Territoires du Social - Mai 2019 - Services publics : les externaliser ou pas ?

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Mai 2019 • Nº 498 • 9 €

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Interview “Il n’est pas si simple d’externaliser” François Ecalle Président de l’association « finances publiques et économie » (Fipeco) et ancien magistrat de la Cour des comptes

focus

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///////////// Les CommissionS consultativeS des services publics locaux

On En Pense Quoi ? ///////// Gestion du Service Public : la quête du graal

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Dossier national

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SERVICES PUBLICS : LES EXTERNALISER OU PAS ?


Territoires du social

Mai 2019

Numéro 498

Dossier du mois

Services publics : les externaliser ou pas ?

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L’action sociale au national

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On En Pense Quoi

Gestion du Service Public : la quête du graal

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EUROPE

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Pourquoi le scrutin du 26 mai est-il important ?

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FOCUS

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Les Commissions consultatives des services publics locaux

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L’action sociale au local

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INTERVIEW

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François Ecalle, Président de l’association « finances publiques et économie » (Fipeco), ancien magistrat de la Cour des comptes et chargé de cours à l’Université Paris 1

La Fabrique des CCAS/CIAS©

Le CCAS en 2050 : préparer aujourd’hui les conditions d’évolution de demain

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Orléans

Petite enfance : externaliser pour réaliser un projet atypique 22

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DOSSIER DU MOIS

Châlons-en-Champagne & Mérignac

Services publics : les externaliser ou pas ?

Il ne s’agit pas d’externaliser pour externaliser

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Nantes

JUridique

Externaliser et rester le « pilote » du dispositif

Une externalisation contractuelle sous contraintes juridiques

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poitiers

Délégué à la protection des données : externaliser ou mutualiser


Territoires du social

Mai 2019

Mot d'humeur

Numéro 498

Le social a-t-il la DSP honteuse ? orsque le comité de rédaction a décidé de consacrer un numéro de Territoires du social à la délégation de service public, nous avons tout d’abord craint un numéro trop technique. Au final, c’est l’angle politique qui nous est revenu en pleine face. Trouver des expériences de délégation de service public et autres formules d’externalisation dans le réseau était simple. Et choisir ce sujet pour notre revue s’imposait comme une évidence au vu des sollicitations d’élus ou de directeurs demandant un éclaircissement, un appui ou un accompagnement. Notre journaliste, prompte à sillonner les routes du social, interrogea en France et en Navarre. Mais après seulement quelques jours, nous recevions des appels de tel cabinet, ou de telle direction de la communication, nous demandant de bien vouloir ne pas écrire sur la DSP mise en œuvre dans leur commune. Pourquoi cette pudeur, réelle ou fausse, sur la délégation de service public alors qu’il s’agit d’une pratique courante dans le monde territorial : cantine scolaire, ramassage des ordures, palais des congrès etc ? Nombre de secteurs font déjà largement appel au privé. La démarche qui ne pose aucun problème particulier est même largement entrée dans les mœurs. Mais apparemment lorsque le recours au privé est envisagé dans le champ social, on a plus facilement la DSP honteuse… Pourtant, et ce numéro le montre, la délégation de service public peut être un choix politique « éclairé » pour apporter un service plus efficient à un moindre coût. A la condition pour les CCAS et CIAS de conserver un droit de regard et de correction sur l’exécution du service. Ce que confirment les différents experts qui se sont exprimés dans nos pages. Sachons donc poser les débats dans la sérénité et trancher en objectivité. Car la délégation de service public ne sera jamais confondue avec l’abandon de service public. Benoît Calmels, délégué général

Actes • Territoires du Social MAI 2019 UNCCAS, 11 rue Louise Thuliez, 75019 Paris. 91e année • n° 498 • 2019 • Déclaration à la Préfecture du Nord le 26/11/1926 (n° 1 939) Commission paritaire des papiers de presse n° 0419G79123 • Numéro d’identification aux contributions indirectes Lille : 44.559.599.006 N° SIRET : 783 852 791 00079 • N° ISSN : 1294-4661 Tirage : 7 000 exemplaires © Tous droits de reproduction réservés. 10 numéros par an. Dépôt légal à parution. Directrice de la publication Hélène-Sophie Mesnage hsmesnage@unccas.org

Rédactrices en chef Hélène Delmotte • journalistes@unccas.org Élodie Lamboley • elamboley@unccas.org Contributeurs Frédéric Bodo, Christèle Calmier, Stéphanie Courtois, Valérie Guillaumin, Sophie Le Gall, Hélène-Sophie Mesnage, Boris Ryczek, Sandra Bertezene, Eric Landot de Landot & Associés, Pierre Villeneuve. Abonnement Prix de l’abonnement annuel (10 numéros, prix frais de port inclus – y compris DOM-TOM) : adhérents premier abonnement : – 73 € (ville de plus de 3 150 habitants) ; – 32 € (ville de moins de 3 150 habitants). Non adhérents : 85 €. Prix à l’unité : 9 €. actes@unccas.org

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On eN pense quoi

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Interview

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on en pense quoi Interview

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La quête du Graal

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Numéro 498

Entre les deux mon cœur balance

A chaque président, sa réforme. 2007 : Révision générale des politiques publiques (RGPP). 2012 : Modernisation de l’action publique (MAP). 2017 : place au Programme Action publique 2022. Cette volonté de transformation de l’action publique, assortie d’une recherche d’efficacité, n’est pas nouvelle. Quoique de plus en plus de saison. D’aucuns y voient la privatisation rampante voire la casse du service public. D’autres, une modernisation indispensable. Pendant ce temps, les sirènes du privé parcourent tranquillement les couloirs de Bercy…

Dans un ouvrage de 2015 sur la gestion et le management public, Camille Guirou, chercheuse de l’université d’Aix-Marseille, démontre l’importance des « croyances » dans le choix des modes de gestion. Se fondant sur deux cas pratiques – une municipalité ayant délégué sa crèche, l’autre l’ayant municipalisée – elle souligne les motivations sous-jacentes dans les choix considérés par les uns et les autres comme les plus efficients. N’en déplaisent à ceux qui pensaient que ce genre d’arbitrages s’appuie sur des approches rationnelles. Bien souvent, ce sont des considérations individuelles et particulièrement subjectives de l’action publique qui l’emportent. Etonnamment, les deux camps « mobilisent des valeurs identiques - gestion saine, amélioration du service, transparence, etc. - pour justifier des décisions antinomiques. »

Cette question de l’efficacité de l’action publique renvoie à des arguments entendus dans le débat récurrent qui oppose deux visions en apparence contradictoires : d’un côté, les partisans d’une gestion par la collectivité de l’ensemble du service fourni aux administrés ; de l’autre, les adeptes de l’externalisation vers des opérateurs privés de tout ou d’une partie de la gestion de ce même service ou équipement.

Dans les faits

L’Atlas 2019 de la gestion des services publics locaux publié par l’Institut de la gestion déléguée nous invite quant à lui à quelques subtilités dans cette vision binaire. Aucune ville ou intercommunalité n’opterait aujourd’hui pour un mode de gestion unique pour l’ensemble de ses services publics. Les secteurs nécessitant des « savoir-faire et des process technologiques complexes » (réseaux de chaleur, transports urbains, centres des congrès/zéniths) ont plutôt les faveurs de la gestion déléguée. A l’inverse, la gestion directe prédomine pour l’éclairage public, la collecte des déchets ou la restauration collective.

Les pro et les anti

L’efficacité pour ne pas dire le salut du service public seraient-ils ainsi entre les mains du privé ? Hors contexte, cette conception est absurde et elle n’a pas de sens. Certes, les modalités contractuelles ne manquent pas : marchés, partenariats « public/privé » ou encore contrats de concession, pour reprendre la terminologie européenne imposée via la réforme de la commande publique de 2016. La plus connue de ces concessions n’est autre que la « délégation de service public » (DSP) dont les experts diront qu’elle donne lieu à d’autres subtilités juridico-sémantiques selon que l’équipement public existe avant d’être transféré, que la commune perçoive ou non des intérêts à l’exploitation, etc. Quoi qu’il en soit, la formule attire : « laissons à l’entreprise la gestion du service. A charge pour elle d’en assumer les risques potentiels. » Soit dit en passant, qui dit assumer les risques ne veut pas dire être plus efficace.

Hormis la restauration collective, un autre secteur est en lien avec l’activité des CCAS : la petite enfance. Outre le développement important de l’intercommunalité et la pression de la demande des familles, les auteurs soulignent que si le transfert exclusif au privé reste marginal, ce dernier connait toutefois une vraie montée en puissance. En témoignent les 27% des communes/ intercommunalités qui ont opté pour une gestion mixte entre public/privé, aux côtés des 72% qui auraient conservé la gestion directe.

Dans cette bataille rangée entre les pro et anti externalisation, les premiers disent : transfert du risque financier donc, recours à des compétences spécifiques dont la collectivité ne dispose pas toujours, soulagement de l’élu délégué au personnel, levier en termes d’investissement face au manque de marges de manœuvre financières des collectivités, etc.

La petite enfance, un cas tellement à part ? Il est vrai que les pouvoirs publics n’ont eu de cesse depuis les années 2000 d’ouvrir ce secteur aux associations et entreprises privées pour compléter l’offre d’accueil. N’oublions pas que l’Europe est aussi passée par là. En 2010, alors que la très grande majorité des établissements et services sociaux sont exclus du champ d’application de la fameuse directive services ou « Bolkestein », la France fait le choix d’y maintenir la petite enfance. Et donc de laisser libre cours à la concurrence dans le secteur. Après le spectre du « plombier polonais », est donc apparu le fantasme de la crèche lettone…

Les seconds rétorquent : marchandisation du service public, déresponsabilisation, dérives conduisant à terme à des surcoûts liés à des obligations contractuelles mal négociées, occasion manquée de renforcer la coordination des différents services de la collectivité, etc. Panacée pour les uns, calamité pour les autres ? Une conclusion s’impose : même les critères les plus objectifs peinent à s’imposer dans un cas comme dans l’autre.

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Territoires du social

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on en pense Interview quoi

Numéro 498

A côté de la plaque ou visionnaire ?

Considérant nos difficultés à obtenir des témoignages dans ce dossier, on nous objectera qu’en dehors du cas de la petite enfance, l’action sociale locale est finalement peu concernée. A moins que le sujet ne soit tabou... Car quoi qu’on en dise, les questionnements autour par exemple des évolutions du modèle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) renvoient vite à ce type de considérations. En gestion directe, la collectivité devra nécessairement réfléchir à la notion de taille critique, à la possible mutualisation des fonctions support, aux besoins de modernisation des infrastructures. Les CCAS gestionnaires de plusieurs établissements et qui centralisent les relations avec les tutelles, les démarches qualité, etc. en sont conscients et souvent se félicitent de garder la main. D’autres, au regard de ces mêmes interrogations, sont tentés par le transfert au privé et franchissent le pas.

Après le spectre du « plombier polonais », est donc apparu le fantasme de la crèche lettone…

Certes, l’une des deux sociétés privées à l’origine de cette étude est spécialisée dans les centres d’appels à distance, ce qui relativise grandement son objectivité. Certes le propos libéral est clair, pour ne pas dire caricatural. Cela dit, non content de faire miroiter aux administrations centrales des gisements majeurs d’externalisation des services, via la dématérialisation, ce document promet aussi des « marges des manœuvre importantes au niveau des collectivités locales » pour lutter contre « une gestion de la relation à l’usager [qui] apparaît sous-optimale du fait de rigidités liées à la gestion des ressources humaines et à un éclatement structurel persistant »…. Si nous sommes évidemment très loin du centre d’appel délocalisé à des milliers de kilomètres pour répondre aux sollicitations bien réelles des habitants, il n’est cependant pas inutile de rappeler qu’en matière de gestion des services publics, la quête du Graal n’a d’intérêt que si elle permet, de manière durable, de mieux répondre aux besoins des usagers, a fortiori ceux en situation de vulnérabilité.

Ce faisant, ils ne pourront néanmoins pas s’exonérer d’une réflexion indispensable sur le périmètre et les enjeux de ces transferts. La DSP, pourquoi pas. Mais pour quelles finalités ? Quelle amélioration du service rendu ? La collectivité est-elle assez outillée pour en assurer le suivi ? Comment changer d’avis le cas échéant ? Autant de questions posées par les Chambres régionales des Comptes dans leurs contrôles de l’activité déléguée et auxquelles tout élu devra répondre, au regard des besoins et du contexte local.

Garde-fous

Qu’en sera-t-il demain ? Tandis qu’était présenté en mars dernier le projet de réforme de la fonction publique, Bercy se voyait remettre un rapport sur « l’externalisation dans les services publics » (lire p 20) promettant jusqu’à 25 milliards d’économie, à qualité de service égal. Rien de moins. Le crédo : confiez-nous la gestion de votre relation aux usagers, elle n’en sera que plus efficace parce que dématérialisée !

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Focus Interview

Territoires du social

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Numéro 498

Les CCSPL La loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République a prévu la création d’une « commission consultative compétente pour un ou plusieurs services publics locaux exploités en régie ou dans le cadre d’une convention de gestion déléguée » comprenant des représentants d’associations d’usagers du ou des services concernés et présidée par le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent. Cette obligation qui s’appliquait initialement aux services des communes de plus de 3500 habitants et aux EPCI comprenant au moins une commune de 3500 habitants et plus s’applique depuis la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, aux communes de plus de 10 000 habitants, aux EPCI de plus de 50 000 habitants et aux syndicats mixtes de plus de 10 000 habitants.

Souvent citée en exemple, la CCSPL de Lyon doit sa notoriété à sa capacité d’évolution : « Au début des années 2000, nous avons organisé cette commission conformément aux textes réglementaires. Mais très vite, nous avons souhaité dépasser l’aspect strictement technique pour partager d’autres sujets en lien avec les enjeux de politiques publiques afin de favoriser le rapprochement entre les représentants des usagers, les citoyens et la Métropole », témoigne Sandrine Frih. Après une mise à niveau des connaissances sur différentes thématiques grâce à l’organisation de groupes de travail sur les politiques publiques, des séances d’info-débats sont régulièrement organisées, disponibles sur le site Millénaire 3 dédié à la prospective de la Métropole1. Avec parmi les sujets traités : le stationnement, la stratégie d’aménagement numérique ou encore les nouvelles mobilités. Une participation citoyenne que Sandrine Frih souhaite encore amplifier pour que « l’ensemble des débats menés au sein de la commission représente un appui de plus en plus fort pour les élus. »

« La Commission consultative des services publics locaux (CCSPL) est une instance consultative qui rend des avis obligatoires, sur les délégations de service public, et plus précisément sur les rapports d’activité annuels établis par les délégataires et concessionnaires de service public, ainsi que sur les rapports réalisés par les services de la Métropole sur le prix et la qualité du service public de l’eau et des déchets – que nous appelons les « rapports Barnier » », explique Sandrine Frih, vice-présidente de la Métropole de Lyon chargée de la politique de concertation, de la participation citoyenne et de la vie associative et Présidente de la CCSPL de la Métropole.

COMMISSION CONSULTATIVE COMPÉTENTE POUR UN OU PLUSIEURS SERVICES PUBLICS LOCAUX

« La CCSPL donne également des avis sur le choix du mode de gestion pour les projets de délégation de service public, les contrats de partenariat public-privé et la création de régies dotées de l’autonomie financière. Les membres de la Commission sont aussi invités à formuler des contributions destinées à alimenter les choix sur les politiques publiques de la Métropole. » Pour le Grand Lyon, cette commission est composée de 20 conseillers métropolitains issus des différents groupes politiques et de 47 représentants de 28 associations d’usagers, de consommateurs ou dont l’objet social est en lien avec les DSP de la métropole. 1

https://www.millenaire3.com

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Territoires du social

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LA FABRIQUE DES CCAS/CIAS Interview©

Le CCAS en 2050 : préparer aujourd’hui les conditions d’évolution de demain

échafauder des hypothèses… Celles-ci sont certes nécessairement limitées, incomplètes, parfois erronées. Mais l’important n’est pas tant la justesse de ces postulats que la pertinence des questions qu’ils posent. Chacune de ces hypothèses bouscule la vision actuelle des CCAS et nous force à envisager de nouveaux positionnements et à relever de nouveaux défis. La promesse de l’exercice proposé dans les ateliers n’est pas d’identifier des prédictions, mais de réfléchir ensemble aux possibles orientations des CCAS de demain.

« Nous n’avons pas su imaginer les effets des crises économiques sur les enfants des ménages qui ont été touchés de plein fouet par celles-ci. Nous retrouvons aujourd’hui au CCAS et à la Mission locale les enfants de familles que nous avons accompagnées dans les années 80 après les crises pétrolières. On a l’impression d’avoir loupé quelque chose, de ne pas avoir su nous projeter face à l’arrivée d’un chômage massif pour les générations à venir. Et on se pose désormais la question : comment mieux se préparer et mieux accompagner la population face aux évolutions et aux transitions à venir ? » Janick Léger, directrice du Pôle Population du CCAS de Pont-de-L’Arche (Eure, 4 214 habitants).

Se poser les questions pour « préparer aujourd’hui les conditions d’évolution de demain » Comment envisager, dans un monde numérique, la solidarité à l’échelon local ? Quel serait le vivre-ensemble à la campagne si les villes se vidaient de leurs habitants ? Quel équilibre préserver entre territoires ? Les stratégies possibles des CCAS de demain sont à inventer. Charge à chacun ensuite, de s’y préparer, c’està-dire de construire le cheminement pour parvenir ou éviter de parvenir à ces visions de demain.

« Le territoire a connu une reconversion, qui a été très violente, avec un champ du possible réduit et une projection des jeunes très limitée. C’est l’ADN du CCAS d’aller là où il y a un besoin, d’agir là où il n’y a rien. Mais le CCAS ne peut plus se contenter d’être dans la réaction, il doit aussi anticiper, se projeter, mais comment faire ? Comment préparer aujourd’hui les conditions d’évolution de l’action sociale de demain pour notre territoire ? ». Joël Ferri, directeur du CCAS de Carvin (Pas-de-Calais, 17 031 habitants).

Si jusqu’ici le CCAS a su rester souple et a toujours su se réinventer, posons-nous la question des conditions de son évolution. Quel sera son rôle ? Comment répondra-t-il aux nouveaux besoins des habitants sur le territoire ? Comment fonctionnera-t-il ? Comment composera-t-il avec les usagers face aux transitions fortes ? Quel sera le rôle de ses agents ? Comment travailleront-ils ? Et avec qui ?

Le monde de demain sera complexe, marqué par de grandes transitions (énergétique, démographique, numérique, etc.) obligeant les acteurs publics à se renouveler et à construire les visions de leur devenir. Parmi ces enjeux fondamentaux : comment bâtir la solidarité à l’échelon local ? Quel rôle joueront les CCAS/CIAS dans quelques années, voire quelques décennies ? Pour y répondre, l’Unccas vous propose un cycle de quatre ateliers autour de ces thématiques.

Quatre ateliers pour construire « le CCAS en 2050 » L’Unccas vous propose donc un cycle de quatre ateliers collaboratifs autour de ces questions, dans quatre villes différentes pour permettre à une majorité d’entre vous d’y participer. Autour de thématiques d’actualité - vieillissement, santé, emploi, exclusion -, ces ateliers proposeront aux participants de travailler sur l’avenir du CCAS et de l’action sociale locale, de construire des visions possibles de demain(s), mais aussi de produire un corpus de représentations afin d’alimenter la réflexion et le débat collectif.

Réinventer le rôle du CCAS sur le territoire en 2050 Comme toutes les institutions publiques, le CCAS va devoir réinventer son rôle. Les transitions, par nature structurantes, dépassent l’échelle administrative des différents échelons traditionnels (national, régional, départemental, communal), laissant à penser qu’elles relèvent toutes de la responsabilité « d’au-dessus ». Bien sûr, il n’en est rien car chacun a sa partition à jouer. Et dans les contextes de crise, les rapports de pouvoir sont prompts à basculer. Les acteurs de terrain ont une force de transformation bien plus directe que les centres de décision éloignés des territoires. L’innovation se trouve désormais autant dans les grandes organisations que dans les petites (et parfois davantage dans les petites que dans les grandes). Cette hypothèse peut inquiéter autant qu’elle peut enchanter : le rôle des acteurs locaux de la solidarité sera déterminant. Oui, mais de quelle manière ?

4 ATELIERS, 4 DATES, 4 VILLES : Atelier 1/4 : 13 et 14 mai – Paris Atelier 2/4 : 24 et 25 juin – Métropole Lyonnaise Atelier 3/4 : septembre – Métropole Bordelaise Atelier 4/4 : novembre – Régions Nord-Est Les ateliers seront animés par l’agence de design Vraiment Vraiment et la Fabrique des CCAS/CIAS© de l’Unccas.

Nous partons d’un constat. Bien que nous ne sachions pas à quoi va ressembler le monde de demain, quelques signaux nous aident à comprendre les grandes lignes de cette évolution. L’actualité nous révèle des indices à partir desquels nous pouvons

Participation gratuite, dans la limite des places disponibles. Renseignements et inscription auprès d’Alissia NONO, anono@unccas.org

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Interview

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Numéro 498

L’interview du mois : François Ecalle

« Il n’est pas si simple d’externaliser » Pour l’économiste François Ecalle, Président de l’association « finances publiques et économie » (Fipeco) et ancien magistrat de la Cour des comptes, l’administration doit respecter un certain nombre de prérequis pour que l’externalisation des services publics se déroule dans de bonnes conditions. Quel regard portez-vous sur l’externalisation des services publics en France ? François Ecalle : L’externalisation des services publics recouvre des réalités très diverses : il peut s’agir de fonctions exercées par l’administration dans le cadre de missions de service public qu’elle continue à assurer elle-même et on parle alors de sous-traitance. Mais elle peut avoir un champ beaucoup plus large et concerner par exemple l’exploitation d’infrastructures publiques dans le cadre de contrats de partenariat public privé ou de délégations de services publics. Les situations ne peuvent donc qu’être analysées au cas par cas. L’externalisation est-elle adaptée à l’ensemble des services publics ? F E : Je ne le pense pas car il n’est pas si simple d’externaliser. Prenons l’exemple de la concession des autoroutes, qui est aussi une forme d’externalisation. L’Etat a établi un cahier des charges puis, quelques années plus tard, il a demandé aux concessionnaires des travaux complémentaires : la construction d’une bretelle autoroutière, d’un mur antibruit, etc… L’entreprise a évidemment

facturé ces prestations supplémentaires et aujourd’hui, on parle d’échec. Alors que la conséquence à en tirer est que l’expression des besoins doit être suffisamment claire pour vérifier que la prestation fournie est conforme aux engagements contractuels et surtout pour ne pas avoir à passer des avenants aux marchés à l’initiative de l’acheteur public, ce qui le met toujours en position de faiblesse par rapport aux fournisseurs. Pour revenir à votre question, tout dépend de la prestation demandée. L’administration n’a pas intérêt à externaliser les fonctions qui relèvent de son cœur de métier car elle les assure généralement bien mieux que ne pourrait le faire n’importe quelle entreprise privée. Et lorsqu’elle externalise des fonctions éloignées de son cœur de métier, elle doit malgré tout faire preuve d’un minimum de compétences pour passer le marché, définir précisément les besoins et suivre la manière dont les prestations sont réalisées. Si nous prenons l’exemple de la gestion des crèches ou de la livraison de repas dans les Ehpad, la prestation est assez facile à définir et à évaluer, et la mise en concurrence étant possible, le recours à l’externalisation ne pose pas de problème particulier. Suite page 18.

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L’administration n’a pas intérêt à externaliser les fonctions qui relèvent de son cœur de métier


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Interview

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François Ecalle Président de l’association « finances publiques et économie » (Fipeco), ancien magistrat de la Cour des comptes et chargé de cours à l’Université Paris I

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Interview Y a-t-il des points de vigilance à respecter avant de recourir à l’externalisation ? F E  : Gardons présent à l’esprit que l’administration reste responsable du service public. Elle doit donc toujours contrôler que la prestation est conforme à ce qu’elle en attend. A la Cour des Comptes, nous étions en permanence confrontés soit au fait que la personne publique avait une vision imprécise de ce qu’elle voulait, soit au fait qu’elle ne vérifiait pas la conformité de la prestation commandée au prix défini. Cet aspect ne doit pas non plus être négligé car les fournisseurs ont toujours d’excellentes raisons pour majorer les prix. Il faut donc prendre un maximum de précautions et réfléchir en amont à tous les scénarios parce que les recours ne seront possibles qu’à la condition de prouver que la prestation délivrée ne répond pas à une demande précisément formulée. Ensuite, il doit exister une concurrence dans le secteur concerné car si la demande est très spécialisée avec un cahier des charges très spécifique, peu d’entreprises seront capables de satisfaire le besoin et le risque est grand de payer la prestation très chère.

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en raison d’une gestion plus souple et d’une adaptation plus rapide aux modifications de leur environnement. Les deux principales conditions pour que l’externalisation soit une source d’économies sont, d’une part, que l’administration soit capable de définir précisément ce qu’elle attend de son prestataire et, d’autre part, qu’elle se fournisse auprès de l’entreprise la moins chère.

Il serait caricatural d’affirmer que les entreprises privées sont plus efficaces que les administrations.

L’externalisation des services publics peut-elle concourir à l’optimisation de la dépense publique ? F E  : Il serait caricatural d’affirmer que les entreprises privées sont plus efficaces que les administrations. Il faut ensuite rappeler que toute externalisation d’un service à une entreprise privée par une administration est plus chère que la production de ce service en interne car les prestataires privés intègrent dans leur facture la rémunération des capitaux employés. Or le coût du capital est plus important pour les entreprises privées que pour les organismes publics en raison d’un taux d’intérêt des emprunts plus élevé et de la nécessaire rémunération des actionnaires. Pour être justifiée, l’externalisation doit donc présenter des avantages qui l’emportent sur cet inconvénient intrinsèque. Cela étant précisé, les autres coûts des entreprises privées sont généralement plus faibles

Il est très difficile d’obtenir des chiffres sur l’externalisation des services publics dans notre pays. Pour quelles raisons ? F E  : C’est un problème d’appareil statistique… L’externalisation des services publics se traduit dans les comptes des administrations publiques par la substitution de dépenses de fonctionnement, hors rémunérations, à des rémunérations. Autrement dit, les administrations achètent des services au lieu de payer des fonctionnaires. Le degré d’externalisation peut donc être mesuré, dans les comptes nationaux, par le rapport entre les consommations intermédiaires et le total des rémunérations et consommations intermédiaires des administrations publiques. La mesure est certes imparfaite mais elle livre des conclusions intéressantes, notamment vis-à-vis de nos voisins européens. Par exemple en 2014, le degré d’externalisation variait de 22% à Chypre à près de 55% au Royaume-Uni. Avec 27%, la France recourt moins à l’externalisation que d’autres pays. Les réticences sont plus nombreuses chez nous que dans les pays anglo-saxons par exemple. Quelle est la nature de ces réticences ? F E  : J’aimerais vous dire qu’elles sont rationnelles et basées sur des considérations économiques mais elles sont surtout de nature politique, voire idéologique. Nous avons encore trop tendance à opposer services publics et entreprises privées.

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Le projet de loi pour la transformation de la fonction publique vise à assouplir la gestion du personnel, notamment en cas d’externalisation des services. Que pensez-vous de ce texte ? F E  : La gestion des agents dans la fonction publique est un sujet essentiel et les dispositions du projet de loi, telles qu’elles ont été présentées1, me conviennent. Les besoins de réorganisation des services publics sont importants pour faire face à l’évolution des besoins, y compris géographiques. Même en raisonnant à effectifs constants, les effectifs dans les trois fonctions publiques doivent être redéployés or les agents ne sont pas suffisamment mobiles. Le gouvernement essaie de contourner cet obstacle en facilitant les départs par le versement d’indemnités, et en recrutant des contractuels dans le cadre de contrats à durée déterminée. Cette souplesse répond aux mutations de plus en plus rapides de notre société. Ces deux dispositions qui figurent dans le projet de loi sont nécessaires.

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Interview

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Vous définiriez-vous comme un libéral ? F E  : Je n’aime pas cette classification. Je ne sais pas ce qu’est un libéral. Je me base sur l’analyse économique en dehors de toute idéologie. L’intervention de l’Etat peut s’avérer nécessaire en cas de dysfonctionnement du marché mais là encore, l’analyse doit être à la fois précise et objective.

Le projet de loi de transformation de la fonction publique a été présenté le 13 février 2019 au conseil commun de la fonction publique. Il prévoit notamment

un recours accru aux contractuels, la portabilité du contrat à durée indéterminée entre les trois versants de la fonction publique, ou encore une procédure d’accompagnement des agents dont l’emploi est supprimé. Le texte a été présenté en Conseil des ministres le 27 mars 2019.

Présentation du FIPECO Fipeco - « Finances Publiques et Economie » - est une association créée en 2016 sans but lucratif et relevant de la loi de 1901. Fipeco a été créée pour présenter, en toute indépendance, des informations et des analyses sur les finances publiques et l’économie, notamment sur le site Internet en accès libre : fipeco.fr Présidée par François Ecalle, auteur des textes publiés, l’association rassemble une vingtaine de praticiens des finances publiques. Elle est financée principalement par des dons et secondairement par des prestations de services, notamment des conférences. Les notes d’analyse proposées sur le site concernent neuf thématiques : les comptes publics ; le déficit public, la dette publique et la politique budgétaire ; la programmation et le pilotage des finances publiques ; les prélèvements obligatoires ; les dépenses publiques ; la masse salariale publique ; les finances locales ; les assurances sociales et la redistribution ; les autres politiques publiques. Des fiches de l’encyclopédie des finances publiques sont également disponibles, classées selon les neuf grands sujets précités. Enfin, des commentaires d’actualité complètent l’offre éditoriale avec parmi les derniers articles : « la décentralisation, comparaisons internationales » ; « le niveau et la répartition des dépenses publiques en France et dans la zone euro en 2017 » ; « les prélèvements obligatoires par assiette économique en 2017 ».

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Interview dossier

Numéro 498

PETITE ENFANCE : EXTERNALISER POUR RÉALISER UN PROJET ATYPIQUE Orléans a choisi, en 2010, d’ouvrir une nouvelle crèche en s’appuyant sur un contrat de délégation de service public (DSP) dans l’objectif de proposer des horaires atypiques. Neuf ans plus tard, la crèche reste le seul établissement géré en DSP. Depuis 2010, les familles orléanaises ont accès à une crèche, Les Chats Ferrés, aux horaires atypiques, appréciée notamment par les parents commerçants. L’établissement (d’une capacité de 75 places), situé en centre-ville, est ouvert du lundi au vendredi de 7 h 30 à 19 h 30 ainsi que le samedi de 8h30 à 19h30. Pour prétendre à une place dans cette crèche, les familles doivent produire un certificat d’employeur. Afin de proposer un tel projet aux horaires atypiques dans le secteur de la petite-enfance, Orléans a fait le choix de passer par un contrat de délégation de service public (DSP), une décision, à l’époque, désapprouvée par l’opposition municipale qui avait dénoncé une privatisation de la petite-enfance. « La ville s’est tournée vers la solution de la DSP pour répondre à un besoin de souplesse car il aurait été difficile de trouver en interne des agents volontaires pour travailler en soirée et le week-end », explique Coralie Rouet, actuelle directrice de la petite-enfance au CCAS d’Orléans, faisant référence aux conditions de travail des agents liées au fonctionnement statutaire. « Ce projet permettait également d’ouvrir un nouvel établissement à un coût maîtrisé », ajoute-t-elle. Le contrat avec le délégataire est d’une durée de 5 ans. « Nous avons été en amont très exigeants sur le cahier des charges afin de nous assurer d’une qualité de service », poursuit la directrice. Aujourd’hui, le CCAS et son délégataire entretiennent une relation « très régulière », notamment à travers les commissions d’attribution de places ou encore le « même logiciel de gestion », ainsi que les contacts réguliers entre la directrice de l’établissement et la coordinatrice pédagogique de la ville.

garantissons à l’initiateur du projet une certaine pérennité. Si nous réservons 20 places, une crèche privée de 30 places peut ouvrir », détaille la directrice. Actuellement, Orléans a ainsi environ 80 berceaux réservés. « Ce rapprochement avec le secteur privé nous permet de rencontrer des acteurs qui ont des approches, des pédagogies différentes de celles développées par le CCAS. On apprend les uns des autres, c’est un échange très enrichissant », se félicite-t-elle.

RENCONTRES INTER-STRUCTURES Chaque année, Orléans organise deux Journées « petite-enfance » pour les personnels de ses structures petiteenfance dont l’une est ouverte aux professionnels de la crèche gérée en DSP. Cette journée de réflexion et d’échanges permet à des professionnels qui ne travaillent pas ensemble au quotidien de se découvrir. « Ces rencontres sont aussi très appréciées car nous y invitons des experts du secteur, comme récemment la pédiatre Catherine Gueguen, spécialisée dans le soutien à la parentalité », commente Coralie Rouet.

Réservation de berceaux

Neuf ans plus tard, les Chats Ferrés demeure la seule structure « petite-enfance » orléanaise gérée en DSP sur vingt-deux et la ville n’a pas de projet similaire en cours. Par contre, Coralie Rouet signale une tendance, assez récente, à l’augmentation du nombre de berceaux réservés dans des crèches privées. « Cette solution nous permet de couvrir les besoins dans différentes zones géographiques », explique-t-elle. « Comme nous réservons pour plusieurs années, en moyenne trois ans, nous

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