Prévention du harcèlement et des violences périscolaires - extrait

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Que peuvent faire les enseignants ? Comment agir en tant que parents ? Comment prévenir les risques d’un usage asocial des réseaux sociaux ? Comment permettre à chacun de « surfer tranquille » sans s’exposer au risque d’être « cyberagressé » ? C’est à ces questions fondamentales que cet ouvrage propose de répondre en donnant aux enseignants, aux éducateurs et aux parents des pistes concrètes.

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Ce livre permet ainsi notamment de détailler les outils mis en place au sein des écoles pour concrétiser un dispositif particulièrement efficace de prévention du cyberharcèlement et des violences périscolaires (cybercitoyens responsables, espace de parole régulé, conseil de discipline). Il sera également l’occasion de présenter l’application « Cyberhelp », qui constitue un outil de protection parfaitement adapté permettant à chaque enfant ou adolescent de profiter des réseaux sociaux dans tout ce qu’ils ont de meilleur sans s’exposer pour autant au risque de se voir confronté, seul, à ce qu’ils peuvent contenir de pire.

PRÉVENTION DU CYBERHARCÈLEMENT ET DES VIOLENCES PÉRISCOLAIRES Prévenir, agir, réagir…

ATERNELLE RIMAIRE

Bruno Humbeeck est psychopédagogue et Docteur en Sciences de l’Éducation. Chargé d’enseignement à l’Université de Mons et responsable du Centre de Ressource Éducative pour l’Action Sociale (CREAS), il travaille sur des projets de recherche portant sur les relations école-famille et société au sein du Centre de Recherche en Inclusion Sociale (CeRIS). Expert de la résilience, il est l’auteur de publications sur l’estime de soi, la maltraitance, la toxicomanie et la prise en charge des personnes en rupture psychosociale. Willy Lahaye est philosophe et Docteur en Sciences Psychologiques et de l’Éducation. Il est professeur à l’Université de Mons où il dirige le service des Sciences de la Famille et le Centre de Recherche en Inclusion Sociale (CeRIS). Ses travaux de recherche et publications sont orientés sur la coéducation, les relations école-famille, l’éducation familiale et les mécanismes de l’inclusion sociale et scolaire. ouvrage. Concepteur graphique au sein du Service des Sciences de la Famille de l’UMons, il a, à ce titre, participé à l’élaboration du programme « Éduquons ensemble avec Polo le Lapin » et à la recherche-action Prévention du harcèlement et des violences scolaires.

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Maxime Berger est l’illustrateur de cet

PRÉVENTION DU CYBERHARCÈLEMENT ET DES VIOLENCES PÉRISCOLAIRES

Le cyberharcèlement n’est pas une forme nouvelle de harcèlement ni même une violence d’un autre ordre. Il s’apparente davantage à une épouvantable caisse de résonance qui démultiplie les effets du harcèlement entre pairs, aggrave ses conséquences auprès des victimes et échappe pour une large part à ses auteurs.

De Boeck

ISBN 978-2-8041-9692-9 578806

C O É D U C AT I O N

vanin.be

C O É D U C AT I O N

Bruno Humbeeck Willy Lahaye Maxime Berger Préface d’Olivier Bogaert



prévention du cybErharcèlement et des violences périscolaires


pour

enseigner

ARCHAMBAULT J. et CHOUINARD R., Vers une gestion éducative de la classe. BOGAERT C. et DELMARLE S., Une autre gestion du temps scolaire. Pour un développement des compétences à l’école maternelle. COUPREMANNE M. (Sous la direction de), Les dynamiques des apprentissages. La continuité au cœur de nos pratiques. De 2 ans ½ à 14 ans DAUVIN M.-T., LAMBERT R., L’apprentissage en questions. S’interroger pour améliorer nos pratiques. DEGALLAIX E. et MEURICE B., Construire des apprentissages au quotidien. Du développement des compétences au projet d’établissement. DE LIÈVRE B. et STAES L., La psychomotricité au service de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte. Notions et applications pédagogiques. DRUART D., JANSSENS A. et WAELPUT M., Cultiver le goût et l’odorat. Prévenir l’obésité enfantine dès 2 ans ½. DRUART D. et WAUTERS A., Laisse-moi jouer… J’apprends ! DRUART D. et WAELPUT M., Coopérer pour prévenir la violence. Jeux et activités d’apprentissage pour les enfants de 2 ans ½ 12 ans. EVRARD T. et AMORY B., Réveille-moi les sciences. Apprendre les sciences de 2 ans ½ à 14 ans. EVRARD T. et AMORY B., Les modèles. Des incontournables pour enseigner les sciences ! Apprendre les sciences de 2 ans ½ à 18 ans. GIASSON J., La lecture. Apprentissage et difficultés. Adapté par G. Vandecasteele. GIASSON J., La lecture. De la théorie à la pratique. Adapté par T. ESCOYEZ. GIASSON J., Les textes littéraires à l’école. Adapté par T. ESCOYEZ. GIBUS, Chant’Idées. Écouter, comprendre, exploiter chansons et poèmes de 2 ans ½ à 12 ans. HARLEN W. et JELLY S., Vivre des expériences en sciences avec des élèves du primaire. HEUGHEBAERT S. et MARICQ M., Construire la non-violence. Les besoins fondamentaux de l’enfant de 2 ans ½ à 12 ans. HINDRYCKX G., LENOIR A.-S. et NYSSEN M. Cl., La production écrite en questions. Pistes de réflexion et d’action pour le cycle 5-8 ans. HOHMANN M., WEIKART D. P., BOURGON L. et PROULX M., Partager le plaisir d’apprendre. Guide d’intervention éducative au préscolaire. Humbeeck B., Lahaye W. et Berger M., Prévention du cyberharcèlement et des violences périscolaires. Prévenir, agir, réagir… Humbeeck B., Lahaye W. et Berger M., Prévention du harcèlement et des violences scolaires. Prévenir, agir, réagir… JAMAER Ch. et STORDEUR J., Oser l’apprentissage... à l’école ! LACOMBE J., Le développement de l’enfant de 0 à 7 ans. Approche théorique et activités corporelles. LEMOINE A. et SARTIAUX P., Jouer avec les mathématiques. Jeux et activités traditionnels de 2,5 à 8 ans Meurice B., Accompagner les enseignants du maternel dans leurs missions. MOURAUX D., Entre rondes familles et École carrée… L’enfant devient élève. PIERRET P. et PIERRET-HANNECART M., Des pratiques pour l’école d’aujourd’hui. REY B., CARETTE V., DEFRANCE A. et KAHN S., Les compétences à l’école. Apprentissage et évaluation. STORDEUR J., Comprendre, apprendre, mémoriser. Les neurosciences au service de la pédagogie. STORDEUR J., Enseigner et/ou apprendre. Pour choisir nos pratiques. TIHON M., Jouer aves les sons. La métaphonologie pour entrer dans la lecture. TERWAGNE S., VANHULLE S. et LAFONTAINE A., Les cercles de lecture. Interagir pour développer ensemble des compétences de lecteurs. TERWAGNE S., VANESSE M., Le récit à l’école maternelle. Lire, jouer, raconter des histoires. WAELPUT M., Aimer lire dès la maternelle. Des situations de vie pour le développement des compétences en lecture de 2 ans ½ à 8 ans. WAUTERS-KRINGS F., (Psycho)motricité. Soutenir, prévenir et compenser.


pour

enseigner

Prévention DU cybErharcèlement ET DES VIOLENCES PÉRISCOLAIRE Prévenir, agir, réagir… Bruno Humbeeck Willy Lahaye Maxime Berger


Le présent ouvrage suit la règle typographique qui impose l’accentuation des majuscules. Il tient compte également des simplifications orthographiques proposées par le Conseil Supérieur de la langue française et approuvés par l’Académie française en 1990.

Conception graphique de la couverture : Annick Deru Mise en pages : Nord Compo

© éditions VAN IN, Mont-Saint-Guibert – Wommelgem, 2017, De Boeck publié par VAN IN Tous droits réservés. En dehors des exceptions définies par la loi, cet ouvrage ne peut être reproduit, enregistré dans un fichier informatisé ou rendu public, même partiellement, par quelque moyen que ce soit, sans l’autorisation écrite de l’éditeur. 1re édition ISBN 978-2-8041-9692-9 D/2017/0078/491 ISSN 1373-0169 Art. 578806/01


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Préface

Un regard autour de soi dans la rue, dans les transports en commun, et même dans un restaurant, et c’est la découverte d’une multitude de nos ­contemporains, visage rivé sur l’écran de leur Smartphone, faisant défiler une multitude de pages d’un glissement répété de l’index.

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Lorsque l’utilisateur est issu de ce que l’on appelle la génération Z, cette ­activité se complète de cette extension du bras pour se prendre en photo afin de partager, avec ses contacts, un lieu, un contexte ou encore, par exemple, l’objet acheté à l’instant. Toutes situations qui vont entrainer une multitude de « likes », de ­commentaires et de partages avec, pour l’auteur à l’origine de la publication, un sentiment d’exister, une reconnaissance dont il ne peut désormais plus se passer.

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Sauf qu’une véritable concurrence s’installe qui va aussi permettre à certains destinataires de ces contenus de les détourner, pour susciter des commentaires et des partages qui leur donneront, à eux aussi, cette visibilité devenue ­indispensable.

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Détournements qui peuvent aussi entrainer moqueries, insultes, menaces, ­mettant la personne visée dans une position de plus en plus inconfortable, la poussant à s’isoler et à s’enfermer dans le silence.

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Des situations que beaucoup de parents ne détectent pas. Leur perception de l’environnement numérique de leurs enfants étant influencée par leur propre expérience dans ce domaine, qui est souvent très différente. Et il en est de même pour de nombreux enseignants. Lorsque les dérives évoquées aboutissent à des situations dramatiques comme de l’automutilation ou des suicides, l’incompréhension des adultes est alors totale. Dans le cadre de mon activité professionnelle, je rencontre souvent cette génération adulte qui se découvre en décalage et exprime son désarroi face à cette évolution numérique. Et pourtant, elle dispose d’un outil dont elle ne mesure pas l’importance, qui se nomme l’expérience de vie. 5


Des situations vécues qui, même si elles sont sans lien avec l’usage d’outils numériques, peuvent être partagées avec la jeune génération dans le cadre d’échanges en famille ou en classe. La parole se libérant permettra à celles et ceux qui sont victimes des dérives évoquées de comprendre ce qui leur arrive et de gérer plus sereinement ces situations.

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Et ce livre de Bruno Humbeeck, Willy Lahaye et Maxime Berger, que vous tenez désormais entre les mains, en plus de vous permettre de mesurer l’ampleur du phénomène, vous aidera à devenir un des acteurs de ce vivre-ensemble ­numérique plus serein.

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Olivier Bogaert, Commissaire de la Computer Crime Unit de la Police Fédérale de Bruxelles, Auteur des chroniques « Surfons tranquille »


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Avant-propos

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Le cyberharcèlement fait terriblement peur. Il est devenu, pour de nombreux parents, une source d’angoisse difficile à gérer. En voyant leur progéniture « surfer » sur l’espace numérique, certains ont même l’impression d’avoir livré les clés d’une voiture de Formule 1 à des enfants qui viendraient à peine d’obtenir leur permis de conduire.

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Et c’est sans doute vrai que cette caisse de résonance virtuelle a de quoi susciter l’effroi. Tous les phénomènes de groupe s’y trouvent hypertrophiés tant dans les effets communicationnels qu’ils produisent que dans les conséquences psychosociales qu’ils induisent. Le harcèlement constitue déjà une épreuve redoutable pour beaucoup de parents tenus de livrer, au sein de l’école, leur enfant à un groupe dont ils ne maitrisent pas le fonctionnement. Que dire alors du cyberharcèlement ? Avec ce dernier, ce n’est pas seulement le groupe qui parait incontrôlable mais bien plus le média. Celui-ci semble ingérable chaque fois qu’il est utilisé non seulement comme instrument de communication entre pairs, mais surtout comme outil de prestige permettant à chacun de légitimer les rapports de pouvoir qui se tissent dans les relations interindividuelles en les manifestant aux yeux d’un collectif identifiable, virtuellement gonflé d’une foule indéfinie.

Le cyberharcèlement fait peur

Pour le parent, la tentation est alors grande de tenter de reculer l’âge d’accès de leurs enfants au réseau pour les en préserver ou même d’essayer d’empêcher l’inéluctable en maintenant le réseau à distance1. Les deux stratégies sont, 1. L’impossibilité d’accès aux réseaux sociaux à domicile ne constitue pas un frein réel à leur usage… En effet, 49 % des jeunes se connectent de chez un ami et non de chez eux (Blaya et Alava, 2012)

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nous le verrons, inopérantes voire nuisibles. En effet, elles conduisent soit à diaboliser le réseau social – et donc à stimuler le silence par rapport à tout ce qui pourrait s’y produire2 –, soit à marginaliser l’enfant ou l’adolescent – tenu d’inscrire son développement psychosocial en dehors des espaces de socialisation fréquentés par ses pairs3.

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Pour l’enseignant, le réflexe défensif consiste parfois à considérer la cyber­ agression comme une forme de violence qui ne concerne pas l’école. Celle-ci se déroulant sur un terrain virtuel qui ne se confond pas avec le territoire de l’école, la tentation est en effet grande d’en faire une problématique qui ne serait pas de son ressort. Comme elle se déroule par ailleurs le plus souvent dans un créneau horaire qui est, en principe, placé sous le contrôle de la famille et qu’elle se réalise dans des espaces qui ne peuvent être contenus par les murs de l’école, la violence sur les réseaux sociaux est alors parfois évacuée sous prétexte qu’elle ne concernerait ni le temps, ni l’espace scolaire. De la part de l’institution scolaire, c’est évidemment une manière de se positionner à la fois complètement caduque et totalement i­rrespectueuse de ce que représente effectivement un espace virtuel. Lorsque le virtuel prend appui sur le harcèlement scolaire, ce n’est en effet ni de l’irréel, ni de ­l’imaginaire, c’est seulement une manière de donner une virulence potentielle aux ­violences qui se ­produisent dans la réalité. Les réseaux sociaux s’assimilent ainsi à un lieu d’expression du réel dans lequel ils gagnent potentiellement en force et en ­puissance. Dans cette optique, ils ne se constituent pas comme un e­ space-temps situé hors du champ scolaire, mais bien comme une forme ­relationnelle qui donne de la puissance à ce qui s’y déroule.

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Plus de quatre-vingts pour cent des situations de violence sur le net concernent d’ailleurs des élèves qui font partie d’une même classe. La proportion dépasse les nonante pour cent lorsqu’il est question d’appartenance à une même école. Le cyberbullying ou cyberharcèlement (cyberintimidation au Canada) et même l’usage asocial des réseaux sociaux sont donc généralement bien du ressort de l’école. C’est à elle qu’il appartient en priorité de s’outiller pour faire face à ce nouveau type de relations qui exporte les rapports de domination effectifs dans l’espace numérique. Ceux-ci parasitent les rapports sociaux qui se manifestent au sein des groupes sociaux comme les classes par exemple et qui prennent sens à l’intérieur des collectivités représentées par l’école. Dans le registre du cyberharcèlement, la tendance à dénier le phénomène ou à le réduire à une problématique familiale peut avoir des conséquences dramatiques. Une famille qui, paralysée par la peur et l’angoisse, tente de gérer la problématique par la mise à distance du réseau et une institution scolaire qui, prisonnière d’une mauvaise définition du virtuel, s’efforce de rejeter le

2. Les victimes de cyberharcèlement ont tendance à ne pas faire part de leurs ennuis aux adultes par crainte de se voir interdire l’accès à internet ou supprimer leur téléphone portable. 3. Selon Greenhow et Robelia (2009), l’appartenance à un réseau social influence positivement le sentiment de soutien et d’inclusion sociale. Elle permet de se sentir plus proche de ses amis et connaissances et favorise l’ouverture, l’échange et l’amitié.

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problème à la lisière de ses préoccupations, joueraient ensemble une bien mauvaise partition coéducative.

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Or, c’est justement en agissant en partenaires, dans le respect des identités de chacun, qu’il sera possible pour l’école et la famille d’offrir une réponse préventive efficiente et d’adopter une conduite réactive efficace susceptible de faire face aux situations désespérantes auxquelles peuvent conduire les réseaux sociaux quand ils sont utilisés pour le pire. Pour cela, il faut d’une part outiller les enseignants et informer les parents de façon à ce que ni les uns ni les autres ne soient tentés de fuir leur responsabilité face à l’espace numérique. D’autre part, il faut les sensibiliser aux enjeux sociétaux fondamentaux contenus dans cet espace quand ce dernier module les formes de communication et les manières de se construire des prochaines générations. C’est là tout l’enjeu du dispositif que nous décrivons dans le présent ouvrage.

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En se renvoyant une balle dont personne ne veut, les deux partenaires principaux de l’éducation de l’enfant et de l’adolescent ne feraient, par leur réponse inadaptée ou leur renoncement, que tranformer en désespoir la souffrance de ceux qui pourraient être amenés à vivre une cyberagression comme une atteinte profonde de leur manière d’être au monde. Une telle double attitude contribuerait en réalité à la constitution d’un no man’s land qui ferait la part belle à l’entresoi de l’enfant et/ou de l’adolescent. L’espace numérique ne serait alors rien d’autre qu’un territoire virtuel au sein duquel « sa majesté des mouches » trouverait un terrain propice pour se rejouer, avec sans doute encore davantage de force destructrice et de puissance ravageuse.

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Sa majesté des cybermouches

• Avant-propos 9


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Partie 1

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Comprendre

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Le cadre d’analyse

1. Les réseaux sociaux : des nouvelles formes de socialité a. Spécificité des formes interactives sur le net

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b. Mise en scène de soi sur les réseaux sociaux c. Exemple de dialogue sur Facebook : mise en scène d’un couple virtuel

d. Caractéristiques des formes interactives sur les réseaux sociaux La dématérialisation des échanges

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La centralité des réseaux La redéfinition des indices d’appartenance L’absence de hiérarchisation des messages

2. Les réseaux sociaux : un univers sevré d’adultes 3. Les réseaux sociaux et le harcèlement : le cyberharcèlement a. Composantes naturelles du cyberharcèlement b. Le temps scolaire est débordé c. La taille du groupe est hypertrophiée


d. Les différentes formes de cyberharcèlement L’embrasement La consomption par harcèlement Le dénigrement La divulgation de l’intime La traque sur internet, la mise à l’écart et le trolling

4. Distinction harcèlement/cyberharcèlement 5. Prévalence des situations de cyberharcèlement

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6. Cyberharcèlement et risque d’effondrement identitaire

7. Pourquoi le cyberharcèlement est-il potentiellement plus dangereux que le harcèlement ? 8. Cyberharcèlement et risque suicidaire

L’effet tribal

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L’effet de la violence graduelle L’effet « mandarin chinois » L’effet « cockpit »

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L’effet « lol »

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9. Cinq effets pour expliquer une violence débridée…


Les réseaux sociaux : des nouvelles formes de socialité

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Les réseaux sociaux

Spécificité des formes interactives sur le net

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On désigne sous le terme de « réseaux sociaux » les systèmes numériques sur internet à travers lesquels les individus se connectent les uns avec les autres en vue d’échanger entre eux ou de partager des contenus (textes, images, sons). L’usage d’un réseau nécessite une inscription préalable avec la fourniture de renseignements d’identité, l’attribution éventuelle d’un pseudo et un code d’accès. Ces trois préalables permettent à la fois d’associer l’identité virtuelle à un avatar et, par le code d’accès, de se donner l’illusion d’évoluer dans un espace privé et protégé. En réalité, les réseaux sociaux sont des espaces publics et la protection apparait dans le monde virtuel à la fois rudimentaire et superficielle. Quant à l’avatar, il n’est le plus souvent qu’une façon de s’attribuer un surnom qui ne camoufle en rien l’identité réelle.

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La plupart des réseaux permettent de promouvoir des contacts avec d’autres utilisateurs en exploitant les données fournies par l’usager lui-même, la plupart du temps sans qu’il en ait conscience. En révélant ses centres d’intérêts, ses gouts et ses expectations, l’utilisateur du réseau manifeste une propension à se lier avec des contacts qui lui seront proposés en fonction de ses affinités. Il est évidemment libre de les refuser mais sera, « dans tous les cas », socialement sollicité pour enrichir son réseau d’appartenance. Ces espaces se constituent ainsi comme des espaces de rencontre et de partage qui révèlent des nouvelles formes de socialisation indépendantes de la rencontre physique et de la localisation géographique des échanges. Ils privilégient l’immédiateté et le nombre potentiellement illimité de contacts. Ces caractéristiques propres aux modes de socialité induites par les réseaux sociaux entrainent trois conséquences majeures.

Partie 1 • Comprendre 13


Tout d’abord, l’accumulation des relations amicales concrétisant des liens faibles y prend le pas sur la recherche de l’intensité affective manifestant les liens forts. Ensuite, les contenus émotifs, mieux adaptés au caractère instantané et fugitif des échanges, y sont privilégiés au détriment des contenus réflexifs qui correspondent davantage à une forme de correspondance à la fois suffisamment lente pour permettre le travail de réflexion et suffisamment longue pour laisser une place à la pensée nuancée.

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Enfin, l’absence de limites potentielles du réseau induit une volonté de le développer de façon continue en le transformant en outil de prestige susceptible de manifester l’aptitude de chacun à mobiliser autour de lui une tribu de suiveurs, une meute d’épigones ou une collectivité de disciples. Dans cette « mise en scène de soi », chaque réseau a, en quelque sorte, sa spécialité.

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Facebook est de plus en plus identifié comme une sphère publique où ménager un affichage consensuel de soi4. Parmi ses déclinaisons, Messenger est principalement utilisé pour les discussions via une application pour smartphone. Quant à Instagram, l’application permet de partager des photos sublimées ou détournées par des filtres. Elle est utilisée par ceux qui cherchent à construire, autour de leur image, une communauté d’afficionados par laquelle l’apparence physique se lie au statut social. La plateforme est connue pour être un des lieux d’invention des « selfies ». Chaque image partagée peut être commentée ou « likée ». Le succès de l’image est évalué en fonction du nombre de « likes » qu’elle a suscités et de commentaires qu’elle a provoqués. C’est cet espace numérique qui détient la palme du réseau social où les adolescents seraient le plus persécutés (42 %).

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Twitter est particulièrement adapté, par la concision qu’il privilégie et par sa réactivité instantanée aux évènements, à l’expression immédiate des affects. À ce titre, cette plateforme semble particulièrement adaptée au modèle démocratique de communication privilégié par le fonctionnement de nos sociétés contemporaines au point d’en faire le système d’expression préférentiel de toute la communication politique de D. Trump avec, comme on peut le constater chaque jour, tous les risques de dérive (manque de nuance, impulsivité des réactions émotionnelles) qu’une telle forme de transmission de l’information suppose.

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Ask correspond davantage, par la forme dialoguée en réseau qu’il facilite, à la mise en perspective des joutes rhétoriques. Parce qu’elle rend l’anonymat possible, la plateforme dévoile les aspects les plus cruels de la vie adolescente. Le site a d’ailleurs plusieurs fois été cité dans des affaires de cyberharcèlement qui se sont terminées tragiquement. 4. http://www.fftelecoms.org/articles/1à-ans-apres-le-facebook-des-adolescents-fait-sa-crise. En 2013, le nombre d’adolescents sur Facebook est passé de 76 % au premier trimestre à 56 % au dernier trimestre. Le réseau, trop fréquenté par les adultes, a été « ringardisé » au profit notamment de Twitter, plus en phase avec la culture de l’immédiateté et la culture pulsionnelle que les adolescents partagent apparemment avec… Donald Trump…

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Snapchat, parce qu’il se caractérise par l’autodestruction presque immédiate des données, est beaucoup utilisé pour les échanges intimistes. Il apparait sans doute comme le réseau social sur lequel les adolescents « se lâchent le plus » parce qu’ils s’y sentent en confiance et que le côté éphémère des messages exerce sur eux un effet attractif… C’est aussi, pour les mêmes raisons, un des réseaux dont il faut le plus se méfier dès lors qu’il est question de cyberagression. Whatsapp n’est pas vraiment un réseau social. C’est plutôt un outil de discussion qui favorise l’échange dialogique intime ou le papotage en groupe à l’intérieur de forums constitués autour d’intérêts communs.

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Enfin, Periscope, une application de Twitter, fonctionne comme une véritable usine à défis et se constitue, à partir de là, comme un haut lieu du dérapage sur réseau…

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Cette liste n’a rien d’exhaustif et, dans un marché en pleine expansion, est évidemment en évolution constante. L’investissement pour un réseau social peut s’éroder en quelques mois au profit d’un autre (comme cela fut le cas lorsque MySpace a été déserté au profit de Facebook) sans autre explication que la versatilité du public adolescent et son souci de développer une culture qui lui soit propre à l’abri de l’univers des adultes, l’utilisation d’un réseau par un adolescent étant strictement dépendante de sa fréquentation par ses amis. Les phénomènes migratoires d’un réseau vers un autre s’observent généralement massivement et se réalisent dans un délai relativement court.

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Envisagés comme médias, ces réseaux ou ces applications ne sont, en euxmêmes, ni bons ni mauvais. C’est l’usage que l’on en fait et notamment l’utilisation qui en est faite pour non seulement se mettre en scène, mais aussi faire participer ceux qui nous entourent à cette mise en scène qui peut, le cas échéant, poser problème.

Mise en scène de soi sur les réseaux sociaux

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Les réseaux sociaux ne répondent pas seulement, comme nous l’avons vu cidessus, au besoin de communication de l’enfant ou de l’adolescent. Ils exercent également une puissante fonction identitaire dans la mesure où ils apparaissent comme des vecteurs de manifestation de la popularité et des opportunités de mise en scène de soi qui, nous le verrons, jouent un rôle crucial dans la construction du « soi ». C’est sur ces supports que l’adolescent élabore une image de lui-même correspondant aux codes, aux normes et aux rôles de ceux qui représentent pour lui des « autrui » significatifs, c’est-à-dire l’ensemble des individus qui, selon Mead ou Luckmann, soutiennent le Soi en le validant ou non. Ce groupe de pairs, virtuellement gonflé, constitue pour les adolescents (Le Breton, 2013) le principal moteur de l’affirmation de soi à travers la ­manifestation de son prestige social.

Partie 1 • Comprendre 15


Par ailleurs, l’exposition de soi n’est jamais parfaitement contrôlée par l’adolescent usager d’un réseau social. D’une part, elle ne se réduit pas au contenu explicite qu’il poste volontairement, mais comporte également tout ce qui dans le réseau circule comme informations à son propos. D’autre part, les ados passent beaucoup de temps à faire des enquêtes – à se « stalker » comme ils disent (c’est-à-dire s’espionner) – en cherchant, dans l’espace numérique, des informations les uns sur les autres. C’est notamment par ce biais que l’image que chacun se construit de son « soi » sur son profil échappe pour une très large part à sa propre maitrise.

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Paradoxalement, face à cette image partiellement construite, complétée et éventuellement détruite par le corpus d’informations qui circulent à propos de lui, le réseau social apparait pourtant à première vue pour le sujet comme le lieu d’un véritable « auto-engendrement » (Eliade) de soi quand il crée sur la Toile son image, réelle ou fictive, et qu’il attend qu’elle suscite au bas mot un intérêt bienveillant et, si possible, un véritable engouement.

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En s’exposant sur le réseau, l’utilisateur attend, en contrepartie de ce qu’il montre de lui, de recevoir des signaux de reconnaissance (sous forme de « likes » ou de commentaires) qui donnent de la consistance à ce qu’il révèle à propos de lui-même. Ce regard tiers est vraiment celui qui donne toute signification à ce qui est mis en jeu sur les réseaux sociaux sur le plan identitaire. Ce regard extérieur n’est d’ailleurs pas prioritairement celui d’un interlocuteur, mais davantage celui qui se pose comme spectateur de l’interlocution.

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C’est ce processus qui est mis en avant par A. Klein (2017) lorsqu’elle analyse le basculement d’une identité numérique pour soi articulée autour de la narration de soi – telle qu’elle était stimulée, par exemple, à travers la constitution d’un « blog » dans les années nonante –, à une identité pour autrui. Cette dernière est façonnée par les commentaires dont chaque image de soi fait l’objet, la désignation que provoque la participation collective à des identités numériques plurielles et la traçabilité, au moins partiellement incontrôlable, de chaque profil.

Exemple de dialogue sur Facebook : mise en scène d’un couple virtuel

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Commentaire d’une photo Jasmine : Je t’trouve très bo. J’te kiffe trop sur cet foto Jason : j’te trouv aussi très bel. T’e trop canon sur ton profil Jasmine : t’es super trop bo Jason : t’es méga trop bel Jasmine : j’te kiffe trop Jason : J’te kiffe aussi Jeremy : vous êtres trop mignons tous les deux. Quel beau couple vous faites… Dans le cas de cette forme dialogique empruntée à Facebook, c’est la mise en scène virtuelle de Jasmine et de Jason en tant que couple potentiel qui

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apparait essentielle. Peu importe ce que les deux interlocuteurs feront réellement dans la réalité, indépendamment de ce qu’ils seront l’un pour l’autre dans le réel, le simple fait d’avoir existé virtuellement l’un avec l’autre aux yeux d’au moins un spectateur (en l’occurrence Jeremy) – qui renforce la reconnaissance du couple par douze « likers » – suffit à lui donner une consistance virtuelle. C’est en cela que le rôle des spectateurs (que nous appellerons ici spectacteurs pour mettre en avant le rôle actif qu’ils peuvent avoir par le simple fait de se manifester en tant qu’observateurs) prend, dans un réseau social, toute son importance. Cette fonction de confirmation par laquelle les « mises en scène de soi » ancrent les velléités identitaires est essentielle pour comprendre la dynamique du cyberharcèlement. Ce sont en effet, essentiellement les « spectacteurs » qui donnent de la virulence aux agressions en approuvant les messages qu’elles véhiculent. Chaque « like », chaque commentaire appréciateur font de cette manière monter en puissance la charge agressive.

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C’est pour cela que l’intervention directe auprès du groupe des pairs – en stimulant la sollicitude d’au moins une partie des membres du groupe et en augmentant leur sens des responsabilités – fait directement baisser le nombre de messages ou d’indices qui appuient l’attaque et, ce faisant, en annule automatiquement les effets identitaires. Isolé, un cyberagresseur ne peut rien ou pas grand-chose. C’est la puissance qu’il obtient en rassemblant autour de ses messages ou de son profil une meute de suiveurs qui lui donne toute sa force de frappe.

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Les réseaux sociaux se constituent ainsi, à travers le regard d’un groupe étendu de pairs, comme des vecteurs de constitution, de renforcement ou de maintien d’un capital social permettant de connaitre, d’être connu et d’être reconnu. C’est pour cela qu’il est important d’y « faire le buzz » quitte, pour cela, à casser un autre que soi pour se rehausser de son anéantissement.

« Faire le buzz » quitte, pour cela, à casser l’autre

Le happy slapping, le vidéolynchage ou le slut shaming (faire honte aux salopes) constituent des illustrations de ces procédés par lesquels, en rabaissant l’autre, en le dénigrant ou en l’humiliant, l’usager d’un réseau social entend se doter du prestige de celui qui, en un instant et d’un simple geste, peut faire basculer une réputation, détruire une image ou discréditer une personne. Le Partie 1 • Comprendre 17


sentiment de toute-puissance qui se dégage d’un tel comportement est d’autant plus intense que l’humiliation subie par la victime est forte. Le happy slapping : une agression à ricochets qui ne concerne pas que les élèves entre eux…

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« Un enseignant de Bègles (Gironde) a été frappé et insulté par un groupe d’élèves, qui ont filmé l’agression et l’ont ensuite diffusée sur internet. » Ce fait divers est une nouvelle illustration de « happy slapping », une pratique qui consiste à filmer à l’aide de son téléphone portable, une scène de violence dans le but de diffuser la vidéo sur internet et les réseaux sociaux.

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Un phénomène du « happy slapping » touche sans doute plus rarement les enseignants (0,6 % des personnels seraient victimes d’agressions physiques) que ne le laisse entendre la surexposition médiatique des situations révélées. Elles constituent cependant une remise en cause directe et spectaculaire de l’autorité enseignante et induisent des situations d’humiliation souvent très mal vécues susceptibles de produire une détresse psychosociale particulièrement lourde. En outre, ces agressions sont souvent passées sous silence par les victimes elles-mêmes, comme dans le cas de Bègles, puisque c’est la mère d’un élève qui a alerté la direction de l’établissement de la diffusion de la vidéo sur internet. Les enseignants qui en sont victimes éprouvent alors souvent un sentiment de honte qui s’émancipe dans le silence. Au-delà de leur statut de victime, ils ont peur d’être accusés de ne pas être capables de tenir leur classe et de ne pas être « faits » pour le métier d’enseignants.

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Les motivations des agresseurs varient selon les situations : besoin d’exprimer sa colère face au sentiment d’échec ou d’injustice que génère l’institution scolaire, envie d’exister aux yeux des autres en manifestant une forme de toute-puissance, désir de défier l’autorité en repoussant les limites de l’interdit… Dans tous les cas, il s’agit à chaque fois d’une forme tribale d’agressivité qui, par la violence du groupe, rend les responsabilités diffuses et accroit l’intensité de la charge agressive. Généralement, ces actes n’ont pas été prémédités et le réflexe de filmer est totalement spontané. En diffusant la vidéo de l’agression sur internet, ils veulent ensuite faire la démonstration de leur puissance en espérant ainsi accroitre leur popularité. Étrangement, les agresseurs ne semblent pas conscients du mal qu’ils ont fait et des risques qu’ils courent : « Ils ont l’impression que ce qu’ils partagent sur la Toile restera entre eux. » D’après http://www.20minutes.fr/societe/1638751‑20150624-agression-filmee-cinq-chosessavoir-happy-slapping-contre-profs

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Table des matières

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Avant-propos................................................................................................

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Préface............................................................................................................

Comprendre

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2. Les réseaux sociaux : un univers sevré d’adultes.....................................

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3. Les réseaux sociaux et le harcèlement : le cyberharcèlement.................. a. Composantes naturelles du cyberharcèlement............................... b. Le temps scolaire est débordé........................................................ c. La taille du groupe est hypertrophiée............................................. d. Les différentes formes de cyberharcèlement...................................

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4. Distinction harcèlement/cyberharcèlement.............................................

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5. Prévalence des situations de cyberharcèlement.......................................

54

6. Cyberharcèlement et risque d’effondrement identitaire...........................

58

7. Pourquoi le cyberharcèlement est-il potentiellement plus dangereux que le harcèlement ?.......................................................

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8. Cyberharcèlement et risque suicidaire....................................................

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9. Cinq effets pour expliquer une violence débridée… ...............................

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1. Les réseaux sociaux : des nouvelles formes de socialité.......................... a. Spécificité des formes interactives sur le net.................................. b. Mise en scène de soi sur les réseaux sociaux.................................. c. Exemple de dialogue sur Facebook : mise en scène d’un couple virtuel................................................. d. Caractéristiques des formes interactives sur les réseaux sociaux.....

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Prévenir, agir et réagir 1. Des outils de gestion du vivre-ensemble................................................. a. Premier outil proposé : l’espace de parole régulé ......................... b. Deuxième outil proposé : le conseil de discipline..........................

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3. Des dispositifs de soutien psychosocial immédiat................................... a. Les référents numériques............................................................... b. Les cybercitoyens responsables......................................................

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Conclusion...................................................................................................

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Bibliographie................................................................................................

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2. « Cyberhelp » : une application numérique protectrice............................


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