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TRIBUNE
« PEUPLE ÉLU ? » Par ANTOINE DESJARDINS
Merci à A. Finkielkraut d’être « aussi bien » français, lui qui, si on en croit les mauvaises langues, ne devrait avoir d’allégeance qu’à son peuple d’origine, le peuple élu. La calomnie antisémite a fait prendre cette expression pour une injure, alors que tout peuple digne de ce nom devrait, pacifiquement, se croire pressenti par l’Histoire pour accomplir de belles et grandes choses en préservant jalousement sa culture, ses affiliations, ses mœurs, sa « langue », ses préférences et mêmes ses répugnances. Le racisme n’a rien à faire avec le sentiment de soi et la volonté naturelle de préservation de son être : ce n’est sûrement pas un Lévi-Strauss qui me donnerait tort.
A
supposer même que les juifs se prennent pour le peuple élu, cela ne me gênerait nullement. S’imaginer élu, quel meilleur moteur pour aspirer à l’excellence ? Si j’en juge par les résultats scolaires de la France, le QI moyen qui tombe, la baisse des exigences scolaires et universitaires, la veulerie et l’individualisme exacerbés, l’incapacité à connaître et reconnaître son héritage et son histoire, à connaître et reconnaître le poids de la dette symbolique, à quoi s’ajoutent les exercices interminables d’auto-flagellation et de haine de soi, l’incapacité à faire corps et même faire bloc (due aux traitres de l’intérieur et aux trahisons politiques), le laxisme sans fin des institutions, l’impotence et la lâcheté d’élites boutiquières et incultes incapables de remonter le plus léger courant contraire au mouvement de globalisation forcé (le prix en est la dissolution de la souveraineté), je me dis qu’il serait temps plus que jamais de se dire « peuple élu et solidaire » pour faire de grandes choses, avec les autres nations européennes amies, certes, mais en tenant fermement notre propre drapeau. Drapeau devant nos amis, étendard et étendards face à nos ennemis. Car les ennemis ne manquent pas, qui nous l’ont fait savoir.
Être élu n’implique aucun sentiment de supériorité mais la certitude d’être une grande nation, ce qui peut porter à des responsabilités immenses ou être générateur de sacrifices. Il faut sortir de la pénitence et renouer avec la fierté et la vertu. La vertu étant avant tout une force. Le nationalisme de 14-18 qui a pu « être » effectivement la guerre (la parole fameuse de Mitterrand) doit être remplacé par un romantisme patriote qui n’est pas de gloriole mais qui, comme le dit Simone Weil, est « amour de quelque chose de terrestre qu’on ressent comme éminemment mortel et fragile, susceptible d’être détruit et piétiné ». « Ne sommes-nous pas nousmêmes l’autre de l’Autre ? Et cet autre n’a-t-il pas droit lui aussi d’être et de persévérer dans son être ? » dit Finkielkraut. Citation, pour finir, tirée de «La seule exactitude» : « Les jours misérables de l’Europe. L’Europe s’aplatit devant l’islam, le supplie de lui faire grâce. Cette comédie me dégoûte. L’Europe meurt de sa lâcheté, de son incapacité à se défendre et de l’ornière morale évidente dont elle ne peut s’extraire depuis Auschwitz. » Citation d’Imre Kertész, (le Nobel de littérature juif hongrois), page 245 de L’Ultime auberge et rapportée par A. Finkielkraut.
TRIBUNEJUIVE.INFO - SEPTEMBRE / OCTOBRE / NOVEMBRE 2020
Dans le cas de la France, et cela tombe bien, pourrait-on dire, il se trouve qu’une part de nos valeurs gît dans l’humanisme (héritage gréco-latin notamment) et l’utopie de l’universalité de l’homme, respect, justice, liberté, droits humains. Mais il n’y aura pas de liberté pour les ennemis de nos libertés. [1] L’Ultime auberge. 7 janvier 2015. Actes Sud.