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Moïse de Tetouan, sa mémoire en
Moïse de Tetouan, sa mémoire en héritage, de Megorachim à Dhimmis puis à citoyens français
Par SYLVIE BENSAID
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«Moïse de tetouan, sa mémoire en Héritage 1492-1962 » aux éditions BOD. Un très bel ouvrage écrit par Sylviane Serruya. L’auteure a accordé une interview à Tribune Juive. Entretien :
Tribune Juive : Dans ce livre fort documenté, et très bien écrit, vous décrivez l’histoire de vos ancêtres, mais aussi celle d’une partie du peuple juif ?
Sylviane Suruya : En eff et, l’histoire de mes ancêtres et plus précisément celle de mon arrière-grand-père Moïse Serruya sert de point de départ et aussi de fi l conducteur pour rappeler l’histoire des Mégorachim, ses aïeux chassés en 1492 d’Espagne. Sa biographie sert aussi de prétexte pour évoquer l’histoire de mes ancêtres installés au Maroc, à Tétouan précisément, et qui ont fui de nouveau dans l’Algérie coloniale pour y trouver un avenir meilleur et sécurisé. Elle constitue l’axe central de mon ouvrage auquel se greff ent d’autres axes secondaires, d’autres histoires ou d’autres anecdotes qui font revivre des épisodes méconnus ou peu connus de l’histoire juive, comme celles de Hanina Mellul ou de Solika Hatchuel, ou de l’histoire générale du bassin méditerranéen comme celles de la piraterie et ses conséquences.
Moïse et ses ancêtres ont eu en réalité un parcours banal, celui des milliers de fugitifs refusant les conversions forcées, les massacres périodiques, condamnations à mort, les confi scations de biens, les pillages de leur quartier, les impositions fi scales exorbitantes, la condition de soumis, la dhimmitude…
Mais ce parcours commun est exemplaire et représentatif de celui de l’ensemble des Juifs expulsés d’Espagne, installés au Maroc puis en Algérie. La vie exhumée de Moïse est rappelée dans un va-et-vient constant entre sa petite histoire personnelle et la Grande Histoire, l’une illustrant et expliquant l’autre. Ainsi ce livre est une fresque historique et sociale oscillant entre la biographie et le récit historique, le roman et le document
Tribune Juive : Comment vous est venue l’idée d’écrire un tel livre ?
Sylviane Seruya : De suite, après la mort de mon père, il m’a fallu combler le vide laissé par son absence douloureuse. Il m’a semblé aussi que mon père parti, tout son héritage personnel, familial, historique, spirituel se fragilisait et pouvait à son tour s’évaporer et sombrer peu à peu dans l’oubli. J’ai donc voulu rédiger ces lignes pour rappeler son histoire familiale, honorer sa mémoire, lui rendre hommage, le remercier des principes qu’il avait transmis à ses enfants. C’est à la fois un travail de mémoire et de reconnaissance mais aussi d’amour. Et travers lui, je rends hommage à l’ensemble de nos ancêtres grâce auxquels nous existons aujourd’hui et sommes ce que nous sommes.
Tribune Juive : Est-ce par devoir de transmission, pour votre descendance ?
J’ai eu aussi le fort sentiment d’être un maillon fragile dans la chaine du temps entre le passé, représenté par mes aïeux, et le futur, représenté par celui de mes petits-enfants. J’ai donc voulu établir ou fortifi er la relation entre leur avenir et le vécu familial. Je me suis obligée à réaliser un travail pédagogique pour mes petits-enfants. Je me devais de leur enseigner, transmettre un message et leur passer le relais de la chose familiale. Ils devaient connaître les
origines et le passé de leurs ancêtres, ceci afi n qu’ils appréhendent au mieux leur futur.
Tribune Juive : C’est un véritable travail de mémoire que vous nous off rez. Comment avez vous travaillé pour réunir autant de documents?
Sylviane Suruya : Cela a été un véritable travail de patientes recherches généalogiques, familiales administratives, historiques, sociales, mais un travail passionnant. Parfois, à un moment inattendu, un élément surprenant se découvrait et remettait en question une ébauche de reconstitution du passé. Mon point de départ a été l’ensemble des documents familiaux laissés par mon père, lettres, photos, documents administratifs variés, d’état civil, diplômes, coupures de journaux… Ces documents m’ont permis de faire des recherches généalogiques et de retrouver des membres perdus de la famille. Mais très vite ces documents personnels et précieux se sont révélés insuffi sants car ils soulevaient des interrogations auxquelles les récits des cousins et petits cousins retrouvés ne pouvaient répondre. Il m’a fallu me rendre dans diff érents centres d’archives, tels le CAOM (Centre des Archives d’Outre-mer), le CARAN (Centre d’Accueil et de Recherches des Archives Nationales), la BNF (Bibliothèque Nationale Française) pour y trouver des éléments de réponses parfois encore lacunaires. La lecture d’ouvrages d’historiens reconnus et réputés (tels G.Bensoussan, P.Weil,F.Renucci, G. Dermendjan, G. Nahon, M. Ansky, D. Nadjari, Sarah Leibovici, Valérie Assan et bien d’autres..) a aidé à apporter des précisions et éclaircissements
Tribune Juive : Vous faites émerger dans ce livre, un personnage Moïse qui est en fi ligrane, représentatif de l’histoire des juifs d’Espagne, du Maroc et d’Algérie, pouvezvous nous en parler ?
Sylviane Suruya : L’ensemble de ces recherches a permis de remonter le plus loin possible dans le temps, en fonction des archives retrouvées et de faire apparaître la fi gure attachante de Moïse Serruya,né en 1854 à Tétouan et descendant des Mégorachim.
La reconstitution de son histoire personnelle et de son parcours exemplaire s’est imposée avec certitude peu à peu. J’ai pu retrouver l’histoire de ses ancêtres, de la famille de son épouse Djemol Katan, de ses enfants décédés dramatiquement, les circonstances surprenantes de sa mort. Avec sa famille, très observante des traditions judéo-espagnoles, il fuit la Petite Jérusalem, la Tchica Jerusalem, ainsi qu’était autrefois appelée sa ville natale, tant il faisait bon y vivre mais où les conditions de vie des Juifs, devenus dhimmis, se sont fortement dégradées au fi l des décennies. Comme des milliers de Juifs venus du Maroc à partir des années 1790, il s’installe en Algérie et à Oran plus précisément en 1855. La destination de la colonie française n’est pas un hasard pour ces immigrés chérifi ens : ils veulent profi ter du vent de liberté, d’émancipation et de progrès qui y souffl e et que représentent les nouvelles autorités de l’Algérie. En cela son histoire personnelle est représentative des Juifs de l’ouest du bassin Méditerranéen.
Moïse émerge peu à peu de l’oubli et se transforme en un personnage central du livre. Il devient, malgré sa mort précoce à trente-sept ans, le témoin d’une époque en pleine eff ervescence que j’évoque. Il observe les changements historiques, sociaux, politiques, économiques, urbanistiques de son temps. Il s’en étonne et rêve d’améliorations. Il vit les mutations de la condition des Juifs dhimmis devenus citoyens français puis la montée de l’antisémitisme pour des raisons électorales et les violences engendrées dans la colonie. Il permet de rappeler les diff érentes traditions et étapes de la vie juive dans le quartier juif d’Oran, le Derb el Houd ou au Village Nègre.
L’histoire de Moïse n’a rien d’original, c’est celle en défi nitive d’un immigré marocain judéoespagnol, dhimmi devenu d’abord libre mais prolétaire à Oran puis restaurateur et citoyen français. Elle est la représentation de l’ambition et de la réussite des nombreux juifs exilés d’Espagne et du Maroc mais aussi celle des 34 574 Juifs indigènes d’Algérie émancipés par le décret Crémieux en 1870.
Sylviane Serruya est née à Oran Algérie. Enfant, elle vit l’exil des « pieds noirs ». Elle étudie à l’institut hispanique à paris avant de devenir Professeur certifié d’espagnol à l’éducation nationale. Mariée et mère de quatre enfants, elle est passionnée d’histoire et de généalogie. Elle s’intéresse à l’histoire de ses ancêtres dont elle retrouve les traces et le parcours.

Ce livre est en vente sur internet, directement chez l’éditeur BoD, ou commandé à la FNAC ou encore chez Amazon. Il existe même en version numérique ebook.