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Le match
Sœurs ennemies
Depuis plusieurs semaines, la militante antiraciste et la nouvelle égérie de l’universalisme républicain français s’afrontent par médias interposés.Etserendent coup pour coup.
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Peut-onsebattrepour la même causeetafficher des positionssipeu conciliables? Pour lesmilitantes antiracistesRachel Khan et Rokhaya Diallo,celan’a rien d’incongru. Depuis plusieurssemaines, sur les plateaux de télévision et àcoups de tweets incendiaires,les deux femmesétalent leursdivergenceset leur animositéaugrand jour.Elles dévoilent deux conceptions et deux manières de s’approprierlalutte contre le racisme en France,Rachel Khans’affichant déjà comme la nouvelle figuremédiatiquedel’universalisme républicain, Rokhaya Diallo,intransigeante, s’élevant contre «laculturedelaminorité docile ».
Tout acommencé avec la parution du livredeRachel Khan, Racée,le10mars, auxéditions de l’Observatoire. Dans cet essai encensépar la presse française, la comédienneetscénariste fait bienplusqu’égratignerlachroniqueuseetréalisatrice franco-sénégalaiseRokhaya Diallo. Elle l’accuse de participer au repli identitairede la Franceetd’encourager la posture victimaire desNoirs. Sespropos àl’adresse de Rokhaya Diallo sont durs. Elle évoque «une pyromane [qui] simplifielemonde et lave le cerveaud’une jeunesse racée, en attented’une parole enfin responsable ». Elle fustige«l’entrepreneusedelavictimisation »et «[son] caquètementvindicatif [qui] donne la chair de poule ». Khan poursuit : « L’ambition première, sous prétextedejustice et d’égalité, estleclivage àtoutprix, àdes fins de clashetd’audience, relayé par Twitter,prospérant sur la discorde.»Petitefille de déportés, née d’un père gambienmusulman et d’une mèrejuive polonaise, Rachel Khan ne veut pas être perçue commeracisée.Elle se dit en revanche «racée»euégardàses origines multiples.
Et il fautcroireque sondiscours plaît. Depuis la sortie de sonlivre, l’ancienne athlètedehautniveau enchaîne lesinterviews. Et, àvoir lesmédias si bien disposés àson égard, on en déduirait que l’Hexagone aenfintrouvél’égériequi lui manquait.
Passion et détermination
Dotéed’unfranc-parler redoutable, jamaisdéstabilisée par lesattaques de ses contradicteurs, Rokhaya Diallo ne le sait que trop bien :elle irrite. Sesinterventions déchaînent toujoursdes passions. Sans doute parce que très peudefemmesnoires osent s’exprimer dans l’espacepublic contreleracisme avec tant de détermination. Au risque d’être classée danslacatégorie peuenviabledes «identitaires racialistes».«Cequ’on
SA GET /AFP JOEL
Rokhaya Diallo
–43ans –
ATOUTS Visibilitéàl’international. Éditorialiste au Washington Post et au Guardian. Nombreux soutiens aux États-Unis.Tient tête àl’extrême droitefrançaise.
HANDICAPS Personnalitéclivante. Positions tranchées.

attend d’une personnecomme moi, qui aune certaineassise sociale grâce àses études, c’est qu’elle se réjouisse de sonsortet n’exprime que gratitudeà l’égardde la République»,analyse la chroniqueuse du WashingtonPost et du Guardian sur sa pageFacebook.
Elle yquestionneles rapports de domination, lesinégalitéset lesassignationsqui poussent à mettre lesgens dans descases et à lesempêcher d’en sortir.Dans ses interventions, elledéplore que la sociétéréduisecela àdes questions d’identité. Comment en effet parler de «liberté et d’égalité»quand certainssont accusés de mettre en dangerlaRépubliqueparce qu’ils osent dénoncer le potentiel explosif de la discrimination raciale, s’interroge-t-elle.
Le 29 mars, lesdeuxfemmesont accepté de débattresur la chaîne LCI. L’occasion pour Rokhaya Diallo d’enfoncer le clou :«Seproclamer » racée«est un luxethéorique qui ne résiste pas àl’épreuve de la réalité, lance-t-elle.Onn’est pasraciséde naissance.Êtreracisé, c’estprécisément avoir une condition raciale spécifique dans un contextegéographique donné.»
La tension estencoremontée d’un cran àlami-avril après le passagede Rachel Khansur une autre chaîne de télévision française, CNews. L’animateur Pascal Praud décrivait alorslacomédienne comme«intelligente, bienveillante»etdisait ne pas comprendre«pourquoiles autres sont malveillants, jaloux et violents».Interprétationd’un
internaute dansuntweet :«Vous n’êtes pas comme Rokhaya Diallo ou Feïza BenMohamed, et ça j’adore. » Réactionacide de Rokhaya Diallo : «Tant qu’onles caresse danslesens du poil et qu’onchanteles louanges de la France, ils nous adorent », le tout accompagnéd’une photo de lapublicitéBanania. Un tweetque beaucoup ne lui pardonnentpas. La Ligue internationale de lutte contreleracisme et l’antisémitisme (Licra) dénonce un propos «immonde »qui prouve que le «prétendu antiracisme [de Diallo] estune escroquerie qui sert àsalir ».
«Piquéeauvif,jalousecomme une vieille diva,violentecomme une enfant dépossédée,Rokhaya Diallo vient,publiquement, de s’autodétruireenbasculant aux dépens de #RachelKhan dans le gros racisme colonial qui pue », ajoute le philosophe RaphaëlEnthoven. Réplique acerbedeRokhaya Diallo :«Pour enchanter certains plateaux TV,ilvaut mieux s’abstenir de critiquerlaFrance ou de dénoncer le racisme. Ces postures lisses et dociles sont révélatrices d’un paternalisme colonial. Voilà tout. »Ajoutantàlacacophonie, ses partisans, eux,rappellent,extraits de textes àl’appui, qu’il fut un temps où Khan défendait exactement les thèses qu’elle combat aujourd’hui.
Unechose estsûre:cedébat en forme de clash sur Twitter illustre àlui seul la difficultéàconduirele combat antiraciste en France.
Clarisse Juompan-Yakam
Cedébatàcoups detweetsillustre ladifficulté deconduire lecombatantiracisteenFrance.


Rachel Khan
–45ans –
ATOUTS Nouvelle venuedans le débat.Peut s’appuyersur les réseauxdelaLicra. Réel capital sympathie.
HANDICAPS Risque d’instrumentalisation politique.S’est aliéné une partie de ses anciens compagnons de lutte.
IMA GES HUNT /GETTY NICHOLAS