9 minute read

Freud, un juif sans dieu - RELIGION

FREUD, UN JUIF SANS DIEU

Par DOMINIQUE ITZKOVITCH

Advertisement

Freud aimait à se défi nir comme Juif sans Dieu. Yosef Hayim Yerushalmi, historien reconnu, lui a consacré un essai intitulé... Le Moïse de Freud, essai dans lequel il va jusqu’à dire que Freud voyait dans la psychanalyse … un judaïsme sans Dieu.

Ce sont là des affi rmations qui méritent d’être examinées.

L’historien le fait d’ailleurs, travaillant sur les correspondances, les interventions et les écrits, en particulier sur son dernier livre : L’Homme Moïse et la religion monothéiste.

Il m’est apparu intéressant de revenir sur cette question de la judéité de Freud.

Il est, d’abord, à rapprocher ce qui s’est dit : Ce n’est pas par hasard que la psychanalyse ait été inventée par un Juif...

Freud lui-même l’a écrit à son ami Pasteur Oskar Pfi ster : Pourquoi la psychanalyse n’a-t-elle pas été créée par un de ces hommes pieux ? Pourquoi a-t-on attendu un Juif sans Dieu…

Il apparaît là qu’à la fois Freud réitère l’idée que cette créativité ne pouvait être que le lot d’un Juif, mais il précise, ici : ... Sans Dieu. Se caractérisant, ainsi, dans sa spécifi cité…

En 1926, dans la loge viennoise du Bnai Brith à laquelle il a appartenu, il déclara : Ce qui me rattachait au judaïsme, ce n’était pas la foi, ni l’orgueil national, mais il restait assez de choses propres à rendre irrésistible l’attrait du judaïsme et des Juifs, beaucoup de choses obscures, de forces aff ectives d’autant plus puissantes qu’elles se laissent moins saisir par des mots, et puis aussi, la claire conscience d’une identité intérieure, le sentiment intime d’une même construction psychique...

Par ailleurs, il a, aussi, fait référence à un sentiment d’appartenance au peuple juif, ainsi qu’à un esprit de solidarités avec ce peuple.

Voici, donc, des points où Freud énonce des traits concernant sa judéité, tout en écartant la foi et le nationalisme.

Il a souvent parlé de ce quelque chose d’indéfi nissable, mystérieux, qu’il ressentait en lui, en eff et, relevant d’une construction psychique.

Yerushalmi a classé Freud dans la catégorie des Juifs culturels et psychologiques.

Je préfère pour ma part éviter la classifi cation et la généralisation…

En poursuivant cette enquête, à partir des écrits…

Notons une lettre écrite à Martha Bernays, au temps des fi ançailles...

Quelque chose d’essentiel, la substance-même de ce judaïsme si plein de sens et de joie de vivre n’abandonnera pas notre foyer...

Alors, que sera-t-il de cette contradiction...

Rappelons que Freud a été élevé dans un milieu traditionnel juif. Aurait-il voulu s’éloigner de ce milieu et de son père, pieux, surtout dans son enfance… Il semblerait que le fi ls ait souff ert d’un certain épisode antisémite, subi et raconté par Jacob Freud.

En eff et, croisant un antisémite dans une rue, Jacob a son chapeau enlevé et jeté dans un caniveau par cet homme. Il le ramassa, sans mot dire.

Freud ressentit fortement cette humiliation, et en voulut à son père de n’avoir pas réagi.

Cette honte le poursuivit, ainsi qu’une certaine agressivité envers ce père faible…

Freud n’eut de cesse de vouloir s’identifi er à des personnages forts, puissants comme Hannibal, qui incarna l’opposition des Juifs à l’empire romain, ou à Moïse, porteur des Tables de la Loi.

On peut dire que par là, le fi ls s’emparait de la puissance paternelle déchue...

Yerushalmi dit que certains rêves de Freud font apparaître son complexe de castration et la haine du père, sentiments que le fi ls refoulait…

Je ne sais pas à quels rêves, précisément, il se réfère, mais un tel complexe et un tel refoulement, sont le lot de chaque fi ls.

Je le dis en tant que psychanalyste, ayant appris ces éléments de la théorie freudo-lacanienne.

Ceci dit, la psychanalyste Marthe Robert, citée par Yerushalmi, s’est aussi exprimée... sur la relation œdipienne de Freud avec son père,

relation non résolue, constituant la clef de son roman familial...

Confl it œdipien, désir symbolique de tuer le père, comme dans le mythe œdipien… tel que décrit dans l’essai freudien Totem et Tabou, où les fi ls tuent le père de la horde primitive, puis ensuite, se sentant coupables, en font un totem...

Ainsi, FREUD, a passé une partie de son enfance, en étant éduqué à la maison par son père, qui l’a initié à la Bible de Philippson, à sept ans, et vraisemblablement à l’hébreu Pourtant, publiquement, Freud semble avoir voulu occulter que la tradition juive a joué un rôle de premier plan au sein de sa famille où il resta jusqu’à l’âge de vingt-sept ans.

L’hypothèse de Yerushalmi est que Freud a dissimulé son attachement au judaïsme et un sentiment juif plus marqué pour des raisons précises : Il voulait surtout que la psychanalyse, son invention, ne soit pas perçue comme une science juive. J’adhère à cette interprétation car il est certain que la psychanalyse est et doit être universelle. Il est évident que les réunions du mercredi du premier cercle psychanalytique Autour de Freud n’étaient composées que de Juifs.

C’est la raison pour laquelle Freud voulut introduire Carl Jung dans ce cercle et lui donner une place prédominante, mais il y eut une querelle sur leurs visions diff érentes, et le protestant Jung développa sa propre version.

Toujours est-il que si Freud, ne connaissait pas l’hébreu, comme il l’a affi rmé, n’aurait pas pu lire la dédicace que son père lui a faite, en hébreu, en lui off rant la Bible de Philippson, déjà lue à sept ans, pour son trente cinquième anniversaire…

Cette dédicace est rédigée en melitza, à savoir composée d’une mosaïque de fragments de la Bible.

J’ai choisi de la citer, tant elle montre la culture biblique du père et son amour paternel.

« Fils, qui m’est cher,

Dans la septième année des jours de ta vie, l’esprit du Seigneur commença à t’agiter et s’adressa à toi,

Va, lis dans mon Livre, et s’ouvriront à toi les sources de l’intelligence, du savoir et de la sagesse

Tu as eu une vision du Tout Puissant, tu as entendu et tu t’es eff orcé de faire, et tu as plané sur les ailes de l’esprit

Depuis lors, le Livre est resté en réserve, comme les débris des Tables, dans une Arche, par devers moi

Pour les jours de tes années où les jours sont cinq et trente, je l’ai recouvert d’une nouvelle housse en peau,

Et je te le dédie, afi n qu’il soit pour toi un mémorial, le rappel de l’aff ection de ton père qui t’aime d’un amour éternel. »

Ne peut-on pas voir, dans ce texte, un appel à la réconciliation et au retour du fi ls dans la tradition juive.

N’est-il pas écrit que Freud avait eu une vision du Tout Puissant…

Que l’esprit du Seigneur avait commencé à l’agiter, à sept ans…

Bel hommage du père à son fi ls…

Mais C’est aussi une allusion à l’abandon par Freud du Livre.

Mais il est resté des débris, comme les débris des Tables fracassés par Moïse.

Jacob, en donnant, par deux fois, la Bible de Philippson à son fi ls, a fait comme Israël, qui a eu, par deux fois, les Tables de la Loi : Il a voulu signifi er à son fi ls qu’il avait pardonné l’abandon de son fi ls, dans la mesure où il avait gardé en réserve l’esprit qu’il lui avait enseigné, et qui lui avait permis de planer.

Freud écrira donc L’Home Moïse et la Religion monothéiste, en 1934, sous le choc du nazisme triomphant. Son unique livre juif, pour tenter de répondre à une question, restée sans réponse... En quoi est-il juif..., à 78 ans…

Il revint, pour cela, à l’étude de la Bible…

Il avait déjà, en 1924, à propos de son désir de savoir, déclaré : Le fait que je me sois plongé, très tôt, dans l’étude de la Bible, a déterminé, d’une manière durable, comme je m’en suis aperçu, par la suite, l’orientation de mes intérêts...

Cette dernière phrase a été rajoutée en 1935, un an après avoir achevé la première version…

Selon Yerushalmi, en ce sens, L’Homme Moïse signifi e bien un accomplissement du souhait du père, comme une obéissance après coup. L’après coup, nachtralicht, un concept si important pour Freud.

Par ce livre, Freud croyait pouvoir résoudre l’énigme qui l’agitait… Pourquoi, bien qu’incroyant, se sentait-il Juif ?

Il envoya son livre à Lou Andreas, Salomé, qui lui répondit ainsi :

Ce qui m’a fascinée, dans votre conception... C’est un certain caractère de retour du refoulé, à savoir qu’on voit réapparaître, dans le retour, quelque chose de très haut et de très précieux...

Yerushalmi propose l’idée que ce fut un moyen, pour le fi ls, d’avoir de nouvelles relations avec son père, et de pouvoir avoir une nouvelle vision de la réalité…

Freud, peu avant sa mort, écrivit une lettre au responsable d’une organisation juive, David Meitlis, en ces termes :

Nous autres, Juifs, avons toujours respecté les valeurs spirituelles, et nous avons préservé notre unité à travers les idées, et C’est grâce à elles que nous devons d’avoir survécu jusqu’à ce jour...

Discours puissant, qu’on pourrait utiliser de nos jours et prouvant un attachement profond à la notion de communauté, une solidarité…

L’Homme Moïse et la Religion Monothéiste fut un livre contesté à cause de la question des origines du judaïsme, mais il fut important pour Freud, car répondant à ses interrogations profondes sur sa judéité…

Même si Moise avait été égyptien…

Pour Freud, cette hypothèse n’importait pas car le caractère national peut se transmettre, indépendamment d’une communication directe, ou de l’infl uence de l’éducation, a-til pensé, ajoutant que la judéité se perpétuait dans le sang et dans les nerfs...

Conscient de ce paradoxe, il dit, encore, que si l’idée du monothéisme était née en Égypte, elle n’y a jamais pris racine, car, des hommes se sont levés, qui renouvelèrent les exhortations de Moïse, et n’eurent de cesse que ce qui s’était perdu fût restauré...

Et la preuve qu’il existe une disposition particulière dans la masse, qui était devenue le peuple juif, c’est qu’elle put produire un si grand nombre d’individus, qui furent prêts à prendre sur eux le fardeau de la religion de Moïse.

Quelle ardeur dont il fi t preuve…

Dans un autre passage de ce livre, Freud se réjouit de ce... Grand honneur, pour le peuple juif, d’avoir su maintenir une telle tradition et produire des hommes qui lui prétèrent une voix même s’ils furent incités par un Grand étranger.

Lui-même s’identifi a à Moïse, et se considéra, aussi, comme un Grand Etranger, avec ce qu’il apporta, de tout autant subversif...

On peut dire que, à la sortie de ce livre, Freud eut peur de voir cataloguer la psychanalyse comme une aff aire nationale juive, et cela confi rmerait qu’il eût voulu cacher son réel attachement à son identité juive… Ce qui me semble aussi intéressant, c’est encore la façon dont Freud expliqua la permanence de l’antisémitisme, l’analysant comme une vérité psychique inconsciente…

Mais il voulut montrer aussi la résistance de la tradition du judaïsme par un caractère de contrainte, propre aux phénomènes religieux, qui doit avoir été subi, d’abord, le destin du refoulement...

Libre à lui de faire ces interprétations.

Je conclurai ce dossier par… Freud, Juif sans Dieu : Pas si sûr que ça.

Et Lacan de dire : Freud s’est arrêté devant Dieu…

Je vous proposerai de voir ça de plus près...

Quand une psychanalyste fait une étude de cas... Ça remue les méninges...

A suivre donc ! 

— Dominique Itzkovitch Docteur en psychologie Psychanalyste Créatrice du THINK TANK DEVENIR, groupe de réfl exions interdisciplinaires sur les problèmes de société.

This article is from: