Zibeline n°36

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Du 15/12/10 au 19/01/11 | un gratuit qui se lit

T'as vu

l'tableau ?



Politique culturelle Le Théâtre Liberté à Toulon Le Festival d’Avignon Culture pour chacun contre Culture pour tous Mécénat et entreprises

4, 5 6 7 8, 9

Théâtre Les Bancs publics, La Criée, Sète, Gap, Ouest Provence Le Gyptis, La Minoterie Le Merlan, le Gymnase Le Lenche, le Centaure, Sirène et midi net Jeu de Paume, Grasse, Châteauvallon, Gardanne, Port-de-Bouc, Château-Arnoux Arles, Nîmes, Ouest Provence Avignon, Cavaillon, Arles Au programme

10 11 12 13 14 16 17 18 à 21

Danse Martigues, Cavaillon, Arles, BNM Dansem, Châteauvallon Au programme

22, 23 24 26

Musique Au programme Chants de Noël Lyrique Chambre Contemporaine Monde, jazz Actuelle, Flamenco Au programme

27, 28 29 30, 31 32, 33 34, 35 36, 37 38 39

Jeunesse Laterna Magica, Prix des lycéens et apprentis Le Toursky, PôleJeunePublic Cavaillon, Fos, Cornillon-Confoux, Berre l’Etang Au programme Livres

40 42 43 44, 45 46 à 49

Cinéma Film, CMCA, Semaine asymétrique L’Alhambra, les Rencontres d’Averroès, La Seyne-sur-Mer Le mois du doc, les rendez-vous d’Annie

50 51 52

Arts visuels Au programme MAC Marseille, MIAM à Sète Toulon, La Valette, La Seyne-sur-Mer Musée Granet, Festival Gamerz Garanjoud/Asker, La Non Maison

53 54 55 56 57

Livres Arts, littérature Rencontres

58 à 66 67 à 70

Philosophie Marx

71

Rencontres Averroès, Echange et diffusion des savoirs Agenda

72, 73 74

Histoire Approches cultures et territoires

Adhérents

Encore me direz-vous ! Pourquoi nous enjoindre, chaque année, à diriger nos pas festifs vers les librairies ? Et pourquoi offrir cet objet antique qui n’allumera pas dans les yeux de nos enfants la frénétique flamme du désir numérique ? Ni dans ceux de nos adolescents le soulagement d’être estampillés par la marque indispensable à l’inépuisable exigence de leurs stimuli vestimentaires ? Qui ne donnera pas l’illusion à ceux que nous aimons d’exhaler un peu de cette fragrante sensualité qui devrait s’échapper, tel un génie ensorcelant, de flacons de parfum trop design pour être honnêtes ? Parce que c’est sans doute la plus efficace des résistances au formatage de nos vies : il faut affirmer que la valeur est là, dans les œuvres de l’esprit et non dans leur média, leur costume ; il faut refuser de satisfaire le réflexe conditionné consumériste et aller ensemble au théâtre, partager un roman qu’on a passionnément aimé, une musique qui fait pleurer, un film bouleversant qu’on regardera enlacés. Une œuvre, vraie, qu’on accrochera à son mur pour qu’elle interroge chaque jour le regard. Mais peut-être cela n’est-il qu’une illusion de plus. Un écran encore. Peut-être que la résistance est ailleurs, pas seulement dans l’attitude citoyenne qui consiste à manger bio, économiser l’énergie, consommer responsable et culturel, mais dans la participation active à la réflexion commune, et par là-même aux décisions. Le Ministre de la Culture prend des orientations inquiétantes qui évacuent l’Art du champ culturel et font peser le soupçon sur la nécessité des œuvres de l’esprit. La Communauté du Pays d’Aix, mécontente de la place minoritaire que lui réserve le nouveau regroupement de l’Université de Provence, retire son adhésion à la Capitale Européenne de la Culture, qu’elle fragilise. Partout on met en balance Culture et Lien social, Culture et Éducation, non pas parce qu’ils seraient complémentaires, mais pour stigmatiser les artistes, les rendre responsables du délitement social, et se servir des projets culturels comme levier économique, comme chantage politique. A-t-on oublié qu’il faut financer les artistes ? Pas les stars médiatiques, ceux qui créent des œuvres et ont besoin de moyens pour produire. Ce sont eux, et les intellectuels, qui élaborent la Culture : la diffuser, la numériser, la conserver, la partager en la médiatisant, n’a de sens que si elle existe. Les écrans portent bien leur nom, et nous empêchent souvent d’atteindre la chair vive de ce qui nous constitue. Offrez des livres ! AGNÈS FRESCHEL

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Sciences et techniques La démographie

Offrez des livres !

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POLITIQUE CULTURELLE

LE THÉÂTRE LIBERTÉ À TOULON

Le règne du flou La nomination à la direction du Théâtre de la Criée n’est toujours pas officielle… ce qui paralyse d’autant plus la vie de ce bâtiment miné par l’amiante (ce n’est pas une coquetterie, un technicien vient de mourir du cancer de la plèvre). Pendant ce temps-là à Toulon un magnifique théâtre de trois salles se construit, ce dont on ne peut que se réjouir, la ville manquant jusqu’alors cruellement de scènes dramatiques. Mais dire que les conditions de nomination, de labellisation et de financement restent floues est un euphémisme ! Les chiffres d’abord : en juillet M. Mitterrand annonçait lors de sa visite de presse que l’État donnerait 1.7 M € par an pour son fonctionnement, alors que l’agglomération Toulon Provence Médi-

terranée nous confiait (voir Zib’ 33) que l’État investirait 20% seulement des subventions, soit, d’après le budget prévisionnel qu’on nous avait donné, environ 800 000 €. Somme encore considérable, près du double de celle allouée aux autres scènes nationales de la région. La Direction Régionale des Affaires Culturelles, aujourd’hui, annonce une subvention de 160 000 € seulement. Qu’en sera-t-il ? Et si le Conseil général 83 confirme aujourd’hui qu’il accordera 1 100 000 € au double pôle Toulon Châteauvallon, le Conseil Régional ne s’engage pour l’instant que sur 40 000 € de subventions de fonctionnement. TPM annonce ainsi un budget de fonctionnement, pas encore voté par les différentes collecti-

vités, de 3.5 M €, alors qu’en juillet il était question de 5.3 M €…

Processus de nomination Il n’est guère plus clair… Il est normal que le maire de Toulon veuille équiper sa ville d’un théâtre à sa mesure, et choisisse le directeur qui lui convient. Mais l’obtention d’un label de Scène nationale se fait d’après un projet artistique, et en respectant un processus de nomination des directeurs, après appel d’offre, et en deux tours. Ainsi il n’est plus question que la région Paca accorde a priori le label de Pôle régional, que les théâtres obtiennent après plusieurs années d’existence, lorsqu’ils ont démontré leur respect d’un cahier des charges précis au niveau de la création

et de la diffusion régionales, et du développement du territoire. Les frères Berling, quelles que soient leurs qualités (nous avons à plusieurs reprises vanté dans ces colonnes les vertus artistiques de leur travail, à la fois fin et accessible), n’en sont pas passés par ces processus. Avoir été le compagnon officiel de Carla Bruni ouvre-t-il suffisamment grand les portes ? On aimerait vraiment ne pas avoir à poser ce genre de questions, et que les nominations et financements des équipements publics soient fondés sur des démarches plus limpides… AGNÈS FRESCHEL

Etat

Région PACA

CG 83

TPM

Total

Coût

Investissement (construction)

CPER* 2,4 M€

1,051 M€ + CPER* : 1,2 M€

2,234 M€

3,171 M€

10,056 M€

11,400 M€

Fonctionnement (annuel)

160.000

40.000

1.100.000

?

?

3.5 M€

* CPER : Contrat de Projet État/Région, destiné à financer les équipements structurants (2/3 État 1/3 Région) Les chiffres sont ceux communiqués par les différentes collectivités, le coût total étant communiqué par TPM Le fonctionnement est un prévisionnel 2011, les subventions 2010 n’étant pas significatives.

Communiqué de la Direction Régionale des Affaires culturelles Comme Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la communication, l’a annoncé à Toulon le 31 juillet 2010, l’attribution d’un label de Scène nationale associant Châteauvallon et le théâtre Liberté est en cours pour la constitution d’une Scène nationale de territoire sur deux sites. Il s’agit de corriger le déficit de l’offre théâtrale sur ce territoire en dotant Toulon -10e agglomération française- d’une scène de qualité, en prenant en compte le

travail remarquable effectué à Châteauvallon et son dynamisme. L’objectif, conformément aux orientations du ministère de la Culture est de mutualiser les deux équipements complémentaires en vue d’une coopération croisée. À ce stade, un comité technique réunissant l’ensemble des collectivités publiques et les directeurs des deux établissements est en place pour mener à terme ce dispositif novateur.

Ricardo Vazquez, directeur des affaires culturelles du CG 83

En termes de subventions, quel est l’investissement financier du CG 83 ? Il s’agit d’une scène nationale de territoire qui comprendra deux équipements : Châteauvallon, pour lequel est prévu une aide du CG83 de 500 000 euros, et le théâtre Liberté qui aura 600 000 € de fonctionnement du CG83. Le Conseil général est par ailleurs intervenu à hauteur de 30% du budget global d’investissement (construction), investissement conforme aux modalités d’aides du département en direction de la communauté d’agglomération TPM. La construction de ce théâtre est-elle légitime ? À l’origine il était prévu d’ouvrir un théâtre à La Seyne-sur-Mer, sans que cela ne pose de problèmes à personne car la direction artistique devait être assurée par Châteauvallon. Toulon compte 180 000 habitants et la communauté d’agglomération 450 000, il était donc légitime de construire un théâtre : le seul existant est le théâtre associatif Espace Comedia de 735 places. Les frères Berling sont nés à Toulon, ils en sont partis à plus de 20 ans. Ils connaissent la ville, ses habitants. On leur fait un procès en parisianisme alors qu’ils sont toulonnais !

Patrick Mennucci, vice-Président du CR PACA délégué à la Culture Pensez-vous attribuer le label de Pôle Régional au nouvel équipement bicéphale de TPM ? Pour l’instant le problème n’est pas là, et il n’en est pas question dans l’immédiat. Pensez-vous qu’un nouveau théâtre à Toulon soit utile dans le paysage culturel régional ? C’est évident. Toulon est sous-équipé en théâtres. Mais il faut réussir à construire des synergies et des coopérations avec les structures particulièrement dynamiques qui existent dans le territoire avoisinant. C’est indispensable. Que pensez-vous de la nomination des frères Berling à la tête de cet équipement ? Ce sont des personnes de grande qualité. Mais leur nomination est un peu précipitée.


POLITIQUE CULTURELLE

Alain Neddam,

directeur adjoint du Théâtre La Passerelle/Gap, scène nationale des Alpes du Sud Que pensez-vous des conditions de nomination des frères Berling, et de l’attribution du label de Scène nationale, au futur Théâtre Liberté de Toulon ? Les conditions de nomination au Théâtre Liberté sont dérogatoires par rapport à des institutions culturelles de cette dimension (CDN ou Scènes nationales), où un appel à candidatures doit être publié et où le directeur est choisi par un jury composé des différentes tutelles sur la base de son projet artistique. Il semblerait d’ailleurs que le projet de Philippe et Charles Berling s’apparente plus à celui d’un Centre Dramatique National (créations maison, coproductions théâtrales, accueil de spectacles théâtraux) que d’une Scène nationale (programmation pluridisciplinaire, directeur non-artiste assurant une programmation et choisissant des artistes associés). Que pensez-vous de son financement, et considérez-vous qu’il puisse léser les scènes nationales de la région ? Pour l’instant, hormis la tutelle principale (TPM) qui s’est engagée en la personne de son président Hubert Falco, rien ne semble vraiment fixé à ma connaissance au sujet des autres financements publics du Théâtre Liberté. Quant à savoir si la subvention accordée à un théâtre lèse celui dont je m’occupe, ce n’est pas ma vision des choses, nous essayons autant que possible de travailler avec d’autres institutions de la Région dans un esprit de coopération et d’échanges (coproductions de nos artistes associés, réductions des coûts par l’organisation de tournées cohérentes sur notre territoire) plutôt qu’en termes de rivalité et de concurrence. Peut-on protester lors de l’ouverture d’un théâtre en considérant que cette institution nouvellement financée empêche le développement des autres ? Le seul chiffre que je retiendrais si je voulais établir une comparaison de budget, est la disproportion de financement du ministère de la culture entre les 70 scènes nationales, couvrant géographiquement tout le territoire national (66 M € pour plus de 2 millions d’entrées sur une saison) et les établissements publics comme l’Opéra national de Paris (104,6 M € pour 800 000 entrées sur une saison).

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Jean-Michel Gremillet, directeur de la scène nationale de Cavaillon, et membre du Conseil National du Syndeac Que pensez-vous des conditions de nomination et de l’attribution du label de scène nationale au futur Théâtre Liberté de Toulon ? C’est le droit d’un maire de recruter qui il veut et comme il le veut, mais pour obtenir un label national il doit entrer dans des procédures, qui sont aujourd’hui fixées : les candidats doivent déposer un projet artistique sur lequel ils sont retenus, ils doivent avoir l’expérience de gestion et de programmation d’un lieu. Il est clair que les procédures habituelles de recrutement ne retiendraient pas les frères Berling, même pour la short list (la liste des quelques candidats retenus d’après dossier, et qui présentent leur projet au cours du deuxième tour, lors d’un entretien avec les tutelles ndrl). Ceci dit Charles et Philippe Berling semblent investis dans une logique de relation au territoire, on les voit dans les réunions, ils agissent en programmateurs… Je n’ai absolument rien contre leurs personnes, mais il est clair que les procédures ne sont pas respectées. Quel peut être l’impact, sur le plan régional, de leur arrivée dans le territoire ? Il est complexe. Le ministère indique que «le périmètre global des scènes nationales n’a pas vocation à évoluer.» C’est-à-dire qu’elles resteront 70, avec une enveloppe budgétaire contrainte, qui stagne malgré l’augmentation des coûts. Or le ministère a 7 ou 8 projets de scènes nationales supplémentaires : à Toulon, à Grasse, en Corse en particulier. Ce qui signifie clairement que certaines scènes nationales existantes sont menacées. En août une circulaire fixait, pour une scène nationale, un seuil budgétaire de 2 millions d’euros minimum. À Cavaillon nous ne les avons pas. Un autre seuil est celui de la participation de l’État, qui doit être de 500 000 € minimum. En Paca seul le Merlan les a : ni Gap, ni Martigues, ni Cavaillon qui en est loin. Est-ce à dire que nous allons voir nos subsides augmenter jusqu’à ce seuil ? La seule réponse du ministère est que tout sera traité au cas pas cas. ENQUÊTE RÉALISÉE PAR AGNÈS FRESCHEL, DOMINIQUE MARÇON ET MARIE GODFRIN-GUIDICELLI


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POLITIQUE CULTURELLE

FESTIVAL D’AVIGNON

Aller au bout du chemin

Messe pour un temps présent, le Living Theatre et La Chinoise de Godard ! Dans la Cour ! Nous n’avons jamais programmé ainsi, exclusivement, de la création contemporaine. En témoignent le choix de nos productions déléguées, c’est-à-dire celles dans lesquelles nous investissons le plus : Peer Gynt, Angelo Tyran de Padoue, ou Richard II l’an dernier. De toute façon, même le théâtre de répertoire est de la création contemporaine : une mise en scène est forcément une création, contrairement à des musiciens qui jouent du Bach. Mais nous voulons gagner cette liberté de programmer des artistes inédits, des esthétiques inédites, jusque dans la Cour. Pour cela il faut travailler le rapport au public.

Parvenus au terme de leur second mandat, les deux directeurs du Festival d’Avignon ont vu leur mission prolongée de deux ans, jusqu’au festival de 2013 Zibeline : Pourquoi cette prolongation, qui apparaît comme un moyen terme entre un départ que vous ne souhaitiez pas, et un nouveau mandat qui ne vous a pas tout à fait été confié ? Vincent Baudriller : Le Conseil d’Administration a décidé cette prolongation, en 2012 et 2013, afin de nous puissions poursuivre une transformation qui n’est pas achevée. Nous avions l’impression d’être au milieu du gué. Sur quoi repose cette transformation ? Sur deux piliers : nous voulons affirmer la place d’un festival de création des arts de la scène, accueillir les plus grands, soutenir les plus jeunes, développer l’activité de création. Pour cela nous avions besoin d’une salle de répétition : on ne peut pas programmer 20 créations sans lieu pour répéter ! La Salle de Monclar, qui offrira un plateau de répétition de la taille de la Cour d’Honneur, permettra enfin de créer dans de bonnes conditions. Les budgets sont à présent votés, et elle sera opérationnelle pour le Festival 2013. L’autre pilier est l’implantation du festival sur son territoire. Nous avons emménagé à l’année à Avignon, nous faisons à présent des rencontres mensuelles, et avons lié des relations avec

les écoles, l’université, l’ISTS, le Conservatoire, mais aussi les prisons et les centres sociaux. La salle de répétition permettra une médiation plus facile avec les artistes, qui créeront ici, dans un quartier populaire. Quels sont, aujourd’hui, les effets de cette transformation ? Le succès est réel, la vente de place n’a jamais été aussi forte, et le public se renouvelle. Il se rajeunit, et pourtant certains festivaliers de 1947 continuent à venir ! Le public a beaucoup bougé dans son ouverture, sans doute grâce à la multiplication des rencontres autour des spectacles. Par exemple la radicalité de la proposition d’Angelica Liddell a rencontré une adhésion très large, y compris dans un public plus familial. La richesse et la qualité des débats témoignent également de la transformation du public. Lorsqu’on prend le risque de la création il faut s’ouvrir au débat. On vous reproche vos échecs pourtant, en particulier dans la Cour, en particulier avec le théâtre de répertoire. Oui, vous-même d’ailleurs nous avez reproché certains aspects de notre programmation... Il y a une erreur commune, qui consiste à croire que l’héritage de Vilar serait dans le réper-

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL Vincent Baudriller © Ilka Kramer

toire. Dès 47 il créait Claudel à côté de Shakespeare, et son Festival de 1967 par exemple était d’une radicalité que je n’aurais jamais osée, même en 2005 : il programmait Béjart, La

Précision

Nous avions écrit dans le Zib’ de septembre qui faisait le bilan du festival 2010 : «On aimerait voir [de grands metteurs en scène] dans les Cours d’Avignon, sinon à leur tête.» Le dictionnaire de l’Académie est clair : la tournure «A sinon B» «concède l’absence de B» comme dans la phrase : «J’ai rempli mes devoirs avec exactitude sinon avec enthousiasme.» (Bernanos). Nous ne souhaitions donc pas le départ des co-directeurs d’Avignon… A.F.

Patrick Pineau © Delphine Michelangeli

Anti-héros en imposture Patrick Pineau était l’invité de la 1re rencontre publique organisée pour la 65e édition du Festival d’Avignon. En compagnie d’Anne Alvaro, Herbé Briaux et Sylvie Orcier, il a lu des extraits de la pièce du soviétique Nicolaï Erdman Le Suicidé, qu’ils créeront à la Carrière Boulbon. Le metteur en scène a ressorti sa casquette de comédien pour l’occasion, en remplaçant (fort bien) Eric Elmosnino dans le rôle du héros Sémione Podsékalnikov. Même s’il avoue : «Comme je ne joue plus beaucoup, je suis en sur-énergie, je l’ai fait un peu comme un cheval de trait. Le côté Chaplin d’Eric amènera autre chose.» La pièce est une tragi-comédie bouillonnante, «une farce qui critique le pouvoir en place et raconte aujourd’hui, questionne l’existence et résonne avec Hamlet.» L’histoire d’une imposture, dans laquelle un anti-héros est poussé au suicide par l’intelligentsia «pour la bonne cause». Traversée par 18 personnages pittoresques (et une troupe de

15 acteurs… que du bonheur !), c’est l’occasion de découvrir un auteur longtemps censuré, héritier de Gogol et proche de Maïakovski, à «l’écriture remplie de vie, qui renverse, qui fait rire et secoue, qui parle de la perte d’identité à travers l’humour.» Un «coup de cœur» déniché par Eric Elmosnino, qui «a eu l’envie profonde de jouer ce bonhomme» et a totalement séduit Patrick Pineau. «C’est une pièce désespérée, écrite pour les acteurs, pleine de vie, qui part d’un homme au chômage qui se réveille en pleine nuit en réclamant du saucisson de foie à sa femme. Ça c’est prodigieux.» DELPHINE MICHELANGELI

La rencontre publique avec Patrick Pineau a eu lieu le 29 nov à la Salle Benoit XII À noter : Patrick Pineau met également en scène Sale Août, qui tourne actuellement dans la région (voir p 10)


CONTRE FORUM | CULTURE POUR CHACUN

Chacun pour tous !

POLITIQUE CULTURELLE

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Zibeline a demandé à Alain Hayot de réagir à la nouvelle politique culturelle du ministère

La haine de l’art Le débat autour de la prétendue opposition entre «la culture pour tous» et «la culture pour chacun» pourrait être un aimable sujet de discussion pour colloques et dîners en ville. Ce qu’elle est d’ailleurs, depuis la nuit des temps… Du moins depuis qu’André Malraux, en 1959, avec la création d’un ministère de plein exercice, fit des «affaires culturelles», selon la terminologie de l’époque, un sujet majeur de l’action publique. L’irruption dans le débat public du rapport Lacloche intitulé «La culture pour chacun, programme d’action et perspectives» (sept. 2010), note confidentielle d’un membre du cabinet du ministre Mitterrand mais largement disponible sur la Toile, pourrait être un rideau de fumée de plus, parmi ceux auxquels le sarkozysme nous a habitués. Ne nous y trompons pas, il s’agit de beaucoup plus que cela. En premier lieu parce que cette note est issue d’un rapport commandé par le ministre à Elise Longuet, dirigeante d’une des holdings financières les plus puissantes de la place de Paris où elle s’occupe, entres autres, du mécénat culturel ; ensuite parce qu’elle est devenue la philosophie officielle du ministère qui l’a choisie comme logo, la culture pour chacun possédant désormais un référent dans chaque DRAC qui sont chargées d’organiser des assises dans toutes les régions ; enfin parce que cette idée reprend une thèse souvent défendue par Nicolas Sarkozy qui pense que «l’échec de la démocratisation culturelle» serait due aux politiques publiques de la culture qui auraient favorisé l’offre artistique aux dépens de la demande. Souvenons-nous de la lettre de mission qu’il avait envoyée à Christine Albanel, où il lui demandait de mesurer les subventions à l’aune de la «popularité» du spectacle ! Bien sûr il était nécessaire de faire appel à Malraux pour justifier ce changement de cap. Dans un discours du 27 octobre devant l’Assemblée nationale, où il présentait le budget 1967 de son ministère, André Malraux devait déclarer : «Ce que la IIIe République avait réalisé, dans sa volonté républicaine, pour l’enseignement, il s’agit de faire en sorte que chaque enfant de France puisse avoir droit aux tableaux, au théâtre, au cinéma, etc., comme il a droit à l’alphabet.» Il aurait pu dire «tous» les enfants de France; il a dit «chaque»… La belle affaire ! Ce choix de vocabulaire doit, du reste, être remis dans son contexte politique, celui de la guerre froide où il est de bon ton d’opposer le collectivisme à l’individu, le tous et le chacun.

Initié par le syndicat Sud Culture 84, en partenariat avec les cinémas Utopia, l’Ajmi et le Théâtre des Doms, le Contre Forum de la Culture a vécu sa 3e édition à un rythme intensif. Une soirée et une journée, ouvertes à tous et sans carton d’invitation, pour réfléchir et débattre sur la notion de «service public de la culture» opposé au point de vue de la «culture pour chacun», du Ministère de la Culture. Une franche alternative au Forum d’Avignon, Davos de la Culture avec petits fours et paillettes, qui réunit industriels et financiers depuis 3 ans, au sein même de la cité papale où Jean Vilar créait un modèle de démocratisation culturelle et d’éducation populaire, et qui s’est soldé le 4 novembre par un gazage des manifestants devant le Palais des Papes ! Ce Contre Forum devient une agora incontournable de réflexion sur Avignon, par la qualité des intervenants et des points de vue exprimés (artistes, directeurs de structures culturelles, enseignants, chercheurs, journalistes) avec une augmentation croissante du nombre de «spectActeurs». Vu la densité, et parfois l’opacité pour les non-initiés, des 4 débats proposés (culture et public, culture et Europe, marchandisation ou émancipation, évolution technologiques dans le cinéma) s’élevant contre un «affadissement des contenus», ce temps de réflexion mériterait largement… plus de temps. Mais la culture démocratique, équitable et non marchande, en a-t-elle encore ? DELPHINE MICHELANGELI

La 3e édition du contre forum de la culture s’est déroulée les 26 et 27 nov à l’Ajmi, théâtre des Doms et Utopia à Avignon

Où est l’art ? © Delphine Michelangeli

Il n’en reste pas moins que Malraux ne nous parle que d’art. En revanche le rapport Lacloche ne nous parle jamais d’art. Sauf au détour d’une phrase, presque en s’excusant de n’avoir pu l’éviter… Comme l’écrit Nicolas Bourriaud, dans un ouvrage récent au titre évocateur1 : «Comment penser l’art en termes d’«utilité» sans s’interroger sur celle des institutions économiques et politiques, et de leur articulation ? Si l’art se voit considéré comme moins «utile» dans une société donnée, cela en dit long sur les valeurs de celle-ci ; on réduit l’utile à la sphère du profit. Mais au fait, pourquoi y a-t-il si souvent rien plutôt que de l’art ?» Car c’est bien de cela qu’il s’agit : pour «ces gens-là», ce «souvent rien» est déjà de trop et après tout mieux vaut une culture populaire dominée par la Star’ac que par les

artistes qui eux ont trop à dire. Les chiffres semblent donner raison au postulat que la démocratisation culturelle a échoué : à quelques exceptions près la fréquentation des œuvres n’a que très peu évolué, au regard des efforts consentis par la puissance publique. Mais de là à dire, sans autre forme de procès, que la raison en serait que cette fameuse «culture pour tous» serait en fait la «culture des artistes», devenue une «culture officielle», arrogante, élitiste et intimidant le peuple, il y a une marge qui fait allègrement l’économie de la réalité du travail des acteurs culturels, et surtout de la crise sociale et civilisationnelle que leur système nous impose.

Segmentation populiste Le mot est lâché. Quand «ces gens-là» commencent à parler du peuple, le populisme n’est jamais loin. Populisme dont la vie culturelle, même si elle en est l’un des terrains d’exercice privilégiés, n’a pas le monopole : de l’Identité nationale à la Maison de l’Histoire de France, en passant par les politiques xénophobes et sécuritaire, nous sommes désormais entrés dans la dernière ligne droite de ce que nous dénoncions depuis un certain temps : nous sommes passés d’une attitude de démantèlement de l’existant à une attitude de construction d’une politique. Les étapes sont de plus en plus lisibles : après les tâtonnements du début, qui allaient jusqu’à envisager la disparition pure et simple du ministère, puis sa reprise en main, à coup de réorganisations hâtives, de RGPP, de Conseil de la Création artistique, de réforme des collectivités territoriales…, on aboutit à la nomination de Frédéric Mitterrand, bateleur médiatique, fidèle brouilleur de pistes et conducteur de travaux de la dernière étape. Il s’agit en fait d’en finir avec le service public de la culture, et de faire du ministère un instrument au service du marché des industries et des produits culturels. Sous couvert de culture populaire et d’individualisation des choix, nous sommes bien dans la logique d’une droite «décomplexée», dans le champ culturel comme dans ce qui touche à l’humain et qui veut amoindrir la puissance publique au profit des intérêts mercantiles, casser les solidarités au profit d’une segmentation du peuple.

Demain Si l’heure est à la résistance contre les attaques, frontales ou sournoises, que subissent les arts et la culture sous le règne de Nicolas Sarkozy, il n’est pas trop tôt pour travailler à la reconstruction d’une politique publique de la culture et des arts, pour tous et pour chacun. Celle-ci suppose de renouer les fils interrompus entre la création et l’éducation populaire, afin de donner un nouvel élan et du sens à l’appropriation citoyenne par chacun de notre destin à tous. C’est peut être cela qui nous permettra de retrouver les chemins de l’utopie, qui est la chose la moins partagée du moment. ALAIN HAYOT, CONSEILLER RÉGIONAL PACA, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION AMÉNAGEMENT ET DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES, DÉLÉGUÉ NATIONAL DU PCF À LA CULTURE

1

Pourquoi y a-t-il de l’art plutôt que rien ? - Propos recueillis par Raphaël Cuir [Archibooks éd., avril 2009]


08

POLITIQUE CULTURELLE

MÉCÉNAT ET ENTREPRISES

Entreprises et cu sur ses objectifs réels (création et diffusions des œuvres, émancipation des publics…) et non sur leur rentabilité économique (activité touristique, vente et fréquentation). Mais ceci la prive aussi d’un apport financier rendu de plus en plus nécessaire par le désengagement de l’État : toutes les études montrent que les entreprises ont intérêt à s’inscrire dans un territoire culturellement dynamique, parce que cela leur rapporte en termes de chiffre d’affaire. Elles le savent, mais étant donné que rien ne les oblige à investir, chacune compte un peu sur son voisin… C’est pourquoi il est important de souligner la vertu de celles qui franchissent le pas…

Le mécénat en France reste très marginal, malgré un régime fiscal avantageux qui permet aux entreprises de récupérer 60% de leurs dons en les dégrevant de leurs impôts sur les bénéfices : les entreprises françaises concentrent généralement leur générosité sur l’acquisition d’art contemporain ou de patrimoine, qui conservent leur valeur marchande, ou sur des actions mixtes qui associent éducation, social et culture. Rares sont les entreprises ou sociétés civiles qui financent la création, qui reste en France très largement dépendante des collectivités publiques. Ceci garantit, du moins en principe, que la culture se concentre

Faire Crédit a du sens… Marseille Provence 2013 a trouvé son deuxième partenaire officiel : la Société Marseillaise de Crédit donne à la Capitale Culturelle Européenne 1,5 millions d’euros. Somme considérable, représentant 1,5% du budget global… La SMC rejoint donc ainsi La Poste, et devient la première entreprise régionale qui s’engage si fortement dans l’aventure. Marseille Provence 2013 attend ainsi 20 millions d’investissements privés, à travers des entreprises qui s’engageront à cette hauteur de partenaire officiel (1,5 millions) mais aussi avec d’autres entreprises, PME ou TPE qui deviendront partenaires d’une des manifestations, d’un projet, d’un thème. Voire, simplement, deviendront «supporters», entreront dans le «club des entreprises» pour quelques milliers d’euros. Quant à la SMC, son engagement finan-

mais aussi simplement parce vivre avec eux leurs doutes et leurs questionnements est une chance.» Un discours pourtant contredit par l’attitude de certains entrepreneurs ! Un petit concert du duo de percussions Symblema ouvrait puis fermait les allocutions, prouvant l’attention de la SMC à la création contemporaine. Mais peu d’entrepreneurs réunis pour

cier n’a rien d’un hasard : membre fondateur de Mécènes du Sud la banque a longtemps soutenu le Festival de Marseille, ou Musicatreize. Son PDG Emmanuel Barthélémy tient un discours d’une clarté exemplaire : «La Capitale Culturelle est une très bonne opération pour le territoire, pour les commerçants locaux. C’est donc excellent pour nous, en termes d’image, d’y être associé. Je suis convaincu que la régionalité est une valeur extrêmement moderne : nous sommes une entreprise locale qui correspond au territoire de Marseille Provence, et sans doute la seule entreprise ayant Marseille en son nom et susceptible de devenir Partenaire officiel. Mais ce ne sont pas les seules motivations de notre engagement : il est bon pour nos collaborateurs, nos salariés, que de rencontrer des artistes. Non seulement parce que c’est un bol d’air,

la signature l’écoutèrent vraiment, certains continuant à discuter, Bernard Latarjet s’asseyant pourtant ostensiblement à même les marches du podium comme pour donner l’exemple d’une écoute attentive… Une petite scène qui prouvait que c’est aussi de l’intérieur qu’il faut changer la relation des entrepreneurs à la culture ! AGNÈS FRESCHEL

Les cheffEs d’entreprises ferontelles leur cinéma ? © Francois Moura

Le 3 déc, la Délégation de Marseille des Femmes Chefs d’Entreprises a célébré son 60e anniversaire et a choisi de mettre au menu la production audiovisuelle, autour du thème : en quoi le dynamisme audiovisuel favorise et aide le développement économique des entreprises. C’est tambour battant que plus de deux cents femmes chefs d’entreprises, venues de tous les horizons professionnels et de la France entière, ont découvert le Pôle Média de la Belle de Mai où Chantal Fisher leur a présenté la Commission Régionale du Film PACA. Elles ont aussi visité l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) où Mireille Maurice leur a montré le site, en particulier Repères méditerranéens (www.ina.fr/fresques/reperes-mediterraneens). Hubert Besson, producteur de Plus Belle la Vie leur a fait visiter les studios. La journée s’est poursuivie à l’Alhambra Cinémarseille où William Benedetto les a accueillies et où Andréa Ferréol, marraine de la manifestation, les a

rejointes. C’est là que la Présidente, Anne Rosier, a ouvert le colloque, animé par Isabelle Staes, Présidente du Club de la Presse. Trois tables rondes se sont succédé, permettant aux invités d’aborder les atouts et les limites de la réussite de la filière audiovisuelle, ses retombées économiques ainsi que les attentes et les projets des professionnels. Entre ces trois tables rondes, trois courts métrages dont Les enfants dans les arbres de Bania Medjbar qui intervenait dans le troisième débat avec Fabienne Dubois, directrice de casting, Valérie Trebor, représentant la Réplique, collectif de comédiens professionnels, Paul Saadoun, producteur… Une journée de rencontres entre deux mondes différents, conçue pour donner envie à ces chefs d’entreprise de mécéner concrètement la production audiovisuelle : espérons qu’elles choisissent les structures qui permettent aux œuvres les plus fragiles d’être produites et diffusées. ANNIE GAVA


POLITIQUE CULTURELLE

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lture Le choc des cultures Selon Martine Robin, initiatrice de 20 ans : 20 artistes - 20 entreprises, Saison 2, l’expérience est prometteuse qui permet de déplacer le champ d’action de l’artiste du centre d’art («sa sphère habituelle») vers l’espace entrepreunarial («milieu exogène») et contribue à modifier la perception de l’art contemporain et de l’entreprise. Avis partagé par Christian Rey, Président de Marseille Innovation, engagé dans l’opération pour «faire le lien entre la technologie et la culture» et plus amplement concerné par cette problématique dans le cadre de Marseille 2013. Un engagement qui se traduit par l’accueil à l’Hôtel technologique de Château Gombert de 4 artistes dans 4 entreprises partenaires, la promesse d’acquisitions d’œuvres (non déterminées à ce jour), une contribution à l’édition d’un catalogue (à venir). Quant aux entreprises il s’agit d’un mécénat de compétences plutôt que financier : accueil de groupes en visites guidées, mise à disposition de matières selon les besoins des artistes, prise en charge du vernissage et des frais de leur communication. Seule l’imprimerie CCI, implantée dans la zone d’activités Arnavant (15e), a mis la main au porte-monnaie en prenant en charge l’impression du carton d’invitation de la manifestation et de l’exposition intra-muros de Pascal Martinez, son vernissage, l’édition d’un journal de 16 pages couleur et le tirage de 45 photos de l’artiste.

Création - innovation Mais le dialogue est fructueux : Katia Bourdarel parle de «terrain d’entente naturel» avec la société de tourisme médical Ypsee et ses créations qui ont trait au corps et à ses métamorphoses, au travestissement, au masque, à l’éternelle jeunesse. Des dessins ultra sensuels féminisent un bureau ultra masculin… Gilles Oleksiuk ne s’est senti à aucun moment conditionné par le cahier des charges -donner à voir des productions issues d’une relation établie avec l’entrepriseau point d’entrer en résonance avec Pulpe de vie : «C’est incroyable de voir des œuvres qui renvoient à mon activité sans jamais la promouvoir, comme un écho, un dialogue» qui s’installe entre les matières végétales naturelles de l’une et les œuvres de l’autre, la touche glamour et rock’n roll en plus. Une bulle d’oxygène dans un monde sérieux, souvent austère et où le temps, c’est de l’argent ! Ce fameux billet vert fer de lance de Provence Business Angel, réseau d’investisseurs et de jeunes entrepreneurs, qui a préféré miser «sur la relation humaine plutôt que placer l’argent au cœur du projet», exposant au siège régional les jeux de mots, les phrases énigmatiques et les miroirs à double tranchant de Sylvain Ciavaldini. «Le meilleur est à venir» et «Je crois en mes rêves», phrases récurrentes dans son travail sont ici délicieusement équivoques. En attendant la mutation des entreprises en collec-

Les relations plasticiens-entreprises seraient au beau fixe, voire même «vécues comme des espaces de liberté» par les artistes. Info ou fantasme ? Vue d'ensemble des oeuvres de Gilles Oleksiuk dans la Galerie du Chateau de Servieres © Image Chateau de Servieres

tionneurs, Peter Sinclair est sur la brèche : Marseille Innovation lui a confié la captation son et image du chantier de l’Hôtel Technoptique qui, à son ouverture, devrait accueillir une œuvre in situ.

Généreux «Le projet d’inviter les entreprises à s’impliquer dans la vie locale d’une autre manière que par l’achat d’œuvres ou le mécénat financier, en proposant le suivi de projets artistiques en lien étroit avec leurs activités et l’accueil de public m’a beaucoup séduit» se réjouissait Alex Malka, responsable de l’imprimerie CCI, lors du vernissage de Pascal Martinez. L’entreprise travaille depuis longtemps pour nombre de structures culturelles de la région. Les échanges avec plusieurs collaborateurs, plus soucieux «d’apporter leurs contribution à la réalisation d’une œuvre dans leur espace de travail que de bénéficier d’une opération de communication» confirmait cet enthousiasme. L’affaire n’était pas gagnée : le premier projet fut ajourné (imprimer officiellement une série de faux euros), jugé trop «lyrique» par l’artiste, au profit d’une œuvre collaborative. À partir des images confiées par les employés,

Pascal Martinez a reconstruit une histoire, une filiation réinventée dans une forme populaire (un diaporama) soumis à des cadences variables mêlant les différentes vies individuelles. Aux Ateliers d’Artistes, c’est «une sorte de petite madeleine de Proust» qu’il a conçue à partir de gros plans du cœur de l’entreprise, l’imposante offset Heidelberg. Pris au jeu, les employés ont proposé d’éditer gracieusement un catalogue rendant compte de cette collaboration. La CCI s’est promis de chiffrer son implication, mais saura-telle évaluer le salaire de l’artiste ? MARIE GODFRIN-GUIDICELLI ET CLAUDE LORIN

20 ans : 20 artistes – 20 entreprises jusqu’au 15 janvier Marseille innovation, Hôtel Technologique, Marseille 13e Imprimerie CCI, Marseille 15e Ateliers d’artistes de la Ville de Marseille 4e 04 91 85 42 78 www.chateaudeservieres.org

Confusion des genres Présenter la réhabilitation de la Place Moisson (Marseille 2e) comme une action de mécénat culturel est emblématique des confusions qui règnent autour de ces concepts : le rôle de la Fondation de France dans la rénovation de la Place Moisson reste marginal, et n’aboutit pas vraiment à la création d’une œuvre d’art, mais d’un aménagement public. L’opération des Nouveaux Commanditaires est pourtant très intéressante : il s’agissait en l’occurrence de répondre à un besoin énoncé par les habitants, et les écoles Moisson en particulier. Un architecte, Olivier Bedu, a conçu une place fonctionnelle et ludique, avec une classe de CE2, et la Fondation de France a chargé le Bureau des compétences et désirs de trouver le financement et de suivre la réalisation.

C’est chose faite. Mais Jean-Noël Guérini, et JeanPaul Tassy aussi d’ailleurs, représentant régional de la Fondation de France, avaient raison de souligner que le CG avait apporté 80% des fonds, et que le reste provenait des autres collectivités : s’il est estimable d’organiser une opération architecturale et éducative, et de travailler à son financement et à sa réalisation, le mécénat culturel devrait se traduire par un véritable apport financier, et se concentrer sur d’autres terrains que l’aménagement de l’espace public, dévolu par nature au financement public… AGNES FRESCHEL

L’inauguration de la Place Moisson a eu lieu le 10 déc


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THÉÂTRE

BANCS PUBLICS | LA CRIÉE | SÈTE | GAP | OUEST PROVENCE

Échelons variables De la 5e édition des Rencontres à l’échelle initiées par Les Bancs publics restera un sentiment mitigé pas facile à filtrer ; des propositions bien pensées pour être à l’épreuve du bien pensant ; un travail réel d’échanges entre artistes, créateurs des deux rives de la Méditerranée et même de l’autre océan; les risques de l’expérimentation sans doute, mais pas les éclats ni même les ratages d’ailleurs... Alors quoi ? D’abord la confirmation que la complicité avec l’auteur algérien Mustapha Benfodil offre au public l’opportunité d’une découverte renouvelée d’année en année ; avec la reprise du texte toujours «en chantier d’écriture» mais «en cours d’achèvement» (sera donné aux Salins en mars 2011), au titre impossible et formidable de fausse naïveté (De mon hublot utérin je te salue humanité et te dis blablabla), la compagnie de Julie Kretzschmar

a produit une forme intéressante, mise en mouvement par le chorégraphe Thierry Thieû Niang. Plateau nu, corps au sol, houle de vivants et de morts, levées de mots pour une traversée maritime et maternelle ; des souvenirs qui tanguent -«l’avenir, c’est le passé qu’on reconstruit»- affres et vomissements épiques, murmures et là, ça ne va pas, on n’entend plus... les chuchotements du sujet noyé dans l’horreur de l’Histoire contemporaine méritent que l’on monte le son ! Les Borgnes ou le colonialisme intérieur brut, autre spectacle «à venir», s’est donné (c’est le moins que l’on puisse dire!) en lecture sous la direction de Kheireddine Lardjam : texte chimère, épopée balèze, monstre de lyrisme et de platitudes-chocs, interrogations adolescentes, recyclages brechtiens et sans complexe, foisonnement verbal qui inter-

Ravissements © Elise Tamisier

roge ce temps qui ne passe pas, celui des pères, des ogres, des éventreurs et des mystificateurs «liquider c’est rendre fluides les années de plomb» ; écrasant sans doute pour les jeunes comédiens (qu’on leur enlève leur nez de clown par

pitié !) forcément éclipsés par les interventions musicales du souverain Amazigh Kateb. De moindre intensité, la proposition de Geoffrey Coppini autour de Ravissements de Ryad Girod, pourtant servie par le vif savoir-jouer de Marianne Houspie et Eric Houzelot, fait entendre l’inquiétante étrangeté d’un quotidien déréglé déjà tellement exploré par la littérature que le récit en paraît simple réécriture ; déception aussi face à la «fable sur les rêves d’ailleurs» du Comorien Soeuf Elbadawi, en résidence dans les quartiers Nord, qui n’aura pas réussi, malgré l’intensité de sa virulence, à dépasser le rituel folklorique. MARIE-JO DHÔ

Les Rencontres à l’échelle se sont déroulées du 10 au 27 nov

Cessons d’amplifier ? La Criée a proposé deux spectacles très différents, dont les similitudes sautaient pourtant aux yeux : des salles pleines, un véritable succès public, de la musique, de la tragédie et des micros inutiles (pourquoi amplifier toujours jusqu’à nous casser les oreilles ?). Médée © Raynaud de Lage

Tatouage d’Alfredo Arias est une tragédie grinçante : incarnant avec un magnifique mauvais goût (parfaitement dosé !) Miguel de Molina, personnage de Trav magnifique, le dédoublant, le détriplant et le confrontant à une Eva Peron en voie de momification, Arias réussit à produire une revue, très bien chantée dans l’ensemble, et aussi parfaitement dramatique : elle jette sur elle-même, sur l’art du cabaret, sur l’histoire argentine, sur l’homosexualité, ses répressions et ses désirs, un regard à la fois nostalgique et critique, et drôle de légèreté imposée… Le Médée de Laurent Fréchuret est à la fois plus intéressant et moins réussi. La musique y est fine, nettement moins racoleuse, composée et interprétée en direct par des musiciens formidables (c’est si rare au théâtre !). Quant au parti pris de conserver le côté statique face public de la tragédie antique, il est courageux, et assumé diversement par les comédiens. Catherine

Germain y est magnifiquement échevelée, interprétant une Médée jamais hystérique dont le geste demeure pourtant immotivé (mais tue-t-on ses enfants par jalousie de femme abandonnée ? le personnage d’Euripide est-il psychologiquement crédible ?). Quant à Mireille Mossé et aux autres acteurs, ils sont diversement justes, diversement présents aussi, ne réussissant pas à peupler un espace scénique qui hésite entre représentation symbolique des lieux et scène nue de la déclamation. Dommage, car la traduction est belle, la vidéo discrète utilisée à bon escient, et la musique (Dominique Lentin, Takumi Fukushima, Jean-François Pauvros) agit en véritable partenaire dramatique… AGNÈS FRESCHEL

Tatouage a été joué du 19 au 25 nov, Médée du 1er au 4 déc, à La Criée

Cerises de sel 17 août 1893, dans les marais salants d’Aigues-Mortes, c’est jour de liesse populaire. Mais des rixes éclatent entre ouvriers français et italiens, et dégénèrent en expéditions punitives contre les immigrés : au moins 8 morts italiens, plus de 50 blessés, 1000 ouvriers expulsés ! Aussitôt le jugement passé (aucune condamnation des coupables !), l’affaire est enterrée. La révolution industrielle est en route… À partir de ces faits sur lesquels l’historien Gérard Noiriel s’est penché dans un ouvrage remarquable (voir p 75 et Zib’28), Serge Valletti a écrit une comédie triste en quatre actes construite sur le même modèle que les pièces de Tchekhov : un premier acte qui pose avec lenteur les personnages et les caractères (une famille bourgeoise qui sera malgré elle au cœur du conflit) et le dernier où l’action retombe, quand il n’y a plus ni rideaux aux fenêtres ni tableaux aux murs de la Cerisaie… Entre les deux, c’est l’Histoire vécue du côté de ceux qui assistent aux tragiques événements calfeutrés dans leur haute bâtisse, à l’abri des fourches, rebelles, idéalistes, poltrons ou résignés. Un parti pris littéraire habile, servi par la scénographie ciné-

matographique de Sylvie Orcier: succession de plans pour la perspective et la profondeur de champ, écran de voile blanc pour délimiter les espaces intérieurextérieur. Et amplifié par Patrick Pineau (voir p 6), fin connaisseur de l’œuvre de Valletti, dont la mise en scène limpide permet d’être au plus près de son écriture tout en laissant une plage de liberté aux acteurs. Tous magnifiques, les uns dans la certitude que le monde ne Sale aout © Lucie Laurent

vacillera pas, les autres dans l’intuition que rien ne sera plus jamais comme avant. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Sale août a été créé les 25 et 26 nov sur la Scène nationale de Sète et le 3 déc sur la scène nationale de Gap

À venir Du 15 au 18 déc à La Criée, Marseille 7e 04 91 54 70 54 www.theatre-lacriee.com Le 26 janv au Théâtre La Colonne, Miramas 04 90 58 37 86 www.scenesetcines.fr Le 28 janv au CNCDC Châteauvallon, Ollioulles 04 94 22 02 02 www.chateauvallon.com


LE GYPTIS | LA MINOTERIE

THÉÂTRE

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Ouvrir les yeux La Minoterie a rendu hommage à l’auteur marocain Driss Ksikès, avec la mise en espace d’une de ses dernières pièces, 180 degrés, par Pierrette Monticelli. Un photographe vient photographier une femme qui porte la burqa et un étrange rapport se noue entre eux, fait de désir et de crainte, chacun se cachant de l’autre : l’un derrière son appareil, l’autre sous sa burqa. Autour d’eux, d’autres observent et dialoguent. Qu’en est-il de ce corps absent ? «Comment faire pour être vue sans être mise à nu ?» Un texte fort, très bien servi par les comédiens qui ont trouvé la juste place. Suivait une autre pièce de Ksikès, montée par le metteur en scène Jaouad Essounani avec les comédiens de sa jeune troupe Le Dabateatr. Mélange d’absurde et d’humour noir, parabole dérangeante de la condition humaine. 3 femmes et 3 hommes vivent courbés, obéissant à un dictateur invisible

Houwa © X-D.R.

et muet, Il (Houwa en arabe). Son porte-parole vient virevolter et ordonner de temps en temps, sorte de charlot souriant. Ces hommes se disent sousterriens car ils vivent dans l’utérus de la terre, encerclés par un mur ; qu’y a-t-il derrière ? trouveront-ils la clé ? La pièce jouée en français et en darija, arabe dialectal marocain, est portée par l’élan

créatif et généreux de ces 2 créateurs qui ont obtenu le Prix du Festival de théâtre de Meknès en 2009. Plus tôt dans l’après midi, l’écrivain Driss Ksikes et Jaouad Essoussani, avec Saïd Aït el Moumen, (voir p 24) étaient réunis pour présenter la jeune création marocaine qu’ils incarnent. Répondant avec une verve intarissable et volon-

tiers frondeuse aux questions de Richard Jacquemond et Stéphane Baquey, chercheurs à l’Université de Provence et spécialistes de littérature arabe, ils présentent leur travail respectif lié par une préoccupation commune : celle d’un rapport au public participatif, pédagogique et ritualisé, qui parie sur une culture exigeante diffusée par relais et réseaux, plutôt que sur les caricatures médiatico-touristiques auxquelles se réduit le soutien institutionnel. Et s’ils s’insurgent contre l’exotisme folklorique omniprésent dans leur pays, ils se méfient tout autant des postures faciles ou des revendications identitares: «orphelins de père et de repères», «nous ne sommes pas des plantes, nous n’avons pas de racines» ! AUDE FANLO ET CHRIS BOURGUE

Il/Houwa s’est joué les 3 et 4 décembre à la Minoterie

Lord Jim Dom Juan © Laurence Fragnol

Géniale analogie qui fonctionne avec cohérence et légèreté (un miracle, mais on sait que c’est une «affaire entre le ciel et...» lui !) : la vie de la rock-star Jim Morrison éclaire frontalement, et même dans des recoins plus sombres, l’emblématique personnage de Molière ; du XVIIe siècle aux années

ici ouvreuses bonbon caramel– et du claquement si bien orchestré des fauteuils rouges qui scande les vains serments du séducteur ou de la parodie hilarante de Las Vegas Parano de Terry Gillian dans laquelle le «pauvre» se trouve naturellement un SDF du bord des routes. Et que dire encore de la mort qui vient, de la statue toute intériorisée dont l’avancée se signale par les croassements et les battements de bras tragiquement grotesques de Dom Juan vaincu selon les paroles de Jim-poète «La mort fait de nous des anges et nous donne des ailes, là où nous avions des épaules douces comme des serres de corbeau» ? Bref, le psychédélique sied à Molière !

70 Dom Juan se réincarne dans le jean très ajusté et les épaules frêles du libertin à la fourrure (subtil Charles-Eric Petit qui distille les signes du bad boy jusqu’au bad trip final). Le texte est là, avec des coupes autour de l’argent -exit la visite de Monsieur Dimanche ou le «mes gages, mes gages» du valet frustré- ou l’inversion des rôles père / mère qui fructifie avec bonheur lorsque le jeune rebelle scarifie son torse de combattant à grands traits du rouge à lèvres déniché au fond du sac maternel oublié. Révolte et veulerie sous le regard permanent de Sganarelle (Hervé Pezières) toujours en scène, toujours juste et au diapason bondissant ! Jean Charles Raymond tient le cap des 5 actes dans le compagnonnage musical des Doors en toute légitimité dramaturgique, de Whisky Bar à The End et convoque avec intelligence le cinéma ; on se souviendra longtemps de la scène des paysannes –

MARIE-JO DHÔ

Dom Juan a été joué par la compagnie La Naïve au Gyptis du 7 au 11 déc

Je bouge donc je suis ? proche de Beckett et Tardieu, mélange d’absurde et d’ironie, en plus criard. Peu à peu la scène s’encombre d’un fatras d’objets hétéroclites et d’un tableau noir sur lequel elles inscrivent des questions; les réponses ne sont pas satisfaisantes mais elles continuent à bouger pour faire diversion face au vide. Spectacle grinçant d’une troupe lorraine née à l’époque du Festival de Nancy créé par Jack Lang. Drôle par moments, mais pas vraiment philosophique. Bouger ne suffit pas pour être. Sur scène. Parler non plus, surtout autant. C.B.

Folisophie s’est donné du 16 au 20 nov au Gyptis

© X-D.R

D’abord il y a sur la scène un énorme singe assis, immobile. Puis lumière sur le plateau et deux voix en coulisse qui posent la question autour de laquelle tout va tourner : «Qu’est-ce qui se passe quand on n’est pas là ?», et lancent une affirmation : «Quand je marche droit devant, j’avance et je pense.» Puis un pied suivi d’un mollet surgit dans le fond, suivi d’un corps, puis de deux : deux femmes en noir échangent des aphorismes puis des discours bavards sur l’existence, le fait d’être là, de parler, d’essayer de penser et de comprendre le monde. L’une est la tête pensante (Odile Massé), l’autre répète ce que dit l’une (Mawen Noury). Au début elles ne voient pas le singe, puis le voient mais l’ignorent : ça bouge pas, donc ça pense pas, donc ça existe pas ! L’univers est


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THÉÂTRE

MERLAN | GYMNASE

Moitié femme moitié chiffon Déjà en 2007 Le Merlan coproduisait Éloge du poil de Jeanne Mordoj, aujourd’hui il récidive avec Adieu Poupée -initialement baptisé La Femme sans passéet transforme pour partie sa salle en gradins. Une

© Agnes Mellon

jauge réduite donc pour une petite forme théâtrale qui requiert proximité et intimité avec le public. Accrochées aux murs, suspendues au plafond, amassées au sol, des poupées de chiffon occupent la maison jusqu’à recouvrir l’habile couturière, ellemême poupée et pas vraiment femme. Leur corps est tordu, leurs visages grimaçants, leurs silhouettes grossières. Incapable de communiquer, la femme sans passé fabrique des poupées humaines chargées d’émotions, personnages dramatiques à part entière. Mais il lui faut vite réagir, reprendre le dessus pour sortir de cette asphyxie qui la tue à petit feu, et même les malmener ! Dans un état d’hypnose et d’hallucination, Jeanne Mordoj déroule un long et décousu monologue d’une voix fluette, d’un ton monocorde, avec des gestes lents entrecoupés de

silences oppressants. Elle transforme son corps en poupée difforme et grotesque comme si cette métamorphose était son unique chance de renaître à la vie, d’animer son visage peinturluré quelques instants à l’image de ses figurines. Un jeu de double s’engage, violent, un jeu de massacre aussi. Destruction et renaissance : dans ce vaste champ de bataille, elle va gagner son autonomie, récupérer un peu de sa force vitale mais laisser le spectateur en eaux troubles. Car le texte de François Cervantes est plus cruel que sa voix ne le laisse entendre, et son interprétation linéaire éteint sa petite flamme. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Adieu Poupée a été créé au Merlan du 18 au 25 nov

Le jeu sans amour du hasard Dans un couple, on n’est jamais seuls, dit La Palice ; on n’est jamais deux non plus, ni même un, rétorque, plus lucide, Renaud Marie Leblanc qui met en scène pour la seconde fois cette saison Christophe Pellet. Elle, jeune cadre dominatrice et surbookée, l’Un, acteur porno, et l’Autre, dealer désœuvré, couchent ensemble. C’est pourtant moins un triangle amoureux que la redistribution erratique d’un même duo à géométrie variable, qui fait du troisième un truchement nécessaire, comme le sont les représentations sociales, fantasmatiques ou médiatiques dont l’acte sexuel se nourrit et qui lui font écran en même temps. Chacun cherche, en vain, à éprouver dans les contradictions du jeu sexuel l’intimité et l’unité illusoire d’une présence à soi; ou à se laisser prendre par l’imposture géniale du couple, qui institue l’accouplement en acte social : produire et se reproduire, avoir un travail et faire un enfant, reviennent finalement au même, à

accepter de trouver une place dans le jeu social. L’espace scénique, vidé de ses couleurs mais saturé d’écrans, est une scène pornographique : les corps y sont livrés dans leur nudité démunie et brutale jusqu’au dégoût, mais désincarnés, asservis, déréalisés par le montage sonore et vidéo. On pouvait tout craindre : pourtant, ni provocation voyeuriste, ni variation rebattue sur le trouble érotique dans ce parti pris qui témoigne au contraire d’une intelligence aiguë et féconde du propos. La tension tenue entre l’obscénité et la présence sensible, juste et simple des trois acteurs, remarquables, porte avec précision et densité l’inquiétude émouvante de jeunes gens pas encore tout à fait adultes qui cherchent, à l’aveugle, comment entrer dans la vie. AUDE FANLO

Avec Guillaume Clausse, Marie Dompnier, Julien Duval, et Benjamin Dupé (musique)

© Agnès Mellon

À noter Eric Von Stroheim se joue jusqu’au 17 décembre. Spectacle interdit aux moins de 18 ans

Théâtre du Merlan, Marseille 04 91 11 19 20 www.merlan.org

CoLabiche ? Le Livre d’or de Jan procure une impression étrange. La pièce d’Hubert Colas créée à Avignon durant le Festival 2009 (voir Zib’ 21) révèle toutes les qualités, rares, et surtout rarement réunies, de l’auteur/metteur en scène marseillais. Sa scénographie est à la fois astucieuse, légère et belle; sa direction d’acteurs, de leurs sourires et de leurs regards, est simplement parfaite ; et son sens de l’espace et du rythme sont exceptionnels : pas une seconde d’ennui durant plus de deux heures, les séquences durent et se succèdent exactement comme il le faut et rythme des mots à l’intérieur des répliques, des respirations dans les passages comiques, est réglé comme une horloge subtile, sans excès de vitesse, avec juste les bonnes impulsions. Mais malheureusement l’absence d’intérêt du propos est tout aussi sidérante que la pertinence esthétique mise en œuvre. L’artiste disparu, les personnages qui gravitent autour de cette

absence et semblent tous creux et vains, désœuvrés et ternes. Parlent sans dire rien, sinon leur illimité désir, et leur illimitée impuissance à jouir du monde. Un tableau d’une génération et d’un milieu qui ne sont pas dénoncés, pas défendus non plus, à peine montrés dans leur nonchalance proche de l’inexistence. Depuis Avignon l’ensemble a gagné encore en virtuosité : les problèmes de distribution sont réglés, le rythme est encore plus efficace. En fait le Livre d’or de Jan possède les mêmes qualités qu’une très bonne mise en scène de vaudeville : on y rit énormément, on s’époustoufle des trouvailles, mais on s’inquiète de la distance prise avec le réel du monde. Paradoxal, pour une création si contemporaine ! AGNÈS FRESCHEL

Le Livre d’Or de Jan a été repris au Gymnase du 7 au 11 décembre


LENCHE | CENTAURE | SIRÈNE

THÉÂTRE

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Trompette ou piano ? Ça se corse ! De piano en trompette, d’imbroglio en chansonnette, tout risque de se casser la figure. Le ballet incessant du salon de la veuve à celui de Letrinquier est accompagné du piano d’Anne Gastine qui a composé les arrangements musicaux, les musiques d’origine ayant été perdues. Tout finit par s’arranger par une dernière pirouette et une chanson invitant les spectateurs à parler du spectacle autour d’eux... comme le faisait Shakespeare ! CHRIS BOURGUE

À noter La Station Champbaudet jusqu’au 23 déc Mini-théâtre du Panier, Marseille 2e 04 91 91 52 22 www.theatredelenche.info © X-D.R

Un vaudeville de Labiche ça peut vite devenir tartignole. Un peu convenu et prévisible. Aussi ne peut-on que louer le travail léger et divertissant proposé par la compagnie l’Égrégore dans la mise en scène d’Ivan Romeuf. Dans un lieu intimiste, les spectateurs se retrouvent assis en rangées face à face, les acteurs évoluant sur des estrades au milieu. Vous arrivez comme à la maison et l’on vous offre un thé avant de vous asseoir. Vous faites partie des invités aux fian-çailles arrangées de Caroline Letrinquier (Sandra Cambrouze) au jeune architecte Paul (Jean-Marc Fillet) sur la proposition d’un notaire. Lequel Paul fréquente assidûment une veuve énamourée, Mme Champbaudet (Anne Lévy), ce qui lui permet de rapidement grimper à l’étage chez sa maîtresse dont il attend le signal au piano. Lui-même d’ailleurs souffle dans une trompette dont vous devinez l’érotique symbolique... Mais il se trouve que le père Letrinquier (Maurice Vinçon) a pour ami intime le mari cocu (Jérome Beaufils). Vous y êtes ?

Claviers intempérés Pas de sirène en janvier ! C’est l’habitude mais ça va nous manquer ! D’autant que la dernière ne fut pas passionnante, malgré l’insolente éclaircie qui s’afficha pile à midi (au cœur de l’orage ! quand le ciel est gris le premier mercredi du mois, si vous êtes marseillais dites-vous que ça va s’éclaircir : le Ciel, météorologique du moins, est avec Lieux Publics…). Mais Nicolas Cante resta terne. Non que son univers sonore soit dénué d’intérêt : homme orchestre il fait feu de tout clavier, déclenche et trafique

les sons synthétiques en direct, et les confronte à l’univers classique d’un piano déglingué mais aux hauteurs tempérées. L’idée est intéressante, d’autant que les sons se confrontent à la sirène intempestive et pas moins intempérée (mais à l’abri miraculeux des intempéries vous l’aurez compris). Mais d’une part l’univers sonore hésite entre une pulsation (trop) marquée et (vraiment trop) régulière et des nappes lisses plus contemporaines, d’autre part la performance refuse tout spectaculaire et s’affiche dos au spectateur,

ce qui est paradoxal pour un spectacle de rue… Bref, un travail qui mériterait d’être affiné et de s’écouter dans le confort feutré d’un concert assis. Lieux publics pourrait songer à investir une caverne (publique ?). Il n’y pleuvrait pas plus. AGNES FRESCHEL

Mekanik Kantatik a été joué à midi pile le 1er décembre sur la place de l’opéra dans le cadre de sirène et midi net

© Frederic Chehu

Apparition Laterna magica (voir p 40) est allé faire un tour chez les Centaures, et y montrait le résultat d’un atelier proposé aux enfants : ils ont travaillé avec des papiers, des éléments naturels pour créer des animaux imaginaires dont les photos sont projetées. Suivies d’un court métrage tourné dans la ville industrielle d’Odessa. Alternance de gros plans sur les pattes d’un cheval tapant fortement du sabot dans l’eau, de fumées d’usine, de structures tubulaires. Noir. Un bruit d’eau, une masse blanche. Peu à peu nos yeux distinguent le Centaure : Nuno, le premier cheval de la compagnie et Manolo, torse nu, grande jupe blanche. Les deux corps se confondent. Manolo joue lentement avec la queue du cheval comme avec une chevelure dans laquelle il s’enroule. Leur reflet se dessine dans

une grande flaque noire. Instant magique de poésie, vision fantomatique éclairée par la lune, venue des contes nordiques, peut-être. Temps suspendu. CHRIS BOURGUE

Poème Centaure n°3, Hydrocarbure, s’est donné le 11 déc à la Campagne Pastré

À venir Poème Centaure n°4 le 8 janv Théâtre Centaure, Marseille 9e 04 91 25 38 10 www.theatreducentaure.com


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THÉÂTRE

CHÂTEAU-ARNOUX | JEU DE PAUME | GARDANNE

Au bord du précipice Coincé entre le bord de la scène et un banc, le personnage enveloppé dans son imperméable gris circule à petits pas chassés. Lieu étriqué à l’instar de

sa vie ou plutôt de son incapacité de vivre… Chassé de sa chambre à la mort de son père, jeté à la rue, il rencontre une femme qui devient son «premier

© Helene Bamberger - Cosmos

amour». Rien à voir avec Tourgueniev ! Beckett se délecte de l’étrangeté absurde du personnage décrit, avec un regard totalement distancié, vraiment détaché du monde. Ironie terrible, décapante et déroutante : plongé dans une logique où l’on ne peut plus l’atteindre, un vieil homme raconte sa vie. Le récit tisse entre passé et présent de nombreux allers et retours, du mouvement souple d’une mémoire qui se cherche. Égoïsme d’une désarmante innocence ! Insupportable présence de l’autre ! Le héros, ou plutôt cet exemple de l’anti héros, ne rêve que de rester tranquillement dans sa chambre et l’on s’acharne à l’en faire sortir… Pourtant, quelle vision lucide ! Les masques tombent, la position absurde du personnage

dévoile les non-sens du monde. Le beau texte de Samuel Beckett est ici remarquablement servi par Samy Frey inspiré, qui interprète avec une grande finesse ce long monologue, en y instillant de subtiles nuances. Les éclairages sobres de Franck Thévenon accentuent les traits du visage, le sculptent au couteau, et accordent à l’ensemble une certaine cruauté pathétique. Un beau moment de théâtre. MARYVONNE COLOMBANI

Premier amour de Beckett a été donné au Jeu de Paume du 23 au 27 nov, au théâtre de Grasse les 19 et 20 nov et sera visible à Châteauvallon du 15 au 18 déc

Démontage loufoque Qu’est-ce qu’un homme ? Faites l’expérience de le démonter complètement et de le remonter dans tous les sens. Qu’en résultera-t-il ? La compagnie Cartoun © X-D.R

Sardines s’empare de la pièce de Brecht Un homme est un homme, lui ôte le caractère sombre que lui donnaient les décors de la version originale, pour s’emporter dans une fantaisie cruelle où les clowneries ont un goût acide. Le personnage de Galy Gay (Bruno Bonomo), porteur au port de Kilkoa, en Inde, pêche, rentre bredouille (après une folie phallique débridée). Par un invraisemblable concours de circonstances, le voilà soldat, manipulé, crédule, naïf : il se transformera en machine de guerre. Costumes multiformes et loufoques, jeux de scène cocasses et déjantés, esthétique de BD, dialogues à l’emporte-pièce, constructions hilarantes (l’éléphant qui émerge de l’assemblage des pans du rideau est inénarrable !), tout est mis en œuvre pour faire rire le public. La galerie de portraits est peu engageante, avec la veuve Begbick, tenancière de

Dément songe spéculatif 11e représentation au Théâtre Durance du cirque dansé ou danse circassienne L’Iceberg, chorégraphié par Florence Caillon de la troupe l’Eolienne. Un châssis suspendu, agrès agressif, fend la scène comme une interjection protestataire. La bande sonore martèle en litanies la dénonciation douloureuse des scandales et mensonges à répétition devenus méthode de gouvernance. Xavier Demerliac, auteur de la bande son, slame les révoltes de Denis Robert, journaliste censuré, qui graphe sa colère dans le décor de lumière du fond de scène. Ses compositions plastiques, en vidéo géante, inscrivent, comme une conjuration, les maux obscènes de la finance spéculative sur les ombres des corps désarticulés et spasmodiques d’un cirque acrobatique, dense souffrance des sociétés. Huit acrobatiques danseurs miment, dans la perfection technique, l’éclatement des âmes, et les ombres de la dualité des représentations, l’effacement des consciences civiles. Un travail multidimensionnel qui cherche de nouvelles voies dans l’expression de la révolte contre le monde orwellien que forgent le FMI et les puissances financières. Une composition encore en rêve évolution de l’aveu de la chorégraphe, une tentative qui veut croire qu’un spectacle peut modifier la société spectaculaire. En tous cas, l’expression d’une recherche d’irrévédanse cirquorégraphique et… la jubilation d’un hurlement de révolte ! YVES BERCHADSKY

L’Iceberg a été dansé au théâtre Durance (04) les 2 et 3 déc

taverne à soldats, Bloody Five, chef militaire obtus qui suivra le chemin inverse de Galy Gay et les soldats eux-mêmes, manipulateurs et pervers. Pierre Marcon, compositeur et interprète, apporte à la représentation un humour décalé, jusqu’à employer les Doors et leur whisky bar ! Instruments variés, tout porte du son, jusqu’au tuba plongé dans un aquarium. L’ensemble est drôle, correctement joué, mais manque de verve et de densité. On aurait aimé un propos plus resserré qui aurait accordé plus de force à l’intention de départ, et aurait restitué la force politique du texte. M.C.

Un homme est un homme a été donné aux Trois casinos de Gardanne le 10 déc et au théâtre Le Sémaphore le 19 nov

© stéphanie Jaume



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THÉÂTRE

ARLES | NÎMES | OUEST PROVENCE

Telle qu’elle Il en impose Jean-Claude Dreyfus, il a beau faire son entrée sur des talons dans une robe à fleurs, il en impose. Mais dès que Marie-Pierre fait entendre sa voix tout s’efface, et apparaît une femme fatiguée, préoccupée, mais heureuse de s’occuper de son vieux père tous les mardis. Un jour où tous les deux s’affrontent plus qu’ils ne se confortent, l’un invectivant l’autre, et pour cause… Marie-Pierre est née Jean-Pierre, dans cette ville où habite encore son père, et ce dernier ne s’en souvient que trop. Aussi lors des courses à Monoprix, chaque mardi, MariePierre affronte les regards, et la voix forte de son père qui ne manque pas de faire se retourner les clients quand il lui demande pourquoi tout ça. On jauge, on

grimace, on juge sûrement, des mots fusent, honte, pas possible, quand même… Dans une mise en scène volontairement dépouillée de Michel Didym, l’immense Jean-Claude Dreyfus interprète avec humanité et émotion retenue la liberté si chèrement payée de Marie-Pierre, sur un texte d’Emmanuel Darley dont la savante structure use de mots simples, ceux de tous les jours, qui rendent plus poignante encore cette exclusion. À ses côtés, présent mais discret, Philippe Thibault souligne les subtilités du récit à la contrebasse. © Eric Didym

DOMINIQUE MARÇON

Le Mardi à Monoprix a été joué au théâtre d’Arles les 23 et 24 novembre

Défroissée l’humanité !

© Vincent Muteau

Les personnages sont là, les noms nous sont familiers puisqu’il s’agit d’Antigone, de la ville de Thèbes, de Polynice et Étéocle et leur guerre fratricide, de

Créon et sa loi injuste, d’Hémon amoureux… mais il y a aussi l’oiseau critique que consulte Créon et qui fait office de chœur, le maçon débordé par les

brèches qu’il faut combler, le mur qui petit à petit va diviser la scène, et le public qui se trouve être placé de part et d’autre… Ramassée, et singulièrement revisitée, l’histoire va subir un délicieux «défroissage», rappelant même l’histoire récente, tendance mur de Berlin et privation des libertés. Ici tout est en papier et en bois, du décor (y compris le mur qui sera monté au gré des injonctions de Créon) aux personnages ; du papier travaillé, froissé et coloré selon qu’il habille les marionnettes ou se découpe dans les lumières tamisées, servant même parfois de support à des ombres menaçantes. Les marionnettes créées et manipulées par Camille Trouvé font corps avec elle, et l’illusion est saisissante : que ce soit Antigone la combative, Créon ramassé sur lui-même, fatigué, les gardes dont la ronde de surveillance tourne au

plaidoyer politique, ou encore l’oiseau, confident de Créon distillant tranquillement ses doutes et ses questions… Parce que la comédienne prend le temps de les faire vivre, elle rend les marionnettes infiniment humaines, proches, changeant de voix, et de rythme, selon les personnages. Sans oublier la partition crée par les violoncellistes pour la pièce, et jouée sur scène par Martina Rodriguez (cocréatrice de ladite partition avec Sandrine Lefebvre) et Véronica Votti. Un grand régal ! DO.M.

Une Antigone de papier a été jouée au théâtre de l’Olivier, Istres le 3 décembre

Oratorio trash La cie Nîmoise Subito, après l’avoir d’abord créée dans son cabaret le Petit Subito, a adapté son Requiem pour Miss Blandish à l’Odéon, transformant le lieu en club de jazz américain, jusqu’à rendre les spectateurs complices et directement concernés par cette sale histoire grâce à un dispositif frontal très resserré (la «scène» très longue et très étroite divise le public). Henri Le Ny, derrière son pupitre, entame le récit, tandis que derrière lui les musiciens distillent la bande son créée par Patrick Miralles, mi-effrayante, mi-aventureuse, collant au jeu des comédiens (3 seulement !) déchaînés. C’est que l’histoire de Miss Blandish n’est pas des moins violentes: cette héroïne du roman de James Hadley Chase -Pas d’orchidées pour miss Blandish- fille d’un

millionnaire, est kidnappée la veille de son mariage pour son collier de dia-

mants, après avoir vu son fiancé se faire tuer sous ses yeux, par une bande © Stéphane Barbier

de pieds nickelés dont un des membres, Slim, est un psychopathe débile et sadique… Gardant la trame intacte, la mise en scène de Doumée, fondatrice de la cie, évacue quelque peu la violence faite de cruauté et de sévices sexuels que l’on retrouve tout au long du roman. Une succession de tableaux courts rythme cette poursuite entre gangsters et détective de façon très cinématographique, passant de la parole au chant et de la musique à la danse dans un mouvement fluide quasi perpétuel. Déroutant et séduisant. DO.M.

Requiem pour Miss Blandish a été donné les 1er et 2 décembre à l’Odéon, Nîmes


AVIGNON | CAVAILLON | ARLES

THÉÂTRE 17

Théâtre de vie en partage Catherine Zambon a fait la tournée des bars du Luberon pour des lectures de son livre Les Z’habitants. Un projet initié en 2004 par la scène nationale de Cavaillon, qui s’est baladé depuis dans le Lot et le Dauphiné. Inspirée par les lieux de vie d’hôtes inconnus, où elle s’immergeait 3 heures durant seule dans leur habitation, l’auteure a donné naissance à 14 textes théâtraux d’une humanité exquise. «J’ai mis un certain temps à me dire qu’il fallait s’enraciner dans son ressenti, être très près de soi pour à la fois décrire l’endroit et imaginer quelque chose qui mêle le lieu et son intimité.» Elle allait à l’aveugle dans ces maisons, prenait des notes sur le vif, écrivait ses sensations puis revisitait ses écrits 2 ou 3 semaines

ment, et que Catherine Zambon restitue aux «prêteurs» de maison, souvent très émus du résultat. «Lire du théâtre dans les bars, c’est jamais gagné d’avance» nous prévient-on. C’est en effet sonore, inhabituel, moins confortable et discipliné qu’une salle de théâtre, mais en parfaite adéquation, idéale, avec ce travail d’orfèvre entre réel et fiction qu’on pourrait écouter jusqu’au bout de la nuit. DE.M.

© Delphine Michelangeli

plus tard. «C’était une mine d’or, même dans les lieux qui ne m’inspiraient pas au départ, où j’étais mal à l’aise, j’ai pu installer des scénarios.» Après plusieurs

Dialectique identitaire Il est plutôt louable de vouloir créer un spectacle à partir des problématiques liées à l’identité, à la transmission et à la transgression. Le GdRA, dans son spectacle pluridisciplinaire Nour, tente de dresser le portrait d’une jeune femme, Nour El Yacoubi, née en France de parents algériens qui trouve dans la danse hip hop le moyen idéal de se réaliser, d’échapper à ses origines oppressantes ; une transgression libératrice et émancipatrice. Nour n’existe pas, elle est une identité fictionnelle, créée à partir de témoignages d’habitants rencontrés un peu partout. Personnage pluriel sur scène, elle est représentée au gré du récit par une danseuse, un comédien, un témoin filmé… Cette parole morcelée, et souvent inutilement hurlée dans le micro comme

si l’intensité du son donnait aux mots plus de sens, ne sert hélas pas le propos mais le dilue, appuyée en cela par une uniformisation vestimentaire (sweat rouge sur lesquels figurent le mot «personne») et une démonstration visuelle souvent brouillonne de mots qui se chevauchent. L’échange ne fonctionne finalement pas car il est à sens unique. C’est dommage : Nour aurait pu être une porte-parole d’une communauté dont on aimerait partager la reconstruction identitaire, ou le point de départ d’une réflexion à partager. DO.M.

Nour a été donné le 7 décembre au théâtre d’Arles

mois de réécriture, la fiction dramatique est au rendez-vous de chaque pièce, tissant une humanité et une galerie de personnages que l’on découvre goulû-

Les lectures des Z’habitants de Catherine Zambon se sont déroulées du 7 au 10 décembre dans les bars du territoire du Luberon

Incantations mentales Installée en cénacle dans la magnifique chapelle -glacée- des Miracles, la compagnie des Ouvriers, via Thierry Alcaraz et l’artiste vocale Nannette Van Zanten, a livré sa création mystique et incantatoire, Instant/Instinct. Un combiné de travail improvisé sur la voix, de viole de gambe et de vidéos numériques, qui laisse dubitatif. La proposition, audacieuse, consiste à tenter chaque soir de tisser un univers musical improvisé proche du sacré pour «vivre l’instant en s’oubliant et en oubliant l’extérieur». Le comédien, survivant aux blessures du deuil, se lance sans filet dans le chant cérémonial, onomatopées à consonance arabe et yiddish, ne mesurant peut-être pas les inévitables comparaisons auxquelles il s’expose. Osé donc mais sincère. Malheureuse-

ment l’animation graphique «débordante de virtuosité» n’est pas à la mesure de l’ambitieux projet (un ciel en mouvement, des oiseaux, l’apparition de racines sur les voûtes de la chapelle… pas de quoi faire entrer en communion avec l’universalité !). L’émotion se débine devant ce qui se veut «une des formes du livre des splendeurs», et le «trait d’union entre ciel et terre» : à moins d’être doué de fervente spiritualité, le spectacle reste obscur. Mais on était prévenu : «seul ce que vous allez être va rencontrer ce que vous allez voir» annonçait le sticker délivré à l’accueil. De. M.

tamment une analogie politique, joyeusement incisive, avec l’actualité et un croisement inattendu des protagonistes. «Je fais du Feydeau visuel et comme je ne peux rien changer au monde, j’ai décidé de rigoler» déclare le metteur en scène. Sous cet angle le pari est assez réussi. La pièce est courte, vive, drôle à force de quiproquos et de mauvaise foi, agrémentée d’un parti pris esthétique et musical très 80’s, clairement assumé. Clarisse (Olivia Forest, femme/enfant très porte-jarretelles), une jeune épouse pas si potiche qu’elle s’en donne l’air, se balade à longueur de journée quasiment nue devant famille et invités. Elle se libère du joug de son mari, le député Ventroux (Guillaume Lanson, tout à son affaire), en nouant des complicités inopinées. Où est la véritable indécence ? Dans le

mensonge vertueux d’un mari carriériste qui se rêve ministre ou dans la nudité de sa femme, qui fait du serviteur/journaliste (Emmanuel Besnault, un peu vert mais beau dédoublement de personnalité) son allié pour tendre un guet-apens à l’infidèle ? La réelle nouveauté se trouve dans la transformation du personnage de Monsieur Hochepaix en femme (interprété par Marie Pagès, délicieusement drôle). Un opposant à Ventroux qui aura le mérite de faire un clin d’œil aux femmes politiques, pas si potiches non plus ?

La compagnie des Ouvriers a présenté Instant/Instinct du 2 au 5 décembre à la Chapelle des Miracles, Avignon

Potiche en liberté ? Gérard Gélas avait déjà monté Mais n’te promène donc pas toute nue ! en 1987 mais avouait, après coup, avoir fait du vaudeville, «exactement ce qu’il ne fallait pas». Il ressert donc une 2nde mise

en scène de la pièce en s’attachant plus précisément à la mécanique de Feydeau, s’amusant toujours à démasquer mensonges et mascarades, et y ajoutant quelques effets personnels. Entendez no© Manuel Pascual

DELPHINE MICHELANGELI

Mais n’te promène donc pas toute nue ! s’est joué au Chêne Noir du 18 novembre au 5 décembre


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THÉÂTRE

AU PROGRAMME

Théâtral… Dans le cadre de son accueil de la Compagnie Belge

Maryse Aubert incarne, magistralement, tous les personnages pittoresques du roman de B. Traven, Rosa Blanca, qu’elle a également adapté. Mise en scène par Adel Hakim, elle dépeint et dénonce au fil des évènements la tourmente de l’implacable course au profit et les manœuvres employées par les pétroliers américains pour forcer les mexicains à céder leurs terres.

La fabrique imaginaire, le Merlan programme dans l’écrin à l’italienne du Théâtre du Gymnase une pièce créée en 1988, et devenue mythique. La Tragédie comique est vraiment un oxymore, une pièce qui puise dans le théâtre shakespearien ses faux atours, pour mettre en scène l’universalité toute contemporaine de nos tragédies humaines…

Rosa Blanca © Bellamy

Après Dom Juan (voir p 11) la compagnie La Naïve (Pertuis) s’est emparée d’un texte de Gilles Granouillet –auteur dramatique associé à la comédie de Saint-Etienne, autour duquel le GRETE organise une rencontre le 19 jan à 14h. Six hommes grimpent la colline met en scène cinq personnages masculins qui vont disperser les cendres de leur ami, et font ensemble, durant l’ascension, le bilan ironique et tragique de leurs ratages particuliers.

La Tragédie comique Du 14 au 16 janvier Le Gymnase 04 91 11 19 20 www.merlan.org

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La Rosa Blanca Du 11 au 29 janv Le Lenche 04 91 91 52 22 www.theatredelenche.info

© Cie la Naive

Prédateurs Ascension En meneuse de cabaret un rien démoniaque,

Six hommes grimpent la colline du 18 au 22 janv La Minoterie 04 91 90 07 94 www.minoterie.org

Merveilleux Le texte de Carlo Gozzi est une magnifique fable Création Aurélie Leroux et sa bande, La Compagnie d’à côté, ont présenté il y a deux ans un très beau travail sur Tchékhov, intelligent, sensible, et profondément original. Ensemble ils créent Pas encore prêt, un spectacle collectif sur le corps, l’esprit et la mort. Écrit ensemble, répété en résidence à l’Étang des Aulnes (CG 13), coproduit par les Bernardines.

10), la Criée accueille en ses murs une autre pièce qui a rapport avec l’histoire. Notre Terreur, création du collectif D’ores et déjà emmené par le très talentueux Sylvain Creuzevault, enferme neuf hommes en un huis clos qui retrace les dernières heures de Robespierre d’après les minutes de son procès… Janvier sera l’occasion de vous plonger dans les contes grivois de La Fontaine (voir p 44). Un spectacle de marionnettes à voir avec les plus grands de vos enfants : le fabuliste reste très courtois dans sa langue, mais les actes évoqués sont assez crus… Notre Terreur jusqu’au 18 déc La Criée 04 91 54 70 54 www.theatre-lacriee.com

…et la suite Après le Gymnase, Ève Bonfanti et Yves Hunstad

© Gilles Abegg

Rappels En même temps que Sale août est à La Friche (voir p

L’Oiseau vert du 18 au 22 janv Le Gymnase 0820 000 422 www.lestheatres.net

© Stephane Gaillochon

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Pas encore prêt du 11 au 22 janv Les Bernardines 04 91 24 30 40 www.theatre-bernardines.org

initiatique, du type Flûte enchantée, avec magie, bon et mauvais génie, initiation… Et une belle relation de frère et sœur, rare dans la littérature théâtrale. Benno Besson en avait fait une mise en scène historique, politique, merveilleuse. Nathalie Fillion a réécrit le texte (fondé comme la comédie italienne à l’époque sur un canevas assez serré, et des improvisations) et Sandrine Anglade l’a mis en scène pour enchanter les yeux, mais aussi réfléchir à la vérité, au monde sensible et aux masques des apparences…

(La Fabrique Imaginaire) installent leurs fantômes dans les cintres moins anciens du Merlan… Mais toute maison de théâtre est hantée de phrases et de corps qui passent. Du vent… des fantômes est un spectacle tout public à partir de 12 ans, qui sera suivi de la dernière création de la compagnie : Voyage, où les récits et considérations d’un généticien, d’un musicien, d’une actrice, d’un sexologue… se croisent pour former une mosaïque de sens. Du vent… des fantômes Les 18 et 19 janv Voyage 1er épisode Les 20 et 21 janv Le Merlan 04 91 11 19 20 www.merlan.org



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THÉÂTRE

AU PROGRAMME

Affinités électives

Pas No mais… Hommage Claudel en Japonais… paradoxal pour les amoureux des versets Claudeliens, mais intéressant aussi que de resituer ce voyageur français dans son amour de l’Orient. C’est une version surtitrée, épurée mais aussi cruelle que l’univers nippon que Franck Dimech nous invite à entendre. Une dénonciation du capitalisme amerlock au nom d’une spiritualité désuète, le tout au pays du soleil levant… L’échange Du 11 au 16 janv La Friche, Marseille 3e 04 95 04 95 02 www.lafriche.org

© Anne Gayan

Trois jours seulement au Gyptis ! Dans la belle mise en scène de Philippe Calvario, la plus belle et émouvante et subtile et douloureuse des pièces de Marivaux. Drôle aussi, cruelle : Le Jeu de l’amour et du hasard. Où le sentiment amoureux se confronte à l’interdit social. Et s’y révèle à tous les yeux comme transcendant les classes. Le Jeu de l’amour et du hasard Du 19 au 21 janv Théâtre Gyptis, Marseille 3e 04 91 11 00 91 www.theatregyptis.com

(voir Zib’ 14) d’un spectacle qu’il a coproduit et ne cesse depuis de tourner : Vers toi terre promise est un très beau texte de Grumberg, subtilement interprété, mis en scène dans la simplicité réaliste et drôle qui convient à ces souvenirs d’une enfance tragique. Ceux de toute une génération de Juifs qui furent enfants durant la Shoah, et dont la mémoire ne doit pas disparaître. Vers toi Terre promise Les 14 et 15 janv Jeu de Paume, Aix 0 820 000 422 www.lestheatres.net

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Trilogie Meninas est une des jeunes compagnies marseil-

Juifs Le Jeu de Paume avait eu la primeur de la création

Sacrifices Le 11 janvier à 20h30 Théâtre du Cadran, Briançon 04 92 25 52 52 www.theatre-le-cadran.eu Le 15 janvier à 20h Théâtre des Salins, Martigues 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.fr

laises qui conduit un travail subtil et de qualité : le Parvis des arts a décidé de lui offrir carte Blanche en ses murs, pour plusieurs spectacles. Outre Pacamambo en février (voir Zib 35) ils reprennent en janvier Profession mère (voir Zib’15), les Sauveurs (texte à l’humour noir de l’Uruguayen Ricardo Prieto) et les Cavaliers de François Cervantès. Un Esprit de compagnie à suivre de près… en famille. Compagnie Meninas Du 7 au 29 janv Parvis des arts, Marseille 3e 04 91 64 06 37 www.parvisdesarts.com

Raviver C’est un Tartuffe complètement dépoussiéré que livre © Christine Sibran

Authenticité Délicieux Motobécane, d’après Le Ravisseur de Paul Savatier, Serge Lipszyc met en scène un texte de jeunesse

Motobécane Le 17 déc Le Toursky 0 820 300 033 www.toursky.org

de Sacha Guitry et s’entoure de Robin Renucci et Marianne Basler pour interpréter ce Désiré à l’érotisme latent. Un majordome stylé tombe amoureux de sa maîtresse, qui ne reste pas étrangère à son désir. Une tragi-comédie de personnages qui aiment ou espèrent au-dessus de leur condition, où les pulsions viennent fissurer le vernis des conventions sociales. Désiré Les 18 et 19 déc Les Salins, Martigues 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.fr Le 17 déc Théâtre Durance, Château-Arnoux 04 92 64 27 34 www.theatredurance.fr

Gwenaël Morin pour débuter l’année au théâtre d’Arles. Avec sa troupe il veut désacraliser les classiques et les rendre de fait accessibles à tous. Après Bérénice, Antigone, Hamlet et Woyzeck, Tartuffe se trouve être adapté dans une mise en scène dépouillée de tout superflu qui fait la part belle au jeu des comédiens, ainsi qu’au texte, qui, bien que coupé, s’en trouve revitalisé. Tartuffe Les 6 et 7 janvier Théâtre d’Arles 04 90 52 51 51 www.theatre-arles.com

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a joué à guichet fermé aux deux dernières éditions du Festival Off. Un succès légitime, tant l’histoire d’amour -adaptée d’un fait réel- et l’interprétation de Bernard Crombey sont poignantes. Victor, un homme solitaire et naïf, sillonne la Picardie sur sa bécane bleue. Lorsqu’il croise la route d’Amandine, une gamine de 10 ans battue par sa mère, son destin bascule dans une cascade de problèmes, de l’incarcération à l’incompréhension. Magie du verbe et de sa profération, Motobécane dépeint une société rongée par la peur et raconte l’enfer du système carcéral.

Nouara Naghouche © B Enguerand

L’injustice, Nouara Naghouche connaît. L’alsacienne d’origine algérienne lance un cri de colère et de révolte mâtiné d’humour dans un one woman show, Sacrifices, qui brosse le portrait de femmes qui subissent la violence, le racisme, le poids de la religion, la bêtise au quotidien. Ces personnages elle les connaît, et lorsque la parole se fait plus intime l’émotion et la tendresse affleurent et côtoient l’humour, sans que rien ni personne ne soit épargné. Parce qu’en filigrane c’est notre société qu’elle dessine, bigarrée et violente, riche et absurde.

© Julie Pagnier


THÉÂTRE

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Courriers Sur fond blanc Détective Pierre Richard répondra sur scène, en toute Fran- La très belle mise en scène, tout en camisole blan- Catherine Zambon, auteure intimiste (voir p17), et chise Postale, à une quinzaine de lettres désopilantes écrites par son acolyte Christophe Duthuron. L’artiste confiera pour l’occasion, avec humour cela va de soi, ses sentiments, ses remises en question, son rapport à la célébrité, à l’âge. Sa vie d’artiste mise en boite.

Phèdre Les 17 et 18 janv Scène Nationale de Cavaillon 04 90 78 64 64 www.theatredecavaillon.com

Surprise Un paquet qui déchaîne toutes les suppositions, c’est celui que tire Gérard Jugnot dans le spectacle écrit et mis en scène par Philippe Claudel. Que renferme l’énigmatique objet ? Assis sur un banc dans un vieux manteau abîmé et un pantalon élimé, le personnage se livre, et, dans un monologue tragicomique, raconte son histoire, sans rien dévoiler du contenu…

Idyllique On ne pouvait rêver plus beau quartet ! L’auteur

Le Paquet Le 16 janvier à 17h Théâtre de Fos 04 42 11 01 99 www.scenesetcines.fr

Laurent Gaudé, le metteur en scène Michel Didym, l’acteur Tchéky Karyo sont à l’affiche da la création Le Tigre bleu de l’Euphrate… sans oublier Alexandre le Grand, héros de ce vertigineux monologue. Car pour relever le défi et interpréter ce conquérant sanguinaire et fin stratège, il fallait la voix de Tchéky Karyo, âpre et puissante à la fois, qui sait aussi faire entendre sa petite musique intérieure.

Profusion L’homme est rassuré, la scintillographie a rendu son

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Tout est normal mon cœur scintille Les 7 et 8 janvier à 20h30 Théâtre de la Passerelle, Gap 04 92 52 52 52 www.theatre-la-passerelle.eu le 15 janvier à 20h30 Théâtre de l’Olivier, Istres 04 42 56 48 48 www.scenesetcines.fr © Elisabeth Carecchio

© Marc Ginot

Poème épique Jean-Yves Picq accompagne la saison du théâtre des Halles avec un cycle de lectures étendu sur le premier trimestre 2011. Accompagné par le musicien Alain Bert, il débutera donc avec Voïces ou le retour d’Ulysse (les Cahiers de l’Egaré, 1997) qu’il dédie à trois auteurs : Homère, Michel Herr et Stephen Peters. Deux guerres mythiques (celle d’Homère et du Vietnam) dans un poème épique, divisé en trois chants, pour approcher le cratère en fusion de la tuerie humaine. Voïces ou le Retour d’Ulysse Le 14 janv Les Halles, Avignon 04 90 85 52 57 www.theatredeshalles.com

Duo-duel Valérie Dreville et Didier Galas livrent une décapante leçon l’humour en revisitant Délire à deux de Ionesco. Une réflexion très actuelle sur l’espoir que représente la force de la relation humaine dans un monde agité par la violence, subtilement mise en valeur par un travail sonore et l’utilisation chorégraphique des corps qui usent de conflits pour communiquer. Délire à deux Le 18 janv La Passerelle, Gap 04 92 52 52 52 http://theatre-la-passerelle.eu

Le Tigre bleu de l’Euphrate Les 7 et 8 janv Théâtre de Grasse 04 93 40 53 00 www.theatredegrasse.com

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verdict, son cœur est normal, il scintille ! Alors l’homme se met à parler, marcher, parler encore, assouvit un besoin irrépressible de confier ses doutes, ses envies, ses humeurs. Jacques Gamblin nous convie dans son univers où les histoires se font poétiques, où burlesque et fragilité se côtoient, et où l’être aimé n’est jamais loin… Et lorsque les mots ne suffisent plus deux danseurs (des anciens de la formation Coline) prennent le relais pour raconter ce cœur qui bat…

Alexandra Tobelaim, metteure en scène à la démarche très contemporaine, ont conçu ensemble une pièce policière au décor côte d’Azur ! avec rombière, transat, détective, murs que l’on rase, couleurs saturées et rythme d’enfer ! Après une avant-première à Cavaillon, la pièce sera créée en salle à Briançon, puis ressortira version plein air (c’est une «pièce de plage») cet été. Villa Olga Le 6 janv Scène Nationale de Cavaillon 04 90 78 64 64 www.theatredecavaillon.com Le 14 janv Théâtre du Cadran, Briançon (05) 04 92 25 52 52 www.theatre-le-cadran.eu

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Franchise postale Le 14 janv Espace Gérard Philippe, Port-Saint-Louis 04 42 48 52 31 www.scenesetcines.fr

che, de Phèdre passe à Cavaillon. L’occasion pour tous ceux qui l’auraient manquée de constater le talent de ces acteurs emmenés par Renaud Marie Leblanc, metteur en scène qui sait donner à voir, précisément, sa vision des textes. Qui de plus se révèle pertinente et nouvelle. Pas si fréquent !

© Éric Didym


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DANSE

MARTIGUES | CAVAILLON | ARLES | BNM

Frankie est brutal Olivier Dubois danse sur Frank Sinatra ! Après avoir déboulonné le mythe chorégraphique du Faune, affichant jusqu’au malaise une perversité intime de voyeur, voilà que le danseur habille son décor de paillettes, d’un grand escalier noir, de surfaces élégantes et laquées… Il y danse avec Marianne Descamps une danse de salon raffinée, jazzy chaloupante, aux portés un peu trop acrobatiques pour être vraiment honnêtes, puis aux étreintes étrangement violentes… Car tout cela une fois posé se déglingue discrètement : la fille s’habille en homme, les décors se révèlent des garde-robes gigantesques contenant des rangées trop fournies de chemises trop blanches, le couple un instant s’arrête sur les marches, pour parler. Mais ils dansent encore, chantent de dos, dansent toujours… L’effroi est soudain : tout est jeté à terre, la danse finit en viol, tandis que Sinatra continue d’enchaîner les standards mielleux, New York New York, Moonlight Serenade, Fly me to the moon, même quand la lune et les lumières s’étranglent d’effroi… Un voyage suranné qui devient terrifiant, même si le mythe de Sinatra est davantage épargné que celui du Faune, et l’ensemble moins réussi : le format des chansons impose une succession linéaire de séquences de trois minutes peu adaptées ; forcément égales, trop courtes souvent, et franchement trop longues quand ils vident les armoires ou ramassent les robes. L’effroi, brutal, gagne à être rapide, aussi.

Olivier Dubois © Patrick Sagnes

AGNÈS FRESCHEL

L’Homme de l’Atlantique a été dansé aux Salins, Martigues, le 23 novembre

Ceux qui soufflent le froid

© Herman Sorgeloos

Alors que les températures extérieures fulminent leur hostilité, le décor proposé par la Peeping Tom nous renvoie dare-dare dans le blizzard de l’hiver. Premier choc. Étrangeté du dehors/dedans qui colle parfaitement à la réalité, relié à l’époustouflante mise en espace d’une petite communauté isolée dans une quelconque base polaire. Trois caravanes plantées dans la neige hébergent six personnages qui s’exposent aux rapports humains, entre cruauté, humour et impossible volupté ; sous l’œil (et la voix) éclairé de la soprano Euridike de Beul, une mère nourricière, castratrice au long cœur qui hurle «love me» sur des guitares floydiennes. Chacun conditionné par son isolement, la peur au ventre, sa propre peur à l’évidence. Un univers à la Lynch, entre réalité et fantasme, complété par une bande son envoûtante, qui pulse un mélange unique de théâtre, danse et performance. 32, rue Vandenbranden offre tous ces ingrédients à la fois dans une unité étonnante et déstabilisante. Ce collectif de danseurs flamand, après la trilogie familiale Le Jardin, le Salon et le Sous-sol, nous embarque encore une fois dans son univers très sensitif, parfois décousu, assurément suggestif. Ces corps se contorsionnent aux limites du regardable, se cognent, souffrent, se désarticulent et s’emboîtent. Autre trouble de découvrir ces danseurs monstrueusement véloces, qui s’envolent ou disparaissent, crient façon Munch ou s’arrachent le cœur sous des parapluies ruisse-lants. On ressort en embarquant de ce fantasme collectif un peu de leur neige inquiétante dans nos pas. DELPHINE MICHELANGELI

32, rue Vandenbranden s’est joué au théâtre d’Arles le 30 novembre

© Kader Attou

Impossible pari ? Kader Attou est le premier chorégraphe de hip hop nommé à la tête d’un Centre Chorégraphique National. Ce qui est assez formidable… Mais sa danse, au vu de cette création, y a perdu en force ce qu’elle n’a pas gagné en lyrisme. Symfonia piesni Zatósnych regarde du côté d’un certain classicisme en dansant sur la symphonie culte de Gorecki, et en proposant une danse abstraite détachée de tout discours social, et d’ailleurs de tout discours. Le problème est qu’à ce jeu là son hip hop manque de perfection technique : deux des danseurs, ceux qui breakent, sont virtuoses, la danseuse indienne a une présence folle, mais le bougalou, le strobo, le new style sont étrangement éteints. La compos-

ition d’ensemble est un peu terne aussi, les solistes manquent de souplesse et les ensembles de folie, même si quelques très beaux moments se détachent, grâce au tournoiement des doublures rouges, aux mouvements des mains, aux corps qui font masse. Bref, la danse de Kader Attou s’est féminisée, s’est affranchie du rap puis de toutes les tentations binaires, mais a en l’occurrence perdu un peu de son sel. Même si elle plaît toujours autant au public, enthousiaste ! A.F.

Symfonia piesni Zatósnych a été dansé à Cavaillon les 26 et 27 novembre


Regarder l’intime pudeur Pour travailler avec des amateurs et faire surgir cette émotion-là il faut passionnément les aimer. Thierry Niang met en scène certains de ces «seniors» depuis des années, les faisant entrer en danse comme en une virginité nouvelle : certains grands chorégraphes, Pina Bausch, Gallotta, ont travaillé avec de vieux danseurs, mais pas avec des corps anonymes. Et ce qui est incroyablement troublant est comment ils sortent de l’anonymat, à quel point, avec pudeur pourtant, et naturellement, ils se dénudent et laissent apparaître leur être avec leur corps. Essence de la danse ? Par le mouvement répété, et l’épuisement qu’il induit (ils tournent sans discontinuer, marchant et courant, s’arrêtant, tout au long du Sacre du printemps), ce groupe de vieilles personnes qui n’ont jamais dansé, et ont entre 60 et 87 ans (oui, à 87 ans encore, tout au long du Sacre), touche à l’essence de l’art chorégraphique : ils se laissent voir, profondément et sous leur peau, débarrassés peu à peu des légers atours, perruques et fluides vêtements noirs, qui les dissimulaient. Débarrassés surtout, grâce à la fatigue, des attitudes sociales, préventions et masques dont on s’affuble tous. À la fin on se souvient de chaque visage, de chaque corps aussi, si différemment marqué par le temps, tellement moins normé que les corps plus jeunes.

Monotone ce mouvement circulaire continu dont ils s’échappent peu à peu, un à un, lorsque la fatigue trop les atteint, jusqu’à ce qu’une reste au centre, élue paradoxale de ce nouveau sacre ? Par hasard, par indisponibilité émotionnelle temporaire, certains spectateurs n’entrent pas dans la spirale. Personne en tous les cas ne semble comprendre pourquoi Thierry Niang vient danser près, avec danseuse et violoniste, un extrait d’une autre pièce, bizarre cheveu sur la soupe… Après cela aussi une création de Miguel Nosibor avec sa compagne de 20 ans. Danseuse aussi, un brin moins virtuose dans les techniques héritées du hip hop, mais tout à fait émouvante dans la relation qu’ils instaurent. Reste que le duo, spectaculaire, est moins réussi que le solo précédent de Nosibor. Par manque de clarté du propos, une construction moins limpide, un long moment vidéo inutile. Sans doute aussi parce que le couple hésite à entrer vraiment dans l’intimité et ne livre ses clés qu’incidemment, grâce à quelques regards. Dommage l’idée est là, et le talent aussi. AGNÈS FRESCHEL

Ces deux pièces ont été créées lors des Ouvertures danse au BNM les 10 et 11 décembre dans le cadre d’un Accueil studio © Agnès Mellon


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DANSE

CHÂTEAUVALLON | DANSEM

Pampa furiosa 1 heure 30 de bruits et de fureur animale ! Dans l’arène, une horde de 14 danseurs déboule tous muscles dehors, mi-hommes mi-chevaux : torses bombés, crinières lâchées, sourcils froncés, mentons levés, regard noir métallique. Le ballet d’Argentine mêle le vocabulaire traditionnel du Malambo (danse individuelle à l’origine) à la force expressive de chaque interprète dans un spectacle à haute charge de testostérone. Le Malambo, cette «danse de l’homme libre» comme l’appelaient les esclaves au XVIIe siècle… Ici dans une succession d’affrontements vigoureux entre mâles, portés par la puissance des zapateados (percussion des pieds nus ou claquement des chaussures sur le sol) et le rythme des bombos (tam-

pour un public féminin acquis à sa cause, la cavalcade est à coup sûr trop longue et le combat des matadors monotone. Impossible de nier la virtuosité incontestable des danseurs, la technique d’une grande complexité, leur fougue dévastatrice, mais après 1 heure 30 de déferlantes sonores et de sueur… heureusement on achève bien les chevaux ! MARIE GODFRIN-GUIDICELLI © Michel Lidvac

bours en bois et en peau). Pas d’incarnation de l’union parfaite de l’homme et du cheval (le Centaure) ni de réminiscence mythologique (Pégase), le spectacle est une forme «brute» découpée en rixes, un exercice de style

autour du zapateo -dont la première codification provient d’Inde- aujourd’hui perpétué par les petits-fils des gauchos. Toujours aussi intrépides! Trop performative pour une poignée d’intransigeants, explosive et torride

Che… Malambô ! a été donné les 10, 11 et 12 décembre au CNCDC Châteauvallon, les 13 et 14 déc à Sète et sera joué le 16 décembre au Théâtre des Salins à Martigues et le 17 déc au Théâtre de l’Olivier à Istres

Danser petit Le nombre de propositions de Dansem est pléthorique, mais faute de moyens elles sont généralement peu achevées, en cours, présentant de petites formes sans décorum… ce qui finit hélas par être pris (revendiqué ?) comme une aride esthétique ! Saïd Aït El Moumen a fondé la 1re compagnie de danse contemporaine au Maroc en 2002 : Anania (voir p11). En 2009 il a chorégraphié Athar qu’il danse avec son frère Zakaria. Sur le plateau du Lenche, dans le silence, il trace longuement sur son corps des lignes rouges avec un bâton de rouge à lèvres. Évocation d’une féminité enfouie ? Puis venu de l’obscurité, le corps de Saïd se jette violemment au sol avant de tourner comme un derviche. Suit une confrontation entre les 2 hommes dans une volonté de communion, de compréhension. Mais cela ne dure pas et ils se retrouvent séparés à sauter sur place. Est-ce à dire que l’échange n’est pas possible ? Récital (ici aussi), création en gestation, esquisse le He Visto Caballos © Jordi Bover

portrait d’une inconnue à petites touches de peinture à l’eau. Vert, parme, violet plus soutenu, gris et brun: la palette élégante bouge avec Carol Vanni dans la lumière du plateau réduit à l’intime. Lui, Alain Fourneau, assis en retrait, regarde intensément, écoute de même et lit par deux fois un texte à produire du geste. Elle, gracile, toute en frissons, en vibration de nerfs, parcourt un espace éphémère qui s’évanouit après son passage, comme disparaissent les petits mondes créés par les poèmes, chansons ou autres mots sortant de la bouche de la danseuse; du «parlédansé» où flottent ce soir-là les proses quotidiennes de Sabine Macher, de Pavese ou... tiens, un haïku ! Lasse de se donner ainsi en spectacle, la dame se retire à intervalles réguliers, croque un biscuit ; la vigueur comique de la chanson de Jannacci jouée sur son lecteur de CD (clic-clic) trouble à peine sa sérénité. Objet volatile, fait de creux, le «spectacle» tient de l’iceberg et du nénuphar blanc dont l’essentiel semble se développer sous la surface de l’eau ; un brin d’ennui, un soupçon de… vanité ? Quelques jours avant, les Bernardines accueillaient la Cie Mal Pelo. Pour trois formes : une installation de vidéo, un solo et un beau trio He Visto Caballos. Une forme plus conséquente avec scénographie, musique, vidéo, et la présence forcément fascinante de Maria Munoz, qui danse comme un bloc de granit.

De très beaux moments dispensés, bruts comme des éclats de mémoire et des élans de corps. Mais aussi des temps creux, comme par habitude. Parce qu’il faut montrer l’œuvre à l’œuvre ? Même quand, comme ici, la forme proposée est créée, rodée, adulte ? Il y a de cela jusque dans la création de la cie Tecnologia Filosofica au Théâtre Durance. De belles idées, de très touchantes images, des moments de grâce, et puis aussi des tics de jeunesse qui semblent tout droit sortis des poncifs du spectacle contemporain. Mais pas dans l’épure ce coup-ci, dans la surabondance ! De musique, de changements de costumes, de décors, de textes, de messages simultanés ! C’est un peu fatigant, mais extrêmement pétillant et rouge, même si ça parle de mort, de glace, d’Eurydice et d’Orphée. On se demande ce que ça vient faire dans la programmation peu baroque de Dansem ? C’est que c’est le Théâtre Durance, qui a produit cette création, qui se paye le luxe si efficace de huit danseurs… MARIE-JO DHÔ, CHRIS BOURGUE ET AGNÈS FRESCHEL

À noter Récital se donne aux Bernardines jusqu’au 17 déc 04 91 24 30 40 www.theatre-bernardines.org Recital © Eric Ponton



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DANSE

AU PROGRAMME

Reporté © Barreteau & Lapasin

Annulé pour cause d’intempéries, le spectacle Dancing with the Sound Hobbyist est reporté au 14 janvier au CNCDC Châteauvallon. Où l’on retrouvera diablement entremêlés l’univers musical cosmopolite de l’un des groupes-phare de la scène belge, Zita Swoon, et le périple dansant inventé par Anne Teresa De Keesmaeker pour leur première union. Dancing with the Sound Hobbyist Le 14 janv 20h30 CNCDC Châteauvallon, Ollioules 04 94 22 02 02 www.chateauvallon.com

Bijoux irréguliers Séparés Comme chaque année le Comœdia d’Aubagne a le chic pour présenter lors de son festival d’hiver quelques jolies petites formes de danse qu’on a croisé trop vite dans la région ? Indéniablement Oups/Opus en est une ! Le duo en diptyque de La Vouivre (les 19 et 20 janv) est d’une originalité qui ne cherche pas l’air du temps, puise dans le burlesque, le mime, la narration, racontant les déboires d’un couple très 60s, s’amusant d’accessoires et d’incongruités. Le deuxième volet fait entrer en scène un musicien et part sur d’autres rythmes, d’autres univers plus étirés, clairs-obscurs et subtils… En plus de cette belle pièce le Comœdia installe des danseurs performers dans les vitrines de l’esplanade de Gaulle (À travers verre le 21 janv et Fleurs de cimetière, où sept femmes, danseuses, quinquagénaires ou peu s’en faut, mettent en scène leur vieillissement, et les sublimes alanguissements qu’il permet (Cie Hervé-Gil, le 22 janv). Danse en janvier Du 19 au 22 janv Le Comoedia, Aubagne 04 42 18 19 88 www.aubagne.fr

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Magistral Quand Carmen, l’héroïne ibérique par excellence, danse sur la musique de Bizet associée à quelques passages chantés de flamenco puro, c’est toute sa rage qui déferle sur la scène… Alors, un seul mot d’ordre : il faut voir ou revoir l’une des pièces-clefs du répertoire de la Cie Antonio Gadès, maître incontesté de la danse espagnole, du ballet-théâtre et de l’art flamenco. Et dire que Carmen a été créé en 1983, cela laisse songeur…

© Agnes Mellon

Le Ballet National de Marseille reprend dans ses murs le programme Grandville-Oberdorff qu’il avait créé en avril à l’Opéra de Marseille (voir Zib’30), une pièce féminine formidable puis redondante sur la mémoire de la danse revisitée (6 giselles, traversées de splendides réminiscences), tandis qu’Éric Oberdorff a produit une belle pièce masculine, plus attendue mais japonisante, traversée de lignes et de contrastes. L’Ecole Nationale partagera ces soirées avec un BNM interdit de mixité, pour une création d’Hervé Robbe sur laquelle la classe d’insertion travaille depuis 4 semaines (voir Zib 35)…

Carmen Le 21 janv La Passerelle, Gap 04 92 52 52 52 www.theatre-la-passerelle.com

Insouciant Primero revisite le pays des premières fois avec la fulgurance des corps emportés dans un tourbillon : sur une musique d’inspiration klezmer cinq danseurs et un clarinettiste réinventent les jeux d’enfance, premiers pas et premières chutes, premières joies et premières peines, premiers mensonges et premier baiser… Tous ces petits moments magiques de la vie chorégraphiés avec fulgurance par l’argentine Lisi Estaras des ballets C de la B.

Fleurs de cimetieres....© X-D.R

Être un peu Attention chef-d’œuvre ! Maguy Marin a créé May B

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Primero Les 14 et 15 janv Théâtre de Grasse 04 93 40 53 00 www.theatredegrasse.com

Ouvertures 18 Du 15 au 18 déc Ballet National de Marseille 04 91 71 36 32 www.ballet-de-marseille.com

© Chris Van der Burght

il y a presque 30 ans et son Peut-être est toujours aussi magistral, actuel, sépulcral. Visages encroûtés et corps restreints évoluent à petits pas et grognements protestataires dans des tableaux empoussiérés rappelant autant les films de revenants que l’univers de Beckett. Quelquefois la grâce romantique de Schubert vient faire entendre un au-delà insoupçonnable à ces corps égarés, presque sans âme, sans désir autre que puissamment régressifs. Mais tout cela n’est pas noir. Cruel certainement, donc drôle. May B Le 18 janv Théâtre Toursky, Marseille 0 820 300 033 www.toursky.org Le 21 janv Scène Nationale de Sète 04 67 74 66 97 www.theatredesete.com

May B © Marco Caselli Nirmal

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AU PROGRAMME

MUSIQUE

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Offenbach à la fête Plus que jamais on convoque pour les fêtes le compositeur au lorgnon et au regard malicieux L’Opéra de Toulon et le Grand Théâtre de Provence viennent d’afficher Orphée aux Enfers (p 30) quand le Cadran à Briançon a créé Pomme d’Api, opus moins souvent joué que La Vie Parisienne ou La Belle Hélène qu’on entend respectivement aux Opéras d’Avignon et de Marseille entre Noël et le Jour de l’An. De même que Labiche resurgit à l’affiche des théâtres publics, le nom d’Offenbach s’impose dans les maisons d’opéra, synonyme de gaieté et de plaisir, caractère qui sied à notre société que d’aucuns nomment «du divertissement». Surtout depuis que les metteurs en scènes contemporains se sont penchés sur les ressources satiriques, loufoques, quasi-surréalistes des livrets ! Quant à la musique, elle possède un élan, une frénésie rythmique et une grâce qui dépassent l’aspect parodique lié à l’histoire du Second-Empire et au genre opéra en vogue alors à Paris. Une bouffonnerie héritée de Rossini, mais une tradition française de la satire enrichie de tendresse et de nostalgie !

1864 au Théâtre des Variétés ! La belle Mireille Delunsch chante pour la première fois la reine de Sparte tombée amoureuse du berger Paris (Alexander Swan), dans une ambiance sexy, nimbée de drapés antiques où les danseuses au strip-tease facile côtoient des baigneurs burlesques… On n’est pas loin de la revue, mais les voix attendues devraient donner le change au plan musical (Marc Barrard / Agamemnon, Francis Dudziak / Calchas, Christine Tocci / Oreste…). Un plateau festif secondé par l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Marseille sous la baguette de Nader Abassi.

(coproduite avec Marseille, Nice, Reims, Saint-Étienne, Toulon et Toulouse). Cette «pièce mêlée de chant» (peut-être davantage qu’un pur Opéra-bouffe) est à l’origine une remarquable photographie de Paris, capitale stimulant l’appétit de jouissance des voyageurs venant de Suède ou du Brésil, à la veille de l’Exposition Universelle de 1867. Les Chœur, Orchestre et Ballet de l’Opéra d’Avignon sont dirigés par Dominique Trottein avec Patricia Fernandez (Métella), Sophie Haudebourg (Pauline), Lydia Mayo (Baronne de Gondremarck), Caroline Mutel (Gabrielle), Murielle Oger Tomao (Mlle de Folle-Verdure), Lionel Peintre (Baron de Gondremarck), Françoise Petro (Madame de Quimper-Karadec), Michel Vaissière (Bobinet)… JACQUES FRESCHEL

«Paris ! Paris !» Dans la Cité papale on retrouve La Vie Parisienne dans la mise en scène tout aussi rodée de Nadine Duffaut

Belle Delunsch

La Belle Hélène les 21, 23, 28, 29, 31 déc à 20h et le 26 déc à 14h30 Opéra de Marseille 04 91 55 11 10 www.opera.marseille.fr La Vie Parisienne les 30, 31 déc, 1er janv à 20h et le 2 janv à 14h30 Opéra de Toulon 04 90 82 81 40 www.operatheatredavignon.fr

Sûr que La Belle Hélène, dans la mise en scène éprouvée (depuis plus de 20 ans) de Jérôme Savary et «relookée» fin 2007 au Capitole de Toulouse, fera le plein à l’Opéra de Marseille. Devant l’affluence, Maurice Xiberras a déjà ajouté une représentation supplémentaire (le 28 déc) de l’Opéra Bouffe créé en La Vie Parisienne © X-D.R

Le Concerto Il mêle la virtuosité instrumentale soliste à la pâte symphonique et demeure l’un des genres les plus prisés des mélomanes : quelques affiches réchaufferont nos premières soirées d’hiver Mais attention ! Le concert de David Fray et de la Philharmonie de chambre de Brème, initialement prévu le 14 janv au GTP est annulé !

Violon & Orchestre L’Orchestre Symphonique du Conservatoire de Marseille, dirigé par Frédéric Lodéon, avec Philip Bride (violon), interprètent les deux Romances et le Concerto pour violon de Beethoven avant la Symphonie n°8 «inachevée» de Schubert. MARSEILLE. Le 16 déc. Abbaye de St-Victor 04 91 55 35 74 www.mairie-marseille.fr

Piano & Orchestre Edouard Exerjean ne lésine pas pour son passage sur le plateau du Pharo. Pianiste à la personnalité généreuse, humaniste amoureux des lettres et de la musique française, il ne jouera pas un concerto (comme de coutume dans ce genre de récital) mais deux ! Au charmant Concerto n°12 en la majeur K.414 de Mozart, il ajoute celui en Sol majeur de Ravel, sommet du genre où la poésie culmine dans l’Adagio et la pyrotechnie technique dans l’ultime mouvement. Paul Meyer laisse un temps sa clarinette pour diriger l’Orchestre Philharmonique de Marseille dans la 1re Symphonie dite «classique» de Serge Prokofiev et le Tombeau de Couperin de Ravel. MARSEILLE. Le 7 janv à l’Auditorium du Pharo 04 91 55 11 10 www.opera.marseille.fr

Violoncelle (1) & Orchestre

Violoncelle (2) & Orchestre

L’Orchestre Français des Jeunes, désormais dirigé par Kwamé Ryand, joue la Rhapsodie espagnole de Ravel, L’Oiseau de Feu de Stravinsky et un opus à l’expressionnisme édulcoré : Furioso (1947) de Rolf Liebermann. Les musiciens en résidence au Grand Théâtre de Provence s’associent aussi au formidable violoncelliste Henri Demarquette pour une interprétation attendue du Concerto de Dvorak.

Paul Watkins, nouveau directeur musical de l’English Chamber Orchestra, varie les esthétiques : de l’ostinato grondant du Shaker Loops de John Adams au classicisme d’une parmi les ultimes symphonies mozariennes (n°39 en mi bémol majeur). On passe aussi par les romantiques Variations rococo de Tchaïkovski en compagnie du violoncelliste brésilien Antonio Meneses.

AIX. Le 18 déc au GTP Concert pédagogique le jour même à 11h. Présentation : Anne-Charlotte Rémond (dès 7 ans) 04 42 91 69 69 www.legrandtheatre.net

TOULON. Le 13 janv au Palais Neptune 04 94 92 70 78 www.operadetoulon.fr

Baroque Quatuors Parisiens Chefs-d’œuvre de Telemann par Marine Sablonnière (flûte à bec), Sharman Plesner (violon), Victor Aragon (viole de gambe) et Jean-Paul Serra (clavecin). ARLES. Le 20 janv Temple réformé MARSEILLE. Le 21 janv Bastide de la Magalone «Jeux à 4, à propos des quatuors de Telemann» Le 19 janv. à 15h30 à L’Alcazar 09 51 16 69 59 www.baroquesgraffiti.com

Allemagne baroque Jean-Michel Hey, Guy Laurent (flûtes), Annick Las-salle (viole de gambe) et Corinne Bétirac (claviers) réunissent les trois grands Allemands baroques Bach, Haendel et Telemann pour un programme de Sonates, Trios… AIX. Le 20 janv au Temple de la rue de la Masse 04 42 99 37 11 www.orphee.org


MUSIQUE

AU PROGRAMME

Musique Sacrée

Oratorio rare

Un triptyque d’augustes fresques baroques et romantique… Le Messie

Le plus célèbre oratorio de Haendel narrant la destinée du Christ (annonce, naissance, vie, mort, Résurrection et triomphe) dans un esprit baroque avec Monique Zanetti (soprano), Pascal Bertin (alto), Stephan Van Dyck (ténor), Jean-Claude Saragosse (basse). Chœurs Le Madrigal de Provence & La Camerata vocale dirigés par Luc Coadou accompagnés par Concerto Soave de Jean-Marc Aymes (clavier). TOULON. Le 16 déc Église St-Paul Festival de Musique de Toulon et sa Région 04 94 18 53 07 www.festivalmusiquetoulon.com © X-D.R

Franz Liszt (1811-1886), pianiste prodige et séducteur dans sa jeunesse a fini sa vie en ermite, recevant même les ordres mineurs. De fait, une large partie de sa production est sacrée, et finalement assez peu jouée. On entend justement un de ses oratorios fort méconnu, La Légende de Sainte Elisabeth, qui retrace les péripéties de celle qui devint la patronne de la Hongrie (pays d’origine du compositeur). Ce quasi-opéra (non représenté), lyrique et méditatif aux harmonies originales (chromatisme, modes magyars…), est chanté par Christina Dietsch, Nora Gubisch, Marc Barrard, avec les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra sous la direction experte d’Alain Altinoglu. AVIGNON. Le 15 janv Opéra 04 90 82 81 40 www.operatheatredavignon.fr

Repos éternel Les Musiciens du Paradis dirigés par Alain Buet, la Maîtrise de Caen (Olivier Opdebeeck), interprètent le De profundis et la Messe de Requiem d’André Campra (1660-1744) le plus célèbre des musiciens baroques aixois ayant réussi à Versailles. AIX. Le 20 janv GTP 04 42 91 69 69 www.legrandtheatre.net

Musique de chambre Cordes au féminin

Romantique

Les filles du Quatuor Garance (Sophie Perrot et Cécile Bousquet aux violons, Blandine Leydier à l’alto et Elisabeth Groulx au violoncelle) interprètent, sous les ors art-déco du Grand-Foyer de l’Opéra, trois fameux quatuors à cordes du répertoire : le 3e Quatuor en sol mineur op.74 «Le Cavalier» de Haydn, le 7e Quatuor op.108 de Chostakovitch et le merveilleux et unique Quatuor en fa majeur de Ravel. On file donc du style classique radieux, (1792), aux harmonies savoureuses et françaises du tournant du XXe siècle (1904), en passant par les déchirements sombres du grand compositeur russe (1960). Tout un voyage organisé par quatre jeunes artistes travaillant dans la région (pour la plupart aux pupitres de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille) et qui ont fondé, depuis 2007, un ensemble afin de pérenniser une réelle pratique chambriste. À suivre ! MARSEILLE. Le 15 janv. à 15h. Opéra 04 91 55 11 10 www.opera.marseille.fr © X-D.R

Weill américain Street Scene © Olivier Pastor

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L’opéra Street scene de Kurt Weill n’avait jamais été créé en France avant la saison dernière où, à Toulon, l’ouvrage connut un vrai succès. Du coup, ClaudeHenri Bonnet programme à nouveau ce chef-d’œuvre de la période américaine de l’auteur de l’Opéra de quat’sous datant de 1947. L’opus au pessimisme noir,au langage musical varié, raffiné et abordable, nous plonge dans l’East Side de Manhattan. Il fut considéré à l’époque comme «un pas historique vers un véritable drame musical américain» (N.Y.Times). Il marie le grand-opéra puccinien au style Broadway, avec récits accompagnés, dialogues parlés, airs, ensembles, chœurs et ballets. Le drame social y côtoie le divertissement. La mise en scène dynamique d’Olivier Bénézech, les décors et les costumes aux couleurs vives, les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra, Laurent Alvaro, Elena Ferrari,. dirigés par Scott Stroman devraient à nouveau enchanter le public varois. J.F.

Street Scene les 29 et 31 déc Opéra de Toulon 04 94 92 70 78 www.operadetoulon.fr

Électro Une nouvelle édition Trans’électroacoustique plonge Quatuor Psophos © Philippe Stirnweiss

C’est à Lyon que les quatre membres du Quatuor Psophos ont débuté leur aventure en 1997. Aujourd’hui leur renommée est internationale. Eric Lacrouts et Bleuenn Le Maitre (violons), Cécile Grassi (alto), Eve-Marie Caravassilis (violoncelle) jouent un programme romantique pur : les Quatuor opus 18 n°3 et Opus 95 n°11 de Beethoven ainsi que le Quatuor à cordes n°1 op. 51 n°1 de Brahms. AIX. Le 17 janv au Jeu de Paume 04 42 91 69 69 www.legrandtheatre.net

Duo Anne Gastinel (violoncelle) et Claire Désert (piano) interprètent la Sonate n°4 en ut majeur opus 102 n°1 de Beethoven, la Sonate en ut majeur opus 65 de Britten, celle en sol mineur opus 65 de Chopin et les Fantasiestücke pour violoncelle et piano de Schumann. Un duo princier ! AVIGNON. Le 18 janv. Opéra 04 90 82 81 40 www.operatheatredavignon.fr

l’auditeur dans un bain de sons diffusés par une guirlande de haut-parleurs. La matière sonore, spatialisée, offre à l’oreille un cinéma sans image stimulant l’acuité auditive : les sons tournent, se heurtent et se déplacent dans la pénombre. Le spectateur est allongé dans un transat, comme sur le pont d’un bateau partant pour un voyage imaginaire en cinq escales… MARSEILLE. Du 17 au 21 janv. à 19h30 au Gmem 04 96 20 60 10 www.gmem.org © Claire Lamure


NOËLS

MUSIQUE 29

Petit papa Noël n’oublie pas mes chers concerts ! Depuis 18 ans, les concerts de Noël enchantent un public toujours fidèle et nombreux et ce par la belle qualité de l’ensemble des spectacles proposés par le Conseil Général. Certes, la gratuité n’est pas étrangère au phénomène, mais elle n’explique pas tout : chacun sait d’expérience que, quel que soit le spectacle, on ne sera pas déçu. Du 3 au 23 déc, inlassables, les 5 groupes parcourent le département. 55 occasions de concert sont ainsi proposées, nous entraînant par les pays et les époques, avec le même esprit de paix et de convivialité. Noel Baroque - Cie Les Bijoux Indiscrets © Serge Ben Lisa - CG13 - Culture

Noels Argentins - L'Atelier du Possible © Serge Ben Lisa - CG13 - Culture

Indiens Guarani et Argentine On s’évade aussi en des terres lointaines, avec les «Noëls argentins». Cyril Martial, chanteur et arrangeur, Jean-Luc Di Fraya, batteur, percussionniste et chanteur, Florian Fusade, guitariste et chanteur, Etienne Jezel, bassiste, chanteur, Pascal Llinares, chanteur, Jean-Marc Marroni, accordéoniste, s’inspirent de Ariel Ramirez, avec l’interprétation de la Misa Criolla et de la Navidad Nuestra, et de l’accordéon de Raùl Barboza. Rythmes qui entraînent le public, de beaux passages vocaux, émotion liée aux photographies des Indiens Guarani, sur qui l’esprit de Noël devrait bien se pencher tant est grand l’abandon de ce peuple. Rythmes contrastés, passages instrumentaux, puis vocaux, petite théâtralisation de certains chants, juxtaposition de musique populaire et savante, de quoi emballer le public !

Andalou créateur

Baroque et féministe La compagnie des Bijoux indiscrets apporte sa douceur et son talent aux hymnes de Noël avec des œuvres variées : Corelli et son continuo, et les belles envolées des violons étrangement modernes pour la musique baroque ; Scarlatti, dans une cantate pastorale d’une rigueur enlevée, Torelli, le père du concerto en une somptueuse sonate… Mais l’originalité est d’avoir privilégié les compositrices, trop souvent oubliées, absentes des manuels, alors que leurs œuvres souffrent toutes les comparaisons, tant pour l’originalité que la force du propos. Antonia Bembo, Isabella Leonarda, Xaviera Peruchona ou encore Maria Meda : pour chacune Claire Bodin, superbe au clavecin et à la direction artistique sait composer un bref hommage, situation de l’œuvre, anecdotes, puis les notes s’envolent, expressivité des violons de Brigit Goris et de Stéphanie Erös, profondeur sensible du violoncelle d’Etienne Mangot, et délicatesse de la voix de soprano d’Edwige Parat, avec de belles extensions. Se greffe en bis une chanson alerte et un peu gaillarde sur Joseph qui fut un bon mari…

Enchantée !

C’est à un conte initiatique, centré autour de «la Nativité et du mystère incarné du Christ», que nous conviait Samuel Coquard, Directeur musical de la Maîtrise vocale des Bouches-du-Rhône ainsi que du Chœur Asmara .Le programme choisi est éclectique et nous conduit du Moyen Âge à l’époque baroque et moderne, jusqu’à des œuvres proches de nous, pour la plupart du répertoire anglais et français. La magie de Noël fonctionne grâce aux superbes voix d’enfants, à la mâle assurance du Chœur d’hommes, au fil conducteur délivré par la flûte

D’emblée, seul au cœur de l’arène de bois, Juan Carmona, vaillant torero, brandit sa guitare, l’étreint, la caresse ou la bat et fait ainsi jaillir le flot musical enivrant de ses compositions. On est aussitôt ébloui par l’intensité du flux sonore, cascade de notes égrenées, alliant velouté et retenue, et la richesse polysémique de l’univers musical du maître. Puis surgissent de l’ombre les companeros, son frère Paco Carmona, à la seconde guitare, Raphaël De Utrera au chant et palmas, Domingo Patrizio, à la flute traversière et l’envoûtante danseuse Carmen Lozano. Le chanteur d’une voix timide, quasi-enfantine, émue sans doute par quelque réminiscence, célèbre la naissance de l’enfant sacré dans le Villancico de

enchan-teresse et éthérée de Dominique Bouzon, mais aussi à la direction exigeante, rigoureuse, du chef de chœur. On est saisi par la pureté des timbres, l’équilibre et la douceur des voix lors de l’Ave Maria d’Anton. On touche au sublime avec le O Magnum Mysterium de Francis Poulenc, dans lequel la jeune soliste fait montre d’une superbe technique vocale, alliant avec bonheur grâce et puissance. L’apothéose se poursuit jusqu’au Videntes Stellam, extrait des quatre motets pour le temps de Noël. Décidément, la Maîtrise maîtrise et le public subju-

Navidad traditionnel. Pour les chants suivants, s’il a conservé les textes populaires, Juan offre au public ses propres compositions, aux riches variations et aux ornementations foisonnantes. Sur ces chants «flamenco», la voix arrachée, haut placée, jaillit avec puissance, exalte la souffrance, le vague à l’âme et l’esprit du «duende». Fascinée, la danseuse s’étire, alliant sensualité et attitude altière, virevolte dans un roulement continu. Le groupe nous livre encore une version espagnole du célébrissime Stille Nacht de Franz Gruber. L’aspect visuel très élaboré du spectacle, jouant tant sur la chorégraphie que sur le clairobscur, contribue également à soulever les foules…

gué en redemande. Bon prince, Samuel Coquard déroge à la règle (ne pas doubler un bis) pour le plus grande joie de chacun ! Ces cinq concerts sont encore à l’affiche jusqu’au 23 déc dans divers lieux du département 13 www.culture-13.fr Un programme de Chants corses, par les ensembles Barbara Furtuna et Multitudes, est également à l'affiche de ces Chants de Noël MARYVONNE ET JEAN-MATHIEU COLOMBANI


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MUSIQUE

LYRIQUE

Rangeons les fourrures ! Quelle riche idée a eu l’opéra de Toulon de programmer en cette période pré-hivernale l’opéra-bouffe Orphée aux enfers ! Un cadeau offert aux mélomanes, prompt à réveiller les oreilles engourdies, dans lequel les zygomatiques étaient lourdement mis à l’épreuve grâce à une mise en scène enjouée et plutôt rock and roll d’Yves Beaunesne qui a su donner du peps au célèbre ouvrage de Jacques Offenbach. On pouvait en effet rire à chaudes larmes devant le duo de la mouche ou le cancan final où l’on a rarement vu les chœurs animés de tant d’allégresse, sans compter l’inoubliable prestation de l’ex-roi de Béotie. Musicalement, cette coproduction du festival d’Aix 2009 n’avait rien à envier à l’original puisque les rôles titres étaient sensiblement identiques. Le plateau vocal était d’une belle homogénéité : on retiendra notamment les aigus brillants de Pauline Courtin parfaite en Eurydice naïve, le jeu de scène impeccable et la voix sûre des trois ténors Mathias Vidal (Pluton), Julien Behr (Orphée) et Jérôme Billy (Styx) ainsi que du baryton Vincent Deliau parfait en Jupiter un brin despotique. L’orchestre alerte, dirigé avec fougue et vivacité par Samuel Jean a restitué avec talent l’énergie de la partition. Les décors ingénieux étaient également très bien servis par une mise en lumière façon télé suivant au plus près l’action ; les dialogues parlés réactualisés donnaient à cette œuvre de 1858 un aspect contemporain qui ne fit pas l’unanimité, mais avait le mérite de

© Agnès Mellon

dépoussiérer un répertoire dont on a trop longtemps boudé les délices. ÉMILIEN MOREAU

Orphée aux enfers a été joué à l’Opéra de Toulon du 21 au 26 nov et au Grand Théâtre de Provence du 10 au 12 déc

Pas de mauvais genre !

David Grousset © X-D.R.

Saluons la persévérance de l’équipe du Théâtre de l’Odéon qui, depuis plusieurs années, avec des moyens limités, propose aux Marseillais (chose extrêmement rare en France) une vraie saison d’opérettes de qualité ! Pour ouvrir celle de 20102011, Jean-Jacques Chazalet est allé puiser chez un compositeur qui fut un maître dans les domaines lyrique (Le Chalet ou Le Postillon de Longjumeau…) et du ballet (Le Corsaire ou Giselle…) : Adolphe Adam (1803-1856) aussi connu comme l’auteur du Minuit Chrétien. Son Si j’étais roi (1852), monté pour la circonstance, n’a rien d’une opérette ! C’est un vrai Opéra-comique, modèle du genre à la verve mélodique inspirée et la mode orientaliste, qui exige une distribution experte. De ce point de vue, aussi bien l’excellent

Chœur Phocéen, fort bien préparé en coulisse par Rémy Littolff, que l’Orchestre «maison» dirigé par Bruno Membrey, ont remarquablement soutenu un plateau vocal de premier ordre, rompu aux mélange des genres et aux difficultés techniques. Laure Crumière, soprano à l’aigu franc, Stéphane Malbec-Garcia, ténor di grazia tout en nuances, David Grousset, baryton puissant, Jean-Marie Delpas, basse bouffe félonne à souhait, Frédéric Mazzotta, très à l’aise dans la comédie, ou la juvénile Perrine Cabassud ont ravi un public passionné d’art lyrique. Pourvu que ça dure ! JACQUES FRESCHEL

Si j’étais roi a été représenté à l’Odéon les 11 et 12 déc

Souffle lyrique Dernier concert de l’année au foyer de l’Opéra de Marseille le 11 déc dans un programme XIXe consacré aux vents Il y en avait pour tous les goûts dans le superbe Foyer art déco de l’Opéra. La suite Mladi pour septuor à vents du trop longtemps méconnu Janacek (son opéra Jenufa a été donné récemment, et son œuvre trouve aujourd’hui sur les scènes lyriques la place qu’elle mérite, celle des plus grands) s’inspire d’un thème populaire et évoque la jeunesse d’une vie étudiante à Brno (République Tchèque). Pièce la

plus «moderne» du programme, elle requiert attention et maîtrise des interprètes en raison notamment de sa très grande complexité rythmique. Autre grand nom du monde lyrique, Georges Gounod était représenté avec une Petite Symphonie en mi bémol majeur, œuvre de facture classique qui donna de belles couleurs d’ensemble où les deux cors (Julien Desplanque et Philippe L’Orsa) firent admirer

leur belle complicité. Universellement connue, la suite sur Carmen de Bizet, dans un arrangement Armel Descotte © X-D.R.

pour nonette à vents exposa les fameux thèmes du toréador ou de la habanera dans un bel équilibre timbrique et une dynamique fort appréciée du public, à l’image des soli de JeanMarc Boissière (flûte), Armel Descotte (hautbois) et Didier Gueirard (clarinette) soutenus par les bassonistes Hervé Issartel et Stéphane Coutable. Un beau moment musical, très opératique ! FRÉDÉRIC ISOLETTA


Fresque sonore Jouer l’opéra Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns en version de concert ne constitue pas une hérésie : on ne criera donc pas au sacrilège, surtout à propos d’une œuvre dont l’inspiration est biblique. En effet, l’action ne prime pas dans cet archétype de Grand-opéra à la française. En dehors de quelques grands effets scéniques dont on est frustré, le combat de Samson contre les Philistins ou l’écroulement final du temple de Dagon, l’attention se porte ainsi, essentiellement, sur la musique. On s’intéresse à nouveau, particulièrement en peinture, à l’art «pompier» tant décrié par les impressionnistes ; il semble donc naturel que, sur le plan musical, on soit aujourd’hui attentif aux atouts du chef-d’œuvre de Saint-Saëns. Il est de cette veine ! Sa beauté plastique, coloriste et puissante, parfois grandiloquente au sens de l’effet aiguisé, furent remarquablement brossés par le Chœur très présent (à l’image de sa place dans les oratorios) et l’Orchestre de l’Opéra dirigé avec vigueur et métier par Emmanuel Villaume. La traîtresse Dalila fut incarnée par Olga Borodina, formidable mezzo au timbre large et aux graves de poitrine impressionnants. Torsten Kerl, malgré une petite gêne due à un refroidissement (le mistral est un vrai péril pour les ténors septentrionaux se croyant à l’abri de la laryngite sur les bords de la Méditerranée), lui a rendu une belle réplique dans rôle du valeureux Hébreu, et Philippe Rouillon a chanté un Grand-Prêtre à l‘émission française comme on aime l’entendre. JACQUES FRESCHEL

Samson et Dalila à été représenté à l’Opéra de Marseille du 17 au 26 nov

Voyage d’hiver Quand Mc Creesh dirige l’orchestre de Bâle et la mezzo-soprano autrichienne Kirschlager autour d’un programme Brahms, Schubert, on se dit qu’un vent de fraîcheur venu des Alpes du nord va souffler sur le Grand Théâtre ! Les premières notes de l’ouverture Rosamunde du grand Franz, dans un même élan de cordes, conjuguées à la brillance patinée des cuivres et au velouté des bois se chargèrent de réchauffer l’auditoire. Puis, autour de quelques lieder de Schubert orchestrés avec plus ou moins de réussite, la belle Angela se mit à chanter ! Une

voix de braise, en harmonie avec le rouge de sa robe, des aigus superbes, un timbre chaleureux, un jeu de scène soulignant efficacement le sens du texte finirent d’enflammer la salle. L’orchestre, dans la 2e symphonie de Brahms fit l’étalage de sa perfection technique : une véritable horlogerie suisse ! Regrettons seulement que le chef n’ait pas usé pleinement des qualités de cet ensemble pour dessiner des reliefs plus saillants; Bâle resta sans sommets ! CHRISTOPHE FLOQUET

Angelika Kirchschlager © Nikolaus Karlinsky


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MUSIQUE

CHAMBRE yeux d’Etienne Moulinié : beau legato expressif et mélancolique, aigus planants d’Arianna Savall, théorbe sensuel de Juan Sebastian Lima. Le Canzon de Bartolomeo de Selma offre une joute virtuose entre cornet et dulciane. Chaudes sonorités de Krzysztof Lewandoski, mélismes, bourdons, chaconnes, folias (motifs qui se répètent en se modifiant) Folias para mi señora de Falconiero, festival de modes de jeux (le très sautillé Repicavan las campanillas de Moulinié) et d’atmosphères où les musiciens passent d’un instrument à l’autre avec aisance. Michael Hell, orgue, clavecin, flûtes à bec, chant donnant à l’ensemble une assise essentielle, avec grande maîtrise. Repartant de Saint Victor, sur les routes de… la rue Sainte, le public, ravi, reprenait en chœur : De cor, de boux, celebrats, cantats toutis! (Du cœur, de la bouche, célébrez, chantez tous !) entonné par un Jean Tubéry chaleureux.

Pèlerins de Saint Victor

© Yves Bergé

L’ensemble La Fenice, direction Jean Tubéry, flûtes à bec, cornet, et Ariana Savall, soprano et harpe, nous ont guidés sur le Chemin de Compostelle, baignés par des musiques médiévales et baroques, et une exaltation de Saint Jacques, contée par la voix occitane du chef, anecdotes pittoresques à l’appui («Les femmes sortaient des maisons avec

YVES BERGÉ

décence, pour voir chanter nos compagnons de France»). Arianna Savall, d’une grâce étonnante à la harpe, chante avec délicatesse et grande sensibilité. De Strasbourg à Saint Jacques, un riche parcours musical passe par un choral de Praetorius, une fantaisie de Du Caurroy (Une jeune fillette), et le sublime air avec diminutions N’espérez plus mes

Un Camino de Santiago a été parcouru le 25 nov dans le cadre du 44e Festival de Musique à Saint-Victor

Question d’équilibre Malgré sa volonté d’en garder un peu sous la pédale (de sourdine), Jean-Claude Pennetier n’a pu masquer le déséquilibre sonore prévisible entre un piano-roi à l’écriture fournie et les quatre cordes émaciées figurant l’orchestre de Chopin. L’adaptation pour quintette de son Concerto n°2, proposée lors de la seconde soirée dédiée au Franco-Polonais, n’a véritablement fonctionné que dans le 2e mouvement joué (aussi en bis) avec beaucoup de poésie et de fluidité. Le Quatuor Renoir, associé au pianiste français, a en revanche trouvé sa juste mesure expressive dans le rare

Jean-Claude Pennetier © X-D.R.

Quintette en fa mineur de César Franck. Un opus sombre et tourmenté pour lequel, dès la première intervention plaintive du clavier, Pennetier a placé la barre très haut en matière de suspension, de retenue, de couleur et de sensualité. Les cordes, dans son sillage, ont servi avec lyrisme l’œuvre d’un génie de l’écriture harmonique et de l’architecture sonore. J.F.

Concert donné à la Société de Musique de Chambre de Marseille le 2 déc

Talents d’ici ! chambriste. Pour en tirer tout le sel, il faut posséder une large palette expressive et technique, rendre lisible le contrepoint, faire la part belle au

chant, et emmener l’auditeur dans des univers tantôt tendre, énergique, douloureux, populaire, sur des rythmes carrés ou chaloupés, par des modu-

Jean-Eric Thirault © X-D.R.

Le Grand Foyer est complet ce 27 nov pour entendre le somptueux programme annoncé dans le cadre de la saison de musique de chambre de l’Opéra de Marseille. 15h ! On fait encore la queue devant le rutilant guichet art-déco trônant dans le hall d’entrée en espérant trouver une place (pour 5€… même pas le prix d’un ciné !). En haut de l’escalier, les musiciens s’installent, s’accordent et attaquent le Sextuor en sol majeur n°2 de Brahms : une véritable mini-symphonie pour cordes que les éminents solistes issus de l’orchestre maison interprètent avec un souci du dosage et de l’équilibre des pupitres, de la tenue rythmique et une belle cohésion, tout à fait à l‘image des formations de métier ! Les deux Sextuors de Brahms (le n°1 en si bémol a fermé le programme) sont des sommets de la littérature

lations pleines de surprises... Souvent la réussite d‘une formation de musique de chambre, paradoxalement, tient à la présence forte de l’altiste. C’est cet instrumentiste qui, au cœur de la polyphonie, mène fréquemment la danse. On ne peut, en l’occurrence, que louer la générosité de jeu de Magali Demesse. Secondée par son alto-ego Xavier Franck, elle a tenu la balance entre le chant aérien des violonistes Roland Müller et Alexandre Amedro et la pâte lyrique des violoncellistes Jean-Eric Thirault et Odile Gabrielli. Faut-il le redire encore aux programmateurs ? Souvent il n’est pas besoin d’aller quérir au loin des talents que l’on a sous la main ! JACQUES FRESCHEL


MUSIQUE 33

Violoncelle hypnotique Encore un très beau concert à l’opéra d’Avignon ! L’OLRAP, dirigé par le chef russe Alexander Vakoulski, a interprété trois œuvres des XXe et XXIe siècles. Pour débuter, on a découvert Entre ses mains de Pascal Dusapin, compositeur star de la musique contemporaine française, et connu des Avignonnais pour sa présence au Festival In cet été : lentement, autour d’un sol, note pivot, l’œuvre se construit, s’élargit progressivement, joue

sur les nuances et les harmoniques au violon solo, en donnant une impression d’immobilité, cependant riche en couleurs. Le morceau, s’achevant par un sublime pianissimo, a démontré l’immense talent du chef invité, et la volonté nouvelle de l’OLRAP de s’ouvrir au répertoire contemporain. Pour suivre, l’opus phare de la soirée, le Concerto pour violoncelle et orchestre n°1 de Chostakovitch, fut joué par une autre star : Alexander Kniazev.

de Bach, avant de quitter la scène, se fondre dans le public et écouter la dernière partie du concert, Vakoulski dirigeant avec dynamisme l’Oiseau de feu de Stravinsky.

Composé pour Rostropovitch en 1959, il porte toute l’émotion et l’âme sensible du peuple russe. Le soliste l’a interprété avec fougue et passion, et c’est dans la Cadenza que, suspendu à l’archet de l’interprète, le public a écouté, hypnotisé par tant d’émotion. L’ovation qui suivit fut à la mesure de ce succès ! Infatigable, malgré l’intensité physique qu’il déploya dans le Concerto, le violoncelliste est revenu jouer, en bis, deux extraits de Suites

CHRISTINE REY

Ce concert a eu lieu le 19 nov à l’Opéra d’Avignon

Addiction

Louis Robillard © Guy Vivien

Lise Berthaud © Claude Doare

La Folle Nuit du Théâtre de Nîmes était cette année consacrée à Brahms, avec une incursion moins innocente qu’elle n’y paraît vers l’op 19 de Schoenberg : elle matérialisait l’éclatement de la tonalité influencé par la tempête Brahmsienne. Tempête que le jeu subjectif de Fabio Bidini n’aura de cesse d’entretenir avec le Quatuor Modigliani et François Salque au violoncelle. L’altiste Lise Berthaud, le clarinettiste Romain Guyot et le jeune Trio Atanassov joignaient leurs talents à cette série de cinq concerts de 15h à 23h. Du lourd donc, du duo, du trio, du quatuor, du quintette, du sextuor au kilo ! Affrontés par une jeunesse impressionnante dans son interprétation ! Pourtant la programmation resserrée (deux pièces maximum), intercalée d’entractes confortables (une petite heure pour éviter le mauvais trip…), permettaient une accoutumance fructueuse à des tournures stylistiques et des procédés de compositions propres au maître de Hambourg. Salque, investi, et Bidini inaugurent le voyage avec la Sonate en mi mineur : les jalons sont posés, traits appuyés

par alternance, ruptures rythmiques et harmonies familières en sixtes, c’est bien Brahms conclu par un troisième mouvement solide et fugué. Lise Berthaud étaye le Trio Atanassov et ses jeunes membres plein d’engagement dans le Quatuor pour piano et cordes op 60 et met majestueusement en valeur les accents beethovenien de l’allegro final. L’overdose est finement évitée par un

changement de texture avec le Sextuor à cordes n°1 et ses appels de quartes caractéristiques dans les variations qui induisent une passacaille à l’arrière plan et l’héritage de la tradition. Nous sommes alors disponibles pour le retour du piano dans le trio op 87 ! Atanassov s’épanche sur les unissons aux couleurs modales et populaires de l’andante et se montre mordant dans le Scherzo. La clarinette

de Romain Guyot est séduisante dans les pianos et les sons filés de la Sonate avec piano. Une mezzo-soprano, Andrea Hill, répond alors à la berceuse de l’altiste du trio avec une voix chaude et mesurée contant La nostalgie apaisée et La Berceuse sacrée sur des arpèges Brahmsiens. Puis le shoot final ! Le Quintette pour piano et cordes en fa mineur ! L’auditoire accro est prêt à recevoir les rythmes pointés ou en triolets sur les basses obsédantes du Scherzo. Après une introduction empreinte de chromatismes annonciateurs d’une tonalité élargie, le Finale entretient la magie des accents brahmsien. Dernier Quintette avec clarinette et ultime montée d’adrénaline, ultime soulagement sur les motifs quasi-improvisés de l’anche (adagio) et la juste pudeur de la mélodie pour finir en douceur. Aimez-vous Brahms ? Oui, décidément ! PIERRE-ALAIN HOYET

La folle nuit brahmsienne a eu lieu le 4 décembre au théâtre de Nîmes

Saint Louis L’immense organiste Louis Robillard s’est produit le 18 nov sur les grandes orgues de la paroisse Saint Joseph à Marseille Émérite interprète et pédagogue, le spécialiste du répertoire symphonique a offert au public venu en nombre écouter le maître un superbe récital. Du haut de la tribune qui surplombe la nef, les grandes orgues Cavaillé-Coll de Saint-Joseph ont sonné magnifiquement dans une littérature taillée sur mesure par un spécialiste du genre. Avec des pièces de Franck, Widor, Liszt (une superbe transcription

des Funérailles par l’organiste lui-même) et la fameuse Sicilienne de Fauré adaptée également pour l’orgue par l’hôte de marque, la puissance et la richesse sonore du très bel instrument étaient parfaitement exploitées. Un trois claviers gigantesque dans la pure tradition symphonique française que fait revivre avec succès l’Association des amis des orgues Cavaillé-Coll de Saint-Joseph et SaintPhilippe, initiatrice de plusieurs manifestations dont la prochaine verra se succéder à la tribune les organistes de la paroisse pour un concert de Noël à ne pas rater (19 déc à 16h). FRÉDÉRIC ISOLETTA


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MUSIQUE

CONTEMPORAINE

Écrire la musique aujourd’hui

Deux compositeurs marseillais Un théâtre des Bernardines bondé accueillait le 26 nov deux créations. Le rêve de l’homme-oiseau de Pierre-Adrien Charpy rappelle l’effectif d’Octandre de Varèse: trompette, cor, trombone, contrebasse, basson, clarinette, hautbois, flûte traversière. Mais il s’agit d’un concerto pour accordéon ! Jean-Marc Fabiano se joue de toutes les difficultés et subtilités avec une maîtrise étonnante. L’accordéon installe un thème populaire sur des nappes de timbres, crescendo expressif, palier descendant et jeu subtil des bois en dialogue. Un déchaînement rythmique soudain, redoublements de sons rappelant le Kammerkonzert de Ligeti, puis des univers oniriques (Shéhérazade de Ravel, Asie). Charpy aime draper les timbres d’une couleur, d’un motif simple puis surprendre par un jeu solistique très sophistiqué. Pièce d’un seul tenant, sur un tissage rythmique précis, qui part du souffle, et conclut par un autre souffle mystérieux : une belle réussite et une direction remarquable de précision et d’engagement de Raoul Lay. On saluera le tour de force de Fabiano, surmontant les variations de la Chaconne de la Partita pour violon n°2 de Bach, transcrite par Busoni. L’Octandre de Varèse, dans la très belle interprétation de Télémaque, affirme comme élément structurel le timbre, paramètre primordial de la composition,. Puis débute le Glam Concerto de Raoul Lay, pour piano : un seul mouvement, en glissandi harmoniques, repose sur une succession d’épisodes très théâtraux, rappelant Maurizio Kagel : une musique dynamique d’une grande richesse expressive. Dans la cadence diabolique, le pianiste survolté Hubert Reynouard parcourt le clavier dans tous les registres, avec maestria. Après quelques clins d’œil à la musique américaine (Copland Gun Batlle Billy the Kid) et ses accents percussifs -Christian Bini subtil et précis-, le piano devient plus statique et chaque instrument entame des motifs élégants, entrecoupés de silences mystérieux, roulements de timbales précédant l’ultime suspension. Un concerto d’une variété rythmique et mélodique magistrales, dans une concision maîtrisée. Marseille peut s’enorgueillir de compter dans sa cité deux compositeurs si talentueux.

Consacrer un mois à la musique en création était un pari audacieux de l’Ensemble Télémaque : quatre concerts, accompagnés de rencontres, répétitions publiques et ateliers ont réuni un public nombreux autour de la question a priori aride de la composition contemporaine Jean-Christophe Selmi © Agnes Mellon

D’aujourd’hui et d’hier Azoulay qui en «pinçant» leur cordes ont touché nos «âmes». L’Hommage émouvant rendu à Robert Coinel, compositeur apprécié de notre région disparu trop tôt l’an dernier, a conclu en apothéose ce récital qui a marié avec bonheur l’aujourd’hui sensible à l’hier récent. JACQUES FRESCHEL

Les Pinceurs d’âme a été joué à la Villa Magalone le 19 nov.

Comprendre

Le festival Convergences a débuté sur un rythme soutenu au GMEM le 2 déc ! Ouverture prometteuse pour un mini festival de rencontres singulières, le duo composé de Lucie Antunes aux percussions et Joël Versavaud aux saxophones a su rassurer ceux qui doutaient d’une telle association. Mais le XXe siècle s’est largement tourné vers le monde percussif à l’image de Xenakis

Incisif

YVES BERGÉ

Jean-Marc Fabiano © Agnes Mellon

Magmas profonds et entêtés de clarinette (Linda Amrani) qui, aussi, fait cliqueter ses clés, cor vibrant au brame saturé (Marylin Pongy), effets glacés de cordes (Yann Le Roux Sédes, JeanChristophe Selmi, Pascale Guérin, Guillaume Rabier) suspensions dissonantes, faux unissons, masse sonore dégoulinante… c’est par une pièce résolument contemporaine de 2009 que l’Ensemble Télémaque débute son second concert du Mois des Compositeurs. Une pièce retenue par Raoul Lay à l’issue d’un call for score international qui, par un intrigant hasard, a sélectionné deux jeunes Brésiliennes! Si l’auteure Valéria Bonafé, dont la partition intitulée Circulos a séduit l’assistance, n’a pu faire le voyage de Sao Paulo, sa compatriote Tatiana Catanzaro s’est exprimée avec charme et émotion sur la mélancolie, sorte de mal du pays éprouvée à l’écoute du 3e Prélude de Villa Lobos. La compositrice a présenté son opus représentant musicalement trois Tableaux d’un musée imaginaire inspirés d’Impressionnistes et que les couleurs sonores, la présence de la harpe et de la flûte (Charlotte Campana) place sur la même toile. En miroir, deux opus de Ravel (Introduction et Allegro) et Albert Roussel (Segovia op.29) ont mis en relief la virtuosité sensible de la harpiste Lydia Laurent et du guitariste Philippe

Écouter de la musique c’est bien, la comprendre c’est encore mieux. Le deuxième épisode des ateliers concerts (série de 4 concerts pédagogiques proposés pour les collégiens et lycéens à 16h, puis pour les adultes à 18h dans l’auditorium de l’Alcazar) contribue à mettre à la portée de tous une musique qui, même si elle a parfois un siècle d’existence, reste marginalisée, voire abhorrée. L’histoire de la musique du XXe siècle semble au demeurant ne plus avoir de secret pour le public nombreux et conquis de ces concerts commentés, formule pédagogique idéale sans être formatée ! Dès la pièce pour percussions seules Rebonds de Xenakis, tribale et virtuose mais parfaitement maîtrisée par un Christian Bini impressionnant, les grands et petits «élèves» ont compris pourquoi

et de son Dmaathen, dialogue haletant parfois proche de la transe. Du même compositeur, Rebonds est une pièce impressionnante, dévoilant les ressources timbriques et les résonances insoupçonnées de l’instrumentarium comme la nécessaire virtuosité de l’interprète. Très chaleureusement accueillie, la création de Lionel Ginoux intitulée Un peu plus loin, de plus près a réussi le pari d’évoquer des sonorités reculées par une riche palette percussive mettant

Raoul Lay, directeur musical de l’ensemble et maître de cérémonie très à l’écoute avait intitulé ce second chapitre La musique et la pulsation : Les instinctifs. Stravinsky avec L’histoire du soldat, Prokofiev pour son quintette pour vents et cordes, Varèse pour Density 21,5 et Octandre ou l’Américain Riley pour un extrait significatif d’In C, musique répétitive très peu jouée en France, ne contrediront nullement son angle de lecture. Changeant de casquette pour revêtir celle de compositeur l’espace d’un instant, le chef d’orchestre put alors faire profiter l’auditoire d’explications concernant la genèse de sa Danse du diable, tirée de La jeune fille aux mains d’argent. Ludique et passionnant. FRÉDÉRIC ISOLETTA

l’accent sur les peaux, les associant à une écriture moderne où le saxophone soprano pouvait tisser ses mélopées, parfois litaniques, parfois incisives. Une réussite pour une pièce dense à la formation audacieuse pleine de ressources, comme pour ce duo d’instrumentistes offrant leur talent à une musique encore trop méconnue. F.I.


MUSIQUE

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Ça ça métisse ! Pour la clôture des Tables Rondes d’Averroès (voir p72), L’Espace Culture-Marseille et Le Cri du Port ont invité le Yuvaï Amihaï Ensemble, mené par le guitariste et compositeur israélien : entre jazz, musiques planantes aux accents populaires et improvisations énergiques, le quintette se révéla talentueux. Suivait Rabih Abou-Khalil, et son quartet : Gavino Murgia, voix et sax soprano, se régalait dans des improvisations human beat box déchaînées, usant de tessitures très graves sur les tenues magiques de Luciano Biondini, accordéon. Jarrod Cagwin, batterie, percussions, gardait une pulsation dynamique dans des chorus effrénés. Amoureux de musique sous toutes ses formes, ouvert à toutes les harmonies et dissonances, Abou Khalil s’autorise tous les métissages. C’est aussi un conteur chaleureux, plein d’humour ; il rappelle la richesse de la

Voyage au centre de la terre Dans les entrailles de la Fondation Vasarely, au cœur d’une petite salle cryptique muselée pour l’occasion par un rempart de 18 mini enceintes, le maître de cérémonie, Jean-Marc Duchenne, convia le public à venir s’immerger dans le monde des acousma-sons. Sa pièce, Au cratère de lune, suivie de celles de Vincent Carinola, Cielo vivo, et d’Hervé Birolini, Perséides, dépeignirent, aux travers de

puissant. Un autre thème, en hommage à la guerre du Liban, démarre discrètement, orné, lascif, comme un paradis perdu, le son très ample de l’accordéon contraste avec les cassures du oud et les contretemps du bendir (peau). Abou Khalil ne s’installe jamais : l’énergie positive reprend le dessus, comme un message entêtant : une main gauche survoltée, une main droite inapaisable domptent un instrument qui devient guitare électrique, tornade de sons et de rythmes. Musique de la liberté, qui en une soirée, embrasse mille et un univers. YVES BERGÉ Rabih Abou-Khalil © X-D.R.

musique arabe et ses 300 gammes, et chaque morceau est l’occasion d’une anecdote : «Les Américains sont venus à Bagdad pour s’inspirer de la culture irakienne ! Ils n’ont rien trouvé, ils sont repartis !» Rires, puis les mélodies en-

ces titres évocateurs, un monde fantasmagorique, magique, à la frontière entre terre et ciel. Au centre d’une véritable constellation sonore, l’auditeur, balayé par l’aspect cinétique du son diffusé à travers les haut-parleurs, englouti dans un univers plastique tout en vitesse et mouvement, se mua en avatar de toile futuriste à la Balla. Les textures complexes toujours mouvantes, entre bruits, hauteurs déterminées, souffles…, sculptèrent l’espace, le modelèrent et laissèrent dans l’enceinte les traces invisibles de leurs passages. Un beau voyage initiatique au sein de la matière. CHRISTOPHE FLOQUET

Hauts parleurs transparents en attente de cablage © X-D.R.

diablées démarrent aussitôt. Khalil, maître du oud, sait faire vibrer le public : sa mélodie saccadée sur un contrechant legato du saxophone soprano se développe, puis laisse entrer tous les instruments sur un crescendo

Ce concert a eu lieu le 27 nov à l’Espace Julien

Multicolore Soirée haute en couleurs, entre Amérique et création, pour le dernier concert symphonique de l’année Une entrée fulgurante et festive donna le ton de la soirée, les cuivres avaient ouvert la marche avec l’ouverture de Candide de Leonard Bernstein, condensé de quatre mélodies issues des thèmes de la comédie musicale, délicieusement manœuvrée par une écriture rythmique, cuivrée et percussive. Mais la star de la soirée n’est pas encore sur scène, le jeune «Paganini» serbe des temps modernes, Nemanja Radulovic, révélation internationale lors des Victoires de la Musique, s’impose par sa technique parfaitement maîtrisée, son lyrisme poussé à travers des vibratos parfois osés, et sa chevelure omniprésente marquant le flux d’une musique néoromantique. L’écriture du concerto pour violon de Samuel Barber, bien connu pour son Adagio pour cordes, véritable mélodiste et talentueux compositeur américain, peut correspondre à une tendance esthétique des jeunes interprètes privilégiant une musique moderne empreinte de lyrisme. L’orchestre d’ailleurs s’y démocratise : les mélodies confiées au premier violon passent à la clarinette tandis que la harpe déploie ses tendres arpèges puis que les cloches, marimba, vibraphones dressent un tableau d’une rare

Nemanja Radulovic © Eric Manas

douceur... La 1re Symphonie du jeune compositeur marseillais Nicolas Mazmanian, commande de la ville de Marseille, célèbre l’énergie de la vie, l’amour, le rêve et l’humour et même le jazz et les modes asiatiques, amenant doucement le public vers le monde oublié de l’enfance. Un temps retrouvé qui le fait tendrement sourire, melting pot néoclassique un peu lourd mais adéquat à cette soirée colorée sous la direction agitée de Guy Condette. AGNÈS CONDAMIN

Ce concert symphonique a eu lieu le 2 déc à l’Opéra de Marseille


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MONDE | JAZZ

Ô temps, suspends ton vol ! Présenter Manu Katché comme un simple batteur serait réducteur : mi-homme, mi-félin, l’artiste est un sculpteur de matière, un dompteur de son ! Associé pour ce concert à un bassiste, un saxophoniste et un pianiste, le maître es percussions, dans une chorégraphie aérienne de baguettes et de balais, fit frémir de plaisir les peaux et les ors de son instrument, invitant par là-même ses comparses musiciens à entrer dans la danse. Le mélange acoustiqueélectrique, fender Rhodes-sax soprano-basse, déboucha sur de superbes alliages de timbres. Soutenue par la texture polyrythmique ciselée du chef du quartet, les improvisations originales et enjouées, aux couleurs parfois ravéliennes et debussystes, firent chalouper le public dense du théâtre de la Colonne. Le bis, ultime moment de finesse et de quiétude, mit un terme à ce moment de grâce. Immergé dans cet univers sonore, le temps semblait avoir stoppé sa course… l’espace d’un instant. Manu Katché © Visual

CHRISTOPHE FLOQUET

Ce concert a eu lieu à La Colonne, Miramas, le 8 déc

Doux doudouk

L’abricotier ne produit pas seulement des fruits d’été ; son bois se sculpte, se perce et, muni d’une double anche de roseau et du carcan d’une bague de régulation, il autorise des musiciens qui acceptent de se transformer en batraciens avec joues gonflées et vibrantes à produire des sons d’une grâce exquise, graves de violoncelle, notes aériennes, délicatesse et plénitude de chants tristes ou rêveurs, langoureux ou enjoués. Le doudouk, joué par le doudoukiste offre malgré sa rusticité apparente un jeu d’une finesse et d’une expressivité extrêmes. Levon Minassian en a livré

une démonstration époustouflante au Toursky. Bien sûr chacun regretta l’absence de Michael Lonsdale, retenu à Rome, à cette représentation qui mêlait textes et musiques, évocation et hommage à l’Arménie. Mais Richard Martin transporta le public par sa bouleversante interprétation de l’Affiche Rouge et de Avec le Temps. Serge Arribas au clavier, Jean-Pierre Nergararian au kamantcha, (instrument à cordes frottées, dont la caisse de résonance est recouverte d’une peau de poisson), Pedro Alledo à la guitare accompagnaient Levon Minassian avec une belle justesse, ainsi que Nicolas

Mazmanian, jeune compositeur marseillais (voir p 35), au piano. Jean-Claude Petit parrainait la soirée et l’on eut le plaisir d’entendre les musiques qu’il a composées pour Mayrig de Verneuil par exemple. Images projetées, fluidité des sons. L’artiste généreux se plie aux rappels. La salle comble lui réserva une ovation. M.C.

Le murmure des vents et des variations de l’âme de Levon Minassian a été donné au Toursky le 26 nov

Énergie et générosité Le groupe Compay Segundo y sus muchachos fut créé en 1955 par Francisco Repilado Muños. Quelle joie de retrouver à l’Espace Julien, après la disparition du maestro en 2003 à 96 ans, deux de

ses fils, Basilio, voix chaude, roi des claves, et Salvador Repilado, contrebassiste qui égrène les syncopes en souriant. Hugo Garzon mène le bal, avec une gouaille incroyable, de sa voix puissante, © Yves Bergé

éraillée, sans tricherie, danse en chantant, accompagné de maracas complices, parle de Marseille, d’amour, de Cuba. Le nom de Compay Segundo apparaît dans toutes les chansons, comme un refrain, essentiel. Felix Martinez qui, de son armónico, petite guitare à 7 cordes créée par Segundo, est l’élément mélodique majeur : thèmes, improvisations, c’est le son cubain. Para hacer un son, hay que tener cora-zon : pour faire un son, il faut du cœur ! Les percussions, congas, bongos, guiro, permettent le rythme, la danse. On reprend en chœur les refrains simples, on découvre de merveilleux Boleros, lancinants et sensuels. Une mélodie s’installe, varie, tourne, dans une communion festive réjouissante : l’apport de deux clarinettes donne une belle couleur, ainsi que la présence du marseillais d’origine cubaine, Ruben Paz, saxophone ténor. On enchaîne un pot-pourri de vieilles chansons de Santiago de Cuba et l’hystérie s’installe sur les tubes Chan-Chan et l’incontournable Guantanamera. Le public, debout, danse la joie et le partage. Les Papys Stars du Buena Vista Social Club font de la résistance et ne sont pas prêts de prendre leur retraite ! YVES BERGÉ


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Cohérence volubile Eric Barret est un théoricien du saxophone jazz, très connu pour son enseignement et ses ouvrages de pratique publiés aux éditions Outre Mesure. Mais c’est aussi un arpenteur des scènes de longue date, en petites formation et en orchestre. Avec Joël Allouche à la batterie, Serge Lazarevitch à la guitare électrique, il forme un trio invité par l’AJMI dans la Cité des Papes. Leur parcours international leur a permis de côtoyer d’autres grands musiciens, et ils ont proposé diverses compositions issues de leur CD Close Meeting, mais provenant aussi d’autres sources telles que John McLaughlin, Paul McCartney, Thelonius Monk ou Björk. Mais quels que soient ces thèmes, ils présentent de nombreuses coupures syncopées où guitare et saxo jouent à l’unisson et imposent très rapidement une tension profonde. La musique est énergisante, même lorsqu’arrive la

ballade Quand Laura me tend ses bras. Réunion en huis clos ? Ils nous y invitent : le batteur est tout sourire et extraordinairement présent, visiblement heureux d’être là, et les effets électroniques réalisés par le guitariste restent sobres et ne couvrent pas le son dense, volubile, puissant au besoin, du saxophone tantôt ténor, tantôt soprano. Un bon concert fait d’itinéraires variés démontrant les nombreuses influences musicales de chacun de ces musiciens. DAN WARZY

Ce concert a eu lieu le 3 déc à l’AJMI, La Manutention, Avignon À lire et écouter Close Meeting CD Label Cristal Records Pratique du saxophone / Etudes jazz pour saxophone / Gammes et Arpèges pour le jazz Eric Barret www.outremesure.lfi.fr

Le lauréat

© D. Warzy

Jazz Migration est une manifestation organisée par l’AFIJMA qui permet de sélectionner trois lauréats chaque année parmi les nombreuses formations jazz en France. Ceux-ci se voient ensui-

te ouvrir les portes de diverses salles. L’occasion aussi d’un retour en un lieu chaleureux, le Moulin à Jazz, pour le quintet gagnant Renza Bô -dont le nom aurait pour origine «La Reine Isa-

© D. Warzy

beau»- avec François Chesnel au piano, Antoine Simoni à la contrebasse, Franck Enouf à la batterie, Yann Letort au saxophone ténor et Yoann Loustalot à la trompette. Pierre Millet, trompettiste lui aussi, et membre fondateur de l’ensemble était présent aussi par nombre de compositions jouées par le 5tet. La musique de Renza Bô est un dialogue piano/sax /trompette ou bugle avec des envolées d’improvisation qui flirtent avec le free jazz et allers-retours dans des formes plus hard bop. Un sax qui prend ses respirations, lâchant le bec et balançant son instrument d’avant en

arrière, mouvement qui devient silence dans le tempo et permet une progression sûre dans nos têtes. Un piano sobre qui, délicatement, apporte des contours harmoniques ou des martèle-sonore intelligent, très bien construit et vraiment original. DAN WARZY

Ce concert a eu lieu le 27 nov à Vitrolles CD : L’oeil tranquille Petit Label PL017 AFIJMA www.afijma.asso.fr/index-bis.htm

Étrennes inspirées La 12e édition de Jazz en Scènes se déroule partout en France du 9 au 12 déc et invite les musiciens pour des échanges interrégionaux. Deux propositions ont ainsi été accueillies par le Cri du Port. D’abord un duo contrebasse-guitare avec Philippe Euvrard et François Arnold. Des thèmes originaux traduits en de nombreux accents : folk, flamenco, rock, bossa nova ou encore de belles ballades jazz ont montré la grande sensibilité et la maîtrise de ces musiciens. Barolo, par exemple est un bel hommage au monde méditerranéen du côté de la Calabre, la contrebasse apporte tout le rythme, pincé-frotté-frappé et la guitare virtuose évoque cette italianité. Une 1re partie de concert très intime. En 2nde partie, un climat de magie est installé dès les premières notes du quartet d’Arthur Kell. Est-ce le son particulier de la guitare jouée par Brad Shepik ou la vibration produite par le saxophone alto de Loren Stillman ? Est-ce tout simplement le secret du

son de Brooklyn ? Tessiture et timbre en Mib (Eflat) du saxo alto se dissocient bien de la guitare et donnent le sentiment de plus de richesse harmonique. Les chorus de Loren Stillman sont inspirés et touchés par la grâce. La palette percussive pleine d’idées lumineuses de Mark Ferber est précise, déliée. La contrebasse d’Arthur Kell distribue le jeu, rassemble ou fait éclater l’unité du quartet demandant

le meilleur à chacun des musiciens. Une soirée d’exception. DAN WARZY

Cette soirée a eu lieu au Cri du Port le 9 déc CD : Handprint (duo François Arnold & Manu Codjia) - FAMusic Label Jazz / FAM001 CD : Victoria - Arthur Kell 4tet Label bju’ecords / BJUR008

© D. Warzy

Entre piano et accordéon Un personnage alerte, vêtu de rouge et de noir, s’empare d’un public ravi avec ses histoires d’amour «hebdomadaires», ses chansons pas forcément autobiographiques, (quoique…), un humour sensible, une connivence immédiate avec les spectateurs qui savourent, participent. On se sent chez soi, avec la convivialité d’une soirée entre amis : les spectacles donnés à Théâtre et chansons laissent souvent cette impression. Si Corentin Coko affirme qu’une chanson reste la meilleure solution contre le désespoir, il n’hésite pas à s’engager, à chanter pour Réseau Éducation Sans Frontières, quand il ne reprend pas des textes d’Eugène Pottier (le poète de l’Internationale…) ou de Gaston Couté avec son Char à

Banc des Moribonds qui évoque les élections avec un humour décapant. Les rythmes varient avec bonheur, valse, tango, bossa, rap (hilarant Brûlot sur les voitures). À la qualité des textes s’ajoute celle d’instrumentiste. Spectacle dès huit ans ? Le délicieux Petit Chaperon Rouge (1945 paroles de Françoise Giraud) enchante tous les âges, avec sa clé à molette ! M.C. Tango des organes se départageant le corps de l’homme a été donné à Théâtre et Chansons, Aix, les 27 et 28 nov


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ACTUELLE | FLAMENCO

Quand Jerez réveille Nîmes…

dans un flamenco dépouillé, Tres, Rafaela Carrasco, et la Nîmoise Melinda Sala dans un spectacle avec piano et violon. Durant tout le festival, le bar du théâtre accueille des conférenciers à 12h30, histoire de prolonger le plaisir : Claude Worms sur Alegrias & Bulerias, Cristina Cruces sur Le flamenco au féminin, Julio De Vega Lopez sur La danse flamenca au cinéma… On ne saurait trop vous conseiller de réserver rapidement ! DO.M.

Festival de flamenco Du 10 au 22 janvier Théâtre de Nîmes 04 66 36 65 10 www.theatredenimes.com

Andres Marin © Miguel Angel Gonzales

Après avoir fêté comme il se doit le vingtième anniversaire du Festival l’année dernière, cette 21e édition, dédiée au grand chanteur Fernando Terremoto disparu en février dernier, permettra à n’en pas douter de consolider un peu plus les liens déjà très solides qui unissent cet art, qui fait depuis peu partie du Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité, à la Ville de Nîmes. De grands invités cette année encore, qui tous s’illustrent dans leur domaine particulier, danse, chant, musique, à l’image de l’artiste-peintre Ildelfonso de Los Reyes Bermudez, dit Pelé, qui crée l’affiche et clôturera le festival avec son groupe Navajita Plateá ; à l’image aussi des grands guitaristes que

sont Moraito Chico qui se produit avec ses complices Jesùs Mendez, étoile montante du Cante que l’on pourra également entendre seul, et le violoniste Bernardo Parilla, ou encore Antonio Soto, habitué de Nîmes et Diego Carrasco qui offrira un concert acoustique unique. Et il y aura des voix, bien sûr ! celles de Luis El Zambo, des grandes dames que sont Juana La Del Pipa, Dolores «La Agujeta» et Tomasa Guerrero «La Macanita» réunies pour le Mujerez. Et des danseurs et danseuses, et non des moindres, tels le sévillan Andrés Marin qui présente sa dernière création, La Pasion segùn se mire, et les grandes dames du baile que sont Belén López, Belén Maya

Équipe de Nuit

Trio Barre Philips © Albrecht Maurice

Un vendredi soir, le Cabaret Aléatoire et Tricky ! Cette recette parfaite que nous offrait la scène de la Friche le 26 nov fut goutée sans retenue par un public nombreux et gourmand. En programmant Tricky, étoile noire de la galaxie du trip hop, une rare proximité avec ce virtuose du sample est offerte aux connaisseurs. Car la comète Tricky trace sa voie depuis les années 90, entremêlant sa course faite de métissages sonores de collaborations percutantes, de Massive Attack à Portishead, et entraîne dans son sillage les fans de la première heure. Prêt à la communion dans l’univers subtil d’un trip hop qu’on annonce révolu, le public s’est rué en masse au Cabaret. C’est dire si les 1h30 de concert ont pu paraître courtes aux amateurs affamés ! La frustration était inévitable, tant l’attente était grande. Le temps d’une étoile filante, on pouvait reconnaître, malgré le flou acoustique, le talent de la formation en présence, servie par la puissance vocale de Frankey Riley qui portait la plupart des morceaux. On peut regretter l’aspect décousu du concert, la déstructuration dont on ne sait si elle était voulue ou subie, mais l’univers charrié par Tricky n’est pas encore réduit à un trou noir. PASCALE FRANCHI

Tricky © Arnaud Damiani

Tricky trip

Du 16 au 21 déc se tiendra la 8e édition du festival Nuit d’Hiver intitulé Barok Les formes de l’improvisé. Pour cause de mise aux normes de Montévidéo, le Grim délocalise son festival hors les murs. L’Alcazar, l’église de Sainte-Marguerite, la Minoterie, l’Embobineuse, le Cabaret Aléatoire, les Variétés accueilleront les manifestations surfant sur la filiation entre la musique baroque et les musiques improvisées. Débuté avec l’ensemble C Barré, l’opération se poursuit avec La trahison orale de Kagel (le 16/12 à la Minoterie), le trio Freddy Eichelberger / Michel Godard / Patrice Héral (le 17/12 à l’Embobineuse), le trio Martine Altenburger / Le Quan Ninh / Joris Rühl (le 18/12 au Cabaret Aléatoire), une carte blanche à Extérieur Nuit (le 20/12 aux Variétés) et Le Concert Brisé à La Courroie à Entraigues (le 21/12). FRÉDÉRIC ISOLETTA

www.grim-marseille.com


AU PROGRAMME AIX Théâtre et Chansons : Soirée tremplin jeune talent : Les Thénardier (14/1) 04 42 27 37 39 www.theatre-et-chansons.com

Le Pasino : Chimene Badi (17/12), Les 100 violons Tzigane de Budapest (12/1) 04 42 59 69 00 www.casinoaix.com

ARLES Cargo de nuit : Raoul Petite (17/12), Soirée des filles #3 (18/12), Cargo des Minots : Le P’tit ciné-concert 2 avec le Philharmonique de la Roquette (23/12), Pony Pony Run Run (18/1) 04 90 49 55 99 www.cargodenuit.com

AUBAGNE Théâtre Comœdia : Palata Singers (18/12), Manoir de mes rêves, hommage à Django (15/1) 04 42 18 19 88 www.aubagne.com

L’Escale : Café Jazz (16/12), Soirée Slam (23/12), Soirée Bœuf (13/1) 04 42 18 17 17 www.mjcaubagne.fr

AVIGNON Les Passagers du Zinc : I am un chien, Nasser (17/12) 04 90 89 45 49 www.passagersduzinc.com

Théâtre des Halles : Et toi tu marcheras dans le soleil, récital d’Isabelle Bloch-Delahaie (17/12) 04 90 85 52 57 www.theatredeshalles.com

CHÂTEAUNEUF-DE-GADAGNE Akwaba : Les découvertes régionales du printemps de Bourges : Bikini Bottom, Dissonant Nation, MC2, The Human E.T. (18/12) 04 90 22 55 54 www.akwaba.coop

HYÈRES Théâtre Denis : Syd Matters, Flashing Teeth (15/12) 04 98 07 00 70

ISTRES L’Usine : Poum Tchack et Papet J (17/12) 04 42 56 02 21 www.scenesetcines.fr

LUYNES Le Korigan : Solo Banton, T H Soundsystem, After All Soundsystem, Selecta Orka (17/12), The Arrs, Mechanical Decay (8/1) 06 50 77 51 77 www.myspace.com/lekorigan

MARSEILLE Cabaret Aléatoire : My Cabaret goes jazz : Musique rebelle, Ahmad Compaoré invite 20 musiciens, Rocca invité spécial (17/12), Nuit d’hiver #8 : Cartouche, Trio Martine Altenburger, Lê Quan Nihn, Joris Rühl, Pentile and the noise consort (18/12) 04 95 04 95 09 www.cabaret-aleatoire.com

Espace Julien : Puissance Nord (21/12) 04 91 24 34 10 www.espace-julien.com

La Machine à Coudre : Heyoka, Zbeb, Etc (18/12) 04 91 55 62 65 www.lamachineacoudre.com

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Théâtre Toursky : Récital de Georges Chelon (11/1) 0 820 300 033 www.toursky.org Leda atomica musique : il dolce tormento (17 et 18/12) 04 96 12 09 80 ledatomica.mus.free.fr

La Mesón : Tablao Flamenco La Rubia (17 et 18/12) 04 91 50 11 61 www.lameson.com

L’Embobineuse : Yoko Higashi & Franck Stofer, The Noiser & Joachim Montessuis (16/12), Thomas Ankersmit, L’Ocelle Mare, Borbetomaqus (17/12), Soirée Médias Solidaires (18/12) 04 91 50 66 09 www.lembobineuse.biz

Le Dôme : Il était une fois Joe Dassin (14/12), Bharati (17 et 18/12) 04 91 12 21 21 le-dome.com

Le Paradox : Ilanga (18/12), Mamy Wata (19/12), Interphone (28/12) 04 91 63 14 65 www.leparadox.fr

Théâtre des Chartreux : Récréation par le groupe Vis à Vies (jusqu’au 31/12) 04 91 50 18 90 theatredeschartreux.free.fr

AGENDA JAZZ AVIGNON 17/12 Trio Grande invite Matthew Bourne suivi par le 4tet Vidal-Léandre-Cappozzo-Chevillon qui présentent Quatre Double soirée avec le Théâtre des Doms / Le public est constitué en 2 groupes et change de salle à la fin du set AJMI / La Manutention 04 90 86 08 61 www.jazzalajmi.com

CHÂTEAU-ARNOUX/ SAINT AUBAN 08/1 Hymnesse – André Jaume & Alain Soler Theâtre Durance 04 92 64 27 34 www.theatredurance.fr

DRAGUIGNAN 23e édition du Festival de Jazz du 16 au 18/12 organisé par le Jazz Club Dracénois. Le Comptoir, espace de convivialité vous attend, avant et après spectacle, pour prendre un verre ou vous restaurer : 16/12 Denise Gordon & her «Gumbo Zaïre» invite Patrick Artero et Thierry Ollé trio 17/12 Henri Texier Horizon Nord-Sud 5tet avec Sébastien Texier, Francesco Bearzatti, Manu Codjia, Christophe Marguet... un ensemble de musiciens absolument incontournables. 18/12 Four Tones (en 1re partie) suivi de John Paul Hammond (blues) Théâtres en Dracénie 04 94 50 59 50 www.theatresendracenie.com

HYERES 21/1 Leçon de jazz «Duke Ellington» par Antoine Hervé 22/01 Ronnie Lynn Patterson trio Théâtre Denis 06 31 79 81 90 www.jazzaporqueroles.org

MARSEILLE 17/12 Musique rebelle Round #9 - Ahmad Compaoré invite

MARTIGUES Théâtre des Salins : Orquesta Aragon (21/12) 04 42 19 02 00 www.theatre-des-salins.fr MAUBEC La Gare : OK Bonnie, N’Relax (17/12) 04 90 76 84 38 www.aveclagare.org OLLIOULES Châteauvallon : Buika (15/1) 04 94 22 02 02 www.chateauvallon.com SALON-DE-PROVENCE Portail Coucou : Carte blanche à Toko Blaze (18/12), Isys, Kami (15/1) 04 90 56 27 99 www.portail-coucou.com 20 musiciens et en invité spécial Rocca 18/12 Nuit d’Hiver # 8 - Cartouche Cabaret Aléatoire 04 95 04 95 09 www.cabaret-aleatoire.com

9/1 à 17h Nicolas Cante «solo piano & computer» 20/01 Benoît Paillard Trio Cri du Port 04 91 50 41 51 www.criduport.fr

17/12 Marion Rampal – We used to have a band L’Affranchi 04 91 35 09 19 www.l-affranchi.com

Cabaret Jazz, rendez-vous mensuel dans une ambiance feutrée après le spectacle en cours. Entrée libre, consommations payantes. 14/1 à 21h30 Robert Papazian, Paul Pioli, Hubert Rousselet Théâtre de la Criée 04 91 54 70 54 www.theatre-lacriee.com

Jam Session Jazz tous les Mercredis soirs à 21h30 Jam Latin Jazz tous les Vendredis à 21h30 17/12 Sam Favreau Planet Mundo K’fé 04 91 92 45 72 www.mundo-planet.com

07/1 Trio Haïku 08/1 trio Jazz & Tap-Dance 15/1 trio Tentik concerts à 18h30 Roll’ Studio 04 91 64 43 15 www.rollstudio.fr

VITROLLES 08/01 Christian Brazier quartet «Circumnavigation» 22/01 Thomas Savy trio Moulin à Jazz / Domaine de Fontblanche 04 42 796 360 www.charliefree.com


CAHIER JEUNESSE

LATERNA MAGICA | PRIX DES LYCÉENS ET APPRENTIS

Illustrer n’est pas tricher

Une fois de plus Laterna magica surprend par sa pertinence, son souci conjoint de transmission et d’excellence, et la beauté simple de ses choix graphiques

Thomas Azuelos a Laterna Magica © Annie Gav/Zibeline

Les ados lisent

Les lycéens et apprentis de la Région Paca, leurs enseignants et partenaires, repartent pour une année de découvertes de livres et d’auteurs vivants. Cette action de la Région Paca et de L’Agence Régionale du Livre (ARL) en faveur de l’éducation culturelle en partenariat avec la Drac, les Académies d’AixMarseille et Nice s’affine depuis 2004 et touche également depuis l’an dernier des adolescents incarcérés. Chaque établissement, partenaire d’une librairie et d’une bibliothèque, engage environ 40 adolescents à lire les 12 livres de la sélection, à participer aux Forums et à dialoguer avec les auteurs dans leurs établissements. Pascal Jourdana de l’Association Des Auteurs aux Lecteurs (ADAAL), lance le débat. Honnêtement, les lycéens reconnaissent qu’ils n’auraient pas choisi spontanément les livres proposés, mais qu’ils ont été motivés par l’opportunité du dialogue. Plusieurs éclairages préciseront le travail de l’écriture de la roumaine Liliana Lazar, malheureusement seule femme de la sélection, et celui de Philippe Carrese. Des questions ont concerné la création des scénarios de BD, surtout celui très inventif de La saison des flèches, le travail à l’encre de Rébético et l’absence de bulles de Fabrica. Les jeunes lecteurs ne se

L’exposition des carnets de croquis de Noémie Privat donne aux Grandes Tables de la Friche un air de fête. Simplement. La dessinatrice au trait précis a croqué un an de spectacles au théâtre Massalia. Entre rêve, saisie du réel spectaculaire et illustration symbolique ses pages se peuplent d’envols surprenant, fleurant le Chagall des grands jours… et permettant au public le plaisir du déjà vu. Tu te souviens ? glisse une mère à son enfant qui hausse les sourcils. Bien sûr, disent les sourcils, et bien mieux qu’elle… Benoit Jacques a disséminé dans quatre librairies d’Aix, Marseille et Toulon des pages de ses Alboum à colorier, qui donneront furieusement envie à vos enfants de les arracher des murs si vous ne leur achetez pas immédiatement de quoi les mettre en couleurs ! Quant à la Forêt de mes Rêves à la galerie du CG d’Aix, ce serait dommage de ne pas y passer (voir Zib’35). Côté projections (voir p 13), rencontres et ateliers, Laterna Magica n’est pas en reste… Toutes les techniques d’animation, sable, dessin, marionnettes, sont au programme de la série de courts métrages projetés le 28 nov et le 15 déc (à partir de 16h) aux Variétés. Et la Palme d’or du court métrage de Cannes était là…

contentent pas de «lire les histoires» et la pertinence des questions témoigne de leur lecture attentive et du travail fait en amont avec les enseignants et les acteurs des Métiers du Livre. Celle-ci par exemple : On sent une dénonciation de l’entrave dans vos livres. Avez-vous peur du destin de l’humanité ? Les auteurs ont répondu qu’il fallait rester vigilant, que la littérature et la BD permettent de «faire réfléchir les gens à l’inverse d’une certaine TV» (Carrese), que «la culture est vivante, (que) c’est une Forum Chateauvallon © ARL

Les chiens de Constantinople

Ce n’est pas la première fois que Serge Avédikian, le réalisateur de Chienne de vie, collabore avec un artiste étranger au monde du court-métrage : déjà dans Ligne de vie, en 2003, il avait travaillé avec le peintre Raymond Delvax et en 2005, pour Un beau matin avec Solveig von Kleist. Pour Chienne de vie, c’est à Thomas Azuelos qu’il s’est adressé. Leur court-métrage raconte la déportation massive de chiens sur une île déserte, au large de Constantinople, en 1910. Invité à l’Alcazar le peintre a rappelé simplement le contexte historique, la volonté des Jeunes Turcs d’entrer dans le monde moderne et de «nettoyer» Constantinople ; présage à une élimination d’un autre ordre, et d’une autre échelle : le génocide des Arméniens.Thomas Azuelos a parlé de son travail de lecture et de documentation, de ses choix de dessins, de couleurs, des contraintes qu’impose un film sans paroles, où tout doit se dire par l’image. Il a également évoqué son parcours personnel : auteur de bandes dessinées, Abigaël Martini, Akhénaton, Télémaque, il n’a pas caché ses difficultés à créer dans un contexte de crise de la BD. Puis il a dévoilé les dessins originaux du film tout en répondant avec précision aux nombreuses questions posées par des étudiants d’arts appliqués. ANNIE GAVA ET AGNÈS FRESCHEL

Les dessins de Thomas Azuelos au Cinéma Variétés jusqu’au 24 déc. Comme toutes les expositions, rencontres et ateliers organisés par Fotokino, qui perdurent jusqu’à Noël. Une meilleure idée de cadeau ? Laterna Magica www.fotokino.org

épine dans le pied qui permet d’être sur ses gardes» (Nicolas Presl). Cette autre qui ferma le débat : Est-ce que vous avez quelque chose de positif à nous dire ? Réponses : «Nos récits sont pessimistes pour vous faire réagir, c’est notre contribution pour vous faire trouver le bonheur» (Carrese), «Ils sont ancrés dans l’histoire de périodes vécues et dures, mais c’est mieux maintenant. Il faut juste être sur nos gardes» (N. Presl). Les livres, remparts contre les dérives ? Ces adolescents là nous donnent envie de l’espérer… CHRIS BOURGUE

Ce forum s’est tenu le 1er déc dans les collines d’Ollioules, le 2nd se tiendra à Marseille le 2 fév, à La Friche. À lire Terre des affranchis, Liliana Lazar, Éd. Gaïa,18 euros Enclave, Philippe Carrese, Éd. Plon, 20 euros Nous reviendrons en détail sur l’ensemble de la sélection dans les prochains Zib’



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SPECTACLES

TOURSKY | PÔLEJEUNEPUBLIC | PAR LES VILLAGES

Questions de vocabulaire ? La langue de Molière parle-t-elle encore à l’oreille des enfants ? Pas sûr ! Même mise en voix par des marionnettes poétiques, le Médecin volant passe à côté du jeune spectateur qui ne comprend goutte à son vocabulaire, aux quiproquos et au tourbillon d’actions qui pimentent cette comédie à l’italienne. Pourtant le Théâtre Mu a pris soin d’«édulcorer» la pièce en taillant dans le déroulement originel (16 scènes) et le nombre des personnages (7). Ne retenant à gros traits que l’intrigue, les acteurs-manipulateurs jouent le théâtre dans le théâtre avec générosité et une technique exemplaire, mettant à vue des pans entiers du décor escamotable, déballant accessoires et costumes non sans une certaine ingénuité. Même l’accordéoniste et le régisseur ont leur propre marionnette sur le ventre, les jambes coincées dans les baskets ! Tous les ingrédients de la farce sont respectés - situations comiques et satire de la médecine, stratagèmes et coup de théâtre - mais

© X-D.R

Molière semble, hélas, à des années lumière des histoires des cours de récré. À l’inverse, le public est en phase avec le vocabulaire technique développé par la Cie Médiane dans sa nouvelle création Les Ariels : images vidéo en mouvement, images photos fixes, outils informatiques

M.G.-G.

Le Médecin volant a été joué les 25 et 26 nov, Les Ariels a été créé les 7 et 8 déc au PôleJeunePublic et sera joué au Théâtre Massalia du 4 au 7 janv

Magie Pô-étique

Théâtre de pays Une quatrième édition enracine en coutume d’automne le sympathique festival Par les villages. Cette démarche qui unit troupes professionnelles et amateurs, toutes ancrées sur la région, permet de décentraliser la culture, la gratuité des spectacles les rend accessibles à tous, les salles sont

son et lumière. Pourtant les rêves de la mariée qui transformait sa traîne et sa robe virginale en écrans éphémères, sautillait, esquissait quelques pas de danse juchée sur ses échasses, n’ont fait rêver personne. L’embrasement sonore de l’espace tout entier, les éclairs de lumière irradiant jusqu’au plafond et les phrases virtuelles n’y ont rien fait : on demeurait à la marge du spectacle. On aurait préféré s’immerger dans une installation multimédia et déambuler librement entre les écrans transparents, picorant une image furtive, une virgule musicale, un bruissement d’étoffe. Bref, on aurait vraiment vécu le «spectacle».

Agnes Petreau dans De retour chez Gripari © X-D.R

d’ailleurs combles. De telles initiatives permettent aux zones rurales de se réapproprier la culture, qui est l’apanage des villes. Mais les productions ne connaissent pas toutes le même bonheur. On gardera en coup de cœur Et toi tu marcheras dans le soleil d’Isabelle Bloch Delahaie (voir Zib’ 27) à La Roque d’Anthéron, le festif Festen par la compagnie amateur Le théâtre de la grimace à Châteauneuf le Rouge et De Retour chez Gripari à Trets, par la compagnie Sennag’a . Histoires délicieusement racontées où l’on voit des chaussures amoureuses (n’oubliez pas, si un jour vous trébuchez, ce sera sans doute dû aux amours de vos sandales ou de vos bottes !) puis un marchand de fessées retors et sadique et sa bienheureuse conversion. La douceur est toujours gagnante au bout du compte/conte !

Dernier spectacle de la Trilogie du Ciel, Nebbia, «le brouillard», apporte ses ombres trompeuses, ses confusions, ses ambiguïtés sur la scène du Toursky. Le cirque Eloïze, mêlé avec bonheur au Teatro Sunil sous la houlette magique de Finzi Pasca, nous entraîne à sa suite, dans une rêverie acrobatique et subtile au cœur des brumes d’un hiver qui s’installe sur les rives du Pô. Tableaux de genre, pastels impressionnistes ou peinture réaliste d’une boucherie à la Soutine, abritent des numéros qui ne cessent de renouveler et Nebbia, Cirque Eloise © 2009. Productions Nebbia-Valerie Remise d’épurer les usages des agrès traditionnels. Petite merveille que ces gymnastes sur trampoline, suscitant une ambiance aquatique et bleue… Leur fluidité naturelle laisse pantois. Pas de roulement de tambour, tout semble si limpide et simple : respiration des gestes, beauté des costumes, intelligence des transitions. L’ensemble s’enroule en un rythme sans cesse soutenu, sans cesse surprenant. Quelle richesse d’invention, de registres ! Ils recherchent certes la perfection formelle, mais chargée d’émotion, de rire aussi. Rien ne semble impossible à ces artistes qui jouent, dansent, chantent, se livrent aux acrobaties les plus incroyables avec une aisance qui rend tout évident… MARYVONNE COLOMBANI

M.C.

Par les villages 2010 s’est déroulé du 12 au 28 nov dans le Pays d’Aix

Le Cirque Eloize et Teatro Sunil se produisaient au Toursky les 3, 4, et 5 déc


CAVAILLON | FOS | CORNILLON-CONFOUX | BERRE L’ÉTANG

Trapézistes de l’amour

Le temps est un fil rouge Sur le plateau, le décor de liège, chanvre, bois, carton est en morceaux, de grandes pièces d’un puzzle que les danseuses vont assembler au long du spectacle. Peu à peu tout va s’assembler, former un jardin sur lequel se dresse un arbre. Sur ce parterre imaginaire les deux danseuses, Louisa Amouche et Adriana Alosi, vont commencer à évoluer, racontant chacune avec ses mots et son interprétation le temps qui passe. Tel ce fil rouge qui traverse le décor, dans lequel elles s’entortillent et avec lequel cette histoire de Jeune Pousse se tisse, le temps prend tout son sens : il rythme les saisons, permet d’appréhender la patience qu’il faut pour attendre que la plante sorte de terre, fait aussi «pousser» l’enfant qui prend peu à peu conscience du monde qui l’entoure… La scénographie d’Hélène Dattler permet la circulation d’un élément à un autre, l’eau, la terre venant parfaire la connaissance de chacun, la compréhension d’un avenir commun, et sert le texte militant de France Cayet. Jusqu’au départ de chaque enfant avec une graine à planter dans son jardin…

Wanted Petula © Jean-Louis Fernandez

il est destiné. Mais sous la forme enlevée Melquiot et Demarcy-Mota ouvrent aussi des espaces de réflexion et de dédramatisation. La famille recomposée, les parents négligents, la mort et le manque, la littérature comme point d’ancrage, «les petits accidents de la vie qui donnent envie de faire la grève aux humains». Et bien sûr, l’amour… «qui n’est pas une ligne droite». Un message final tout simple, après tant de péripéties poétiques et

Slips inside © Matti Salmi

de folles rencontres (mention spéciale au Petit Prince made in Taïwan). DE.M.

Wanted Pétula s’est joué les 23 et 24 nov à Cavaillon

C’était culotté !

Ils sont clowns mais attention, sans nez rouge ni grandes chaussures, c’est dépassé … Pierrot et Marcel (Benoît Devos et Xavier Bouvier, les deux farfelus d’Okidok) sont plutôt du genre acrobates, en slip king size très discrets. Et comme deux stars se préparant à étaler leurs nombreux talents et leurs incroyables qualités physiques, les voilà se mesurant du regard, sinon des muscles, assénant par quelques borborygmes leur fraternelle rivalité. Foin du ridicule ! les numéros se succèdent, les deux compères faisant se répondre, en miroir, mimes, cascades, chamailleries de gamins et portés parfaitement maîtrisés. Sans autre propos que le plaisir de jouer, entre eux mais aussi avec le public. Avec une liberté de ton, un humour primaire (la plaisanterie scatologique est-elle nécessaire ?) presque sans limites, qui fait pouffer malgré lui le plus récalcitrant des spectateurs. Petit bémol ? un poil plus resserré le spectacle aurait gagné en drôlerie, le comique de répétition a aussi ses limites… DO.M.

Slips inside a été donné à Berre l’Etang le 26 nov

DO.M.

Jeune Pousse a été joué les 20 et 24 nov à Fos, et à Cornillon-Confoux

Jeune pousse © Helene Dattler

Créé en 2009 avec l’ensemble artistique du Théâtre de la Ville que dirige Emmanuel Demarcy-Mota, Wanted Petula est le 3e volet des aventures de Bouli Miro. Un personnage sorti de l’imagination de Fabrice Melquiot, qui lui valut l’honneur en 2002 d’être la première pièce «jeune public» invitée à la Comédie Française. Ce Bouli Miro est désormais un ado, toujours dodu (110 kg tout de même) et myope, amoureux fou de sa cousine Pétula (Clark) qui a disparu dans l’espace «à force de ne plus manger». Une cousine bien plus rassurante que tous les adultes, complètement azimutés, qui accompagnent le gamin dans son épopée pour la retrouver. Les scènes s’enchaînent sur un rythme de cartoon, les couleurs tonitruent, les comédiens jouent à fond la carte de l’humour décalé, les accessoires sont d’une inventivité joyeuse, la bande son est un personnage à elle seule.Tous les ingrédients sont réunis, même l’envers du décor et les ficelles des effets spéciaux, pour que le spectacle n’échappe pas au public jeune auquel

SPECTACLES 43


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SPECTACLES

AU PROGRAMME

Grands et petits

Minots, Marmaille & Cie se poursuit avec des spectacles qui s’adressent à l’imagination des plus petits (4 ans pour les plus vieux !), et ce dans une belle diversité de genres. Avec la compagnie Clandestine les thèmes de l’identité et de la différence sont abordés avec des petits personnages de papier, grâce à la magie éphémère de la technique du kirigami et du pop up. C’est pas pareil !, à voir dès 3 ans du 16 au 18 déc. Toujours dans cette tranche d’âge, Jeune Pousse de la Cie Piccola Velicita appréhende la notion de temps qui passe en suivant la germination d’une graine et la vie d’un arbre selon les saisons qui l’animent (voir p 43). Sur scène deux comédiennes et danseuses se rencontrent et relayent l’histoire. Du 12 au 15 janvier. Pour les petits bouts (dès 18 mois), l’Anima Théâtre et son théâtre d’objets très visuel explore les notions de prise de risque et d’autonomie en esquissant le mythe d’Icare.Tomber et se relever, autant de fois que nécessaire pour finir par rester debout. Et alors là… Ikare, du 6 au 8 janvier. Enfin, pour un tout premier éveil musical, Muriel de Mars chuchote, parle chante les mots de Valérie Rouzeau ou Charles Trenet avec ses instruments, accordéon, kazoo, guitare, percus… À cloche pied Hop Hop Hop, du 19 au 22 janvier.

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Minots, Marmaille & Cie Théâtre de Lenche, Marseille 2e 04 91 91 52 22 www.theatredelenche.info

Ikare © J. Henry

Grivoiseries

L’Île fantastique du Capitaine Nemo (et autres tribulations) dès 5 ans du 16 au 18 décembre

© X-D.R

Ils ont le même nom mais pas la même fortune : Grand Claus a quatre chevaux, ce qui lui suffit pour tourmenter Petit Claus qui lui n’en a qu’un. Guillaume Vincent adapte et met en scène le conte d’Andersen qui fait se confronter la cruauté de l’un à la gentillesse et la finesse de l’autre tout en mêlant au jeu des comédiens jeux d’ombres, machinerie traditionnelle, marionnettes… Le jeune metteur en scène traite chaque scène comme un tableau, voulant «retrouver la simplicité d’un artisanat qui tranche avec la sophistication des jouets actuels».

Très visuel, le spectacle Les Ariels, dernière création de la Cie Médiane, montre, plus qu’il ne dit, les rêves d’une mariée si ceux-ci s’imprimaient sur son voile blanc… Comme dans un album en trois dimensions, les images projetées sur les grands rideaux du pantographe se superposent, donnant de l’épaisseur aux souvenirs et de la matière à l’imagination. Les Ariels dès 5 ans du 4 au 7 janvier Théâtre Massalia, Marseille 3e 04 95 04 95 70 www.theatremassalia.com

Le Petit Claus et le Grand Claus dès 7 ans du 11 au 13 janvier Le Gymnase, Marseille 1er 0 820 000 422 www.lestheatres.net

Incorrects

Abeilles, habillez-moi de vous ! aborde de façon très poétique le thème de la pudeur, de la représentation de soi devant les autres à travers un conte qui prendrait à rebrousse-poil tous les codes connus, à part peut-être la fin heureuse… Le conte de Philippe Dorin mis en scène par Sylviane Fortuny raconte tout du chevalier qui part délivrer la jeune fille prisonnière de son père et surtout des convenances, dans un décor minimaliste mais impressionnant fait de toutes ces robes cousues entre elles qui augurent d’une chaîne indestructible. Et pourtant…

Forains

Ricky Pompon a 7 ans et demi, et est impatient car il veut grandir vite ! Élevé par son frère Nestor, «l’homme le plus fort du monde» dans le numéro qu’il tient dans une baraque de fête foraine, il vit dans une roulotte, avec des magiciens, des fakirs, des diseuses de bonne aventure, un dompteur… et Calamity Jane, la «vraie», dont est amoureux Nestor… Une nuit, après la parade, il s’enfuit pour trouver le moyen de grandir plus vite auprès de tous ces personnages qui se révéleront peu-être plus effrayants la nuit… Bertrand Bossard met en scène cette quête initiatique au moyen de vidéos, de films d’animation qui mettent en perspective le jeu des comédiens et marionnettes.

Abeilles, habillez-moi de vous ! dès 7 ans 8 janvier 18h30 Théâtres en Dracénie, Draguignan 04 94 50 59 59 www.theatresendracenie.com 11 janvier 19h Théâtre de Cavaillon 04 90 78 64 64 www.theatredecavaillon.com

Ricky Pompon dès 6 ans 12 janvier 19h Théâtre des Salins, Martigues 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.fr du 9 au 11 février Le Gymnase, Marseille 1er 0 820 000 422 www.lestheatres.net

Ailés

© Ricky Pompon - La Caravane

La Courtisane amoureuse et autres Contes (grivois) dès 12 ans du 11 au 15 janvier La Criée, Marseille 7e 04 96 17 80 00 www.theatre-lacriee.com

Dans le cadre de la 7e édition de Laterna Magica, en partenariat avec Fotokino, L’Île fantastique du Capitaine Nemo (et autres tribulations) est une histoire dessinée et musicalisée en direct par Diucan, duo formé par Benoît Bonnemaison-Fitte (au dessin) et Philippe Gelda (au piano), récit imaginaire qui convoque les mots de Stevenson, Defoe, Verne et Swift pour partir à l’aventure…

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Si on connaît plutôt bien les Fables, sans doute eston moins familier des Contes et Nouvelles écrits par La Fontaine. La Cie Emilie Valantin se lance dans l’adaptation littéraire de ces bijoux indiscrets au moyen de trente et une marionnettes de plusieurs dimensions, manipulées à vue à diverses hauteurs, qui jouent à merveille l’amour, le désir, les chagrins, la jalousie, le dépit et l’humiliation…, et qui en révèlent l’esprit brillant et sarcastique. Élie Granger accompagne les scènes pas à pas avec son harmonium. Pour vos grands ados, qui en ont vu d’autres et apprécieront ainsi différemment le fabuliste !

Magique

Cruel

Casper a beau n’avoir que 12 ans il a été choisi et mandaté par le génie de l’huile de coude pour sauver sept personnes qui reconstruiront la vie humaine sur terre après le cataclysme qui surviendra d’ici trois jours… Avec sa copine Tite pièce il se lance alors dans une épopée initiatique qui donnera un sens à leur vie, qui les amènera à se demander, au gré des rencontres qu’ils feront dans ce court laps de temps, comment changer le monde en se rendant utile. Akel Akian met en scène ce texte bouleversant de Fabrice Melquiot. Albatros dès 10 ans 12 janvier 19h Théâtre Comœdia, Aubagne 04 42 18 19 88 www.aubagne.com


SPECTACLES

Cassé, mais debout Pudique

Perchés

S’inspirant du roman de l’écrivain norvégien Tarjei Vesaas Les Oiseaux, Jean-Yves Ruf part à la rencontre d’Erwan, un garçon rêveur, poète, complice des oiseaux qui va semer une douce pagaille au sein du foyer de sa sœur qui le recueille. Pas très au fait du monde réel, Erwan préfère le transformer, observer le monde des adultes pour en faire ressortir l’absurdité qui le régit parfois, avec suffisamment de poésie et de fantaisie pour brouiller la frontière ténue qui lie raison et déraison, quitte à le faire exploser. Avec Un Soir des monstres, Etienne Saglio offre un solo poétique et fantastique, maîtrisant jonglage, magie et manipulation d’objets pour créer un univers semblant tout droit sorti d’un film de Tim Burton. Un spectacle déréalisant, entre merveilles et frayeurs.

Molière Jeune public 2010, Oh boy ! donne à entendre le roman délicat de Marie-Aude Murail : la destinée de Barthélemy, 26 ans qui, un beau jour, découvre qu’il a trois demi-frères et sœurs, orphelins et abandonnés. D’un coup toute sa vie change ! Barthélemy, seul en scène, jongle entre récit et objets, jeu et manipulation pour raconter avec pudeur, à travers son prisme, l’état d’être adulte, la fratrie recomposée, l’amour, l’homosexualité, le deuil…

© L. de Fabries

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Erwan et les oiseaux dès 7 ans 17 décembre 19h Le Soir des monstres dès 8 ans 11 janvier 20h30 Théâtre La Passerelle, Gap 04 92 52 52 52 www.theatre-la-passerelle.eu

© Pénélope Henriod

Debout est le fruit d’une rencontre entre les marionnettistes d’Arketal, l’écriture contemporaine de Nathalie Papin, les créations plastiques de Greta Bruggeman et les installations de Mâkhi Xénaki. Le tout sous la baguette magique de la metteure en scène Alexandra Tobelaim ! Entre réalisme brutal et fantasmagorie, ce conte raconte l’histoire de Debout, petit garçon battu par sa mère, désespéré, et son long voyage solitaire vers l’âge adulte. Des thèmes graves que la marionnette explore avec tact et drôlerie parfois. Debout dès 9 ans 11 janvier 20h et 12 janvier 15h Théâtre Massalia, Marseille 3e 04 95 04 95 70 www.theatremassalia.com 18 janvier 19h30 et 19 janvier 15h PôleJeunePublic, Le Revest 04 94 98 12 10 www.polejeunepublic.com

Frissonnant

Fantastique

Système Castafiore explore le conte philosophique et l’univers du fantastique avec Stand alone Zone, mêlant la danse aux images de synthèse, aux masques, aux prothèses et aux accessoires. Marcia Barcellos et Karl Biscuit, les deux chorégraphes de la compagnie, créent une réalité virtuelle, la zone, dans laquelle évoluent les trois danseurs, vestige postapocalypse d’une civilisation non dénuée de leur poésie, et de leur humour, si particuliers. Stand alone Zone dès 7 ans 29 décembre 15h Le Carré, Sainte-Maxime 04 94 56 77 77 www.carreleongaumont.com

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Bravant l’interdiction de son grand-père, Pierre s’aventure dans la forêt et, avec l’aide d’un oiseau farceur et d’un canard rêveur, trouve le courage d’affronter le loup… Ce conte symphonique et onirique, écrit par Prokofiev, fera les beaux jours du public convié à (re)découvrir le moyen-métrage de Suzie Templeton et écouter les musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Toulon dirigés par Raoul Lay. Mariage parfait de la musique et de l’image, et frissons garantis ! Pierre et le loup dès 6 ans 19 décembre 17h30 Le Carré, Sainte-Maxime 04 94 56 77 77 www.carreleongaumont.com 16 janvier 17h dans le cadre du Festival Amarelles Théâtres en Dracénie, Draguignan 04 94 50 59 59 www.theatresendracenie.com

Oh boy ! dès 8 ans 14 janvier 19h30 PôleJeunePublic, Le Revest 04 94 98 12 10 www.polejeunepublic.com 25 janvier 19h Théâtre de Cavaillon 04 90 786464 www.theatredecavaillon.com

Bachroque

Bernstein, Gershwin et maintenant Bach, rien n’arrête Josette Baïz qui dans sa toute nouvelle création Gare centrale entraîne ses danseurs dans une ivresse des corps : 11 danseurs, une salle banale comme toutes les salles des pas perdus, et pourtant tout s’envole, virevolte et jubile ! Dans des costumes de ville rouge, blanc, noir et gris, les danseurs se frôlent, se poussent, croisant humeurs et trajets, désirs et élans… Et, pour ceux qui ne l’ont pas encore vu, retrouvez la troupe plongée dans l’univers de Dickens avec Oliver Twist où les jeunes interprètes excellent, saisissants de vérité. Gare centrale dès 8 ans 13, 14 et 15 janvier Pavillon noir, Aix-en-Provence Oliver Twist dès 8 ans 11 janvier 20h30 La Colonne, Miramas 0490500526 www.scenesetcines.fr

Sur le fil

Après un passage en solo aux Élancées, l’artiste funambule David Dimitri est de retour à Istres avec famille et chapiteau ! Toute La Famiglia Dimitri donc, avec son père, «grand clown Dimitri», ses deux sœurs, Masha qui danse sur un fil, et Nina, comédienne et chanteuse, et son beau-frère, l’homme aux semelles de vent qui marche au plafond et se prend pour le grand ténor italien Caruso… 5 solistes unis pour le meilleur et pour le rire. La famille Dimitri 19 décembre 16h L’Olivier, Istres 04 42 55 24 77 www.scenesetcines.fr


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LIVRES

RENCONTRE AVEC RAPHAËLE FRIER

Des histoires plein la tête

votre part ? Au départ, pas du tout, c’est l’éditrice qui m’a proposé Clotilde. Une chance, car j’aime beaucoup son style, ses clins d’œil, la façon qu’elle a de promener le lecteur sur la page… On s’est rencontrées en 2009 au Salon du livre jeunesse à Montreuil et on a décidé de continuer à collaborer. Ainsi est né le 2e album, Pedro à 100 à l’heure, qui vient de paraître. En avez-vous un 3e en route ? J’aimerais bien ! On attend la réponse… Avez-vous d’autres projets ? Oui, pas mal ! Un de mes textes Angèle et le cerisier sera édité au printemps prochain par Le poisson soluble. J’ai travaillé aussi avec l’illustratrice marseillaise Audrey Pannuti sur deux petits romans, Dur, dur, les mots doux et La recette de moi. J’ai également un

Née à Lyon, elle a grandi à Bordeaux, et vécu à Paris. Depuis 10 ans, elle a posé ses valises à Marseille, où elle se sent bien. Tellement bien que cette professeure des écoles a pris un temps partiel afin de se consacrer à une activité qui lui est chère depuis l’adolescence, l’écriture. Rencontre avec Raphaële Frier Zibeline : Vous dites avoir toujours écrit. Comment en êtes vous venue à publier vos textes, puisque deux d’entre eux sont parus chez Fleurus-Mango ? Raphaële Frier : Un baiser à la figue est le premier à avoir été édité. D’autres projets, en particulier un livre d’artiste réalisé avec une amie, n’ont jamais abouti. C’est ce qui m’a convaincue d’écrire seule : j’ai envoyé un texte à des éditeurs et il a été accepté ! Deux livres chez Mango, et toujours la même illustratrice, Clotilde Perrin. Est-ce une volonté de

projet en cours pour les éditions Frimousse ; il s’intitule Ma mère est une femme à barbe et sera illustré par Ghislaine Herbéra, qui vient d’obtenir le Prix du 1er album à Montreuil. Et vous trouvez le temps de tout faire ? Je suis très occupée, entre mon métier de prof, les rencontres avec des classes autour de mes livres, les salons et séances de dédicaces… Écrire, ça prend du temps. J’ai une impulsion de départ, et ensuite, toujours, la panne qui dure parfois longtemps, avant qu’un jour me vienne l’évidence qui me permet de terminer. Écrivez-vous seulement pour les enfants ? Pour les ados aussi. Et je ne désespère pas de terminer un roman «pour adultes» entamé depuis un certain temps! ENTRETIEN RÉALISÉ PAR FRED ROBERT

Love thérapie

Portrait de Raphaële Frier © X-D.R

Invertébrés

L’intention est louable, le propos sympathique. Déplacer le centre d’intérêt de la planète vers d’autres animaux que l’être humain, expliquer aux 5/7 ans quels sont les liens de parenté cachés entre les espèces, le tout illustré par de bonnes bouilles rondes, une mise en page simple et un texte humoristique, c’était bien vu. Adopter un format tout en longueur et un jeu de rabats avec des questions-réponses, aussi.

Ce n’était pas intentionnel, pourtant les 2 albums de Raphaële Frier édités chez Mango ont quelques points communs. Tous deux racontent sans mièvrerie deux initiations à la vie et au bonheur, avec l’amour comme truchement. Qu’il s’agisse de monsieur Cyril qui vit reclus à cause d’un gros complexe dû à son grand nez ou du facteur Pedro qui ne prend jamais le temps de savourer l’existence, les hommes ont bien besoin des femmes pour ne pas passer à côté du bonheur. Heureusement, elles sont là : Roxane, Louise… mais aussi Raphaële et Clotilde, qui ont réalisé là deux ouvrages charmants, pleins de couleurs et de fantaisie. Deux jolies idées pour Noël ! F.R.

Un baiser à la figue et Pedro à 100 à l’heure Raphaële Frier, Clotilde Perrin Éd. Mango Jeunesse, 12,50 euros Raphaële Frier dédicacera ses albums à la Librairie Maupetit le 18 déc à partir de 15h00.

Malheureusement la terminologie technique «Pour la bonne instruction de ton entourage adulte», contredit le manque d’explications adaptées à l’âge des petits lecteurs. Marguerite Tiberti, biologiste et océanographe, en s’en remettant aux parents pour éclairer les notions complexes liées au patrimoine génétique, ne réussit pas son essai de vulgarisation scientifique à l’usage des jeunes générations. GAËLLE CLOAREC

Mon plus proche cousin Marguerite Tiberti, Pascal Vilcollet Éd. du Ricochet, 16 euros

De beaux rêves...

Gabriel, petit faune potelé et curieux, parcourt en tous sens son «île aux contours incertains» peuplée de nymphes et de géants : il apprend tout doucement à devenir grand en suivant l’ombre taciturne de son ami le magicien Merlin qui l’initie aux mystères de la vie, des femmes et d’une nature enchantée, de la mort et de la mémoire . Le graphisme superbe animé par les métamorphoses végétales, le regard attendrissant et naïf du petit Gabriel, désamorcent ce que l’entreprise pourrait avoir de pompeux. Placées sous le signe de John Keats et d’une magie panthéiste, les stances de Dimitri Vey s’allient à la beauté douce et inquiétante des illustrations de Man Arénas pour recréer un univers onirique, nourri de réminiscences mythologiques et d’un symbolisme préraphaélite, aux allures de paradis perdu. Un album poétique pour rêveurs de tout âge ! AUDE FANLO

Yaxin, Le Faune Gabriel Man Arénas, Dimitri Vey Canto I, Éditions Soleil, Coll. Métamorphose, 19,90 euros


LIVRES

Bonne digestion !

Noël : le retour !

Rien ne va plus de nos jours, même pour Noël ! Un Noël sens dessus-dessous, écrit et dessiné par la finlandaise Éléna Varsta, raconte la vie trépidante du Père Noël en ces périodes de préparation de cadeaux. Il n’est pas à la fête et les petits lutins qui fabriquent les cadeaux et les empaquettent, non plus ! Quand vous saurez qu’en plus sa belle tenue rouge vire au rose dans la machine à laver et que le coiffeur lui coupe la barbe, vous comprendrez que les temps ont bien changé. Dessins vigoureux et couleurs franches participent au plaisir de la lecture. Plus conventionnels et un tantinet désuets les Contes et merveilles de Noël sont des contes traditionnels venus de différents pays réécrits par Mario Urbanet. Ce dernier a cru bon de terminer chacun des récits par un quatrain lénifiant et moralisateur. Quelques histoires

sont attachantes mais l’ensemble reste convenu et les illustrations de 4 illustrateurs différents ne sont pas toujours convaincantes. Les éditions P’tit Glénat nous ont habitués à plus de fantaisie. CHRIS BOURGUE

Un Noël sens dessus-dessous Éd. P’tit Glénat, 11euros

Contes et merveilles de Noël Éd. P’tit Glénat, 14 euros

Pour en finir avec le Père Noël

Les projets de la collection Métamorphose «oscillent entre livre jeunesse, bande dessinée et livre illustré» et leurs thématiques abordent les rives de la métaphysique par le biais d’une narration d’inspiration gothique. Dans cette collection originale, qui tient du cabinet de curiosités littéraire, le jeune héros de Guillaume Bianco, Billy Brouillard et son «don de trouble vue» a naturellement trouvé sa place. On se rappelle le 1er tome de ses aventures poético-fantastiques, enrichies d’histoires annexes et d’articles encyclopédiques revisités, truffées de trouvailles et d’humour macabre. Le voici de retour pour un nouvel épisode de sa quête. Billy Brouillard, le petit garçon qui ne croyait plus au Père Noël ou comment accepter de grandir... Billy se

Chanter simple

débat toujours dans les affres de la mort de Tarzan son chat qu’il veut à tout prix ressusciter, dût-il en passer par une alliance avec les forces des ténèbres. Il est aussi aux prises avec le doute. Que fait le pistolet commandé pour Noël dans l’armoire de ses parents ? Qu’y fait ce costume de Père Noël tout neuf ? Comme dans l’album précédent, quoique de façon un peu moins inspirée, l’histoire est racontée dans une bande dessinée entrecoupée de «comptines malfaisantes», récits fantastiques et autres notices délirantes sur tout ce

La collection Tothème (voir Zib 25’) a déjà conçu des numéros aussi divers que l’Automobile, la Mythologie, le Football ou l’Environnement. Ici, il est question de Musique(s), dont la parenthèse plurielle, si elle ne signifie pas grand chose, fait référence aux mythes historiques qui fondent ce que l’on nomme aujourd’hui, les «musiques actuelles». À partir de 1954 et la naissance du Rock’n roll, on découvre une soixantaine d’entrées thématiques, au fil de figures comme Elvis et les Beatles, Bowie, Michael Jackson ou Beyoncé, des genres pop, psychédélique ou punk, électro, techno, des dates importantes (de Woodstock à l’arrivée d’Internet), des métiers de la musique (DJ, batteur…) ou des supports (vinyle, CD Mp3). Une chronologie bien illustrée ! J.F Musique(s) dès 11 ans Éd. Gallimard Jeunesse

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Voilà un livre qui met la vie à la portée des tout-petits en les amusant : quoi de plus rigolo que de parler de ventre, de gargouillis et d’appeler les choses par leur nom, comme l’anus, le pet ou tous les jolis noms des excréments ! On y apprend le rôle des organes de la digestion, des expressions contenant le mot «ventre», mais aussi que la girafe possède un intestin de 77 mètres ! Au passage, on s’initie à la confection d’une bonne brioche au beurre... Apprendre et se régaler : nombre d’enfants apprécient ces consignes ! Originaire de Suède, l’auteureillustratrice Nina Blychert aime créer des albums jeunesse et s’amuser avec les mots et le dessin. Les jeunes lecteurs vont lui piquer ses idées !

C.B.

Gargouillis Nina Blychert le Rouergue, 14 euros

qui a trait à Noël. Un Noël qui tiendrait plus du cauchemar que du conte merveilleux !

Pop music

Dans un entretien radiophonique Laurence Equilbey, chef du Chœur Accentus, parlait du fait qu’il y a des pays (en particulier les pays germaniques) où les enfants chantent juste et d’autres moins… comme en France. C’est, disait-elle, qu’on a perdu l’habitude, chez nous, de faire chanter aux pitchouns, dès leur plus jeune âge, des comptines simples basées sur des harmonies claires formant l’oreille et la voix. Les 17 Chansons de France, choisies pour cet ouvrage grand format,

FRED ROBERT

Billy Brouillard, le petit garçon qui ne croyait plus au Père Noël Guillaume Bianco Éd. Soleil, coll. Métamorphose, 22 euros À relire : Billy Brouillard, le don de trouble vue

sont les plus traditionnelles qui soient. Elles sont interprétées par des enfants et des adultes, avec parfois quelque contre-chant et un accompagnement acoustique. Bébé suit les airs à l’aide d’illustrations et peut pousser la chansonnette sur des versions instrumentales. JACQUES FRESCHEL

Chansons de France dès 18 mois Éd. Gallimard Jeunesse


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LIVRES

Bonheurs de papiers

Des livres à lire, à toucher, à jouer… il y a un peu de tout cela dans les «pop up» que les éditions Gallimard offrent aux enfants. Reprise d’œuvres connues et appréciées, comme les délicieuses aventures du héros de Pef, Le Prince de Motordu. Le Château de ces «belles lisses poires» surgit d’entre les pages, la Princesse Dézécolle glisse des mots multicolores et propose dans les marges qui sont autant de petits livrets cachés de se lancer dans la fabrication de petites billes et de petits glaçons… Au plaisir des mots s’ajoute celui de leur quête avec des surprises, des feuillets qui se déplient… Aux textes déjà connus de Pef, on peut ajouter les aventures du Prince de Motordu au pays des insectes, dans l’album de facture plus classique Motordu et Rikikie… Grand texte classique aussi que Moby Dick, traduit et adapté par Philippe Jaworski, les illustrations en linogravure de Joëlle Jolivet lui accordent une poésie étrange, avec une police de caractères variée, reprenant celle des vieux journaux, titres, chapeaux, articles, qui accordent au texte un éclairage dramatique neuf, avec la mise en relief de formules percutantes, d’accroches incisives, qui dessinent cadre et portraits, «bouillonnement laiteux du grain», «aspect funèbre», « turban d’une blancheur éclatante»… Au bas des pages court la narration, rapide, alerte. On peut ainsi lire ce bijou à différents niveaux, dont le plus spectaculaire prend volume et profondeur, comme un théâtre de papier, avec ses ombres inquiétantes, des silhouettes sombres, la tempête, le déchaînement des vagues et des hommes, grâce à l’ingénierie papier de Gérard Lo Monaco. Livre jeunesse certes, mais dans lequel les grands aimeront aussi retrouver l’atmosphère

houleuse et dramatique du roman de Melville. Autre petite merveille de sculptures fragiles, d’élancements délicieux de papier, d’éclatements colorés, aux formes complexes et enchevêtrées ou lumineusement simples, comme de fragiles ailes d’écume. Là-dessus, tendez l’oreille… crissements légers, frôlements infimes, grincements délicats, se mêlent aux explosions, aux tourbillons, aux lances qui s’échappent du livre. Un parfum de liberté, une initiation artistique d’une qualité et d’une inventivité rares. L’ébauche d’une approche synesthésique où le toucher et la vue se confondent et ce dès la première de couverture, avec son soleil blanc échoué sur la page comme le sable qui garde les empreintes de la mer. Bruit Blanc, une idée à la Rimbaud, à regarder, à entendre, à rêver. En pop up aussi, la reprise en édition jeunesse du merveilleux livre de Jean Giono, (il nous a quittés il y a déjà 40 ans) L’homme qui plantait des arbres, avec les très belles images de Joëlle Jolivet, et toujours les volumes de Gérard Lo Monaco. Une bonne occasion de replonger dans cette fable humaniste. Pour ceux qui préfèrent se laisser bercer par les voix, le CD de l’ouvrage, dit avec bonheur par Jacques Bonnaffé, les attend.

Moby Dick, Philippe Jaworski d’après Melville Joëlle Jolivet, Gérard Lo Monaco 25 euros La belle lisse poire du prince de Motordu Pef, Pop up, 20 euros Motordu et Rikikie Pef, 10 euros

L’homme qui plantait des arbres Jean Giono, Joëlle Jolivet 11,90 euros CD L’homme qui plantait des arbres lu par Jacques Bonnaffé 12,90 euros Tous les albums sont édités chez Gallimard Jeunesse

MARYVONNE COLOMBANI

Un album à dévaler

Otto part au ski avec son papa. Sur la route, il croise de surprenants véhicules : un tricycle aux pneus «good year, bad year», un camionciterne à tétine, des transports de sel, poivre, allumettes et chocolat, et de petits personnages aussi finement dessinés qu’humoristiques. Au chalet, sur les pistes, tout est à l’unisson : très peu de texte, mais une foison de détails poétiques, parfois psychédéliques, toujours chaleureux. Le rythme guilleret invite à tourner et retourner l’ouvrage à la recherche des subtiles trouvailles de

Bruit Blanc, David A. Carter 22 euros

Tom Schamp, entraînant petits et grands lecteurs sur un parcours à découvrir en boucle. L’auteur dédicace ce livre à son père, «qui lui a appris à skier». Apparemment il a appris bien d’autres choses, et notamment à prodiguer son imagination graphique avec générosité ! GAËLLE CLOAREC

Vive la neige ! Tom Schamp Éd. P’tit Glénat, Coll.Vitamine, 13 euros

Découvrir la vie

Qu’est-ce que la philosophie demande Gwack Jae-gu à l’orée de son roman d’apprentissage… À travers les aventures de son moineau qui parle, l’écrivain coréen aborde toutes les questions que peuvent se poser de jeunes enfants : l’apprentissage de la vie, la différence, la solitude, l’amitié, l’amour, la mort… Chickou qui vit à Séoul avec son père Chipou le Vagabond, apprend à voler et part à la découverte du monde. Il rencontre l’amitié et l’amour, vit de nombreuses aventures, comprend qu’il doit lutter contre les

éperviers, les chasseurs, la ville, organiser la résistance. Et réaliser son rêve, trouver la Grande Prairie, le paradis des oiseaux et de tous les animaux… Un livre que les parents liront avec plaisir avec leurs enfants, qui apprécieront les belles illustrations de Lee Hyéri. ANNIE GAVA

Chickou, pionnier de la Grande Prairie Gwack Jae-gu Traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel Éd. Picquier Jeunesse, 16 euros


LIVRES

Préservons les visions

Katell a des visions. Cela l’a prise pendant une partie de cache-cache dans le jardin ; depuis, elle peut rester des heures immobile à «voir des choses». Évidemment, les autres ne comprennent pas. Ses cousins sont déçus de «son attitude antijeu», son père pense qu’elle devient «zinzin», sa mère réduit cela à de banales «histoires de filles». Bref, Katell reste seule avec ce qu’elle ne sait plus définir : un don ? une malédiction ? Une chose bien à elle en tout cas, qu’elle apprendra à cultiver dans la solitude de son jardin secret… La fable de

Sciences prout

Les Éditions du Ricochet sortent deux nouveaux albums dans leur collection Ohé la Science ! Qui est-ce ? un ouvrage dit de mathématique sur la notion d’ensembles et Ils ont du ressort ! prétendant ressortir de la physique. Ils sont rédigés et illustrés tous deux par des coréens, se déclarent À saisir dès 5-6 ans et à cultiver jusqu’à 8-9 ans et sont suivis d’une note documentaire, complément utile aux adultes. Le propos sur les ensembles est basé sur une intrigue sécuritaire caca-prout : un gamin masqué sauve un vieillard lâchement agressé par des «bandits en mobylette» en… leur pétant dessus. Le directeur de l’école enquête pour démasquer le héros pétomane. Le développement pédagogique sur la notion d’ensemble et les illustrations qui le soutiennent sont un cours sur le principe d’incertitude. L’album qui

Christophe Honoré et Gwen Le Gac éclate de couleurs. Sur des feuilles souvent flashy, l’illustration à droite reprend un détail du texte de gauche, à la façon des papiers découpés, tandis que de somptueuses doubles pages ponctuent l’album, faisant la part belle aux visions de la fillette. Une bonne idée de cadeau pour de jeunes rêveuses…

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La règle d’or du cache-cache Christophe Honoré et Gwen Le Gac Éd. Actes Sud Junior, 18 euros

FRED ROBERT

traite de «l’élasticité» met en scène des personnages inquiétants (en particulier le chat) aux dessins caoutchouteux et s’intéresse avec grande poésie aux propriétés élastiques des slips et chaussettes. Les fiches techniques finales sont là pour montrer que les auteurs connaissent le sujet. Bref, ces livres ont la vertu d’interroger sur la différence entre vulgarisation scientifique et vulgarité chiantifique. YVES BERCHADSKY

Du bleu à l’âme L’album La petite fille nue offre des doubles pages débordantes de couleurs ponctuées ça et là de quelques lignes poétiques. Et alarmistes. Car il éveille le jeune lecteur à de vraies questions écologiques, et l’interroge sur son désir d’être au monde. Sans long discours ni rhétorique, Gilles Colleu choisit des mots limpides qui vont droit au cœur : «D’une larme de rosée la petite fille nue naquit en son île, posée là par les ancêtres pour rêver le monde». Et Ahuura Supply - née en Polynésie française - sature les pages de peintures et de papiers découpés pour évoquer le pays de la petite fille nue, son pays lointain à la nature exubérante mais menacée. De quoi s’agit-il ? D’une vision idyllique d’un paradis perdu où l’homme et la nature coexistaient pacifiquement, d’une douceur de vivre entamée par l’irruption des avions, des navires, de l’industrialisation et des villes galopantes : dans cet Eden en mutation, la petite fille nue disparaît des pages quand les grillons se taisent, quand les cieux s’assombrissent… et ce glissement du paradis à l’enfer est magnifiquement évoqué par les nuages aux formes crochues qui mangent les dessins d’étranges signes et chiffres (le cours de la Bourse !). M.G.-G.

La petite fille nue Texte de Gilles Colleu, illustrations de Ahuura Supply Éd.Vents d’ailleurs, 15 euros

Noir et mystérieux

Pas terrifiés pour un sou par la stature écrasante de H. G. Wells, l’auteur de La Guerre des mondes, le scénariste Jean-Pierre Kerloc’h et l’illustrateur Gaëtan Dorémus réussissent l’exploit de donner formes et couleurs à L’homme invisible. Ou les aventures d’un savant qui découvre la formule de l’invisibilité, la vengeance et la haine d’un être humilié, le mépris des hommes pour l’étranger, l’inconnu, celui qui dérange et qui fait peur. Dès la première page, l’insaisissable homme invisible apparaît : il porte un chapeau, des lunettes violacées et un nez rouge. Difficile de passer à côté sans le voir d’autant que des bandages recouvrent son visage. À peine débarqué dans le bourg d’Iping il se fait attaquer par un chien, pourchasser par les habitants, dérober ses économies. Les villageois ont peur, qui est-il : un espion ? un bandit ? un voleur ? La chasse à l’homme invisible est ouverte ! Le fantastique, le mystère et l’absurde, scénarisés sur un rythme tonitruant, sont amplifiés par les dessins qui bordent le texte, l’envahissent ou le ponctuent d’éclats de couleurs. Une histoire effrayante qui tient le lecteur en haleine, mais que les plus jeunes auront du mal à oublier si tôt les yeux fermés. M.G.-G.

L’homme invisible Scénario de Jean-Pierre Kerloc’h, i llustrations de Gaëtan Dorémus Éd. P’tit Glénat, Coll. Les histoires phares, 12 euros


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CINÉMA

FILM | CMCA | SEMAINE ASYMÉTRIQUE

Faux-semblant

Nicole Garcia © A.G

Sixième long métrage de Nicole Garcia, Un balcon sur la mer reprend les thèmes chers à la réalisatrice de Place Vendôme, de L’adversaire et du Fils préféré : blessure et fragilité des hommes sous les apparences d’une virilité rassurante, irruption d’un passé bouleversant dans un présent trop lisse pour être honnête, difficulté de trouver sa juste place. Ce dernier opus s’enrichit d’échos autobiographiques : l’Algérie des années soixante, pays perdu en même temps que l’enfance. Marc (Jean Dujardin), agent immobilier au 4/4 flambant neuf, solidement installé dans la pierre, marié à un profes-

seur de droit (Sandrine Kiberlain), gendre et père parfait croit reconnaître dans une cliente (Marie-Josée Croze) la petite fille qu’il aima avant l’exil. Enquêtant sur celle qui se dérobe et chamboule sa vie, il retrouve une mémoire occultée, tronquée par les omissions et les illusions qu’il a bien voulu se donner. C’est avec une certaine élégance que les motifs du double et du faux-semblant se développent, que les étapes du parcours de Marc se concrétisent dans les lieux filmés : Oran rêvée à l’aube déserte et fantomatique, Oran reconstituée théâtralement à «hauteur d’enfant», Oran grouillante et colo-

rée, ville et vie reconquises. Mais le film donne aux spectateurs trop de clés et ne préserve pas la part d’ombre nécessaire. Les flashbacks démontrent plus qu’ils ne suggèrent. Hitchcock et Campanella sont trop présents à notre esprit. Est-ce pour cela que ce qui est annoncé comme un «thriller sentimental» ni ne nous émeut vraiment ni ne nous fait frissonner ? ÉLISE PADOVANI

Sortie le 15 déc

Ce n’est qu’un début… Moi, ma famille Rom et Woody Allen est l’un des documentaires figurant au palmarès de la 15e édition du Prix International du Documentaire et du Reportage Méditerranéen qui s’est tenu pour la seconde fois à Marseille. Il a obtenu, à juste titre, le Prix Première Œuvre documentaire, dévoilé au Palais de la Bourse en présence des réalisateurs en compétition venus des deux rives du Mare nostrum. «Moi», c’est Laura Halilovic, une réalisatrice de 19 ans dont la voix accompagne le spectateur tout au long du film, pleine d’énergie, de tendresse et d’ironie. Elle raconte la vie de sa famille Rom en Italie. Arrivée de Yougoslavie, elle vit d’abord dans un campement près de l’aéroport de Turin. Les images filmées par son père, cadrées parfois avec maladresse, floues mais touchantes, montrent une petite fille heureuse, qui adore danser, rire ; elle va connaître le racisme à l’école, le regard des gadjé, ceux qui ne sont pas roms. Elle va découvrir la vie en HLM, difficile, alors que sa grand-mère et ses oncles bataillent pour rester sur le terrain qu’ils ont acheté et duquel la mairie veut les expulser. Woody Allen, c’est son idole depuis l’enfance, celui qui lui a donné envie, à neuf ans, de devenir réalisatrice, dont elle a vu tous les films, à qui elle a écrit et dont elle espère une réponse. Elle va même jusqu’à la Mostra de Venise lui demander un autographe. «Il a signé, m’a souri et est reparti avec mon stylo», commente-t-elle malicieusement. Et c’est sur ce même ton qu’à plusieurs reprises dans ce documentaire intime et humaniste, elle évoque son refus ferme à ses parents : elle ne veut pas encore se marier ; elle veut devenir réalisatrice. À vingt ans, elle a bien commencé… ANNIE GAVA

Un documentaire que l’on peut voir à L’Alcazar, en VAD, jusqu’au 15 janv, tout comme les 29 films de la sélection www.prixcmca.wordpress.com

Io la mia famiglia de Laura Halilovic

Venise, Le Titien et le temps qui passe Le Titien peint un tableau, un dernier, une Piéta. À côté de lui, une femme s’occupe de lui, dont on ne sait pas grand-chose, modèle, servante, ou courtisane. Et puis il y a Venise, la ville qui parle du passé. C’est sur ces traces que partent Karine de Villers et Mario Brenta dans leur film Calle della pietà présenté en avant-première, le 23 nov aux Variétés dans le cadre de la Semaine Asymétrique organisée par Film Flamme, qui s’est tenue à Marseille du 22 au 28 nov. Karine de Villers et Mario Brenta ont filmé pendant plus d’une année leur rencontre, leurs Calle della pieta de Karine de Villers et Mario Brenta

lieux de vie, la maison du Titien. La caméra est un pinceau offrant aux spectateurs le spectacle du temps qui a passé, qui passe. On est le 26 août 1576, il y a la peste, la Mort à Venise, l’île du Lazzaretto où les pestiférés font les mêmes gestes que le Titien, avec leurs doigts, pour laisser une trace de leur passage éphémère dans ce monde. L’essence de l’art est là peut-être, et c’est la texture même des choses que nous font toucher les auteurs de ce documentaire de création qui soulève bien des questions sur le temps : les algues accrochées aux amarres, la fleur de jasmin qui s’ouvre dans la tasse de thé, les statues de pierre rongées par les années, les balises qui émergent d’une lagune ouatée. Tout est sensible, l’odeur de la décomposition, le cri des mouettes qui se battent pour la vie, la matière flasque d’un poulpe rejeté à la mer. Chaque plan est un tableau qui entre en écho avec les images du peintre, et les nôtres. Une balade poétique, plastique qui entraîne dans une méditation mélancolique, nostalgique parfois… bien loin de la biographie filmée ! A.G.


L’ALHAMBRA | RENCONTRES D’AVERROÈS | LA SEYNE

CINÉMA

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Yeux grand levés Le corps est immobile, les lèvres sourient, s’entrouvrent, se tordent, le regard s’émerveille ou s’horrifie de ce que nous ne voyons pas. Ce sont des enfants-spectateurs saisis en gros plans durant des projections scolaires, regardés regardant par le photographe Meyer. On reconnaît, juxtaposées, superposées, les images des films qui les captivent : la silhouette d’Errol Flynn en Robin des bois, un intérieur d‘Ozu, le cheval venu de la mer de Newell... Bien moins sages que sur les clichés et bien moins figés, les jeunes spectateurs accompagnés de leurs parents et de tous les acteurs de l’aventure ont investi joyeusement L’Alhambra le 19 nov pour l’inauguration de l’exposition présentée dans le hall du cinéma jusqu’au 26 janv. Trois projections à cette occasion : le diaporama des photos de l’expo doublé

de la réception d’une image, le moment où elle s’inscrit dans la mémoire. On pense aux liseuses des peintres, même lumière sur les visages, même immobilité dans un temps suspendu. Ici, simplement, les yeux ne se baissent pas, ils se lèvent et s’éclairent rappelant que le cinéma comme le soulignait Godard est plus grand que nous. ÉLISE PADOVANI

Dans le cinéma, l’enfant-spectateur Jusqu’au 26 janv L’Alhambra, Marseille 16e

Exposition Dans le cinema, l'enfant-spectateur, photographies de Meyer

d’une bande mixant des bouts de sons de films vus par les enfants, d’étonnants photomontages réalisés à Bamako sur des fonds choisis par les sujets photographiés, et sur-

tout Mon frère Lumière, reportage sur les tournées en Afrique du CNA (cinéma numérique ambulant) où se retrouve le même désir pour Meyer de capter le hors champ, la magie

Femmes en courts

Mers fragiles

Le 10 déc, au Théâtre Apollinaire de La Seyne-sur-Mer, c’était l’avant-dernière soirée de la manifestation Portraits de femmes, une Nuit consacrée au court métrage. Durant trois heures, entrecoupées d’une pause conviviale, se sont succédé douze films, aux sujets variés, traités avec légèreté, gravité ou humour. Le public, très nombreux, a particulièrement apprécié le court de Christophe Le Masne, Annie de Francia, une Espagnole qui veut retrouver ses racines, interprétée par la pétillante Nanou Garcia, qui a donc reçu le Prix du public. Mais Merci ! de Christine Rabette avec l’hilarant Jan Hammenecker, a également été très bien reçu, et a fait s’écrouler de rire le tram et…la salle ; très applaudis aussi, L’Année de l’Algérie de May Bouhada, un casting qui révèle bien des surprises, ainsi que La Prévention de l’Usure de Gilles Charmant, un couple qui réinvente le monde et l’amour, parfois avec lourdeur ! Peu d’applaudissements en revanche pour C’est gratuit pour les filles de

Le 25 nov au cinéma les Variétés, en ouverture des tables rondes des Rencontres d’Averroès (voir p 72) a eu lieu la soirée Thalassa en présence de Georges Pernoud, producteur de l’émission, le navigateur et peintre Titouan Lamazou, François Jacquel, directeur du CMCA et Thierry Fabre. Trois reportages consacrés à la Méditerranée ont été présentés au public. Gaza, une plage sous embargo nous montrait, six mois après l’opération «Plomb Durci» menée par Israël, une longue plage que l’on parcourt du nord au sud en moins d’une heure, baignée d’une eau polluée : les égouts se déversent directement sur la plage et des millions de litres d’eau non-traitée sont rejetés chaque jour. C’est dans cette eau que se baignent pourtant les Gazaouis, enfants et adultes dont c’est le seul espace de liberté ! Et c’est là que

Annie de Francia de Christophe Le Masne

Claire Burger et Marie Amachoukeli malgré l’excellente interprétation de Laetitia Hadri, Yéliz Alniak, pourtant débutantes. Ni pour Lost Paradise du couple Mihal Brezis et Oded Binnun qui met en scène un couple qui fait l’amour au-delà des différences culturelles et religieuses. Ni pour Tre ore d’Annarita Zambrano, trois heures d’un père condamné pour le meurtre de sa fille. Sujets trop graves dans une période de crise ? En tout cas, on ne peut que saluer une programmation et une projection de qualité, proposées par Les Chantiers du Cinéma. A.G.

nous rencontrons Zeinab, Marmoud, Mohamed qui nous parlent de leur vie, triste, et de leurs rêves. Un reportage qui interpelle ! Méditerranée : une mer tropicale ? rend compte d’une enquête sur l’apparition de nouvelles espèces de poissons venues de l’Océan Indien, du Pacifique ou de Mer Rouge, découvertes le long des côtes d’Israël, de Turquie et de Sicile. Quant à D’un littoral à l’autre : la double vie de Benidorm, il nous montre des images hallucinantes de ce village de pêcheurs, dont le littoral est devenu l’une des plus grandes stations balnéaires d’Europe, la plus grande concentration de gratte-ciels par habitant après Manhattan. Des images à vous écœurer des vacances et des vacanciers ! Et susceptibles, on l’espère, de nous amener à changer nos comportements ? Trois reportages qui étaient une très bonne introduction aux tables rondes des Rencontres d’Averroès : la deuxième, spécifiquement consacrée à la mer, a repris tous les questionnements soulevés par ces films. ANNIE GAVA

www.festivalportraitsdefemmes.fr

D’un littoral à l'autre la double vie de Benidorm


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CINÉMA

MOIS DU DOC | RENDEZ-VOUS D’ANNIE

Immersion portuaire «Une dimension fascinatoire». Ces trois mots, piochés dans les propos de Julie Aguttes, peuvent résumer les raisons qui l’ont amenée à observer le port de Marseille, une année durant, pour son film Un Long Cri mêlé à celui du vent. Le 4 déc à l’Alhambra, lors de la première projection à Marseille dans le cadre du Mois du documentaire, un public nombreux, dont quelques protagonistes du film, a répondu à l’appel des docks. Le film de Julie Aguttes n’est pas un documentaire discursif. Pas d’informations sur les combats sociaux des dockers, pas d’informations non plus sur les réalités économiques de l’activité portuaire. Cela a pu surprendre, comme l’a attesté le débat qui a suivi la projection. Julie Aguttes a fait le choix des images fixes, des silences, de l’intemporalité. Le film est imprégné du lieu. Il

montre les amas de containers, les ouvriers au travail, les grues figées. Il retranscrit les cris des gabians et le gémissement des tôles des cargos. Rien d’autre que ce qu’on peut y voir, y entendre, que Julie Aguttes appréhende de manière poé-

Le 15 déc à 14h30, à l’Alcazar, dans le cadre de Laterna magica, Fotokino présente une séance spéciale et unique d’une sélection de Petites formes, très courts métrages d’animation.

Le 23 déc à 20h, en partenariat avec le cinéma Prado, l’association Cinépage propose La Dolce vita de Federico Fellini, Palme d’Or à Cannes en 1960, avec Marcello Mastroianni, Anita Ekberg, Anouk Aimée… C’est vraiment Noël !

tique. En s’appliquant à débusquer de belles images dans cet ordinaire ouvrier, à imposer un rythme et des récurrences à sa contemplation, elle parvient à transmettre ce sentiment d’immersion, sans que les mots soient nécessaires. Cette réussite formelle rend d’autant plus contestable la citation d’un extrait du Docker noir, roman d’Ousmane Sembène, qui ponctue le film. La trace d’une hésitation à s’affranchir totalement du discours, confort du documentaire, qui donne l’impression d’un pas en arrière. Mais peu importe, l’expérience est singulière et ces instants perçus du port de Marseille s’impriment dans la mémoire mieux que les mots.

Un long cri mele a celui du vent de Julie Aguttes

RÉMY GALVAIN

Les Rendez-vous d’Annie Fotokino 09 50 38 41 68 www.fotokino.org

Cinépage 04 91 85 07 17

Le 20 déc à 19h30, dans le cadre du Festival Nuit d’hiver #8 du GRIM, après une conférence musicale, Carte Blanche à Extérieur Nuit en présence de Jacques Rozier et Jean-Claude Malgoire. Projection de Revenez plaisirs exilés ! de Jacques Rozier, réalisé à partir d’extraits filmés en 1992, lors de répétitions d’Alceste de Jean Baptiste Lully sous la direction musicale de Jean-Claude Malgoire. Les Variétés 04 96 11 61 61

Le 5 janv à 15h, Fotokino présente une séance du Petit Cinéma au cinéma Renoir à Martigues : Le Chien, le Général et les Oiseaux de Francis Nielsen, l’histoire d’un ancien général russe, hanté par le souvenir des oiseaux qu’il a sacrifiés pour sauver son pays de l’invasion de Napoléon.

Nostalgie de la lumiere © Pyramide Distribution

Le 16 déc à 20h30, l’association France Amérique Latine et l’Astro Club M13 propose «De l’infini à l’histoire» avec la projection du superbe film de Patricio Guzman, Nostalgie de la lumière. Cinéma Jean Renoir, Martigues 04 42 44 32 21 http://cinemajeanrenoir.blogspot.com

Institut de l’Image, Aix 04 42 26 81 82 www.institut-image.org

Fotokino 09 50 38 41 68 www.fotokino.org

Ninotchka d'Ernest Lubitsch

Le Cycle Lubitsch continue à l’Institut de l’Image: Haute pègre ; Sérénade à trois ; Ninotchka ; To Be or Not to Be ; Le ciel peut attendre et son dernier film, La Dame au manteau d’hermine sont projetés jusqu’au 21 déc à raison de quatre films par après-midi. Un cinéma d’une élégance folle, et si joliment mutin… Avec Gary Cooper, Greta Garbo, James Stewart, Carol Lombard, Gene Tierney… dans tout l’éclat de leur jeunesse, dans un art de la comédie américaine à son sommet.

> La Dolce vita de Federico Fellini

Du 12 au 25 janv, l’Institut de l’Image à Aix propose de revoir l’œuvre de Jean-Pierre Melville: Le Silence de la mer, d’après Vercors, son premier film ; Les Enfants terribles, d’après Cocteau ; Bob le flambeur ; Léon Morin, prêtre avec Jean-Paul Belmondo et Emmanuelle Riva ; Le Doulos, «l’histoire d’une amitié… de la fin d’une amitié.» ; Le Samouraï avec Alain et Nathalie Delon, le film qui a inspiré The Killer à John Woo; L’Armée des ombres avec Lino Ventura, Simone Signoret, Paul Meurisse… Le Cercle rouge ; Un Flic avec Alain Delon, Catherine Deneuve, son dernier film. Institut de l’Image 04 42 26 81 82 www.institut-image.org

Le 13 janv à 20h, le collectif 360° et même plus propose au Cinéma Variétés Remue-ménage dans la sous-traitance d’Ivora Cusack : à Paris en mars 2002, des femmes de chambre employées par la société Arcade pour travailler dans les hôtels Accor se mettent en grève. La plupart sont des mères de famille d’origine africaine qui vont pour la première fois lutter pour leurs droits. Après un an de lutte, elles sortent victorieuses… Mais en mai 2004, la déléguée syndicale qui avait joué un rôle prépondérant dans la grève est licenciée. La lutte reprend autour d’elle. Les Variétés 04 96 11 61 61 www.360etmemeplus.org


AU PROGRAMME

ARTS VISUELS 53

Photos en réseau Une improbable photographie donne le déclic pour lancer le dernier projet de Camayeux, agence consacrée à la photographie. Le Réseau de la Maison de la Photographie du Bassin Méditerranéen constitue un circuit de diffusion particulier puisqu’il rassemble dans une programmation annuelle lieux institutionnels et atypiques, comme une maison de retraite, un gymnase, un collège ou un… commissariat. Le collectif Hors Série a été un des premiers à se connecter. C.L.

Une improbable photographie jusqu’au 3 janvier Espace Culture, Marseille 1er www.espaceculture.net www.camayeuxmarseille.com © Sauvayre

Apparences

Comment la photographie peut-elle faire basculer le banal dans l’ordre du poétique ? De quelle nature est-elle constituée lorsqu’elle incise son apparence documentaire ? Geoffroy Mathieu fait l’hypothèse que «le réel n’est qu’un voile, une surface fine, un mince vernis : une canopée». Diplômé de l’École de la photographie d’Arles, Geoffroy Mathieu a publié en 2005 Un mince vernis de réalité chez Filigranes et obtenu le Prix de la Quinzaine Photographique Nantaise en 2008 pour sa série Parcelles. C.L.

Canopée Geoffroy Mathieu jusqu’au 28 février Galerie Voies Off, Arles 04 90 96 93 82 www.voies-off.com

© Canopee, Geoffroy Mathieu

Passion commune Quand elle évoque Patrick Vallot, rencontré il y a tout juste 10 ans, la galeriste Caroline Serero parle «d’un dessinateur poète, infatigable marcheur, inépuisable créateur». Un artiste dont elle partage la passion du papier et dont elle suit pas à pas les recherches, les nouvelles techniques, les «éternelles errances»… au point de lui consacrer un mini catalogue de 24 pages et une mini exposition d’un jour. Sauf que ses travaux (encres, pastels, fusains, craie sur papier népalais) sont à découvrir en permanence 66 rue Grignan. M.G.-G.

Parcours 2000-2010 Patrick Vallot Galerie Caroline Serreo, Marseille 1er 04 91 54 35 72

Sans titre © Patrick Vallot Vivre ou mourir, Raoul Marek © X-D.R

Faites vos jeux ! 3 projections vidéo : 2 montrent une course de chien, l’autre un oiseau qui va et vient dans un cercle rouge. Les 3 sont interrompues simultanément par des écrans de couleur qui calment le jeu… avant que le mouvement ne recommence. Raoul Marek a également disposé une structure éphémère bricolée avec des bouts de ficelle et des matériaux de récupération habillée de logos ultra-chic : c’est 1 cabane en forme de guichet pour faire des paris. Le tout est un dispositif provocant où vivre ou mourir, gagner ou perdre, c’est 1 même enjeu ou presque… M.G.-G.

Vivre ou mourir Raoul Marek du 14 décembre au 12 février 2011 Galerieofmarseille, Marseille 2e 09 53 10 15 26 www.galerieofmarseille.com


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ARTS VISUELS

MAC MARSEILLE | MIAM SÈTE femmes (grand-mère, fille, petite-fille). Les sens compensent les barrières du langage (entre arabe, français et anglais), le regard et le toucher pallient l’insuffisance des mots. Et l’écart spatial entre les œuvres renvoie à la séparation géographique comme les différences de nature des médiums entre images fixes et récit filmique.

Au large ?

Une exposition d’importance au [mac] !

Entre des rives

Zineb Sedira, Shattered Carcasses, Architecture of the Forsaken, [mac], Marseille 2010, vue partielle © C. Lorin

On avait entendu parler du travail de Zineb Sedira, intégralement censuré par le maire de Vallauris lors de son exposition au musée Picasso. L’œuvre incriminée, qui assimilait marginalement dans une vidéo les Harkis à des «collaborateurs», n’est pas présentée à Marseille dans cette rétrospective condensée sur la période 1995/2009. Le déroulement chronologique nous mène des premières œuvres fortement autobiographiques interrogeant les

origines algériennes et la question de l’identité (née en 1963 à Paris de parents algériens immigrés, elle vit à Londres) aux récentes propositions ouvertes sur les difficultés de la migrance. On retiendra particulièrement le dialogue fructueux entre deux triptyques face à face : Mother Tongue (2002) (trois écrans vidéo) et Mother, Daughter and I (2003) (trois doubles photos) traitent des difficultés de communication entre trois générations de

Depuis le cri insupportable ouvrant l’exposition (Scream of Liberation, 1995), les images de Zineb Sedira éludent progressivement la présence humaine, pour mieux laisser parler les lieux (Haunted House, 2006). Par cette nouvelle orientation moins familiale, déjà infléchie avec la narration filmique (Middle Sea, 2008, mise en scène avec acteur dans le port de Marseille) Zineb Sedira semble déposer ses affects sur les rives de la Méditerranée. Dans la dernière salle, la scénographie s’avère plus complexe avec Shattered Carcasses (2008), Floatting Coffins et Architecture of the Forsaken (2009) : la multiplication des gros plans de bateaux enlisés dans le sable mauritanien de Nouadhibou et les bruits d’entrechoquements suggè-

rent au candidat au voyage, voulu ou subi, combien est chimérique le salut de l’exil. Et dans le même temps, paradoxe tragique, ces mêmes images font état d’une nouvelle forme de colonisation cynique due à ces rebuts immobilisés et promus au dépeçage. Dialectique sourde entre la nécessité de partir et le constat de son improbable réalisation. Pour autant, certaines de ces images paraissent trop belles pour dénoncer cette dramatique impasse. Drame ou poésie de la ruine ? Il y a le sable, la mer et la rouille… CLAUDE LORIN

Les rêves n’ont pas de titre Zineb Sedira jusqu’au 27 mars [mac] musée d’art contemporain, Marseille 8e 04 91 25 01 07

Territoires hors normes Populaire et festif, l’anniversaire du Musée international des Arts modestes à Sète laisse présager un avenir à l’image de sa première décennie : intense Tout un pan de mur du hall est recouvert d’une carte du monde aux couleurs insensées, aux légendes farfelues, qui dessine les territoires de l’art modeste : art populaire, street art, mais aussi art naïf, photo, bande dessinée… Un archipel rêvé il y a 10 ans par Hervé Di Rosa et son complice, l’artiste-collectionneur Bernard Belluc. Si «l’art modeste, c’est le regard sans dérision du collectionneur ou de l’artiste sur les objets du quotidien et les créations inutiles», alors le MIAM a la vie devant lui pour continuer son tour de la planète ! Et l’exposition-anniversaire n’est qu’une étape.

10 ans déjà En 2000 donc, le MIAM s’inventait un écrin noir dans un ancien chai à vin réaménagé par Patrick Bouchain trop étroit aujourd’hui ! -. Une fois les gaz lancés, la machine s’emballe malgré quelques soubresauts inévitables et engrange 22 expositions et temps forts en compagnie de plus de 350 artistes. Tour de force salué par le public sétois, puis national et international, qui apprivoise ces frottements

risqués, ces artistes incontrôlables qui gomment toutes les frontières (art singulier/art contemporain, artiste/ collectionneur, public/professionnel). De «l’artistiquement correct», Hervé Di Rosa n’en a cure qui invente «des

espaces de dialogues entre les genres, les langages, les styles» et se fait le chantre de la création hors marge : le MIAM expose donc sans interruption des «créations orphelines».

Nouveaux croisements À lieu alternatif, exposition manifeste : Les Territoires de l’art modeste se décline dans 12 espaces durant 12 mois,

Maquette La Science des reves, Michel Gondry © Pierre Schwartz

dans une cohabitation parfois un peu floue, mais qui démontre bien la porosité entre les planches de l’amateur dessinateur Maurice Chot sorties des tiroirs de Robert Combas et la PVville de Michel Gondry (maquette à partir de rouleaux de papier Q. et vidéo avec Charlotte Gainsbourg et Alain Chabat). Entre les dessins Bamoun présentés par Antonio Segui et les éditions volumiques de Bertrand Duplat et Étienne Mineur qui inscrivent le livre et la lecture à l’ère du numérique… On l’aura compris, Hervé Di Rosa préfère ici exposer des idées et parler du sens : «on n’expose pas des artistes mais leurs motivations, leurs passions, leurs sources. Il n’y a donc pas de classement intellectuel ou financier». Un chemin ouvert vers une meilleure appréhension de l’art contemporain par le public… MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Les territoires de l’art modeste jusqu’au 2 octobre 2011 MIAM, Sète 04 99 04 76 44 www.miam.org


TOULON | LA VALETTE | LA SEYNE-SUR-MER

ARTS VISUELS 55

© Franck Pourcel

Berlin blanc et noir Invité par Le Moulin à La Valette, Bernard Plossu expurge de ses archives des clichés inédits sur Berlin, et offre à la Maison de la photographie à Toulon une carte blanche à quatre signatures Blanc, lumineux, glacé, monolithique : Berlin 2005 vu par Bernard Plossu. Des inédits qui ne collent pas - mais pas du tout - avec son écriture d’ordinaire si poétique, si près des paysages qu’il traverse. Malgré la chaleur qui étreint Berlin cet été-là (on le devine car rien n’est volontairement précisé), la distance est calculée, la froideur aussi qui évacue toute nostalgie et aboutit à des images graphiques, presque brutales dans leur simplicité. Pourtant Bernard Plossu sillonne l’ancien Berlin-Ouest «dans sa splendeur, avec ses grosses voitures, ses hommes d’affaires». Sa restitution personnelle de la cité allemande prospère lui donne des allures de ville fantôme, bétonnée,

éternellement en chantier, entre attachés-cases et vieilles statues, téléphones portables et Coccinelles indéboulonnables. Des clichés volés au temps, frisant les reportages des années 70 : une ville hors d’âge, cruellement blanche. Luc Benito, codirecteur du Pôle cinématographique et d’éducation à l’image du Var, tente un rapprochement entre «ces deux observateurs, ces deux médiateurs que sont Wenders et Plossu», le Wenders des Ailes du désir : sauf que là où le cinéaste touche à l’intime et transforme la métamorphose des anges Cassiel et Damiel en fable onirique, le photographe (l’observateur et non l’artiste) nous laisse de marbre.

Berlin © Bernard Plossu

Portrait x 4 Avec Melania Avanzato, Jean Claude Mouton (auteur de l’album Berlin, l’effacement des traces présenté en introduction de l’exposition Plossu à côté d’un 33 T de Bob Dylan), Nicolas Comment et Franck Pourcel, Berlin se décompose. Novembre 2009, Melania Avanzato passe de l’autre côté du Mur pour créer son propre mur d’images : 40 petits formats juxtaposés qui racontent en une frise noir obscur les visions brouillées d’une ville la nuit, les grues et les vestiges, les chiens errants et les silhouettes incertaines. Le pouls de la ville bat ici, comme le suggèrent les vignettes aux couleurs passées de Jean Claude Mouton laissant entrevoir des morceaux de vies et de villes en mutation. Avec Est-ce l’Est ?, Nicolas Comment expérimente dans l’ancien Berlin-Est la pratique du «roman visuel et sonore» dont l’exposition livre une série photographique et une vidéo : «un film fixe, un disque imagé»

composent cette ballade guidée par Bowie et Lou Reed. Novembre encore comme Melania Avanzato, 2005 encore comme Bernard Plossu… Franck Pourcel s’immerge durant trois nuits dans la mélancolie de Berlin : toujours la rue mais dans une vision moins architecturale et plus humaine, des intérieurs et même quelques portraits. Berlin aurait-elle soudain un visage ? M.G.-G.

Berlin Bernard Plossu jusqu’au 22 janvier Espace d’art Le Moulin, La Valette 04 94 23 36 49 Sur Berlin, Carte blanche à Bernard Plossu jusqu’au 15 janvier Maison de la photographie, Toulon 04 94 93 07 59

Faces à faces Sculpteur et professeur à l’Esart(s) de Toulon TPM, Alain Pontarelli s’empare du stylo Bic, lui qui jusquelà tordait le cou au fil de fer et d’acier. Exit donc ses Tondos aux lignes arachnéennes, ses Archicages, ses Objets maquette et autres Chars votifs à la féminité toute contenue ; place au trait noir, vert, rouge grâce auquel il «renoue» avec la technique dite des 3 crayons pratiquée dans le dessin de portrait au 18e siècle, pierre noire, sanguine et blanc de Meudon. Mais ces portraitslà ont une face de masque mortuaire, chauves et sans expression, tirés d’images publicitaires photographiées et redessinées, d’où cette sensation de duplicata par stylobille interposé. Avec la série des vanités (encore un thème récurrent dans l’histoire de la peinture), Alain Pontarelli s’offre des digressions ironiques, comme si le

seul transformisme des crânes pouvait être un pied de nez à la mort ! Mais toujours la même ardeur obsessionnelle, dans le trait dense et géométrique des

dessins, comme dans la courbure du fer dentelé des sculptures. Les Chantiers de la lune, qui l’accueillent, ont depuis 2003 creusé leur sillon à La Seyne-surDessins, Alain Pontarelli © X-D.R Mer avec cinq expositions annuelles, un programme de lectures, stages, concerts et débats ouvert à diverses associations. Un travail reconnu qui leur permet de prendre le risque d’exposer, du 14 janvier au 12 mars, l’artiste franco-péruvienne Rustha Luna Pozzi-Escot dont les photographies peuvent faire l’effet d’une bombe… M.G.-G.

Dessins Alain Pontarelli jusqu’au 24 décembre Les Chantiers de la Lune, La-Seyne-sur-Mer 04 94 06 49 26 www.leschantiersdelalune.com


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ARTS VISUELS

MUSÉE GRANET | FESTIVAL GAMERZ

Granet à l’ère numérique cours dans les utopies contemporaines» résulte d’une correspondance - parfaitement cohérente - entre des œuvres qui convoquent le lien espacetemps (3 minutes au carré), la fusion entre la matière et l’immatériel (Le cristal de personnalité), la lumière et l’immatériel (Le pavillon des métamorphoses), la mémoire (H2O)… Des mondes mi-réels, mi-virtuels acquis aux technologies de pointe qui n’oublient jamais le vivant et ne déconnectent jamais l’homme, ubiquiste. Même les inconditionnels de la peinture y retrouveront leurs petits avec l’œuvre interactive et sensitive La vérité est un point de vue, mise en abyme des Ménines de Vélasquez et hommage au Musée !

La polémique fait rage ! les nouveaux médias s’invitent au musée Granet, dans le sacro-saint musée des beaux-arts aixois ! Serait-ce un manquement aux missions premières d’un «Musée de France», qui se doit de «conserver des collections reconnues d’intérêt public, destinées à être exposées au public»1 ? Manquement dénoncé par la presse spécialisée2, plus particulièrement depuis l’exposition La BD s’attaque au musée ! en 2008. Une affaire à prendre au sérieux si l’on en juge par les précautions prises par Bruno Ely, Conservateur en chef, lors de l’inauguration de l’exposition Futuréalismes : «Avec Alechinsky, Les ateliers du midi un pas de plus a été franchi par rapport à un large public que l’on veut toucher (…) Aujourd’hui, il est important pour nous que de jeunes artistes soient présents dans un musée des beaux-arts dont la démarche s’inscrit dans l’héritage de la Révolution, et parle du génie humain».

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Missions des institutions placées sous le label «Musée de France», Loi du 4 janvier 2002

1

La Tribune de l’Art du 21 avril 2010 s’est émue du projet de Bruno Ely de «transformer les salles de peintures anciennes du Musée Granet en espace d’exposition temporaire permettant de présenter chaque année une ou deux grandes rétrospectives susceptibles de faire parler de son établissement»

2

Les primitifs d’un art nouveau ? Exit le chevalet, bienvenue aux nouveaux médiums à travers 17 pièces/installations/spectacles conçus par un tandem déjà bien rôdé : Electronic Shadow (Naziha Mestaoui et Yacine Aït Kaci), déjà distingué par le Grand prix du Japan Media Art 2004 pour son dispositif 3 minutes au carré, qui a signé avec Carolyn Carlson le spectacle Double vision dans lequel s’imbriquent l’espace-image et le corps de la danseuse. Et exposé entre autres lieux prestigieux au MomA de New York et au Centre Pompidou à Paris. Mais c’est la première fois qu’il dispose de 700 mètres carrés pour

Focus © Electronic Shadow

inventer une exposition «d’art-fiction» composée de poèmes visuels imbriqués les uns aux autres par la mise en espace, les ambiances sonores, les liaisons sensorielles. Complexe, évolutif, ce «par-

Futuréalismes Electronic Shadow jusqu’au 24 avril Musée Granet, Aix-en-Provence 04 42 52 88 32 www.museegranet-aixenprovence.fr

Machines infernales Directeur artistique du 6e Festival Gamerz, le trio Quentin Destieu, Romain Senatore, Sylvain Huguet est à la tête d’un projet ambitieux déployé dans huit structures aixoises, exclusivement voué au jeu et au détournement dans l’art contemporain et les nouvelles technologies. On pouvait craindre une aseptisation des projets sous le joug d’une tech-

nologie massive, or on y découvre de jeunes artistes épris de poésie. Car si les outils sont les ordinateurs, la force émotionnelle et la qualité plastique des pièces restent intactes. Poésie de la matière avec l’installation aléatoire de Selma Lepart, Mercure noir (les réactions du férofluide à l’électromagnétique provoquent le déplacement d’une forme Breeze reflection © Djeff Regottaz

vivante inquiétante). Poésie des sons avec Radio 2067 de David Guez dont le curseur oscille entre 1910 et 2010 (labyrinthe sonore composé d’archives, d’infos et de musiques) et Hee Won Lee qui invente une installation documentaire sur un sujet sensible (les enfants abandonnés ou orphelins) via une technologie de pointe (le son produit par 108 petites boîtes à musique forme à l’écran un témoignage écrit). Poésie de la lumière avec Breeze reflection, miroir à double face de Djeff Regottaz qui, à travers un processus d’ombre et de flux d’air, transforme chaque mouvement de l’homme en jeu lumineux… Dans les alvéoles gigantesques de la Fondation Vasarely toutes ces œuvres entretiennent un dialogue pertinent avec les créations cinétiques de l’artiste. Sept autres lieux restent à découvrir pour des expositions, des concertsperformances (17 déc à Seconde nature) et des conférences (jusqu’au 17 déc à l’École supérieure d’art). M.G.-G.

6e Festival Gamerz jusqu’au 19 décembre Association M2F Créations, Aix-en-Provence 04 88 05 05 67 www.festival-gamerz.com

Dans notre article consacré à la Galerie Remarque à Trans-enProvence (Zib 35’), nous mentionnions 1999 comme année de sa création. Une erreur rectifiée aujourd’hui par Antoine Barles : «cette galerie existe depuis trente-cinq ans, puisqu’elle a été fondée par ma mère, Hélène Bondil, en 1975. Jusqu’en décembre 1999, date à laquelle elle a cédé sa galerie à Stéphanie Ferrat, elle y a défendu des artistes tels que Michel Macréau, Jean-Marie Martin, Serge Plagnol, Saint-Cricq, Hébreard...».


AIX-EN-PROVENCE | CHÂTEAUNEUF-LE-ROUGE ARTS VISUELS 57

Compagnonnages Entre Aix et Châteauneuf-le-Rouge, une triple exposition permet de redécouvrir deux artistes encore méconnus du grand public Les deux artistes ne s’étaient jamais rencontrés mais ont en commun d’avoir engendré une œuvre en empathie avec la nature, une certaine appréhension de l’espace, du vide et du vent. Disparu il y a quelques années, Claude Garanjoud les inscrivait en formes d’idéogrammes picturaux, cercles, portiques. Lorsqu’il libère la toile de son châssis dans les années 1980, délaissant l’huile pour l’acrylique, s’autorisant l’imprégnation comme le recouvrement, tant sur l’envers que l’avers, il appelle la médiation de plusieurs énergies : du geste, de la couleur, de la lumière, les matières et des traces vibrantes structurant l’espace. Cette dernière caractéristique apparaît aussi dans le travail sculptural de Curt Asker (qui se considère d’ailleurs plus en dessinateur) dont les œuvres s’installent le plus souvent en extérieur et dans l’espace naturel, allégeant au contraire le maximum de matière. Le rapprochement des deux artistes offert par Christiane Courbon est une invitation subtile à entrer dans deux univers marqués de présence discrète et de retenue. L’économie des moyens et des mises en forme

contraste avec les décors et les tapisseries anciennes du Palais de l’Archevêché, mais les sculptures de Curt Asker sont un peu perdues comme des ponctuations éparses. Une très intéressante vidéo de son ami Philippe Labourie suit Garanjoud dans son atelier tout de blanc et donne à voir la démarche construite à partir de bleu outremer, noir, blanc et parfois de rouge «presque froid» : «… j’essaie tout de même de me rapprocher pas trop de l’orient». À Châteauneuf-le-Rouge, à côté des dessins et boîtes de Garanjoud, la sélection conçue avec Pierre Vallauri restitue un ensemble plus conséquent d’œuvres de Curt Asker notamment plusieurs Chine collé et les récents Blickstillor entre dessin et sculpture d’acier jouant avec les ombres projetées. Une sélection de photos prises par Garanjoud en 1982 et 83, L’aile du vent inspirée par le poème de SaintJohn Perse, objet d’une édition particulière, n’est plus visible ainsi que plusieurs livres d’artiste, carnets de croquis, pour cause de travaux de dernière minute à la Fondation Saint-John Perse. On se rattrapera

Claude Garanjoud, vue partielle de l'exposition Résonnance,Musée des Tapisseries, Aix 2010 © C.Lorin/Zibeline

le 21 janv à 18h avec une lecture de poèmes appréciés par les deux artistes (Char, Saint-John Perse, Lindegren, Cheng, Wallace Stevens…) dits par leur ami Jean de Breyne. Un tiré à part de photographies de Curt Asker complète le catalogue.

Claude Garanjoud / Résonance / Curt Asker 3 lieux/3 expositions jusqu’au 28 février Musée des Tapisseries, Aix 04 42 23 09 91 Fondation Saint-John Perse-Cité du Livre, Aix 04 42 25 98 85 Arteum, Châteauneuf-le-Rouge 04 42 58 61 53

CLAUDE LORIN

En janvier les deux musées seront fermés au public sauf pour les scolaires

Marcel et Serge La Non-Maison consacre son exposition de fin d’année à une nouvelle série de Serge Kantorowicz. Peintures, dessins et carnets en empathie avec La Recherche d’un certain Marcel Depuis la création de sa Non-Maison en 2007 à Aix, Michèle Cohen poursuit un travail de galeriste opiniâtre et discrète. Peu d’artistes dans son catalogue, élus par affinités et exposés régulièrement. Bernard Plossu, Bruno Peinado, Carole Bénitah ou Serge Kantorowicz à qui elle consacre actuellement une quatrième exposition. L’artiste, qui lui a confié son fonds, présente en avantpremière un ensemble conçu à partir de la Recherche du Temps perdu de Proust. Si la démarche de Kantorowicz reste la même pour avoir tutoyé l’œuvre d’Hugo, Balzac ou Kafka, le tempérament de cette nouvelle série offre un visage moins grave. Toujours ces gestes hâtifs telles des pochades avec empâtements expressifs, réconfortés aujourd’hui par les contrastes colorés où l’on pense par moments à Van Dongen

et Soutine. Cette vivacité se retrouve dans ses carnets de dessins, appuyés de citations de la Recher-

che ou issues du texte inédit de son ami Hubert Haddad, Rachel quand du seigneur. Ces calepins, à la

Serge Kantorowicz, carnets, d'après La Recherche du temps perdu/Marcel Proust © C.Lorin/Zibeline

dimension de la main, par les fibres et la matité du papier, les traces ébauchées à l’encre entre le clair et l’obscur, les graphismes hâtifs signalant des personnages comme des notes prises sur le motif, nous amènent au plus près de l’intimité avec les œuvres de l’écriture. Le peintre serait déjà en pourparler avec James Joyce. C.L.

Le temps retrouvé de Serge Kantorowicz jusqu’au 22 janv La Non-Maison, Aix-en-Provence 06 24 03 39 31 www.lanonmaison.com


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LIVRES/ARTS

Offrez des livres !

L’Art de renaître 17 avril 1975 – 7 janvier 1979 : deux millions de morts. Oublier l’horreur, l’impensable. À l’heure où le procès des dirigeants Khmers Rouges s’ouvre, le travail de mémoire s’impose non comme un devoir, mais comme une nécessité. Celle de redonner une humanité à tous ces morts et disparus mais aussi à tous ceux qui leur ont survécu ; les vivants. Deux artistes, Vann Nath et Séra, et une dizaine de jeunes plasticiens de trois écoles d’art du Cambodge tentent de traiter par l’art du génocide. Le centre de ressources audiovisuelles de Bophana a invité les jeunes disciples à produire des œuvres à partir d’archives et du témoignage de leurs maîtres rescapés, exilés. De ce projet original sont nés une exposition et un livre d’art absolument magnifique, trilingue (français, khmer, anglais), où chacune des langues apporte un rythme, une respiration et une

Très vache

Tout le monde a oublié le sens premier du mot vacherie, innocente cabane à vaches, qu’on nomme plus volontiers aujourd’hui baraque, cabane, abri ! Vêtues de bois, de tôle et/ou de pierres, elles sont les témoins de leurs époques révolues, des saisons qui passent, mais peuvent également vivre avec leur temps. L’initiative singulière des Éditions Mardaga fera sans doute des heureux pour les fêtes : elles publient un très bel ouvrage sur le patrimoine rural destiné à abriter nos ruminantes. Baraques, cabanes et autres vacheries propose une balade au cœur de ce patrimoine architectural

L’art d’habiter

Dans le rayon beaux livres à (se faire) offrir pour Noël, les Éditions Parenthèses vous enlèvent tout souci de choix ! La publication de 20 maisons nippones un art d’habiter les petits espaces de l’architecte marseillaise Isabelle Berthet-Bondet, lauréate de nombreux prix et spécialiste du Japon, enchantera néophytes et spécialistes. 200 documents iconographiques de grande qualité illustrent l’art de vivre japonais, dont les maisons reposent sur une véritable philosophie de la spatialité, une dimension sensible de l’habitat. Vingt petits bijoux de douze architectes différents sont parfaitement analysés, grâce aux rencontres entre l’auteur, les

esthétique particulière. Sa force réside aussi bien dans les choix graphiques et chromatiques que dans son propos intelligent, sensible et accessible. À travers l’écriture, la photographie, le reportage, il nous est donné de rencontrer l’humain et d’assister aux mécanismes de la création. Et c’est avec émotion que le lecteur voit, pièce après pièce, ce créateur chercher, se souvenir et transformer les quelques bribes de l’histoire qu’il récolte en un geste pictural. C’est ici que l’histoire le traverse et donne naissance à une œuvre, une mémoire en acte, un espace de liberté : un art résistant, fougueux et débordant. Une idée cadeau pour vous, un soutien généreux pour ces artistes du Cambodge. CLARISSE GUICHARD

totalement oublié à travers une centaine de superbes clichés de Christian Deblanc, Dominique Linel et Jean-Louis Brocart agrémentés de citations de grands noms de la littérature, amoureux des mots et de la nature. Comme le disait le bien nommé Jules Renard : «avoir dans une cabane des rêves d’empereur» est une approche du bonheur ! F.I.

Baraques, cabanes et autres vacheries Éd. Mardaga, 29 euros

bâtisseurs créateurs et les habitants eux-mêmes. En quête de spiritualité, ils dévoilent leur univers protecteur, accueillant la nature avec ses fameux jardins alors que l’occident les conçoit à l’extérieur. Un superbe ouvrage, témoin d’une culture qui a tant inspiré l’architecture occidentale moderniste. FRÉDÉRIC ISOLETTA

20 maisons nippones Isabelle Berthet-Bondet Éd. Parenthèses, 32 euros

Miroir réponds moi Nous connaissons de très beaux ouvrages sur le regard porté par l’occident sur les cultures extra-européennes, sur «les autres mondes» et sur leurs arts, premiers ou non. Mais il est plus rare de se découvrir dans le miroir, et de contempler comment «l’autre» nous perçoit… Hors des sentiers battus, le beau livre L’homme Blanc, vu à travers les œuvres d’art des civilisations non occidentales de l’anthropologue Nicolas Menut est une curieuse invitation à un exotisme excentré peuplé d’œuvres surprenantes parfois inconnues à ce jour, représentant l’homme blanc dans les arts non

occidentaux. Richement illustré et documenté, le regard inversé oscille entre art et histoire, intimement liés, ou comment les figures des «sauvages» qui devenaient familières des conquérants européens percevaient «l’autre au teint pâle» dans leur univers symbolique et artistique. Surprenant ! F.I.

L’homme blanc Nicolas Menut Éd. du Chêne, 39,90 euros

Cambodge, l’Atelier de la Mémoire Soko Phay-Vakalis Sonleuk Thmey Editions Livre + DVD 35 euros


LIVRES/ARTS 59

Globe-trotter éclairé

Bruno Moinard, architecte, designer et scénographe, est un promeneur passionné de dessin et de peinture : dès 9 ans, il use crayons et pinceaux entre «les crêpes à la confiture et le potage du soir»… et pose déjà les bases de ses futures architectures : lumière, transparence, symétrie. La partition est ardue mais la note sera juste comme en témoigne l’album Bruno Moinard, L’architecte promeneur, textes de Serge Gleizes, préface de Raymond Depardon, palette d’aquarelles et kaléidoscope photographique de ses réalisations. Élégant dans son ordonnancement, sobre dans sa mise en page, ce carnet de voyages va à l’essentiel, fidèle à l’esprit qui prévaut à l’ensemble de ses travaux. En famille en Normandie ou aux quatre coins du globe, gouaches et encre de Chine sont «une bouée de sauvetage, une aire de repli» contre le bruisse-

Beautés de l’Est

Si vous rêvez des pays de l’Europe de l’Est, que vous y envisagez un voyage prolongé ce beau livre vous servira de guide de premier choix. Jocelyne Fritsch (textes) et Gérard Lacoumette (photos) qui explorent cette partie de l’Europe depuis de nombreuses années, ont choisi de se laisser guider par 38 sites classés patrimoine mondial de l’humanité ou réserve de la biosphère par l’Unesco. De leur itinéraire de près d’un an ponctué le plus souvent de séjour chez l’habitant, les auteurs ont sélectionné les neuf cent photos jalonnant ce livre que contextualisent commentaires, cartes et nombreuses légendes. Il est difficile dans ce genre de projet d’échapper au guide touristique, mais l’essentiel de l’ouvrage est une authentique invitation au voyage et à la rencontre avec le patrimoine naturel et humain,

ment incessant du monde : l’Europe et ses terres familières, la Méditerranée et ses terres inspirées, l’Asie terre de paradoxes, la Russie terre des extrêmes et enfin les États-Unis, terre de métissage. Des continents qu’il «traque» à travers les paysages qu’il traverse, les hommes qu’il rencontre, les villes qui l’accueillent, les monuments qu’il restaure ou les maisons qu’il construit. Avec, en filigrane, les connexions entre les promenades d’un l’homme et les réalisations d’un artiste. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Bruno Moinard, L’architecte promeneur Textes Serge Gleizes, préface Raymond Depardon Éd. La Martinière, Coll. Styles, 45 euros

au plus près de l’histoire des habitants des dix sept pays parcourus. En République tchèque le baroque s’expose aussi sur les façades lumineuses des fermes d’Holašovice ; l’île d’Hiiumaa longtemps interdite par l’Armée rouge s’est convertie en une exceptionnelle réserve naturelle ; l’art symbolique et décoratif du bois sculpté de Maramures a pu survivre aux années Ceausescu mais le massif du Pirin en Bulgarie, malgré son classement, continue de subir les dommages irréversibles dus aux aménagements touristiques. CLAUDE LORIN

De la Baltique à la mer Noire Éd. Les Petites Vagues, 39 euros

Le grand tour Ce tour du monde et de l’histoire de l’art en 100 chefs-d’œuvre nous invite à caboter confortablement depuis chez soi en trois chapitres : voyage au pays de l’œuvre, voyage au cœur de l’œuvre, voyage à travers l’œuvre, cette dernière thématique s’intéressant davantage aux scènes d’extérieur, de paysages aux références italianisantes, orientalistes ou exotiques. Par son important format l’ouvrage donne la meilleure part aux reproductions souvent pleine page ou à double volet dont bénéficie exceptionnellement et à juste titre le Retable de San Zeno de Mantegna. Sept sont reproduites avec un double amovible en guise de préambule. Dommage que les nécessités de mise en page rognent ailleurs plusieurs reproductions. La sélection s’est portée majoritairement sur la peinture, et suivent d’autres médiums, sculpture, arts graphiques (dessin, aquarelle), arts décoratifs. Si on n’échappe pas

à La Joconde ou au Radeau de la Méduse, ce tour du Louvre nous permet de rencontrer de belles inconnues comme cette Vue du Val d’Arco de Dürer (plume, encre brune, aquarelle, rehauts de gouache), la surprenante Egyptienne au Naos modelée par Clodion en 1780, l’orientale et vaporeuse Caravane peinte par Alexandre Decamps ou la doyenne du musée, une statue de forme humaine de Aïn Ghazal (Jordanie) datant du néolithique. Les notices plutôt succinctes situent l’artiste et son parcours, l’origine et l’histoire de l’œuvre. Un petit macaron en haut de page indique le pays d’origine ou de référence pour renvoyer à une carte en fin de lecture. Un bel ouvrage somme toute classique, qui ne s’embarrasse pas de longues exégèses, destiné aux non initiés comme aux amateurs plus éclairés. C. L.

Un tour du monde en 100 chefs-d’œuvre du musée du Louvre Éd. Géo / Prisma Presse, 35 euros

Quand la photo est Je Un des paradoxes de l’acte photographique est que le photographe se retrouve rarement dans l’image qu’il a prise lui-même. À moins de passer par une tierce personne - mais en ce cas est-ce un autoportrait ? - ou bien d’envisager quelque délicat subterfuge ou savant dispositif visuel. Toujours est-il que dans l’autoportrait peint, sculpté, littéraire se manifeste la question du «je» que la photographie ne contribue pas à clarifier, d’autant que ce médium est censé n’être qu’un enregistrement de la lumière sur un support, un acte objectif. Après une présentation historique de l’autoportrait à partir d’un cliché de 1840 (l’autoportrait d’Hippolyte Bayard mis en scène en noyé), Susan Bright démêle avec clarté et concision les mises en jeux photographiques de ce genre artistique à travers les œuvres de soixante quinze artistes contemporains internationaux et

cinq axes de questionnement : l’autobiographie, le corps, la mascarade, studio et album, la performance. À côté des plus renommés tels Martin Parr, Joan Foncuberta, Nan Goldin, on découvre entre autres Aneta Grzeszykowska (mimant Cindy Sherman), Janieta Eyre (scènes néo-pop étranges), Serge Comte (morphing et Post-it), Jemima Stehli (striptease/voyeurisme/pouvoir), Jeff Harris (propositions interactives via le web)… Le principe d’autoportrait permet d’interroger notre histoire personnelle, l’emprise collective et sociétale, le réel et le fictionnel ainsi que les dispositifs formels mis en œuvres. Comme le souligne Susan Bright, artiste ou non, il n’y a rien de plus banal que de s’auto photographier. Cet Auto Focus participe à en mesurer les incidences. C.L .

Auto Focus, l’autoportrait dans la photographie contemporaine Éd. Thames & Hudson, 34,95 euros


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LIVRES

MUSIQUE

Avant-garde arrière… Jean-Noël von der Weid complète son encyclopédie de la musique du siècle passé (parue en 2005 alors chez Hachette Littératures), riche en bouleversements esthétiques et dont la synthèse est difficile à réaliser tant les courants sont divers, voire opposés. En deux grands chapitres divisant le siècle à partir de 1945, sur un plan organisé par nations, il présente les principaux courants, du sérialisme à la musique électronique, et les grands figures de musiciens : des avant-gardes initiales (Debussy, Schoenberg, Stravinsky, Bartok, Varèse..) aux désormais «classiques» (Messiaen, Schaeffer, Boulez, Cage…). Un ouvrage qu’on abordera avec tolérance pour ne pas sombrer dans l’intolérance de ses commentaires subjectifs et méprisants, du type «La voix

humaine (1958 ; texte de Jean Cocteau) est une manière d’Erwartung à la française - ratée». Il ne cite Gershwin que pour sa «niaiseuse Rhapsody in Blue (1924)» et parle du «marigot mystique d’un John Taverner ou d’un Arvo Pärt» ! Dommage que l’auteur néglige hautainement les préfixés «néo» ou «post» et biffe de son essai (c’est finalement commode mais fort paradoxal pour une collection intitulée «Pluriel» !) des compositeurs comme Ravel, Richard Strauss, Prokofiev… JACQUES FRESCHEL

La musique du XXe siècle Éd. Fayard, 19,90 euros

Jeune musique ancienne Josquin Desprez (on trouve diverses orthographes de ses nom et prénom) était le plus grand compositeur de son temps. Né au milieu du 15e siècle, le musicien a effectué une carrière «classique» pour l’époque, en grande partie en France avant son retour à Condé-sur l’Escaut à la fin de sa vie en 1521 (il est l’exact contemporain de Léonard de Vinci). Il n’existe qu’un seul portrait de lui, sujet à controverse, et les détails biographiques le concernant sont assez épars : du coup les études universitaires le concernant sont peu nombreuses. Jacques Barbier prend le parti d’en établir des jalons, en tenant compte des dernières données de recherches musicologiques. La partie la plus capti-

vante, à l’usage d’étudiants, de musiciens, chefs de chœur ou de purs curieux désirant se plonger dans un univers passionnant de l’histoire des arts, est consacrée à l’analyse de son œuvre, immense - hors celle supposée apocryphe 18 Messes, une soixantaine de Motets, près de 80 pièces profanes - mais encore sous-enregistrée par les spécialistes de musiques anciennes. Un incontournable ouvrage de référence dans un domaine encore à défricher ! J.F.

Josquin Desprez Bleu nuit éditeur, 30 euros

Blues du businessman Pascal Nègre est aujourd’hui un personnage «médiatique», surtout depuis ses apparitions dans quelque émission promouvant (en sus de divers produits loués à coup d’interminables spots pub lacérant le programme TV) de jeunes interprètes dits autrefois «de variété». L’homme, à l’orée de la cinquantaine, président depuis 1994 d’Universal Music France, a acquis une expérience unique dans le domaine de la production discographique. Il livre son aventure, à la première personne, dans un style simple qui se lit d’une traite. On se laisse porter par son ascension, de ses premières affinités musicales dans les années 70 aux débats sur la

loi Hadopi, et nombre d’anecdotes sur les célébrités que le businessman a côtoyées. S’il prend ici la souris, c’est pour «répondre aux questions sur son métier», dire ses vérités sur la réalité des gains enregistrés par les artistes et les majors, le téléchargement illégal, la crise du disque et le futur de ses maisons, au gré de chapitres sur Johnny et ses affaires, la «Star Ac’» et de croustillants caprices de stars… J.F.

Sans contrefaçon Éd. Fayard, 19 euros

Bienvenue au cirque électrique Johnny Allen Hendrix dit Jimi Hendrix aimait de la scène saluer ses fans avec cette maxime stimulante. Hélas, après seulement trois années d’une carrière aussi fulgurante que détonante, le voilà entré à tout jamais aux côtés de Jim Morrison, Brian Jones, Janis Joplin et plus tard Kurt Cobain dans le fameux «27 Club», nécropole dorée d’anges musiciens (et oiseaux de nuit…) s’étant brûlés les ailes bien trop tôt, à peine âgés de 27 ans. Cela fait justement quarante ans et des poussières que Jimi Hendrix a été retrouvé mort dans un hôtel londonien. L’occasion pour Frédéric Martinez de

rendre hommage à cette figure de légende, pape noir de la religion rock’n roll. Dix-sept chapitres jalonnent à rebours cet ouvrage précieux pour permettre de découvrir sous un angle bouleversant et passionnant le petit garçon bègue devenu la référence absolue en matière de guitare heroe, mais aussi du fameux adage sex, drug & rock’n roll. FRÉDÉRIC ISOLETTA

Jimi Hendrix Frédéric Martinez Éd. Tallandier, 12 euros


DISQUES

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Éloge du développement Longtemps Leonard Bernstein s’est posé la question : «Qu’est-ce qui fait une symphonie ?». Le chef d’orchestre, pianiste et compositeur américain avait d’ailleurs consacré l’un de ses légendaires Young People’s Concerts (émission télévisée à caractère pédagogique qu’il présenta dès 1958) à ce sujet. Une symphonie se définit-elle au nombre d’instrumentistes qui composent l’orchestre, à l’ordre ou aux dimensions de ses mouvements ? Est-elle une excroissance de la sonate classique ? Pour Bernstein, c’est la section centrale d’un mouvement, entre l’Exposition et la Réexposition des thèmes qui fait la symphonie : soit le Développement. Du coup pour lui : la symphonie c’est la vie ! Le Développement en musique c’est «la même chose que ce qu’il signifie dans la vie. Les grandes œuvres musicales ont leur propre existence, qui se déroule du début jusqu’à la fin du morceau. Et pendant cette période, tous les thèmes, toutes les mélodies et les idées musicales qu’a eues le compositeur, si petites soient-elles, grandissent et se développent

Tout savoir ?

Le concept digest importé des States «For Dummies» («Pour les Nuls») a abordé le domaine de la musique classique en 1997 chez Wiley Publishing Inc. Treize ans plus tard EMI/Virgin importe l’idée en France. Au gré d’un livret d’une centaine de pages, on suit par ordre chronologique quelque 147 jalons de l’histoire musicale occidentale. Six disques balaient le Moyenâge, la Renaissance et le Baroque, le style Classique, l’essor et l’apogée du Romantisme, l’esprit des Nations et ouvre sur la Modernité. Un moyen d’acquérir

Samson retrouvé

Samson François est mort subitement il y a quarante ans, en 1970, après, seulement, un quart de siècle de carrière. Il avait 46 ans, dans la poche un concours Marguerite Long acquis à 19 ans, une vie de fumée de cigarettes dans les poumons, des nuits passées à fréquenter les boîtes de jazz, dormir le jour… Que de magnifiques pianistes français sont nés depuis sa disparition ! Mais dans la foulée de Cortot, Samson François n’a pas d’épigone. Il fut l’archétype du pianiste romantique, soliste roi, une personnalité qui jouait avec la liberté d’un dandy rebelle et qui, tel

gne de son activité de titan entre la fin des années 50 et le début des années 70 (ce qui a nui hélas à son immense talent de compositeur). On y trouve tout Beethoven, Brahms, Mahler, Schumann, Sibelius, Tchaïkovski ou Bernstein… et tant de chefs-d’œuvre de Berlioz, Bizet, Bruckner, Haydn, Hindemith, Ives, Copland, Franck, Nielsen… Une lumineuse idée de cadeau ! Nécessaire, parce qu’une symphonie ne peut s’écouter en digest, par plages de 3 minutes comme l’impose internet… ou les compilations diverses ! JACQUES FRESCHEL

pour former des œuvres pleinement abouties, exactement comme les bébés grandissent pour devenir des adultes». Durant des années à la tête du New York Philharmonic, Bernstein en a fait l’expérience… Un magnifique coffret, hors normes (réunissant 60 disques !) témoi-

quelques repères indispensables à l’écoute de must du répertoire, et d’écouter de grands interprètes de la firme discographique. De là à répondre à la formule, risible tant l’océan de savoir en la matière est insondable, «Vous saurez tout, en toute décontraction !»… Une vie, heureusement, n’y suffit pas. Et si le fonds d’EMI est considérable, d’autres maisons aussi conservent la mémoire de la musique…

The Symphony Edition Leonard Bernstein Box 60 CD grand format Sony Classical, 56 euros

La musique classique pour les nuls Coffret 6CD EMI Music France, 20 euros

J.F.

Poulenc, se situait entre le moine et le voyou. Star de son temps - si l’on excepte les dernières années où, surmené, il s’écroulait parfois durant les concerts - il enregistra beaucoup : Chopin avant tout (qui constitue près de la moitié de cette intégrale), Debussy bien sûr et Ravel, Franck, Fauré, Schumann, Prokofiev… Tout y est, en 36 CDs, du studio (voire en 78 tours) et de ses enregistrements publics à Londres, Besançon, au Japon, à Pleyel… Du piano d’exception !

Samson François Coffret 36CD EMI Classics, 70 euros

J.F.

Musique au Chœur Couronné à trois reprises dans les années 2000 Ensemble de l’année aux Victoires de la Musique, le Chœur Accentus fondé par Laurence Equilbey en 1991 est l’invité régulier du Grand Théâtre de Provence. Outre ses succès au concert, Accentus a rencontré l’adhésion du grand public grâce à ses enregistrements de Transcriptions ou un somptueux Requiem de Fauré mariant sobriété et lyrisme, des lumières diaphanes à un indispensable pathos expressif. On retrouve ces disques associés à une galette thématique autour de la Nativité. Ce qui fait la force de ce chœur est sa texture propre. En effet, la chef apporte un soin subtil au choix des

voix, au mixage des timbres qu’elle modifie selon le répertoire abordé. Les deux tiers des chanteurs ont une technique vocale traditionnelle : «des voix bien homogènes qui peuvent chanter la mélodie française ou le Lied allemand avec des belles lignes, un beau galbe, une belle souplesse, un certain type de vibrato bien contrôlé…». C’est la base d’un nuancier vocal savamment dosé, de timbres plus ou moins légers, lyriques, vibrés ou «droits». Tout y est question d’équilibre ! J.F.

Accentus/Equilbey Coffret 4CD, Naïve 18 euros


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DISQUES/DVD

69 année électrique Conçue à l’origine pour être jouée dans la rue, la musique présente dans cet album sort tout droit des pavillons cuivrés de la fanfare explosive La friture moderne, et même De Luxe si on retourne aux sources. Pour en finir avec 69 rend hommage à une période que certains voudraient révolue tant par son esprit que par ses valeurs. Ce retour vers le passé passe par neuf titres à «tiroirs» qui revisitent la prolifique année 1969, proposant même sous forme de medley des extraits du Liberation Music Orchestra. Hendrix, Brigitte Fontaine, Pharoah Sanders, Gainsbourg, Pink Floyd, Bowie, Carla Bley, Janis Joplin, Frank Zappa…

Ce beau monde passe allègrement à la moulinette swinguée et funky de cet orchestre festif bouillonnant qui ne fait pas dans la demi-mesure et qui a le bon goût de retrouver des trésors cachés comme par exemple Heart beat, pig meat des Pink Floyd, indicatif du Zabriskie point d’Antonioni, film réalisé en… 69 ! FRÉDÉRIC ISOLETTA

Pour en finir avec 69 La Friture moderne distribution Orkhestrâ

En français dans le texte Complètement rock, le deuxième disque des rouennais de Radiosofa n’a pas vécu un accouchement facile, mais malgré une gestation compliquée, le voilà parti sur de bons rails, prouvant qu’il est encore possible de faire du bon rock dans la langue de Molière. Avec des tubes potentiels comme Hiroshima, Le souffle court ou Les portes, et un certain Da Silva en guest passé en coup de vent, Le souffle court et ses onze titres présente une lecture à double face. Agité ou sombre, Rouen Calling ou mélancolique, l’alternance

Le Sel de la Terre

Le Guépard, septième film de Luchino Visconti, Palme d’Or en 1963, a fait l’objet d’une attention toute particulière de la Film Foundation. Son fondateur et président, Martin Scorsese, ne mâche pas ses mots en évoquant ce «récit épique sur l’Histoire et les machinations du progrès en marche», où «chaque geste, chaque mot et la place de chaque objet dans chaque pièce convoque un monde disparu». Un monde que l’on sait d’avance révolu, un héros sans autre mission que celle de disparaître. On reprocha à l’époque à Visconti, pourtant initiateur d’un cinéma néo-réaliste populaire engagé, d’avoir adapté l’œuvre de Lampedusa, jugée réactionnaire. Ce récit du déclin de l’aristocratie italienne, bien que poignant, n’épargne pourtant pas ses protagonistes. Il semble surtout faire écho aux multiples alliances politiques italiennes, dont celle qui avait suivi le fascisme mussolinien, entre la droite chrétienne et le parti communiste. Depuis

règne à merveille dans cet album mature, un peu noir. Chanter sa rage en français, c’est un engagement en soi : le paysage «franco-klaxon» a besoin de nouvelles chansons déridées ! F.I.

Le souffle court Radiosofa Opposit.Prod - Discograph

1953, onze gouvernements s’étaient alors succédé... Et s’il a accepté de laisser transparaître à l’écran le pessimisme indécrottable du Prince Salina, Visconti a su cependant livrer une œuvre d’une beauté saisissante : la campagne sicilienne ensoleillée, le somptueux bal au palais de Ponteleone et ses airs de Requiem, les décors, costumes et mobiliers d’époque choisis avec le plus grand soin, et, bien sûr, les visages radieux d’Alain Delon et Claudia Cardinale… Sublimés par un travail de restauration on ne peut plus abouti. On ne saura que vous conseiller de revoir ce film qui est ressorti en salles (depuis le 1er déc au cinéma Le Royal à Toulon), afin de rendre justice à toutes les subtilités et la richesse de l’image, notamment de la scène finale, qui nécessita à ce réalisateur décidément perfectionniste 48 jours de tournage.

Le Guépard est disponible en DVD et BluRay en édition limitée Dernière Danse et premiers pas, un dossier de 50 pages sur les origines du film et son contexte illustré de photos inédites

SUSAN BEL

Beau babil du génie Il aura fallu dix ans pour restaurer ces petits bijoux. Trente-cinq courts et moyens métrages où apparaît pour la première fois le célèbre vagabond, tournés par les studios Keystone en l’espace d’un an, jusqu’au passage de Charlie Chaplin derrière la caméra en 1915. Découvert dans un théâtre de la côte est par le roi de la comédie, Mack Sennett, cet acteur de vaudeville laissait deviner un certain potentiel ... Les multiples diffusions et copies ont eu raison de cette période prolifique, dont nous n’avions que peu de traces, ou des versions incomplètes, souvent usées. Vingt ans avant la création des cinémathèques, l’idée même de conservation n’avait pas effleuré les studios Keystone, qui firent faillite en 1917. Et si Charlie Chaplin a su par la suite prendre soin de ses réalisations, il

n’a jamais entamé de démarche de restauration pour ses premiers films, puisqu’il n’en était pas l’auteur, et n’estimait pas nécessaire d’accorder à ses balbutiements autant de considération. Ce fut un grand tort ! Réparé par ce Keystone Project, coédité par Arte et Lobster Films, en collaboration le British Film Institute et la Cinémathèque de Bologne, au fil d’un travail d’une infinie minutie : restauration de copies neuves retrouvées aux quatre coins du monde, ajout de compositions musicales originales … Si bien qu’on se retrouve happé par chacune de ces saynètes où le célèbre vagabond prend vie et forme, bercé par les modèles de la pantomime britannique. S.B.

La naissance de Charlot Arte édition, 40 euros Coffret DVD disponible depuis le 17 nov


LIVRES

Spectres C’est un tout petit roman, parfait de bout en bout, qui commence comme une histoire fantastique et fourmille de souvenirs littéraires qui ont le bon goût de rester discrets. Un être étrange, translucide, grisâtre, traverse l’espace et se nourrit de jus et de lait. Passe devant la fenêtre, goûte à la chaleur du soleil, puis disparaît. Sauf que cela ne se passe pas chez Maupassant ou Edgar Allan mais à Nagasaki, chez un Japonais quinquagénaire, banal employé un brin trop taciturne qui installe une webcam et se met à guetter l’apparition qui… La construction inédite de ce petit roman mérite que l’on respecte ses surprises, ses étrangetés surtout, qui rappellent au détour inattendu d’une page la bombe et les ruines, inconscient refoulé qui va surgir dans toute la singularité de sa violence. Pascal Quignard est

cité en exergue, ce qui n’a rien d’un hasard : comme lui Éric Faye ménage de splendides épiphanies, et offre des frustrations délicieuses. C’est lorsque le livre se clôt, que les dernières pages arrivent, que l’on est pris enfin, totalement absorbé par la résolution en cascades des mille questions posées. Les fausses pistes narratives, histoire d’amour, de solitude, policière, fantastique, judiciaire, kafkaïenne sont définitivement évacuées et l’on se rend compte soudain que le récit va se clore. Là. Face à ce personnage superbe révélé au regard. Une fois. Juste à la dernière ligne. AGNÈS FRESCHEL

Nagasaki Éric Faye Éd. Stock, 13 euros

Lecture éphémère Depuis 1999, Maxence Fermine publie des romans pleins de voyages et d’exotisme. Le papillon de Siam, paru au printemps dernier, ne fait pas exception à la règle. Et va même plus loin que les précédents, puisqu’il est une biographie romancée d’Henri Mouhot. L’histoire de cet explorateur peu connu du XIXe siècle, envoyé au Siam pour en rapporter un spécimen rarissime de lépidoptère et premier découvreur de la cité d’Angkor, ne manque pas de romanesque en effet. Et de la Russie tsariste aux rives du Mékong, il y a dans l’existence mouvementée quoique brève de ce «voyageur dans l’âme» de quoi alimenter une belle fiction d’aventure. Hélas, dès le début, le ton est donné. Passons sur la description augurale de la 1ère neige dans une cour de lycée, il vaut mieux. Deux pages plus loin, décrivant le héros adolescent, Fermine écrit : «Lecteur passionné, il s’évade de la prison du quotidien par la force des voyages intérieurs». Tout est à l’avenant dans

ce récit qu’on lit vite, qu’on oubliera sans doute plus vite encore. Au point que le lecteur en vient à se demander si le style, ampoulé, farci de clichés, n’est pas volontaire. Clin d’œil à la littérature d’évasion du XIXe ? Dans ce cas, autant se replonger dans Paul d’Ivoi et consorts, dont l’énergie narrative et l’orientalisme fastueux ont un charme désuet…mais certain ! Ici, on ne s’attache guère au personnage et même la magie d’Angkor ne joue pas. L’alchimie romanesque est si fragile. Comme une aile de papillon ? FRED ROBERT

Le papillon de Siam Maxence Fermine Éd. Albin Michel, 14,50 euros L’auteur est venu parler de son roman à Marseille et Tarascon fin novembre, dans le cadre des Escales en Librairies

Jean écrivain et témoin Jean Rouaud, ange étymologique, est aussi le roi de la parenthèse, même lorsqu’il n’use pas explicitement de ce signe de ponctuation. Les Éditions des Busclats, fondées entre autres par Marie-Claude Char dans une maison de poète, ont proposé à l’écrivain de faire un «pas de côté» en marge de son œuvre, d’ouvrir son jardin secret pour une courte promenade au gré de son imagination dont l’aboutissement, Evangile (selon moi), est un petit chef-d’œuvre (petit sans doute) d’intelligence et de haute malice. Recueil de textes de commande autour de l’iconographie religieuse ou d’épisodes des évangiles, agrémenté d’un avant-propos inédit dont les 22 pages tiennent lieu de manifeste d’écriture pour toute l’œuvre, ce drôle d’ouvrage balade le lecteur entre proses incisives, formes dialoguées ou vers sans complexe ; oser ce monologue trivial de Marie devant son fils, grand garçon qui pend à la croix ou ces apartés cyniques du disciple préféré commentant la catastrophe «c’est bien lui ; en mauvaise

posture, il la ramène encore», nécessite une main très sûre quand on n’est pas Claudel ! Le miracle, c’est qu’il n’y a rien de ridicule ni de figé dans cet exercice de style qui touche aussi à l’essentiel ; question de distance, bonne, et de regard, juste; le métier du romancier qui sait choisir ses mots brille à chaque page : à propos de l’Apocalypse d’Angers, produit du 14è siècle «la tapisserie est une cathédrale molle. Préférer le mobile à l’immobile, c’est déjà le signe que l’éternité vacille». Quand on se prénomme Jean et que les dernières paroles du père mourant souhaitent une bonne fête, on se sent «concerné au plus haut point». Jusqu’à écrire un 5è évangile souriant ! MARIE-JO DHÔ

Jean Rouaud était présent à Marseille et Aix les 1er et 2 déc (voir p 70) Évangile (selon moi) Editions des Busclats, 15 euros

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LIVRES

LITTÉRATURE

Incitation au voyage Pour commencer, plus de 100 pages de photos noir et blanc sans titres (ceux-ci sont précisés à la fin de l’ouvrage). Des vues d’ensemble ou de détails, insolites, poétiques. Peu de repères connus, on est loin des guides touristiques habituels et de leur polychromie agressive. Loin aussi des itinéraires obligés. Car d’Istanbul, qu’elle connaît bien, Catherine Izzo a voulu donner sa vision, intime et vagabonde. Après l’album photographique, ces Carnets curieux retracent donc une série de promenades, tout en sensations et impressions, témoignages subtils de l’ «état singulier» de la narratrice dans cette ville où elle «vient et revient encore», où elle reste étrangère et pourtant se sent chez elle. Florilège d’errances volontaires dans une cité dont elle consigne mutations et invariants, se perdant à loisir hors des sentiers battus, à la recherche du pouls profond de cette ville insaisissable. Rien à voir donc

avec un quelconque «Istanbul en x jours» ; il s’agit plutôt d’inviter le lecteur-voyageur à découvrir la capitale culturelle turque autrement, d’en souligner la complexité et de relativiser certaines images, celle de l’islamisation de la Turquie par exemple. Catherine Izzo rend ainsi hommage à la ville et à ses habitants, amis ou inconnus, dont elle vante «l’accueil fabuleux» et l’esprit ouvert. «Quelques clefs sur la Turquie» et un glossaire complètent cet élégant carnet de carton gris, qu’on pourra aisément glisser dans son bagage. Ou juste lire, pour rêver… FRED ROBERT

Istanbul, carnets curieux Catherine Izzo Éd. du Bec en l’air, 32 euros

Rencontrer Zouc Quel est votre héros favori ? La collection Figures libres de L’Olivier propose à des auteurs d’y répondre, et Maryline Desbiolles s’est exercée à l’exercice. Cela donne Une femme drôle, un drôle de livre consacré à Zouc. Mené de l’arrière-scène jusqu’au rideau final en une succession de brefs chapitres, comme pourraient s’enchaîner les sketches d’un nouveau spectacle de l’étrange Suissesse, si celle-ci faisait encore de la scène, ce texte atypique n’a rien d’une monographie (pour cela, Internet suffit). Non, il s’agit plutôt pour Desbiolles de débusquer, au fil des pages, l’identité profonde de cette femme, partant souvent de ce qu’elle n’est pas et accrochant au passage des bribes d’elle, voix, accent, allure, jusqu’aux lettres de son nom ! Tout ce qui fait qu’elle «prend tout de Zouc», qu’elle «gobe toutes les énormités de Zouc proférées par son gros corps massif», depuis que, dans les années 70, elle s’est lais-

sée, une fois pour toutes, envahir par elle. Un portrait sensible prend alors forme, touche après touche, jusqu’à l’étonnant tableau final, tandis qu’émergent avec lui les souvenirs d’enfance de l’écrivaine, comme des fils tendus entre les deux femmes. Car entre Zouc qui «a perdu sa langue, sa langue d’usage, du bon usage» et Maryline Desbiolles qui a rapidement compris que «la connaissance de la langue ne sert à rien, que rien est [sa] vocation», il ne pouvait y avoir que connivence. Même si elles ne se sont jamais rencontrées en vrai… F.R.

Une femme drôle Maryline Desbiolles Éd. de L’Olivier, 11 euros

Noir, c’est noir Noir Toscan porte bien son nom tant ce roman pastoral laisse peu de place au camaïeu. Ni gris anthracite ni ciel nuageux, c’est du pur charbon. Dans le village d’Accona, en Toscane, rien n’est plus pareil depuis l’exode des «travailleurs de la terre» ; alors quand l’homme venu du Sud s’installe dans la ferme de Rofanello, c’est un étranger qui occupe la terre, pas un Italien. Maçon de surcroît, pas paysan ! Son surnom est vite trouvé : ce sera Noir ! Désertion des campagnes, rejet de l’autre, solitude, sur cette trame Anna Luisa Pignatelli tisse une ode à la nature aux accents lyriques car Noir, seul depuis la mort de sa femme et la fuite de son fils, en butte à l’hostilité du village, n’a de bonheur qu’avec la Nature. Et l’auteure d’envelopper d’une infinie douceur chacun de ses gestes en symbiose avec les animaux et la forêt et de noircir les sentiments des hommes. A contrario de l’imbécillité du braconnier - son pire ennemi -, de la misanthropie de Noir, de la rugosité de son tempérament, elle puise dans le vocabulaire religieux pour évoquer son «territoire béni» : c’est dans

cette dualité systématique entre la lumière divine de la nature contre la force du mal chez l’homme que s’équilibre ce court roman, quitte à chuter. Car la malédiction tombera sur Rofanello et Noir connaîtra l’enfer : une louve (miroir de lui-même victime de la haine des paysans) fera son apparition, bientôt traquée par la population… Écrit avec une plume mordante Noir Toscan souffre de cette posture manichéenne qui fait de Noir l’unique sauveur de la bête, figure héroïque du bien contre le diable. Tout est décidément trop noir et blanc. M.G.-G.

Noir toscan Anna Luisa Pignatelli Traduit de l’italien par Alain Adaken Éd. La Différence, Coll. Littérature étrangère, 14 euros L’ouvrage a reçu le Prix des lecteurs du Var présidé par l’écrivain Elias Khoury à la Fête du livre de Toulon les 19, 20 et 21 nov


LIVRES

Plate amertume Un prix Nobel de littérature peut-il parfois écrire mal ? pas très mal mais normalement mal ? Pour répondre semble-t-il à cette angoissante question Actes Sud vient de publier un court roman de Naguib Mahfouz, Karnak Café, écrit en 1971, dont l’adaptation cinématographique, portée par de grandes stars nationales avait en son temps fait du bruit (succès public, interdiction à la télévision). Le Caire, le milieu des années 60 et le café, lieu de prédilection de l’auteur et du narrateur, caisse de résonance de toutes les rumeurs du monde ; une tenancière un peu défraîchie mais bien gironde et pour cause : la diva des danseuses du ventre à l’ancienne, femme de l’art et de tête ; va pour un premier chapitre qui porte son nom ; le parfum de ses amours constitue la matrice du récit, déroulant les événements quotidiens commentés par les habitués dont la disparition sporadique et régulière va constituer le cœur des trois chapitres suivants tout aussi éponymes (Ismaïl, Zaynab et Khalid le méchant).

Chronique des années sensibles - l’Égypte n’en est sûrement pas sortie - et même terribles : où sont ces étudiants bavards mais loyaux ? enfermés, torturés, violés comme Frères Musulmans ou Communistes qu’ils ne sont pas… La narration ne manque pas de contenu et aurait mérité un traitement moins démonstratif ; les dialogues restent convenus et les personnages parlent sagement. La désillusion et l’amertume de Naguib Mahfouz sont d’une universelle justesse, pas son écriture plate, parfois naïve et pesante, dont certaines formules (la dernière ? «pour que renaissent la pureté et l’innocence») laissent franchement rêveur. MARIE-JO DHÔ

Karnak Café Naguib Mahfouz Traduit de l’arabe par France Meyer Éd. Actes Sud, 16 euros

Arménie mon amour

Nos terres d’enfance, L’Arménie des souvenirs est né à Bolis (Constantinopolis) et pensé comme un voyage littéraire, un retour aux racines pour «revisiter à travers des œuvres mémorielles ou artistiques, à travers des récits de fiction, les terres d’enfance arménienne». Le liminaire rappelle quelques dates clef de l’histoire du peuple Arménien afin de mieux éclairer les textes des 43 auteurs qui ont nourri leur œuvre de souvenirs d’enfance ; 43 extraits de textes écrits en mémoire de pays vécus ou de pays rêvés… L’anthologie gommant volontairement le temps et l’espace, on vagabonde au gré des pages dans cette littérature de l’exil où le nomadisme fut subi et l’errance involontaire ; où la langue maternelle fut parfois oubliée au profit de la langue instrumentale. L’enfance de Nina Berberova baignée dans les cultures arménienne et russe, les excursions familiales de Zabel Essayan, la protection heureuse du père de Nicolas Sarian dans la chambre noire (instants lumineux…), la douceur de jours sucrés comme un baklava pour

Vahan Totovents, l’effroyable désespoir de Léon Surmelian de retour dans sa maison désertée… L’Arménie des souvenirs est complexe ! Et les écrivains sont uniques : ceux qui furent en quête d’intégration absolue, dans le déni des origines, ceux qui rejetèrent leur pays d’adoption, qui s’enfermèrent dans leurs souvenirs jusqu’à devenir mutiques, ceux encore qui revendiquèrent «une irréductible singularité». Happé par cette littérature rémanente qui dit les réalités vécues comme les vérités fantasmatiques, une seule envie : s’engouffrer chez un libraire pour entamer une longue conversation avec les 43 auteurs. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Nos terres d’enfance, L’Arménie des souvenirs Anahide Ter Minassian, sous la direction de Houri Varjabédian Extraits accompagnés de notices biographiques Éd. Parenthèses, Coll. Diasporales / littérature, 25 euros

Anahide Ter Minassian et Houri Varjabédian étaient les invitées de la librairie Maupetit le 20 nov (voir p 69)

L’alphabet du siècle, de O à Z La Dorothy du Magicien d’Oz, comme Alice ou Blanche Neige, sont des figures ripolinées pour enfants sages, ayant basculé dans des mondes d’une inquiétante étrangeté, grimaçants et sombres autant que criards et sirupeux, selon les versions qu’on en propose. Claro pousse à l’extrême cette ambivalence, dans une fresque atypique qui retrace la première moitié du 20e siècle. Franz Baum, inventeur allumé du Magicien d’Oz, extirpe la jeune Dorothy de son Kansas, pour la propulser dans la féérie mièvre du pays d’Oz. Mais Dorothy resurgit dans le réel en infirmière, puis en ouvrière camée au radium, avec ses compagnons de route : le bûcheron de fer blanc et l’épouvantail sont des rescapés de guerre, l’un privé de corps et reconstitué en homme-machine, l’autre privé de mémoire, parfaits pour l’invention du travail mécanisé ; les jumeaux nains Avram et Eizik se produisent dans des cirques ; Elfeba, la sorcière de l’ouest est une fille à papa épileptique et aviatrice virtuose. On suit ces incarnations tragicomiques et improbables, égarées

dans les inventions du siècle tout aussi incroyables et terrifiantes quoique bien réelles, des tranchées aux asiles psychiatriques des deux guerres, de l’exploitation du radium aux essais atomiques, de la montée des totalitarismes à la grande dépression, des tentations eugénistes à l’essor de l’industrie cinématographique. Variation troublante de l’intertextualité, ici la circulation de l’imaginaire au réel, des références littéraires aux adaptations cinématographiques, fait la matière et la matrice de l’histoire racontée, et du cheminement erratique de ses personnages. Parfois asphyxiant par l’ambition «cannibale» de son propos, comme par sa prose foisonnante, ce roman-tornade tient l’équilibre entre une stylisation léchée et des éclats de violence tragique ou de farce délirante, et nous entraîne, comme Dorothy, dans l’œil du cyclone : on ne peut en ressortir tout à fait indemne ! AUDE FANLO

CosmoZ Claro Éd. Actes Sud, 22,80 euros

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LIVRES

LITTÉRATURE

Madeleine pharaonique Aussitôt lu, aussitôt dégusté ! Le roman de Robert Solé, Une soirée au Caire, aurait pu être une merveilleuse nouvelle. Celle d’un «paradis perdu», d’une Égypte fantasmée, noyée dans les souvenirs d’enfance de Charles de retour sur sa terre natale après un long exil volontaire et heureux à Paris. Charles, aujourd’hui journaliste féru de fouilles archéologiques… Mais dans cette version romanesque, la madeleine se dilue, s’émiette et finit par perdre de sa saveur. Une seule petite soirée au Caire et pourtant, 210 pages plus loin, ce qui aurait pu donner lieu à une palpitante saga familiale se réduit à un nuage de lait. 1963, la famille Batrakani fuit l’Égypte pour Beyrouth, tout proche, Paris, Genève, Montréal ou Rio. Des nombreux conflits politiques et sociaux qui émaillent l’histoire contemporaine, seules les crêtes sont effleurées avec une fausse désinvolture déconcertante ; de la dynastie bigarrée et paradoxale à laquelle il appartient, et dont il croise les destins, ce sont les

anecdotes et les faits d’arme qu’il évoque. Pourtant Robert Solé, derrière cette distance amusée, interroge le problème de la double identité («un demi-égyptien de mon genre»), de l’oubli peut-être nécessaire à la survie de l’exilé («mon amnésie volontaire»), mais le narrateur toujours flotte entre deux eaux. Et la raison de ses soudains retours à la Villa de Qars el-Doubara est bien moins avouable qu’elle n’y paraît : alors à quoi bon la dissimuler jusqu’à la fin derrière un écran de fumée ? Le «suspens» n’apporte aucune tension dramatique particulière, enfumant le cœur du roman dans une volute de plus. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Une soirée au Caire Robert Solé Éd. du Seuil, 17 euros

Chaque saint a son jour de fête… Carlos revient à la petite bourgade paternelle de Tamesis, tout juste à portée des lumières de Médellin, pour en briguer la mairie. Son frère Fernando Vallejo fait le récit à un inconnu de cet épisode familial autobiographique en forme d’épopée burlesque et de chronique villageoise délirante : comment Carlos et son amant, couple quichottesque, partent à la conquête d’un royaume de pacotille, juchés sur leurs ânes. Comment, une fois élu grâce aux morts, le nouveau maire guidé par son amour de la rhétorique latine et ses utopies humanistes, entreprend grands travaux et réformes dérisoires. Comment les deux hommes, entourés d’un curé, de gitons et d’édiles corrompus, baladent en palanquin à porteurs Petit-Chié, leur enfant-roi. Comment déchu, ruiné, emprisonné pour fraudes et aveugle, Carlos finira par mourir avec son vieil amant. Le portrait de ce frère ambigu, maire

valeureux et roi fantoche, authentiquement idéaliste et parfaitement décadent est prétexte à une charge au vitriol contre la Colombie, sa corruption, sa violence, sa misère endémiques, où Vallejo déploie toute l’efficacité d’un humour noir effroyable, et l’étonnante puissance corrosive d’une langue exubérante, qui jouit de sa propre ratiocination, de sa haine roborative et de son anticonformisme cynique jusqu’à la caricature et la saturation : une oraison funèbre qui fait leur fête à tous les saints… AUDE FANLO

Carlitos qui êtes aux cieux Fernando Vallejo Éd. Belfond, 19 euros L’auteur était invité de l’Alcazar le 13 nov dans le cadre des Belles Etrangères

Devoir de mémoire

Vincent Borel livre une fresque historique et sociale qui va de l’après-guerre 14-18 à l’après-guerre 39-45. Pour lutter contre les négationnistes de tout crin, et rendre hommage à Antonio, son grand-père espagnol républicain, et à tous les Espagnols qui se sont battus puis exilés. Vincent Borel relate dans le 1er chapitre une conversation en 2001 où l’un des protagonistes déclare qu’il n’y a jamais eu de chambres à gaz au camp de Mauthausen alors qu’Antonio y a été déporté ; l’autre confie qu’il descend de la famille Gillet, celle des soyeux puis de Rhodiaceta, les rois de la viscose et du nylon, mais aussi des fabricants du gaz moutarde et du Zyklon B ! Commence alors la chronique en chapitres alternés de l’Espagne d’avant le franquisme puis de la prise de pouvoir du dictateur, et du déploiement industriel et

juteux des soyeux lyonnais, devenus collabos sans état d’âme. Les dessous de l’Histoire, les tractations, et la bonne conscience des dames patronnesses qui font la charité aux ouvriers et veillent sur leur âme. Mais aussi le récit de la vie à Barcelone d’Antonio, de son mariage avec Isabel, de la fuite en France, de la guerre et des camps. À la fin l’auteur laisse parler les mots de son grand-père, qui témoignent de l’atrocité des camps. Un livre passionnant pour ce qu’il dévoile, rédigé de façon efficace, sans effets, au plus près du réel. CHRIS BOURGUE

Antoine et Isabelle Vincent Borel Éd. Sabine Wespieser, 24 euros

Robert Solé était invité à la 2e édition des Écritures méditerranéennes les 27 et 28 nov aux Docks de la Joliette.


RENCONTRES

Non au ronron ! © X-D.R

À l’Attrape-mots, les livres se vendent comme des petits pains. Normal : autrefois, le 212 rue Paradis était une boulangerie ! Après 8 ans, Agnès Gateff et ses associés ont fait du lieu une adresse qui compte dans l’univers marseillais des livres. Malgré le peu de déambulation la librairie a su attirer une clientèle variée. Ici, on ne fait pas que vendre : on écoute, on conseille, c’est pour cela qu’on est libraire ; et c’est pour cela que les gens reviennent. Zibeline : En dehors de vos conseils aux clients et des rencontres que vous organisez avec des auteurs, vous animez également un rendez-vous lecteurs auquel vous attachez beaucoup d’importance. Comment cela a-t-il démarré ? Comment procédez-vous ? Agnès Gateff : L’idée m’est venue en voyant les gens qui se parlaient dans la librairie ; j’ai eu envie de proposer quelque chose du même genre, dans un cadre plus formel, pour parler de littérature autrement, entre gens différents, qui ne se seraient jamais rencontrés sans cela. Je voulais qu’hommes et femmes, jeunes et vieux échangent en dehors des clivages

habituels. Et ça a marché ! Depuis 3 ans on n’a pas arrêté. On se retrouve le 1er mercredi de chaque mois à 19h15 pour discuter d’un livre que tout le monde a lu. Chacun apporte un peu à grignoter et à boire et parfois on reste plus de 3 heures. Pour eux comme pour moi, c’est une parenthèse où la parole circule librement. Combien êtes-vous ? Entre 15 et 20, avec un noyau dur de fidèles et d’autres qui changent. C’est bien d’ailleurs que ce ne soit pas toujours exactement le même groupe. Qui choisit les livres ? Moi ! (rires) Avec le désir d’emmener les lecteurs hors de leurs habitudes. Le dernier, personne n’en avait entendu parler. J’essaie de varier, de passer de la littérature française au domaine étranger, du très contemporain au plus ancien, toujours dans le but de susciter des découvertes. Vous semblez craindre la routine… C’est vrai ; j’espère garder à ces échanges leur caractère ouvert, non ritualisé. Je voudrais rester une force de résistance. Au formatage, aux préjugés. PROPOS RECUEILLIS PAR FRED ROBERT

Prochaine rencontre à L’Attrape-mots le 19 janv avec Lionel Salaün pour Le retour de Jim Lamar (voir Zib’33) www.librairie-paca.com

Bouquiniste, vraiment ? Apostille (n.f.) : addition faite en marge d’un écrit, d’une lettre. La définition, Muriel Parrouffe s’en souvenait lorsqu’elle a racheté, en juillet dernier, le fonds de Book’in, sur le cours Julien. Toilettée,

rangée, la nouvelle Apostille porte bien son nom. Non contente d’ «offrir une deuxième vie aux livres», après 6 mois d’existence, la bouquinerie amorce un virage qui ne manquera pas de lui ajouter le «supplément de librairie» auquel sa propriétaire aspire. Pas question de heurter les habitués. L’occasion est donc encore maîtresse des lieux, avec un grand choix d’ouvrages en tous genres, de DVD et de CD également, et surtout un ingénieux système d’échanges qui fidélise la clientèle. Vous rendez un livre ou un DVD après lecture ? Vous pouvez à la place en emporter un autre à moitié prix. Cela fonctionne plutôt bien. Pourtant, là n’est pas l’objectif principal de cette libraire de formation qui entend bien infléchir, en douceur mais sans désemparer, l’orientation de son Apostille. Elle a commencé en proposant aux éditeurs de la ville sa vitrine pour leurs ouvrages. Le Bec en l’air, Parenthèses, Images en manœuvres et d’autres n’ont pas hésité. Ainsi se côtoient le neuf et la seconde main, les beaux livres et les poches, les mangas et la philo, dans un espace éclectique, qui n’attend plus que quelques aménagements supplémentaires pour devenir un lieu de rencontres et de débats. FRED ROBERT

© X-D.R

Librairie Bouquinerie Apostille, Marseille 6e www.apostille-librairiemarseille.1s.fr

LIVRES

L’Ecailler est mort, vive l’Ecailler !

Cette formule surprenante figurait sur le courriel d’invitation envoyé à tous ceux qui souhaitaient venir fêter les 10 ans de la maison d’édition marseillaise bien connue. C’est ainsi que, le 12 nov, la salle de conférences de la BMVR Alcazar a accueilli un public nombreux de lecteurs fidèles, d’amis, d’auteurs maison aussi, venus célébrer un drôle d’anniversaire. Car s’il est indéniable que L’Écailler a vécu toute une décennie, il n’en est pas moins vrai qu’aujourd’hui la maison d’édition est en liquidation judiciaire (depuis l’été dernier) et en instance de rachat. L’Écailler est donc bien mort, hélas ! Mais cela n’a pas empêché son triumvirat d’être là, bien vivant, pour évoquer la naissance et les riches heures de cette maison qui voulait éditer de la «fiction populaire» et a largement contribué à la diffusion du «polar à Marseille». Patrick Coulomb, Michel Martin-Roland, François Thomazeau, 3 journalistes, 3 copains, qui avaient dans l’idée de fonder une revue littéraire (d’où ce nom potache en référence aux célèbres Cahiers du Sud) et se sont retrouvés éditeurs… Pour faire connaître de nouveaux auteurs et les aider à «devenir des écrivains». Ils y ont réussi : un réel impact médiatique, beaucoup de manuscrits reçus, des lecteurs. Une belle aventure, qu’aucun d’entre eux ne regrette, et que chacun a racontée avec humour, pendant qu’un diaporama, réalisé par Coulomb, rappelait les rencontres et les moments festifs auxquels l’Écailler s’est associé depuis 2000. Car l’histoire de ces 3 fadas de polar, d’humour et de rock n’ roll, c’est aussi celle d’une famille d’amis qui s’est constituée au fil des ans. Et qui n’est pas près de mourir, l’ovation du public et les interventions émouvantes de certains auteurs l’ont bien montré… FRED ROBERT

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LIVRES

RENCONTRES

Dialogues lumineux L’un des temps forts de la Fête du livre de Toulon prit la forme d’une conversation… S’affranchissant de toutes les précautions d’usage, Thierry Fabre1 demanda frontalement à son «vieil ami» s’il était un écrivain terroriste… faisant référence à ses mésaventures vécues en France un certain 11 septembre 2001 ! Après un bref retour sur cette

«anecdote», l’entrée en matière fut immédiate : «n’estu pas un écrivain de la violence ? de la génération de la guerre civile ?». Car l’œuvre d’Elias Khoury2 est indissociable de l’histoire du Liban bien qu’il s’interroge encore : «rien ne dit que s’il n’y avait pas eu la guerre je ne serais pas écrivain… J’essaie d’exprimer le vécu, d’écrire le présent avec le murmure des marges». On est loin des clichés d’une littérature méditerranéenne nourrie d’horizons turquoise et d’oasis édéniques, mais au cœur de cette ambiguïté à transmettre par la fiction la guerre et la violence. L’auteur de La Petite montagne et Les Portes de la ville - dont Charles Berling donnera dans la foulée une lecture parcellaire inégale - est l’ardent défenseur d’une littérature qui «peut donner du sens à une vie qui n’a plus de sens à cause de la guerre», habité par le désir de

défendre la dignité, la sensibilité humaine même dans des conditions inhumaines ! Plus largement ils évoquèrent le rôle majeur des écrivains et des intellectuels (Edouard Saïd notamment) qui inscrivent leurs travaux dans l’histoire des peuples du MoyenOrient, leur lutte pour l’indépendance et la liberté d’expression, pour une humanité juste. Car, pour Elias Khoury, «le sacré c’est l’humain».

Éditeurs sans frontières Beyrouth toujours mais aussi Tunis, Nice, Rome, Marseille avec les responsables des éditions Dar Annahar, Elysad, du Ricochet, Portaparole et Parenthèses invités par l’Agence Régionale du Livre. Spécificités, parcours et projets éditoriaux ont nourri le dialogue animé par Isabelle Gremillet, directrice de L’Oiseau Indigo diffusion. Malheureusement parasitée par la venue concomitante de Patrick Poivre d’Arvor sous le chapiteau, celle-ci se terminera devant un public parsemé… Les irréductibles purent néanmoins découvrir leurs préoccupations communes, leurs difficultés (logistiques ou financières), leur précarité (pour certaines) et leurs choix ambitieux. Une leçon d’optimisme pour tous les éditeurs en Méditerranée qui œuvrent à la circulation des auteurs et des livres. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

(1) chercheur à la MMSH, rédacteur en chef de La Pensée de Midi, concepteur des Rencontres d’Averroès, responsable de la programmation du MuCEM (2) Président du jury du Prix des lecteurs du Var 2010 Conversation entre Thierry Fabre et Elias Khoury © X-D.R

Plaisirs à déguster Depuis cinq ans Fred Tartavel tient le restaurant le Mangelire, dans le quartier de la Roquette à Arles. On y échange, en plus du café, du pain et du sel, des conseils de lecteurs et des livres qui suscitent des discussions... C’est de cette ambiance qu’est né le désir d’organiser un Prix littéraire de la Roquette, projet immédiatement soutenu par le Comité d’Intérêt de Quartier et les habitants. Après l’appel à participation lancé auprès d’une quarantaine d’éditeurs au printemps - avec pour seule contrainte de présenter le texte d’un auteur pu© David Pinzon

bliant pour la première fois -, sept livres ont été retenus et lus par un jury de 25 lecteurs : Sol de Laurent Cohen, Actes Sud ; Alice Khan de Pauline Klein, Allia ; Libre, seul et assoupi de Romain Munnery, Au Diable Vauvert; Brico relais de Thibault Franc, Confluences ; Strip-Tease d’Agnès Fon-bonne, In8 ; Les Passagers de l’oubli de Yasmina Filali, Le Lien ; Qu’avez-vous fait de moi ? de Erwan Larher, Michalon. Le 23 oct le jury a élu d’une courte tête Erwan Larher après des débats animés et passionnés. Le 27 nov le «bol Prix littéraire de la Roquette» a été remis au lauréat, en présence de 150 personnes et du maire d’Arles, Hervé Schiavetti. La comédienne Valérie Colette lisait des extraits du livre, pendant que se déroulait une dégustation de tapas concoctés par l’association Les tordeurs de petites cuillères. Une soirée si conviviale qu’Erwan Larher a spontanément proposé de revenir l’an prochain remettre le prix au prochain lauréat…. DOROTHÉE XAINTE

L’événement littéraire qui manquait à Marseille ? La 2e édition d’Ecrimed n’aurait pas eu besoin de cette formule liminaire présomptueuse pour rencontrer le succès ! Dès le samedi, le public était là, intéressé, réactif. Il faut dire que les parrains, Tahar Ben Jelloun, Amin Maalouf, et les invités étaient prestigieux et que beaucoup dans la Écritures meditérranéennes 2010 © Olivier Monge salle étaient venus pour les entendre, puis leur parler autour des tables de dédicaces. De fait, écouter Abdelallatif Laâbi, Boualem Sansal ou Gonzalo Tavares a permis d’échapper un peu aux lieux communs habituellement proférés dès qu’il s’agit de bi langue ou de spécificité méditerranéenne. Par la qualité de leurs interventions, leur humour et leur simplicité, ils ont rendu un bel hommage à la littérature universelle. Car, comme le disait Derrida cité par Laâbi, «pour un écrivain toute langue est étrangère», qu’il s’agit de travailler pour en faire sa langue intime, sa langue à soi… FRED ROBERT

La 2e édition des Ecritures méditerranéennes s’est déroulée les 27 et 28 nov aux Docks de la Joliette.


LIVRES

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Du-o de gamme La saison 5 d’Écrivains en dialogue a commencé. L’ADAAL (Association Des Auteurs Aux Lecteurs), en partenariat avec la Bibliothèque départementale et l’association Libraires à Marseille, proposera tout au long de la saison des rendez-vous littéraires mensuels, selon la formule qui a fait son succès jusqu’à présent : deux auteurs invités dialoguent autour de leurs œuvres, mais aussi de la littérature en général ; leur «conversation», ponctuée par la lecture d’extraits de leurs ouvrages, se conclut sur un bref débat avec le public. Une façon pertinente de renouveler le principe de la rencontre littéraire. Et souvent de l’enrichir. Ce fut encore le cas le 16 nov. Puissance de la langue : le titre de la rencontre était en soi prometteur et le public n’a pas été déçu du tandem Mathias Enard - Juan Gabriel Vasquez. Qui dit que la culture et la langue se perdent ? Sans doute ceux qui jugent à l’aune des écrans médiatiques. Car on goûte dans ce genre de manifestations aux plaisirs

Jean-Claude Nieto d’abord, par eux ensuite (et en V.O. pour Vasquez !) c’était faire un pas vers leurs mondes puissants et profondément originaux. FRED ROBERT

Mathias Enard : Zone (disponible en édition de poche, Babel) et Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants (Prix Goncourt des Lycéens 2010 ; voir Zib’ 34). Juan Gabriel Vasquez : Les dénonciateurs (Actes Sud) et L’histoire secrète du Costaguana (Seuil). La prochaine rencontre d’Écrivains en dialogue aura lieu le 25 janv à 18h30 à la BDP Gaston Defferre. Juan Gabriel Vasquez et Mathias Enard © Fanny Pomarede_ADAAL

d’un échange subtil sans se sentir exclu, on renoue avec une réconfortante ambition littéraire que les deux écrivains invités ce soir-là ont incarnée avec brio. Ils sont nés à quelques mois d’intervalle, au début des années 1970. Tous deux

vivent aujourd’hui à Barcelone. Ils se connaissent bien et se vouent une admiration réciproque. Les écouter parler, c’était presque être invité à leur table. Et entendre lire des extraits de leurs romans, par Alfonso Rodriguez et

L’Arménie chez Maupetit Au premier étage de la librairie, dans un espace vite rempli, on a assisté le 20 nov à une belle rencontre, tandis qu’au dehors l’orage faisait rage. Judith Meyer y avait invité Anahide Ter Minassian et Houri Varjabédian à parler du livre qu’elles viennent de faire paraître aux éditions Parenthèses. Nos terres d’enfance est un livre-mosaïque à l’image de l’identité fragmentée des auteurs qui y figurent. Un parcours aussi, au fil d’un siècle et demi d’enfances arméniennes collectées dans cette anthologie qui ne rassemble pas

que des textes littéraires. Un recueil donc, qui privilégie la vision des enfants, laissant paraître en filigrane, et en filigrane seulement, les dimensions historique et politique. C’est ce qui fait (lire la chronique p.65) l’originalité de l’ouvrage. Au-delà de la qualité du livre, l’enthousiasme, voire la ferveur, des deux responsables de cette somme, agrémentée par leurs soins d’un liminaire d’une vingtaine de pages et de plus de 3o pages de notes biographiques, étaient palpables. Ainsi, d’extraits en

Il s’agira de Décaler le réel, en compagnie de Fotos Kongoli et de Jacques Jouet.

anecdotes, de digressions en rappels historiques, au gré des questions de J. Meyer puis des interventions du public, on a pu saisir l’importance de ce projet pour les deux femmes. Les territoires enfantins qu’elles ont choisi d’arpenter ouvriront, espèrent-elles, sur la lecture des œuvres intégrales. Et feront réfléchir à cette drôle d’identité liée à la mémoire… FRED ROBERT

Anahide Ter Minassian et Houri Varjabédian étaient invitées à la Librairie Maupetit pour leur ouvrage Nos terres d’enfance, l’Arménie des souvenirs, éditions Parenthèses. © X-D.R


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LIVRES

RENCONTRES

La poésie est une fête au théâtre, à l’autoanalyse, à la musique, l’échange frappe par la concentration, la précision et la simplicité presque didactique du propos. Et puisque «on écrit avec une voix vivante», c’est cette voix que fait entendre Bonnefoy dans une lecture d’extraits de son dernier livre paru, devant une salle comble et fervente, et dans une atmosphère quasiment ecclésiale où résonne «la gravité enflammée du poème».

Les Écritures croisées et la Fondation Saint-John Perse ont choisi de «fêter la poésie» avec Yves Bonnefoy. Animée par Pascal Riou, de l’excellente revue Conférence, et Jean-Yves Masson, professeur à la Sorbonne, la rencontre s’ouvre sur la projection d’un documentaire consacré au poète daté de 1974, que semble renier Bonnefoy… il suggère avec humour ses doutes sur les conditions de tournage et sa méfiance pour l’effervescence médiatique. C’est l’occasion de revenir sur un parcours biographique et bibliographique qui, jusqu’à aujourd’hui, gravite autour d’un point invariant et sans cesse renouvelé : la façon dont l’état du monde fait vibrer en nous une vérité propre ; l’intuition, ou le dessin intérieur d’un monde familier qui nous serait - presque - accessible ; la singularité de l’expérience de notre finitude et l’intuition du monde qui donnent à la poésie le pouvoir à la fois de s’excepter du commerce des mots,

AUDE FANLO

Fêter la poésie s’est déroulé les 26 et 27 nov à la Cité du Livre, Aix. À lire, parus en 2010 : Raturer Outre, Éditions Galilée ; L’Inachevable, entretiens sur la poésie, Albin Michel, et les Cahiers de l’Herne n°93 consacrés au poète

Yves Bonnefoy © Mathilde Bonnefoy

de l’échange d’idées, des concepts et des discours, et de rassembler dans une mission collective, par le partage de cette expérience. Qu’il évoque la partition de

son œuvre entre poésie, essai et traduction, la figure tutélaire et amie de Celan, la sacralisation laïque de la poésie comme espérance, les rapports de sa poétique

Centre livres ! Inauguration du Centre Dugommier © X-D.R

Zarafa, reconstruite, solidement arrimée, se dresse et offre aux passants la borne d’échange de livres de son girafon ; le Festival du Livre de la Canebière de juin 2011 se prépare, la librairie Maupetit propose de fréquentes rencontres et, nouveauté de décembre, Gibert se met au diapason : elle organisait le 11 son 1er rendez-vous littéraire au féminin. On le voit, le Centre de Marseille affirme sa volonté de promouvoir les livres et de rendre au quartier son rayonnement culturel. Dans cet esprit l’Espace Dugommier offre un nouveau lieu d’échanges autour de la lecture et de

l’écriture. La mairie du premier secteur, en partenariat avec l’association L’Ecrit du Sud, y propose en effet jusqu’à l’été prochain, des rendez-vous réguliers. Des ateliers d’écriture d’abord, animés par l’écrivain journaliste et éditeur Michel Martin-Roland, selon des cycles qui, de jeux d’écriture en correspondances, évolueront jusqu’à l’élaboration de fictions plus longues. Le nouvel espace accueillera également des conférences-débats et un cycle de lectures, dont la 1ère a lieu le 16 déc. Livres stars pour Noël permettra de découvrir les romans lauréats des 4 grands prix de

Selon lui …

Un Saint Joseph en plâtre trempé dans le bleu Klein : Jean Rouaud, invité courtois de la Librairie St Paul évoque malicieusement ce geste récent qui pourrait, de fait, contenir toute sa poétique. Accueilli par Jacques Bonnadier en homme de l’Ouest et en poète de la Loire-Inférieure, sous les auspices de Chateaubriand et de René Guy Cadoux, Jean Rouaud s’est méthodiquement et d’une voix posée reconstruit une identité plus modeste et non moins singulière à partir de son dernier ouvrage, Evangile (selon moi), ancré dans un territoire moins pluvieux. Ce recueil de petites pièces (voir p 63) en prose et en vers écrites face à la chose religieuse (épisodes narratifs, vitraux, tapisserie..) témoigne du travail d’un romancier porté par son prénom «Jean» : récit pétillant nous est fait de la juste revendication d’enfance à être fêté le 27 décembre avec l’ Evangéliste et non le 24 juin avec le Baptiste en voie d’être décapité ! Retour sur les années soixante dans une région de bondieuseries et de petit commerce dont se font l’écho Les Champs d’Honneur ou Les

l’automne (voir Zib’35) grâce notamment à la lecture d’extraits par 2 comédiens, Bénédicte Sire et Jérôme Rigaut. Les lectures et conférences sont gratuites, la participation aux ateliers modique : un tel lieu devrait rapidement inciter un large public à entrer dans les livres. FRED ROBERT

Espace Dugommier, Marseille 1er 04 91 95 89 53 www.mairiedupremiersecteur.fr

«conserver le socle» donc. Problématique à la Flaubert, évoqué comme un «écrivain préféré» au même titre que Claudel et que Kerouac. Quelques lectrices ferventes, petites sœurs de Violaine et Marie-Marthe, tournent autour de la question de la croyance, qui est toujours fermement ramenée par l’auteur à l’histoire à raconter, à la part divine recherchée par l’artiste et à la conscience individuelle. La justesse avec laquelle Jean Rouaud évoque sa rencontre avec le judaïsme («le réenchantement du christianisme») ou avec la terre d’Israël («marcher sur la carte, avancer dans le livre») témoigne bien du désir de rapprocher au mieux le mot et la chose et d’ancrer la parole dans le réel. Très haute responsabilité du dire vrai ! MARIE-JO DHÔ Jean Rouaud © C. Helie Gallimard

Hommes Illustres («une réserve poétique formidable» nous dit l’auteur) et sur la difficulté à combiner dans les années soixante-dix une subjectivité, lyrique de surcroît, avec l’exigence de dire le réel sans tricher, de

Jean Rouaud était à la Librairie Saint Paul, Marseille le 1er déc et aux Vents du Sud, Aix, le 2 déc dans le cadre des Escales en Librairie


MARX

PHILOSOPHIE 71

Avis à tous les individualo-libero aux slogans du genre «pour changer le monde il faut se changer soi même» : une pause Marx pour bien se prémunir des masques et des écrans qui nous éloignent d’une pensée politique critique n’est pas de trop «Si l’homme tire toute connaissance, sensation, etc., du monde sensible et de l’expérience au sein de ce monde sensible, ce qui importe est donc d’organiser le monde empirique de telle façon que l’homme y fasse l’expérience et y prenne l’habitude de ce qui est véritablement humain, qu’il fasse l’expérience de sa qualité d’homme [… ] Si l’homme est formé par les circonstances, il faut former les circonstances humainement» Marx La sainte famille Quoi dire de neuf sur Marx ? Certainement pas grand chose ; simplement chuchoter, de peur d’être accusé de stalinisme, qu’il n’y pas d’autre théorie qui ait analysé d’aussi près le capitalisme. On ne le rappellera jamais trop… Mais là où Marx nous touche de plus près encore c’est sur le matérialisme, son analyse si minutieuse des idées : il a montré avec force qu’elles n’existent pas séparées de la matière sociale qui leur donne vie ; et que leur autonomisation n’est pas une opération du saint esprit, mais s’explique logiquement. Politiquement.

Par qui Dieu ? Soit l’idée de Dieu. Marx, en quatre pages, reprend les thèses matérialistes de Feuerbach pour les approfondir. Feuerbach démontrait déjà que Dieu est une production de l’esprit des hommes. Ce qui était un sacré coup porté à l’idéalisme mais n’allait pas assez loin. Marx creuse davantage. De quel homme Dieu est-il la production ? De quelle réalité sensible ? Feuerbach ne le dit pas et c’est ce que lui reproche Marx. C’est bien d’avoir ramené le céleste sur le temporel mais après on fait quoi ? «Une fois qu’on a découvert que la famille terrestre est le secret de la famille céleste, c’est la première désormais dont il faudra faire la critique théorique et qu’il faudra révolutionner dans la pratique… Feuerbach n’entreprend pas la critique de cet être réel» Thèse sur Feuerbach (IV et VI). Avec Marx on en finit jamais de déconstruire la réalité, montrant sans cesse que les choses sont plus compliquées que ce qu’on croyait les avoir analysées : et n’est ce pas d’ailleurs la tache de la philosophie ? Continuons. Marx ne critique pas la religion. Il trouve même petit-bourgeois cette critique du fait religieux et de sa pratique, et admet qu’il peut y avoir le citoyen public d’un côté, et l’homme privé croyant de l’autre, en un même homme. Pour Marx, il s’agit de s’attaquer aux conditions sociales d’où nait un besoin de croyance et de paradis artificiels : «L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est l’exigence de son bonheur réel.

Marx,

la pause plaisir… pour repartir en pensant ! Exiger qu’il renonce aux illusions sur son état, c’est exiger qu’il renonce à un état qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de la vallée de larmes dont l’auréole est la religion» (Critique de la philosophie du droit de Hegel, c’est juste après «l’opium du peuple» !).

Insuffisante laïcité La critique de la religion qui en reste là, à la dénonciation et non à l’analyse des causes, est vaine : on aura beau jeu de vitupérer contre ceux qui brandissent un coran et un voile, et de leur opposer Darwin, Cuvier, l’Histoire, la vérité… Défendons-nous un idéalisme républicain de bon aloi qui se bande les yeux sur la production des ghettos d’où sortent ces cris religieux ? Une relecture de Marx permet d’opérer une conversion du regard, un recentrage de l’activité philosophique qui se tourne vers le problème de la cause : on critique aujourd’hui la religion en brandissant le fanion de la laïcité, et en retour on ne dit rien sur la misère sociale réelle qui produit ce retour archaïque et désespérant du religieux. En bref, «l’athéisme (philosophique et/ou petit-bourgeois) est l’humanisme médiatisé par la suppression de la religion, et le communisme est l’humanisme médiatisé grâce à la suppression de la propriété privée» Manuscrit de 1844. Alors le biais religieux permet une approche de ce mot de communisme : «appropriation réelle de l’essence humaine par l’homme et pour l’homme, le communisme c’est le retour total de l’homme à soi en tant qu’homme social, c’est-à-dire humain.» (idem). Rien n’est plus réel que le communisme. Ses pourfendeurs superficiels, souvent simples perroquets de clichés, l’accusent d’être une utopie, ou de ne produire que des dictatures. On peut leur répondre deux petites choses. Qu’est-ce que qui est utopique ? Vouloir un monde plus juste ou accepter ce capitalisme du désastre comme seule réalité possible, jusqu’à l’abîme ? Sur les dictatures : si l’homme n’expérimentait que ce qui a déjà marché, où en serions nous ? Car le communisme, à défaut d’être un

programme politique appliqué, ou une société possible, est d’abord une philosophie critique: une alternative à l’économie et à la philosophie, disciplines séparées de la réalité complexe des rapports sociaux. C’est en fait un nietzschéisme politique. RÉGIS VLACHOS

Marx, mode d’emploi Une superbe boite à outils. Des explications lumineuses de Daniel Bensaid et des dessins désopilants de Charb éditions Zone, 13 euros


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RENCONTRES

AVERROÈS | ÉCHANGE ET DIFFUSION DES SAVOIRS

Au bord de l’abîme

C’est l’imminence «probable» de la catastrophe environnementale qui a poussé Thierry Fabre à sortir les rencontres d’Averroès de leurs problématiques habituelles, pour poser des questions écologiques

Naples, Marseille, Alger, Barcelone © X-D.R

La première table ronde, sur la Terre et sa protection, ressemblait pourtant à ce que les rencontres d’Averroès nous réservent habituellement : un constat consensuel, et alarmant, sur l’état des choses, mais une polémique sur la conduite à tenir. Nicole Petit-Maire, paléo-climatologue délicieusement truculente, considéra d’abord l’histoire climatique de notre planète et ses températures qui, par périodes de 100 000 ans, ont varié jusqu’à 5° de moins, et 2° de plus qu’aujourd’hui. Mais la constatation de ce phénomène cyclique n’a rien de rassurant, puisque le visage de la Méditerranée, le

contour de ses côtes mais aussi sa végétation et les conditions de vie y ont énormément varié… À quoi faut-il s’attendre si le réchauffement actuel se poursuit ? des étés plus secs et chauds, des hivers froids et très pluvieux, une «brutalité» météorologique… Problème doublé à court terme, l’agronome Michel Petit l’explique clairement, par les comportements humains : la «littoralisation» de la population, la consommation d’eau par les touristes en particulier, l’appauvrissement des terres par une agriculture productiviste et par un bétonnage des terres cultivables, et la croissance démographique:

en 2050 il faudra nourrir 70% de population en plus, et les surfaces cultivables ne peuvent augmenter que de 15%... Le remède ? Une agriculture «intelligente», qui passe selon lui par la recherche agricole et l’hybridation, un effort d’amélioration des plantes y compris par la modification génétique. Ce que refuse Andrea Ferrante, Président de l’Association Italienne pour l’agriculture Bio, qui affirme que l’amélioration variétale a été faite par les paysans, que la productivité agricole est basée sur l’infertilisation des sols et émet du CO2. «Il faut faire de la résistance durable», dit-il,

prônant un modèle d’agriculture familiale paysanne… Modèle discutable : peut-être quelques femmes de plus sur les plateaux des tables rondes auraient pu défendre autrement un mode de vie qui, du moins sous nos tropiques, les a libérées des tâches qu’elles continuent ailleurs d’assumer seules ? Nicole Petit Marie le releva dans une boutade, puis il n’en fut plus question durant les deux tables rondes suivantes, uniquement masculines… Mais Abdeslam Dahman, directeur de l’ONG Targa au Maroc, souleva une objection profonde, affirmant que les dangers liés aux changements climatiques et démographiques ne devaient pas servir à dissimuler la question sociale, et le problème de l’iniquité de l’accès aux ressources. Défendant les énergies renouvelables, il se réjouissait d’être passé de l’ère du bricolage à celle d’une production éolienne, thermique et solaire à grande échelle, tout en s’inquiétant des projets colossaux d’énergie du futur implantés dans le désert : ils intéressent les multinationales, avec leur logique industrielle qui risque une fois encore de prendre au Sud pour fournir les «besoins» du Nord… Une vision politique, enfin, qui ne prescrivait pas simplement un changement d’habitudes du consommateur/citoyen/ électeur…

AGNÈS FRESCHEL

La mer a des reflets d’argent La seconde table ronde avait comme objectif de cerner la question «de la Mer. Est-elle menacée ?» Il ne faisait, hélas, aucun doute que ce point d’interrogation dissimulait mal un point de non-retour. Inquiétude multidimensionnelle: économique, écologique et surtout politique sur le devenir des peuples du pourtour méditerranéen. Expression d’une angoisse suscitée par l’évidence des spasmes qui touchent la Mer d’Averroès en tant que cœur économique, historique, intellectuel, et politique qui fonde l’humanité qui l’entoure. Il n’est pas étonnant que les inquiétudes souvent justifiées sur les incertitudes économiques, environnementales et évidemment politiques qu’entraîne l’explosion démographique (voir p 76) dans les zones les plus pauvres, amène les Rencontres à se recentrer autour des sujets à caractère très concret, voire scientifique. L’optimisme volontariste affiché par Henri Luc Thibault, directeur général du Plan Bleu, n’arrivait pas à masquer le caractère apparemment inéluctable et rapide de la dégradation de la situation géopolitique

méditerranéenne. Les autres intervenants l’affirmaient unanimement (Adberrahmen Gannoun, spécialiste de l’eau de Tunis, Titouan Lamazou, navigateur et peintre, JeanChristophe Victor, spécialiste de géopolitique) : le creusement des disparités, voire les inégalités criantes des conditions d’existence des populations, les politiques économiques délirantes des groupes financiers qui surexploitent les ressources naturelles, sont autant de motifs de déstabilisation d’un écosystème millénaire déjà fragilisé. Les délibérations internationales législatives de régulation sont effectives mais dérisoires au regard du mépris qu’en ont les grands groupes financiers et les états qui les assistent dans leur pillage. Les interventions du public confirmaient cet enfoncement dans des abîmes d’inquiétudes et les cris impuissants des peuples conscients du danger face au cynisme des états serviteurs de la politique du profit. On sortait avec l’envie de partir en courant à l’air glacé faire un tour de corniche et profiter d’un rayon de soleil sur notre mer nourricière. YVES BERCHADSKY


RENCONTRES73

Les solutions existent

La troisième table ronde réunissait Pierre Rabhi, agroécologiste, écrivain, essayiste, Piero Sardo, Président de la Fondation «Slow Food» (Italie), Mohamed El Faiz, économiste et historien de l’agronomie et des jardins arabes (Marrakech) sur le thème de l’avenir de la Méditerranée. Nos temps de crise n’incitent pas à l’optimisme mais cette ruée vers l’abîme pourrait, pour peu que l’on s’en donne la peine, tourner à l’avenir serein. C’est ce message d’espoir, dans un monde avili et déglingué, que nos trois débateurs ont tenté de porter. Al Faiz rappela combien la Méditerranée est un lieu patrimonial exceptionnel. Les richesses, accumulées par les civilisations qui s’établirent au bord de ses rives, ont joué un rôle fondamental dans le développement des sociétés. Hélas, l’accélération du monde et l’essor industriel détruisent, au nom de l’efficacité productive, des installations et des organisations traditionnelles qui ont fait leurs preuves. Al Faiz, sans se complaire dans la nostalgie, demande qu’on s’interroge sur la finalité du développement. Sardo lui emboite le pas : l’agriculture est devenue une catastrophe pour ce gastronome. L’agro-industrie tire seulement profit des produits transformés mais la terre et la mer ne sont pas des espaces miniers où l’on prélève sans précaution : il faut savoir valoriser ces récoltes et les cultures locales connaissent l’art de mettre en valeur ces ressources ; à force de recherches elles ont su enrichir la nature, la biodiversité. Le système actuel, lui, construit sur la destruction de l’œuvre passée, avec l’illusion que l’homme peut tout ! Rabhi insista sur l’absence de contrôle dans le rapport avec la nature. L’argent régule les relations mondiales mais la richesse ne concerne qu’une maigre part de la planète, et le progrès qui libérait est devenu incarcérateur ! Il faut rompre avec cette toute-puissance et réhabiliter les savoirs anciens. Al Faiz rappelle que le mathématicien et hydraulicien al Karagi mit au point un système d’exploitation des eaux souterraines (les foggara) performant dans la répartition équitable de l’eau. Les postulats y sont renversés : on répartit au lieu d’exploiter. Ces techniques, centrées sur les besoins, n’engendraient pas, comme la fièvre actuelle de construction des barrages, des conséquences désastreuses (envasement, inégale répartition des eaux, ennoiements…) au nom d’un élan producteur. Rabhi expose les effets nocifs de l’agriculture productiviste : destruction et stérilisation des sols, pollution des eaux, absorption de composés chimiques nocifs, OGM… Revenu sur sa vie, il cite les effets régénérateurs de la culture biologique. Au Sénégal, ses conseils ont permis la réhabilitation des sols, désolés par la culture de l’arachide. Il insiste sur les rendements supérieurs obtenus par l’agroécologie. Al Faiz renchérit sur l’efficacité et la pérennité des méthodes traditionnelles : la technique du goutte à goutte, les techniques de labour, les engrais naturels… Pour tous, aucun doute : les techniques non productivistes sont une solution durable ! Puis Sardo insiste sur le gaspillage : 23% des produits alimentaires part directement à la poubelle ! On mange trop et n’importe quoi. Le thon rouge disparaît tandis que l’élevage du saumon devient une véritable calamité sur les côtes du Chili. Les fruits et légumes n’ont plus de saison. Il faut rompre avec les modes : manger doit nous nourrir, pas nous identifier ! Cette thématique de la responsabilité et de la retenue est le bréviaire de Rabhi. La Sobriété heureuse (Actes Sud) est l’aboutissement de ses expériences. Il faut sortir du consumérisme et du quantitatif, et choisir la décroissance. Du Burkina-Faso à l’Hérault en passant par le Maroc, Rabhi a montré que sortir des schémas actuels est possible, qu’il faut cesser d’être des prédateurs de la nature pour ne pas condamner notre propre avenir. Utiliser l’expérience du passé peut permettre de construire l’avenir : c’est à ces conditions que l’avenir de la Méditerranée sera possible. RENÉ DIAZ

Briser l’écran

© Arnaud Fevrier-Flammarion

Alexandre Lacroix, philosophe, directeur de collection aux éditions de l’Herne et rédacteur en chef de Philosophie Magazine, semble sorti de la Défense. Humour, facilités d’expression, coup de patte désinvolte et sourire carnassier. Il fait partie des 2% de français qui n’ont pas la télévision, et milite pour convaincre les autres. Dans l’hémicycle, son auditoire est conquis. Le philosophe reprend 10 lieux communs qui lui sont régulièrement opposés et les démonte un à un. «Oh, moi j’ai la télé, mais je ne la regarde jamais» vient en tête. Selon lui une forme de déni, lequel évoque irrésistiblement les problématiques d’addictologie. Il pointe les tactiques d’assignation à demeure et d’abrutissement du citoyen, la logique de l’audimat et celle du marketing («Le vrai programme télévisuel, c’est la publicité !»), rappelle l’inénarrable Patrick Le Lay et son «temps de cerveau disponible», sonde le caractère délibérément anxiogène du 20 heures, la prescription cyclique de consom-

mation sous couvert de journalisme (Noël, fête des mères, soldes...), et martèle : quel que soit le contenu télévisuel, il ne sert qu’à détourner l’attention des enjeux réels. «Les multinationales, par exemple. Les partis politiques ont encore un peu de pouvoir, mais beaucoup s’est transféré vers elles, et jamais la télévision ne les questionne.» Apparemment, on lui a reproché sa position, jusqu’à lui asséner que «c’est snob de ne pas avoir la TV, vous êtes un intellectuel élitiste.» D’après Lacroix, tout mettre sur le compte des intérêts de classe de l’adversaire est un vieux truc stalinien. Lui pense plutôt que la télévision «ne peut traiter que du visible, pas de ce qui est réellement important dans la vie, l’expérience amoureuse ou l’émotion artistique.» Il conclut par un avertissement qui fait frémir: «Aujourd’hui je vous ai parlé des dangers de la télévision, mais dans 10 ans elle n’existera plus, noyée dans Internet. Et il y a un remède facile, on peut choisir de l’éteindre. Non, là où ça va être plus compliqué, là où il faudra vraiment mettre en place des stratégies de résistance pour lutter contre notre propre dépendance, c’est face à la convergence des écrans.» Eh oui, d’ici peu, nous serons connectés en permanence, à domicile, en déplacement, à l’école et sur nos lieux de travail. Le danger sera dans notre poche. Il l’est déjà. GAËLLE CLOAREC

10 bonnes raisons de balancer sa télé par la fenêtre Conférence du 9 nov à l’Hôtel du département 13, dans le cadre d’Echange et diffusion des savoirs

Des maths pédagogiques On connaît bien Echange et Diffusion des Savoirs, cycle de conférences à accès libre organisé par le CG13. Cette initiative permet entre autres la diffusion vers le grand public de la culture scientifique. La nouvelle saison s’inaugurait par un exposé du mathématicien Michel Broué, de l’Université Paris-Diderot et membre de l’Institut Universitaire de France, sur la place des mathématiques dans la société contemporaine. Devant une salle comble, sous le titre de «Contre les idées fausses sur les mathématiques : quelques vérités», le brillant orateur tentait de disqualifier certains poncifs entourant sa discipline. Cependant la démonstration du très professoral conférencier sur l’aspect non élitiste du procès intellectuel mathématique ne fut pas très concluante. Et si pour Laurent Schwartz «la bonne mathématique ne peut être que subversive», la forme de

l’exposé, en sa suite, nous prouva qu’en la matière subversion et élitisme semblent faire parfois bon ménage… Deux aspects parurent cependant convaincants : l’idée que la mathématique, en tant que représentation du monde, permet d’accéder à «sa mouvante complexité», et l’affirmation qu’elle est subversive car elle «disqualifie souvent le sens commun». Ce qui nous fut démontré en fin d’exposé par quelques séduisants exemples de probabilités. Soyons certains que le public lycéen nombreux dans la salle aura tiré le plus grand profit de cette souvent déma… je veux dire péda… gogique prestation. YVES BERCHADSKY

La première conférence d’Échange et diffusion des savoirs a eu lieu le 2 déc


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RENCONTRES

Libraires du sud /Libraires à Marseille 04 96 12 43 42 Rencontres avec Katherine Pancol pour son livre Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi (Albin Michel), le 15 déc de 15h à 18h30 à la librairie Charlemagne (Toulon). Avec Yvan Cadiou pour son livre Yvan cuisine sa Provence (Editions Gramond), le 18 déc de 15h à 18h à la librairie Charlemagne (Toulon) Avec Florent Chavouet auteur de Tokyo Sanpo, à l’occasion de la sortie de son nouvel ouvrage Manabeshima (éditions Philippe Picquier), le 18 déc à partir de 14h30 à la librairie Le Greffier de SaintYves (Marseille) Rencontre autour de Offshore, roman de Pénélope Fitzgerald, publié en 1979 et remportant le Booker Prize cette même année, le 16 déc à la librairie Book in Bar (Marseille). Itinérances littéraires : rencontre avec Lionel Salaün pour son premier roman Le Retour de Jim Lamar (éditions Liana Lévi 2010), animée par Agnès Gateff, libraire, le 19 jan à 19h à la librairie L’Attrape Mots (Marseille), le 20 jan à 18h à la librairie Au Poivre d’Âne (Manosque) et le 21 jan à 18h à la librairie Eveils (Apt).

AIX Bibliothèque Méjanes – 04 42 91 98 88 Dans le cadre des 200 ans de la Méjanes, exposition de la photographe Marie-Pierre Florenson, Des visages et des livres. Jusqu’au 30 déc.

ARLES Musée Arlaten – 04 90 93 58 11 Programmation hors les murs : Ethno’ balade au stade Vélodrome avec Christian Bomberger, ethnologue à l’Université de Provence et Franck Peyronel, secrétaire du club de supporters des South Winners, le 21 déc à 14h30. Musée Réattu – 04 90 49 37 58 À pied d’œuvre, plan rapproché sur… un objet du désir. Jusqu’au 31 déc.

AUBAGNE Ateliers Thérèse Neveux – 04 42 03 42 10 Exposition Ma Belle santonnière, Thérèse Neveux : 1000 pièces témoignent de 50 ans de création. Jusqu’au 22 mai.

AVIGNON Office de Tourisme – 04 32 74 32 74 Exposition Ponts : 44 artistes ont répondu à l’invitation de peindre leur vision, leur idée, leur image du pont. Jusqu’au 30 juin au Palais des Papes et au Pont Saint Benezet.

BAUDUEN Edition Parole – 04 94 80 76 58 La soupe aux livres : trois manifestations en une : dire, lire, conter, chanter de 17h30 à 19h, partage d’un bol de soupe de 19h30 à 21h, reprise à 23h pour la suite et fin. La prochaine aura lieu le 19 déc à Entrevennes (04) avec une Spéciale «L’homme semence».

GAP Galerie du Théâtre La Passerelle – 04 92 52 52 52 Exposition Nothing Special de Martin Kollar. Du 18 jan au 5 mars.

La Réserve à bulles – 04 91 53 28 91 Rencontre-dédicace avec Guillaume et Olivier Mariotti pour leur album Le fils de son père (éd. Les enfants rouges, 2010), le 15 déc à 17h30.

MARSEILLE Librairie Maupetit – 04 91 36 50 50 Au rayon jeunesse, rencontre et signatures avec Ramona Badescu et Guillaume Guéraud, le 18 déc à 11h, et avec Raphaële Frier et Ghislaine Herbéra le 18 déc à 15h. Espace Bargemon – 04 91 14 64 95 Les éditions Gallimard, Culturesfrance, l’association Marseille-Provence 2013 et le Conseil Culturel de l’Union pour la Méditerranée lancent l’anthologie Les Poètes de la Méditerranée (coll. Poésie/Gallimard), le 16 déc à 15h, en présence du poète arabe Adonis. La Friche – 04 95 04 95 70 Dans le cadre de la 7e édition de Laterna Magica, exposition de Noémie Privat, Carnets du théâtre dessiné, jusqu’au 24 déc aux Grandes Tables de la Friche. ABD Gaston Deferre - 04 91 08 61 00 Trajets d’écriture : manifestation proposée par l’association ACELEM avec exposition, atelier d’écriture à la manière de Grorges Perec, cadavre exquis graphique, contes arméniens… Du 15 au 18 déc. Exposition des photographies de Driss Aroussi, En chantier, du 14 jan au 9 avril. Rencontre avec Driss Aroussi, avec la participation de Jean Cristofol, enseignant à l’école des Beaux-Arts d’Aix, le 18 jan à 18h30. Dans le cadre du cycle Marseille la Méditerranée, mobilités, échanges et frontières, rencontre avec Gilbert Buti, historien, sur Marseille et la traite négrière. Le 13 jan à 18h30. BMVR Alcazar – 04 91 55 90 00 Exposition Quand l’architecture se livre avec… Claude Ponti, jusqu’au 15 janvier. Dans le cadre du cycle Portraits littéraires projection du film réalisé par Carmen Castillo, José Saramengo, le temps d’une mémoire (2003), le 6 jan à 16h. Mucem – 04 96 13 80 90 Rencontre avec Henri Laurens, professeur au Collège de France sur Méditerranée, questions d’histoire, le 11 jan.

ESBAM – 04 91 82 83 10 Fabrice Pincin invite le designeur Mathieu Lehanneur, le 15 déc à 11h, amphithéâtre. La GAD – 06 75 67 20 96 Exposition de Matthieu Clainchard, Hivernage. Du 7 au 12 jan. L’Atelier des Arts – 04 91 33 61 13 Exposition des œuvres de Pauline Vial, du 5 au 21 jan. La Pensée de midi – 04 42 52 40 00 Rencontre débat Figures du Palestinien à l’écran, organisée par le Pôle Image/Sons et pratiques numériques en SHS, avec Maryline Crivello (Telemme), Jérôme Bourdon et Stéphanie LatteAbdallah. Le 17 déc. Théâtre La Criée – 04 91 54 70 54 Dans le cadre des représentations de Sale Août de Serge Valletti, lecture-spectacle Le Massacre des Italiens avec Virginie Aimone, comédienne, à 15h, et débat avec Gérard Noiriel, historien, directeur d’étude à l’EHESS à 17h, le 18 déc.

MIRAMAS Centre d’Art Contemporain – 04 42 55 17 10 Exposition Les 4 temps de la fiction, du 12 au 30 jan.

SAINT-RÉMY Site archéologique de Glanum – 04 90 92 35 07 Visite de la cité de Glanum au rythme des fêtes célébrées dans l’Antiquité et confections de présents en argile et goûter pour finir la journée, les 21, 23, 28 et 30 déc à partir de 13h30.

SIMIANE-COLLONGUE OMC – 04 42 22 81 51 Concours de nouvelles sur le thème L’enfance, un droit ? 3 critères à développer : l’art descriptif, l’art du dialogue et l’art de faire passer des émotions et son ressenti. Forme libre, ouvert aux non professionnels. Exposition des textes et remise des prix le 14 mai lors de la Fête des tout-petits. Date limite d’inscription : le 6 mars.

SALON Ville – 04 90 56 98 62 Exposition permanente, Des Hommes, une Ville, les maires de Salon de la Révolution à nos jours, inaugurée le 14 déc (en écho à la loi du 14 décembre 1789 sur la création des municipalités).


APPROCHES CULTURES ET TERRITOIRES

L’immigré Approches, cultures et territoires poursuivait le 9 déc aux Archives départementales son cycle sur les migrations, en focalisant sur le statut de l’étranger durant l’ancien régime Jean Boutier, directeur à l’EHESS*, rappela que les sociétés d’ancien régime vivent avec un État faible : contrôler l’individu n’est pas une priorité. Si les circonstances l’exigent, le roi demande des certificats de baptême ou de bonne vie et mœurs… La chose est rare, car l’identité de l’individu n’est pas primordiale. Pour l’étranger, l’identification se fait au travers de la langue, des vêtements, des pratiques alimentaires ou de son insertion dans l’espace public. Compte surtout la façon dont il s’intègre à la vie sociale au travers des métiers, des confréries... Dans un port en pleine croissance comme Marseille, les étrangers, venus de la Méditerranée ou du nord de l’Europe, se fondent dans la population. Aussi, plus que leur origine c’est leur situation sociale -du jardinier au marchand- qui les identifie. Dans leur rapport au pouvoir, ils ont d’abord affaire avec l’État. Capable, tôt, d’expulser les indésirables juifs ou lombards, le roi, en 1697, légifère, à nouveau, par une grande ordonnance. Son but, à l’heure où les caisses sont vides, est de leur faire repayer les exemptions contenues dans les «lettres de naturalité». La définition identitaire est donc bien absente. Dans la cité, c’est l’organisation municipale qui compte : habitant, on possède ou non le droit de citadinage. Si l’on peut obtenir ce privilège par héritage ou achat, l’appartenance aux métiers ou aux confréries religieuses, le mariage et la réputation sociale sont primordiales pour se fondre dans la population de la ville. Déterminante aussi pour la cohabitation, dans des sociétés déterminées par le confessionnalisme, la religion. Elle requiert l’attribution de privilèges pour résider ou pour pratiquer des activités économiques. Ainsi le Grand Duc de Toscane met-il en place une politique favorable aux juifs sépharades

HISTOIRE 75

e

au XVII siècle

(étrangers à l’Italie) pour bénéficier de leur réseau commercial et faire fructifier la place de Livourne. De même à Marseille voit-on deux cousins, venus de Toscane, bénéficier de lettres de citadinage et jouer un rôle essentiel pour l’approvisionnement de la ville pendant la révolte de la Ligue. Comme les Arméniens installés au début du XVIIe siècle, qui seront à l’origine de l’introduction du café. On notera enfin que dans la cité, du fait des captifs musulmans réduits en esclavage pour le service des galères, existe un emplacement spécifique au cimetière et, apparemment, une mosquée.

définit pas par principe, mais au gré des événements qui surviennent. RENÉ DIAZ

*EHESS : École des hautes études en sciences sociales Le cycle Marseille la méditerranéenne, mobilités, échanges et frontières se poursuit aux Archives départementales, Marseille, sur le thème «Ethnies et religion entre coexistences et préjugés»

Image de l’autre Jean-Baptiste Xambo chercha quant à lui à éclaircir la réalité des conditions de vie des étrangers à Marseille. Il insista sur la représentation des étrangers, déterminante pour leur accueil. Utilisant le témoignage d’un protestant envoyé aux galères, Jean Marteilhe, il révèle la solidarité qu’il peut y avoir entre musulmans et protestants contre un oppresseur catholique, ennemi commun. Cette tolérance doit être tempérée par le distinguo entre «Turcs africains» et «Turcs fins» qui sépare les musulmans : les uns sont laids et voleurs, les autres, blancs, beaux et bons… Représentation encore avec les Bohémiennes. Au XVe siècle, ces populations sont intégrées au panorama du royaume. Mais, en 1614, les Bohémiens sont chassés, localement, par le parlement d’Aix. Le stigmate prend le dessus. Avec les crises agricoles, des campagnes voisines arrive, à Marseille, un flot de migrants. Pauvres et ambulants apparaissent comme une menace. Ricochet de ces représentations, les Bohémiennes sont particulièrement stigmatisées. Objet d’une ordonnance municipale, on les enferme dans la vieille charité et on les punit pour vols ou prostitution. On les rase, on les passe au carcan ou on les bannit.

Menace et atout On l’aura compris, l’étranger représente la menace en temps de crise. Les représentations que l’on s’en fait permettent de l’exclure. Mais, apport utile pour la collectivité où il est installé, il peut, aussi, être protégé. Dans tous les cas, l’Ancien Régime ne le

À noter Théâtre, Histoire et Politique Journée autour du spectacle Sale août Le 18 déc au Théâtre de La Criée Lecture-spectacle Le massacre des italiens à 15h Après Chocolat, poursuivant ses expériences théâtrales, l’historien Gérard Noiriel, directeur d’études à l’EHESS, participe au travers de ses recherches à de nouvelles formes d’expression culturelle. Ce sont les événements d’Aigues Mortes, en août 1893, qui sont au centre de Sale août la pièce écrite par Serge Valletti (voir p 10), mais aussi de cette lecture-spectacle de son livre paru chez Fayard. Manifestation de nationalisme, cette affaire a aussi des ressorts locaux que Gérard Noiriel a su très bien analyser dans cette étude. Cet événement longtemps oublié, exhumé avec peine, qui est pour nous tous un objet de réflexion inestimable. Cette lecture spectacle sera suivie à 17h d’un débat Théâtre, Histoire et Politique animé par Martine Derrier, en partenariat avec l’Institut culturel italien. Sale août sera ensuite joué à la Friche à 20h. R.D.


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SCIENCES ET TECHNIQUES

LA DÉMOGRAPHIE | AU PROGRAMME

Encore démos, toujours démos… À défi démographique, réponse démocratique !

Fête de la natalité

La grosse bête qui monte…

Noël ! Noël ! En 2009-2010, les Restos du cœur, dont la campagne d’hiver a débuté, ont accueilli 830 000 personnes - soit une hausse de 20 % en deux ans - et distribué 103 millions de repas. Roselyne Bachelot rassure, elle se « battra » pour que les subventions européennes aux Restos du Cœur ne soient pas suspendues. Merci de défendre ce qui met en évidence l’impéritie d’un gouvernement qui ne garantit plus les besoins élémentaires de son peuple. Pourtant sous nos tropiques hautement libéralisés la population stagne alors que, dans le reste d’un monde de plus en plus pauvre, elle explose littéralement. L’ « environnement » est désormais au centre de toutes les préoccupations humaines, comme l’ont montré symptomatiquement les 17e Rencontres d’Averroès (voir p72). L’évolution des macro-systèmes planétaires ne peut être que corrélée aux spécificités des croissances démographiques. Comme l’ont fait remarquer la plupart des intervenants, le pourtour méditerranéen compte actuellement environ 480 millions d’habitants avec une très grande diversité de densité et surtout de niveau de vie. On estime que dans 20 ans cette population avoisinera les 600 millions d’âmes. De plus c’est dans les zones les plus pauvres et les plus arides que cette croissance sera la plus marquée. Mais il n’y a qu’en mathématique qu’on imagine une fonction infiniment croissante, et les phénomènes matériels trouvent toujours la limite de leur propre croissance…

L’explosion démographique mondiale est un phénomène concret colossal et catastrophique au sens théorique du terme (le mathématicien René Thom a défini la catastrophe comme un « phénomène discontinu émergeant spontanément à partir d’un milieu continu »). Les estimations approximatives montrent qu’à son aube, il y a environ 100.000 ans, l’humanité comptait autour de 500.000 de nos sages ancêtres. Leur population évolue lentement pour atteindre une vingtaine de millions, 5000 ans avant notre ère. La naissance des civilisations anciennes marque un saut démographique. La population mondiale passe, d’environ 200 millions aux débuts de notre ère, à 600 millions au milieu du XVIIIe. Il est évident que c’est l’industrialisation qui marque le premier choc démographique. Toutefois, il reste relatif jusqu’aux années cinquante, puisque la population de 1,2 milliards en 1800 n’a fait que doubler en 1955. Aujourd’hui nous sommes plus de 6 milliards 800 millions et serons 7 milliards 200 millions dans 5 ans. Le phénomène d’ordre catastrophique a donc débuté il y a seulement une cinquantaine d’années. Il obéit à une fonction mathématique de type exponentiel complexe. C’est-à-dire d’un modèle mathématique qui opère sur une variable (ici le temps) et donne la forme évolutive d’une seconde variable (ici la population) en fonction de la première (là encore le temps). Ce domaine des mathématiques est appelé « analyse fonctionnelle»

(rien à voir avec Freud). Simplement le Zibelréfractaire-aux-maths doit savoir qu’une « fonction exponentielle » tend vers l’infini quand x, ici le temps, tend (c’est tentant !) inexorablement vers l’infini. Ça s’écrit :

[population] y = f(t) = et

Des monstres actions Si la question du vieillissement des populations est largement développée par le pouvoir libéral pour liquider les régimes de retraite, celle posée par l’évidente catastrophe démographique est passée sous silence. En effet le libéralisme et son cortège d’inégalités structurelles qui engendrent des gaspillages colossaux ne peuvent répondre efficacement à un phénomène qui nécessite d’une part sa maîtrise par l’éducation de masse et d’autre part d’en assumer temporairement les conséquences immédiates. Certains experts pensent que la Terre peut nourrir jusqu’à 5 fois sa population actuelle mais dans les conditions d’existence minimale des indiens les plus pauvres. On peut penser que la civilisation Rolex aurait bien du mal à renoncer à ses privilèges par nécessité humaine. En 1875 Marx et Engels éditaient leur Critique de Malthus. Ils prônaient une « économie-politique » collectiviste qui devait effacer les craintes malthusiennes sur la croissance démographique. Certes la question du choc démographique se pose désormais d’une façon infiniment plus aiguë qu’au temps de Marx où la croissance n’était exponentielle que localement, dans les pays en cours d’industrialisation. Ce qui devient désormais critique, c’est que l’humanité ne pourra pas assumer son type de développement dans le système libéral actuel : les « enjeux » (mot très galvaudé par les politiques) démographiques ne peuvent trouver de solutions, ne serait-ce que momentanées, que dans une répartition strictement économe - au sens noble du mot -, égalitaire et démocratique des matières premières. Or le système économique mondial met en œuvre une économie-politique de gaspillage et de pillage qui de surcroît va à l’encontre des plus élémentaires égalités…

Croissance de vieille lune Ainsi une solution à la crise serait le retour à la « croissance ». Mais la croissance démographique suffit bien à être motrice du développement ! La croissance libérale, c’est la croissance du profit d’un petit nombre sur les besoins élémentaires du plus grand. Au temps de Malthus, il existait sans doute des solutions locales, nationales ou même continentales à la crise structurelle du profit capitaliste naissant, ne serait-ce que la guerre ou l’impérialisme colonial. Aujourd’hui le choc démographique est mondial, la crise économique et financière aussi et sans aucune commune mesure avec les phénomènes locaux étudiés par Marx. Non seulement la crise économique actuelle n’est pas derrière nous mais elle n’en est qu’à ses premiers soubresauts spéculatifs. Elle ne devrait pas tarder à toucher l’économie réelle, celle qui nourrit les humains, au moment même où explosent ces besoins. YVES BERCHADSKY


Au Programme

Il n’est pas de tradition de bûcher à Noël et de tartiner notre foi grasse de culture technique et scientifique. Le menu pour ces fêtes se réduira donc à la portion congruente. Joyeux Nobel, quand même !

Défense de tirer des marrons aux dindes L’exposition Biodiversité débutée le 24 nov au Muséum d’Histoire Naturelle de Marseille (Palais Longchamp) se prolonge jusqu’au 4 sept 2011 ! Une bonne occasion de se taper une bonne brochette d’animaux naturalisés et vivants, dioramas, photographies et audiovisuels, panneaux explicatifs et animations pédagogiques. Cette exposition emmène petits et grands à la découverte de la diversité du vivant, de ses splendeurs, de son rôle indispensable pour le bien-être de l’homme, mais aussi de son extrême fragilité face à une exploitation irraisonnée des ressources naturelles. Le parcours muséographique invite tout d’abord le visiteur à découvrir les richesses de la biodiversité à l’échelle planétaire, pour ensuite le conduire jusqu’aux paysages plus familiers de la Provence. L’exposition est coproduite par les muséums d’histoire naturelle d’Aix-en-Provence, Marseille et Avignon et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) en partenariat avec le Grand Site Sainte-Victoire. Muséum d’Histoire Naturelle, Palais Longchamp, Marseille 4e 04 91 14 59 50 www.museum-marseille.org

Bêcher à Noël ? C’est pas de la tarte ! Si vous voulez vous taper la cloche avant les rameaux, tout en vous cultivant jardin et calebasse, vous pouvez, en famille, passer une journée épicurienne à Epicurium. Il s’agit du premier musée en Europe consacré aux fruits et légumes. Situé à proximité d’Avignon, au cœur de la Provence, c’est un musée vivant, c’est-à-dire un lieu de découverte sensorielle qui propose une approche culturelle et ludique des fruits et légumes. La visite, adaptée aussi bien aux enfants qu’aux adultes, comprend un espace muséographique interactif et des jardins (potager, verger, serre, bassin) sur près de 8000m². C’est une idée de sortie originale en famille ou entre amis, pour quelques heures ou bien sur la journée (un espace pique-nique ombragé est à disposition). Des cours de cuisine et de jardinage y sont aussi organisés tout au long de l’année, pour favoriser une approche concrète et conviviale des fruits et légumes sous toutes leurs formes. Epicurium est situé au sein de la Cité de l’Alimentation, à Montfavet (Avignon) 04 90 31 58 91 www.epicurium.fr

Beau bar sans bobard Buvons un coup, buvons en deux à la santé… du Bar des Sciences qui continue sa saison de conférences conviviales tous les seconds jeudis du mois à 18h30 à la Brasserie les Danaïdes à Marseille, 1er. La conférence du 13 janv s’intéressera à la Criminologie et donc à la police scientifique. www.barsdessciences-marseille.no-ip.fr


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ADHÉRENTS

Nos Partenaires vous offrent invitations, réductions et avantages ! Pour les places gratuites, téléphonez-leur rapidement pour réserver, puis présentez votre carte de membre (1 place par carte nominative). Pour les réductions, présentez simplement votre carte (réduction valable seulement pour l’adhérent) Le Gyptis 2 invitations par soir pour Le Jeu de l’amour et du hasard le 19 jan à 19h15 le 20 jan à 19h15 le 21 jan à 20h30 tarif réduit B (15€ au lieu de 24) à toutes les représentations 04 91 11 00 91 La Criée 6 invitations pour Sale août le 15 déc à 19h 04 91 54 70 54 Le Toursky 10 invitations pour Une famille ordinaire le 7 jan à 21h 0 820 300 033 BNM 6 invitations pour Ouverture #18 le 18 déc à 20h30 04 91 32 72 72 La Minoterie Tarif réduit pour toutes les représentations 8 € au lieu de 12 € 04 91 90 07 94

3bisf (Aix) Entrées et visites gratuites sur réservations 04 42 16 17 75

Edité par Zibeline SARL 76 avenue de la Panouse | n°11 13009 Marseille Dépôt légal : janvier 2008 Directrice de publication Agnès Freschel Imprimé par Rotimpress 17181 Aiguaviva (Esp.) photo couverture © Agnès Mellon Conception maquette Max Minniti Rédactrice en chef Agnès Freschel agnes.freschel@wanadoo.fr 06 09 08 30 34

L’institut culturel italien 3 adhésions annuelles d’une valeur de 32 €, cette «carte adhérent» vous donnera accès à tous les services de l’Institut, médiathèque et programme culturel. Demande par mail : iicmarsiglia@esteri.it ou au 04 91 48 51 94

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Philosophie Régis Vlachos regis.vlachos@free.fr Sciences et techniques Yves Berchadsky berch@free.fr

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Musique et disques Jacques Freschel jacques.freschel@wanadoo.fr 06 20 42 40 57

Secrétaire de rédaction spectacles et magazine Dominique Marçon journal.zibeline@gmail.com 06 23 00 65 42

Tendances Créatives (Marseille, parc Chanot) Le salon des Loisirs créatifs Du 17 au 20 fév Tarif préférentiel à 5€

Ont également participé à ce numéro : Yves Bergé, Aude Fanlo, Christophe Floquet, Agnès Condamin, Pascale Franchi, Gaëlle Cloarec, Christine Rey, Rémy Galvain, Dorothée Xainte

Photographe Agnès Mellon 095 095 61 70 photographeagnesmellon.blogspot.com Directrice commerciale Véronique Linais vlinais@yahoo.fr 06 63 70 64 18 Chargée de développement Nathalie Simon nathalie.zibeline@free.fr 06 08 95 25 47




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