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36 MUSIQUE CONTEMPORAINE © Agnès Mellon

Un ECO qui résonne ! Ce soir-là, dans l’Alhambra rénové, près du Pôle Instrumental Contemporain qui dès 2012 sera consacré à la création, Raoul Lay et William Benedetto avaient convié des musiciens de l’ECO (European Contemporary Orchestra) autour de la figure de Zappa. Pour un concert, et la projection du mythique 200 Motels. Le concert reposait sur des regards contemporains croisés entre acoustique et électronique, en présence des compositeurs. Des œuvres en création, commandées par l’ECO. Ezequiel Menalled, jeune argentin, dirige Retazos, pour percussions, guitare électrique, clavier électrique, accordéon : écriture minimaliste en segments récurrents, long souffle où les timbres noient les notes. Alice Berni, dans Icla, pour accordéon et percussions, s’amuse des questions-réponses

aux instruments et se plaît à utiliser un archet sur les lames du vibraphone ; Rebonds de Xenakis pour percussions solo permet à Christian Bini de montrer sa technique brillante, sur cette partition impressionnante, un classique de la percussion contemporaine. Magnetismo Aureo, création de Luca Macchi dirigée par Raoul Lay, au geste toujours précis, est une œuvre plus aboutie que celles de ses jeunes confrères ; les instruments acoustiques (Christian Bini et Jean-Marc Fabiano, accordéon, de Télémaque) y rivalisent avec les instruments électriques (Aljosja Buijs, clavier, Paul Vos guitare électrique Orkest de Ereprijs, PaysBas) par des effets permanents, dans un temps et un espace sans limite. Olivier Stalla, enfin, propose un arrangement de Black Page de Zappa, pour le même

Fraichement rénové, le cinéma l’Alhambra de l’Estaque a rangé les bobines pour accueillir l’Orchestre Régional de Cannes le 7 décembre. Avec des répétitions publiques en journée et un concert gratuit en soirée, la formation dirigée par Philippe Bender a une fois de plus permis à des publics peu habitués au concert un accès direct au grand répertoire. En résidence dans les quartiers nord (lycées Diderot et Saint-Exupéry) pour un travail de fond où les élèves rejoignent la scène pour slamer leurs propres textes, l’ensemble cannois s’est illustré dans un programme varié et enlevé. Légère et virevoltante, la Symphonie italienne de Mendelssohn a côtoyé le 1er mouvement de la 5e de Beethoven, des extraits de la sérénade pour cordes de Tchaïkovski… et un étonnant concerto pour deux percussions (marimba, vibraphone...) et cordes du catalan Brottons, œuvre miroir de la société contemporaine dont les couleurs oniriques rendent hommage à Bob Dylan et Joan Baez, symboles de paix et d’amour après un «conflit» impressionnant de virtuosité. Une prestation de qualité et une action pédagogique singulière, à souligner. FRÉDÉRIC ISOLETTA

Orchestre regional de Cannes © Philippe Laville

La culture en mouvement

quatuor : la batterie originale impulse le rythme rock tandis que guitare, clavier et accordéon apportent de belles harmonies ; on aurait juste aimé que le guitariste imprimât une énergie plus zappienne ! 200 Motels, tourné à Londres, en vidéo, par Tony Palmer et Frank Zappa, dans des décors de carton pâte, est devenu un film culte. Il «raconte» une tournée des Mothers of Invention dans l’Amérique raillée par le compositeur-réalisateur, celle des pompoms girls et du KKK, des comédies sucrées et des pubs pour dentifrice, des bouseux de Centerville protégés par des militaires de pacotille et des barbelés. Satire et autodérision. «Les tournées rendent fous», prévient-on : tensions des égos, drogue, sexe (Keith Moon, batteur des Who, déguisée en religieuse ouverte à tous les outrages), revendications contre le boss Zappa incarné dans la pilosité triomphante des Seventies par Ringo Starr. Le film aurait pu se couler dans la forme d’un road movie musical, mais l’espace ici ne s’étire pas vers l’horizon, il se creuse, se sculpte. Superpositions, simultanéité, polyphonie, le film naît d’une partition complexe rageusement élaborée jouant sur des clés multiples et des ruptures : le Royal Philarmonic Orchestra et le Top Score Singers se glissent sous le rock du groupe. La musique est omniprésente, omnipotente. À l’écran, les effets foisonnent : solarisation, surimpressions, dessins animés, accélération frénétique. Les mythologies fondatrices se mêlent : Aladin et sa lampe aux fumées hallucinantes, Faust en manager exigeant le sang contre une bière. Dada et les séries B ne sont pas loin, au pays des aspirateurs mutants. Quarante ans après sa réalisation, voir cet objet cinématographique qui n’en finit plus reste une expérience éprouvante, voire pénible, mais stimulante ! YVES BERGÉ ET ÉLISE PADOVANI

L’île du jour d’avant Il existe un lieu qui n’existe pas, frontière invisible entre un passé révolu et un futur qui n’est pas encore. Funambules sur une ligne imaginaire, les bâtisseurs du MIM (laboratoire Musique et Informatique de Marseille) ont investi ce pays, à la limite du fertile, faisant émerger du silence une terre de sons. L’accordéon, vestige d’un monde perdu, associé au multimédia, à l’électroacoustique ou en soliste, servit de marqueur sonore à cette soirée. Éclats de mémoire, souvenirs, projections, constructions, reconstructions, autant d’éléments épars distribués dans l’espace, qui invitèrent l’auditeur à se muer en opérateur. De l’espace pixelisé de Bricollages de Pascal Gobin, aux sons de la Toscane de Philippe Festou, en passant dans l’infra monde de Nicolas Bauffe et ses sub basses à la limite du supportable, chacun fut amené à se créer son propre univers et à se fixer ses propres limites. L’association du son et de l’image, préoccupation première des artistes du MIM, matérialisée par les pièces de Philippe Bootz et Marcel Frémiot ainsi que Frank Dufour, paracheva cette expérience unique. Et le temps reprit son cours… CHRISTOPHE FLOQUET

Ce concert a eu lieu le 8 décembre à la Cité de la musique


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