Territoires du Social - Septembre 2019 - Insertion professionnelle et handicap

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SEptembre 2019 • Nº

500 • 9 €

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Interview “ Osez la Fraternité Heureuse ” Philippe Aubert Président de la Nuit du Handicap 2019 et auteur du livre « Rage d’exister »

On En Pense Quoi ? ///////// discrimination positive

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Dossier national

Donner un nouveau souffle au handicap dans la fonction publique

Insertion professionnelle et handicap

focus

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Territoires du social

Septembre 2019

Numéro 500

Dossier du mois

Insertion professionnelle et handicap

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L’action sociale au national

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ANTIBES JUAN-LES-PINS

Le CCAS soutient et mobilise les recruteurs

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On En Pense Quoi

Discrimnation positive

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Cholet

Le handicap est devenu un sujet du quotidien

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JUridique

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Handicap et aménagement de poste : obligations de l’administration ? 12

INTERVIEW

FOCUS

Philippe Aubert, conférencier, Président de la Nuit du Handicap 2019 et auteur du livre « Rage d’exister »

Donner un nouveau souffle au handicap dans la fonction publique

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La Réunion

Interview Sophie Cluzel

DOSSIER DU MOIS

Un ESAT ouvre son restaurant

« Le handicap est un activateur de performance collective »

Insertion professionnelle et handicap

EUROPE

L’action sociale au local

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La Fabrique des CCAS/CIAS©

Insertion professionnelle et retour à l’emploi

INTERVIEW Marc Desjardins

« La situation reste fragile »

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MALAKOFf

Chargée de mission handicap en CCAS, « une personneressource »

Le handicap, l’emploi et le rôle de l’UE


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Mot d'humeur

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L’autre symbole de Yalta t si l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, aussi fondamentale soit-elle, n’était qu’un aspect de la problématique ? Plusieurs acteurs le rappellent dans les pages qui suivent : ce n’est pas tant la question des politiques du handicap qui est centrale, que celle de l’acceptation par la société, et nous concernant plus spécifiquement, par le politique. Or son regard est pour le moins ambivalent. Si tous s’accordent à décréter l’urgence d’insérer au plus vite toutes les personnes en situation de handicap, tous jettent dans le même temps un voile pudique en termes de communication, comme si parler de handicap risquait de porter atteinte à leur image. Les médias du monde entier s’inquiètent du moindre tremblement d’un chef d’État. A l’opposé, il est particulièrement bien vu qu’un président chasse le tigre, joue au basket, accomplisse sans sourciller ses joggings quotidiens ou enchaîne les courses de vélo. Mais en quoi l’attitude – ou l’aptitude - physique importe-t-elle dans une prise de décision politique alors qu’a priori, seul l’intellect est mobilisé ? Rappelons-nous un instant nos cours d’histoire et plus particulièrement la photo de la conférence de Yalta. Churchill, Roosevelt, Staline. C’est bon ? Nul ne niera que les trois personnages représentent, à cette date-là, la quasi-totalité de la puissance politique dans le monde. Pourtant les trois leaders sont assis parce que l’un d’entre eux est hémiplégique. Lui-même est entouré sur sa gauche par un homme paralysé d’un bras et sur sa droite par un bègue. Ont-ils gagné la guerre ? Oui ou non ? Ce qu’il faut retenir de cette « boutade » - mais en est-ce vraiment une ? -, c’est que l’insertion des personnes handicapées dans la société ne posera plus de problème lorsque les décideurs politiques considéreront que le handicap n’est pas un handicap. Benoît Calmels, délégué général

Actes • Territoires du Social Septembre 2019 UNCCAS, 11 rue Louise Thuliez, 75019 Paris. 91e année • n° 500 • 2019 • Déclaration à la Préfecture du Nord le 26/11/1926 (n° 1 939) Commission paritaire des papiers de presse n° 0419G79123 • Numéro d’identification aux contributions indirectes Lille : 44.559.599.006 N° SIRET : 783 852 791 00079 • N° ISSN : 1294-4661 Tirage : 7 000 exemplaires © Tous droits de reproduction réservés. 10 numéros par an. Dépôt légal à parution. Directrice de la publication Hélène-Sophie Mesnage hsmesnage@unccas.org

Rédactrice en chef Hélène Delmotte • journalistes@unccas.org

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Contributeurs Florence Angier, Frédéric Bodo, Stéphanie Courtois, Valérie Guillaumin, Sophie Le Gall, Hélène-Sophie Mesnage, Boris Ryczek, Eric Landot de Landot & Associés.

Crédit photos / illustrations Stéphane Astier • astierstephane86@gmail.com • Istock d’après une maquette originale de Philippe Cartault • philippe@kartografik.net

Directrice de la communication Christèle Calmier • ccalmier@unccas.org Abonnement Prix de l’abonnement annuel (10 numéros, prix frais de port inclus – y compris DOM-TOM) : adhérents premier abonnement : – 73 € (ville de plus de 3 150 habitants) ; – 32 € (ville de moins de 3 150 habitants). Non adhérents : 85 €. Prix à l’unité : 9 €. actes@unccas.org

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On eN pense quoi

Territoires du social

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On eN pense quoi

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Qui ne connait pas le pictogramme du fauteuil roulant ? Pourtant, le handicap moteur ne concerne que 13% des handicaps, tandis que près de la moitié renvoient à des maladies invalidantes qui passent souvent inaperçues. Voilà bien l’un des paradoxes du handicap : tout le monde connait, mais tout le monde connait quoi exactement ? Sauf à y être confronté personnellement, peu d’entre nous ont une vision précise de ce qu’il recouvre au quotidien. En matière d’insertion professionnelle, sur les 3 millions de personnes reconnues handicapées et en âge de travailler, seules 35% occupent effectivement un emploi. Au-delà des restrictions d’activité objectives liées au handicap lui-même et à la gestion souvent chronophage d’un quotidien complexe, la juxtaposition des mots handicap et emploi est souvent associée dans l’inconscient collectif à une forme d’incompatibilité insoluble. Pourquoi ?

Double peine

Lorsque l’on parle d’emploi des personnes handicapées, les chiffres sont systématiquement majorés. Les demandeurs d’emploi handicapés sont moins diplômés, plus nombreux, plus âgés, etc. Une double peine, qui commence dès la scolarité et se poursuit tout au long de la vie professionnelle. Sans parler du malus supplémentaire si l’on est une femme, ce qu’a souligné le Défenseur des droits et avant lui les Nations Unies et le Parlement européen. Les perspectives d’emploi des personnes handicapées souffrent également d’une vision figée. Pourtant, comme l’a montré la sociologue Eve Gardien dans son article « Travailleur en situation de handicap : de qui parle-ton ? »1 : « tout handicap, expertisé comme tel, n’est pas toujours perçu comme un handicap dans le monde de l’entreprise (…). Il peut exister de façon discontinue, être effectif dans certaines circonstances ou spécialité professionnelle donnée, et illusoire dans d’autres. » Et la chercheuse de prendre l’exemple d’un maçon qui, reclassé pour une affection chronique des lombaires pourra, une fois formé, devenir comptable et n’être absolument pas perçu par son nouvel entourage professionnel comme handicapé. Malgré cela, la représentation originelle perdure.

Décalage

Ce n’est pourtant pas faute d’une attention particulière des pouvoirs publics depuis plus de trente ans. La loi de 1987, celle de 2005 et le Code du travail ont en commun de faire de la lutte contre la discrimination professionnelle un principe fort, assorti d’une ambition chiffrée : 6%. Bonne élève, la fonction publique territoriale dépasse le seuil, de peu. Malheureusement, toutes fonctions publiques confondues et dans le secteur privé, le taux d’emploi reste sous la barre fatidique. A chaque gouvernement donc, son lot de mesures nouvelles. Parmi les plus récentes, on notera celles en matière de simplification, attendues en janvier 2020, que ce soit au niveau des déclarations d’emploi, du calcul des effectifs concernés, de la valorisation des dépenses consacrées en termes d’accessibilité, etc. Tous ces efforts soulignent néanmoins en creux le décalage persistant entre une forme d’unanimité consensuelle fondée sur des principes éthiques d’humanité, de responsabilité sociale, de citoyenneté… et la 1

Gardien, Ève. « Travailleur en situation de handicap : de qui parle-t-on ? Pour une

analyse des situations partagées », Reliance, vol. no 19, no. 1, 2006, pp. 50-59.

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on en pense quoi Interview

Territoires du social

réalité. C’est en tout cas ce que montre le baromètre de l’Agefiph publié à l’automne dernier : seuls 10% des entreprises perçoivent l’insertion professionnelle des personnes handicapées comme une évidence. Ils sont près de 50% à y voir une difficulté objective du fait de la nature des postes, 34% une opportunité de s’ouvrir à de nouveaux profils, 30% une obligation légale ou une contrainte budgétaire.

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La loi de 2005 a largement fait évoluer cette approche centrée sur le médical et sur les déficiences individuelles pour s’intéresser à l’environnement social, matériel, juridique, professionnel, etc., comme facteurs d’accessibilité, d’intégration, de participation. Elle a ainsi souligné une responsabilité collective face aux inégalités en matière de mobilité, d’accès à l’éducation ou bien sûr d’emploi. Dans ce cadre, on comprend notamment les débats autour de la place des Etablissements et services d’aide par le travail (ESAT) dans le parcours professionnel des personnes handicapées avec l’idée de ne pas opposer milieu protégé et milieu ordinaire mais d’encourager au contraire une fluidité, des transitions, des allers et retours entre les deux lorsque c’est possible.

Egalité vs discrimination positive

La politique de quotas en faveur de l’emploi des personnes handicapées renvoie à l’une des singularités de la loi de 2005 : la seule à reposer sur le principe de discrimination positive. Le débat très controversé sur le sujet oppose généralement les tenants de l’égalité républicaine, voyant dans la démarche une stigmatisation des publics concernés et donc un risque d’effet pervers, quand d’autres y voient au contraire un mal nécessaire et un moyen d’intégration indispensable. Chacun jugera.

Participation sociale et politique

Dépasser durablement et résolument les 6% ? Il reste encore du chemin à faire pour y parvenir. Cela suppose un vrai changement de culture, lequel dépasse très largement la seule question de l’emploi et de l’insertion professionnelle. Le temps où les personnes handicapées étaient systématiquement moquées, ostracisées voire persécutées, est révolu. Et c’est tant mieux. Cela dit, l’ambition n’est plus seulement à l’intégration mais à la société inclusive. La barre a donc été mise haute, délibérément. On comprend dès lors que les textes seuls ne suffiront pas pour progresser davantage. La question de la participation pleine et entière des personnes handicapées se joue aussi et surtout sur le terrain des mentalités et des représentations collectives. Là où les changements sont les plus longs.

Toujours est-il que s’interroger sur les liens entre handicap et travail nous renvoie très vite à la dimension philosophique du travail lui-même. Le travail, levier d’aliénation ou d’émancipation ? Sans refaire cet autre débat, les gouvernements successifs semblent avoir plutôt privilégié la vision du travail vecteur d’épanouissement, de valorisation de soi d’un point de vue individuel et collectif, mais aussi source d’autonomie, à la fois financière si tant est que la nature des emplois proposés le permet, et sociale.

Une démarche politique

Or, pour améliorer durablement l’insertion professionnelle et donc sociale des personnes handicapées, un autre chantier pourrait être lancé : celui de leur représentation dans le débat public. Comme le souligne l’anthropologue Charles Gardou dans le quotidien Libération en mars 2017 : « il y a un phénomène de destitution de la parole, avec l’idée qu’elles [les personnes handicapées] sont tellement inadaptées qu’il vaut mieux parler pour elles, ça ira plus vite. » Et le chercheur de prendre le contreexemple des Etats-Unis, dont on se souviendra qu’ils furent représentés pendant douze ans par un président en fauteuil roulant. Sur la base d’une culture protestataire née dans les années 60 autour des droits civiques des minorités, les Etats-Unis ont en effet poussé jusqu’à leur paroxysme les mouvements de défense des droits des personnes handicapées en s’affranchissant de l’approche médicale du handicap au profit d’une démarche plus politique de réaffirmation des droits sociaux, par les personnes handicapées elles-mêmes. Tandis qu’à la même époque, de nombreux Etats européens privilégiaient encore un modèle de protection sociale basé sur un traitement spécifique de ce public, avec des établissements dédiés par exemple.

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Interview

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L’interview du mois : philippe aubert

« Osez la Fraternité Heureuse »

Philippe Aubert, conférencier, Président de la Nuit du Handicap 2019 et auteur du livre « Rage d’exister »1, exerce avec ses associés Jackson Sintina et Sylvain Valois, l’activité de consultant/ formateur, notamment dans le domaine de l’inclusion sociale, de l’accueil et du management des personnes en situation de handicap. Il nous livre un formidable témoignage sur ce que peut être ou doit être leur insertion professionnelle. Je voudrais tout d’abord expliciter mon point de vue général sur ce sujet. Quand j’ai voulu me présenter au baccalauréat à la fin de mes études secondaires, on m’a d’abord dit que ce n’était pas pour moi, que compte tenu de l’importance de mon handicap physique, le dispositif n’était, à l’époque, pas suffisamment aménageable. Et qu’il fallait donc que je fasse le « deuil » de mes velléités d’études supérieures. On a ajouté que, de toute façon, cela n’avait aucun sens de les envisager, car je ne pourrais jamais travailler. Ma destinée était de vivre en foyer occupationnel. J’ai raconté tout cela dans mon livre. Voilà ce qu’ont été mes premières relations avec le système d’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap. J’ajouterais, pour donner une note plus positive, qu’à la même époque, j’ai demandé à mon père, fonctionnaire au Ministère des Finances, de s’occuper de l’un de mes amis, lourdement handicapé lui aussi, en BTS informatique. Il ne trouvait pas de stage pour valider ses études. Grâce à ses relations, mon père a pu convaincre les services de son Ministère de l’accueillir. Tout s’est formidablement

bien passé. Son stage lui a permis d’accéder à un emploi permanent. Il a ensuite fondé une famille, et a eu une fille avec sa compagne, elle-même en situation de handicap. Mais elle, n’a jamais trouvé d’emploi stable. J’ai peu à peu précisé ma pensée, au cours de mes études supérieures et de mes deux masters 2, en particulier celui effectué au sein de l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA) « Pratiques inclusives, handicap, accueil et accompagnement », qui est présenté comme une formation professionnelle pour accéder directement à un emploi. Je croyais trouver là une voie d’insertion pour moi et mon assistant universitaire, Jackson Sintina, devenu mon associé dans cette aventure. Nous étions pleins d’espoirs, qui ont été finalement déçus. Non seulement cet institut spécialisé ne s’est pas préoccupé de mon sort, mais il n’a même pas été en mesure de me proposer de réaliser des interventions au sein de l’Ecole. Le niveau et la nature de mes études ne suffisaient pas à me procurer

un emploi ! Je donne ces exemples sans jugement, sans aucune acrimonie. Ce sont des faits. Et il y en aurait tant d’autres à raconter….

Une approche multi-points de vue Je travaille donc sur une approche différente, très ouverte, des modalités d’insertion professionnelle. Trois éléments me paraissent à prendre en considération. En premier lieu, de quel emploi parle-t-on ? Il faut ouvrir largement la notion d’emploi et parler dans certains cas « d’activité utile et rémunératrice ». La catégorie « emploi » correspond à des critères particuliers d’efficacité et de productivité. Ensuite, il faut interroger la façon dont on définit les compétences requises pour tel ou tel emploi ou telle ou telle activité. On part trop souvent exclusivement d’un profil de compétences, défini en référence à une personne dite « valide » moyenne (sic) et on adapte à la marge… avec le sentiment « qu’on dégrade » l’emploi si on le confie à une personne en situation de handicap. Cette remarque Suite page 18.

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Publié aux éditions Henry Dougier.

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Interview

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Philippe Aubert conférencier , Président de la Nuit du Handicap 2019 et auteur du livre « Rage d’exister »

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Interview

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de l’insertion des personnes en situation de handicap, doit tenir toute sa place.

La génération du « pouvoir agir »

il faut donc partir des capacités des personnes en situation de handicap, car cela permet de se confronter, a priori, à la nécessité de leur mise en valeur et de leur stimulation. Et si l’emploi, ou l’activité, s’adaptait à elles et non l’inverse ? Chacun a un potentiel de contribution et nous devons refuser avec force la relégation sociale.

Nous sommes à une époque où les personnes en situation de handicap veulent de plus en plus affirmer leur rôle sociétal et leur responsabilité économique et sociale. Je crois que cette démarche peut être une contribution majeure pour l’émergence d’une société « inclusive de pleine activité ». Dans cette perspective, le secteur public et celui de l’économie sociale et solidaire doivent être des supports pour expérimenter et diffuser des innovations dans ces domaines, en mobilisant et en intégrant tous les moyens à leur disposition, dès l’école. Je souhaite y contribuer.

La Nuit du Handicap 2019 Je me suis engagé comme porte-parole d’abord, puis comme Président en 2019 de « la Nuit du Handicap », parce qu’il m’a semblé que c’était une occasion d’élargir le champ d’expression des personnes en situation de handicap et d’affirmer leur commune citoyenneté avec chacun, sans fausses peurs ni préjugés, au cours d’une rencontre joyeuse.

« Osez la Fraternité Heureuse » tel est mon slogan. Le 15 juin dernier, la fête a été belle et réussie dans toutes les villes qui s’étaient portées candidates et qui ont pu réaliser cette manifestation. Des dizaines de milliers de personnes y ont participé, grâce à l’initiative d’équipes locales exemplaires et à une organisation efficace. Cette réussite ouvre la voie à un rendezvous annuel national de grande envergure, porteur de sens, ouvert à tous et animé par une démarche fraternelle, conjointe entre personnes « en situation de handicap » et personnes « dites valides ». Les collectivités locales et les CCAS doivent y prendre toute leur part pour que chaque année cette belle Nuit du handicap soit un moment fort de fraternité créative.

Un sujet sociétal majeur Dans le même esprit, je pense que le monde de « l’entreprise adaptée » ne doit pas être considéré comme une « basse économie », mais comme une « haute économie » compte tenu de ses performances humaines. C’est aussi une contribution économique importante. Je sais ce que je coûte à la collectivité si je ne peux fournir ma contribution. Et j’ai besoin de contribuer pour exister. Il y a bien des façons de le faire. Il y a aussi bien des façons de compter la contribution de chacun. Prise sous cet angle, l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap est un enjeu sociétal majeur. Alors que l’on s’interroge sur le travail et l’emploi, leur avenir et leur impact, le sujet

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Septembre 2019

Cf le livre « Le Travail qui guérit » du Professeur Jean-Michel Oughourlian, éditions Plon, 2018.

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ne doit toutefois pas conduire à sousestimer les efforts actuels de beaucoup d’entreprises ou d’institutions publiques et privées pour réussir cette insertion professionnelle. Les nombreuses « Mission handicap » en attestent. Et je salue également ici l’initiative du Salon « Handicap, Emploi et Achats responsables » qui s’est tenu le 28 Mai 2019 au Palais des Congrès à Paris. Enfin, le handicap n’est pas une incapacité en soi ; il faut donc partir des capacités des personnes en situation de handicap, car cela permet de se confronter, a priori, à la nécessité de leur mise en valeur et de leur stimulation. Et si l’emploi, ou l’activité, s’adaptait à elles et non l’inverse ? Chacun a un potentiel de contribution et nous devons refuser avec force la relégation sociale. Il y a dans les modalités générales de l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap des biais qui renvoient à toute la construction sociale et institutionnelle autour du handicap, conçu comme un monde « spécifique ». C’est la raison pour laquelle je suis très sensible à des actions comme celles réalisées par la Fondation AMIPI-Bernard Vendre, pour qui le travail est un processus d’apprentissage et de découverte de ses capacités, et ainsi une porte d’entrée vers l’emploi plus « classique ». Leur travail, en lien avec des recherches en neurologie, est également remarquable2.

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Interview dossier

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« Vivre ensemble, égaux & différents » La formule empruntée à l’ADAPT, association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées, à qui nous souhaitons un joyeux 90ème anniversaire, résume l’esprit de ce dossier.

à Antibes, l’organisation de Journées d’information et de Matinales conçues les unes pour le grand public, les autres pour les recruteurs, rencontrent un succès qui dépasse largement le cadre communal ; à Cholet, le service Conseil Prévention Santé au travail de la ville mise sur un maintien maximal dans l’emploi grâce à une politique volontariste qui passe par de nombreuses actions de sensibilisation et une collaboration avec le centre hospitalier ; à la Réunion, un ESAT permet aux travailleurs handicapés de travailler et de se former aux métiers de la restauration.

Améliorer l’information, mutualiser les bonnes pratiques, développer les partenariats sont les objectifs partagés par les CCAS mis à l’honneur dans les pages qui suivent. Parmi les autres points communs figurent l’antériorité de l’engagement et la réussite des dispositifs mis en œuvre : à Malakoff, la mission handicap agit en proximité et en transversalité pour renforcer informations et accès aux droits ;

Toutes ces actions concourent à une évolution des mentalités et à une société plus inclusive. Mais le combat est loin de toucher à sa fin. Vaincre la récurrente complexité administrative, parfaitement résumée par Franck Seuret ou encore mieux faire reconnaître le handicap invisible comme nous y encourage Christophe Roth font partie des prochains challenges.

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Territoires du social

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Interview DOSSIER

Numéro 500

MALAKOFF : CHARGÉE DE MISSION HANDICAP EN CCAS, « UNE PERSONNE-RESSOURCE » Sandra Parrié-Claude anime la mission Handicap du CCAS de Malakoff (Hauts-de-Seine, 30 000 hab). Une fonction au plus proche du public concerné qui vient également en appui des services communaux. Sandra Parrié-Claude se présente comme « dans le secteur du handicap depuis plus de trente ans. » Après avoir été journaliste spécialisée sur cette thématique, elle a participé en tant qu’habitante de Malakoff à l’élaboration de la charte Ville-Handicap de la commune avant de prendre la fonction de chargée de mission Handicap au sein du CCAS. Par ailleurs, elle souligne qu’elle est elle-même porteuse d’un handicap. Chaque année, elle reçoit en moyenne 1 200 personnes, un chiffre « plutôt stable ». Elle accueille directement le public deux matinées par semaine et peut se déplacer à domicile. « Le public est âgé de vingt à soixante ans avec beaucoup de personnes entre vingt et quarante ans. Les questions sont diverses, de « J’ai 20 ans, je suis en fauteuil et j’aimerais passer le permis. Comment faire ? Est-ce que j’ai droit à des aides ? » à « Avant, ce sont mes parents qui faisaient mon dossier MDPH (maison départementale des personnes handicapées), maintenant, c’est moi. Comment procéder ? », détaille-t-elle. Des personnes se présentent uniquement à l’occasion du renouvellement de leurs droits (carte d’invalidité, allocation aux adultes handicapés (AAH)…) quand d’autres vont avoir besoin d’un accompagnement renforcé. A

tous, la chargée de mission propose des conseils pratiques et des contacts « en s’appuyant sur son carnet d’adresses riche d’un réseau qui s’est construit sur plusieurs décennies. » Depuis trois ans environ, elle note qu’elle est sollicitée par des personnes en difficulté avec la dématérialisation des démarches, pour qui « la fracture numérique s’ajoute au handicap. »

Transversalité Tout en étant rattachée au CCAS, Sandra Parrié-Claude est en lien permanent avec la mairie « dans un objectif de transversalité », sollicitée par différents services, par exemple la voirie, et participant à plusieurs commissions, en premier lieu la commission accessibilité. « Je suis également une personneressource dans le cadre de la reconnaissance du handicap des agents de la commune », ajoute-t-elle. Elle travaille en réseau avec les référents Handicap des Hauts-de-Seine car « même si le contenu des postes varie d’une commune à l’autre, il est important de pouvoir échanger des informations et de partager les expériences », souligne la chargée de mission.

Paroles d’expert « Pour les personnes en situation de handicap, l’accès à l’information qui les concerne et l’information elle-même demeurent très complexes, et sur des points essentiels. Par exemple, une personne qui se marie ne peut pas savoir à l’avance dans quelle mesure ce changement de statut va modifier le montant de son allocation aux adultes handicapés (AAH). Même flou avec la prestation de compensation du handicap (PCH) dont les modalités d’attribution varient d’un département à l’autre. Il faudrait avoir accès à des assistants de service social ou encore à des notaires hyper spécialisés sur ces questions, car un professionnel généraliste ne peut pas maîtriser toutes les informations nécessaires. Ces professionnels manquent aux personnes tout particulièrement au moment où elles constituent leur dossier de demande d’aide, une étape qui ne souffre aucune improvisation. Rappelons qu’en France, au moins deux millions de personnes sont impactées par un handicap lourd et qu’en 2018 comme en 2017, le handicap est le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination. »

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Franck Seuret Journaliste spécialisé, collaborateur au magazine Faire Face


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