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RELIGION
FREUD, UN JUIF SANS DIEU Par DOMINIQUE ITZKOVITCH
F
reud aimait Ă se dĂ©finir comme Juif sans Dieu. Yosef Hayim Yerushalmi, historien reconnu, lui a consacrĂ© un essai intitulĂ©... Le MoĂŻse de Freud, essai dans lequel il va jusquâĂ dire que Freud voyait dans la psychanalyse ⊠un judaĂŻsme sans Dieu. Ce sont lĂ des affirmations qui mĂ©ritent dâĂȘtre examinĂ©es. Lâhistorien le fait dâailleurs, travaillant sur les correspondances, les interventions et les Ă©crits, en particulier sur son dernier livre : LâHomme MoĂŻse et la religion monothĂ©iste. Il mâest apparu intĂ©ressant de revenir sur cette question de la judĂ©itĂ© de Freud. Il est, dâabord, Ă rapprocher ce qui sâest dit : Ce nâest pas par hasard que la psychanalyse ait Ă©tĂ© inventĂ©e par un Juif... Freud lui-mĂȘme lâa Ă©crit Ă son ami Pasteur Oskar Pfister : Pourquoi la psychanalyse nâa-t-elle pas Ă©tĂ© créée par un de ces hommes pieux ? Pourquoi a-t-on attendu un Juif sans Dieu⊠Il apparaĂźt lĂ quâĂ la fois Freud rĂ©itĂšre lâidĂ©e que cette crĂ©ativitĂ© ne pouvait ĂȘtre que le lot dâun Juif, mais il prĂ©cise, ici : ... Sans Dieu. Se caractĂ©risant, ainsi, dans sa spĂ©cificité⊠En 1926, dans la loge viennoise du Bnai Brith Ă laquelle il a appartenu, il dĂ©clara : Ce qui me rattachait au judaĂŻsme, ce nâĂ©tait pas la foi, ni lâorgueil national, mais il restait assez de choses propres Ă rendre irrĂ©sistible lâattrait du judaĂŻsme et des Juifs, beaucoup de choses obscures, de forces affectives dâautant plus puis-
santes quâelles se laissent moins saisir par des mots, et puis aussi, la claire conscience dâune identitĂ© intĂ©rieure, le sentiment intime dâune mĂȘme construction psychique... Par ailleurs, il a, aussi, fait rĂ©fĂ©rence Ă un sentiment dâappartenance au peuple juif, ainsi quâĂ un esprit de solidaritĂ©s avec ce peuple. Voici, donc, des points oĂč Freud Ă©nonce des traits concernant sa judĂ©itĂ©, tout en Ă©cartant la foi et le nationalisme. Il a souvent parlĂ© de ce quelque chose dâindĂ©finissable, mystĂ©rieux, quâil ressentait en lui, en effet, relevant dâune construction psychique. Yerushalmi a classĂ© Freud dans la catĂ©gorie des Juifs culturels et psychologiques. Je prĂ©fĂšre pour ma part Ă©viter la classification et la gĂ©nĂ©ralisation⊠En poursuivant cette enquĂȘte, Ă partir des Ă©critsâŠ
Il semblerait que le fils ait souffert dâun certain Ă©pisode antisĂ©mite, subi et racontĂ© par Jacob Freud. En effet, croisant un antisĂ©mite dans une rue, Jacob a son chapeau enlevĂ© et jetĂ© dans un caniveau par cet homme. Il le ramassa, sans mot dire. Freud ressentit fortement cette humiliation, et en voulut Ă son pĂšre de nâavoir pas rĂ©agi. Cette honte le poursuivit, ainsi quâune certaine agressivitĂ© envers ce pĂšre faible⊠Freud nâeut de cesse de vouloir sâidentifier Ă des personnages forts, puissants comme Hannibal, qui incarna lâopposition des Juifs Ă lâempire romain, ou Ă MoĂŻse, porteur des Tables de la Loi. On peut dire que par lĂ , le fils sâemparait de la puissance paternelle dĂ©chue...
Notons une lettre écrite à Martha Bernays, au temps des fiançailles...
Yerushalmi dit que certains rĂȘves de Freud font apparaĂźtre son complexe de castration et la haine du pĂšre, sentiments que le fils refoulaitâŠ
Quelque chose dâessentiel, la substance-mĂȘme de ce judaĂŻsme si plein de sens et de joie de vivre nâabandonnera pas notre foyer...
Je ne sais pas Ă quels rĂȘves, prĂ©cisĂ©ment, il se rĂ©fĂšre, mais un tel complexe et un tel refoulement, sont le lot de chaque fils.
Alors, que sera-t-il de cette contradiction...
Je le dis en tant que psychanalyste, ayant appris ces éléments de la théorie freudo-lacanienne.
Rappelons que Freud a Ă©tĂ© Ă©levĂ© dans un milieu traditionnel juif. Aurait-il voulu sâĂ©loigner de ce milieu et de son pĂšre, pieux, surtout dans son enfanceâŠ
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE / OCTOBRE / NOVEMBRE 2020
Ceci dit, la psychanalyste Marthe Robert, citĂ©e par Yerushalmi, sâest aussi exprimĂ©e... sur la relation Ćdipienne de Freud avec son pĂšre,