Territoires du Social - Juin 2019 - Migrants : de l'urgence à l'intégration

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Juin 2019 • Nº 499 • 9 €

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Interview “Les CCAS sont des acteurs centraux car c’est au cœur des territoires que l’intégration se concrétise ” Alain Régnier délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés (DIAIR)

On En Pense Quoi ? ///////// Asile : entre crédits et déni

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focus ///////////// Les Mineurs non accompagnés

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Dossier national Migrants : de l’urgence à l’intégration

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Territoires du social

Juin 2019

Numéro 499

Dossier du mois

Migrants : de l’urgence à l’intégration

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L’action sociale au national

TOUT

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VA

On En Pense Quoi

Asile : entre crédits et déni

BIEN

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EUROPE

FOCUS

Déconstruire la théorie de l’appel d’air

Les Mineurs non accompagnés 18

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INTERVIEW

Alain Régnier, délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés (DIAIR)

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La Fabrique des CCAS/CIAS©

Bilan du programme Accessible

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L’action sociale au local 22

Groupe de travail Unccas

Apporter une réponse cohérente

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NEVERS

JUridique

Nevers mise sur la médiation linguistique

Quelle domiciliation pour les migrants ?

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Nantes

DOSSIER DU MOIS

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Migrants : de l’urgence à l’intégration

LONS-LE-SAUNIER

Lons-le-Saunier fait monter en compétence ses agents

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Nantes met en place le plan communal de sauvegarde


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Mot d'humeur

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prendre sa part… En 2016, À Clermont-Ferrand, les adhérents de l’UNCCAS réunis en congrès se posaient la question des événements globaux et de leur impact sur leur action au quotidien. « Les CCAS face à l’effet papillon », tel était le thème du congrès. La plénière d’ouverture avait largement porté sur la question des migrants et des réfugiés. Au-delà de la question, récurrente, du rôle de l’État ( plus ou moins endossé ) les CCAS et les CIAS étaient très largement tombés d’accord sur le fait que le débat, même s’il faut reconnaitre qu’il n’est pas simple, est parfois simpliste. Accueillir ou ne pas accueillir « toute la misère du monde » est une question légitime mais qui ne se pose pas à l’échelle de l’action sociale locale. Nos adhérents sont très largement dans la recherche de moyens ou de solutions afin de répondre aux situations humaines qui se montrent à eux. Mais comme pour toute politique sociale, les communes et les intercommunalités, ne pourront éternellement être les réceptacles des non décisions des institutions en responsabilité qui se trouvent en amont. Pour que les CCAS et les CIAS puissent continuer à agir pour tous en particulier, il est essentiel que chacun prenne sa part de responsabilité. Benoît Calmels, délégué général

Actes • Territoires du Social JUIN 2019 UNCCAS, 11 rue Louise Thuliez, 75019 Paris. 91e année • n° 499 • 2019 • Déclaration à la Préfecture du Nord le 26/11/1926 (n° 1 939) Commission paritaire des papiers de presse n° 0419G79123 • Numéro d’identification aux contributions indirectes Lille : 44.559.599.006 N° SIRET : 783 852 791 00079 • N° ISSN : 1294-4661 Tirage : 7 000 exemplaires © Tous droits de reproduction réservés. 10 numéros par an. Dépôt légal à parution. Directrice de la publication Hélène-Sophie Mesnage hsmesnage@unccas.org

Rédactrice en chef Élodie Lamboley • elamboley@unccas.org

Publicité François Pardoen •

Contributeurs Frédéric Bodo, Christèle Calmier, Stéphanie Courtois, Valérie Guillaumin, Sophie Le Gall, Hélène-Sophie Mesnage, Boris Ryczek, Eric Landot de Landot & Associés.

Crédit photos /illustrations Stéphane Astier • astierstephane86@gmail.com • Istock • Diair

Abonnement Prix de l’abonnement annuel (10 numéros, prix frais de port inclus – y compris DOM-TOM) : adhérents premier abonnement : – 73 € (ville de plus de 3 150 habitants) ; – 32 € (ville de moins de 3 150 habitants). Non adhérents : 85 €. Prix à l’unité : 9 €. actes@unccas.org

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On eN pense quoi

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Interview

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TOUT VA BIEN

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on en pense quoi Interview

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Entre crédits et déni

Désinformation, amalgames… Fin 2018, la signature bien que symbolique du Pacte de Marrakech pour des « migrations sûres, ordonnées et régulières » n’a pas empêché les fantasmes les plus divers. Le sujet, pourtant inhérent à notre humanité, reste sensible. Il va pourtant bien falloir le dépassionner. Car dès demain, outre les bouleversements géopolitiques qui ont donné lieu à divers traités internationaux de protection des personnes, les dérèglements climatiques, dépourvus à ce jour de traités similaires, viendront probablement raviver le débat.

« Prévisions budgétaires irréalistes », « sous-budgétisation chronique »… Ce ne sont pas les propos d’un militant associatif mais ceux du rapporteur de la mission « immigration, asile et intégration » lors de l’examen au Sénat des crédits inscrits au projet de loi de finances 2019. Deux programmes la composent. Le premier, « Immigration et asile », contient les crédits de l’OFPRA, le financement des CADA, de l’hébergement d’urgence et de l’allocation destinée aux demandeurs d’asile, mais aussi les crédits relatifs à la lutte contre l’immigration irrégulière, dont les frais d’éloignement ou les centres de rétention administrative. le second, « Intégration et accès à la nationalité française », concerne les primo-arrivants et les réfugiés, la subvention à l’OFII et aux associations.

L’effet papillon

«  Face aux flux migratoires, nous, les maires, sommes au pied du mur . » Dans une tribune du Monde de 2017, sept maires1 s’alarmaient de la pénurie de moyens mis à disposition par l’Etat pour accueillir les migrants et aspiraient à « intégrer ceux reconnus comme réfugiés et aider les déboutés du droit d’asile qui malgré tout restent sur [leurs] territoires. » Le 24 avril dernier, ils étaient treize, avec la Maire de Paris2 à dénoncer, dans une lettre ouverte aux ministères de l’intérieur et du logement, la « situation indigne » des migrants en France et réclamer à l’Etat des places d’hébergement supplémentaires. La presse locale n’est pas en reste lorsqu’un camp de fortune se forme en centre-ville comme ce fut le cas à Nantes, Rennes ou Clermont-Ferrand. Au passage, on mesure les relations complexes entre habitants, associations, ville, département, Préfecture. Si l’Etat est à juste titre renvoyé à ses responsabilités, l’élu local confronté à l’urgence et la vulnérabilité des personnes, n’a d’autre choix que d’agir, souvent au-delà de considérations strictement administratives. Parfois à coût de millions…

Le budget de la mission, 1,5 milliard d’euros consacrés en majeure partie à la politique de l’asile, représente un quart des dépenses de la politique de l’immigration et de l’intégration, et ne comptabilise pas celles « des organismes de sécurité sociale, ou des collectivités territoriales, comme pour l’accueil des mineurs étrangers isolés, à la charge des départements. » Si les efforts budgétaires constants sont reconnus, le rapporteur en souligne néanmoins l’insuffisance et le manque d’efficacité. Tout en saluant par exemple la création de 2 000 places supplémentaires en centres provisoires d’hébergement pour les réfugiés, soit 5 000 en deux ans, il évoque des besoins réels de l’ordre de 30 000 places… Au final, les inquiétudes sont vives, notamment face à l’hypothèse affichée de stabilité du nombre de demandeurs d’asile alors que, dans les faits, celui-ci augmente. Selon lui, « l’État nie le réel. » Au final, les collectivités en font les frais à leur niveau.

Une ampleur inédite

Une chose est sûre : notre pays et plus encore l’Europe n’étaient pas préparés au fait que « la méditerranée est devenue la route migratoire la plus létale au monde depuis le début du XXIème siècle. » Ce triste constat a été rappelé par l’Institut national d’études démographiques (INED) dans un article d’avril 2016 intitulé « un million de migrants arrivés sans visa en Europe en 2015 : qui sont-ils ? ». Syriens, Irakiens, Afghans, Erythréens… Où l’on voit que, de quelques dizaines de milliers par an depuis les années 80, le nombre d’entrées irrégulières par la Méditerranée a connu une hausse aussi brutale que meurtrière en 2014 et 2015. Crise des migrants, des réfugiés ? Raisons économiques ou recherche de protection internationale ? L’Institut passe en revue les questions qui immanquablement ont ponctué le débat. A celle de savoir si l’origine de la crise est d’abord un appel de l’Europe ou la fuite du pays d’origine, il privilégie la seconde option, en rappelant les zones de conflits au Moyen orient mais aussi l’accueil, bien que sommaire, prodigué d’abord par les pays limitrophes. En France comme en Europe, serons-nous mieux préparés demain ? Rien n’est moins sûr.

En toile de fond, une Europe divisée Evidemment, la question dépasse le cadre hexagonal. La crise de 2015 n’a pas seulement pris la France de court. Elle a porté un coup d’arrêt au processus déjà complexe de coordination de la politique de l’asile au plan européen. Tandis que les attentions se portaient déjà largement sur Frontex, chargée de surveiller les frontières extérieures de l’Union, l’afflux de 2015, bien que largement retombé depuis, a alimenté la doctrine consistant à pudiquement « externaliser » la question. Résultat : des accords cyniques avec la Turquie, chargée de contenir le plus de réfugiés syriens possibles moyennant finances. Dont acte.

Nous sommes en 2019 et c’est le statut quo. Pire, les tensions semblent n’avoir jamais été aussi vives entres les Etats membres. Le sommet de Salzbourg l’a montré en septembre 2018 : Brexit aidant, les questions autour de la politique migratoire sont restées dans l’impasse. Et avec elles, la réforme de l’asile pourtant jugée indispensable. L’acte IV de la convention de Dublin sur le traitement des demandes d’asile au sein de l’espace Schengen n’est donc pas prêt de s’ouvrir. Et ce en dépit des critiques, unanimes.

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Rennes, Lille, Bordeaux, Toulouse, Grenoble, Strasbourg, Nantes

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Paris, Lille, Bordeaux, Saint-Denis, Aubervilliers, Rennes, Troyes, Metz, Toulouse, Strasbourg, Nantes, Grenoble et Grande-Synthe.

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on en pense Interview quoi

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Pascal Brice, ancien directeur de l’OFPRA, s’en est fait l’écho dans son livre Sur le fil de l’asile, publié en février. Il souligne le désordre généré sur le terrain par le système de Dublin, qualifié d’ubuesque et dont il regrette la faillite complète : « le nombre d’élus, de travailleurs sociaux, de bénévoles qui ne comprennent pas ce qui se passe, parce que quelqu’un demande l’asile et doit attendre des mois pour rien dans des centres d’hébergements… ». Une des pistes d’harmonisation pour sortir de l’ornière fait aujourd’hui consensus : la création d’une agence européenne de l’asile, succédant au Bureau européen d’appui (BEAA) créé en 2010 et qui, sans se substituer aux décisions des Etats membres, pourrait leur apporter une aide opérationnelle. Mais sans réforme de l’asile, toujours pas d’agence…

Dépasser le court terme

« le nombre d’élus, de travailleurs sociaux, de bénévoles qui ne comprennent pas ce qui se passe, parce que quelqu’un demande l’asile et doit attendre des mois pour rien dans des centres d’hébergements… »

A l’instar de ce collectif de chercheurs internationaux qui en juin 2018 proposait de contribuer à l’élaboration de politiques à l’endroit des réfugiés « allant au-delà des constructions idéologiques et des discours qui occultent les débats dans les médias », la communauté scientifique se positionne.

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En attendant, faute de pouvoir anticiper l’effet papillon, les enjeux de lisibilité, d’efficacité, de fluidité se retrouvent à plusieurs niveaux : dans les objectifs de réduction des délais de traitement des demandes d’asile, l’effectivité des mesures d’obligation de quitter le territoire, la rapidité des réponses des Etats membres pour les « Dublinés », etc. Autant d’enjeux auxquels Julien Boucher, tout nouveau directeur général de l’OFPRA, assurait devant les députés en avril dernier vouloir répondre via un « dialogue avec l’ensemble des partenaires : OFPRA, Préfectures, OFII, associations, CNDA. » Sans doute gagnerait-il à entendre aussi les communes, omises de ses propos liminaires…


dossier Interview

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Apporter une réponse cohérente En raison de l’augmentation de la fréquentation du public migrant dans les CCAS, l’UNCCAS a dédié un groupe de travail à ce sujet afin de partager les expériences, porter une seule voix sur le plan local, national et européen et échanger les bonnes pratiques des territoires. Interview de Marie-Dominique Dreyssé, vice-présidente de l’UNCCAS, adjointe au maire de Strasbourg en charge des solidarités, conseillère de Strasbourg Eurométropole et co-pilote du groupe de travail migrants. Dans le cadre du groupe de travail, quels sont les constats saillants sur le sujet des migrants ?

Comment dépasser les critiques essuyées par l’Etat vis-à-vis de l’accueil des migrants ?

Les migrants ne sont pas le public habituel des CCAS car, à leur arrivée sur notre territoire, ils doivent être en principe orientés vers des structures spécialisées dans le cadre de la politique migratoire. Cependant, ces populations sont souvent en difficulté car l’accueil n’est pas réalisé à la hauteur des besoins. Fuyant guerres, crises et famines, à la recherche de protection et d’un avenir pour leurs enfants, les migrants se retrouvent alors souvent en grande vulnérabilité et se tournent vers les CCAS qui se doivent de les accueillir, dans leur mission de protection, et de répondre aux besoins d’hébergement, de subsistance au quotidien, de scolarisation des enfants… La politique migratoire est pourtant une compétence pleine et entière de l’Etat, avec des mises en œuvre particulières. Aussi les CCAS ne sont-ils pas préparés à accueillir ce public nouveau, au parcours administratif spécifique qui leur est inconnu et dont l’accès aux droits est complexe. Jusqu’encore récemment, les migrants s’adressaient peu aux CCAS, si ce n’est avec un statut de réfugié qui relève de fait du droit commun. Or maintenant, les CCAS doivent agir dans l’urgence face à un public d’une telle ampleur en demande d’asile, réfugié, voire débouté. La domiciliation est de droit, mais la barrière de la langue s’ajoute à toute intervention potentielle d’accompagnement. Et les ressources manquent : budgets pour les aides, lieux pour héberger… Alors que ces aides et ces accompagnements devraient être assurés par l’Etat, les agents des CCAS se retrouvent ainsi en difficulté et pris entre deux feux : répondre à l’urgence mais toujours au minimum, ou respecter strictement la règle du droit commun aux dépens des droits fondamentaux humains. Heureusement, dans de nombreux territoires, des élus débloquent des moyens pour l’urgence, l’alimentaire, l’intégration scolaire, la facilitation de parcours administratif, tel un billet de train pour se rendre à Paris à l’OFPRA, et même pour de nouveaux lieux de vie.

Les CCAS font face à une forme de désengagement de l’Etat, non-dit et difficilement compréhensible. Des campements s’installent, la population s’interroge. Au niveau local, il faut absolument que s’instaure un dialogue entre le CCAS et les services de l’Etat, mais aussi entre l’Etat et le conseil d’administration du CCAS, dont le maire est le président. Ces passerelles permettent de connaitre la réalité du territoire et l’action portée par l’Etat pour l’organisation de l’accueil, les parcours administratifs, l’hébergement, la santé, l’accompagnement des enfants vers et dans la scolarisation, etc. mais aussi entendre les difficultés et les limites de son action. La Préfecture, la DDCS, le Département : ce sont tous des acteurs avec lesquels les villes et leur CCAS doivent dialoguer pour que des réponses soient données aux situations d’urgence lorsque les personnes sont à la rue et que soient prises en compte les difficultés des familles et la protection de leurs enfants. C’est le sens que nous souhaitons donner à notre travail à l’UNCCAS : soutenir les CCAS dans leur quotidien afin qu’ils ne restent pas démunis face à ces publics aux parcours chaotiques, leur proposer un partage d’expériences inspirantes et des formations, organiser une parole collective au plan national. Bien sûr, la situation vis-à-vis de l’Etat est complexe, elle dépend des territoires. Mais, souvent, lorsque le dialogue s’ouvre, l’action au quotidien, notamment celle des CCAS, s’en trouve facilitée et bénéficie à tous. Des associations sont très investies sur la question, quels sont leurs apports pour les CCAS ? Les associations nationales spécialisées sur les questions migratoires sont connues mais un CCAS n’avait pas forcément à travailler avec elles jusqu’à présent. Il y a tout à gagner à mieux connaître le tissu associatif local dévolu aux migrants et à engager un travail en réseau élargi des acteurs car ils sont souvent nombreux déjà, actifs et solidaires face au désarroi de migrants vivant sur leur territoire. Le dialogue doit être permanent sur

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ces questions. Strasbourg, par exemple, a engagé une dynamique avec les acteurs concernés et impliqués de manières très diverses dans l’accueil et le parcours des migrants, que ce soit l’hôpital, l’université, les associations de solidarité, les structures d’hébergement, les maraudes sociales et de santé, la maison des adolescents... Cela afin de pouvoir dire et montrer les engagements que notre territoire apporte pour accueillir et soutenir les migrants vulnérables. Cette dynamique a fait émerger au bout d’un an de réflexion et d’action un manifeste, coproduit par une cinquantaine de structures, institutionnelles, associatives et citoyennes, soumis et adopté au conseil municipal du 25 mars dernier. Le « Manifeste pour une ville hospitalière des migrants » engage notre ville, notre territoire. Et cette démarche pluridisciplinaire continue. Elle renforce les liens entre acteurs, permet de mieux appréhender les insuffisances ou les manques, ce qui amène à construire des réponses nouvelles et à pousser un dialogue ouvert avec les services de l’Etat, même si la situation reste complexe et toujours encore à traiter dans l’urgence.

Marir-Dominique Dreyssé vice-présidente de l’UNCCAS, adjointe au maire de Strasbourg en charge des solidarités, conseillère de Strasbourg Eurométropole et co-pilote du groupe de travail migrants

De nombreuses actions émanent des territoires, voire des initiatives probantes. Pouvez-vous nous parler d’ANVITA, dont Strasbourg et une cinquantaine d’autres villes sont membres ?

Tous les territoires ne connaissent pas les mêmes réalités en termes de nombre de migrants, d’accueil, d’hébergement, d’accompagnement… mais tous sont confrontés à des insuffisances qui amènent des difficultés et instillent un climat de doute social. Aussi, des élus de grandes villes, de villes de taille moyenne et petite, interpellent régulièrement l’Etat pour engager un dialogue. Ces villes affichent déjà des engagements pour que l’accueil digne, quel que soit le parcours des migrants et tant qu’ils sont sur notre territoire, se traduise en actes qui respectent les droits fondamentaux des personnes : des actes de secours, des actes d’accueil, des actes d’inclusion. Des réseaux s’engagent, souvent associatifs, citoyens, et une association d’élus s’est créée, l’Association nationale des villes et territoires accueillants (ANVITA).

ANVITA

L’Association nationale des villes et des territoires accueillants (ANVITA) regroupe communes, collectivités, élus depuis septembre 2018. Les adhérents aspirent à l’accueil inconditionnel des populations migrantes. La création de ce réseau se veut une réponse à « l’échec des politiques migratoires européenne et nationale [qui] entraînent une montée du populisme tout en restreignant les humaines fondamentaux. » L’association entend notamment mutualiser et partager les pratiques sur des thèmes comme l’accès aux droits fondamentaux, la protection des Mineurs non accompagnés, la sensibilisation citoyenne et la cohésion territoriale. L’ANVITA aspire également à accompagner les territoires souhaitant accueillir des migrants sur son territoire. Parmi les membres fondateurs : les villes de Nantes, de Saint-Denis (93), Strasbourg, Grenoble, Grande-Synthe… www.villes-territoires-accueillants.fr

Son objectif est de tisser des liens entre tous ces territoires accueillants, nombreux, volontaires, inventifs et avoir une parole collective nationale en faveur d’un accueil des migrants digne et juste. L’urgence en permanence ne peut continuer à être le mode de gouvernance de notre politique migratoire : il faut anticiper, dégager des espaces territoriaux de dialogue pour que soit engagée une vraie politique d’accueil.

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Interview dossier Interview

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NEVERS MISE SUR LA MÉDIATION LINGUISTIQUE Grâce à des dotations de l’Etat et du conseil régional de Bourgogne, le CCAS de Nevers a pu mettre en place différentes actions pour soutenir l’intégration de familles réfugiées, notamment syriennes. Parmi les besoins recensés, une priorité a été dégagée : aider à la compréhension de la langue française. Quand, à partir de 2016, le territoire de Nevers (Nièvre, 34 000 hab.) a commencé à accueillir des familles syriennes, la ville a reçu une dotation de l’Etat, qui a été abondée par le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, afin de financer cette politique d’accueil. « Les élus se sont alors fixés une exigence : que ces dotations, 65 000 euros sur deux ans, bénéficient directement et totalement aux réfugiés alors même qu’aucune contrainte ne le prévoyait », retrace Catherine Fleurier, conseillère municipale déléguée à l’Action sociale et la Solidarité, vice-présidente du CCAS et vice-présidente à Nevers Agglomération en charge de la Cohésion sociale et de la Santé. « Ces familles avaient déjà accès à un hébergement d’urgence, leurs besoins ne portaient donc pas sur une mise à l’abri », poursuit-elle. Afin, justement, d’identifier au mieux ces besoins et de renforcer sa coopération avec ses partenaires, le CCAS entreprend en 2017 de réunir l’ensemble des acteurs intervenant auprès des personnes migrantes dans l’objectif de bénéficier de leur expertise de terrain. « Nous avions besoin de savoir comment se déroule le parcours du public arrivant sur notre territoire, les difficultés rencontrées par les familles déjà installées, les manques », précise Catherine Fleurier. Les associations signalent le cas particulier des familles jusque-là insérées, qui, ayant été déboutées de leur demande d’asile ou étant arrivées en fin de droits, ne disposent de plus aucun revenu ou aide financière et finissent par perdre leur emploi ou leur logement. « Nous avons fait le choix de soutenir les associations qui interviennent auprès de ces familles. Par exemple, il nous a semblé évident que les enfants aient la possibilité de continuer à aller à l’école ou à la crèche », explique la vice-présidente. Le CCAS a ainsi débloqué une aide à la mobilité ou encore des crédits à l’épicerie solidaire.

familiale de lutte contre l’illettrisme (AFPLI) et a fait appel à l’entreprise d’insertion Réussir afin de recruter des « traducteurs pairs ». Des réfugiés qui maîtrisent le français et autorisés à travailler sont employés pour assister des réfugiés qui n’ont pas encore cette compétence. Une activité, qui, par ailleurs, leur permet de faire progresser leur propre insertion professionnelle. « Il y a parmi les réfugiés des personnes qui pratiquent jusqu’à cinq ou six langues », souligne Catherine Fleurier. Le CCAS centralise les demandes de traduction, pouvant être sollicité par un directeur d’école qui n’arrive pas à communiquer avec les parents d’enfants nouvellement inscrits dans son établissement ou encore par l’équipe d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA). En 2018, quarante-cinq personnes ont ainsi pu être aidées avec l’intervention de onze « médiateurs linguistiques ». « Nous avons voulu créer un cercle vertueux. Les médiateurs signent une charte et leur mission est inscrite dans le livret de leur parcours d’insertion », se félicite l’élue. Toujours sur la problématique de la compréhension de la langue française, le CCAS a impulsé en 2018 dans le cadre du Collectif Solidarité Nivernais, qui regroupe 32 structures associatives et institutionnelles, la traduction en quatre langues étrangères (anglais, russe, kurde et arabe) d’un « mini guide social », qui existait déjà en langue française. Le document répond à des besoins fondamentaux - Où se doucher ? Trouver à manger ? etc et aide à se repérer et se diriger dans la ville de façon autonome. Les traductions ont été réalisées grâce à un groupe d’associations œuvrant quotidiennement auprès des populations migrantes. Les mini guides sont diffusés par le CCAS, des associations et structures sociales, et aussi par les services de police, la SNCF ou encore des services de médiation. Le CCAS a pu financer cette initiative avec les dotations de l’Etat et du conseil régional. « Aujourd’hui, ces dotations sont épuisées. Le CCAS va donc devoir financer sur ses fonds propres la poursuite des dispositifs mis en place tout en partant à la recherche de partenaires financiers », souligne Catherine Fleurier.

Comprendre et être compris

Un autre besoin essentiel est identifié, concernant cette fois-ci l’ensemble des familles, quel que soit leur statut : comprendre et être compris, la barrière de la langue venant entraver les projets élaborés avec les travailleurs sociaux et les bénévoles. Pour bâtir ce dispositif de « médiation linguistique », le CCAS de Nevers s’est appuyé sur un de ses partenaires historiques, l’Association

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