Zibeline l'Hebdo Cult' #17

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CULTURE LOISIRS TÉLÉ ciné

11.01 > 18.01.2019

ZIBELINE

L’hebdo Cult’ n° 17

2€50

La Criée transgenre :

entretien avec Olivier Py

Que vivent les Librairies !

L 18754 - 17 - F: 2,50 €

Biennale du cirque


sommaire 17

Politique Culturelle (P.4-9)

Que vivent les librairies ! Provence, Le Cercle des Arts, le Blason,à Aix ; Maupetit, à Marseille ; La Cavale à Montpellier

Cité Queer (P.12-14)

société (P.10-11) Entretien avec Fanny Loste, enseignante à La Madrague (Marseille) Atelier « Education à la presse » avec des élèves du collège Monticelli (Marseille)

Invasion transgenre à la Criée, entretien avec Olivier Py

événements (P15-19) Temps fort Trajectoires à Carros Nuit de la lecture 30 ans de la Fems au Mucem La Biennale du cirque

Le pas grand chose de Johann Le Guillerm, à Carros © Elizabeth Carecchio

CRITIQUES (P.20-27)

La Criée, le théâtre Joliette, le Merlan, la Friche, le Gymnase, le Mucem, l’Opéra de Marseille, le Silo, le Bois de l’Aune, le 3bisf, l’Opéra de Toulon

au programme de la semaine Spectacle vivant (P.28-31) Musiques (P.32-33)

D'après une histoire vraie © Marc Domage

Arts Visuels (P.34-35)

ARTS VISUELS (P. 36-37) Traverser la lumière au Musée Granet à Aix ; 30 ans et après… à l’Hôtel départemental des arts de Toulon

CONSEILS TÉLÉVISION (P.38-39) CINÉMA (P.40-41) Films de la semaine : An Elephant sitting still ; Les Invisibles

PHILOLITTÉ (P.41-47) Livres de la semaine : Zoé, Ces jours qui disparaissent ; Madgermanes ; Alto Braco ; L’éducation occidentale ; Roman d’un saltimbanque ; Leurs enfants après eux ; Quadratura Philo Kakou Feuilleton littéraire d’Eduardo Berti, huitième épisode

Exposition Traverser la lumière au musée Granet, Avignon Jean Le Moal, Garrigue, 1959, huile sur toile, 81 x 100 cm © Jean Le Moal (1909-2007), Collection particulière © ADAGP, Paris 2018


edito

Devoir de résistance

J

ean-Michel Blanquer veut mettre au pas les personnels de l’Éducation Nationale. D’abord en rappelant à l’ordre une enseignante qui a écrit une très belle tribune, diffusée sur les réseaux sociaux, contre Emmanuel Macron. Puis en introduisant un article de loi appelant « les personnels de la communauté éducative » à « l’exemplarité » qui doit « contribuer à l’établissement du lien de confiance » des élèves et de leur famille au « service public de l’éducation ». Qu’est-ce à dire ? Doivent-ils taire leur opinion au-delà du cercle professionnel, jusque dans leurs prises de parole publiques ? Les enseignants sont-ils interdits de militance politique et syndicale, d’esprit critique ? Doivent-ils adopter inconditionnellement, alors qu’ils se battent contre la réforme des collèges, des lycées et de Parcoursup, « l’esprit de confiance envers l’État » ? Le propre des démocraties n’est-il pas d’accepter la vigilance de ceux qui ont élu des représentants pour les gouverner, et non des despotes pour les museler, et les matraquer ? Car il est aujourd’hui question de la violence d’État. Celle des gilets jaunes est hautement réprimandée, pointée comme insupportable car elle s’en prend aux biens privés et publics. Elle déborde, s’exaspère, s’instrumentalise. Mais quel mouvement social est aujourd’hui entendu sans débordement ? Si les ZIBELINE L'HEBDO CULT' CULTURE

LOISIRS

TÉLÉ

CINÉ

Hebdomadaire paraissant le vendredi Édité à 20 000 exemplaires par Zibeline

Rédaction : journal.zibeline@gmail.com

Imprimé par Rotimpress Imprim’vert - papier recyclé

AGNÈS FRESCHEL

Maquette : © Alouette sans tête Photo de couverture : Miss Knife, Directrice de publication Agnès Freschel

BP 90007 13201 Marseille Cedex 1 Dépôt légal : janvier 2008 ISSN 2491-0732

gouvernements successifs n’avaient pas jeté aux orties l’avis éclairé du peuple sur les retraites, sur la Constitution Européenne, sur les acquis sociaux, sur l’augmentation de la TVA et de la CSG et la suppression de l’ISF, sur l’appauvrissement généralisé au profit de quelques-uns, sans aucun doute les gilets jaunes ne bloqueraient-ils pas un système économique qui les opprime. C’est la violence de l’État envers les citoyens que nous avons le devoir de combattre. Violence économique, violence de la censure des personnels enseignants, violence du déni de pauvreté, violence des mesures imposées, violence du mensonge électoral qui promettait une politique de rassemblement, et impose une gouvernance et des mesures économiques de droite. Violence illégale de Benalla couverte par l'Élysée, violence légale des forces de l’ordre qui a fait un mort à Marseille, casse des mâchoires, impose des peines de prison ferme pour un délit de rassemblement. Violence qui, à cause de la réforme de la justice passée en catimini en décembre, va encore s’aggraver : le citoyen s’y voit privé de la possibilité de faire appel gratuitement à la justice de proximité, qui règle les petits délits humainement, devant un juge. Établissement du lien de confiance, disent-ils ?

Commerciale Rachel Lebihan rachel.zibeline@gmail.com

Olivier Py © Eric Deniset

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politique culturelle

Que vivent les librairies ! La librairie française résiste bien, dans un contexte de baisse progressive de l’achat de livres. Enquête sur un commerce particulier

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a librairie est un commerce, mais elle bénéficie en France de mesures d’accompagnement : un taux de TVA réduit, un prix unique qui interdit aux grandes surfaces de vendre moins cher que les librairies de détail, des subventions pour certaines activités culturelles, une prise en charge dans certaines communes d’une partie des frais locatifs... Des mesures publiques qui permettent aujourd’hui une exception à la française, alors que dans la plupart des pays les librairies indépendantes n’existent plus. Un constat positif qui n’obère pas des difficultés : si les Français lisent plus de livres qu’il y a dix ou vingt ans (89% des Français de plus de 15 ans ont lu au moins un livre en 2017), la part de l’emprunt en bibliothèque augmente notablement (+ 25% en 19 ans) alors que les ventes s’érodent légèrement depuis 20 ans (420 millions d’exemplaires neufs vendus chaque année).

Titres vendus en 2016 Auteur

Editeur

Nombre

Genre

Harry Potter et l’enfant maudit

Titre

Jack Thorne

Gallimard Jeunesse

851 800

Théâtre

L’instant présent

Guillaume Musso

Pocket

632 800

Roman

XO

545 200

Roman

La fille de Brooklyn Guillaume Musso Elle & lui

Marc Levy

Pocket

440 200

Roman

La fille du train

Paula Hawkins

Pocket

405 400

Roman

L’amie prodigieuse 1

Elena Ferrante

Folio

382 700

Roman

Le charme discret de l’intestin

Giulia Enders

Actes Sud

377 600

Essai

D’après la synthèse biennale de l’Observatoire de l’économie du livre, ministère de la Culture, Mars 2017 Il est donc essentiel de soutenir la librairie, un métier exercé par des professionnels formés, au conseil précieux, dont l’activité culturelle permet aux auteurs de rencontrer les lecteurs, et à la littérature d’exister. Car la librairie est

aujourd’hui l’activité commerciale la moins rentable : avec seulement 0,5% de bénéfice net, les librairies sont les commerces qui ouvrent et ferment le plus rapidement... AGNÈS FRESCHEL

Que lisons-nous ?

Si le roman se vend relativement bien (25% des ventes), la poésie et le théâtre représentent moins de 0,3% des ventes, à elles deux... et 19% des achats s’effectuent sur Internet. Certains livres scientifiques, les encyclopédies et dictionnaires, ont pratiquement disparu, concurrencés par les publications numériques. Le nombre de titres vendus diminue : 20% des ventes se concentrent sur les 1000 titres vendus en grande surface, alors que 725 000 titres sont vendus au moins une fois dans l’année dans l’ensemble du réseau. Et la qualité littéraire des meilleures ventes est discutable...

Aix aime moins les livres ? Réputée pour ses librairies indépendantes et son amour de la littérature, Aix-en-Provence accuse le coût de sa transformation urbaine

I

nstallée depuis 1936 sur le Cours Mirabeau, la Librairie de Provence fait partie du patrimoine aixois : sa fermeture définitive est annoncée pour mars prochain. Son directeur, Christophe Lépine, affirme que les tentatives de médiation, auprès des députés, de la mairie, n’ont rien donné de concret pour le moment. Une pétition en ligne a recueilli plus de dix mille signatures à ce jour et souligne l’augmentation prohibitive des loyers en centre-ville.

La déléguée du personnel de la librairie est plus précise. « On a su fin novembre que la librairie allait fermer. Précédemment il y a eu des études pour réduire la surface de vente, mais comme cette réduction engendrait une baisse du chiffre d’affaires, on n’arrivait pas à récupérer : les loyers, surtout à l’avant du magasin, sont très élevés, de l’ordre de 1500€ le m2 par an ! Même en se séparant d’une partie on ne diminuait pas la proportion des charges locatives qui représentent 11% du chiffre


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d’affaires. Au départ, les loyers étaient bas -il y a cinq propriétaires- mais certains héritiers les ont fait augmenter, on a perdu un premier procès et cela a fait boule de neige. Je crois qu’en dix ans les éditions Eyrolles, qui possèdent la librairie, ont réinjecté cinq millions d’euros pour compenser la hausse des prix. » En cause également, une diminution du chiffre d’affaires : la FNAC et le réaménagement du quartier Sextius ont dévié la clientèle vers les nouveaux magasins, et le centre-ville est moins praticable : « Depuis le Bataclan fin 2015, le cours Mirabeau est fermé par des blocs de béton pour empêcher la circulation. Les gens commandent de chez eux, la fréquentation a baissé et les loyers ont augmenté sans régulation. Actuellement nous sommes vingt et un employés en CDI et trois en CDD. Nous sommes complètement indépendants. Certains soutiens nous font chaud au cœur mais l’évocation d’une fermeture est comme un deuil quotidien. Il faudrait que l’on puisse avoir des locaux avec des loyers symboliques, et seule une réelle volonté politique peut le permettre. Que veut-on faire du cours Mirabeau dans cette ville de culture ? »

Spécialisation Le Cercle des Arts a dû fermer ses portes au bout de quatre années passionnantes, au cours desquelles la petite librairie indépendante spécialisée dans les ouvrages d’art a organisé expositions thématiques, rencontres, signatures, conférences, performances… « Si nous n’avions pas été propriétaires des murs, nous n’aurions jamais peu nous lancer dans l’aventure, confie Jesshuan Diné qui a fondé ce lieu atypique et convivial avec sa compagne. Et pourtant nous étions quasi bénévoles ! » Certes, il y a eu les travaux d’Aix, mais aussi l’achat des livres sur Internet. « L’enjeu est d’amener les gens à la librairie, qu’ils prennent ce temps-là… Pour rivaliser avec les gros commerces de type supermarché qui proposent les mêmes titres, il faut associer le livre à d’autres activités. D’où le genre du « café-évènementiel », dans lequel se crée un espace de convivialité. Mais il nous a fallu renoncer, nous espérons pour un temps seulement, à ce lieu de partage : nous ont manqué le temps (nous avons chacun un autre

Librairie de Provence © M.C.

métier), ainsi que le retour sur investissement financier, et la reconnaissance des institutions. La décision d’arrêter a été très difficile à prendre, mais était inévitable dans le contexte actuel. »

Diversification La librairie Le Blason, nichée au 2 rue Jacques de la Roque, tient bon, et s’en sort plutôt bien au vu du contexte général des librairies aixoises. « Ce qui la sauve, c’est d’être spécialisée, sur Aix et la Provence, sourit la fée des lieux, Rita Fidone. La clientèle sait pourquoi elle vient : beaux livres, langue provençale, cuisine, rando, mais aussi de la littérature. En un petit espace, on trouve une grande variété, un choix très éclectique, du plus léger au plus pointu, et le public est éclectique également, touriste qui rentre pour une carte postale et s’étonne de découvrir une telle richesse livresque,

nouveaux aixois qui souhaitent s’approprier l’histoire d’Aix, enfants qui offrent des souvenirs à leurs parents… Vite on se rend compte que la librairie ne véhicule pas que des clichés, permet d’approfondir analyses et connaissances et offre, au gré des rencontres avec les auteurs (au rythme d’une chaque samedi), un panel généraliste. Mais surtout, les clients sont les piliers du lieu, on s’y sent comme à la maison. Une complicité s’installe, spontanée », sans doute grâce à la qualité lumineuse de l’accueil, de l’écoute intelligente des uns et des autres, qui fait de cette librairie un espace de rencontre, de vie. « Quand on va au Blason, il faut s’habiller » déclare un client, tandis qu’un autre affirme : « On vient pour les conseils, il y a aussi un côté militant de l’achat qui soutient la librairie ». C’est le matin, les gens défilent, certains pour commander, d’autres pour découvrir des nouveautés, se renseigner, bavarder un moment… la librairie écrit sa propre histoire, emplie d’anecdotes et de chaleur humaine. MARYVONNE COLOMBANI

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politique culturelle

Maupetit a cent ans !

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Alors que le secteur est particulièrement en souffrance à Marseille, une librairie qui perdure et fête son centenaire sur La Canebière !

Librairie Maupetit © Agnès Mellon

Zibeline : Comment fête-t-on 100 ans de librairie ? Damien Bouticourt, directeur de Maupetit : Je voulais que l’on fasse un centenaire qui dure suffisamment longtemps dans l’année pour que cela marque un peu les esprits. Audelà des animations traditionnelles de la librairie, et ses rencontres, trois cycles rythmeront l’année. Avec un esprit de célébration, cette « nostalgie heureuse » du passé, assortie d’un hommage à tous ceux qui nous ont précédés : si l’enseigne a 100 ans la librairie existe en réalité depuis la fin du XIXe siècle. Mais cette célébration est aussi conçue comme une projection qui rêve la librairie de demain. Et comment la rêvez-vous ? Les trois thèmes -Créer, Partager, S’engager- qui parcourent 2019 sont en lien étroit avec notre métier, le monde des livres… Il s’agit de souligner la relation étroite entre libraires, auteurs, traducteurs et éditeurs : la « survie » de Maupetit tient à son rachat en 1998 par Actes Sud, et ce lien avec toute la chaîne du livre nous permet de mettre en question certains enjeux. Et de nous demander comment on peut encore être libraire aujourd’hui dans une grande ville comme Marseille. Il est important de nous interroger collectivement sur ce sujet. Un programme de réflexion donc ? Nous n’oublions pas les moments festifs ! Les animations et rencontres sont programmées avec des intervenants, Sophie Calle (artiste et auteure), Lucile Bordes (auteure), Karine Henry (auteure), Mademoiselle Caroline (auteure BD), Charlotte Gastaut (auteure-illustratrice), Myriam Anderson (éditrice), Wilma Levy (comédienne), Martin Page (auteur), Pascal Jourdana (La Marelle), Xavier Llamas (musicien)… En ouverture, l’auteure Valentine Goby nous fait l’honneur d’être la marraine de ce centenaire. Sa forte présence, son engagement, ses qualités humaines correspondent idéalement

à la thématisation de l’année. Le fait qu’elle soit une femme est essentiel aussi, la clientèle de la librairie est très féminine et pourtant c’est un monde dominé par le masculin ! Je me suis rendu compte que peu de photographes femmes étaient programmées l’an dernier... aussi cette année j’ai fait très attention et sur les sept périodes d’exposition de 2019 il y a six femmes. J’aime donner du sens aux choses, je ne ferais pas ce métier sans cela : pour que les gens aient envie de venir il faut poser la question du lendemain, réussir à se projeter, à cultiver cet enthousiasme, avec la même acuité particulière pour nos clients. Le métier de libraire demande à être toujours très attentif aux autres et à tout ce qu’il se passe autour de soi. Le libraire n’est-il pas un commerçant qui vend des livres ? On peut le définir ainsi, mais on peut vendre de multiples manières ! Une écoute bienveillante permet d’être au plus près de ce que l’autre souhaite lire. Ce n’est pas le libraire qui détermine ce que les gens vont lire. Leurs affinités, leurs goûts, façonnent la librairie. Le libraire est là pour orienter, conseiller, faire découvrir des choses nouvelles bien sûr : on peut parler de travail en commun ! Le libraire doit écouter l’autre et rester en prise avec le réel. On ne peut pas mentir sur le livre, il faut être sincère sur ses opinions. Quand on est libraire, on partage beaucoup de la vie des gens, le livre participe de l’intime. Notre engagement passe aussi par la création d’une bibliothèque dédiée aux enfants, grâce à l’association L’Abri maternel. L’idée de partager les livres avec les publics éloignés de la lecture participe de notre mission de transmission. PROPOS RECUEILLIS PAR MARYVONNE COLOMBANI


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De L’Ivraie à La Cavale À Montpellier, non loin de l’immense librairie Sauramps du centre-ville, une librairie coopérative propose un modèle différent

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uartier des Beaux-Arts à Montpellier. Son école du même nom ; son marché ; ses bistrots tous sympas ; ses commerces de bouche ; sa boutique de vape. Jusqu’en septembre dernier, il abritait aussi la micro librairie L’Ivraie, où de réguliers passants s’enivraient de mots. Pas assez, pourtant, pour que ce commerce tienne l’équilibre. Son propriétaire a dû fermer, laissant un trou dans le tissu du quartier. On n’est ici pas loin du centre-ville, des multiples offres culturelles livresques ; mais les habitants des Beaux-Arts ne sont pourtant pas résolus à la perte de ce lieu de vie, commerce de proximité. Leçon de prise en main citoyenne et solidaire, avec le livre comme ciment. Une association s’est constituée, vite devenue SCIC, avec pour projet de rouvrir une nouvelle librairie : les Coop’s de l’Ivraie, rassemblant d’abord les voisins, les clients de l’ancienne librairie. L’appel à souscription de parts sociales est lancé en juillet. En deux semaines,

Marion Floris, librairie La Cavale © A.Z.

la moitié de la somme est déjà assurée, pour un objectif de 30 000 parts (20€ minimum). Le nom du futur lieu est trouvé dans la foulée. Les Coop’s ont pensé à La Belle équipe, ou Les Bouquins d’abord. Ce sera finalement La Cavale, belle échappée puisque la librairie est située rue de la Cavalerie. En octobre, les travaux, menés par les membres de la SCIC, débutent dans un local acquis juste en face de L’Ivraie, avec une surface de vente triplée (90m2). 300 coopérateurs plus tard, (et 300 000€ récoltés en souscriptions, plus un peu de subventions de Centre national du Livre et des prêts bancaires), La Cavale ouvre ses portes le 23 novembre 2018, un mois avant Noël, timing parfait pour une inauguration au galop maîtrisé. Deux libraires professionnels sont recrutés (la nîmoise Marion Floris et le parisien Julien Haution), des comités sont montés, où les contributeurs peuvent s’inscrire selon leurs aptitudes, envies, besoins. Tout est collégial :

communication visuelle assurée par les designers, choix des animations, management, site Internet, stratégie de fidélisation, décoration du lieu... Le mélange entre « bonnes volontés », professionnalisme et engagement moral est bien dosé, laissant circuler les énergies. La clientèle est régénérée, multipliée. Au-delà des anciens de l’Ivraie, et même des membres des Coop’s, beaucoup sont déjà fidèles, pour bon nombre venus du milieu associatif montpelliérain. Des ponts entre les différentes actions coopératives se tissent et se nourrissent. Les adhérents à La Cagette (supermarché coopératif situé dans un autre quartier) ont été parmi les premiers sensibilisés au projet. L’aventure représente en effet une occasion supplémentaire de fédérer les initiatives investies dans l’invention d’un nouveau mode de consommation et de prise en main d’une économie à échelle locale et solidaire. Les habitants du quartier investissent le lieu joliment aménagé (fort de près de 10 000 références en rayons), qui propose chaque mercredi une lecture pour les enfants, un débat Sciences Humaines par mois, invite des auteurs, prévoit d’organiser des rencontres avec des éditeurs, et mettra, une fois par an, la littérature d’un pays à l’honneur. Tout comme dans une « vraie » librairie ? Plus encore, puisqu’au-delà des conseils avisés des libraires, on peut partager les coups de cœur des coopérateurs, qui participent aussi à la vente, à l’accueil, et bientôt pourront enrichir le site de La Cavale avec leurs comptes-rendus de lecture. ANNA ZISMAN


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politique culturelle

La voix du plus fort Attendue de pied ferme par un public nombreux, la première de La Traviata a fait grand bruit à l’Opéra de Marseille ! Pas forcément musical...

A

u bout d’une demi-heure de retard, le directeur de l’Opéra, Maurice Xiberras, fait son apparition sur scène et annonce une grève des techniciens. La metteure en scène Renée Auphan, ancienne directrice du lieu, se fraye timidement un chemin entre les rideaux, et n’a pas le temps de préciser que, malgré la grève, les artistes assureront la représentation, puisque les huées couvrent sa voix. Un membre de Force Ouvrière -qui ne se présente pas, et que nous ne sommes pas parvenus à identifier- vient expliquer calmement à un public peu compréhensif que, si les techniciens font grève, c’est parce que leurs heures supplémentaires ne leur sont pas payées depuis dix-sept mois. « Balivernes ! » rétorque Jean-Pierre Chanal, directeur général adjoint des services de la Ville, qui assure à l’auditoire qu’un accord a été signé et que les grévistes sont ici marginaux. Ses explications peu convaincantes sont ponctuées d’interjections du syndicaliste : il tire le rideau, crie « mensonges ! », hoche vigoureusement la tête. Le chef Nader Abbassi rejoint alors la fosse et fait démarrer sans attendre une ouverture remarquable d’équilibre. Le retour sur scène impromptu du gréviste ne perturbe en rien sa direction -malgré les nouvelles huées qui s’ensuivent. Le rideau se lève enfin sur un premier acte tout simplement ahurissant : on devine, entre les dorures des décors de Christine Marest et les costumes second empire des chœurs, les techniciens encore en tenue de travail, croisant les bras au fond de la scène. Les allers et venues tentent de les dissimuler, de même que les jeux de lumière de Roberto Venturi lorsque Nicole Car et Enea Scala se retrouvent seuls en scène pour leur tumultueux duo, en attendant

que la dizaine de techniciens accepte enfin de quitter le plateau.

Choc des classes L’image est forte, et ce 23 décembre marquera certainement les esprits : ce jour où la colère, le désespoir des employés municipaux ne s’est pas effacé

© Suzanne anessa C

devant le bon goût de mise dans un lieu de distinction sociale. Ce jour où l’apparat n’a pas su dissimuler l’obscénité d’un tel dispositif, qui en met plein les yeux et les oreilles à grands frais de costumes, de décors et de stars lyriques aux cachets dispendieux. Ce jour où la défense de l’art et des artistes occultait l’humain : le technicien, le salarié, les employés municipaux à qui l’on a même demandé ces derniers temps, faute de personnel, d’aller faire des permanences administratives pour les sans-logis des immeubles évacués. Un choc d’autant plus manifeste que La Traviata est aussi le récit ambigu d’un rejet social feutré, celui d’une femme

libre, dite courtisane, piétinée par la bourgeoisie au nom de la moralité et de la différence sociale. On aurait pu s’en souvenir comme la première, sur une scène européenne, de la géniale Nicole Car en Violetta : si son premier acte souffre de toute évidence des désagréments et de l’agilité presque colorature requise, elle s’avère bouleversante dès qu’elle s’aventure sur les épanchements lyriques des actes suivants. Enea Scala, sujet lui aussi à un stress palpable, devient le temps d’un très beau « De miei bollenti spiriti » un Alfredo mémorable. La vraie révélation de la soirée est sans doute Etienne Dupuis, rigide comme le rôle de Germont l’exige mais d’une suavité vocale prodigieuse. Les chœurs comme l’orchestre se sont également montrés irréprochables, comme souvent. Mais ce n’est sans doute pas ce que l’on retiendra. Non pas à cause de la présence de troublefêtes, mais bel à bien à cause de ceux qui leur ont claqué la porte au nez : ce n’est pas un hasard, dû à un particularisme local, si le personnel municipal des musées, des bibliothèques, et aujourd’hui de l’opéra se mettent régulièrement en grève pour dénoncer les dysfonctionnements, la faiblesse des investissements et l’arbitraire des RH dans les équipements culturels de la Ville de Marseille. SUZANNE CANESSA

La Traviata a été donnée du 23 décembre au 2 janvier à l’Opéra de Marseille


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Hommage

Rachid Oujdi, © X-D.R.

l’injuste clap de fin Le réalisateur aixois s’est éteint à 51 ans

S

a caméra ne nous interpellera plus. Ainsi l’a décidé un maudit infarctus, le 30 décembre dernier, à Saint-Malo où il passait les fêtes en famille. Après plusieurs années dans le tourisme, Rachid Oujdi débarque à la radio, à Radio France puis RMC. Dix années pendant lesquelles il explore différents créneaux, des chroniques cinéma à l’animation d’émissions quotidiennes. Polyvalent, il multiplie les expériences : animateur de projections-débats dans les cinémas d’Aix ou programmateur de festivals de films en Bretagne. Après quelques coups d’essai, Rachid se révèle dans le documentaire d’auteur, genre pour lequel il est plusieurs fois primé. La question migratoire dans sa diversité est au cœur de son travail. Après Les enfants de l’Ovale... Un essai qui transforme !, où il raconte comment l’arrivée du rugby redonne espoir et dignité à des habitants défavorisés au Maroc, il entre dans le vif du sujet. D’abord avec Perdus entre deux rives, les Chibanis oubliés, qui retrace les vies déchirées de ces immigrés algériens retraités, venus travailler en

France mais dont le retour au bled a fini par être plus compliqué que ce qu’ils avaient imaginé. Ensuite, avec J’ai marché jusqu’à vous, récits d’une jeunesse exilée, une plongée dans le quotidien chaotique des mineurs isolés étrangers qui débarquent à Marseille au terme d’un épuisant périple. Dans son dernier film, Moi, Magyd Cherfi - Portrait intimiste d’un chanteur devenu écrivain, Oujdi choisit de s’immiscer dans les pensées de l’ancien parolier de Zebda, groupe qui tient une place particulière dans sa discothèque. Loin d’un panégyrique, c’est un peu le portrait de toute une génération -la sienne- qui s’interroge sur son identité. Les projets ne manquaient pas ; un sur Rachid Taha, un autre sur SOS Méditerranée. Son regard subtil, son humilité, sa spontanéité et ses convictions humanistes vont manquer. Zibeline, qui suivait et appréciait son travail, adresse ses condoléances à ses proches et particulièrement à Sylvie, son épouse, à Amadou et Junior, leurs deux garçons. LUDOVIC TOMAS

#1 du 17 au 20 janvier 2019 Hautes-Alpes

Mandy Lerouge La Madrugada

La chanteuse Mandy Lerouge ouvre en quartet la saison 2019 d’une Madrugada inaugurale et lumineuse. Pour ses débuts, la jeune artiste à la présence magnétique et à la voix enivrante, originaire de Briançon, dévoile un répertoire qui résonne des rythmes et mélodies de la province de Misiones à celle de Santiago del Estero. Tarif unique 8 € gratuit pour les -12 ans 09 82 20 10 39 festivaldechaillol.com

Une création de Aymeric Duchemin > ADGRAPH.FR

Musiques actuelles de tradition argentine


10 société

Accueil en musique Dans le cadre de Tous en sons, premier festival de musique jeunesse créé à Aix et Marseille en mars, un travail en amont est mené avec deux écoles marseillaises. Entretien avec Fanny Loste, enseignante à la Madrague en classe de primo-arrivants Zibeline : Vous êtes une professeure des écoles un peu spéciale. Comment travaillez-vous ? Fanny Loste : J’ai commencé à enseigner de manière traditionnelle, mais depuis 6 ans j’ai intégré le dispositif UPE2A (Unité Pédagogique pour les Élèves Allophones Arrivants). J’évalue le niveau des enfants fraîchement scolarisés en France, puis je les positionne dans une classe « normale », avec un décalage par rapport à leur âge si nécessaire. Chaque jour, durant Fanny Loste © JC Husson une heure ou deux, ils sont avec moi pour un apprentissage spécifique entre les ministères de l’Éducation et de la langue française, de la lecture, de de la Culture, avec la Sacem. l’expression écrite. Oui, chaque année ou tous les deux ans, D’où viennent vos élèves ? j’essaie de mener un projet culturel d’en60% d’entre eux viennent d’Algérie. Beau- vergure, de ce type-là, qui donne vraicoup sont roumains, gitans, et cette anment du sens aux apprentisnée cinq d’entre eux sont syriens. sages. À plusieurs titres Les niveaux sont très disparates d’ailleurs : je ne suis pas et les parcours différents : ceux du tout musicienne, je qui ont connu la guerre ont été vais apprendre moi déscolarisés, mais les familles aussi plein de choses. qui parviennent jusqu’en France Ce qui me place dans une ne sont pas les moins éduquées, autre posture vis-à-vis des certains élèves au bout d’un enfants, et crée un lien paran sont les meilleurs de ticulier avec eux. Ça leur leur classe ! Ceux qui montre qu’on apprend arrivent du Maghreb toute sa vie, que ce lisent le français mais n’est pas grave s’ils manquent de vocane savent pas tout, bulaire. L’enseitout de suite. Quelles vont être gnement se fait en petits les étapes du groupes de 7 projet ? ou 8, de manière très J’ai d’abord rencontré le chanteur Pascal Parisot, personnalisée. Avec eux et dans le cadre personnage drôle et rock’n’roll à de Tous en sons, vous la fois, venu au jeune public sur le participez à un projet tard, mais qui fait preuve d’un réel musical, La Fabrique à intérêt. Il va créer son nouveau spectacle Mort de rire à l’occasion du festiChansons, résultant val. Lors d’un second rendez-vous, il a d’un partenariat Squelette © F. L

rencontré mes élèves et ceux d’une autre classe, de l’école Félix Pyat, qui participe également. Un concert rien que pour nous, c’était génial ! Il nous a présenté ses techniciens, fait visiter les loges de l’Espace Julien... En janvier et février, il sera présent pour quatre séances de création avec nous. Nous apprendrons à écrire une chanson, il composera, les enfants étant invités à proposer des airs. Enfin, clou du projet, durant Tous en sons, ils monteront sur scène pour chanter avec lui. Comment intégrez-vous cette proposition dans votre enseignement ? Nous avons déjà commencé à travailler, notamment sur le vocabulaire, dans l’esprit du spectacle, un univers circassien à la Tim Burton avec pour héros central Oscar, le squelette des leçons d’anatomie. Nous cherchons toutes les expressions françaises avec le mot « os », trempés jusqu’aux os, etc. Les enfants ont compris ce qu’est un couplet, un refrain, une rime. Je vais les emmener au Museum d’Histoire Naturelle pour y voir les squelettes. Et ils en ont dessiné de magnifiques ! Maintenant, tout l’enjeu est de convaincre les familles de laisser leurs enfants participer à la représentation, et de venir elles-mêmes. Je suis en négociations avec l’Espace Julien et le festival pour avoir le plus de place possible pour elles. PROPOS RECUEILLIS PAR GAËLLE CLOAREC

La 1ère édition du festival Tous en sons aura lieu du 22 au 31 mars 2019 à Aix-en-Provence et Marseille. Les enfants de la classe de Fanny Loste seront sur la scène de l’Espace Julien avec Pascal Parisot le 29 mars à 14h30


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Ateliers d’éducation à la Presse

es journalistes de Zibeline poursuivent leurs ateliers (voir Zibeline 14). Au collège Monticelli (Marseille), il a été question de l’exposition On danse ?, bientôt visible au Mucem. L’occasion de rencontrer une classe de quatrième qui a travaillé, avec son enseignante Maïa Pigeyre, sur l’écriture d’une annonce. Pour transmettre une information, il faut renseigner sur l’objet et les circonstances, mais aussi attirer l’attention... et laisser parler sa subjectivité ! Quelques extraits... Brainstorming des élèves avant la rédaction

Alors on danse ?

Une exposition plutôt… dansante !

lors on s’assoit ? on s’étire, on s’allonge, on s’adosse librement en regardant des films et des pièces sonores sur la danse ? Grâce à la scénographie de l’exposition On danse au Mucem, à partir du 23 janvier et jusqu’au 20 mai 2019, vous pourrez voir la danse comme vous n’avez pas l’habitude de la voir : la danse de tous qui traverse nos vies et la société.

Au Mucem dans le Bâtiment J4 niveau 2 aura lieu, du mercredi 23 janvier au lundi 20 mai, l’exposition intitulée On danse ?

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ous pourrez assister à une exposition sur supports audiovisuels (films, pièces sonores, extraits visuels…) afin de vous emmener dans un monde où vous pourrez vous détendre et où vous n’avez pas l’habitude de voir de la danse. Cela vous montrera à quel point elle est importante dans notre vie ou dans notre façon de penser, au point que vous serez peut-être pris de transes magnifiques ! Emilie Giraud et Amélie Couillaud seront les commissaires de l’exposition. SIDONIE

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La danse envahit le Mucem ! Venez découvrir l’exposition On danse ?

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u mercredi 23 janvier au lundi 20 mai, Émilie Girard et Amélie Couillaud vous invitent à danser devant leur nouvelle exposition sur la danse. Adaptée à tous les visiteurs ! Il ne faut pas être forcément Nijinski, Beyoncé, ni Fred Astaire, tout le monde danse ! L’exposition nous fait découvrir tout ce qu’il y a à connaître sur la danse grâce à des extraits vidéos, pièces sonores, extraits de textes... Elle affirme que tout le monde peut danser, que le monde est infini et sans limite ! Qui sait, la danse peut bien cacher des secrets... WASSIM

Les journalistes sont également intervenus dans une classe de SAS (primo-arrivants jamais scolarisés), au Collège Monticelli. Les élèves, plus âgés, ont avec difficulté -ils maîtrisent très mal le français- partagé leur pratique de l’information, essentiellement par les réseaux sociaux, sans savoir d’où elle provient. Ils ont également parlé de l’exposition On danse ? sans dissimuler les problèmes qu’elle posait à certains, pour qui la danse, le rapprochement possible des corps des hommes et des femmes, est un interdit d’ordre religieux. Ils ont également parlé de l’inégalité des sexes, et admis qu’elle était inacceptable en France, où ils ont trouvé refuge. Les journalistes recueilleront leurs impressions après leur visite de l’exposition en février. A.F.


12 actualité culturelle lgbt du sud-est

Trois spectacles, une exposition, une lecture, un bal, une projection, des ateliers et tables rondes. Le théâtre national de Marseille interroge le genre et la transidentité jusqu’au 5 février

Cité Queer

Invasion transgenre à La Criée

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’est avec l’exposition La galaxie de l’amour instantané que La Criée inaugure son cycle Invasion ! Transgenre. Au début des années 2010, parallèlement à sa carrière d’acteur de théâtre et de cinéma, Hervé Lassïnce commence à réaliser des portraits de son entourage proche, capturant des moments intimes d’amis comme d’amants. À travers ce travail, il dévoile des corps nus ou vêtus, des formes gracieuses, dans une lumière sublimant ses sujets. Vie privée, clubs, fêtes nocturnes parisiennes, ses différents terrains de jeu permettent à l’artiste de capter une intimité, l’intensité des émotions et des sentiments. Place au théâtre avec La Mexicaine est déjà descendue, une création de Carole Errante de la compagnie La Criatura, sur un texte de Perrine Lorne. Après avoir travaillé sur les représentations du féminin avec les mots d’un homme, dans Le Cas Blanche-Neige, la metteure en scène fait le pari d’explorer les représentations du masculin avec l’écriture

d’une femme. Une recherche alimentée par des ateliers d’échange et d’écriture avec le public. Dans Névrotik Hôtel, « comédie musicale de chambre », l’acteur Michel Fau poursuit son travail sur le travestissement et sur la voix transformée. À partir de chansons inédites de Michel Rivgauche et d’autres, sur des musiques de JeanPierre Stora, il incarne, dans un conte écrit par Christian Siméon, une vieille dame dévastée par la vie, seule dans une chambre d’hôtel en bord de mer et qui propose à un joli groom un drôle de contrat. Une mise en abîme des clichés humains autant qu’un hommage décalé et poignant à la grande chanson française. Plusieurs fois complice de Michel Fau sur scène, Olivier Py joue aussi les transformistes de cabaret avec Les premiers adieux de Miss Knife, un double féminin qui colle à la peau du directeur du Festival d’Avignon depuis près de trente ans (lire l’entretien ci-contre). La Criée propose enfin une journée

marathon pour approfondir au-delà d’un spectacle les questions liées au genre. La psychanalyse, l’anthropologie, l’histoire viendront apporter leurs regard et connaissances en la matière à travers deux tables rondes en présence d’universitaires, d’auteurs, de journalistes et d’artistes. Trois ateliers sont également organisés, invitant aux arts plastiques, au théâtre et à la danse. Suivra une lecture débat autour de L’affaire Harry Crawford de Lachlan Philpott. Le documentaire de Claire Duguet et Stéphanie Cabre, Absolument Trans, retrace l’évolution de la culture transgenre, dont les représentants sont passés en un demi-siècle de l’underground à une large visibilité. Quoi de mieux qu’un grand bal pour clore les festivités ? Avec aux manettes Christian UBL, Caroline Blanc et DJ Martin.e Luther Queen. LUDOVIC TOMAS

Au programme Exposition :

La galaxie de l’amour instantané, photographies d’Hervé Lassïnce jusqu’au 5 février

Rencontres :

Journée genre et transgenre (tables rondes, ateliers, film, bal...) 26 janvier

Spectacles : La Mexicaine est déjà descendue 18 au 24 janvier Névrotik Hôtel 23 au 26 janvier Les premiers adieux de Miss Knife 2 février La Criée, Marseille 04 91 54 70 54 theatre-lacriee.com © Hervé Lassïnce


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Le directeur du Festival d’Avignon retrouve son personnage fétiche de Miss Knife et des musiciens pour de faux adieux au music-hall. Entretien avec Olivier Py

La folle vie de Miss Knife

© Eric Deniset

Zibeline : Miss Knife vous manquait-elle ? Olivier Py : Elle me manque quand j’arrête mais comme je n’ai pas vraiment arrêté… C’est un personnage que j’ai imaginé il y a trente ans et que je n’ai jamais quitté. Ou qui ne m’a jamais quitté, comme on voudra. Ce n’était pas intentionnel, elle a été créée dans une pièce de théâtre puis j’ai continué. D’abord parce que la scène me manque, le chant me manque quand je m’en éloigne. Il y a aussi les musiciens avec lesquels je travaille : un quartet de jazz que j’aime beaucoup. Ce sont eux qui souvent me poussent, entre autres responsabilités et quand j’ai une petite oasis dans mon planning, à partir en tournée avec eux pour poursuivre l’aventure. Pourquoi ces premiers adieux ? C’est un objet purement promotionnel, parce que quand on fait ses adieux on a plus de public. Je ne compte pas du tout m’arrêter.

Qu’interprétez-vous ? Je ne chante pratiquement que mon répertoire, des chansons originales, composées par Stéphane Leach, le pianiste du groupe, et dont j’ai écrit les textes. Il peut m’arriver de faire une reprise en guise de rappel. Vous avez écrit : « les actrices ont du mal à assumer leur féminité ». Pensez-vous vraiment qu’il existe un modèle de féminité ? Il en existe plusieurs. Je pense que la féminité pose de plus en plus de problèmes sur scène. Comment la représenter ? Comment la vivre ? Certainement pas avec des clichés. Mais oui, il y a des problèmes de représentation de la femme au théâtre. Les actrices et les chanteuses ont à prendre cette question à bras le corps. J’en parle beaucoup avec elles. À l’opéra je monte des œuvres du XIXe siècle, pleines de conventions pour décrire les femmes. Comment est-ce qu’on joue une Traviata

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ENTRETIEN REALISÉ PAR LUDOVIC TOMAS

Les premiers adieux de Miss Knife 2 février La Criée, Marseille 04 91 54 70 54 theatre-lacriee.com

ZIBELINE

ou une Carmen aujourd’hui ? Ce sont des questions que je me suis beaucoup posées ou que l’on m’a beaucoup posées. Et j’écoute beaucoup ce que me disent mes camarades femmes. Votre constat peut-il s’expliquer par les questionnements autour des identités de genre ? On vit une époque formidable et c’est passionnant que l’on puisse briser les stéréotypes patriarcaux et redéfinir plus librement ce que nous sommes, de manière non binaire aussi. Cela fait donc de nombreuses années que Miss Knife est votre pendant féminin. Laquelle des deux vies préférez-vous : la sienne ou celle d’Olivier Py ? Je ne sais pas vraiment si c’est une femme. C’est plutôt un monstre. En tous les cas, c’est mon clown. Quant à nos vies respectives, ça dépend des heures. Ma vie nocturne est beaucoup plus proche de Miss Knife. Ma vie diurne est celle du directeur du Festival d’Avignon, d’un metteur en scène, d’un homme engagé aussi. Elle est plus structurée quand celle de Miss Knife est beaucoup plus folle. Vous prenez régulièrement position sur des sujets sociétaux. Qu’est-ce qui vous révolte le plus en 2019 ? Je dirais qu’il y a plus de choses qui m’interrogent que de choses qui me révoltent. Mais la première chose d’entre elles, en 2019, c’est l’alarme climatique. J’y pense incessamment, avec l’impression qu’on va dans le mur et que personne n’y fait rien. C’est très préoccupant pour la génération qui vient. Vous avez également pris position sur les migrants… Oui et depuis longtemps. Je suis moi-même un migrant et un Méditerranéen. Mes parents ont traversé cette mer dans tous les sens et mes grands-parents aussi. Il y a une part de mon identité qui appartient à cette migration qui, à mon avis, fait la force, le génie je dirais même, de la Méditerranée et de l’Europe. Accueillir des migrants est positif. Cela enrichit un pays. Et je suis inquiet que les populismes nous fassent croire que l’étranger est une menace. Si vous deviez imaginez vos propres adieux, ressembleraient-ils plutôt à du Eschyle ou à Miss Knife ? Je préférerais terminer avec des comédies. Je crois que j’en ai écrit des bonnes. Non moins intelligentes et non moins pensées que les grandes pièces classiques. Et puis surtout, je préférerais terminer avec mon écriture, écrire moi-même mes adieux. Mais j’espère que c’est encore un peu loin. Est-ce facile de programmer de la comédie au Festival d’Avignon ? Il y en a chaque année, certes de manière minoritaire mais avec beaucoup de succès. C’est vrai que c’est un choix assez rare chez les artistes. Il est possible que le temps se prête moins à la comédie. Mais on peut dire des choses graves avec la comédie justement. Je pense que je suis le seul auteur de comédie en France, à proprement parler. C’est quoi pour vous la comédie ? Se moquer de soi-même.

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événements

Des trajectoires très humaines

Un homme debout, Jean-Marc Mahy © Luciana Poletto

Des récits de vie singuliers dessinent des Trajectoires au Forum Jacques Prévert, à Carros

l’entraînement, les courses, les doutes après les défaites, mais aussi la joie de la victoire… (25 janvier).

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… et fictions réalistes

epuis son arrivée à la tête du Forum Jacques Prévert à Carros en octobre 2017, Pierre Caussin a souhaité insuffler de nouveaux projets, tisser de nouvelles synergies sur le territoire de la Région Sud, et proposer de nouveaux rendez-vous. Parmi ceux-ci, Trajectoires est « une plongée au cœur de six récits de vie singuliers, intenses souvent, dérangeants parfois… » qui sont autant de visions du monde que les artistes mettent en perspective pour mieux l’interroger et nous secouer.

Entre vies réelles… Le premier témoin -de sa propre histoireest Un homme debout. Après avoir passé 19 ans en prison, pour un casse puis une évasion qui ont mal tourné, Jean-Marc Mahy a mis en mots son parcours, de l’irréversible dérapage meurtrier à la prison, de la prison à la réinsertion, jusqu’à la performance qu’il propose sur scène qui transmet, sans rien omettre, la réalité et la quête de rédemption. Dans la mise en scène de Jean-Michel Van den Eeyden, sans sortir des 9m2 délimités par des bandes blanches au sol, l’« éduc’acteur »-médiateur qu’il est devenu adresse à tous une parole crue mais humaine, constructive, vibrante et digne (16 janvier). C’est une perte incommensurable qui lie Fanny Catel et Daniel Kenigsberg :

le décès de leur enfant. Elle a perdu sa fille Joséphine atteinte du syndrome de Zellweger, lui son fils Sam qui s’est suicidé. Tous les deux sont acteurs, des « orphelins à l’envers » comme les nomme Mohamed El Khatib qui les a rencontrés et réunis sur scène. Pour eux il a écrit C’est la vie, un texte où la pudeur le dispute à l’humour, où la délicatesse et l’espoir font montre d’un amour inconditionnel, ultime parade face à la douleur la plus profonde (18 janvier). À 16 ans, Selman Reda a été mis à la rue par son père devenu violent dans sa pratique rigide de la religion. Désireux de comprendre les dérives engendrées par les interprétations du Coran, il a entrepris une recherche autodidacte qui lui a permis de croiser la route de l’islamologue Rachid Benzine. Leur discussions nourrissent son texte, mis en scène par Michel André, qui remonte le temps, jusqu’au VIIe siècle, aux sources de l’oralité du Coran, en croisant l’histoire, l’anthropologie et la linguistique. Jeune nageur, Larie rêve de devenir champion de natation, comme son idole Michael Phelps. Cette histoire ressemble en tous points à celle qu’a vécue Maxime Taffanel, ancien nageur de haut niveau devenu acteur. Seul sur une scène qu’il transforme en bassin, il se lance dans un Cent mètres papillon qui raconte l’apprentissage de l’effort, la violence de

Pilote de l’Us Air Force, une femme interrompt ses vols le temps d’accoucher. Mais après trois ans de congés ce ne sont pas les manette de son Tiger qu’elle empoigne, mais le joystick d’un drone. Clouée au sol c’est par le biais d’un écran qu’elle va découvrir le désert du MoyenOrient… Ce puissant monologue, porté par la comédienne Pauline Bayle, impressionnante pilote fragilisée par l’absurdité de sa mission, est adapté d’un texte de l’américain George Brant que met en scène Gilles David (31 janvier). En février (le 2), la trajectoire du Forum de Carros croise celle de la Biennale internationale des arts du cirque avec la belle proposition de Johann Le Guillerm, Le pas grand-chose. Entre déductions et élucubrations saugrenues et essentielles, et donc tout sauf scientifiques, l’artiste croise magie et absurde pour recréer un monde utopique où la logique n’est plus reine, où le minimal est plus important que l’esbroufe. DOMINIQUE MARÇON

Trajectoires 16, 18, 23 & 25 janvier, 2 février Forum Jacques Prévert, Carros 04 93 08 76 07 forumcarros.com

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Des livres pour éclairer la nuit L’écrit et le papier n’ont pas fini d’enchanter nos nuits. Démonstration avec la 3e Nuit de la Lecture

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n ces temps où nombre de discours regrettent les temps jadis, ceux d’avant les écrans et les réseaux (sociaux), évoquent une désaffection coupable de la lecture (lire aussi p.4 à 7), il est bon de se plonger dans les chiffres publiés en 2017 par le ministère de la Culture. Le rapport Erik Orsenna permet en effet de ne pas sombrer dans une déprime passéiste, puisqu’il indique une fréquentation en forte progression des Français dans leurs bibliothèques. Elles constituent les équipements culturels les plus pratiqués après les cinémas, avec une hausse de 23% depuis 2005. La 3e Nuit de la lecture célèbre ce lien fort qu’entretiennent les Français avec un maillage serré (16500 bibliothèques et points d’accès au livre) et public (la culture accessible à tous), doublé de 3000 librairies indépendantes, terreau de réflexion et de rencontres. Invitation à la découverte du livre, des textes, des écrivains, le 19 janvier, où les livres auront encore plus d’histoires à raconter. Florilège parmi les très nombreuses propositions relevées dans le sud-est.

En partenariat avec Peuple et Culture Marseille. Isabelle Lobet-Piron vous préparera à proclamer, murmurer ou susurrer vos lectures préférées, pour une lecture à vois haute et dans une ambiance décontractée (médiathèque du Roulard, Lançon-Provence).

Alpes-de-Haute-Provence Les défis sont à l’honneur : on pourra faire une dictée avec l’auteur René Fregni à Manosque, et participer à la clôture du challenge lecture 2018 à Annot. À l’occasion d’un apéro-livre, on partagera ses coups de cœurs, découvertes, au cours de lectures et jeux ; remise de prix prévue !

Hautes-Alpes

On célèbre les grands-parents à La Vachette grâce à une plongée dans des livres évoquant la vie des anciens, choisis par les lecteurs de la bibliothèque, qui partageront des récits de leur famille, des coups de cœur... On entend lire jusqu’au bout, marathon de lecture partagée, prendra place à Bouches-dula bibliothèque d’Eourres. Rhône Cette année, ce sera Marelle de Julio Cortazar, qui La B.I.L. (Brigade d’Intervention Lecture) sévira à la sera lu en entier, collectibibliothèque de Charleval, avec vement, sans interruption ! le spectacle C’est si bon ! : à traLes participants sont invités à vers les saveurs culinaires médidevenir tour à tour auditeurs et terranéennes, un régal d’évocations lecteurs, pour lire un passage de la ©M littéraires, poétiques, anecdotiques, parlongueur de leur choix, diffusé dans l’enC_ oï Conc Portn eption graphique Nicolas ticipatives et en chansons. En compagnie de semble de l’espace. (projet artistique porté par René Escudié, Dario Fo, Rabelais, Barbery, Prévert et Emma Loriaut, Julien Clauss et Cécile Clozel) bien d’autres. Des mots qui ont du goût, puisqu’une dégustation est également proposée. Alpes-Maritimes À Vitrolles, les élèves du Lycée Pierre Mendès-France et de À Breil-sur-Roya, on active ses méninges : d’abord avec un l’École élémentaire François Bessou du Rove, ont imaginé, speedbooking (ou comment donner envie de lire ses textes faavec Annabel Roux, designer multimédia et Cédric Fabre, voris en 1mn30), puis avec un Grand quizz de culture générale. écrivain, le futur vu et raconté par les (chat)bots (ces agents conversationnels type Alexa ou Siri). La médiathèque La PasVaucluse serelle présente une exposition de trois installations numé- « Frissons nocturnes » garantis à la médiathèque des Carmes riques interactives et des récits de (chat)bots : « Le bot qui au Pertuis ! Dans l’ancien couvent, trois guides pour cette proparlait tout seul », « Le bot qui collectionnait les histoires »... menade tardive : Stéfanie James au conte, Myriam Sidi aux


17 chants et percussions, Wilfrid Roche aux ambiances lumineuses. Et les murs qui nous parleront des mille et un passés des Carmes. Pendant qu’à Chateauneuf de Gardagne, la bibliothèque sera transformée en restaurant familial. Au menu, contes et paroles à boire, des complices Martine Bataille et Jeane Herrington, qui régaleront petits et grands.

Histoire et devenir La Fédération des écomusées et des musées de société fête ses 30 ans au Mucem

Var La finale régionale du Tournoi des Mots en Librairie aura lieu à la librairie Charlemagne de Toulon. En équipe de trois jeunes (lycéens et classe de 3e), on s’affronte lors de joutes d’improvisation littéraire à partir de contraintes d’écriture issues de Candide de Voltaire, et dans un temps très limité, coachés par des slameurs, qui déclameront les textes devant le public. Le meilleur décroche une place en finale à Paris... La médiathèque de Canet des Maures propose une rencontre avec les différents acteurs de la chaîne du livre : des auteurs (Mélodie Ambiehl, Colette Desprès, Jean-Richard Fernand, Antoine Laurain), et Joël Maïssa (Editions Taurnada), Michel Paolasso (Librairie Lorguaise), Aurélio Ferreri (relieur restaurateur), Florence Chollet (bloggeuse littéraire), Association La Revanche de l’Âne (Fête du Livre de Gonfaron) et... les bibliothécaires ! Avec les lecteurs, le tableau sera complet.

Gard La Nuit de la lecture sera le coup d’envoi de l’exposition Histoires de livres présentée à la médiathèque d’Uzès : Sylvie Goussopoulos et Michel Descossy ont portraituré des personnes connues et inconnues (auteurs, artistes, libraires, lecteurs, bibliophiles, éditeurs, relieurs, ou illustrateurs…). À Lédignan, on se donne rendez-vous à la bibliothèque, en pyjama, avec doudous, couvertures et coussins pour une soirée la tête dans les étoiles.

Hérault La médiathèque Émile Zola de Montpellier organise, en partenariat avec la librairie Sauramps, une rencontre avec Eric-Emmanuel Schmitt autour de son dernier livre Félix et la source invisible. La médiathèque de PierresVives (Montpellier) pense aussi à ceux qui ont du mal avec la lecture : les « dys ». Pour se réconcilier avec les mots, un atelier d’écriture collaboratif (avec l’association Les amis du rat curieux), fera découvrir la nouvelle collection « Facile à lire », destinée aux personnes éloignées du livre et de la lecture, mais aussi au grand public. Enfin, dans le cadre d’un partenariat entre la médiathèque André Malraux (Béziers), le lycée Marc Bloch et la Maison de l’imaginaire, les lycéens accompagnés par l’auteure Li-Cam ont écrit des nouvelles sur le thème de la ville de demain, à découvrir et entendre le 19 janvier. ANNA ZISMAN

19 janvier Nuit de la Lecture nuitdelalecture.culture.gouv.fr

© Musée de Bretagne

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n partenariat avec le Mucem, à l’occasion de l’exposition Georges Henri Rivière. Voir c’est comprendre, la FEMS inaugure en 2019 un cycle de programmation culturelle et de journées d’étude. La Fédération des Écomusées et des Musées de société a été créée en 1989, à l’initiative de 28 écomusées fondateurs, et représente aujourd’hui plus de 180 établissements patrimoniaux. Elle souhaite aujourd’hui fêter ses trois décennies d’activité en questionnant l’histoire et le devenir des structures membres, à travers notamment la riche personnalité du muséologue Georges Henri Rivière, l’un de ses pères fondateurs. Le coup d’envoi du cycle sera donné le 18 janvier, en diptyque avec la journée de rencontres-débats Populaire Peuple Public, organisée par le Mucem le 13 novembre dernier (à lire sur journalzibeline.fr). Blandine Chavanne, directrice par intérim du service des musées de France, Céline Chanas, Présidente de la FEMS et directrice du Musée de Bretagne, ainsi que Zeev Gourarier, directeur scientifique et des collections du Mucem, introduiront les débats, avant de laisser la parole à de multiples intervenants. Ces derniers viendront de territoires de proximité, à l’instar d’Estelle Rouquette, directrice du Musée de la Camargue (à lire sur journalzibeline.fr), de l’autre bout de la France, comme Laurent Védrine, directeur du musée d’Aquitaine, voire de plus loin, comme c’est le cas de René Rivard, muséologue au Québec. Ils se succéderont toute la journée pour évoquer les spécificités des écomusées, laboratoires de conservation mais également d’expérimentation, « l’héritage Rivière » en région et dans le monde, ou encore les perspectives d’évolution des musées de société ainsi que de l’écomuséologie. L’accès se fera en entrée libre, avec un accueil autour d’un café offert aux participants à partir de 9h30. GAËLLE CLOAREC

L’héritage de GHR dans les écomusées et les musées de société entre rupture et continuité. Les 30 ans de la FEMS ! 18 janvier Mucem, Marseille 04 84 35 13 13 mucem.org fems.asso.fr


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La BIAC, démarrage en T

andis que le Village des chapiteaux s’ouvre au Prado avec trois compagnies accueillies du jeudi 17 au dimanche 20 janvier (No Fit State Circus, Aïtal et Groupe Zède), la Biennale internationale des arts du cirque commence d’ores et déjà à essaimer en région PACA. Parmi les premières propositions de la semaine, saluons le retour de Camille Boitel. Jongleur à ses heures, palabreur doté d’un sens inné du burlesque, le comédien est prêt à toutes les audaces, traquant l’inattendu et la catastrophe dans son théâtre de gestes souvent imprévisible. Les spectateurs se souviennent peut-être de l’Immédiat, créé au Théâtre du Merlan en 2009, qui s’ouvrait sur une mémorable scène d’effondrement de décor. En 2017, il y présentait sa saugrenue Conférence sur la jubilation, accompagné par Pascal Le Corre campant un inénarrable clown blanc. Après avoir eu la bonne idée d’accueillir, la même année, la recréation de L’homme de Hus, son spectacle fondateur, le Bois de l’Aune remet le couvert : accompagné de trois acolytes, Camille Boitel y présentera son

3D, Cie H.M.G. © Joao Paulo Santos

Calamity Cabaret, qui réserve sans aucun doute de très surprenantes propositions, avec toujours une large part ménagée à l’accident et au jeu avec le public. Du côté des Hautes-Alpes, c’est la compagnie H.M.G. qui pose son élégant et inédit agrès : une demi-sphère basculante,

prétexte aux acrobaties sonorisées de Jonathan Guichard, accompagnées de samples mixés en live. Dans la tradition d’un comique muet mâtiné de nouvelles technologies, le spectacle 3D laisse éclater une belle complicité, en totale connivence avec le public. Autre versant du

Cabaret frénétique

C

’est l’un des spectacles les plus en vus du paysage circassien contemporain qu’accueille la Biennale, porté par deux prodiges touche-à-tout. Le verbe haut et le corps leste, Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel sont tous deux passés par le CNAC de Châlons-en-Champagne et le Conservatoire de Paris. À leur rencontre en 2005, ils fondent un laboratoire sur la prise de parole au cirque. Au sein du collectif Ivan Mosjoukine, ils triomphent dès 2012 avec Notes on the circus, une relecture maline des codes du cirque, égrainant des saynètes comme autant de numéros listés sur une feuille de salle. Avec GRANDE —, le binôme prend comme nouveau cadre la revue de music-hall. « Cirque et music-hall ont été traversés par beaucoup d’artistes qui savaient faire des trucs dingues : tourner les assiettes sur la tête, connaître le bottin

GRANDE — © Tout ça - Que ça

par cœur… C’est ce qui nous intéresse. Notre scène ressemble à la machinerie d’un juke-box, chaque étape du processus peut s’assimiler à un poème », commente Tsirihaka Harrivel. Inspirée par Roland Barthes, le poète Robert Filliou ou encore la Nouvelle Vague, leur écriture fragmentée use d’ingénieux protocoles pour agencer le joyeux bordel qui règne au plateau : machine à laver, cercueils, colonne dorique, chaises d’enfants, claquettes, diapositives, babyfoot, ou encore 40 costumes endossés à vue, servent tour à tour à explorer diverses thématiques. L’allégorie rieuse n’est jamais loin, à l’instar du strip-tease inaugural de Vimala Pons effeuillant 35 couches de vêtements, comme un passage en revue des contraintes successives ayant pesé sur les épaules de la femme à travers les âges : « L’essence de la création,


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fanfare cirque actuel, du côté de Saint-Maximin : paré d’une élégance toute british, la compagnie Gandini Juggling élabore un ballet de jonglage avec pommes et tasses de thé, pour faire voler en éclats le prestigieux tea time. Smashed est une chorégraphie au cordeau, hommage à Pina Bausch, portée par neuf jongleurs virtuoses. Enfin, en marge du week-end d’ouverture à la Friche Belle de Mai (12 et 13 janvier, lire Zib’ 15/16), le Mucem accueille une Soirée magique concoctée par la Cie 14:20, fer de lance du mouvement de magie nouvelle en France. Plusieurs pans de la magie actuelle s’y côtoieront : l’ombromanie de Philippe Beau, les objets en lévitation d’Etienne Saglio et de Blizzard Concept, ou encore le close-up de Raymond Raymondson, accompagnés au piano par Madeleine Cazenave. D’autres installations magiques sont également proposées à la Friche Belle de Mai dans l’exposition Traversée des apparences, jusqu’au 24 février.

Au programme Smashed, Gandini Juggling 12 janvier La Croisée des arts, Saint-Maximin-la-Sainte-Baume Soirée magique, Cie 14:20 12 janvier Mucem, Marseille

3D, Cie H.M.G. 14 janvier, salle polyvalente le Queyron, Guillestre 15 janvier, foyer culturel, L’Argentière-La Bessée 16 janvier, Théâtre du Briançonnais, Briançon 17 janvier, salle des fêtes, La Grave

23 janvier, FRAC, Marseille Calamity Cabaret 17 au 19 janvier Bois de l’Aune, Aix-en-Provence Biennale-cirque.com

Boris Gibé, en quête d’absolu

JULIE BORDENAVE

L'Absolu, Boris Gibé © Jérôme Vila

c’est qu’elle s’impose à nous par bribes, à la manière des jeux qui nécessitent de relier des points pour voir un dessin apparaître », s’amuse-t-elle. Contagieuse est leur frénésie joyeuse, qui manie habilement sous-texte et méta discours. Le spectateur en ressort exsangue mais repu, ayant sondé le vertige existentiel de ne pouvoir tout dire, mais éprouvé l’entêtement des artistes à avoir essayé. J. B.

GRANDE — 10 au 12 janvier Théâtre de Nice 17 & 18 janvier La Passerelle, scène nationale de Gap 6 au 9 février La Criée, Marseille Biennale-cirque.com

A

près une adolescence passée sur la piste du cirque familial Zampanos, le jeune Boris Gibé a construit au fil du temps un univers bien à lui, à la tête de sa compagnie les Choses de rien. Acrobate et jongleur, il aime à défier la gravité -de la pesanteur comme de la condition humaine- dans des dispositifs inventifs et très parlants. Il y joue avec les matières, alternant les dispositifs high-tech et low-tech. En 2006, il jonglait avec des filets de pêche sous un chapiteau en forme de phare (Le Phare). Deux ans après, il se heurtait à des nouvelles technologies récalcitrantes, sous une bulle de plastique (Bull). En 2014, il entamait le projet hybride Mouvinsitu avec son comparse vidéaste Florent Hamon, explorant des bâtiments désaffectés de Berlin à Détroit, pour en ramener courts-métrages, exposition et cabinet de curiosité à base de praxinoscopes et d’hologrammes. Pour L’Absolu,

il imagine un dispositif scénographique impressionnant, offrant au public de prendre place sur un vertigineux gradin en colimaçon, édifié dans un silo aménagé. Au cœur de cet imposant totem, haut de 12 mètres et large de 9 mètres, l’acrobate se livre à de multiples chutes et ascensions, en se confrontant aux éléments retors : eau, air, trou noir... Une véritable expérience sensorielle pour le spectateur, lorgnant vers Tarkovski, Kafka voire Pascal. J. B.

L’Absolu 9 au 13 janvier Lycée Ismaël Dauphin, Cavaillon 24 janvier au 10 février Espace chapiteaux du Théâtre du Centaure, Marseille (relâches les 28, 29, 30, 31 janvier et 4, 5, 6 et 7 février) Biennale-cirque.com


20 critiques spectacles

Des hommes qui marchent

S

i Minuit, sa création précédente, se présentait comme un condensé de ses recherches autour du trampoline et de multiples agrès, Yoann Bourgeois trouve avec Scala une homogénéité dans la mise en scène, qui sied à ses obsessions. Ici, l’escalier – la scala éponyme du titre - règne en maître : c’est autour de lui que s’articule la scénographie à tiroirs, et que s’active la sa- © Geraldine Aresteanu rabande hypnotique des corps. Toujours de bleu, l’intérieur domestique du déces hommes qui marchent, arpentent cor, rappelant le quotidien d’un apparinlassablement, grimpent, puis s’éva- tement, est l’écrin idéal pour développer nouissent et renaissent… Portée par une cette physicalité toute évanescente qui éblouissante radicalité formelle, la fan- fait la marque de fabrique du danseur taisie se niche dans la répétition, le décu- circassien. La chorégraphie acrobatique plement, le rembobinage de séquences. se duplique à l’envi, porté par les sept Éternellement fasciné par l’instant de interprètes qui se démultiplient, envasuspension, celui qui a réinventé l’art hissant salle et coursives. Parfois le déde la chute cherche cette fois à agencer cor se délite, les corps dégoulinent, un « une phrase sans ponctuation ». Baigné parterre de mains surgit… Plus narratif

qu’à l’ordinaire, Yoann Bourgeois fait naître de vrais moments de grâce. À l’instar de la chanson du groupe Eels (Novocaine for the soul) qui revient en litanie durant le spectacle, Scala se présente comme un bric-àbrac épuré et inattendu, dont la douceur enveloppante se fait soudain anxiogène, ou peutêtre l’inverse. Amusons-nous sérieusement, et de cette rigoureuse loufoquerie naîtra le sens, semble nous susurrer le metteur en scène. JULIE BORDENAVE

Scala se jouait le 30 décembre au Théâtre de la Criée, Marseille

à venir 5 & 6 février Théâtre La Colonne, Miramas 04 90 50 66 21 scenesetcines.fr

Trans Trissotin Les costumes et la scénographie, réalisés par Macha Makeïeff, sont évidemment sublimes ; la transposition contemporaine et les allusions aux médias fonctionnent ; les comédien(ne)s, hystériques, collent parfaitement au propos : ce Trissotin n’a pas pris une ride en 3 ans, et s’est bonifié comme un vin délicieusement acide.

Macha Makeïeff reprend, 3 ans après sa création, le Trissotin qui a marqué un tournant dans son travail de metteur en scène

A

depte des objets, amoureuse des bizarreries, des personnages excessifs, virtuose de l’image théâtrale, on la sentait, jusqu’en 2015, moins à l’aise avec les textes de théâtre. Alors Molière ! Les Femmes Savantes ! qui mettent au pilori celles qui se targuent de science, d’indépendance et d’art ! Pourquoi cela ? Dès la création la réponse était claire : il s’agissait pour Macha Makeïeff d’en profiter. Profiter de la langue et du rythme, du génie dramatique de Molière, de ses renversements, révélations et coups (bas) de théâtre. Profiter de la charge contre l’accès au savoir des femmes pour la déminer et la ridiculiser en jouant sur l’ambiguïté de genre : la plus folle des

© LoLL WILLEMS

Femmes est jouée par un homme, et l’hypocrite savant jubile de son érotisme androgyne. Alors, transphobe ce Trissotin, qui se rit des trans pour construire son féminisme ? Mettre en scène la perméabilité de genre, en faisant tourner un classique du répertoire durant 3 ans, permet au contraire de donner une visibilité à la question trans, hors de ses cercles habituels. Et de mettre en scène le désir féminin jusque dans sa toute-puissance, et le désarroi qu’il suscite chez l’homme.

AGNÈS FRESCHEL

Trissotin se joue jusqu’au 20 janvier au Théâtre national de La Criée, Marseille

À lire La Maison hallucinée, une mise en scène de Macha Makeïeff Hervé Castanet éditions partico hors les murs


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Engluée au fond d’un verre

L

a Cie Les Passeurs, en résidence au Théâtre Joliette, s’est lancée dans une aventure qui interroge les addictions. Lucile Jourdan, comédienne et metteure en scène, a souhaité travailler des petites formes à un seul personnage pouvant être jouées dans des lieux où l’on peut toucher des personnes qui n’ont pas obligatoirement le statut de spectateurs, comme les cafés, les bibliothèques… L’écriture d’un © Isabelle Fournier monologue a été demandée à trois au- d’engluement de Livia qui se débat avec teur(e)s, pour former un triptyque, Hé- le souvenir de son amour perdu et son alroïne(s), mettant en scène des femmes coolisme comme un insecte capturé dans sous influence. Le premier opus*, La- la toile d’une araignée ? Constatant que mento de Livia, de Sabine Tamisier, se vous êtes déjà servis, cette femme brisée donne dans le cadre d’un bistrot dont vous vous apostrophe et réclame sa part. Mais êtes les clients. Dès votre arrivée, vous le serveur ne se manifeste pas. Sa plainte êtes installés à une table avec un verre. monte peu à peu, comme un chant sourd Vous découvrez alors la comédienne, accompagné par moments de la délicate debout dans un parallélépipède dont les musique de Gentiane Pierre. Ses soucôtés sont tendus de fils souples dans les- venirs affleurent en même temps que le quels joue la lumière des projecteurs en manque. Sa mère qui la voulait sage et douche. Dispositif talentueux d’Isabelle bien casée, le père chevrier qui aimait Fournier et Joëlle Dangeard, chargé boire des coups. Et surtout Salvatore, de sens. N’évoque-t-il pas la menace surgi un jour avec son appareil-photo et

qui est resté avec elle dans la montagne. Mais l’enfant qu’il désirait tant n’est pas venu et il est reparti la laissant seule avec son alcoolisme naissant. Depuis elle sombre et boit avec les clients de la station de ski. Comme un homme. Pour oublier sa solitude. Le texte de Sabine Tamisier s’écoule simplement avec une vérité crue, qui ne juge pas, laisse sourdre l’émotion. Un très beau portrait de femme blessée, merveilleusement interprété par Lucile Jourdan qui s’est laissé investir par son personnage. CHRIS BOURGUE

* Héroïne(s)#2, Des cercles bleus et noirs, sera créé en avril au Théâtre Joliette Lamento de Livia s’est joué au Théâtre Joliette à Marseille du 18 au 21 décembre

à venir 31 janvier Théâtre Comoedia, Aubagne 04 42 18 19 88 aubagne.fr

La danse des hommes D’après une histoire vraie était au Merlan 5 ans après sa création au Festival d’Avignon. Une pièce à la fois incarnée et abstraite de Christian Rizzo, directeur du Centre chorégraphique national de Montpellier

D

eux batteurs, depuis le fond de la scène, en légère surélévation, vont faire sonner, donner contours, matières et rythmes de peaux tendues à l’espace, dans ses pleins et ses creux, pendant toute la durée du spectacle. Sur scène 8 danseurs hommes, têtes, pieds et bras nus, se rencontrent par moments, en solo, duo, trio, quatuor, puis se détachent, puis se reforment autrement selon des trajectoires qui semblent à la fois préméditées et spontanées, sorte de constellations éphémères. Au sol au début, puis de plus en plus à la verticale, debout, et ensemble, jusqu’à la ronde. La masse, la densité des corps est souvent accentuée par des mouvements effectués

© Marc Domage

les bras dans le dos, les pieds en percussion. Quand les bras se détachent du corps, les mouvements se font amples, déliés, aériens. Et quand ils s’accrochent à d’autres bras, c’est toute une série de guirlandes ludiques et calligraphiques qui sont mises en mouvement. Le vocabulaire chorégraphique fait directement référence aux danses masculines de villages, sensuelles, orientales, chaloupées, mais Christian Rizzo, tout en en préservant la dynamique et l’énergie, les rejoue dans une grammaire contemporaine, qui combine abstraction, fragments, tensions et relâchements, fixité et mouvement. D’après une danse vue, et le souvenir qu’elle nous laisse. MARC VOIRY

D’après une histoire vraie a été dansé au Merlan, scène nationale de Marseille, le 21 décembre


22 critiques spectacles

Que sont les canons de beauté devenus ?

C

omment devenir belle et le rester ? Quelle image des femmes renvoient les miroirs et les regards des autres ? Qu’en est-il de la séduction et du désir ? Comment être bien dans sa peau ? Voilà des questions qui ont interpelé sept élèves-comédiennes de dernière année de l’ERACM (école de comédiens de Cannes et Marseille) qui se sont plongées dans la lecture des conseils de beauté et de séduction sur © Olivier Quero les sites, les magazines, les revues, les Voilà de jeunes comédiennes qui n’ont réseaux sociaux… Elles ont tout épluché. pas froid aux yeux ni hésité à se mettre Au départ Ana Maria Haddad Zavadi- en danger avec humour et désinvolture. nack s’est intéressée à la façon de traiter Ainsi Tamara Lipszyc déambule poiun phénomène de société au théâtre, et trine nue avec un cran inouï pour essayer notamment la question de la féminité. des masques raffermissants au miel et Elle a aussi consulté l’essai de Mona Chol- à l’œuf pour les seins, et demande aux let, Beauté fatale, dont elle a emprunté spectateurs de faire des photos avant/ le titre. Elle a proposé à ses six cama- après l’expérience. Eva Perreur exécute rades de faire des impros, de se livrer un numéro chanté bluffant évoquant à des questions réponses et peu à peu Marylin et son fameux « Happy birtsix portraits de jeunes femmes se sont hday » tandis que Flora Chéreau nous la incarnés avec une théâtralité efficace. joue défilé de mode agressif en musique.

Toutes se sont investies pour incarner le résultat de leurs interrogations. Quelle attitude avoir face aux injonctions de l’éducation dans notre société ? Comment rester libres ? Quant à la figure masculine, elle n’est présente que par le costume sur cintre brandi par Sophie Claret quand elle se glisse dans une robe de mariée. Histoire de ne pas oublier que toutes les injonctions à la beauté n’auraient qu’un but, tout de même : séduire les hommes. Même si, on le sait, les critères de beauté ne sont pas solubles dans toutes les civilisations. Et comme disaient nos aïeules : « N’est pas beau ce qui est beau, est beau ce qui plaît. » À chacun(e) de se débrouiller avec tout ça... CHRIS BOURGUE

Beauté fatale s’est joué à l’IMMS à La Friche de la Belle de mai, du 19 au 21 décembre dans le cadre des projets personnels des futurs comédiens lors de la dernière année de leur cursus

Tous pétris d’histoires !

E

n trois soirées, l’ovni participatif Gens d’ici, Rêves d’ail- ego… ». Est-ce parce que c’est la nuit qui permet « d’y voir plus leurs de Christian Mazzuchini a réuni successivement clair », la magie des mots, qui s’autorisent tous les jeux possur scène une trentaine d’interventions de personnes sibles, du coq à l’âne aux glissements sur les paronymes, les croisées, issues de lieux associatifs ou tout simplement ren- frottements poétiques où la métaphore prend corps, le texte de Michel Bellier, additionné de la verve de Christian Mazcontrées dans la rue, au tabac à l’arrêt de bus… Tous, en quelques minutes, se sont racontés, anecdote sazuchini, accorde aux élucubrations désordonnées du voureuse de l’un, danse de l’autre, classique ou vieil acteur retraité la profondeur d’un manifeste hip hop, chant d’oiseaux, chant de chœurs, littéraire : mise en évidence de ce qui fait le cours de théâtre… peu importe l’origine de vrai dans l’art, porosité entre le jeu et la réces personnages (enfants d’une maison alité, dans une mise en abyme des rôles. de quartier ou sénatrice) qui entrent sur L’acteur se définit « jacteur », tout en poscène, nés des souvenirs ou de l’imagisant le doute sur les mots ; qui parle ? Le nation du protagoniste (Christian Macomédien, son personnage ? « C’est moi zzuchini), dont la folie douce lui fait que je me ressemble, (…) que je suis mon croire qu’il est toujours acteur, alors sosie », « J’ai rêvé que j’étais là »… Dans ce qu’il se trouve dans une maison de rerêve qui est « un voyage sans voyager », on traite dirigée par deux personnages sortis peut avoir peur de tomber « dans un trou de tout droit d’un film de Fellini, qui tiendrait mémoire », on s’étonne de la curiosité de « trop © Richa rd Patatut de La Strada, Amarcord et Huit et demi, dont les de soleil nuit » et l’on se construit de nos histoires et airs accompagnent les « envolées » de Roland Peyron, de celles que l’on nous raconte. Tout est fiction… MARYVONNE COLOMBANI tandis que d’Alain Cesco Résia endosse un rôle qui tient du bateleur d’un cirque désuet. Tout s’enchaîne en un rythme vif, orchestré dans la scénographie de Maryline le Minoux qui confie après le spectacle « l’essentiel est de savoir s’effacer, Spectacle donné les 19, 20 et 21 décembre ne pas se servir des autres comme de repoussoirs, oublier tout au Bois de l’Aune, Aix-en-Provence


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Des bonheurs de l’illusion théâtrale

L

a troupe pétillante de Johana Giacardi, Les Estivants, lance son ouverture de résidence au 3bisf avec un spectacle enlevé et jubilatoire, Les Nobels. Suivant la définition du terme « estivant », ces « vacanciers libérés de toutes contraintes », cette joyeuse équipe complice offre un spectacle déjanté où le théâtre, l’écriture, sont mis en abyme, connaissent des échos drolatiques, des in© JFMphotographie ventions dans l’esprit des Rubriques à Brac de Gotilb ou des films problème, il y aurait eu une inversion de des Monty Python. Les spectateurs se lettres dans le titre, « Nobels » a été tapé massent d’abord sous l’auvent de la cour au lieu de « Noble », et une nuit de veille intérieure du 3bisf et assistent aux re- et de transes théâtrales a été nécessaire trouvailles désastreuses entre un mari pour pallier à cette erreur et présenter qui revient de guerre et de son épouse au public un texte concernant les prix. qui ne l’a guère attendu. Un « Ciel mon Un jury pontifiant, précédé des trommari ! » situé dans un XVIIIe fantasmé, pettes de la renommée, décerne le « petit costumes et perruques de circonstance, prix de littérature » à un écrivain, forcé-tous les membres du théâtre sont d’ail- ment maudit, blessé dans son orgueil et leurs déguisés et grimés pour l’occa- sujet aux débordements fiévreux d’une sion… Puis, la représentation s’arrête, logorrhée soutenue par les « pompes »

disséminées dans le décor et les souffleurs cachés derrière les rideaux… Les actrices déclinent la double pièce en une sorte de chorégraphie alerte à la démesure de leur univers déjanté, entre le détournement des phrases cultes « Tu n’es pas mon père, mais mon grand-père », le jeu sur les clichés, érigé en œuvre d’art, les parodies hilarantes (ainsi, celle du déjeuner sur l’herbe qui peu à peu se distord, les grognements des cochons remplaçant les gazouillis d’oiseaux du tableau champêtre initial), les jeux de mots potache, le tout en un rythme vif qui passe du coq à l’âne avec une aisance enjouée. On rit beaucoup, et on se laisse séduire par cette pièce délirante qui joue de l’absurde et du farfelu avec un talent rare ! M.C.

Les Nobels a été joué le 19 décembre au 3bisf, Aix-en-Provence

Que croire des mots ?

E

n clôture de leur avant-dernière résidence de création, la troupe de Christelle Harbonn, Demesten Titip, présentait une lecture en situation de son nouvel opus, Épouse-moi (Tragédies enfantines). Texte en main, les acteurs se laissent porter par les mots, les intonations jaillissent, les gestes s’ébauchent, les déplacements se dessinent, et le mouvement de la pièce s’esquisse. Portraits de personnages qui se rêvent, se fantasment, noués par le fil de récits, de bribes de vie. Trois itinéraires de jeunes gens se mêlent, pris en étau dans des questionnements existentiels. Entre l’éternel recommencement, la décision d’en finir ou la tentation d’une invention de l’inconnu, chacun cherche à trouver une adéquation entre ses désirs, ses rêves et leur incarnation dans un réel qui a du mal à se formuler. Dans un cadre de banlieue pavillonnaire, les habitudes se heurtent à la volonté de vivre autrement,

de bousculer clichés, idées reçues, mièvrerie des lieux communs. Ne pas avoir vraiment de prise sur la réalité, insupportable, cruelle du monde « adulte », avec une société dont l’organisation broie plus qu’elle n’épanouit, contribue à la difficulté d’une confrontation au monde. Le vocabulaire connaît de terrifiantes limites alors que les élans des jeunes gens cherchent un inaccessible absolu. Se construisent alors des trajectoires où le verbe se substitue à ce qui est. « Je suis née en 1615 », affirme l’une des protagonistes, poussant l’autre à entrer dans son jeu, et précise « personne ne me croit. C’est vrai qu’il y a des gens qui ont des parcours hors norme », tandis qu’un autre déclare « je travaille sur la suspicion du sujet ». Faut-il vraiment « des rails » pour se réaliser, et que l’humanité n’aille pas à la « catastrophe » ? Le fait de questionner le quotidien pousse-t-il obligatoirement au désespoir ? : « nous voulons

inexister ». Le départ pour de lointaines destinations accorde un sens nouveau à l’existence, prend sa mesure initiatique… Les interrogations de leurs enfants semblent rendre aux parents leur capacité de révolte et de joie. La transgression libère comme une danse qui nie toutes les règles… Est-ce le secret de la vie ? MARYVONNE COLOMBANI

Lecture dans le décor, 20 décembre, 3bisf, Aix-en-Provence

à venir 26 février au 9 mars La Criée, Marseille 04 91 54 70 54 theatre-lacriee.com 14 au 16 mars Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence 08 2013 2013 lestheatres.net


24 critiques musiques

Des opéras Trois tiers de jazz, un bon tiers d’opéra

C © Marc Vanappelghem

Il Barbiere di Cinecittà À Toulon Le Barbier de Séville, œuvre culte de Rossini, rendait hommage au cinéma italien des années soixante

L

e public de l’opéra a assisté non à l’histoire du Barbier, mais à un tournage, mariant décors et projections sur grand écran, où techniciens et maquilleurs regardent en buvant leur café ou pouponnent les stars entre les prises. Ainsi, la mise en scène d’Adriano Sinivia relie avec pertinence l’origine populaire de l’opéra-bouffe à celle, tout aussi universellement italienne, de Cinecittà. Un parti pris amusant malgré des artifices parfois encombrants -notamment lorsque quelqu’un se glisse dans le parterre pour crier « Coupez ! » entre chaque air. Mais ces maladresses n’entament pas la réussite de la production, grâce au talent vocal et théâtral des artistes. Le quatuor des rôles principaux est composé de Vincenzo Nizzardo dans le rôle-titre de Figaro, baryton charismatique en personnage espiègle. Il donne la réplique à Juan José de León, sublime en Comte Almaviva éperdument amoureux -avec un timbre vibré des plus rares, large et beau... Ginger Costa-Jackson déploie une grande tessiture : elle atteint les aigus, réputés effrayants pour une mezzo-soprano, en virtuose. Elle est également

une Rosina très convaincante, autant en jeune première malicieuse qu’en femme insoumise. La force de son personnage est amplifiée par le timbre de ses graves. Sa séduction d’Almaviva est plus active que de coutume, elle exprime son désir face à un comte ébloui et timide. Affairée dans sa cuisine, elle apprend que Bartolo -le talentueux Pablo Ruiz- souhaite l’épouser. Elle entonne alors « Una Voce Poco Fa », en écrasant à maintes reprises sa pâte au blé dur dans un geste rageur et défiant. Féministe. La mise en scène ne nous épargne pas, malheureusement, un choix stéréotypé pour le travestissement d’Almaviva en Don Alonso, qui se mue alors en un homme très efféminé de qui l’on est censés se moquer. Fausse note, qui n’entache que peu l’humour et la personnalité de cette transposition cinéphile.

’est moins à une transcription qu’à une traduction que s’est adonnée l’équipe de Marseille Jazz des 5 Continents en transformant l’opéra de Vladimir Cosma, créé à Marseille en 2007, en Opéra-Jazz. La démarche n’a rien de saugrenu : le jazz évoque plus directement le Marseille des années 30, et l’intonation du lyrique a pu l’éloigner de ses accents chantants. Vladimir Cosma, grand amateur du genre -il a notamment côtoyé Chet Baker- s’est investi dans sa réorchestration. C’est une réussite : si le public initial de l’opéra en reconnaîtra sans peine les airs, la cohérence de l’Opéra-Jazz en fait une œuvre à part entière pour les autres. Les instrumentistes du NDR Bigband occupent la scène et non la fosse, et c’est tant mieux : leur souffle ne retombe jamais, et enrichit de touches « bleues » la partition vocale. Tout

Le Danube en Méditerranée

I

nspiré de la tradition viennoise, pour moins d’un dixième du tarif exorbitant pratiqué en Autriche, le Concert du Nouvel An rassemble à l’Opéra de Marseille un

JULIUS LAY

Le Barbier de Séville a été donné du 28 au 31 décembre à l’Opéra de Toulon Da-Min KIM © Sunghyun YOO


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en Fête ! aussi irréprochables, les Voice Messengers font montre d’une bonne humeur contagieuse et le mélange des timbres à l’œuvre rappelle les textures orchestrales. Augustin Ledieu et Sylvain Belgarde quitteront le cortège le temps de la scène, culte, de la partie de cartes, où la joute verbale se pare d’atours joyeusement swing.

Irina Baïant (Fanny) est la seule chanteuse lyrique du plateau vocal : le contraste de son timbre avec les voix jazzy des autres chanteurs surprend, notamment lorsqu’elle doit éloigner le micro sur les envolées les plus puissantes. Par ailleurs elle n’est pas francophone et cela se ressent au niveau de la compréhension du texte, l’œuvre n’étant pas

surtitrée. À l’inverse, Hugh Coltman insuffle, par ses mélismes et son sens entêtant du rythme, la légèreté et la soif de fuite auxquelles aspire le personnage de Marius. Tom Novembre parvient à incarner César avec charisme malgré la tessiture de son rôle : comme les envolées aigües des femmes, ses descentes dans le grave ne semblent pas complètement appropriées au registre. Enfin, André Minvielle est un Panisse inoubliable : il passe du rire à l’émotion avec l’aisance agile d’un scatteur, et ses duos avec César et Fanny sont parmi les plus réussis de la soirée. PAUL CANESSA

Marius et Fanny s’est joué les 20 et 21 décembre au Silo, Marseille

18 19

Cirque

Fractales

© Valentine Kieffer

public toujours aussi nombreux et enthousiaste. Celui-ci, moins endimanché et un peu plus jeune qu’à l’accoutumée, remplit sans peine la salle, chantonne par endroits les thèmes les plus connus, du poulailler au parterre. C’est ainsi autant à l’orchestre qu’à lui que le chef Lawrence Foster adresse sa battue et ses crescendi lors de la célébrissime Marche de Radetzky de Strauss, amplement applaudie sur les temps, comme au Musikverein. Le programme joue cette année sur sa dimension surannée – avec moult Strauss, père et fils, à la clef - mais aussi sur des sonorités américaines, introduites avec enthousiasme par Lawrence Foster : la très hollywoodienne Carmen Fantasy de Franz Waxman compile les airs les plus reconnaissables de l’opéra de Bizet, et convoque non sans ornements échevelés le violon sautillant et versatile de Da-Min Kim, habituellement chef de pupitre. Le chant de propagande de George M. Cohan, Over There, composé pour accompagner les militaires américains sur les terres européennes, commémore ici la

saison

centenaire de l’Armistice. Hautement calorique, cet assemblage de sucreries permet de célébrer l’abattage de l’orchestre, dirigé avec un élégant sens du contraste et de l’équilibre. Le violon, en premier lieu : sur Franz Waxman mais aussi l’inévitable Méditation de Thaïs de Massenet, rendue sans effort par le son nu de Da-Min Kim, soutenu par les savantes envolées lyriques du reste des instruments. Le menuet de la Partita 3 de Bach donné en bis fait montre de la même délicatesse. La finesse des vents, également : le hautbois fait ainsi une entrée remarquée sur l’Ouverture du Baron Tzigane de Strauss fils ; le cor fait forte impression sur Le Beau Danube bleu, talonné par le beau solo du violoncelle. Le percussionniste parcourt la scène entière pour alterner cymbales et timbales, sous le regard amusé du public.

Cie Libertivore Écriture, mise en scène Fanny Soriano

Samedi 26 janvier à 20h30

SUZANNE CANESSA

Le Concert du Nouvel An a été donné le 6 janvier à l’Opéra de Marseille

Renseignements & réservations

04 92 52 52 52 www.theatre-la-passerelle.eu


26 critiques spectacles

La magie réenchante le Mucem

Le temps fort Magic Week, concocté en partenariat avec la Biac, a été rythmé par des spectacles et des ateliers d’initiation à la magie

Joyeuse berlue

Décidément le cirque sied au Mucem. Pour accueillir le magicien Philippe Beau, dans le cadre de la Magic Week, temps fort concocté en partenariat avec la Biac 2019, l’auditorium Germaine Tillion affichait complet. Beaucoup d’enfants dans le public, de tous âges, accompagnés de leurs parents ou grands-parents, et bouche bée devant les prouesses de l’artiste. De ses doigts de fée naissent en ombres chinoises une pléiade d’animaux : des oiseaux, loutres, cerfs mystérieux, un chaton qui se lèche l’oreille, une baleine, un bernard-l’ermite... C’est toujours un plaisir pour les accompagnants de revoir les tours classiques aux côtés d’un petit qui les découvre pour la première fois. C’est encore mieux de savourer l’histoire de la discipline, racontée tout au long du spectacle par le biais de cartons projetés, hommage au cinéma muet. Car magie et 7e art ont bien des choses en commun ! Tous deux plongent leurs racines bien loin dans les origines de l’humanité, lorsqu’un chasseur-cueilleur dut se servir pour la première fois de son ombre à la lueur d’un feu, pour faire rêver les petits d’hommes en peuplant leur caverne de tout un bestiaire. Philippe Beau manie aussi avec dextérité les pièces, cartes à jouer, cordes à nœuds, attirail du prestidigitateur, et entrecoupe ses numéros d’extraits de films : Les cartes vivantes de Georges Méliès (1905), Le Cirque de Charlie Chaplin (1928), ou Pickpocket de Robert Bresson (1959) démontrent la fécondité imaginative de leurs auteurs, stimulée par la pratique de l’escamotage et des effets spéciaux. La curiosité des adultes est titillée par un rappel : avant l’invention du cinéma, on traitait de sujets d’actualité au moyen de la magie

d’ombres ! Démonstration immédiate, avec une galerie de présidents de la République française qui surgissent entre les doigts de l’artiste, ou deux barbus qui s’embrassent amoureusement. Les jeunes générations, elles, préfèrent applaudir à tout rompre l’apparition du ET de Spielberg, en musique s’il vous plaît !

Fabrique de l’illusion

Après la théorie, la pratique : Micro Focus, collectif marseillais travaillant sur des installations magiques urbaines, proposait un atelier d’initiation à la pratique du close-up. L’occasion pour les enfants de tester leur dextérité et leur force de persuasion, à l’aide de très simples accessoires : une feuille de papier journal, un gobelet, un stylo… Et place à une émotion magique toujours intacte, quelles que soient les générations. Pour s’en convaincre, rendez-vous quelques jours plus tard au Centre de Conservation et de Ressources du Mucem, situé dans le quartier de la Belle de Mai. En fin de matinée, un groupe étoffé bravait les températures hivernales pour une plongée dans les coulisses de l’histoire de la discipline. Intarissable en la matière, le conservateur Zeev Gourarier guidait la visite, rappelant en préambule l’ambigüité du mot magie, qui désigne à la fois le sentiment magique -principe actif

llet res nqui a mb d'o he M e i p g Ma hristo ©C

immuable- mais aussi la fabrication de l’illusion elle-même, la manipulation présidant au « tour de magie ». L’occasion aussi de présenter aux plus jeunes l’illustre Robert Houdin, et certains tours qu’il a popularisés en Occident, tel que l’époustouflant Barman du diable issu de Chine, exhumé récemment par Thierry Collet (lire Zib’ n°6). Dans la réserve, l’on découvrait ensuite L’illusionniste, automate reproduisant en miniature la Suspension éthéréenne, d’après un tour imaginé par Robert Houdin. Le Mucem possède l’un des trois uniques exemplaires de cet automate, le plus complexe jamais produit par la Maison Roulet-Descamps ! Au détour des rayonnages, l’on croisait également une boîte servant au fameux tour de la femme coupée en deux, ou encore un cabinet de bois permettant de faire apparaître une tête décapitée sur un bouquet de fleurs. Cette visite était l’occasion de rappeler que le Mucem possède l’un des fonds magiques les plus importants de France, issu de collections foraines, marionnettiques et magiques. En appelant de nos vœux une exposition prochaine au Mucem mettant à l’honneur ces pépites, rappelons que le CCR est ouvert au public (tous les premiers mardis du mois, réservation obligatoire), et que tous les objets de son imposante réserve sont présentés sur le site Internet du musée (onglet Collections). GAËLLE CLOAREC ET JULIE BORDENAVE

La Magic Week s’est déroulé du 29 décembre au 6 janvier au Mucem, Marseille Le spectacle Magie d’ombres... et autres tours a eu lieu le 3 janvier au Mucem, Marseille


L

Pr Didier BLAISE © IPC

Onco-coaching

’IMéRA, Institut d’études avancées d’Aix-Marseille Université, invitait le 18 décembre dernier trois personnalités du sport, de la médecine et de la recherche au Théâtre du Gymnase, dans le cadre des Rendez-vous de demain. Dans la salle étaient présents, outre le public habitué de ces conférences, des patients, remis d’un cancer ou d’une leucémie après être passés dans le service du Professeur Didier Blaise, Chef du département d’onco-hématologie de l’Institut Paoli-Calmettes, et ayant bénéficié du programme Rebond. Un dispositif transdisciplinaire qui a fait appel aux équipes de Pierre Dantin, directeur du Laboratoire Management, Sport, Santé (AMU), ainsi qu’aux talents de coach sportif de Claude Onesta, manager de l’équipe de France de handball. L’idée peut sembler saugrenue : elle a paru telle au premier abord aux spécialistes du sport, lorsqu’ils ont été sollicités par le médecin. Mais au fil des échanges, on comprend rapidement ce qui a pu motiver une telle expérience, qui s’avère couronnée de succès. L’épreuve de la maladie est terrible, le combat à mener long et difficile. Les patients nouent avec leur praticien une relation de dépendance thérapeutique dont il est difficile de se défaire, même une fois la rémission actée. Le Dr Blaise précise son objectif : « Nous recherchions une rupture. Cesser de prendre les commandes du malade, et les lui rendre, pour qu’il retrouve le contrôle de sa vie, une existence normale ». C’est dans cette démarche d’autonomie que les méthodes éprouvées avec des sportifs de haut niveau se sont révélées utiles. Pour Claude Onesta, « la peur d’échouer amène l’échec par perte d’engagement », ce que Pierre Dantin confirme : « beaucoup sombrent en fin de carrière, si leur moteur était d’exister dans le regard des autres ». Un événement brutal dans la vie des sportifs, qui ne se compare pas bien sûr à l’irruption d’une pathologie mortelle, mais s’affronte en puisant aux mêmes ressources. L’envie de vivre se réveille lorsqu’on fait face. « Pour cela, conclut le chercheur, il faut se découvrir, prendre conscience de son rapport à l’échec, de ses peurs, de ses ressorts intimes ». GAËLLE CLOAREC

La conférence Sport, santé et performance. Apprendre à guérir ? a été donnée le 18 décembre au théâtre du Gymnase, Marseille, dans le cadre des Rendez-vous de demain

La Criée

Théâtre national de Marseille

Reprise exceptionnelle !

MolièreTrissotin

ou Les Femmes Savantes Un spectacle de Macha Makeïeff

Du 8 au 20 janvier 2019 Avec sa brillante approche des Femmes Savantes, transposée dans les années 70, entre baroque et pop, Macha Makeïeff dépoussière la pièce de Molière. Une adaptation burlesque et feministe portée par une troupe électrisée. Jubilatoire !

Réservez ! www.theatre-lacriee.com La Criée Théâtre national de Marseille


28 au programme spectacles bouches-du-rhône

Barbouillot d’pain sec

Les jumeaux vénitiens

L’auteur et comédien Michel Boutet raconte des « histoires vraies qu’auraient pu arriver », de celles qu'il imagine circuler au bistrot du coin, ou dans les réunions Tupperware. Jouant tous les personnages, avec une voix plus aigrelette pour les femmes, il fait les questions et les réponses de dialogues farfelus autour de sujets profonds : la vie, la mort...

© Bernard Richebe

Le héros de cette histoire, Romain Poisson (interprété par Hervé Morthon), n’est pas tout à fait un homme comme les autres. Extrêmement méthodique, il règle son rythme quotidien comme du papier à musique, et ne supporte pas l’irruption de l’inattendu. Romain Poisson est autiste. Un spectacle intelligent qui permet de découvrir une autre forme de sensibilité. Tout public à partir de 7 ans.

© Eric Chevalier

© Olivier Coiffard

Dans ma tête

15 janvier Théâtre Toursky, Marseille 0 820 300 033 toursky.fr 16 janvier Le Comoedia, Aubagne 04 42 18 19 88 aubagne.fr

Le personnage de Christophe Malavoy, admirateur du célèbre chef d’orchestre interprété par Tom Novembre, se comporte étrangement... Un puissant suspens, dont il faut taire les retournements de situation, irrigue cette pièce sur la culpabilité, la filiation, la vengeance et la réparation. Petit à petit, le puzzle policier et historique se met en place, jusqu’au dénouement final. 19 janvier Théâtre Toursky, Marseille 0 820 300 033 toursky.fr

Ombre

Autobiography Le chorégraphe Wayne McGregor a découpé sa pièce en 23 séquences, une pour chacune de ses 23 paires de chromosomes, à laquelle il a associé une étape particulièrement significative de son existence. Un logiciel détermine aléatoirement l’ordre d’apparition de ces instantanés autobiographiques, interprétés par dix danseurs. La musique, électronique, est signée Jlin.

18 janvier Théâtre Joliette, Marseille 04 91 90 74 28 theatrejoliette.fr

© Andrej Uspenski

L’épopée du grand soir Les artistes de la Cie 7e ciel présentent une étape de travail à l’issue de 15 jours en résidence sur le site de l’ancien Théâtre de Lenche, désormais géré par le Théâtre Joliette, et devenu « lieu-dit de confection ». Leur prochaine création se base sur un texte de l'auteure Magali Mougel, portant sur les thèmes de la vieillesse, du désir et de l’identité, rédigé suite à des visites de l’équipe en maisons de retraite.

16 janvier Théâtre La Colonne, Miramas 04 90 50 66 21 scenesetcines.fr

© Eric Massua

Fausse note

Maxime d’Aboville incarne les deux jumeaux de la pièce écrite par Carlo Goldoni au mitant du XVIIIIe siècle, jouant tour à tour le rustre et le « bel esprit ». Zanetto et Tonino ont été séparés à la naissance, chacun vivant son existence à sa manière, et leur arrivée à Vérone pour raisons matrimoniales se fait sans préméditation. Mais pas sans quiproquos, on s’en doute.

15 & 16 janvier Pavillon Noir, Aix-en-Provence 04 42 93 48 14 preljocaj.org

Le conteur Lamine Diagne s’associe au marionnettiste-dompteur de couette Rémi Lambert pour un spectacle visuel très librement inspiré de la Divine Comédie. Leur héros est un petit garçon appelé Dante, et c’est dans sa chambre qu’il vivra une véritable quête initiatique : quel meilleur endroit, peuplé d’objets réconfortants et de zones obscures, pour apprivoiser la nuit ? Dès 6 ans. 19 janvier Espace Robert Hossein, Grans 04 90 55 71 53 scenesetcines.fr


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au programme spectacles bouches-du-rhône var

© Cédric Delectrade ACM-Studio

Peter Pan

Fight Night Cinq candidats prêts à tout pour remporter une élection usent de toutes les armes de persuasion massive à leur disposition : mensonges, sondages, traîtrises, coups médiatiques... Les dessous de la politique comme on les soupçonne de l’être : bien sales. La spécificité de la Cie belge Ontroerend Goed est de s’intéresser surtout à la crédulité consentante des électeurs... qui ressortiront moins naïfs du spectacle. 15 & 16 janvier Théâtre d’Arles 04 90 52 51 51 theatre-arles.com

Créée par le Ballet de l’Opéra Grand Avignon en 2016, une œuvre inspirée des écrits de James Matthew Barrie. Peter Pan, l’enfant qui ne voulait pas grandir, se trouve une nouvelle fois confronté au cruel Capitaine Crochet, à la jalouse petite Fée Clochette, et à Lily-la-tigresse. La chorégraphie est signée Éric Belaud. 13 janvier L’Autre Scène, Vedène 04 90 31 07 75 lautrescene.com

Adieu, Monsieur Haffmann

L’incivile La jeune troupe du Théâtre Majâz (qui signifie métaphore en arabe), emmenée par Lauren Houda Hussein et Ido Shaked (au texte et à la mise en scène) revisite le mythe d’Antigone au sein d’une école, en France, où une élève brillante de terminale joue son monologue voilée. Face à l’ampleur que prend l’événement -d’autres élèves lui emboîtent le pas-, l’équipe pédagogique se divise… 17 au 19 janvier Châteauvallon – scène nationale, Ollioules 04 94 22 02 02 chateauvallon.com

My ladies rock

Le bossu de Notre-Dame

Voilà une pièce qui a raflé quatre prix aux Molières 2018, dont celui de meilleur spectacle de théâtre privé. Écrite et mise en scène par Jean-Philippe Daguerre, elle se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale, au moment où les rafles de juifs s’intensifient à Paris. Joseph Haffmann, bijoutier, demande à son employé de le cacher. Celui-ci accepte, mais à une condition... À partir de 14 ans. 17 janvier Auditorium Jean Moulin, Le Thor 04 90 33 96 80 artsvivants84.fr 19 janvier Théâtre Comoedia, Aubagne 04 42 18 19 88 aubagne.fr

19 janvier L’Autre Scène, Vedène 04 90 31 07 75 lautrescene.com

© Stephanie Para

© Grenier de Babouchka

Olivier Solivérès adapte le roman de Victor Hugo façon comédie musicale, avec un zeste de commedia dell’arte. Une formule qui séduira le jeune public de 5 à 12 ans, en lui faisant découvrir Quasimodo, l’archidiacre Frollo et Esmeralda dans une version différente de celle de Walt Disney. Tout autant d’humour, la mièvrerie des chansons en moins !

Parades nuptiales en Turakie Royaume du Turak Théâtre, la Turakie est un monde étrange et fascinant, propice à l’imagination. C’est là que vit le Peuple des Robinets, dont Michel Laubu décortique le comportement amoureux, inspiré des parades nuptiales observées dans le monde animal. Marionnettes et objets bricolés évoluent sur l’air du Lamento della Ninfa de Monteverdi, avec humour et poésie. 17 janvier Salle des fêtes, La Brillanne 18 janvier Salle polyvalente, St-Julien-d’Asse 19 janvier Salle des fêtes, Montfort 20 janvier Salle des Cèdres, Mallemoisson Théâtre Durance, Château-Arnoux-St-Auban 04 92 64 27 34 theatredurance.fr

Après My Rock, Jean-Claude Gallotta livre sa playlist rock ultra-féminine, chorégraphiée en hommage aux figures incandescentes passées et présentes de la scène internationale -de Janis Joplin à PJ Harvey, en passant par Patti Smith et Marianne Faithfull, entre autres-, patchwork énergique et émouvant de pièces dansées par sa compagnie le Groupe Emile Dubois, auxquelles se mêlent des images d’archives. 17 & 20 janvier Châteauvallon – scène nationale, Ollioules 04 94 22 02 02 chateauvallon.com


30 au programme spectacles var alpes-maritimes hérault

Le petit bain

Huit heures ne font pas un jour

Johanny Bert (Théâtre de Romette) met en scène son premier spectacle adressé aux tout-petits : une rêverie qui a comme point de départ la mousse de bain. De cette matière fascinante naissent histoires, décors et personnage, grande marionnette transformable qui évolue sur une création sonore de Simon Muller. Une expérience sensorielle à vivre dès 2 ans !

Emmanuel Meirieu excelle à porter sur scène les mots et le souffle des grands auteurs américains. Bruce Machart est l’un d’eux, qui a publié Des hommes en devenir (sorti en France en 2014 aux éditions Gallmeister). Des pères, des amants, des fils ; des êtres brisés par la mort ou la disparition d’un proche. Six d’entre eux vont se livrer sur le plateau, interprétés par cinq comédiens de choc. Texte cathartique, mise en scène incandescente. Pour un premier pas vers la résilience.

© Clément Bertani

© Jean-Louis Fernandez

Des hommes en devenir

La Bulle Bleue est constituée de 14 comédiens permanents en situation de handicap. Bruno Geslin, artiste associé, a porté pendant 3 ans le projet Prenez garde à Fassbinder. C’est dans ce contexte qu’intervient Evelyne Didi, invitée à constituer une partie de cette plongée dans l’œuvre du cinéaste allemand. D’après la célèbre série diffusée en 1972, qui ressort en salles actuellement en version restaurée.

14 au 17 janvier Le Carré, Sainte-Maxime 04 94 56 77 77 carreleongaumont.com

14 & 15 janvier Théâtre des 13 vents, Domaine de Grammont, Montpellier 04 67 99 25 00 13vents.fr

© E. Meirieu

20 janvier Le Pôle, Le Revest-les-Eaux 0800 083 224 polejeunepublic.com

Ailey II

Je veux seulement que vous m’aimiez

© Marjorie Corbinaud

19 janvier Théâtre de Grasse 04 93 40 53 00 theatredegrasse.com

La troupe junior du Alvin Ailey American Dance Theater poursuit, comme les danseurs de la compagnie principale, la transmission du répertoire rassemblé par le célèbre chorégraphe disparu en 1989. Ils viennent interpréter 4 pièces inédites en France : Road to one, chorégraphie de Darrell Grand Moultrie, Breaking point, chorégraphie de Renee I. McDonald, Circular, chorégraphie de Jae Man Jao, The Hunt, chorégraphie de Robert Battle.

Un père et son fils sur scène, c’est assez rare pour qu’on le souligne ; mais lorsqu’il s’agit comme ici d’un enfant de 7 ans qui pratique un duo-corps à corps charnel et filial, c’est quasi exceptionnel. Sylvain Bouillet devient l’agrès de Charlie, qui le chevauche, s’y raccroche, dans un jeu intime bouleversant. Une leçon de complicité. Dès 7 ans.

19 janvier Scène 55, Mougins 04 92 92 55 67 scene55.fr 22 janvier Opéra Confluence, Avignon 04 90 14 26 40 operagrandavignon.fr

Second metteur en scène invité par Bruno Geslin autour de son vaste projet Prenez garde à Fassbinder avec les comédiens de Cie montpelliéraine La Bulle Bleue, Jacques Allaire s’est inspiré d’interviews du cinéaste, où il s’exprime sur ses films. Il a ensuite posé les mêmes questions aux acteurs, qui lui ont donné leurs propres réponses. Le cinéma est alors devenu la vraie vie, les analyses des fictions, les personnages sont devenus un cadre naturel où penser et jouer. © mirabelwhite

© X DR

Des gestes blancs

17 au 19 janvier Le Cratère, Alès 04 66 52 52 64 lecratere.fr

18 & 19 janvier Théâtre des 13 vents, Domaine de Grammont, Montpellier 04 67 99 25 00 13vents.fr


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au programme spectacles hérault

Mes poings sur les i C’est peut-être d’abord l’histoire d’une rencontre. Celle de l’auteur Soufyan Heutte avec Virgile Simon et Antoine Wellens (Primesautier théâtre), venus l’écouter restituer son texte dans le cadre du travail engagé par la Cie avec les habitants du quartier montpelliérain de La Paillade. Séduits, bluffés, ils se sont lancés ensemble dans cette aventure théâtrale, qui donne la parole aux « quartiers », par la voix d’un de leurs habitants, par les mots d’un de leurs artistes.

Talking dance Un négatif de danse : les mouvements apparaissent par les mots, non par les gestes. Ils sont à entendre, imaginer ; pas à voir. La chorégraphe Valérie Castan pratique l’audiodescription de spectacles de danse depuis 2012 pour le public non voyant. Talking dance est une série de 7 fictions sonores, pour activer l’invisible. Création en partenariat avec Divergence FM, en résidence croisée entre ICI Centre chorégraphique et la salle Victoire 2 à Montpellier.

Une nuit américaine

Valérie Castan © Valérie Castan

© Jean-Louis Fernandez

17 & 18 janvier Théâtre Jean Vilar, Montpellier 04 67 40 41 39 theatrejeanvilar.montpellier.fr

Endo

Le metteur en scène et musicien Mathieu Bauer nous invite à une séance de cinéma vintage et sur scène. S’inspirant de deux films américains, Shock Corridor de Samuel Fuller et Western, d’André de Toth, il mélange les genres en provoquant une rencontre entre cinéma, théâtre et musique. C’est l’Amérique, avec ses mythes fondateurs et ses névroses, qui tient le premier rôle, dans une fascinante plongée romanesque. Distribution d’esquimaux en sus.

13 janvier sur les ondes de Divergence FM 93.9, Montpellier ici-ccn.com

Jour et Nuit

13 janvier (suite à l’annulation de la représentation prévue le 9 novembre due à une inondation) Théâtre Molière, Sète 04 67 74 02 02 theatredesete.com

© David Ben Loulou

© Martin Colombet

Dans le cadre de sa coproduction du prochain spectacle de Catherine Diverrès, le centre chorégraphique montpelliérain propose une rencontre avec la chorégraphe et les danseurs du futur Jour et Nuit. Artiste incontournable de la scène contemporaine depuis plus de 30 ans, son prochain voyage sera guidé, entre autres, par le poète Ossip Mandelstam : « Immortelles les fleurs. Et ce qui adviendra n’est rien qu’une promesse. »

18 janvier ICI, Centre chorégraphique, Montpellier 04 67 60 06 79 ici-ccn.com

David Wampach poursuit son travail de réinterprétation de l’histoire de la danse (après Cassette et Sacre), en puisant cette fois aux sources de l’art-action et des pionniers japonais de la performance. En duo avec Tamar Shelef, il convoque une histoire passée rejouée sans concession, au plus près du présent et de la radicalité du corps. Spectacle créé en 2017 pour Montpellier Danse. 16 & 17 janvier Théâtre de la Vignette, Montpellier 04 67 14 55 98 univ-montp3.fr

17 & 18 janvier Western 19 janvier Western + Shock corridor Théâtre du Gymnase, Marseille 08 2013 2013 lestheatres.net

Vent debout Venue d’un pays où le vent est si puissant qu’il efface tout, une petite fille découvre l’univers merveilleux des mots, des sons. Mais le vent la ramène toujours à sa place, dans sa contrée de silence. Petit à petit elle apprendra à s’échapper du carcan. Les personnages évoluent dans deux univers que tout oppose, l’un en papier blanc, l’autre en papier journal, livres, dessins, interprétés et manipulés par Pierre-Yves Guinais et Yoanelle Stratman. 15 janvier Théâtre sortieOuest, Domaine de Bayssan, Béziers 04 67 28 37 32 sortieouest.fr


32 au programme musiques bouches-du-rhône vaucluse hérault

Quatuor à cordes

Ici-Bas

19 janvier Foyer de l’Opéra, Marseille 04 91 55 11 10 / 04 91 55 20 43 opera.marseille.fr

Orchestre national de Lyon

© Haruko Maeda

Soirée franco-anglaise au GTP grâce au bel orchestre de Lyon sous la houlette de Leonard Slatkin qui, lors d’une soirée exceptionnelle, nous fera découvrir la musique orchestrale d’Edward Elgar avec sa Symphonie n°1 en la bémol majeur, clarté, puissance, qui répondront au Concerto pour piano n°2 en sol mineur de Saint-Saëns servi avec une virtuose intelligence par le jeune pianiste Benjamin Grosvenor. En ouverture, la farce surréaliste Le Bœuf sur le toit de Darius Milhaud.

© Julien Mignot

La Veuve joyeuse

L’action se déroule au Pontévédro, (ne cherchez pas sur une carte !) et la main de la jeune et riche veuve Missia Palmieri (Charlotte Despaux) est convoitée par beaucoup, comment faire pour que sa fortune ne quitte pas le pays en faillite ? Dans ce contexte de possible fuite des capitaux à l’étranger, (que ne vont pas inventer les auteurs !), l’opérette viennoise de Franz Lehár, rit, chante, danse, bouillonne de vivacité sous la direction de Bruno Membrey. Champagne !

18 janvier La Garance, Cavaillon 04 90 78 64 64 lagarance.com

La Bohème Mimi (Ludivine Gombert), Musetta (Olivia Doray), Rodolfo (Davide Giusti), Marcello (Philippe-Nicolas Martin), tous les personnages de La Bohème, opéra en 4 actes de Giacomo Puccini, d’après les Scènes de la Vie de Bohème d’Henry Murger, nous sont familiers et ont contribué à la construction du mythe chanté par Aznavour. L’œuvre sera dirigée avec maestria par Samuel Jean dans une mise en scène de Frédéric Roels et Claire Servais.

Ludivine Gombert© Evgeny Pronin

© istockphoto PeopleImages

18 janvier GTP, Aix-en-Provence 08 2013 2013 lestheatres.net

19 & 20 janvier Odéon de Marseille 04 96 12 52 70 odeon.marseille.fr 18 & 20 janvier Opéra Confluence, Avignon 04 90 14 26 40 operagrandavignon.fr

Gabriel Fauré préférait entendre sa musique chantée par des amateurs plutôt que par des voix lyriques. Le projet Ici-Bas invite des chanteurs qui viennent des univers de la chanson, du jazz, de la pop, Élise Caron, Piers Faccini, John Greaves, Kyrie Kristmanson, Himiko Paganotti, Rosemary Standley pour servir avec toute leur sensibilité les mélodies où résonne la poésie de Verlaine, Gauthier, Hugo… dans les arrangements de Baum soutenus par Simon Dalmais (piano), Anne Gouverneur (violon), Maëva Le Berre (violoncelle), Olivier Mellano (guitare et direction musicale).

Tristan et Isolde Katherine Broderick © Andy Staples

Familiers du Foyer de l’Opéra, Da-Min Kim, Alexandre Amedro (violons), Magali Demesse (alto) et Xavier Chatillon (violoncelle) proposent deux pépites. D’abord, de Joseph Haydn qui, dit-on, inventa le quatuor à cordes, le Quatuor à cordes n°3 en do majeur op.76 dit l’Empereur (qui sera réutilisé dans l’hymne allemand Deutschlandlied), puis le Quatuor à cordes n°14 en ré mineur dit La Jeune Fille et la Mort de Schubert, dont l’andante est une série de variations sur le thème extrait de son lied Der Tod und das Mädchen sur un poème de Matthias Claudius.

Donné en version de concert, l’opéra en trois actes de Richard Wagner célèbre la passion brûlante et impossible qui unit Tristan (Stefan Vinke) et Isolde (Katherine Broderick), épouse du roi Mark (Stephen Milling), et leur fin tragique. Cette œuvre lyrique et monumentale (cinq heures en trois actes) sera dirigée par Michael Schønwandt, et portée par le Chœur d’hommes de l’Opéra national Montpellier Occitanie et l’Orchestre national Montpellier Occitanie. 17 & 20 janvier Opéra Berlioz, Montpellier 04 67 601 999 opera-orchestre-montpellier.fr


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au programme musiques hérault alpes-maritimes bouches-du-rhône vaucluse var

Mouloud Adel

Prix du public Crest Jazz Festival, Cathy Heiting poursuit son approche hors norme des formes musicales. Elle s’inspire du répertoire lyrique, s’évade dans le jazz, glisse vers le funk, se délecte au ragga ou au pop R'n’B, avec un bonheur communicatif et déjanté. Et sait toujours s’entourer de musiciens virtuoses à la hauteur de sa démesure, Wim Welker (guitare), Sylvain Terminiello (contrebasse), Gérard Gatto (batterie).

Dirigé par György G. Ráth, l’opéra de Mozart met en scène le personnage sulfureux de Don Giovanni (Andrei Kymach), suivi de son valet Leporello (Mirco Palazzi). Séductions, abandons, la liste des conquêtes du protagoniste s’allonge, Donna Anna (Natalia Pavlova), Donna Elvira (Alessandra Volpe), Zerlina (Veronica Granatiero)… et l’enfer s’approche, avec le dîner offert à la terrible statue vengeresse du commandeur (Ramaz Chikviladze)… dans la mise en scène et les lumières de Daniel Benoin. 18 au 24 janvier Opéra de Nice 04 92 17 40 79 31 opera-nice.org

Bertolino-Le Gac La Cité de la Musique accueille un étonnant duo : Gurvant Le Gac à la flûte traversière en bois, Pierre-Laurent Bertolino à la vielle à roue électroacoustique. Les instruments se croisent, hypnotisent, fusionnent. En résulte une musique spontanée, faite d’improvisation et de complicité, comme une douce transe visuelle et sonore. Des mélodies singulières, bariolées, façonnées par l’univers poétique des deux artistes. 18 janvier Cité de la Musique, Marseille 04 91 39 28 28 citemusique-marseille.com

© X DR

19 janvier Cité de la Musique, Marseille 04 91 39 28 28 citemusique-marseille.com 18 & 19 janvier Théâtre du Balcon, Avignon 04 90 85 00 80 theatredubalcon.org

La Madrugada

Les week-ends musicaux de Chaillol reprennent avec une création concoctée par la chanteuse Mandy Lerouge, en collaboration étroite avec l’Espace Culturel de Chaillol. Le programme argentin quitte la musique urbaine du tango pour celle issue du folklore des provinces de Misiones et de Santiago del Estero. Espagnol, guarani, les langues originelles de ces régions se fondent dans les mélodies traditionnelles et populaires sur des arrangements signés par le pianiste et compositeur Lalo Zanelli. Contrebasse (Felipe Nicholls), percussions (Javier Estrella), accompagnent la voix lumineuse de Mandy Lerouge sur le piano de Lalo Zanelli. 17 janvier Chapelle des Pénitents, Gap 18 janvier Le Fayore, Saint-Michel-de-Chaillol 19 janvier Salle des fêtes, Chorges 20 janvier Salle des fêtes, La Faurie festivaldechaillol.com

Amélie-les-Crayons La pétillante brune aux yeux noirs s’apprête à faire gigoter la salle du Théâtre en Dracénie au son de son percussif Mille Ponts, un dernier album à la mutinerie charmante, joyeusement grinçant. Sous ses devants enfantins et sa voix légère, Amélie cingle, pique, aborde sans gants des thématiques sociales (les migrants, la solidarité, l’environnement) ou plus intimistes (le lien aux autres, à ses proches). Un shoot d’énergie et de bonne humeur !

© Aurelie Raidon

Don Giovanni

Formé très jeune à ce qui reste aujourd’hui son instrument privilégié, la mandoline, Mouloud Adel est revenu aux sources de son éducation musicale après avoir partagé pendant des années ses savoirs sur les sonorités corses et occitanes. En maître de la musique arabo-andalouse, Adel se fait l’avatar intemporel de deux civilisations que l’Histoire a entremêlé et transmet avec délicatesse et passion un art millénaire.

Mandy Lerouge © Anne-Laure Etienne

19 janvier Opéra Comédie, Montpellier 04 67 601 999 opera-orchestre-montpellier.fr

© X DR

Cathy Heiting Trio

L’époque baroque ne s’illustre pas seulement par l’utilisation des voix de castrats, mais sait aussi mettre en valeur son inverse, les voix féminines graves. Avec Contralto, la chanteuse et chef d’orchestre Nathalie Stutzmann, à la tête de son ensemble Orfeo 55, propose un florilège subtil de partitions écrites pour la voix de contralto par des auteurs du XVIIIe siècle, Vivaldi, Haendel, Porpora, Gasparini. Nathalie Stutzmann © Brice Toul

Contralto

19 janvier Théâtres en Dracénie, Draguignan 04 94 50 59 59 theatresendracenie.com


34 au programme arts visuels vaucluse var alpes alpes-maritimes

Michel Steiner Hommage en diptyque pour l’œuvre de l’artiste qui fut aussi professeur puis directeur de l’École d’art d’Avignon. De la peinture avant tout, des grands formats notamment, accompagnés de ses carnets personnels, de croquis de voyages, dispositifs numériques et ateliers publics, important catalogue sous la direction de Gérard Bouysse, commissaire de l’exposition. C.L. Bruissement du silence jusqu’au 28 février Cloître Saint Louis, Avignon jusqu’au 10 mars Tour Philippe Le Bel, Villeneuve lez Avignon 06 01 76 27 81 michel-steiner.com

Michel Steiner, « présences » dans l’atelier, 2018. Photo : Gérard Bouysse

Take 5 « Cyril (Abad), Rudy (Boyer), Thomas (Richaudeau), Cédric (Roux) sont des amis. Je leur ai demandé ce qu’était « la street» pour eux. », explique le 5e photographe et initiateur de l’exposition, Gérard Dubois. Chacun avec leur approche, ils nous livrent leur vision de l’urbain d’aujourd’hui : paysage, nature morte, animale, graphique, abstraite... A.Z. Take 5, Street photography jusqu’au 23 février Maison de la photographie, Toulon 04 94 36 34 59 toulon.fr © Gérard Dubois 2018

Pascal Navarro Dans le cadre de la manifestation « De la ruine au chaos » (projet Frac Paca via un partenariat entre l’école d’art intercommunale et les Rencontres Cinématographiques de Digne) le BILD présente les travaux issus des recherches qu’a menées Pascal Navarro autour des notions de durée, d’érosion, de disparition. Série de dessins « néguentropiques », où l’effacement des encres produit la nature de l’œuvre. A.Z. Notre sombre splendeur jusqu’au 27 février Bureau d’Implantation des Lignes de Digne-les-Bains 04 92 31 34 59 idbl.fr Just like that bluebird #1, Pascal Navarro, dessin néguentropique, 80 x 120 cm, prise de vue 2018 © Pascal Navarro 2016

Fondation Maeght Avec plus de 80 artistes exposés, le commissaire Henri-François Debailleux présente un regard sur l’extraordinaire ensemble d’œuvres de la collection réunie par Marguerite et Aimé Maeght, enrichi grâce aux constants dons d’artistes, amis, famille, collectionneurs, proches et amoureux de la fondation. Des noms qui font tourner la tête : Balthus, Ernst, Pignon-Ernest, Chagall,... A.Z. L’esprit d’une collection : les donations jusqu’au 16 juin Fondation Maeght, Saint-Paul de Vence 04 93 32 81 63 fondation-maeght.com The Spanish comicscape, 1981-1982. Peinture glycérophtalique sur toile, 200 x 300 cm. Don de la Société des Amis de la Fondation Maeght, 2009. © Adagp, Paris 2018-2019. Photo Claude Germain Archives Fondation Maeght


au programme arts visuels gard hérault 35

Super/Surfaces Clin d’œil au groupe Supports/Surfaces, l’exposition du CACN réunit 9 artistes en jouant sur « le rappel, l’évocation de ce groupe fondateur de l’art contemporain français », explique Géraldine Dufournet, commissaire. Le rapport à la matière est en effet pour eux singulier : sang, vin, poussière, travaillée par imbibition, absorption, injection... A.Z. 12 janvier au 30 mars Centre d’Art Contemporain de Nîmes 09 86 41 60 33 cacncentredart.com Laurence De Leersnyder, Relief en creux, béton réfractaire, 60x30x7cm, 2016

Mario Chichorro Portugais installé à Perpignan depuis les années 60, son œuvre fut signalée par le promoteur de l’art brut Claude Massé à Jean Dubuffet, qui l’intégra aussitôt dans les collection du musée de Lausanne. Son travail combine peinture et sculpture, à la façon de véritables bas-reliefs historiés, évoquant les chapiteaux du Moyen-Âge. A.Z. jusqu’au 31 mars Musée d’Art brut, Montpellier 04 67 79 62 22 atelier-musee.com

Chichorro La Femme Tatouée 39x32 1989

Jocelyn Cottencin Christian Rizzo, directeur du centre chorégraphique de Montpellier, lui même plasticien en plus d’être chorégraphe, intègre à sa programmation des artistes d’art contemporain. Conçu comme un projet éditorial à activer, le travail de Jocelyn Cottencin positionne l’échauffement (du danseur) comme un matériau poétique. Des temps de pratique seront proposés en parallèle à l’exposition. A.Z. Échauffement général jusqu’au 1er mars, puis du 27 mai au 5 juillet ICI, Centre chorégraphique, Montpellier 04 67 60 06 70 ici-ccn.com

© Jocelyn Cottencin

Manuela Marques Soucieuse d’associer le nouveau musée de Lodève à un regard contemporain, la directrice Yvonne Papin initie un programme de résidence avec la photographe vidéaste Manuela Marques. Par une approche intime et sensible du paysage du Causse, elle a intégré ses « récoltes visuelles » dans de grandes compositions où l’illusion d’optique fabrique un nouveau paysage. A.Z. Et le bleu du ciel dans l’ombre 12 janvier au 19 mai Musée de Lodève 04 67 88 86 10 museedelodeve.fr Manuela Marques, Recomposition 1, 2016, impression pigmentaire sur papier R.C, 100x150 cm © ADAGP Paris 2018


36 critiques

Traverser la couleur Six peintres sortent de l’ombre portée par la critique et les modes, et retrouvent la lumière au musée Granet.

Jean Le Moal, Garrigue, 1959, huile sur toile, 81 x 100 cm © Jean Le Moal (1909-2007), Collection particulière © ADAGP, Paris 2018

A

près l’École de Paris des années 1920-30 raillée par certains critiques d’art, est apparue en 1944 la Nouvelle École de Paris autour d’un petit groupe de peintres : Jean Bazaine, Roger Bissière, Elvire Jan, Alfred Manessier, Jean Le Moal et Gustave Singier. Ni mouvement, ni esthétique commune, avec l’amitié seule comme ciment et Roger Bissière en figure d’ainé. Cette configuration était donc avant tout celle d’un groupe d’amis qui travaillaient souvent ensemble, dans les mêmes lieux et traitaient des mêmes sujets, et qui, au Salon d’Automne, fit sensation avec leurs tableaux aux couleurs vives et lumineuses dont André Lhote salua le « jeu des couleurs, du rythme des lignes et aussi de la vérité métaphorique de ces signes inventés ». Conscients de l’importance des anciens (le retable d’Issenheim peint par Grünewald pour Bissière, les Primitifs pour Singier), influencés par les maitres (Cézanne au premier rang), ayant retenu la leçon de Monet s’agissant de la lumière, de Bonnard et de Rouault s’agissant de

la couleur, ils développèrent un langage nouveau qui n’avait d’égal que la puissance de la musique à laquelle ils se référaient souvent. Un « langage nouveau » dans le contexte de la Libération de Paris et la fin de l’occupation allemande, qui trouva son apogée vers 1950/60 avant d’être bientôt détrôné par la peinture américaine. Un groupe quelque peu tombé aux oubliettes, excepté au musée Granet qui accueille l’étape aixoise de l’exposition Traverser la lumière organisée par la Fondation Jean et Suzanne Planque.

Un mimétisme troublant Si, comme il est écrit dans la préface du catalogue, ces peintres « ne se soucièrent nullement d’unifier ni de théoriser leurs positions, et moins encore de publier un manifeste », leur filiation formelle est flagrante. Difficile exercice que de les distinguer tant leur évolution stylistique est concomitante, certes déployée par Elvire Jean dans de petits formats tandis que Manessier s’épanouissait dans de grandes toiles. Leur passion commune

pour la couleur et la lumière était-elle à ce point dévorante qu’elle assombrit les aspérités de tel ou tel, gomma les libertés de l’un ou de l’autre au point de rendre la lecture de l’ensemble monotone ? Ce sentiment domine malgré le parcours chronologique et thématique qui donne à voir l’évolution de leurs recherches entre non-figuration et non-abstraction. Qui accentue leurs lignes de force : de la création d’une partition colorée structurée et ordonnancée sous influence cubiste à l’émancipation de la forme par rapport à la réalité visible et tangible ; de la construction par juxtaposition de petites cellules au jaillissement de la lumière jusque-là filtrée, sous-jacente, diffuse. Mais aussi leurs faiblesses : une stupéfiante porosité entre les œuvres, peintures et dessins, quelle que soit la période, de la « Genèse de formes élémentaires » telles la ligne, la flèche ou l’étoile qui interagissent à « L’espace rayonnant » aux énergies discontinues, aléatoires et aux formes mouvantes, en apesanteur. L’exposition met à mal leurs singularités mais souligne, au contraire, l’identité commune d’un groupe qui développa sa peinture comme un chant intérieur, composa un « chœur » d’œuvres tour à tour quadrillées et rigoureuses, tumultueuses et chaotiques, apaisées et cosmiques. Avec la couleur, plus que la lumière, comme obsession tenace. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

En 2011, la Fondation Jean et Suzanne Planque a déposé au musée Granet le fonds du collectionneur suisse Jean Planque (1910-1998) constitué de quelque 300 peintures, dessins et sculptures depuis les impressionnistes et post-impressionistes jusqu’aux artistes majeurs du XXe siècle. L’essentiel est présenté dans la chapelle des Pénitents blancs, réaménagée en un nouvel espace d’exposition en 2013. Traverser la lumière jusqu’au 31 mars Musée Granet, Aix-en-Provence 04 42 52 88 32 museegranet-aixenprovence.com


37

Retour sur le passé L’Hôtel départemental des arts de Toulon fait une pause dans sa programmation internationale à l’occasion de l’expositionanniversaire de l’association Elstir.

L

’exercice de l’exposition collective sans pièces de Sophie Menuet qui poursuit ses thématique et intergénérationnelle recherches autour de la représentation du peut s’avérer problématique dans sa corps féminin dans des harnachements cohérence. Certains visiteurs de 30 ans suggestifs, des objets iconiques et joue sur et après… l’ont vécu comme un handicap la dualité entre douceur (étoffes, plumes, quand d’autres n’en furent pas effrayés. etc.) et dureté (carcans et corsets). L’efQuestion d’émotion ou de manque d’émo- fet puzzle s’intensifie de salle en salle tion, de compréhension ou d’interrogation par la juxtaposition d’univers opposés, face aux œuvres produites pour l’occa- contradictoires, éclectiques : les pièces sion par douze artistes dont l’unique lien d’Alain Pontarelli se font écho au point est d’avoir participé au « Rendez-vous de croire en une seule installation dont des jeunes plasticiens » de l’association Elstir. Créé en 1983 à la MJC de Toulon le « Rendez-vous Varois » est devenu au fil du temps le « Rendez-vous des jeunes plasticiens » dans une version itinérante dotée de nombreuses récompenses : Prix Passerelle, Prix Louise Baron, Prix du Conseil départemental, Prix Artimômes. Pour Jérémy Laffon, Constructions protocolaires aléatoires (n°I-5, I-21, I-23), 2017 © Jérémy Laffon promouvoir l’art contemporain, Elstir avait donc initié le dénominateur commun est le bagne un tremplin, une fenêtre de visibilité colonial de Saint-Laurent-du-Maroni en qui perdure encore auprès du public, Guyane française, et son assemblage de des institutionnels, des médias et des matériaux végétaux et naturels qui envaprofessionnels. hissent les anciennes structures en fer tors formé ou soudé ; Florian Bruno Une exposition-puzzle habille le vestibule de l’hôtel particulier En écho à l’action d’Esltir sur le terri- d’un plaquage bord à bord de toiles aux toire varois, l’Hôtel départemental des formes géométriques et d’effets miroir ; arts ouvre ses espaces à des productions dans l’espace réservé aux activités pédarécentes et inédites mises en espace par gogiques relooké en gris, Jérémy Laffon l’artiste Raoul Hébréard. Par chance dispose rigoureusement quatre tables de chaque plasticien bénéficie d’un espace jeu surmontées de sculptures aléatoires personnel qu’il habite à sa guise : dans en chewing-gum, instables, aux prises un dénuement assumé par Nicolas Ru- du temps et de l’effondrement inélucbinstein avec sa sculpture suspendue Le table. Un semblant de salon-boudoir acdessous prend le dessus (ou La vie en rose), cueille une série de photographies anoou son contraire, dans une profusion de nymes de la fin du XIXe et du début du

XXe siècle ornées de velours noir par Corinne De Battista, tandis que Johanna Quillet et Paolo Boosten conservent un accrochage muséal classique pour leurs travaux sur la mémoire. L’une à travers une pratique non documentaire de la photographie au Camp de Rivesaltes et le rapport photographie/image, l’autre en brossant à l’encre de chine sur papier de grandes « fresques » sur notre société de consommation, avec une maitrise consommée du dessin et de la référence aux maitres (sa version contemporaine du Radeau de la méduse est une prouesse technique). On gardera pour la fin la terrible annonce du décès prématuré et programmé de Moussa Sarr qui signe ici sa dernière exposition, n’hésitant pas à barrer son propre nom d’un double trait ni à rugir comme un lion après avoir bourdonné comme une mouche et grimacé comme un singe. Ultime geste artistique avant une prochaine renaissance sous les traits d’un nouveau personnage, Narcisse (!), « à la fois avatar, métamorphose et réincarnation de l’artiste décédé ». M.G.-G.

30 ans et après… jusqu’au 24 février Hôtel départemental des arts, Toulon 04 83 95 18 40 hda.var.fr


Les films à ne pas louper cette semaine

petit

La promesse de l’aube d’Éric Barbier lundi à 13h35

écran

Le musée des merveilles de Todd Haynes lundi à 20h50 Prête à tout de Gus Van Sant lundi à 20h55 Jacquot de Nantes d’Agnès Varda lundi à 21h La femme sur la Lune de Fritz Lang lundi à 0h35

Opération Lune samedi à 23h30

Irréprochable de Sébastien Marnier mercredi à 20h55 La planète des singes : suprématie de Matt Reeves mercredi à 22h45 Ouvrir la voix d’Amandine Gay jeudi 17 à 9h50 Le voleur de Louis Malle vendredi à 13h35

Rembob’Ina : Strip tease dimanche à 21h Patrick Cohen consacre ce nouveau numéro de Rembob’Ina à un programme devenu culte : Strip-tease, « l’émission qui vous déshabille », créé pour la RTBF en 1985, puis diffusé en France la décennie suivante. Après la diffusion de trois épisodes, sur un concours de tuning et le quotidien de paysans en Lorraine, place aux invités plateau. Marco Lamensch, co-créateur de l’émission, en rappelle les principes de tournage : « faire du documentaire, avec la grammaire du cinéma de fiction », mais aussi « filmer la comédie humaine », avec une ambition quasi sociologique. On apprend aussi que la fameuse bande-son du générique, inspirée par un thème musical venant du Mali, a été jouée par une fanfare ayant abusé du vin blanc ! À signaler : la publication récente du livre Strip-tease se

Avec ce joli tour de passe-passe, William Karel signait son premier « documenteur », visant à alerter sur le pouvoir des images et la manipulation des infos. Ici, il s’agit d’accréditer la thèse selon laquelle l’homme n’aurait pas marché sur la Lune : les images auraient été commandées à Stanley Kubrick, qui les aurait filmées en studio… Réalisé à partir d’un habile montage de vrais entretiens d’époque - Donald Rumsfeld, secrétaire d’État à la Défense, Henry Kissinger, conseiller du président pour la sécurité nationale, ou encore Buzz Aldrin, coéquipier d’Armstrong - le résultat est troublant. Le documentaire s’intègre dans la programmation spéciale Winter of Moon, concoctée par Arte pour célébrer le 50e anniversaire de la mission Apollo 11. Dès 20h50, la chaîne diffuse L’homme et la lune, un documentaire en trois volets.

déshabille (Éditions Chronique), dans lequel Marco Lamensch révèle anecdotes, choix et méthodes, mais aussi regrette quelques erreurs.

Dans le même bateau lundi à 10h15

« L’histoire des sourds est mal connue, même des sourds », observe Laurent Valo, coréalisateur de l’émission L’œil et la main, diffusé depuis 25 ans sur le service public. Pour ce nouveau numéro, la réalisatrice Hélène Hugounenq suit une croisière exclusivement proposée en langue des signes : la Deaf Cruise. À bord, 350 sourds venus de 23 pays différents profitent d’un séjour entre cieux et flots, affranchi des normes d’une société entendante, dans laquelle ils doivent chaque jour fournir des efforts de communication

pour s’intégrer. Au programme, les mêmes réjouissances que sur n’importe quelle traversée : spectacles, jeux grandeur nature, tournois de poker, mais aussi night-clubbing en discothèque.

La Grande-Bretagne sauvage de lundi à vendredi à 19h Bouffée d’air frais du côté de la Grande-Bretagne pour accueillir 2019. La réalisatrice Laura Humphreys aborde l’île à travers cinq écosystèmes, recelant une beauté encore très sauvage. Lundi, gros plan sur les montagnes et les hautes terres, à la rencontre notamment de l’aigle royal dans les somptueuses Highlands. Mardi, balade en forêt, du côté du compté de Gloucestershire. Mercredi, séjour sur les côtes, depuis Norfolk hébergeant un tiers de la population


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mondiale de phoques gris, jusqu’au nord-ouest du Pays de Galles, lieu de nidification des guillemots. Jeudi, un tour sur les îles, et enfin vendredi, dans les campagnes.

Prisons : le combat d’une députée lundi à 20h La députée Yaël Braun-Pivet, ancienne avocate pénaliste et actuelle présidente de la Commission de Lois de l’Assemblée nationale, cherche à aménager les fins de peines pour faciliter la réinsertion des détenus. Dans ce nouvel opus de LCP le Mag, la réalisatrice Alice Rougerie suit l’élue tout au long de son tour de France des prisons, visant à recueillir idées et suggestions. Parmi les 17 structures visitées, de Fresnes à Villejuif, sont évoqués prisons sans barreaux ou intégrées dans la ville, ateliers d’apprentissage pour travailler, espaces de libertés délimités… Autant de prémisses pour les « structures d’accompagnement vers la sortie » (SAS), que le gouvernement a prévu de créer d’ici 2022. On découvre également le premier SAS de France, ouvert en juin dernier aux Baumettes, dans l’ancienne maison d’arrêt pour femmes. Mais aussi le méconnu centre de détention de Mauzac, l’un des plus ouverts du pays. Composé de 21 pavillons entourant une place centrale, il a été pensé par Robert Badinter il y a déjà 30 ans.

Les junkies d’Hitler

Pandas dans la brume du lundi au vendredi 22h15

France 5 diffuse la 2e saison adaptée de l’œuvre de Tignous, dessinateur de Charlie Hebdo disparu en 2015. À travers les pandas, espèce en voie de disparition, la série moque les travers de notre société : ultra connectée, consommatrice à outrance, adepte du tourisme de masse, autant qu’inventive pour survivre aux maux qui la menacent. La musique est signée du groupe Tryo, et les scénarios concoctés par François Rollin, Guillaume Meurice, Charline Vanhoenacker et François Morel.

L’âge d’or du X français mardi à 0h25

En retraçant les débuts du cinéma érotique en salles obscures, les réalisateurs Laurent Préyale et Nicolas Castro esquissent en creux les évolutions sociétales de la France, entre censure et libération des mœurs. En fil rouge, de savoureux extraits de JT d’époque rappellent un contexte tendu, entre coups d’éclat de Jean Royer, alors maire de Tours, et signature du Manifeste de 343 salopes, réclamant le droit à l’avortement. C’était aussi l’époque des Valseuses, de La Maman et la putain ou d’Emmanuelle… Mais aussi de Gorge profonde, dont Francis Mischkind analyse le contexte de tournage. Jean Rollin, fer de lance du cinéma bis, commente quant à lui l’arrivée du X dans les cinémas de quartier des années 70. À lire sur la même thématique : la BD Coney Island Baby, de Nine Antico (L’Association). JULIE BORDENAVE

lundi à 20h30 Le réalisateur François Pomès se penche sur la genèse du Pervitin, une puissante drogue à base de méthamphétamine produite en 1938 par un laboratoire allemand, et rapidement utilisée par la Wehrmacht. Euphorisante, galvanisante, peu chère, elle sert à doper soldats et gradés du Reich pour mener à bien les projets de conquête d’Hitler. Le documentaire est suivi du débat Drogues, une arme de guerre ? animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de William Lowenstein, addictologue, co-auteur du livre Toxic (Odile Jacob) ; Cédric Mas, juriste, historien et président de l’Institut Action Résilience ; Philippe Vigier, député d’Eure-et-Loir, président du groupe Libertés et Territoire, et le réalisateur.

Tout est vrai ou presque de lundi à vendredi à 20h49

En ce début d’année, Arte diffuse de nouveaux épisodes inédits de cette série d’animation. En trois minutes saccadées, les réalisateurs Nicolas Rendu, Vincent Brunner et Christophe Abric retracent la biographie d’une personnalité, à base de théâtre d’objets, de peluches et de figurines. À grappiller jusqu’à vendredi dans cette nouvelle cuvée : un focus sur Alfred Hitchcock, dont on apprend qu’il aimait, farceur, déposer du laxatif dans les cafés ; mais aussi sur l’écrivain Stephen King, ou encore la chanteuse Billie Holiday.

Et aussi… 300 millions de critiques, au Collège de France samedi à 19h05 Yoga, médecine traditionnelle de l’Inde dimanche à 13h45 L’ultime voyage de Romanov dimanche à 22h35 Le faussaire qui aimait trop Galilée lundi à 15h45 Homéopathie, bientôt la fin ? mardi à 20h50 Les archives secrètes du ghetto de Varsovie mardi à 20h50 La Ve République, au cœur du pouvoir mardi à 21h À l’école des infirmières mardi à 21h Ma patrie, la Lybie mardi à 0h10 Le mystère des jumeaux mardi à 0h30 Garde nationale, deux fois citoyen mardi à 0h10


40 au programme cinéma

An Elephant Sitting Still

An Elephant Sitting Still de Hu Bo © Bookmakers films

I

l est des films qui vous tombent des yeux dès la fin du générique et parfois bien avant. Et puis il y a ceux qui vous collent à la rétine longtemps après leur réception, « travaillent » en vous, vous travaillent en profondeur. An Elephant Sitting Still de Hu Bo fait partie de cette dernière catégorie. Si vous avez raté ce film projeté en avant première au FID puis au festival Image de ville, courez

Film de la semaine

É

le voir. Ne vous effrayez ni de sa durée (3h50) ni de son propos désenchanté. On est au Nord de la Chine, dans une ville post-industrielle plongée dans le smog : palette des couleurs ternies au monoxyde de carbone, fluctuations des gris. On ne peut ouvrir la fenêtre, sauf pour se défenestrer. L’odeur de poubelles, de décomposition est partout. Au propre comme au figuré. Un paysage éventré :

Film de la semaine démolitions, chantiers, taudis. Une école « de classe » qui ne mène à rien. Une société déshumanisée marquée par la pauvreté, les exactions, la corruption, la délinquance. La déliquescence des relations familiales fondées sur la violence, l’égoïsme, l’absence d’empathie, la haine de soi et des autres. Un lieu étouffant, inhabitable où les citadins sont piégés, mais se débattent à peine, englués dans une vie perçue comme « un grand terrain vague » ou « une lente agonie ». Un train passe mais ne semble pas vouloir s’arrêter. Ou alors ils n’ont plus les tickets pour le prendre. Et puis, d’ailleurs, comme l’affirme un d’eux : « changer de ville ne sert à rien, la vie c’est comme ça, ça ne s’améliore jamais. » Un monde apocalyptique où le réalisateur, en un montage choral, suit plus particulièrement la ronde tragique de quatre personnages : deux lycéens, fille et garçon, un vieil homme et un voyou mélancolique. Dans un huis clos à ciel ouvert, en 24 heures, leurs trajectoires vont se croiser, se fédérer vers le même rêve : partir pour la ville de Manzhouli.

Les Invisibles

dith (Piaf), Brigitte (Macron), Catherine (Lara), Lady Di, Simone (Veil), Dalida, dans un centre d’accueil de jour ! Ce sont les noms choisis par les femmes qui essaient de se réinsérer et qu’a sélectionnées Louis-Julien Petit pour son troisième film, après Discount et Carole Matthieu : Les Invisibles. Inspiré par la lecture de Sur la route des Invisibles de Claire Lajeunie qui complétait son documentaire Femmes invisibles, survivre dans la rue, il est allé rencontrer des femmes SDF dans différents centres d’accueil à travers la France, et a ainsi découvert le métier des travailleurs sociaux, principalement des femmes. L’histoire commence au moment où Catherine, qui avait obtenu une chambre dans un hôtel social, la quitte pour revenir au centre d’accueil de jour, L’Envol... dont la fermeture vient d’être décidée, parce trop peu rentable. Il n’est

pas question d’accepter et la lutte va s’organiser. À la tête de ce combat, Audrey (Audrey Lamy), soutenue par un frère bienveillant (Pablo Pauly), est prête à tout pour sauver ces femmes de la précarité et de l’exclusion. Elles doivent pouvoir retrouver confiance en elles et un travail. Elle va donc proposer des ateliers thérapeutiques, aidée par une bénévole, Hélène (Noémie Lvovsky), qui Les Invisibles de Louis-Julien Petit © JC Lother soigne ses blessures d’épouse malheu- accueillies, Chantal (Adolpha Van Meereuse, et la directrice du centre (Corinne rhaeghe) à qui les années de prison ont Masiero), épuisée mais d’une grande hu- permis d’acquérir toutes sortes de commanité. Il y a aussi Angélique (Déborah pétences, sait tout réparer. Trop honnête, Lukumuena, César du meilleur second elle ne peut s’empêcher de révéler lors rôle dans Divines) une adolescente an- des entretiens d’embauche qu’elle a tué cienne SDF, fragile et forte, qui se met son mari qui la battait. Julie (Sarah Suco) facilement en colère. Parmi les femmes a du mal à saisir la main qu’on lui tend...


philolitté

Là, un éléphant échappé d’un cirque reste assis à méditer, immobile, absent au monde et aux hommes. Légende urbaine ? Exemple de résistance philosophique au matérialisme cynique ? Lueur dans la nuit ? Le dernier plan, par sa puissance poétique, maintient cet espoir-là au bord des précipices. Tout au long du film la caméra saisit les protagonistes de dos, les prend à la nuque. Plans séquences, confrontations duelles où le réalisateur fixe la caméra pour exclure le champ/contre champ et accueillir le flou. La mise en scène hypnotique, virtuose, tient en haleine et aux tripes comme le ferait un thriller. Hu Bo, à l’exemple de deux de ses protagonistes, s’est suicidé, avant la sortie de ce film adapté de son propre roman. « Personne ne comprend sa propre existence » fait-il dire à l’un de ses personnages. Premier et dernier film de ce jeune écrivain-réalisateur, An Elephant Sitting Still brosse le portrait sans concession d’un pays-monstre qui broie ses enfants. Un chant désespéré qui n’est pas des plus beaux parce qu’il est désespéré, mais bien parce que Hu Bo a su lui donner l’exacte forme de ce désespoir. ELISE PADOVANI

An Elephant Sitting Still de Hu Bo est sorti le 9 janvier (3h50)

Hommage à ces Invisibles, femmes que la société ne voit pas, et à celles qui les accompagnent, le film de Louis-Julien Petit, tout en posant le problème de la réinsertion, nous plonge dans un quotidien difficile mais plein de solidarité et d’espoir. « La comédie est la seule passerelle entre un sujet dur et les spectateurs » a précisé le réalisateur lors de l’avant première à Cinemed en octobre. « J’ai eu envie de faire un film solaire et porteur d’espoir dont le cœur serait le groupe, la cohésion et l’entraide face à l’adversité. J’ai voulu plonger le spectateur dans le milieu de la grande précarité par le biais de situations drôles et émouvantes, sans jamais éluder la réalité dramatique. » Et même si l’on peut trouver quelques séquences un peu trop « douces » par rapport au réel, comme celle de l’intervention de la police, le pari est réussi. ANNIE GAVA

Solitude de la fille perdue

I

l y a dans la trilogie marseillaise de Pagnol une pseudo morale lourdingue qui nous colle à l’identité régionale. Cette jeune Fanny amoureuse d’un fils de bistroquet, fille d’une poissonnière, vendue au vieux Panisse parce qu’elle est enceinte pour préserver les apparences, fait l’objet d’un marchandage immoral : Panisse a l’âge d’être son père, le fils de Marius lui est volé, et le lit conjugal a des relents de mariage forcé. Gilles Ascaride s’attaque à cette histoire ambigüe en inventant très pertinemment le sequel marseillais : il ressuscite le personnage de Zoé, la tante « fautive » de Fanny, la sœur perdue d’Honorine. Il lui donne une histoire et une dignité : elle aime la vie, le sexe, couche avec un Africain, une femme, fait de la résistance, de la politique, au gré de son désir. Et elle dit toute sa rancœur contre l’hypocrisie de ces petits commerçants qui l’ont mise à la rue, et ne l’ont pas laissée sauver sa nièce. Elle est bien sûr bien plus morale que les personnages de Pagnol... Ainsi ce Zoé, écrit comme un monologue de théâtre, un huis clos où le personnage vieilli, solitaire, s’adresse à son chat, a toute la truculence verbale de l’auteur marseillais, membre de l’overlittérature. Celle qui croit, avec Henri-Frédéric Blanc, à « l’universalité de l’esprit marseillais », à la littérature qui se fabrique loin des cercles parisiens, par un travail sur l’oralité et ses inventions régionales. Son discours féministe est bienvenu, drôle et populaire, édité bien sûr au Fioupélan... qui pour l’heure, sur 24 titres, ne compte qu’un livre de femme. Après ce récit féministe, l’universalité marseillaise très masculine laissera-t-elle les femmes exprimer leur esprit directement ? AGNÈS FRESCHEL

Les Invisibles, de Louis-Julien Petit, est sorti le 9 janvier (1h42)

Zoé Gilles Ascaride Éditions du Fioupélan, 10 €

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Une semaine sur deux

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oignante histoire que celle de Lupin, un jeune homme qui se fait littéralement rapter sa vie par une facétie du sort. Un beau jour, le jeune homme constate qu’un alter ego prend les rênes de sa vie un jour sur deux, le laissant amnésique à chaque réveil. Ces jours qui disparaissent, ce sont donc les siens, grignotés au quotidien par cet avatar intrusif qui prend de plus en plus de place. Sur une trame de SF, l’histoire laisse une large part à la psychologie des personnages. Entre phénomène paranormal ou trouble de la personnalité, Timothé le Boucher ne tranche pas. Il opte plutôt pour la symbolique des situations engendrées : la personnalité du battant qui écrase celle de l’acrobate rêveur, pas assez rentable pour la société ; le degré de résistance des différents liens, familiaux,

amoureux, amicaux... Le moteur premier du jeune auteur de BD, c’est de raconter des histoires. En ce sens, il est bien un enfant du manga, qui aime à délier une narration des tomes durant, en s’attardant sur la psyché et l’évolution des protagonistes, dans des univers d’aventures (shônen) ou baignés d’eau de rose (shôjo). Les adolescents ne s’y sont pas trompés, et c’est d’ailleurs à eux que s’adressaient les deux premiers ouvrages de l’auteur (Skins party chez Manolosanctis en 2011 ; Les vestiaires chez La Boîte à Bulles en 2014). Avec Ces jours qui disparaissent, ce fan d’Hitchcock complexifie son intrigue, affirme un don pour les ressorts scénaristiques, en bref, franchit un cap dans la maturité, malgré un trait toujours un peu simpliste. Mais que les lecteurs rétifs à son

graphisme - entre ligne claire et manga shônen – ne se laissent pas décourager. De son propre aveu, Le Boucher aime dessiner vite pour aller à l’essentiel, et camper des « éléments iconiques » permettant d’identifier les personnages, tout en fuyant les stéréotypes. Or l’essentiel ici, c’est bien l’observation de ce moment charnière de l’entrée dans la vie adulte. La délicatesse dans l’analyse et la maîtrise du rythme permettent de dévorer l’épais ouvrage d’une traite : 192 pages baignées d’une terrible mélancolie, à l’aune du récit d’une vie qui a filé… deux fois trop vite. JULIE BORDENAVE

L’ouvrage a été couronné du Prix Littéraire des lycéens et apprentis de la Région Sud PACA.

Ces jours qui disparaissent Timothé le Boucher Glénat 1000 Feuilles, 22,50 €

Étrangers partout

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elle couverture illustrée de masques africains et un titre étrange, la bande dessinée de Birgit Weyhe, sélectionnée pour le Prix littéraire des lycéens et des apprentis de la région Sud/PACA, intrigue certainement plus d’un flâneur dans les librairies. Madgermanes est en fait une déformation de « Made in Germany », nom que se sont donnés les milliers de Mozambicains envoyés dès 1979 en ex-RDA, république socialiste amie depuis la fin du joug portugais, pour lui fournir une main d’œuvre bon marché. Une partie de leur salaire devait leur être versée sur un compte dans leur pays et leur permettre ainsi une meilleure qualité de vie à leur retour. Allemande, Birgit Weyhe a bien connu l’Afrique de l’Est où elle a passé son enfance. S’inspirant de témoignages d’Africains sur ces événements peu connus, elle propose en trois volets le récit poignant du parcours de trois Mozambicains, une femme et deux

hommes, dont les destins se sont croisés en RDA, partageant leurs espoirs, apprennant l’allemand et travaillant dur pour un retour plus confortable au pays. José se souvient de son arrivée en hiver 1981, dans un froid inconnu, et de la découverte de la bibliothèque, tandis que son voisin de chambre fait souvent le mur du foyer pour aller en ville draguer les filles blanches. Il tombe amoureux d’Anabella qui prend des cours du soir, plus lucide que lui sur leur condition de travailleurs exploités et sans avenir alors qu’il s’engage dans les activités culturelles du Front de libération du Mozambique. Elle seule restera en Allemagne sans s’y sentir totalement acceptée tandis que les deux hommes seront mal accueillis par leurs semblables, « étrangers dans

leur propre pays » décimé par la guerre civile et leur argent « envolé », passé dans les caisses des dirigeants. Ces trois parcours évoquent ceux de tous les exilés, ces migrants prêts à tout, si mal accueillis, victimes de racisme, exploités, puis rejetés par les leurs. Malgré ce constat douloureux ce roman graphique se lit, se refeuillette avec plaisir, tant le trait noir sur fond blanc, souligné de bistre, est séduisant, sobre et net. On s’attarde sur les doublespages qui sont de vrais tableaux. Un bel album à découvrir. CHRIS BOURGUE

Madgermanes Birgit Weyhe Cambourakis, 24 €


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Reines d’Aubrac

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ur la couverture, le médaillon de deux adolescentes. « Tout est déjà sur cette photo, dont la forme circulaire symbolise la relation exclusive des sœurs Rigal. Le sérieux d’Annie, sa gravité, sa constance, sa compréhension du danger extérieur. Le charme rebelle de Douce, sa désinvolture, sa fragilité. » Alto Braco, le deuxième roman de Vanessa Bamberger, rend un émouvant hommage à ces deux femmes, les deux « grands-mères » de Brune, la narratrice. Deux sœurs inséparables qui l’ont élevée dans l’appartement au-dessus du Catulle, le bistrot parisien qu’elles ont fait tourner des années durant, dures à la tâche et près de leurs sous. Pas de vacances, peu de sorties. Douce et Annie, dite Granita, ne sont même jamais retournées dans leur

village natal du nord de l’Aveyron, dont le nom, Lacalm, a fini par devenir dans leur bouche une sorte d’insulte. L’histoire commence pourtant par un retour au pays : fin octobre, Douce vient de mourir ; elle a souhaité être enterrée là-bas. Brune et Granita ont donc organisé le transport du corps jusque sur ces terres d’Aubrac dont la jeune femme ne garde que de lointains souvenirs d’enfance (elle y allait, un temps, l’été, envoyée par ses grands-mères en vacances à la ferme). Ce voyage va être le premier d’une longue série d’allers-retours, et pas seulement en termes de déplacement dans l’espace. Au fil de cette histoire, dont les quatre parties composent un menu –mises en bouche, hors d’œuvre, viandes, entremets- car, comme le répète Granita, « tu es

ce que tu manges », c’est à un voyage dans le temps que Brune est appelée. Un saut dans un passé trop longtemps tu, peu à peu révélé. Au hasard des rencontres. Au gré des confidences. Une histoire de famille donc. L’histoire d’une région aussi. Avec Brune, on arpente la lande sauvage de ce pays du bout du monde à l’implacable beauté, de cet « immense couvent à ciel ouvert ». Avec elle, on découvre les techniques d’élevage de ces vaches au « regard onyx souligné d’un trait noir ». Avec elle, on comprend combien il est difficile (mais si tentant) de trouver sa place dans cet âpre « haut lieu ». FRED ROBERT

Alto Braco Vanessa Bamberger éditions Liana Levi 19 €

Dans la sidération

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oris Le Roy a écrit un roman d’une traite. Sans majuscule, sans autre ponctuation que des virgules. Le roman s’articule en chapitres pourtant, qui permettent des respirations. Car le lecteur a besoin, régulièrement, de reprendre son souffle, tant la scène – tout se déroule en une scène- est terrorisante. Au sens propre : Ona est un agent de l’ONU envoyée relever les traces scientifiques après un attentat sur le marché d’Abuja, au Nigéria. L’horreur y règne, des premières aux dernières pages, dans des descriptions aux détails glaçants qui n’épargnent ni la réalité matérielle, ni les pensées et sentiments que le personnage éprouve. Des digressions, bienvenues, font surgir des bribes de l’histoire d’Ona : l’amant qu’elle a laissé, son arrivée en Afrique, ses collègues qu’elle forme au relevé scientifique. Son chauffeur surtout, dont elle découvre la tête sans corps sur ce marché où il l’avait conduite quelques jours

et cette innovation importées qui la détruisent. Peu à peu elle comprendra comment le terrorisme s’est fait une place dans ce chaos. Car peu à peu aussi les explications de l’explosion vont prendre forme, dans une enquête intérieure où Ona rassemble les indices trainant dans sa mémoire, et sa conscience. Haletant, sidérant, comme un polar au systématisme narratif déroutant, mais qui ose plonger aux racines intimes et politiques du mal. AGNÈS FRESCHEL

auparavant... Peu à peu la présence de l’Occident est interrogée, les ONG et leurs méthodes, la lente mise au pli d’une Afrique dépouillée de ses modes de vie, appauvrie, exploitée, en particulier par cette science

L’Éducation occidentale Boris Le Roy Actes Sud, 17,50 €


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De l’illustre théâtre en Chine

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vec son dernier ouvrage, Roman d’un saltimbanque, Jacques Pimpaneau poursuit son itinéraire dans l’histoire de la Chine. L’érudit sinologue trace un panorama vivant et passionnant de la Chine du XVIIe siècle de notre ère, à travers les mémoires qu’offre le jardinier d’un monastère bouddhique à un jeune et riche lettré qui par ennui a décidé de passer les examens impériaux et s’est installé dans ces lieux reculés pour réviser ses connaissances. L’art du récit dans le récit permet une plongée palpitante dans les diverses provinces chinoises. On voit le futur jardinier enfant apprendre l’art du spectacle auprès de son père conteur dont plus grand il fuira l’autorité pourtant bienveillante pour voler de ses

propres ailes. Serveur dans un salon de thé, il suit une troupe d’opéra en tant qu’accessoiriste puis comme acteur. Entre les notes sur le quotidien, les faits croqués sur le vif, un monde prend vie, grouillant de personnages, de rebondissements. Mais surtout, font irruption les contes, les histoires qui nourrissent les œuvres jouées par la troupe d’opéra itinérante ou par les conteurs. Un éventail d’une grande et éclectique richesse se dessine, ici les disputes des divinités du panthéon chinois, là, des scènes de genre, des tragédies, des farces. Les thèmes pourraient être traités par Molière ou Corneille ! À cet humus commun, s’ajoutent les mythes particuliers comme celui du Serpent Blanc, (que l’on pourrait sans doute rapprocher

de celui de la Mélusine de Lusignan). La liberté du protagoniste, son détachement des choses matérielles, - quelques livres suffisent -, lui font arpenter les routes de la Chine, fréquenter divers milieux, et accordent une acuité sans concession à sa description des mœurs, des modes de pensée et des codes de la société de son temps. « Avant-gardiste », le protagoniste évoque la pérennité de la « barrière infranchissable entre ceux qui [ font] passer avant tout l’ordre social et ceux qui ne [peuvent] s’empêcher de s’agripper à leurs rêves de liberté, et ne [restent] pas indifférents aux souffrances et au bonheur du peuple »… Bonheur des mots, dont les étymologies parfois données soulignent l’intense beauté, d’une phrase libre et précise, d’une vie qui se choisit malgré tout… MARYVONNE COLOMBANI

Roman d'un saltimbanque Jacques Pimpaneau éditions Picquier, 14 €

Restituer un monde

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elle est l’ambition de Nicolas Mathieu, lauréat du Prix Goncourt 2018 pour Leurs enfants après eux. Élucider et fixer le monde comme il va, « faire tomber les masques » dans la lignée des grands écrivains réalistes, Flaubert, Céline, auquel le jeune romancier voue une admiration sans bornes, pour leur style, leur capacité de dévoilement. Son premier roman, Aux animaux la guerre (récemment adapté en série télévisée), avait pour toile de fond la crise de 2008, les fermetures d’usines, la « violence sociale qui débouche sur la violence tout court », car les effets des crises sont différents selon que l’on est « puissant ou misérable ». Avec Leurs enfants après eux, Mathieu aborde la question de la fatalité sociale. À nouveau, un titre qui en dit long ; un titre-citation, de l’Ancien Testament cette fois. Au travers de l’histoire d’Anthony, d’Hacine, de Steph et de tous les autres (car ils sont nombreux, les personnages de ce somptueux roman choral), dans la moiteur de quatre étés (1992, 1994, 1996, 1998), c’est

tout un monde qui se déploie. Un monde en marge des grandes villes « mais qui parle pour toute la France » ; un univers où les milieux - résidentiel, pavillonnaire, ZUP - se frottent selon des circulations inattendues, où les mécanismes de domination s’installent, où tout se combine pour que les jeunes reproduisent le modèle de leurs pères. Mais où ils ont (grâce de la fiction ?) « leur carte à jouer et la jouent ». Nicolas Mathieu excelle à rendre les torpeurs adolescentes, la canicule qui colle à la peau et exacerbe les désirs naissants, les mots crus qui tentent de dissimuler les sentiments, les grands moments collectifs - un enterrement, un 14 juillet, une finale de Coupe du Monde. Et si l’on a constamment, à le lire, le sentiment d’un désastre imminent, d’une

nostalgie éperdue, on sent constamment aussi la tendresse qu’il porte à tous ses personnages, même aux pires losers. Car ce monde qu’il décrit, et la bande-son qui le rythme tout du long, il les connaît bien. Roman politique, récit d’apprentissage, Leurs enfants après eux dit superbement « la grandeur des vies minuscules ». FRED ROBERT

Nicolas Mathieu était invité le 19 décembre à la librairie Maupetit (Marseille).

Leurs enfants après eux Nicolas Mathieu éditions Actes Sud 21,80 € À lire également Aux animaux la guerre (Actes Noirs)


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Résoudre la quadrature du cercle

«

La BD n’est pas un art mineur » souligne Jean-Claude Golvin, architecte, archéologue, ancien chercheur au CNRS et premier spécialiste au monde de la restitution par l’image des grands sites de l’Antiquité (on peut d’ailleurs admirer certaines de ses œuvres au Musée départemental de l’Arles Antique, qui lui avait consacré une exposition rétrospective en 2011). Ses restitutions, précises, documentées, pertinentes, ont nourri l’inspiration des dessinateurs de BD ayant trait à l’Antiquité, Jacques Martin (Alix), De Gieter (Papyrus), Laurent Sieurac (Arelate), Philippe Delaby (Murena) ou même les décors de l’Égypte antique du célèbre jeu Assassin’s Creed Origins ! Il était temps que le maître passe à la création. Avec la scénariste Chantal Alibert, il nous entraîne dans une intrigue qui se

déroule au IIe siècle de notre ère. Deux capitales, Rome et Narbo-Martius (Narbonne, qui fut la première capitale de la Gaule), servent de cadre au premier volume du diptyque de Quadratura : La pyramide de cristal. (Le second, prévu pour 2020 (« il faut un an de travail pour une BD de ce genre », explique Golvin), aura pour théâtre Alexandrie en Égypte). Il y est question de la secte secrète Lupa nigra, de conspiration contre le cruel Caracalla empereur de Rome, d’un papyrus volé écrit par le dieu Thot lui-même, de mathématiques, du culte d’Isis, d’enlèvement, de meurtres non élucidés… Caius, commerçant de Narbo-Martius et son ami Lucius réussiront-ils à sauver la belle Tulia et à stopper les adeptes de Seth qui cherchent à détruire le monde ? Le récit permet d’arpenter les divers lieux que

l’illustrateur rend à la vie. Le port antique de Narbonne, l’un des plus grands de l’Antiquité, est aujourd’hui enseveli sous des étangs… Le décor architectural frappe par sa vraisemblance, pallie aux lacunes des connaissances apportées par les fouilles archéologiques. L’imagination rationnelle et sûrement pas anachronique du dessinateur sait nous donner un cadre crédible, vivant, dans lequel évoluent naturellement ses personnages. À la fin de l’ouvrage un véritable « cahier pédagogique » livre des clés sur la situation politique et historique de la période évoquée, ainsi que des résumés clairs à propos des dieux, des rites, et de la construction mathématique de la « pyramide magique ». MARYVONNE COLOMBANI

Jean-Claude Golvin signait son œuvre le 22 décembre à la librairie Le Blason, Aix-en-Provence Quadratura : La pyramide de cristal Chantal Alibert & Jean-Claude Golvin éditions Passé Simple, 15 €

«Cacou » ; en provençal, celui qui se la pète, qui fait le fanfaron. En grec Kakou est le génitif de kakos, mauvais, laid. Donc Philo Kakou, la philosophie du mauvais !

Philo Kakou : Aristote et le père Noël !

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n en était à Aristote et ses causes finales ; et après les l’historicité : expliquer quelque chose en fonction de l’histoire. fêtes, il fallait bien mettre le Père Noël dans le coup. Et Dieu sur ce coup là, il a mal au concept ! La cause historique de Dieu, ou l’historicité de l’idée de Vous me direz, quel rapport entre les deux bonDieu, vient du désert. Il y a 2700 ans, des juifs bourhommes ? Rien, à part la barbe. Quoique… Le Père rés dans le désert commencent à dire qu’il n’y a Noël est une de ces causes finales très chères à Aristote : pourquoi, demande toujours l’enfant ? qu’un Dieu et qu’il les a choisis. C’était sans doute Pourquoi des cadeaux à Noël ? Eh bien mon une blague, mais tout le monde les a crus. 700 petit, ou ma petite, c’est parce que le Père Noël ans après, un autre mec pas très clair non plus les a apportés ! prétend qu’il est le fils de Dieu et qu’il s’appelle Il n’y a rien de plus finaliste que la croyance. Jésus ; et encore 600 ans après, un autre mec, qui interdira l’alcool pour que les mecs bourDieu comme le Père Noël sont de belles causes pour expliquer les choses. Sauf que, pour le barbu rés dans le désert arrêtent de raconter n’importe en rouge, on arrête vite d’y croire. Mais Dieu ? Et quoi, dit qu’un ange lui a parlé à l’oreille pour lui © TnK1PrdZ révéler les vraies paroles de cette blague originelle. c’est là qu’Aristote peut nous aider. D’où vient l’idée de Dieu, quelle est sa cause ? Les théologiens pourront épuiser Pas très crédibles non, ces causes matérielles ? du coup j’ai oules quatre causes d’Aristote pour le justifier, il y en aura tou- blié le Père Noël…mais bon Aristote me pardonnera ! RÉGIS VLACHOS jours une qui coince : la cause matérielle ! La cause matérielle d’une idée, c’est l’histoire ; et si vous voulez vous la péter dites


46 feuilleton littéraire

Deux peintres épisode 8 : La petite-grande différence résumé de l'épisode 7 Il y a plus d’un siècle, en Allemagne. Herr Koch, veuf et peintre infortuné, vit avec sa fille à Cstwertsbourg. Il découvre, stupéfait, que son apparence physique comme ses toiles possèdent des ressemblances incroyables avec celles du peintre Fischer, la célébrité locale ! Troublé, Koch, grâce à Gretchen, l’amie de Fischer dont il s’éprend également, commence à se faire passer pour son double. Après lui avoir dérobé des tableaux, il a une intuition, inspirée par la lecture d’une nouvelle, une histoire de jumeaux dont on lui a commandé les illustrations. Serait-ce la formule du succès ?

Ed ua rdo

Bert i©

ue loq ob Mon Dorothée Billard/

L’auteur Eduardo Berti, né en Argentine, habite en France depuis vingt ans. Membre de l’Oulipo, il a publié des nouvelles, des petites proses et des romans, dont L’Ombre du Boxeur et Le Pays imaginé. Après Une présence idéale (Flammarion, 2017), son premier roman écrit en français, il publie en 2019 Un padre extranjero (Un père étranger).

en co-production avec La Marelle

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our la première fois, Herr Koch avait expédié ses dessins à Leipzig avec un certain retard. Le directeur du magazine n’avait rien dit, ces deux jours ne changeaient pas grand-chose ; au contraire, il avait trouvé presque normal que son fidèle illustrateur montre enfin son côté humain. À l’époque, ni la mort de son épouse, ni le déménagement à Cstwertsbourg n’avaient retardé ses livraisons. Koch avait fini d’illustrer l’épisode de la nouvelle d’Henri Bellocq et l’avait envoyé par la poste. D’habitude c’était lui qui s’occupait de cette démarche. Il prenait soin de bien protéger ses dessins à l’aide de deux cartons et les illustrations partaient comme si elles étaient le jambon d’un sandwich un peu trop plat. Mais cette fois-ci c’était la gouvernante qui était allée à la poste, car Koch voulait rester dans son atelier et réfléchir à sa différence avec Fischer. À sa nouvelle théorie sur cette différence. Sa conclusion générale risquait d’être un peu simpliste. Toutefois, il s’agrippait à elle, obstinément : il avait entrevu le gouffre entre l’autre et lui. Il aurait été incapable de l’expliquer rationnellement, de le mettre en mots. C’étaient ses yeux qui avaient senti et compris la différence, car sentir et comprendre ne faisaient qu’une seule chose dans cette affaire. Cela dit, Koch se demandait si sa main de peintre pourrait sentir et comprendre aussi bien cette différence, au point de la traduire sur une toile. Il se demandait, de plus, quel était le chemin à suivre en partant de cette révélation. Accroître la différence ? Cela comportait des risques. En introduisant des dissemblances dans l’espoir de s’éloigner des tableaux jumeaux de Fischer et de créer une

œuvre bien à lui, il pouvait bien finir par peindre des paysages identiques à d’autres toiles de Fischer. Un tel paradoxe lui semblait non seulement angoissant, une fuite condamnée à l’échec, mais donnait trop de force à l’idée que ses peintures étaient des copies : que c’était lui qui copiait fatalement Fischer et non l’autre qui peignait des paysages reproduisant les siens. Bien entendu, il y avait le chemin contraire. Un chemin plus pragmatique, plus éloigné de la recherche d’une voie personnelle. Il s’agissait d’éliminer tout écart, d’abolir cette minime dissemblance que personne sauf lui ne pouvait voir… Sauf lui et Fischer, peut-être. Koch songeait plutôt au chemin de la singularité et de l’indépendance, mais il avait jugé salutaire de tester ses conclusions (sa récente découverte) en modifiant deux paysages, dans l’idée d’effacer leurs différences. S’il arrivait à maîtriser la similitude, à la rendre absolue, serait-il capable de maîtriser l’originalité ? Au moment de choisir les peintures pour cette expérience, Koch n’avait pas hésité et avait pris les deux paysages qui ressemblaient le plus aux peintures de Fischer qu’il avait rapportées chez lui. Ainsi, il pourrait comparer le résultat. Voir s’il était envisageable de faire un petit-grand changement et de rendre vraiment identiques les deux tableaux. Les nouvelles touches étaient infimes : une goutte microscopique de lumière entre les branches d’un arbre, dans le premier paysage ; l’élargissement d’une ombre, dans l’autre. Une seule intervention par tableau, simple et singulière. Vue de l’extérieur, aucune logique ne reliait les


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deux griffes. Vue de l’extérieur, la disproportion entre son humble geste physique au moment de poser chaque nouvelle touche, tel un tampon, et l’énorme fatigue physique qu’il ressentait ensuite était quasi absurde. Il venait de modifier le deuxième paysage (quel verbe employer ? Koch n’aurait jamais dit ni « restaurer » ni « corriger ») quand la vieille gouvernante avait frappé à la porte de son atelier. Non seulement elle avait envoyé les dessins, mais on lui avait remis à la poste une enveloppe expédiée par Herr Richter. La suite de la nouvelle de Bellocq, les épisodes deux et trois. Après avoir remercié la gouvernante, Koch avait lu, un peu à la hâte, la suite de la nouvelle. Dans le deuxième épisode, Jacques et Jacques, devenus adultes, décrochaient un boulot administratif dans une banque et continuaient à mener leur politique d’alternance secrète. Fischer et lui, ruminait Koch, étaient-ils, au fond, comme deux jumeaux, complètement identiques, dont un seul recevait toute l’affection de leurs parents et du monde en général ? Herr Koch souhaitait faire un essai : retirer les paysages qu’il avait laissés à la galerie de Windmüller et les remplacer par les deux tableaux qu’il venait de modifier. Il se demandait si, après la petite-grande retouche, les gens trouveraient ses toiles à la hauteur d’un Fischer. S’ils les achèteraient à cause de ça. Ou si le fait d’augmenter la similitude aurait l’effet contraire. Aussitôt arrivé à la galerie, tandis qu’il constatait que ses anciens tableaux restaient invendus, il avait proposé les deux paysages retouchés en échange de tous les autres. Il avait imaginé que le marchand et sa nièce lui diraient, au moins par politesse, « c’est dommage, laissez-les, nous sommes optimistes ». Loin de ça, Windmüller avait détourné sa tête et Eva avait demandé : - Vous êtes au courant ? - De quoi ? - Fischer, avait dit Eva. Hospitalisé, hier soir. - Il ne va pas bien du tout ! avait dit Windmüller - L’alcool, c’est terrible, avait dit Eva. Ces derniers mois, il nous a donné à peine deux tableaux. - Quel gâchis ! Un tel talent, avait dit Windmüller. Une partie de Herr Koch se réjouissait à son insu du désistement, temporaire ou non, de Fischer. En

même temps, il pensait que la nouvelle ne pouvait être plus opportune : après tant de jours sans voir Gretchen (ces jours qu’il avait passés plongé dans ces théories), il comptait lui faire une visite surprise quand il aurait échangé les tableaux et laissé les plus anciens chez lui ; si Windmüller ne lui avait pas mentionné cette hospitalisation, Gretchen aurait trouvé ahurissant de voir le malade chez elle, plein de santé. Oui, il avait failli être découvert. Une semaine était passée, pendant laquelle, tandis que la santé de Fischer continuait de se dégrader (ce qui l’empêchait de voir Gretchen), Koch avait cru au miracle. Hélas, non : les deux tableaux laissés chez le marchand ne se vendaient toujours pas. Il allait à la galerie plus souvent que jamais, pour se procurer simultanément des nouvelles sur les deux sujets. Parfois il se disait qu’il avait perdu une occasion en or : celle de remettre incognito au moins un paysage de Fischer à Windmüller. Sans lui dire, bien entendu, que son auteur c’était l’autre. En théorie, les deux Koch qu’il avait déposés à la galerie étaient parfaitement identiques à deux Fischer qu’il gardait encore dans son atelier. En théorie. Il pensait depuis un moment à retirer ses deux derniers tableaux, à tout retirer du marché, à oublier Windmüller et Fischer et tout le reste, quand un jour vers midi, rentrant pour une énième fois de la galerie, Koch avait vu que sa vieille gouvernante avait l’air inquiet et agité. - Une visite, chuchotait-elle. - Une visite ? - Je lui ai dit de s’installer dans le salon. J’espère avoir bien fait. Dans le salon il n’y avait personne. La visiteuse était-elle en train de parcourir la maison ? Quel toupet, se disait Koch. C’est alors qu’il avait remarqué une silhouette de loin. C’était Gretchen ! Koch avait senti fléchir ses jambes et s’attendait qu’elle lui fasse une scène sur-le-champ. Il avait bredouillé : - Mais... ? Elle avait murmuré : - Oui, oui.

Suite et dernier épisode du feuilleton dans le prochain numéro...


La Ville de Vitrolles présente la dixième édition du FESTIVAL

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Cinéma Municipal

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DÉBATS

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