sulpice, Istres 04 42 55 50 83 istres.fr

© Zineb Guerout

Gibert Garçin Enfant du pays, Gilbert Garçin a découvert son goût pour la photographie aux Rencontres d’Arles, retraité d’une carrière dans la vente de luminaires. Il s’approprie la technique du photomontage, et, se mettant en scène dans un mini théâtre en noir et blanc, il invente un monde ou se côtoient l’humour, le pathétique et l’absurde, présenté depuis à l’international. A.Z. 2 août au 3 novembre Château de Gordes 04 32 50 11 41 L'ambitieux © Gilbert Garçin

Bis repetita placent À partir d’une réflexion sur le rapport intime provoquée par la marche dans un territoire, l’exposition réunit 12 artistes qui ont l’habitude de revenir sur les lieux de leurs parcours. Paysages arpentés, traversés, empruntés, les techniques sont multiples pour laisser ou prélever une trace : photographie, textes, installations, peintures. (Richard Long, Berger & Berger, Eleonora Strano,...). S.L. jusqu’au 11 novembre Espace de l’Art Concret, Château de Mouans-Sartoux 04 93 75 71 50 espacedelartconcret.fr Eric Bourret, Sainte-Victoire, la montagne de cristal, 2014 Courtesy de l’artiste © droits réservés


au programme arts visuels alpes-maritimes hérault

Niki de Saint Phalle « J’obéis à un besoin urgent de montrer qu’une femme peut travailler à une échelle monumentale ». Il aura fallu puissance et ténacité à Niki de Saint Phalle pour s’imposer dans un monde de l’art si masculin. Les 80 pièces sélectionnées retracent un parcours protéiforme, des premières œuvres peintes, assemblages, tirs, premières Nana jusqu’aux dernières sculptures. Et, moins connue, son œuvre filmique représentée par Daddy et Un rêve plus long que la nuit. C.L. Niki de Saint Phalle, L’Ombre et la lumière jusqu’au 3 novembre Centre d’Art la Malmaison, Cannes 04 97 06 45 21 cannes.com

Niki de Saint Phalle, La Cabeza, 2000. Mousse de Polyurethane, armature en acier et résine, éclats de miroir et vitrail, galets et cailloux divers, coquilles d’ormeaux, incrustation de verre en millefiori. 365,8x426,7x365,8 cm. Courtesy NCAF © 2019 Niki Charitable Art Fondation / Adgap, Paris

Hommage à Renoir À l’invitation du musée Grimaldi, l’Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne réunit 16 artistes contemporains (ou couples) pour célébrer le centenaire de la disparition de Pierre-Auguste Renoir. À partir d’une œuvre célèbre ou méconnue du maître, les travaux questionnent l’héritage et l’infusion de l’art par l’art. Iconoclaste ? Sûrement pas, lorsqu’il s’agit d’évoquer un artiste qui s’est toujours remis en question, n’écoutant que son inspiration et son urgence de créer. A.Z. jusqu’au 11 novembre Château-musée Grimaldi, Cagnes-sur-Mer 04 92 02 47 35 cagnes-sur-mer.fr Vue d'exposition, Hommage à Renoir © Ville de Cagnes

Monster Rebellion Sur une bande originale créée par Talweg l’artiste britannique Monster Chetwynd (ex Spartacus et ex Marvin Gaye Chetwynd) nous invite à plonger dans son univers fantasque, composé d’une vingtaine d’œuvres présentées dans un esprit Luna Park : des sculptures d’animaux, des lucioles, des salamandres... La rébellion sera celle du Do it yourself, bricolée avec les moyens du bord, avec humour et philosophie punk. A.Z. jusqu’au 13 octobre Villa Arson, Nice 04 92 07 73 73 villa-arson.org Monster Chetwynd, Diorama, 2012, 193.9 x 586.9 x 122.2 cm, papier, carton, peinture, tables, lampes et chaise de bureau. © Monster Chetwynd. Courtoisie Sadie Coles HQ, Londres Villa Arson 2019. Photo : François Fernandez

La part modeste Rencontrer des « regards modestes », davantage que des œuvres de cette nature, tel est le credo des fondateurs du MIAM. Cela n’empêche en rien la multiplicité des postures et des mises en formes pour cette exposition tricéphale avec Bernard Belluc (co-fondateur), Gérard Collin-Thiébaut, Delphine Coindet (qui signe aussi la scénographie), et les œuvres d’artistes invités tout autant « modestes ». Tous les jeudis, un événement, entre cinéma et performance. C.L. jusqu’au 1er janvier 2020 MIAM, Sète 04 99 04 76 44 miam.org Gérard Collin-Thiébaut, Le marché de l’art s’écroule / 2 mains / à 18h30. Ben Mur des mots, Blois Les Circonstances, Rébus dans l’espace © Gérard Collin-Thiébaut

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42 au programme cinéma

Rêves de jeunesse

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es jeunes qui dansent, leur portable à la main, oubliant d’être ensemble et, le lendemain, dans l’appartement où cohabitent Salomé, sa sœur et des copains, les déchets de la fête. Et c’est dans une déchetterie, filmée comme un décor de western, où trônent trois bennes, une bleue, une rouge et une blanche, que Salomé, accompagnée de son lapin blanc, part travailler le temps d’un été dans le village de son adolescence. Cet espace au milieu de nulle part va être, pour cette jeune femme un peu perdue, un lieu de rencontres et de retrouvailles étranges, douloureuses parfois, pleines de rêves aussi. Tout comme Alice au pays des Merveilles, livre qu’elle trouve dans la baraque qu’avait aménagée Mathis, son ex petit ami et ex gardien de la déchetterie, Salomé semble être passée dans une autre dimension : elle accepte les rencontres improbables qui la transforment, la font s’interroger, se souvenir et rêver. Il y a d’abord Jess qui participe à une émission de télé réalité « I will survive ». Premier de cordée, il « pète les plombs », craignant de se faire exclure du jeu. Arrive aussi Clément (Yoann Zimmer), le frère de Mathis qui lui apprend sa mort : il a été tué à l’issue d’un affrontement avec la police dans une ZAD. Il y a aussi un cycliste dépressif (Jacques Bonnaffé), ouvrier injustement licencié ; il a écrit une lettre d’adieu à la vie mais rate son suicide. Mathis, le mort, est présent par les objets qu’il a recueillis, par ses sculptures faites de récupération, par sa voix qu’il a enregistrée sur un magnéto Fisher Price et par sa chienne,

Film de la semaine

Inuk. Clément fera visiter à Salomé la cabane au milieu des bois que Mathis avait commencé d’aménager, un espace où vivre en communauté, sans stress, un endroit où on puisse penser la résistance à l’ordre mondial. Dans cette fable poétique et politique, Alain Raoust pose la question de la résistance et de la résilience. Un pays qui flingue sa jeunesse est un pays mourant, dit un des personnages. Salomé Richard campe avec beaucoup de justesse son personnage de jeune femme introvertie. Quant à Estelle Mayer, elle montre, avec beaucoup d’énergie, l’évolution de Jess qui passe du langage

Daniel Darc, pieces of my life Thierry Villeneuve et Marc Dufaud consacrent un très beau documentaire à Daniel Darc

C’

est lors d’un concert donné au Gibus en 1991 que le réalisateur et écrivain Marc Dufaud a succombé au charme du chanteur. Caméra à la main, le réalisateur l’a accompagné Pieces of my life © UFO Distribution

Film de la semaine

durant plus de vingt ans. Des débuts du jeune Daniel Darc au sein du groupe Taxi Girl au grand succès critique et public de son album Crèvecoeur en 2004, les images d’archive défilent : quatre ans se sont avérés nécessaires pour procéder à leur montage. Daniel Darc, Pieces of my life dresse un portrait éclaté de l’artiste en évoquant tour à tour son apparition sur la scène rock des années 80, sa disparition et enfin son grand retour au début des années 2000. Sans pour autant procéder de façon strictement thématique ou chronologique, le montage des images d’archive et des entretiens se glisse avec pudeur dans l’intimité du chanteur. Les témoignages de Frédéric Lo, producteur de l’album Crèvecoeur et de George Betzounis, son guitariste, étoffent ce récit conçu comme un puzzle à rebours.


Reves de jeunesse © Shellac

le plus vulgaire à une langue quasi poétique. Rêves de jeunesse, un film qui donne envie de croire qu’il y a autre chose après la fin d’une utopie. ANNIE GAVA

Le film, sorti le 31 juillet (1h32), a été soutenu par la Région Sud, et présenté en avant-première au FID Marseille en présence du réalisateur Alain Raoust et de Salomé Richard et Yoann Zimmer.

Design Parade 4e festival international d’architecture d’intérieur

Marc Dufaud marche ainsi sur les traces de Daniel Darc, se rend sur les lieux fréquentés par le disparu avant de le faire ressurgir le temps de quelques séquences. Daniel Darc se laisse filmer entre les murs de sa chambre ou déambulant dans les rues parisiennes. Il y fait part de sa solitude, commente son parcours parsemé d’échecs personnels et sentimentaux, éprouvé par l’omniprésence de la drogue. Mais son amour constant pour la musique, la poésie et la littérature, notamment celle héritée de la Beat Generation, font aussi l’objet d’échanges plus solaires. Porté par cette empathie évidente avec le chanteur, vis-à-vis duquel les réalisateurs trouvent une juste distance, Daniel Darc, Pieces of my life s’avère d’autant plus émouvant. CHEYENNE TYRAKOWSKI

Toulon

27.06 → 24.11

Ancien Évêché 69 cours Lafayette

Nouvelles Vagues Collections Design du Centre Pompidou scénographie d’India Mahdavi

Daniel Darc, pieces of my life, de Marc Dufaud et Thierry Villeneuve sortira le 24 juillet (1h45)

festival du 27 au 30 juin 2019

27.06→24.11 2019

Cercle naval 29 avenue Jean Moulin Toulon villanoailles-hyeres.com


44 littérature

Un naïf aux Comores

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e troisième roman d’Ali Zamir commence dans un cri. Cri de souffrance et de révolte. Cri d’un jeune homme « ligoté comme une chèvre » dans un conteneur et couvert de sang. Comment en est-il arrivé là ? C’est le sujet du roman qui mélange avec brio le tragique, le social et l’humour. Et surtout écrit dans une langue étonnante faite d’ancien français, de mots savants inusités, d’images croustillantes…. Bref une langue réinventée à la sauce comorienne. Car Ali Zamir est né dans l’île d’Anjouan, puis a étudié au Caire, pour finalement se retrouver à Montpellier. Ce très jeune homme a donc déjà un riche parcours, mais il a ses Comores chevillées

Livre de la semaine

au cœur. Ainsi fait-il d’un jeune docker son héros, traînant son chariot, son gagnepain, sur les quais du port international de Mutsamudu. Il vit seul, dans une cabane de feuilles tressées et, outre son chariot, ne possède que sept chemises, sept pantalons et sept culottes, avec le nom du jour de la semaine inscrit dessus. Ce qui permet aux gens qu’il croise de savoir quel jour on est et les engage à le penser un peu « dérangé » : c’est le nom qu’ils lui ont donné. Dérangé, donc, tout pauvre qu’il est, a une morale et du respect pour les autres. Cela ne va pas lui réussir. Une femme mariée conseille à son époux de le prendre comme transporteur. Le mari, pressé, lui

demande d’engager trois autres dockers. Ce sont les Pipipi, ainsi nommés car leurs prénoms commencent tous par la syllabe « Pi ». Le travail est vite fait, très bien fait. Mais démarrent alors les ennuis de notre Dérangé : la femme le serre de près, se montre entreprenante et malgré ses efforts son « pauvre serpent » s’agite dans son pantalon, tel une « bête indomptable » ! Il en est tout confus. S’enchaînent alors une série d’aventures rocambolesques : courses de chariots dans la ville, voisin jaloux, nouvelles approches de la dame, fuite désespérée du pauvre innocent qui ne veut pas mettre son « insolent doigt sur un plat cuisiné pour un autre. ». L’aventure serait cocasse si elle ne se terminait pas en tragédie. CHRIS BOURGUE

Dérangé que je suis Ali Zamir Le Tripode, 17 € Prix France Télévision 2019

Terres de polars

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ntre la Corse, Marseille et Paris, s’orchestre le premier roman d’Isabelle Chaumard, Belles sanguinaires. En une écriture déliée, l’auteure mène une double intrigue, dans laquelle évoluent deux personnages-clé, Isaià, journaliste, et Jane, peintre. Les premiers chapitres brossent leur quotidien, nous apprennent à les connaître avant leur rencontre et livrent des descriptions aux couleurs sans doute un peu trop attendues des lieux qu’elles arpentent. (Difficile d’échapper aux poncifs pour évoquer Marseille ou la Corse : « marché atypique » de Noailles, « le poumon de Marseille » où « on aime ou on rejette tout en bloc », et « canistrelli » au « marché central » non loin du « parking du Diamant » d’Ajaccio…). Au départ, il y a des lettres anonymes reçues au siège de Corsica-Hebdo, une explosion qui tue Paul, ami d’Isaià et rédacteur en chef du journal, -attentat que l’on s’empresse d’attribuer à une faction indépendantiste-, et

Livre de la semaine

se multiplient courses-poursuites, enlèvements, et qu’une panne géante du web pousse à faire croire à l’existence d’un complot informatique destiné à renvoyer le monde à l’ère des dinosaures. Le tout est vivement mené, riche en rebondissements. Une idylle se dessine, tandis que l’histoire de l’art prend forme de manière encyclopédique, et que celle de la Corse est évoquée avec justesse et intelligemment mise en perspective (chose rare !), depuis Gênes, Pascal Paoli, le massacre de Ponte Novu en 1769 et la politique encore souvent coloniale de la France… Isabelle Chaumard signe ici une belle entrée dans l’univers romanesque avec une plume alerte et souvent poétique. une histoire de faux tableau signé Delacroix exposé dans la cathédrale d’Ajaccio… Est-ce pour égarer la jeune enquêtrice ? Dans quel but ? Elle suit la piste à Marseille, où éclot le personnage lumineux de Jane. Se glissent Mateo, un petit génie de l’informatique, des hommes cagoulés, alors que

MARYVONNE COLOMBANI

Belles sanguinaires Isabelle Chaumard éditions Le mot et le reste, 17 €


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De la Barbade à la liberté

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e dernier roman d’Esi Edugyan, Washington Black, s’inscrit dans l’histoire du XIXe siècle, et suit le parcours de Washington Black, un jeune garçon de onze ans au début du récit, esclave dans une plantation de cannes à sucre à la Barbade. Il doit son nom à la fantaisie du « maître », et vit protégé et élevé par Big Kit, une esclave qui domine tous les autres tant par sa taille que par le fait qu’elle est une « Saltwater, une sorcière dans l’ancien Dahomey ». Elle sait déjà que l’enfant aura une destinée hors normes, « tu auras (…) une vie de nombreuses rivières ». Et en effet, Washington Black va être « prêté » par le maître à son frère, savant fantasque, surnommé Titch, pour l’aider dans ses recherches et le

décollage depuis le mont Corvus Peak du « Fendeur-de-nuages », un ballon dirigeable. Le talent inné pour le dessin de l’enfant, son apprentissage rapide de la lecture, sa curiosité, son intelligence, lui octroient une place à part auprès de Titch. Mais il est accusé du meurtre d’un blanc qui s’est suicidé sous ses yeux. Titch s’enfuit avec lui, cherchant à éviter d’assumer des fonctions qui lui déplaisent, pour retrouver son père dans le Grand nord… Aventures rocambolesques, des glaces de l’Arctique à la Nouvelle Ecosse, l’Angleterre puis la Hollande et enfin le Maroc, avancées de la science, travail des biologistes, création des premiers zoos, réflexions sociologiques,

Vive le français libre !

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u secours ! La langue française est en danger, elle se dégrade, quasiment plus personne ne la parle ni ne l’écrit correctement… Le débat n’est pas nouveau : au XVIe siècle déjà, certains sonnaient l’hallali de la langue. Or ce vieux combat pour la défense du français semble aujourd’hui reprendre du poil de la bête. Alors, pour river leur clou aux « puristes grincheux », à tous ceux qui veulent se distinguer de la plèbe qui ne maîtrise pas le « bon français », deux linguistes ont concocté un réjouissant Le français est à nous !, judicieusement sous-titré Petit manuel d’émancipation linguistique. Car c’est à cela qu’incitent Maria Candea et Laélia Véron : à se libérer des idées reçues sur la langue, à l’interroger sans cesse pour mieux connaître son histoire et la manier plus librement, à la considérer comme une pratique sociale dont nous sommes tous acteurs, n’en déplaise à l’Académie française et aux autres autorités en la matière. Cette invitation à la langue est d’une

Livre de la semaine tout est mené avec brio en une trame serrée, palpitante. Washington Black grandit, rencontre des êtres qui le soutiendront, d’autres qui le traquent dans un monde où il semble ne jamais devoir trouver sa place. On le voit en butte avec des personnes qui lui affirment : « Est-il naturel de séparer des êtres inférieurs de leur véritable et juste destin ? ». Ses qualités en font même pour certains un objet de curiosité, si bien qu’« il était peut-être impossible pour lui de croire profondément à l’égalité » et à sa propre valeur. La conquête de la liberté ne consiste pas uniquement à s’installer dans une terre qui nie l’esclavage, mais aussi à s’affranchir soi-même de la gangue de préjugés et de barrières qui lui a été si profondément inculquée. Un roman profond et passionnant ! MARYVONNE COLOMBANI

Washington Black Esi Edugyan, traduction de l’anglais (Canada) par Michelle Herpe-Voslonsky, éditions Liana Levi, 22 €

Livre de la semaine

lecture agréable, le ton en est toujours alerte, le propos convaincant et engagé. Très pédagogique, ce « petit manuel » s’organise en onze chapitres, tous structurés de la même manière : un encart initial divisé en « On pense souvent, à tort, que : », et « Mais souvent on ne sait pas que : » (façon futée de mettre en évidence les idées fausses et de rappeler quelques vérités linguistiques), un texte rythmé par des intertitres interrogatifs (qui donnent envie de connaître la réponse), un « focus » sur tel ou tel point particulier (qui en apprend beaucoup et ne mâche pas ses mots !), et, à la fin, quelques références bibliographiques « pour aller plus loin ». Très bien fait, clair, érudit et sans

prétention, cet ouvrage montre avec brio combien les débats autour de la langue, des accents, des sacro-saintes règles d’orthographe et de grammaire révèlent les choix et les clivages politiques. Et combien il est nécessaire d’en être conscient, à « l’aube des humanités numériques », afin de vraiment « se saisir de la langue française ». Pour la faire vivre ; et avec elle, la culture, l’école… FRED ROBERT

Laélia Véron est venue présenter l’ouvrage en juin à la librairie L’Hydre aux mille têtes, Marseille Le français est à nous ! Maria Candea & Laélia Véron Editions de La Découverte, 18 €


Les films à ne pas louper Le maître d’armes de Ronny Yu lundi 5 août à 20h50 Open Range de Kevin Costner lundi 5 août à 21h

petit

écran

Coming Home de Zhang Yimou mercredi 7 août à 20h55 Insiang de Lino Brocka mercredi 7 août à 23h35 Salt and Fire de Werner Herzog vendredi 9 août à 00h10 Good Bye Lenin ! de Wolfang Becker dimanche 11 août à 20h55 Soupçons d’Alfred Hitchcock lundi 12 août à 20h50 Mr Long de Rohena Gera lundi 12 août à 22h30

Gene Kelly, vivre et danser samedi 3 août à 23h45 Pour un peu de légèreté au cœur de la trêve estivale, entrons dans la danse avec Gene Kelly. Le réalisateur Bertrand Tessier brosse le portrait de cet artiste multi facettes - acteur, danseur, chanteur, chorégraphe, réalisateur – qui a révolutionné le genre de la comédie musicale hollywoodienne, imposant son style nonchalant et une pratique singulière de la danse, dans des films devenus cultes tels que Chantons sous la pluie ou Un américain à Paris. Le documentaire propose des archives inédites, et recueille le témoigne de ses enfants, Kerry et Timothy.

Au-delà des montagnes de Jia Zhangke mercredi 14 août à 20h55

Zones bleues, les secrets de la longévité : Sardaigne dimanche 4 août à 16h30 Tout au long du mois d’août, les réalisateurs Fitzgérald Jégo et Anna KwakSialelli font le tour de ces mystérieuses « zones bleues », dans lesquelles l’espérance de vie serait plus longue qu’ailleurs. Aux côtés d’Angèle Ferreux-Maeght, cheffe de cuisine et naturopathe, et Vincent Valinducq, médecin généraliste, l’enquête est menée dans plusieurs secteurs de la planète. Aujourd’hui, gros plan sur Barbagia : dans cette région montagneuse au cœur de la Sardaigne, près d’un habitant sur cinq a plus de 90 ans. Le petit village de Seulo compte à lui seul trois centenaires pour 970 habitants ! En voix off, le documentaire est commenté par la voix de la chanteuse Juliette Armanet. Suite

mercredi 7 à 23h50 avec un focus sur le Costa Rica, puis le vendredi 9 août à 16h45 sur la Grèce.

Voltaire, le patriarche de Ferney dimanche 4 août à 22h40 Ce nouveau volet de la série documentaire Une maison, un artiste retrace l’attachement de Voltaire à son domaine de Ferney, acquis en 1759. Alors âgé de 65 ans, l’auteur est interdit de séjour à Paris et à la Cour de Versailles à cause de l’acidité de ses écrits. Le site idyllique de Ferney, au pied du Mont Blanc, lui permet d’aller faire éditer ses ouvrages en Suisse voisine. Cette liberté retrouvée dopera sa créativité : c’est là qu’il écrira ses

pamphlets les plus brûlants contre le fanatisme et l’intolérance religieuse. La réalisatrice Dorothée Poivre d’Arvor tend le micro aux expertises de Laurence Macé, maître de conférences en littérature française du XVIIIe ; François Jacob, auteur ; Clément Oubrerie, auteur-dessinateur de BD ; Clément Hervieu-Léger, metteur en scène ; Alain Sandrier, spécialiste de la littérature du XVIIIe.

La route des grandes Alpes dimanche 4 août à 0h00 La route des grandes Alpes totalise à elle seule 17 000 mètres de dénivelés positifs, 16 cols et près de 700 kilomètres de lacets. À bord de sa 2CV, le réalisateur Pierre Belet entreprend le périple de Thonon-les-Bains à Nice, afin de renouer avec


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l’esprit du Touring Club de France, qui créait cette route il y a cent ans pour développer le tourisme automobile à peine naissant. Du lac Léman à la Méditerranée, c’est aussi l’histoire d’une montagne contemporaine qui nous est contée, entre vacanciers fuyant le littoral, valeurs du terroir, randonneurs, alpinistes, bergers, spectateurs du Tour de France ou encore gardiens de refuge.

Rivières, lacs, ruisseaux : peut-on encore s’y baigner ? mardi 6 août à 11h45 Présentée par Maya Lauqué et Thomas Isle, La quotidienne délivre chaque jour conseils et bonnes pratiques autour de la consommation solidaire, bénéficiant de l’expertise de chroniqueurs multiples qui apportent des réponses concrètes aux questions des téléspectateurs. Aujourd’hui, l’émission s’attelle à un sujet bouillonnant en ces temps estivaux caniculaires, pour faire le point sur l’état de nos eaux françaises.

Planète animale mardi 6 août à 21h05 Avec cette nouvelle collaboration entreprise avec la BBC, France 2 entérine sa volonté de proposer des documentaires d’envergure en première partie de soirée. Planète animale est une version condensée de la fameuse série britannique Planet Earth II, initialement composée de 6 épisodes. Dix ans après le premier volet Planet Earth, ce documentaire animalier bénéficie des dernières avancées technologiques en matière de prises de vue pour des observations plus précises, laissant place à une véritable immersion dans des paysages et habitats spectaculaires, au plus près des animaux qui les peuplent.

Les démons de Ludivine mardi 6 août à 23h35 Arte poursuit son Été des grands documentaires de société avec ce nouvel uppercut. Il s’agit cette fois de suivre l’étonnante épreuve initiatique à laquelle est confrontée la jeune Ludivine : pour venir à bout des violences et fugues multiples de l’adolescente de 15 ans, la juge des mineurs lui a proposé d’entreprendre une randonnée de 1 700 kilomètres, ultime alternative au placement en foyer ou en famille d’accueil. De plaines en montagnes enneigées, la réalisatrice Axelle Vinassac suit ce parcours effectué à pieds sur le territoire espagnol, secondé par une accompagnatrice. Ni musique ni téléphone durant l’ascension : rendue face à elle-même, la jeune Ludivine tient un journal de bord, qui constitue la bande-son du documentaire, introspective autant qu’émancipatrice.

Le stylo, notre liberté mardi 6 août à 01h40 Hélène Maucourant s’attache à un sujet inédit : le rapport que nous nouons à notre stylo, qu’il soit à bille, à plume ou à feutre. La réalisatrice va à la rencontre d’auteurs - Amélie Nothomb, Daniel Pennac ou encore Jean-Christophe Ruffin -, qui nous confient leur relation intime avec cet objet de leur quotidien. Le documentaire revient aussi sur de savoureuses anecdotes liées au monde du pouvoir : stylos présidentiels chapardés par des chefs d’état, ou encore distribués par tradition le jour de signatures de lois d’envergure… Sans oublier la portée symbolique revêtue par l’objet après l’attentat contre Charlie Hebdo. Un sujet salutaire en ces temps d’épidémie numérique. JULIE BORDENAVE

Et aussi… Matera, capitale européenne de la culture samedi 3 août à 19h15 Mstislav Rostropovitch, l’archet indomptable samedi 3 août à 22h20 Ces idées qui gouvernent le monde : qui est peuple ? dimanche 4 août à 22h55 L’argent autrement dimanche 4 août à 0h55 Vietnam mardi 6 août à 20h50 Yémen, les enfants de la guerre mardi 6 août à 23h30 Nuit du court-métrage 2019 mercredi 7 août à 1h10 Villages fleuris, un trophée qui vaut de l’or jeudi 8 août à 2h00 L’odyssée interstellaire samedi 10 août à 20h50 Being David Hasselhoff dimanche 11 août à 22h50 Une vie de château mardi 13 août à 23h35 La Corée du Nord et l’art mercredi 14 août à 22h55 La bière se fait mousser jeudi 15 août à 15h45 Sondages, influences et pouvoirs jeudi 15 août à 20h50 Woodstock, Three Days of Peace and Music vendredi 16 août à 22h50



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