DOSSIER SANTÉ pharmaceutiques plus lucratives – vaccinales ou non – à partir de ces plateformes ». Car tous les vaccins ne garantissent pas le retour sur investissement : la dose d’un vaccin BCG, par exemple, ne se vend que 0,1 dollar. Autre ombre au tableau : la double dépendance aux licences pharmaceutiques et à la fourniture de composants importés. Le continent devrait davantage explorer le potentiel de ses propres matières premières pharmaceutiques, dont une grande partie reste à évaluer scientifiquement, pointe un rapport du Policy Center for the New South, basé à Rabat.
vaccins, regrette Patrick Tippoo, ce qui rend les investissements difficiles à envisager dans les dix prochaines années. » Des voix appellent à harmoniser les régulations du continent. L’Agence africaine du médicament,
La Zlecaf pourrait créer un environnement favorable et des perspectives d’économies d’échelle.
Harmoniser les réglementations Autre frein à la production locale, l’omniprésence des fournisseurs de vaccins gratuits – comme l’alliance Gavi, qui achète souvent auprès des ultra-compétitifs indiens et chinois. « Quarante pays africains sur 54 dépendent de la Gavi pour leurs
qui doit être le fer de lance sur ce sujet, peine à voir le jour. En Afrique australe, où un effort d’harmonisation des réglementations pharmaceutiques a été fait, l’Afrique du Sud approvisionne déjà ses voisins. La Zone de libre-échange continentale
africaine (Zlecaf) pourrait créer un environnement favorable et des perspectives d’économies d’échelle. Les laboratoires et les entreprises de différents États pourraient se répartir la recherche, le développement et la production à travers des coentreprises. « Actuellement, il revient moins cher de s’approvisionner en dehors du continent que chez ses voisins », déplore Bartholomew Dicky Akanmori. Les variants pourraient aussi rebattre les cartes. Alors qu’AstraZeneca semble ne pas donner de protection suffisante contre la souche sud-africaine, ImmunityBio explore déjà le potentiel des lymphocytes T pour faire face à ces mutations. Et si le retard devenait un atout? Des perspectives s’ouvrent avec les nouvelles générations de vaccins. Les laboratoires africains produiront plus tardivement qu’ailleurs mais peuvent espérer des produits plus adaptés à leur environnement sanitaire.
Le groupement d’accès aux technologies contre le Covid-19 (C-TAP), lancé en mai 2020 au sein de l’OMS, a été approuvé par quarante pays, des programmes onusiens et des ONG. Cette plateforme promeut le libre accès aux savoirs scientifiques et technologiques, en appelant au partage des procédures de fabrication et de propriété intellectuelle. Sans succès. « Les laboratoires n’ont pas joué le jeu de la solidarité, désapprouve la chercheuse Nathalie Ernoult à Médecins sans frontières. C’est pour cela que l’Afrique du Sud et l’Inde ont déposé un recours de levée temporaire de la propriété intellectuelle à l’OMC en octobre 2020, ce qui crée une contrainte
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JEUNE AFRIQUE – N° 3101 – JUIN 2021
Stéphane Bancel, le PDG de Moderna, estime que l’initiative Covax reste le meilleur moyen de garantir l’accès aux vaccins.
politique sur la nécessité de relancer les discussions sur C-TAP. » Depuis, l’OMS a mis en œuvre le 16 avril une déclinaison consacrée à l’ARN messager, le MRNA Transfer Hub, destiné à accélérer la production de vaccins dans les pays à revenus faible et intermédiaire. Mais les grands laboratoires ne sont pas
ADAM GLANZMAN/BLOOMBERG/GETTY
OMS-BIG PHARMA LES RATÉS DU TRANSFERT DE COMPÉTENCES
plus convaincus. Ainsi, « 70 % de la fabrication de vaccins repose sur le contrôle de la qualité et de la sécurité, explique Thomas Cueni, le directeur général de la Fédération internationale de l’industrie du médicament (Ifpma). Aucune entreprise ne veut laisser cela lui échapper sans pouvoir vérifier elle-même
que son partenaire est apte. » Stéphane Bancel, le CEO français de l’américain Moderna, abonde : « Covax reste le meilleur moyen de garantir un accès maximal aux vaccins. Nous n’avons pas les ressources pour détourner nos équipes d’ingénieurs vers plus de transferts de technologies. Cela aurait un impact sur nos objectifs de production et donc sur la propagation du virus. » Toutefois, Nathalie Ernoult envisage que « des groupes pharmaceutiques en phase de développement plus précoce puissent entrer dans ce partage en échange de soutiens pour finaliser le développement et le dépôt de leur produit ». Camille Lafrance