Entre talent et pouvoir : la fuite des cerveaux comme signal géopolitique
Frédéric ROSARD
Dépendance technologique aux Etats-Unis: L’Europe peut-elle encore retrouver son destin numérique ?
Stanislovas STAIGVILAS
Guerre contre les cartels: les Etats-Unis prêts à franchir la ligne rouge ?
Artus de VIVIE - FDNU
Drogues, conflits et géopolitique : l’équation explosive du XXIème siècle
Grégoire ROQUETTE
La Syrie, “République du captagon”
Chloé CALAVIA& Lucie CALAVIA
Le cas du Canada face à la crise du fentanyl
William LANGLOIS - FDNU
4 6 10 22 26 32 36
Les ingérences étrangères au Congo dans le cadre du conflit au Nord-Kivu
LéoneAYONGO & Guerlain DENE -AMRI
Des troupes de maintien de la paix chinoises en Ukraine : une bascule géopolitique inédite ?
Malo FREMONT &Augustin HUMBERT -AMRI
Les terres rares : des ressources stratégiques entre transition énergétique et rivalités internationales
Pauline FONTAINE &Aboubacar KONATE -AMRI
L’Arctique, une région au cœur des jeux de puissances ASSOCIATION PROMETHEI
Taïwan : L’île qui résiste à l’ombre de Pékin
Romain BLACHIER professeur à HEIP & ILERI
40 46 52 58 66
Merci à nos lecteurs
Par Quen�n BENOIT - Cofondateur de Terra Bellum
Chers lecteurs,
Ce nouveau numéro de notre revue ambi�onne de décrypter les tensions contemporaines à travers des prismesparfoisina�endus,maistoujoursstratégiques.
La fuite des cerveaux, phénomène souvent analysé sous l’angle socio-économique, prend ici une dimension poli�que. Frédéric Rosard nous invite à y voirunindicateurgéopoli�quemajeur:lacompé��on mondiale pour le talent est aussi une lu�e pour l’influence et la souveraineté. Dans la même logique, Stanislovas Staigvilas interroge la dépendance technologique de l’Europe vis-à-vis des États-Unis et pose une ques�on fondamentale : peut-on encore parler d’indépendance numérique sur le Vieux Con�nent ?
Le dossier central de ce numéro s’a�arde sur la géopoli�que des drogues, un sujet qui s’impose commeunenjeucléduXXIesiècle.Delaguerrecontre les cartels menée par Washington (Artus de Vivie) à l’explosion des marchés illicites au Moyen-Orient, notamment en Syrie, devenue "République du captagon" (Chloé et Lucie Calavia), en passant par la crise du fentanyl au Canada (William Langlois), la drogue n’est plus un simple fléau sanitaire : elle est un instrument de déstabilisa�on, un vecteur de conflits, un ou�l géopoli�que. Grégoire Roque�e en expose les ramifica�ons globales avec force et clarté.
Ce numéro explore aussi les tensions géostratégiques les plus actuelles : la militarisa�on de l’Arc�que par les grandes puissances (Associa�on Promethei), les ambi�ons chinoises et la ques�on ukrainienne (Malo Frémont & Augus�n Humbert), ou encore le rôle des terres rares dans la transi�on énergé�que (Pauline Fontaine & Aboubacar Konaté).
Le dossier de Léone Ayongo et Guerlain Dene sur les ingérences étrangères au Congo rappelle que l’Afrique reste un théâtre d’affrontements indirects où s’expriment de mul�ples rivalités.
Enfin, Romain Blachier nous propose un regard synthé�que sur la résilience taïwanaise face à la pression croissante de Pékin, point de tension majeur dans la recomposi�on géopoli�que actuelle.
Les auteurs réunis dans ce numéro offrent des perspec�ves variées, ancrées dans le réel, sur un monde en recomposi�on. Entre migra�ons de l’intelligence, dépendances invisibles, ressources convoitées et conflits asymétriques, il s’agit, plus que jamais, de comprendre les logiques de pouvoir à l’œuvre. La géopoli�que change de formes mais n’a jamais été aussi présente.
Bonne lecture.
CHRONIQUE
Entre talent et pouvoir :
La fuite des cerveaux comme signal géopolitique
Par Frédéric ROSARD - Docteur en mathéma�ques, enseignant à Sciences Po & Polytechnique
La mondialisa�on a redéfini les dynamiques économiques, sociales et poli�ques, �ssant des interdépendances complexes entre les na�ons. Parmi les phénomènes les plus marquants de ce�e ère globale figure lafuite des cerveaux, ou migra�on des talents, qui désigne le départ massif de personnes hautement qualifiées d'un pays vers un autre. Loin d'être une simple conséquence des inégalités économiques, ce phénomène est unsignal géopoli�que puissant. Il reflète les rapports de force entre na�ons, les stratégies d'a�rac�on des puissances dominantes et les vulnérabilités des pays en développement.
PERSPECTIVE HISTORIQUE ET CONTEMPORAINE
La fuite des cerveaux n'est pas une nouveauté. Bien que ses racines remontent à plusieurs siècles, c'est dans la seconde moi�é du XXe siècle que le terme a émergé. Ini�alement, il concernait principalement les paysendéveloppement,oùdeschercheurs,médecins, ingénieurs et intellectuels qui�aient leur pays pour rejoindre des na�ons industrialisées, a�rés principalement par de meilleures condi�ons de travail et des libertés académiques plus étendues. La guerre froide a exacerbé ce�e tendance, poussant de nombreux talents à rejoindre le monde occidental.
AuXXIe siècle, la fuite des cerveaux prend une nouvelle dimension, portée par la mondialisa�on, les
Environ 2 % des Français de plus de 25 ans vivent à l’étranger, un chiffre qui a doublé en 30 ans
technologies de l'informa�on et une instabilité croissante de certaines régions du monde. Les mo�va�ons des migrants ne se limitent plus à la recherche de meilleures condi�ons de vie ; elles incluent désormais des facteurs poli�ques, économiques et sociaux profondément liés aux enjeux géopoli�ques actuels. Ainsi, ce phénomène dépasse la simple ques�on d'opportunités individuelles : il devient unreflet de la santé poli�que et de l'a�rac�vité d'une na�on.
DES CAUSES MULTIPLES
Lesdisparités économiquesjouent un rôle central dans la migra�on des talents. Les professionnels qualifiés des pays en développement sont a�rés par des salaires plus élevés, des condi�ons de travail meilleures et des perspec�ves de carrière plus prome�euses dans les pays développés. Par exemple, les États-Unis, le Canada et l'Allemagne ont mis en place des programmes visant à a�rer des travailleurs qualifiés dans des secteurs clés comme la technologie, la santé et l'ingénierie.
Lamondialisa�ona également facilité ce�e mobilité grâce à des réseaux académiques et professionnels transna�onaux. Les universités pres�gieuses, les entreprises mul�na�onales et les programmes de recherche interna�onaux créent des passerelles pour les talents du monde en�er, renforçant l'a�rac�vité des pays hôtes.
UN ENJEU GÉOPOLITIQUE : LA
BATAILLE POUR LES TALENTS
La fuite des cerveaux n'est pas seulement une ques�on de développement économique ; elle est devenue unenjeu stratégiquedans la compé��on géopoli�que. Les na�ons qui parviennent à a�rer et à retenir les talents renforcent leur puissance économique, technologique et militaire, tandis que celles qui les perdent voient leur influence diminuer.
Les pays développés ont mis en place des poli�ques proac�ves pour a�rer les talents étrangers. Par exemple, les États-Unis, grâce à leur système de visasH-1B, a�rent chaque année des milliers de professionnels qualifiés, notamment dans le secteur de la technologie. De même, l'Union européenne a lancé des ini�a�ves comme laCarte bleue européennepour faciliter l'immigra�on des travailleurs hautement qualifiés. Ces poli�ques visent à combler les pénuries de spécialistes dans des secteurs cri�ques et à maintenir une avance technologique.
Pour lespays en développement, la fuite des cerveaux représente une perte considérable. Elle prive ces na�ons de leurs ressources humaines les plus précieuses, entravant leur capacité à innover et à se
développer. Cependant, certains pays ont su transformer ce�e fuite en opportunité. L'Inde et la Chine, par exemple, ont développé des réseaux de diaspora qui contribuent au transfert de connaissances et à l'inves�ssement dans leur pays d'origine. Ces"cerveaux en circula�on"montrent que la migra�on des talents peut aussi être un vecteur de coopéra�on interna�onale.
La compé��on pour les talents a également unedimension sécuritaire. Les pays qui maîtrisent les technologies de pointe, comme l'intelligence ar�ficielleoulacybersécurité,renforcentleurposi�on sur l'échiquier mondial. Inversement, les pays qui perdent leurs experts dans ces domaines deviennent plus vulnérables aux pressions extérieures. Ainsi, la fuite des cerveaux peut être vue comme unindicateur de la puissance rela�ve des na�ons.
CONSÉQUENCES À LONG TERME : UN MONDE POLARISÉ ?
La fuite des cerveaux risque d'accentuer les inégalités entre les na�ons, créant un monde de plus en plus polarisé. D'un côté, les pays riches
con�nueront à a�rer les talents, renforçant leur domina�on économique et technologique. De l'autre, lespayspluspauvres,privésdeleursélites,risquentde sombrer dans un cercle vicieux de sousdéveloppement et d'instabilité.
Pour les pays en développement, la perte de leurs talents a des conséquences drama�ques. Elle affaiblit leurssystèmeséduca�fs,réduitleurcapacitéàinnover et limite leur accès aux technologies de pointe. Cela creuse l'écart avec les pays développés et rend plus difficile la réalisa�on desObjec�fs de développement durable (ODD)fixés par les Na�ons Unies.
Un monde polarisé entre na�ons riches et pauvres est un monde instable. Les inégalités croissantes peuvent alimenter les tensions interna�onales, les conflits et les migra�ons massives. La fuite des cerveaux, en exacerbant ces inégalités, pourrait donc contribuer à déstabiliser l'ordre mondial.
Face à ces défis, certains experts appellent à unegouvernance mondiale des talents. Cela pourrait inclure des mécanismes de compensa�on pour les pays qui perdent leurs élites, des programmes de coopéra�oninterna�onalepourfavoriserleretourdes talents, et des ini�a�ves pour consolider les systèmes d'éduca�on dans les na�ons émergentes. Cependant, lamiseenœuvredetellesmesuresrestecomplexe,car elle nécessite une coopéra�on sans précédent entre les na�ons.
ET EN FRANCE ET EN EUROPE?
La France, bien que son taux d'émigra�on soit parmi les moins élevés de l'OCDE, n'échappe pas à ce phénomène. Si le pays offre des opportunités professionnelles intéressantes, son a�rac�vité est en déclin. Le décrochage économique français, lié à une
adapta�on insuffisante à la mondialisa�on, a favorisé la fuite de ses cerveaux vers des pays plus a�rac�fs. Par ailleurs, les entreprises françaises peinent à a�rer des talents étrangers en masse, et le pays accuse un retard dans plusieurs domaines, notamment scien�fiques.
Un exemple embléma�que est celui deNgô Bào Châu, mathéma�cien vietnamien naturalisé français en 2010, lauréat de la médaille Fields (équivalent du prix Nobel en mathéma�ques). Après avoir enseigné en France, il a rejoint des universités pres�gieuses aux États-Unis, illustrant ainsi la difficulté de la France à retenir ses talents.
La France n'est pas un cas isolé en Europe. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l'Allemagne connaissent égalementdesmouvementsdefuitedescerveaux.Par exemple, le taux d'émigra�on des jeunes Britanniques est bien plus élevé qu'en France.
En septembre 2024, un rapport alarmant de l'ancien Premier ministre italienMario Draghia mis en lumière le décrochage économique européen, a�ribué en par�e au manque d'a�rac�vité des rémunéra�ons et des condi�ons sociales.
CONCLUSION
La fuite des cerveaux est bien plus qu'un simple phénomène migratoire ; c'est unsignal géopoli�quequi révèle les rapports de force entre na�ons. Elle illustre la compé��on pour les ressources humaines les plus précieuses et les inégalités structurelles qui façonnent notre monde. Si elle n'est pas maîtrisée, elle risque d'accentuer les divisions entre pays riches et pauvres, menaçant la stabilité mondiale. Pourtant, elle offre aussi des opportunités pour repenser les rela�ons interna�onales et construireunavenirpluséquitable.Dansunmondeoù le talent est une ressource clé, la ques�on n'est pas seulement de savoir comment a�rer les cerveaux, mais aussicomment les partager.
NOTES
BATALOVA, J. et M. FIX (2017). “Immigrants and the New Brain Gain: Ways to Leverage Rising Educa�onal A�ainment”,Washington,DC:Migra�onPolicyIns�tute BEINE, M., DOCQUIER, F. et H. RAPOPORT (2001). “Brain Drain and Economic Growth: Theory and Evidence”, Journal of Development Economics BEINE, M., DOCQUIER, F. and H.RAPOPORT(2008).“Brain Drain and Human Capital Forma�on in Developing Countries:WinnersandLosers”, The Economic Journal E Wasmer et C Garcia-Penalosa “Préparer la France à la mobilitéinterna�onalecroissantedestalents”publiéeparle Conseild’analyseéconomique(CAE)
Par Stanislovas STAIGVILAS - Chercheur en droit et poli�que de l’UE
Sommet pour l'ac�on sur l'intelligence ar�ficielle, fév. 2025, France
À l’aube d’une nouvelle ère de transforma�on numérique, les technologies de rupture façonnent l’économie mondiale et redessinent l’architecture du pouvoir à l’échelle interna�onale. Intelligence ar�ficielle, infrastructures cloud, semi-conducteurs avancés, calcul quan�que, biotechnologies numériques, supercalculateurs exascale, nanotechnologies appliquées aux circuits électroniques et blockchain cons�tuent désormais le socle des économies modernes. Mais à l’heure où ces innova�ons deviennent des ou�ls clés dans le socle technologique de la puissance économique et
géopoli�que, une ques�on cruciale se pose : l’Europe est-elle toujours maîtresse de son des�n numérique ? Derrière le vernis des déclara�ons de souveraineté technologique affichées par Bruxelles, la réalité est plus inquiétante : l’Europe reste largement dépendante de technologies étrangères, me�ant en péril son autonomie stratégique. L’Union européenne reste massivement dépendante des technologies développées à l’étranger, qu’il s’agisse des modèles d’IA avancés, des serveurs cloud ou des semiconducteurs de pointe. Ce�e dépendance ne se limite pas à une ques�on de compé��vité : elle touche à la
sécurité na�onale, à la stabilité énergé�que et même à l’autonomie géopoli�que.
Que se passerait-il en cas de tensions commerciales ou de rupture stratégique avec nos principaux fournisseurs technologiques ? L’Europe, sans capacités technologiques autonomes, pourrait se retrouver paralysée, incapable d’assurer le fonc�onnement de sesinfrastructuresessen�elles.Plusinquiétantencore, cetassuje�ssementnumériquenousenfermedansun rôle de simple consommateur, sans réelle produc�on technologique propre, ce qui nous place dans une situa�on de vulnérabilité et de désavantage structurel face aux grandes puissances innovantes.
Cet ar�cle explore les sources de ce�e dépendance, ses conséquences géopoli�ques et les stratégies possibles pour perme�re à l’Europe de retrouver sa souveraineté technologique. L’enjeu n’est pas simplement économique : il est existen�el.
COMMENT EN SOMMES-NOUS ARRIVES LA?
L’Europe, autrefois berceau de l’innova�on industrielle,afaçonnélemondeàtraverstroisgrandes révolu�ons industrielles. La première, portée par la machine à vapeur de James Wa� (1769), a fait du Royaume-Uni le cœur de l’industrialisa�on avec des villes comme Manchester et Birmingham, rapidement suivies par la France et l’Allemagne. La deuxième, fondéesurl’électricitéetlemoteuràcombus�on,avu émerger des figures comme Nikola Tesla, Werner von Siemens et Louis Renault, propulsant l’Europe au sommet de la produc�on industrielle et de l’innova�on.[1] La troisième, marquée par l’informa�que et l’électronique, aurait pu être l’occasion de renforcer ce�e domina�on, mais l’essor dunumériqueaéchappéàl’EuropeauprofitdesÉtatsUnis (avec la Silicon Valley et des entreprises comme IBM,Microso�,Intel)etduJapon(avecTokyoetOsaka et des entreprises comme Sony, Honda, NEC, Toshiba). Après des décennies de prospérité, l’Europe a cru son leadership acquis, négligeant l’IA, le cloud, les semi-conducteurs et la cybersécurité, qui allaient pourtant structurer le XXIᵉ siècle. Pendant que les États-Unis construisaient Internet et que la Chine consolidait son industrie technologique, l’Europe n’a pas su capitaliser sur ses propres avancées. C’est pourtant en Europe, au CERN (Genève), que le World Wide Web a été inventé en 1989 par Tim Berners-Lee. Ce�e innova�on révolu�onnaire, qui a posé les bases du Web moderne grâce au langage HTML et aux URL, auraitpuperme�reàl’Europedes’imposercommeun acteur clé du numérique. Pourtant, au lieu de transformer ce�e avancée en un écosystème technologique puissant, le con�nent s’est perdu dans la bureaucra�e, les normes et les débats internes. Aucun géant européen du numérique n’a émergé pour rivaliser avec les entreprises américaines, qui ont su exploiter le poten�el du Web avec Google et
Facebook, ou chinoises, avec Alibaba et Tencent. Résultat : l’Europe est aujourd’hui spectatrice de la révolu�on numerique, dépendante des technologies et plateformes étrangères, alors qu’elle aurait pu en être un moteur.
L’Europe n’a jamais manqué d’ingéniosité ni de précurseurs visionnaires. Trois innova�ons majeures auraient pu placer le con�nent à la pointe de la révolu�on numérique et marquer le XXIᵉ siècle d’une empreinte européenne. Parmi les exemples les plus notables, on peut citer le Minitel en France (19802000), Nokia et la téléphonie mobile en Finlande (années 1990-2010), ainsi que Quaero, le moteur de recherche européen avorté (2005-2013), qui témoignent d’une capacité d’innova�on indéniable. Pourtant, aucune de ces avancées n’a su se transformer en domina�on industrielle et économique durable.
Le Minitel, lancé en 1982, aurait pu être un tremplin naturel vers Internet, bien avant que le Web ne se généralise. Ce réseau téléma�que, alors révolu�onnaire, perme�ait déjà d’accéder à des services en ligne, de consulter des annuaires, d’effectuer des paiements ou de discuter à distance. Mais la France et l’Europe, au lieu de faire évoluer ce�e innova�on vers un modèle ouvert et interna�onal, l’ont enfermée dans un écosystème fermé. Pendant que l’Europe s’accrochait à son réseau na�onal, les États-Unis développaient l’Internet libre et commercial, ouvrant la voie aux géants comme Google, Amazon et Facebook.[2] Ainsi, le Minitel a fini par appartenir au passé, tandis que l’Europe laissait échapper une occasion unique de s’imposer dans l’ère du Web.
Le des�n de Nokia illustre une autre tragédie industrielle. Dès le début des années 1990, Nokia s’est imposée comme un acteur incontournable de la téléphonie mobile, connaissant une ascension fulgurante sur le marché mondial. En 1998, Nokia devint le premier constructeur mondial de téléphones
Quelle part de vérité dans ce meme ?
Le Parlement Européen adopte l’AI Act en 2023, mesure avant-gardiste saluée mais contraignante pour les entreprises @Unsplash
mobiles, captant 30 % du marché, soit près du double de son concurrent le plus proche, Motorola, incarnant ainsi l’excellence technologique européenne. Mais elle a sous-es�mé l’essor des smartphones et l’importance dessystèmesd’exploita�onmodernes.Lorsqu’Appleet Google ont introduit iOS et Android, Nokia n’a pas su réagir, restant enfermé dans ses modèles vieillissants et son système Symbian obsolète.[3] Faute d’avoir an�cipé l’avenir, l’Europe a laissé s’échapper son leadership dans la téléphonie mobile, un marché désormais totalement contrôlé par les États-Unis, la Corée du Sud et la Chine.
Enfin, le projet Quaero (du la�n "je cherche") était uneini�a�veeuropéenneconçuepourrivaliseravecle moteur de recherche Google. Annoncé en 2005 par JacquesChiracetGerhardSchröder,alorsdirigeantsde la France et de l’Allemagne, il visait à développer des ou�ls d’indexa�on et de ges�on mul�média et mul�lingue à la fois pour les professionnels et le grand public. Conçu comme une alterna�ve européenne au moteur de recherche dominant Google, Quaero devait doterl’Europed’unesolu�onsouverainedansl’accèsà l’informa�on numérique.[4] Toutefois, dès 2006, l’Allemagne s’est re�rée du projet, lançant en parallèle Theseus,unprogrammedavantageorientéversleweb séman�que et la ges�on des connaissances. Ce�e division a fragilisé la dynamique ini�ale du projet. Malgré le sou�en de la France, validé par la Commission européenne en 2008, Quaero a rapidement été miné par la bureaucra�e, les divergences poli�ques et un manque de vision stratégique. Privé de l’adhésion nécessaire et confronté à des blocages administra�fs, le projet a sombré avant même de voir le jour. Pendant ce temps, Google consolidait son hégémonie sur le marché européen, plaçant l’UE dans une situa�on de dépendance totale en ma�ère de recherche et d’accès à l’informa�on. Selon la Commission européenne, Google dé�ent environ 95 % du marché des moteurs de recherche dans l’Union européenne, consolidant ainsi son monopole absolu sur l’accès à l’informa�on. Ce�e domina�on a conduit Bruxelles à infliger plusieurs sanc�ons pour abus de posi�on dominante,
notamment une amende de 2,42 milliards d’euros en 2017 pour avoir favorisé son propre service de comparaison de prix, 4,34 milliards d’euros en 2018 pour des pra�ques an�concurren�elles liées à Android, et 1,49 milliard d’euros en 2019 pour des restric�ons illégales imposées à des sites web �ers.[5]
«
Après des décennies de prospérité, l’Europe a cru son leadership acquis, négligeant l’IA, le cloud, les semiconducteurs et la cybersécurité, qui allaient pourtant structurer le XXIᵉ siècle. Pendant que les ÉtatsUnis construisaient l’Internet et que la Chine consolidait son industrie technologique, l’Europe n’a pas su capitaliser sur ses propres avancées. »
Ces échecs partagent un fil conducteur drama�que : une capacité d’innova�on ini�ale brillante, mais un manquedevision,decoordina�onetd’inves�ssement à long terme. Chaque fois, l’Europe avait l’avantage, et chaque fois, elle l’a gâché. Pendant que le con�nent se perdait dans l’autosa�sfac�on ou les querelles administra�ves, d’autres acteurs transformaient leurs avancées en leviers de puissance mondiale. L’histoire de ces trois inven�ons est celle d’une Europe qui a su inventer l’avenir, mais qui n’a jamais su s’en emparer.
L’Europe ne se trouve pas par hasard dans une situa�on aussi désastreuse en ma�ère d'intelligence
ar�ficielle. Ce retard est le résultat de plusieurs décisions stratégiques mal orientées et de l'incapacité de l'Union européenne à prendre des mesures audacieuses pour ra�raper son retard technologique. L'une des raisons principales réside dans les réglementa�ons trop strictes imposées par l'UE, notamment à travers le Règlement sur l'Intelligence Ar�ficielle (AI Act), qui, loin de s�muler l'innova�on, risque de devenir un frein considérable à son développement. L'AI Act, adopté dans le but de garan�r un usage éthique et sécurisé de l'IA, semble, par sa complexité et ses exigences, ralen�r le secteur aulieudel'accélérer.Bienquelesnormeséthiqueset la protec�on des citoyens soient cruciales, l’AI Act impose des règles extrêmement détaillées, notamment en ma�ère de classifica�on des risques des systèmes d’IA et de responsabilité juridique, qui rendentl’adop�ondecestechnologiespluscoûteuse et plus complexe pour les entreprises. Par exemple, les entreprises de haute technologie devront faire face à des procédures de cer�fica�on lourdes pour leurs systèmes d’IA, ce qui entraînera des délais supplémentaires et des coûts considérables. Ces barrières administra�ves peuvent décourager l’innova�on,carellesrendentdifficilepourlesstartups européennes d'entrer sur le marché de l'IA et de concurrencer des géants technologiques comme Google ou Microso�, qui bénéficient d'un cadre beaucoup plus souple dans des pays comme les ÉtatsUnis. Au lieu de devenir une régula�on proac�ve, l'AI Act se transforme en un morceau de législa�on complexe, difficile à comprendre et à appliquer pour de nombreuses entreprises européennes. En insistant sur des exigences rigides de transparence et de traçabilité des données, l'UE impose des coûts excessifs pour les entreprises souhaitant développer des technologies de pointe. Ce�e réglementa�on est perçue par certains comme un frein à l'innova�on rapide, car les entreprises doivent inves�r des ressources importantes dans le respect de règles complexes, plutôt que dans la recherche et le développement.[6] En somme, L’AI Act, malgré de bonnesinten�onsàl’origine,risquederendrel’Europe encore plus dépendante des acteurs non européens dans un domaine où elle pourrait, au contraire, se posi�onner en leader si des régula�ons plus flexibles et adaptées étaient adoptées.
Les débats interminables et les formalités administra�ves imposées par l’UE ont des conséquences tangibles qui freinent son efficacité. Un exemple frappant est la lenteur des procédures de valida�on du budget européen, qui met parfois des mois, voire des années à être approuvé en raison des palabres incessantes entre les États membres.[7] En 2020, par exemple, l'UE a mis près de deux ans pour finaliser un budget de 1,8 trillion d'euros, bloquée par des désaccords poli�ques sur la répar��on des fonds. Ce retard a eu des répercussions majeures,
notamment sur des projets stratégiques comme Horizon Europe, censé soutenir l'innova�on. Il a également entravé les startups européennes, qui se sont vues privées de financements cruciaux pendant ce�e période d'incer�tude. Ce manque de réac�vité dans des domaines clés illustre comment la bureaucra�eeuropéennepeutétoufferl'innova�onet la compé��vité de l'UE sur la scène mondiale.
L’AMPLEUR REELLE DU RETARD TECHNOLOGIQUE DE L’EUROPE
Le retard technologique de l’Europe est bien plus profond qu’il n’y paraît. Loin d’être une simple ques�on de compé��vité économique, il affecte l’ensemble des secteurs stratégiques et réduit considérablement ses marges de manœuvre poli�ques.
De nombreux experts �rent la sonne�e d’alarme sur la marginalisa�on technologique de l’Europe. Laurent Alexandre, éclaireur des tendances numériques, est catégorique:«L’écartentrelaCalifornieetl’Europeva s’accroître. L’Europe est incapable de suivre technologiquement l’Amérique du Nord. Il y aura une marginalisa�on technologique et industrielle de l’Europe en général et de la France en par�culier. »[8] Malheureusement, ses prédic�ons se concré�sent de plus en plus.
Récemment, le Boston Consul�ng Group (BCG) a mené une expérience visant à évaluer l’impact de l’IA généra�ve sur la performance en innova�on produit. Les résultats sont frappants : en u�lisant GPT-4 d’OpenAI pour des tâches de créa�on et d’idéa�on, environ 90 % des par�cipants ont amélioré leurs performances. De plus, ceux ayant recours à l’IA ont a�eint un niveau de performance supérieur de 40 % par rapport à ceux travaillant sans assistance technologique. L’étude révèle également que les gains étaient les plus significa�fs lorsque les par�cipants ne tentaient pas de modifier manuellement les résultats fournis par l’IA ! Ce�e étude souligne le poten�el transformateur de l’IA généra�ve, notamment dans les processus créa�fs et décisionnels.[9] Pourtant, Europe reste spectatrice, peinant à saisir pleinement ce�e révolu�on technologique.
Ainsi, ce�e dépendance touche non seulement les infrastructures numériques et industrielles, mais aussi la maîtrise des données, l’innova�on et la sécurité. Sous-es�mé par le grand public, ce décalage technologique place l’Europe dans une posi�on de vulnérabilité croissante, où ses choix et sa souveraineté sont de plus en plus contraints par des facteurs externes. Prendre la mesure réelle de ce�e situa�on est indispensable pour envisager des réponses à la hauteur des enjeux.
L'Europe à la traîne dans le domaine des systèmes d'exploita�on
Microso� Windows domine largement le marché des systèmes d’exploita�on pour ordinateurs de bureauenEurope,avecWindows10représentant58,7 % du marché, Windows 11 à 38,13 %, et les versions plus anciennes, comme Windows 7, restant marginales.[10] Ce�e supréma�e limite la diversité des systèmes u�lisés et renforce la dépendance des u�lisateurs et des entreprises aux produits et mises à jour d’un acteur unique. Bien que des alterna�ves open source existent, leur adop�on reste marginale, notamment Linux, qui possède des racines européennes et cons�tueuneop�on crédiblefaceaux systèmes d’exploita�on propriétaires dominants. Créé en 1991 par Linus Torvalds, un ingénieur finlandais, alors étudiant à l’Université d’Helsinki, Linux s’inspire d’UNIX et devient rapidement un succès mondial, porté par une communauté de développeurs et d’entreprises contribuant à son améliora�on con�nue. L’Europe a joué un rôle clé dans son essor et son adop�on, avec plusieurs distribu�ons majeures telles que Debian (Suisse), Ubuntu (Royaume-Uni), SUSE (Allemagne) et Mageia (France), qui offrent des alterna�ves sécurisées et robustes.[11] Toutefois, malgré ces ini�a�ves, Linux reste sous-financé en Europecomparéauxcontribu�onsdesgrandsgroupes technologiques mondiaux, qui influencent fortement son développement. Pour renforcer durablement sa souveraineté numérique, l’Europe doit intensifier ses inves�ssements dans le développement de solu�ons open source et œuvrer à la créa�on d’un écosystème numériqueindépendant,incluantlaconcep�ondeson propre système d’exploita�on souverain.
Les moteurs de recherche : L’Europe face à une dépendance technologique
Comme men�onné précédemment, Google occupe une posi�on centrale dans l’écosystème numérique européen, avec une influence économique et technologiquemajeure.Ce�eomniprésencesetraduit par une domina�on écrasante du marché de la recherche en ligne, où Google dé�ent 90,12 % des parts en Europe, laissant ses concurrents à une posi�on marginale. Parmi eux, Bing (4,2 %), Yahoo! (1 %) et DuckDuckGo (0,69 %) sont tous d’origine américaine, tandis que Yandex (3,33 %) est basé en Russie et Ecosia (0,33 %) est la seule alterna�ve
européenne notable, développée en Allemagne.[12] Ces chiffres révèlent une réalité préoccupante : sans prendre en compte les moteurs de recherche issus des États-Unis, les alterna�ves à Google en Europe ne totalisent que 3,66 % du marché. Ce�e extrême concentra�on soulève des inquiétudes croissantes, en par�culier en ma�ère de concurrence et de souveraineté numérique. La Commission européenne a iden�fié un niveau de concentra�on extrêmement élevédanslesmarchésnumériques,Googlecontrôlant des segments stratégiques tels que la recherche en ligne, la publicité numérique et les infrastructures cloud.Ce�edomina�onréduitladiversitédesservices disponibles, limite les alterna�ves pour les consommateurs et pose un risque majeur en cas de décisions unilatérales de l’entreprise concernant ses services ou ses algorithmes. Le quasi-monopole de Google sur l’accès à l’informa�on en Europe souligne l’urgencededévelopperdesalterna�vescompé��ves, véritablement souveraines et adaptées aux besoins du marché européen.
« Sans prendre en compte les moteurs de recherche issus des États-Unis, les alternatives à Google en Europe ne totalisent que 3,66 % du marché. »
Ilconvientdenoterqu’ennovembre2024,Ecosia,le moteur de recherche écologique allemand, et Qwant, le moteur de recherche français axé sur la protec�on de la vie privée, ont uni leurs forces pour créer une coentreprise nommée European Search Perspec�ve (EUSP). Ce�e ini�a�ve vise à développer un index de recherche européen indépendant, réduisant la dépendance aux géants technologiques américains comme Google et Microso�. Basée à Paris, la coentreprise est détenue à parts égales par Ecosia et Qwant. Ecosia apporte des ressources financières et des données, tandis que Qwant fournit l'exper�se technique. L'infrastructure technique est assurée par
OVHcloud, partenaire de Qwant.[13] L'objec�f principal de l'EUSP est de renforcer la souveraineté numérique européenne en offrant une alterna�ve locale aux moteurs de recherche dominants, adaptée aux préférences des u�lisateurs européens et respectueuse de la vie privée. Ce�e collabora�on illustre une prise de conscience croissante de la nécessitépourl'Europedecontrôlersoninfrastructure numérique et de proposer des solu�ons compé��ves pour garan�r une réelle souveraineté technologique. La situa�on en Europe est d’autant plus préoccupante qu’elle est aggravée par l’absence d’alterna�ves viables aux moteurs de recherche dominants. Les rares moteurs de recherche disponibles proviennent de pays dont les rela�ons avec l’Union européenne sont marquées par des tensions géopoli�ques, comme Yandex, un moteur de recherche russe, ce qui rend leur adop�on inimaginable dans un avenir prévisible.
« La situation en Europe est d’autant plus préoccupante qu’elle est aggravée par l’absence
d’alternatives viables
aux moteurs de recherche dominants. Les rares moteurs de recherche disponibles proviennent de pays dont les relations avec l’Union européenne sont marquées par des tensions géopolitiques, comme Yandex, un moteur de recherche russe, ce qui rend leur adoption inimaginable dans un avenir prévisible. »
Contrairement à l’Europe, la Chine n’est pas dominée par un moteur de recherche d’origine étrangère, mais s’appuie sur des plateformes locales. Baidu, un moteur de recherche d’origine chinoise, dé�ent environ 74 % du marché na�onal et joue un rôle central dans l’écosystème numérique du pays. En juin 2013, il était déjà le site le plus consulté de Chine, et en 2019, il occupait la troisième place des sites les plus visités au monde, illustrant son poids considérable sur le marché chinois. Parallèlement, Sogou, également développé en Chine, cons�tue une alterna�ve significa�ve, notamment grâce à son intégra�on avancée avec les ou�ls linguis�ques et mobiles du pays.
Comme Google, Baidu ne se limite pas à son moteur de recherche. Il a diversifié ses services et propose notamment Baidu Maps, une alterna�ve chinoise aux services de cartographie en ligne, ainsi que Baidu Wangpan, une solu�on de stockage en nuage perme�ant aux u�lisateurs d’héberger et de partager leurs fichiers en ligne. Baidu domine aujourd’hui le marché des moteurs de recherche en Chine. En comparaison, en octobre 2022, Google n’y détenait que 3,7 % du marché, une part inférieure à celle de Bing, malgré sa moindre popularité aux États-Unis. La faible présence de Google en Chine ne s’explique pas par un manque d’efforts : l’entreprise a tenté d’élargir sabased’u�lisateurssurleterritoirechinois,maiss’est heurtée aux exigences strictes du gouvernement en ma�ère de censure, refusant de filtrer certains résultats de recherche conformément aux direc�ves locales.[14]
Ce modèle permet à la Chine de préserver son autonomie technologique et d’éviter une dépendance à une entreprise étrangère pour l’accès à l’informa�on. Pourtant, à l’échelle mondiale, Baidu ne représente que 0,66 % des parts de marché, ce qui démontrequ’ilresteessen�ellementlimitéaumarché chinois et n’exerce aucune influence globale significa�ve.
L'UE et le marché des puces : un retard cri�que à combler
NVIDIA, entreprise basée à Santa Clara, en Californie, spécialisée dans les unités de traitement graphique (GPU, pour Graphics Processing Unit), occupe une posi�on dominante sur le marché européen de l'IA. En 2023, NVIDIA détenait environ 84 % du marché des puces dédiées à l'IA, renforçant ainsi son influence dans le domaine de l'IA généra�ve.[15] NVIDIAnefabriquepassesproprespuces.L’entreprise conçoit ses GPU, mais s’appuie en�èrement sur le géant taïwanais TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) pour leur produc�on. TSMC est le premier fabricant mondial de semi-conducteurs avancés,maîtrisantdesprocédésdegravuredepointe en3nmet5nm,indispensablesauxperformancesdes processeurs graphiques. Sans TSMC, NVIDIA ne peut
La suite Yandex, plus qu’un «simple» navigateur @Yandex
pas produire ses GPU de dernière généra�on, ce qui signifiequeladépendancedel’EuropeàNVIDIAesten réalité une dépendance indirecte à Taïwan et à TSMC. Ce�e situa�on fragilise davantage l’Union européenne, car 90 % des semi-conducteurs avancés sont produits à Taïwan, une île au centre des tensions géopoli�ques avec la Chine.
La Commission européenne a lancé une enquête préliminaire sur les pra�ques commerciales de NVIDIA, notamment concernant la vente groupée de ses GPU avec d'autres équipements, afin d’évaluer si ces pra�ques pourraient lui conférer un avantage déloyal sur le marché européen.[16] En parallèle, l'Autoritéfrançaisedelaconcurrencemèneégalement une enquête sur les pra�ques commerciales de NVIDIA, sur des bases très similaires à celles de la Commission européenne. En septembre, le gendarme français de la concurrence avait déjà mené une perquisi�on chez l'entreprise à Paris, signe que les autoritésna�onalesprennentlaques�onausérieuxet examinentdeprèslerôledeNVIDIAdansl’écosystème technologique européen.[17]
DepuislelancementdeChatGPTfinnovembre2022, le cours de l'ac�on de NVIDIA a été mul�plié par huit, illustrant l'impact significa�f que la demande croissante en IA a eu sur les performances financières de l'entreprise.[17] Ainsi, la dépendance européenne à NVIDIA ne se limite pas à une simple ques�on de marché, mais relève aussi d’une vulnérabilité stratégique liée à la concentra�on de la produc�on mondiale de semi-conducteurs à Taïwan.
Si ces inves�ga�ons témoignent des inquiétudes croissantes des régulateurs européens, elles illustrent aussi une tendance récurrente de l’UE à privilégier des procédures légales et administra�ves sans fin plutôt que des ac�ons concrètes pour renforcer son autonomie technologique. Alors que NVIDIA contrôle environ 84 % du marché des puces dédiées à l’IA, aucune stratégie industrielle réaliste et gagnante n’a encore été déployée pour développer des alterna�ves européennes viables. Au lieu de s’engager dans une nouvelleséried’enquêtesquirisquentdes’enlisersans résultat tangible, l’Europe devrait concentrer ses efforts sur le développement de capacités de produc�on locales, la montée en puissance d’acteurs européensetlesou�enàdesprojetsstratégiquesdans le domaine des semi-conducteurs et de l’intelligence ar�ficielle.
L'Europe et les LLMs : Pourquoi l’IA généra�ve échappe-t-elle à son contrôle ?
L'impact de OpenAI sur l'Europe, tout comme celui de NVIDIA, met en lumière les défis associés à la dépendance croissante de l'UE envers les géants technologiques californiens. OpenAI, une entreprise américainepionnièredansledomainedel'intelligence ar�ficielle généra�ve, domine désormais le marché de l'IA avec ses modèles comme GPT-4, appartenant à la catégorie des LLMs (pour Large Language Model ou
Les alterna�ves chinoises aux géants des CPU et des GPU n’est qu’une ques�on de temps, quid des alterna�ves européennes ?
Grand modèle de langage). Ces modèles, capables de comprendre et de générer du texte avec un haut niveau de sophis�ca�on, sont intégrés dans une mul�tude de services, y compris ceux d'entreprises européennes. Bien que l'UE ait adopté une approche proac�ve en ma�ère de régula�on de l'IA, avec des ini�a�ves comme le Règlement sur l'IA visant à encadrer l’u�lisa�on de ces technologies, elle reste largement dépendante des modèles d'OpenAI pour ses services d'IA les plus avancés. Toutefois, il est crucial que les dirigeants européens comprennent que l'adop�on de législa�ons, aussi importantes soientelles, n'est pas un accomplissement en soi. Ce qui compte véritablement, c'est la capacité à créer des produits véritablement d'avant-garde, capables de rivaliser sur la scène mondiale et d'assurer l'indépendance technologique de l'Europe.
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Il est crucial que les dirigeants européens comprennent que l'adoption de législations, aussi importantes soient-elles, n'est pas un accomplissement en soi. Ce qui compte véritablement, c'est la capacité à créer des produits véritablement d'avant-garde, capables de rivaliser sur la scène mondiale et d'assurer l'indépendance technologique de l'Europe. »
Unefoisdeplus,l'Europeaccuseunretardimportant dans le domaine de l'intelligence ar�ficielle, notammentencequiconcernelesmodèlesdelangage
avancés, laissant ainsi les géants technologiques étrangers comme OpenAI dominer largement le secteur. OpenAI, fondé en 2015 par des figures embléma�ques, notamment Elon Musk et Sam Altman, a rapidement pris une posi�on dominante dans le domaine des modèles de langage. Ces derniers sont u�lisés non seulement pour des applica�ons grand public comme ChatGPT, mais aussi pour des services plus spécialisés dans les secteurs de la santé, des finances et des ressources humaines, qui sont de plus en plus répandus en Europe.
Au début de 2025, ChatGPT a dépassé 400 millions d'u�lisateurs ac�fs hebdomadaires dans le monde, enregistrant une croissance de 33 % par rapport à décembre 2024. La plateforme a enregistré 1 milliard de requêtes par jour, ce qui témoigne de son adop�on rapide.LesÉtats-Unisarrivententêteavec15,55%des visiteurstotaux,suivisparl'Inde(9,81%).EnEurope,le Royaume-Uni dé�ent la part la plus importante avec 4,25 %. En revanche, l'Europe représente une frac�on rela�vement modeste de l'u�lisa�on totale de ChatGPT,unesitua�onquireflèteuneadop�onencore faible. ChatGPT domine largement le marché des moteurs de recherche IA généra�fs avec une part de 59,2 %, bien devant ses concurrents. Microso� Copilot et Google Gemini occupent respec�vement les deuxième et troisième places avec 14,4 % et 13,5 %. D'autres acteurs, comme Perplexity (5,6 %) et Claude AI (2,8 %), suivent, tandis que des plateformes telles que Brave Leo AI, Komo, Andi, You.com et Phind dé�ennent des parts bien plus faibles, de 1,5 % à 0,4 %. Ce�erépar��on met en lumièrela prééminencede ChatGPT. Fait surprenant, aucune des alterna�ves à ChatGPT men�onnées n'est européenne.[18] En novembre 2024, OpenAI a inauguré son premier bureau en France, situé à Paris, marquant ainsi une étape clé dans son développement européen. Ce�e implanta�on à Paris vient renforcer la présence de l’entreprise sur le con�nent, après l’ouverture de bureaux à Londres et Dublin en 2023. Paris a été choisie en raison de son rôle central dans l’écosystème technologiqueeuropéen,avecuneforteconcentra�on de startups et d’acteurs de l’IA, ainsi que des partenariats académiques avec des ins�tu�ons telles que l'École Normale Supérieure et l'Université Pierre et Marie Curie. Ce bureau parisien représente non seulement une expansion stratégique pour OpenAI, mais aussi un engagement envers la conformité européenne en ma�ère de régula�on de l’IA et de protec�on des données, avec une a�en�on par�culière aux exigences du Règlement général sur la protec�on des données (RGPD).
À Bruxelles, la capitale de l'Union européenne, OpenAI a également ouvert un bureau en 2024, signalant son intérêt pour l'interac�on directe avec les ins�tu�ons européennes. Ce bureau bruxellois servira de porte d’entrée pour les discussions réglementaires, perme�ant à OpenAI de par�ciper ac�vement aux développements législa�fs. Bruxelles étant le cœur de
La chose se répète sur l’IA généra�ve @Unsplash
la poli�que européenne, ce�e présence renforce l’influence d’OpenAI dans les débats sur les normes éthiques et les régula�ons autour des technologies avancées. La posi�on géographique stratégique de Bruxelles perme�ra également à OpenAI de suivre de près les discussions concernant la souveraineté numérique et les poli�ques de compé��vité technologique au sein de l’UE.[19]
Ces ouvertures de bureaux montrent l’orienta�on d’OpenAI vers une collabora�on étroite avec les autorités et acteurs locaux, tout en consolidant son rôlecentraldanslepaysagedel’intelligencear�ficielle en Europe.
Cependant, ce�e dépendance soulève plusieurs problèmes cri�ques pour l'UE, notamment en ma�ère de souveraineté numérique et de protec�on des données personnelles. En effet, les données générées par les u�lisateurs européens à travers ces ou�ls sont souvent stockées et traitées sur des serveurs américains, ce qui met en évidence le manque de contrôle que l'Europe exerce sur ses infrastructures numériques et ses données sensibles.
Les préoccupa�ons de l'UE concernant OpenAI se concentrent également sur des ques�ons de concurrence et de monopole. Comme l'a montré l'enquête préliminaire de la Commission européenne sur les pra�ques an�concurren�elles des géants du numérique, la domina�on d'OpenAI sur le marché de l'IApourraitavoirdesrépercussionssurladiversitédes services et sur l’émergence d’alterna�ves européennes. Dans ce contexte, l’UE se retrouve confrontée à un double défi : accélérer le développementdetechnologiesconcurrentes,touten
Souveraineté technologique et simplifica�on de la législa�on seront les clés de la réussite européenne @Unsplash
assurant une régula�on adéquate des entreprises comme OpenAI qui occupent déjà une place centrale sur le marché. Ce�e situa�on appelle à une réflexion stratégique sur la manière dont l’Europe peut réduire sa dépendance aux géants technologiques américains et soutenir ses propres ini�a�ves en IA, tout en protégeantlesdroitsdesu�lisateursetengaran�ssant une vraie souveraineté numérique.
Par conséquent, l’Europe est indéniablement en retard, tant dans le domaine des systèmes d’exploita�on que dans celui des moteurs de recherche, des semi-conducteurs, des LLMs et, plus globalement, de l’intelligence ar�ficielle. Son retard est tout simplement sidérant, me�ant en péril sa compé��vité et sa souveraineté technologique face aux géants mondiaux, et la réduisant à un acteur de second plan plutôt qu'à un véritable joueur clé sur la scène interna�onale.
VERS UNE SOUVERAINETE TECHNOLOGIQUE : SOLUTIONS POUR REDUIRE LADEPENDANCE DE L'EUROPE
Le retard technologique de l'Europe n'a pas échappé aux observateurs, mais ce�e prise de conscience pourrait, paradoxalement, devenir un moteur puissant pour inverser la tendance. Lors de sa visite à
Copenhague, le PDG de Nvidia, Jensen Huang, a souligné que l'UE accuse un retard significa�f par rapport aux États-Unis et qu’elle devait accélérer ses progrès en ma�ère d'IA.[20] Alors, quelle ac�on concrète faut-il entreprendre ?
Simplifier la législa�on européenne : alléger le fardeau pour les entreprises européennes
Lefardeauréglementairequipèsesurlesentreprises européennes est excessif et ne cesse de croître. Le Rapport Draghi [21] met en lumière un défi crucial pourl'Europe:laquan�téderéglementa�ondansl'UE demeure importante, et le rythme de créa�on de nouvelles régula�ons y est supérieur à celui observé dans d'autres économies comparables. En comparaison avec les États-Unis, où environ 3 500 lois ontétéadoptéesauniveaufédéralentre2019et2024, l'Union européenne a adopté près de 13 000 actes au coursdelamêmepériode(c'est-à-direquel'UEadopte environ quatre fois plus de législa�on que les ÉtatsUnis !). Ce�e énorme différence met en évidence l'exubérance de la régula�on européenne et la proliféra�on excessive des règles. Cela montre que, malgré les efforts pour simplifier les règles, l'UE demeure engluée dans une bureaucra�e excessive, freinantl'innova�onetlacompé��vitédesentreprises européennes. Ce�e situa�on crée une incer�tude pour les acteurs économiques, par�culièrement pour les PME et les startups, qui peinent à s'adapter à des règles toujours plus complexes.
« En comparaison avec les États-Unis, où environ 3 500 lois ont été adoptées au niveau fédéral entre 2019 et 2024, l'Union européenne a adopté près de 13 000 actes au cours de la même période (c'est-àdire que l'UE adopte environ quatre fois plus de législation que les États-Unis !)»
En fait, les leaders de la disrup�on industrielle confirment ces données. Le PDG d'OpenAI, Sam Altman, a exprimé des préoccupa�ons croissantes concernant l'impact poten�el des réglementa�ons européennes sur le développement de l’IA sur le con�nent. Selon lui, des règles trop strictes, notammentcellesliéesauxexigencesderésidencedes données, pourraient entraver l'accès aux technologies d'IA avancées, freinant ainsi l'innova�on en Europe. Les régula�ons sur la résidence des données obligent
les entreprises comme OpenAI à stocker et traiter les données localement, ce qui, selon Altman, pourrait entraîner des coûts supplémentaires et des complexités administra�ves. Il es�me que de telles exigences pourraient également limiter la flexibilité nécessaire pour une ges�on efficace des données transfrontalières et freiner la rapidité de l’innova�on, alors que l'IA nécessite une évolu�vité mondiale pour rester compé��ve. En soulignant ce défi, Altman appelle à un équilibre entre la protec�on des données et la compé��vité, en soulignant qu'une réglementa�on trop contraignante risquerait de faire perdre à l'Europe son avantage stratégique dans le domaine de l'IA face à des concurrents mondiaux moins limités.[22]
Inves�r massivement dans le développement de l'IA
Récemment, sous l'administra�on de Donald Trump, le projet Stargate a été lancé avec l'ambi�on d'inves�r 500 milliards de dollars sur 4 ans pour propulser les États-Unis au sommet de l'innova�on en IA. Ce projet vise à faire des États-Unis le leader mondial de l'IA, en soutenant la recherche, le développement et la commercialisa�on des technologies avancées, tout en créant 100 000 emplois directs. Parmi les partenaires clés de ce projet figurent des géants de la technologie tels qu'Oracle (représenté par Larry Ellison), OpenAI (représenté par Sam Altman) et So�Bank (représenté par Masayoshi Son).[23]
Face à ces défis, l'UE devrait suivre l'exemple des États-Unis et inves�r massivement dans l'IA pour ra�raper son retard. Le leadership de l'UE semble enfin avoirpris consciencedel'urgencedela situa�on. Lors du Sommet sur l'Ac�on de l'IA à Paris, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a
lancé InvestAI, une ini�a�ve visant à mobiliser 200 milliards d'euros pour l'inves�ssement dans l'IA, incluant un nouveau fonds européen de 20 milliards d'eurospourlesgigafactoriesd'IA.Ce�einfrastructure essen�elle est nécessaire pour perme�re le développement ouvert et collabora�f des modèles d'IA les plus complexes et faire de l'Europe un véritable con�nent de l'IA.[24] Cependant, la somme allouée par l'UE à l'IA reste bien inférieure aux 500 milliards de dollars (soit l’équivalent d’un demi-trillion de dollars) inves�s par les États-Unis, même en tenant compte de la différence de valeur entre le dollar et l'euro, ce qui met en évidence l'enjeu considérable auquel l'Europe doit faire face pour se reme�re à niveau.
Favoriser l’émergence de startups et d’entreprises technologiques européennes
L'un des leviers les plus puissants pour que l'Europe recouvresasouverainetétechnologiquerésidedansle développement d'écosystèmes d'innova�on locaux. En me�ant en place des clusters technologiques européens, l'UE peut favoriser l’émergence de startups innovantes dans des secteurs stratégiques comme l'IA et les semi-conducteurs.
L'Europe dispose de quelques champions locaux dans ces secteurs clés. Par exemple, Mistral AI, une startup française spécialisée dans les modèles d'IA, a a�ré l'a�en�on grâce à son approche novatrice dans le domaine des modèles de langage. Fondée en avril 2023 par trois chercheurs visionnaires : Arthur Mensch, Guillaume Lample et Timothée Lacroix, la startup est fortement ancrée dans des racines académiques communes à l'École Polytechnique et enrichie de leurs expériences chez Google DeepMind et Meta. Les fondateurs ont adopté une approche
Avec Mistral AI, l’espoir renaît, mais pour combien de temps ? @MistraAI
audacieuse et différente de l'IA. Leur objec�f est de reme�re en ques�on la nature opaque de l'IA "grande échelle" et de rendre ce�e technologie de pointe accessibleàtous.LamissiondeMistralAIreposesurla démocra�sa�on de l'intelligence ar�ficielle à travers des modèles, produits et solu�ons open-source, efficaces et innovants.[25] Ainsi, leur approche est similaire à celle de DeepSeek en Chine, qui capitalise également sur des modèles à plus pe�te échelle, tout en obtenant des résultats comparables à ceux de ChatGPT, grâce à une ra�onalisa�on des processus.
« La mission de MistralAI
repose sur la démocratisation de l'intelligence artificielle à
travers des modèles, produits et solutions open-source, efficaces et innovants.
Ainsi, leur
approche est similaire
à celle
de DeepSeek en Chine, qui capitalise également sur des modèles à plus petite échelle, tout en obtenant des résultats comparables à ceux de ChatGPT, grâce à une rationalisation des processus. »
Mistral AI, développe des solu�ons avancées de traitement du langage naturel (NLP) et, à propos, a lancé avec succès un nouveau modèle de langage, le 'Mistral Large', qui rivalise assez efficacement avec GPT-4. D'autres exemples d'acteurs européens émergents méritent également d'être soulignés, incluant DeepL – une startup allemande qui se dis�ngue par ses ou�ls de traduc�on automa�sée basés sur l'IA, rivalise aujourd'hui avec des géants comme Google Translate. Ces exemples d'entrepreneuriat européen me�ent en lumière le poten�el de l'Europe pour rivaliser avec les leaders dominants de l'IA, à condi�on d'inves�r dans des infrastructures locales et de favoriser la créa�on de nouvelles startups dans ce secteur.
CONCLUSION
Une dépendance technologique entraîne des conséquences poli�ques et sociétales majeures, comme l’histoire l’a montré à plusieurs reprises.
Lorsqu'une région ou un pays devient trop dépendant d'acteurs extérieurs pour ses infrastructures et ses technologies clés, il risque de perdre une par�e de sa souveraineté, non seulement sur le plan économique, mais aussi poli�que. L'UE se trouve aujourd'hui dans ce�eposi�ondélicate.Sonretardenma�èred'IAetde technologies de pointe la place dans une situa�on vulnérable, suscep�ble de comprome�re sa compé��vité et sa capacité à façonner son avenir numérique.
Néanmoins, ce�e situa�on, bien que préoccupante, offre une opportunité de renouveau stratégique. L’UE doit impéra�vement réduire son retard et pour cela, elle doit inves�r massivement dans l’IA, les semiconducteurs et les LLMs. Elle doit également alléger sa réglementa�on étouffante et me�re enfin un terme à la sur-réglementa�on (over-regula�on), qui cons�tue un frein depuis trop longtemps. Enfin, elle doit créer des écosystèmes d’innova�on locaux pour soutenir la croissance des startups et des entreprises technologiques européennes. L’exemple de Mistral AI en France et de DeepL en Allemagne montre qu’il est encorepossiblepourl’Europedejouerunrôleclédans la révolu�on technologique mondiale. Mais cela ne sera réalisable qu’à condi�on de faire les bons choix dès maintenant.
Une dépendance qui sera entretenue par Washington pour qui l’Europe est plus que jamais nécessaire dans sa lu�e face à la Chine @WH
[1] Paul Bairoch, Victoires et déboires : histoire économique et sociale du monde du XVIᵉ siècle à nos jours, tome 2, À l’aube du XXᵉ siècle : prélude au siècle américain, Paris,Gallimard,1997,p.45-78.
[2] JamesMorgan,"Minitel:TheriseandfalloftheFrancewide web", BBC News, 28 juin 2012, accessible sur Internet: h�ps://www.bbc.com/news/magazine-18610692
[3] Mark Mason, "Lord of the ringtones: Nokia celebrates pop-culture status by opening design archive", The Guardian, 8 décembre 2024, accessible sur Internet: h�ps:/ /www.theguardian.com/technology/2024/dec/08/nokiamobile-finnish-brand-ringtones
[4] Deutsche Welle, "Europe's Quaero Project Aims to Challenge Google", 3 mars 2006, accessible sur Internet: h�ps://www.dw.com/en/europes-quaero-project-aims-tochallenge-google/a-1928217
[5] Commission européenne, "An�trust: Commission sanc�ons Google for abusing dominant posi�on in search and adver�sing markets", 2017-2019, accessible sur Internet: h�ps://ec.europa.eu/commission/presscorner/ api/files/document/print/fr/ip_17_1784/IP_17_1784_FR. pdf
[6] Science|Business, "EU Losing Narra�ve Ba�le Over AI Act, Says UN Adviser", 5 décembre 2024, accessible sur Internet: h�ps://sciencebusiness.net/news/ai/eu-losingnarra�ve-ba�le-over-ai-act-says-un-adviser
[7] Le Monde, "Budget 2025 : comprendre les enjeux du vote, le calendrier à respecter et les scénarios possibles", 14 septembre 2024, accessible sur Internet: h�ps://www. lemonde.fr/les-decodeurs/ar�cle/2024/09/14/budget2025-comprendre-les-enjeux-du-vote-le-calendrier-arespecter-et-les-scenarios-possibles_6317300_4355770. html
[8] Revue Poli�que, "L'Europe face à l'intelligence ar�ficielle : un retard aux lourdes conséquences", interview de Docteur Laurent Alexandre, 29 mars 2024, accessible sur Internet: h�ps://www.revuepoli�que.fr/leurope-face-alintelligence-ar�ficielle-un-retard-aux-lourdesconsequences/
[9] Boston Consul�ng Group, "How People Create and Destroy Value with Gen AI", 21 septembre 2023, accessible surInternet:h�ps://www.bcg.com/publica�ons/2023/howpeople-create-and-destroy-value-with-gen-ai [10] StatCounter, "Windows Version Market Share Europe", accessible sur Internet: h�ps://gs.statcounter. com/windows-version-market-share/desktop/europe [11] Université d’Helsinki, "How did 30-year-old Linux conquer the world?", 6 septembre 2021, accessible sur Internet: h�ps://www.helsinki.fi/en/news/mathema�csand-science/how-did-30-year-old-linux-conquer-world [12] StatCounter,"SearchEngineMarketShareinEurope", accessible sur Internet: h�ps://gs.statcounter.com/searchengine-market-share/all/europe
[13] Ecosia, "Introducing EUSP: A European Search Perspec�ve", 8 novembre 2024, accessible sur Internet: h�ps://blog.ecosia.org/eusp/ [14] Investopedia, "Baidu vs. Google: How Are They Different?", accessible sur Internet: h�ps://www.
[15] Nasdaq, "Nvidia Domina�ng Ar�ficial Intelligence Chip Market; Apple Has Been Securing Supply", 14 février 2024, accessible sur Internet: h�ps://www.nasdaq.com/ ar�cles/nvidia-domina�ng-ar�ficial-intelligence-chipmarket-apple-has-been-securing-supply
[16] Reuters, "Nvidia’s business prac�ces in EU an�trust spotlight, sources say", 6 décembre 2024, accessible sur Internet: h�ps://www.reuters.com/technology/nvidiasbusiness-prac�ces-eu-an�trust-spotlight-sources-say-202412-06/
[17] Le Figaro, "L'Autorité française de la concurrence enquêtesurNVIDIA",17juillet2024,accessiblesurInternet: h�ps://www.lefigaro.fr/flash-eco/l-autorite-francaise-dela-concurrence-enquete-sur-nvidia-20240717
[18] DemandSage, "ChatGPT Sta�s�cs: Market Share, Usage, and Adop�on Growth", 28 février 2025, accessible sur Internet: h�ps://www.demandsage.com/chatgptsta�s�cs/
[19] OpenAI Forum, "Pioneering AI in Europe: OpenAI's Paris Office Launch | EU", 12 mars 2025, accessible sur Internet: h�ps://forum.openai.com/public/videos/ pioneering-ai-in-europe-openais-paris-office-launch-eu
[20] Reuters, "EU Lags US and China in AI Investments, Nvidia CEO Says", 23 octobre 2024, accessible sur Internet: h�ps://www.reuters.com/technology/eu-lags-us-china-aiinvestments-nvidia-ceo-says-2024-10-23/?utm_ source=chatgpt.com
[21] Commission européenne, "The Future of European Compe��veness" (Le Rapport Draghi), Septembre 2024, accessible sur Internet: h�ps://commission.europa.eu/ document/download/97e481fd-2dc3-412d-be4cf152a8232961_en
[22] France 24, "OpenAI's Altman Warns EU Regula�on May Hold Europe Back", 07 février 2025, accessible sur Internet: h�ps://www.france24.com/en/live-news/ 20250207-openai-s-altman-warns-eu-regula�on-may-holdeurope-back
[23] Fox News, "Massive AI 'Stargate' Project: Trump Admin Reveals Next Steps", 13 février 2025, accessible sur Internet: h�ps://www.foxnews.com/media/massive-aistargate-project-trump-admin-reveals-next-steps
[24] European Commission, "EU launches InvestAI ini�a�ve to mobilise €200 billion of investment in ar�ficial intelligence", 11 février 2025, accessible sur Internet: h�ps://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ ip_25_467
[25] Mistral AI, "About", accessible sur Internet: h�ps:// mistral.ai/about.
DOSSIER � GÉOPOLITIQUE DE LA DROGUE
Guerre contre les cartels
LesEtats-Unisprêtàfranchir lalignerouge?
Par Artus de VIVIE - FDNU
LES CARTELS DE DROGUE, UNE HISTOIREAMÉRICAINE
Les racines du trafic de drogue vers l’Amérique la�ne remontent aux années 1880. A ce�e époque, de nombreux migrants chinois tentent de rejoindre les Etats-Unis. Confrontés au refus des autorités américaines en raison du Chinese Exclusion Act, beaucoup s’installent dans la région de Sinaloa, au Mexique voisin. Ils vont alors introduire la culture de l’opium dans l’économie locale, qui est ensuite exportée aux Etats-Unis.
Il faudra a�endre 1927 pour que le gouvernement mexicain interdise l’exporta�on de ces substances. La levée de la prohibi�on aux Etats-Unis pousse les trafiquants à la recherche de nouvelles alterna�ves
lucra�ves, remplaçant la contrebande d’alcool par la drogue. Entre 1940 et 1950, le Mexique s’impose comme le premier exportateur de cannabis aux EtatsUnis.
L’aboli�on en 1964 du Bracero Program, qui perme�ait aux Mexicains d’obtenir des contrats de travail pour aller travailler dans les fermes américaines, entraîne une explosion de l’immigra�on illégale, et par la même occasion, du trafic de stupéfiants. Pour endiguer ce fléau, le président Nixon déclare la drogue “ennemi public n1” et lance l’opéra�on INTERCEPT en 1969. Ce�e collabora�on américano-mexicaine vise à renforcer la sécurité à la fron�ère en plus d’accélérer la coopéra�on militaire. Toutefois, son inefficacité devient évidente après seulement 20 jours, signant son échec.
La «War on drugs» lancée depuis les années 70 par les Etats-Unis n’a jamais cessé Donald Trump l’associe à la lu�e contre le terrorisme et lui donne un nouveau sens @Unsplash
CARTELS ET ÉTAT : UNE FRONTIÈRE FLOUE
Les narco-trafiquants ont évolué, au point où ces derniers exercent une réelle souveraineté clandes�ne. En se subs�tuant au gouvernement mexicain, les contrebandiers sont devenus maîtres de plusieurs régions du Mexique (30% du pays serait gouverné par les cartels), qu’ils administrent plus ou moins directement à travers la taxa�on/extorsion des popula�ons locales. Ce�e interférence dans les affaires internes a culminé lors des élec�ons en 2021 où 100 poli�ques ont été assassinés, illustrant leur pouvoir d’ingérence lors des scru�ns na�onaux. Cependant, les criminels préfèrent des pra�ques plus insidieuses et moins visibles, telles que la corrup�on des hauts fonc�onnaires.
Pour imposer leur domina�on, les cartels peuvent compter sur leurs 175 000 hommes armés au Mexique. Ces derniers sont devenus de véritables groupes paramilitaires, u�lisant non seulement des tac�ques deguérilla,mais aussi du matériel deguerre. Ils peuvent ainsi compter sur un vaste arsenal tels que des drones bombardiers, des brouilleurs de communica�on, des chars ar�sanaux, des mines an�véhicules, des lance-roque�es et des fusils de gros calibres capables d’aba�re des hélicoptères de l’armée. Pour communiquer entre eux de manière sécurisée, les trafiquants ont mis en place un vaste réseau d’antennes téléphonique s’étendant sur tout le pays.
Les cartels ont ainsi grandement bénéficié des forma�ons et du matériel américain ayant été détourné à des fins criminelles. En effet, entre 2008 et 2019, 3 milliards de dollars ont été inves� pour entraîneretéquiperlesforcesspécialesmexicainesUn exemple édifiant est le cartel ultraviolent “los Zetas”, cons�tué en par�e d’anciens membres d’unités d’élites de l’armée mexicaine ayant été formées et équipées par les forces spéciales américaines.
LES POLITIQUES IRRÉGULIÈRES À
L’ENCONTRE DES CARTELS, UN SIÈCLE D’ÉCHEC
De 1929 jusqu’en 2000, le pays est dirigé par le Par� révolu�onnaire ins�tu�onnel, qui se révèle par�culièrement accommodant avec les cartels. En échange d’un laxisme judiciaire évident, les cartels “modéraient” leur violence, tout en cul�vant un vaste réseau dans le gouvernement mexicain. Face à ces scandales à répé��on, la popula�on exige un changement qui se traduit par l’arrivée au pouvoir en 2000 du Par� Ac�on Na�onale, marquant une différence radicale de traitement. Réélu en 2006, le président fait un grand ménage dans l’administra�on et mobilise 45 000 militaires pour comba�re les narcos, marquant le début de la guerre contre la drogue au Mexique. Perçu comme une menace, les
cartels vont alors répondre par un usage exponen�el de la violence.
L’élec�on en 2018 de Lopez Obrador marque un changement de paradigme avec son slogan “abrazos no balazos” (pouvant se traduire par “des câlins, pas des balles”), reme�ant en cause toute solu�on strictement militaire. Ce�e nouvelle approche basée sur le développement économique et social vise à ne pasprovoquerlescartelspournepasentraînerlepays dans la spirale de la violence. La nouvelle dirigeante, Claudia Sheinbaum souhaiterait répliquer le modèle de son prédécesseur, malgré ses limites évidentes. En effet,37000homicidesontétérecensésrienquepour l’année 2020, portant le nombre de vic�mes totale depuis 2006 à plus de 380 000, sans compter les 100 000 disparus.
L’incapacitédesgouvernementssuccessifsàenrayerle narcotrafic s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, la faiblesse de l’appareil répressif cons�tue un obstacle majeur. Avec seulement 0,8 % de son PIB allouéàl’arméeen2019(classantlepaysau144erang sur 167), les ressources dédiées à la lu�e contre les cartelssontlargementinsuffisantes,mêmeenprenant en compte le budget de la police. Ce�e sous-dota�on, doublée de condi�ons de travail dégradés, engendre unedémoralisa�ondesforcesdesécurité,illustréepar la déser�on massive de 150 000 soldats entre 2000 et
Claudia Sheinbaum, président du Mexique @Ge�yImage
2016. Nombre d’entre eux ont rejoint les cartels, renforçant ainsi leur puissance de feu. Par ailleurs, la corrup�on gangrène les ins�tu�ons chargéesdelalu�ean�drogue,notammentauseinde l’armée et de la classe poli�que, rendant toute ac�on efficace quasi impossible. En 2020, le secrétaire à la défense na�onale Salvador Cienfuegos Zepeda a été inculpé pour trafic de drogue et blanchiment d’argent. En février 2023, le secrétaire mexicain de la sécurité publique, Genaro García Luna, a été déclaré coupable de complicité avec le cartel de Sinaloa.
DES CARTELS LABELISÉS COMME
TERRORISTE, UN MOYEN DE DÉGAGER DE NOUVELLES MARGES DE MANŒUVRE
Face à l’impuissance de son principal partenaire commercial,lapremièrepuissancemondialeaffichesa volonté de prendre la situa�on en main. Directement exposéeauxconséquencesdunarcotrafic,ellefaitface à une crise devenue un véritable enjeu de santé publique. Ce�e épidémie s’inscrit dans le contexte pluslargedelacrisedesopioïdesqui,en2020,acoûté plus de 1 500 milliards de dollars aux contribuables américains. En 2023, 75 000 overdoses de fentanyl ont étérecensées.Suiteàl’assassinatdeplusieurscitoyens américains par des cartels, un sénateur américain a proposé une loi afin de catégoriser ces derniers comme une organisa�on terroriste. Bien que ce “label terroriste” ne perme�e pas immédiatement un recours à la force, il élargirait considérablement les moyens de lu�e contre les cartels. Il autoriserait notamment la saisie de leurs avoirs bancaires et de leurs propriétés aux États-Unis, l’applica�on de sanc�ons contre les citoyens américains en lien avec ces groupes et l’exploita�on des capacités du renseignement militaire pour les comba�re plus efficacement.
Pour certains poli�ques, l’objec�f de cet é�quetage serait de jus�fier une interven�on militaire de la première puissance mondiale contre les cartels sur le territoire mexicain, une ini�a�ve sans précédent dans l’histoire des États-Unis. Toutefois, un obstacle majeur s’est toujours opposé à de telles ac�ons : le Posse Comitatus Act, une loi adoptée par le Congrès en 1878 interdisantàl’arméed’exécuterdesmissionsdepolice, en réac�on aux abus commis pendant la guerre de Sécession(1861-1865).Cependant,qualifierlescartels deterroristesperme�raitd’invoquerl’Insurrec�onAct de 1807, contournant ainsi ce�e interdic�on. L’armée américaine pourrait alors prendre le relais des forces de police et engager le combat contre les trafiquants.
L’OFFENSIVE
DE TRUMPPOUR DÉTRUIRE LES CARTELS MEXICAINS
Le 20 janvier 2025, Donald Trump a signé un décret désignant les cartels comme “organisa�ons terroristes étrangères”, ouvrant alors la porte à des opéra�ons militaires sur le terrain. En parallèle, l’état d’urgence a été décrété à la fron�ère, ordonnant à l’armée américaine de “repousser toute forme d’invasion”, incluant l’immigra�on illégale, les cartels mexicains �rant une grande par�e de leur revenu du trafic d’être humain. Il serait envisagé d’envoyer 10 000 troupes supplémentaires (Trump avait déjà envoyé 5 000 soldats supplémentaires en 2018, processus qui s’était poursuivi sous Biden) pour renforcer la surveillance et for�fier la fron�ère, ainsi que de conver�r les bases militaires comme centre de déten�on pour clandes�ns, tout en u�lisant des avions-cargos pour les renvoyer dans leurs pays d’origine. De son côté, le Mexique a déployé 10 000 soldats à sa fron�ère, suite aux pressions économiques du milliardaire américain.
Vers une lu�e régulière ? @WH
Mais la principale mesure est l’engagement des moyens de renseignement colossaux de la CIA à la fron�èreSud.Frileuseàl’idéededépêchersesespions sur place en raison du risque de représailles sur leur famille, l’agence a déployé de nombreux drones et avions-espions (dont le célèbre U2, star de la guerre froide) dans le ciel mexicain afin d’alimenter en renseignement les autorités locales. Ces appareils, équipés de capteurs de dernière généra�on, perme�ent d’intercepter des communica�ons (même celles émanant des antennes clandes�nes des cartels) et de prendre des vidéos, tout en restant à plusieurs centaines de km de leurs cibles. Leurs caméras hyperspectrales sont capables de détecter les effusions de produits chimiques s’échappant des laboratoires et leurs radars à ouverture synthé�que peuvent traquer tout mouvement de véhicules suspects. En parallèle, des forces spéciales ont été déployées pour entraîner leurs homologues mexicains et entamer une coopéra�on sur la lu�e contre le trafic d’armes en provenance de la fron�ère sud des EtatsUnis.Eneffet,250000armesenprovenancedesEtatsUnis circulent annuellement vers le Mexique (dont la majorité sont achetées légalement, parfois plusieurs dizaines à la fois, avant d’être transférées), au point où 70% des crimes liés à la drogue au Mexique sont commis avec des armes américaines, dont des armes lourdes telles que des lance-grenades et des fusilsmitrailleurs. L’abondante communica�on sur ces patrouilles aériennes et ces opéra�ons bilatérales, d’habitude passée sous silence, vise certainement à envoyer un message d’aver�ssement aux cartels.
LES LIMITES DE LASTRATÉGIE AMÉRICAINE
Bienqu’ilsoitencoretroptôtpourévaluerpleinement l’efficacité de ces mesures, les premiers résultats s’annoncent encourageants. Certains cartels ont déjà déclaré déplacer leurs ac�vités loin de la fron�ère pour échapper à la surveillance des aéronefs américains. Par ailleurs, une baisse de 94 % des traversées illégales de la fron�ère a été observée par rapport à la même période l’an dernier. Cependant, pour me�re les cartels hors d’état de nuire, des mesures bien plus dras�ques seraient nécessaires. Plusieurspistesontétéformuléespourporteruncoup fatal aux trafiquants. Il a d’abord été envisagé de mener une campagne de frappe massive contre les sitesdeproduc�on.Cependant,lescartelsontan�cipé ce�e éventualité et ont déplacé leurs laboratoires dans les zones urbaines densément peuplées. Mais, pour véritablement contrôler le territoire et rétablir l’ordre, les États-Unis devraient déployer des troupes sur le terrain. Lors de sa campagne, Donald Trump a évoqué l’envoi de jusqu’à 250 000 soldats au Mexique, une démarche qui s’apparenterait à une invasion. Ce chiffre dépasserait largement le plus fort
engagement militaire en Irak, qui comptait 170 000 hommes à son apogée.
Pourtant, malgré cet effec�f, les forces américaines et leurs alliés n’ont pas réussi à stabiliser le pays. Il est donc peu probable qu’une telle approche fonc�onne au Mexique, un pays trois fois plus peuplé, quatre fois plus vaste, et dont la géographie, alternant entre montagnes et zones urbaines, compliquerait toute interven�on (sans compter qu’une grande par�e de la droguetransiteparlamer,voireparsous-marins).Une opéra�on d’une telle envergure nécessiterait alors le sou�en total des 600 000 membres des forces de sécurité mexicaines. Or, les présidents mexicains ont toujoursfermementrejetétouteinterven�onmilitaire étrangère sur leur territoire.
Enfin, les deux pays sont étroitement imbriqués, chacun étant le premier partenaire commercial de l’autre.Pasmoinsde83%desexporta�onsmexicaines sont des�nées aux États-Unis. Par ailleurs, 1,6 million d’Américains résident au Mexique, tandis que plus de 40 millions de Mexicains vivent aux États-Unis. Ce lien profond entre les deux pays implique que même si les États-Unis parvenaient à éradiquer les cartels au Mexique, la menace persisterait. En effet, les cartels comptent quelque 100 000 membres implantés sur le sol américain, répar�s dans plus de 1000 villes, de la Floride à la Californie. En cas de répression trop sévère, ces cartels pourraient provoquer un déchaînement de violence sur le sol américain, en ciblant la popula�on civile voire les infrastructures cri�ques.
Membre du CJNG posant pour la presse @Ge�yimage
Drogues, conflits et géopolitique
L’équation explosive du XXIème siècle
Par Grégoire ROQUETTE - Analyste et enseignant
En novembre 2024, les ministres français de l'Intérieur et de la Jus�ce Bruno Retailleau et Didier Migaud déclarent la lu�e contre le narcotrafic « combat na�onal, cause na�onale, unité na�onale », et dévoilent des mesures des�nées à contrer une «menace mul�forme, grandissante, et tentaculaire ». Celles-ci incluent une réorganisa�on des services de sécurité et de jus�ce chargés de lu�er contre le narcotrafic, ainsi que des moyens financiers, humains, et matériels supplémentaires octroyés à ces derniers. Lacoopéra�oninterna�onalecontrelenarcotraficdoit être renforcée au sein de l’Union européenne, mais
aussi avec la Colombie, premier producteur mondial, malgré lui, de cocaïne. Des mesures sont également annoncées pour lu�er contre le blanchiment d’argent des trafiquants, et la corrup�on d’agents publics soudoyés par ces derniers. Quatre mois plus tard, l'ancien président des Philippines Rodrigo Duterte est arrêté à Manille sur un mandat de la Cour pénale interna�onale pour des crimes commis durant sa «guerre contre la drogue». Le procureur de la CPI, Karim Khan, l’accuse d’avoir commandité les meurtres deplusde6000Philippinscommisentre2011et2021,
d’abord en tant que maire de Davao, puis en tant de président des Philippines entre 2016 et 2022.
Bien qu’incomparables dans leur niveau de radicalité, les virages dans la lu�e an�drogue du gouvernement français et de l’ancien président philippin semblent révéler une inquiétude partagée. Celle d’une impuissance face au défi devenu considérable de préserver leurs popula�ons du trafic de stupéfiants et de ses conséquences sanitaires, sécuritaires et sociales. Car au niveau interna�onal, deux constats s’imposent. Le premier est que notre époque est marquée par une globalisa�on économique et commerciale inédite. La mul�plica�on d’accords commerciaux et de zones de libre-échange –dontl’Unioneuropéenneestl’exempleleplusabou�–et la dépendance universelle aux échanges extérieurs rappelée par la crise du Covid-19, compliquent inévitablement le contrôle des flux de marchandises qui traversent les fron�ères. Le deuxième est que le monde n’a jamais été aussi irrigué en produits stupéfiants. En 2022, près de 300 millions de personnesontconsommédesdroguesdanslemonde, selon l’Office des Na�ons unies contre la drogue et le crime(ONUDC),générantunchiffred’affairesglobalde plus de 250 milliards de dollars. Une abondance qui alimente une concurrence féroce entre les narcotrafiquants, et qui dégénère régulièrement entre affrontements armés pour contrôler des territoiresjugés stratégiques par ces derniers : zones de produc�on, de transit, ou bassins de consomma�on.
Focus sur un secteur vaste et complexe, au cœur de mul�ples enjeux sanitaires, sécuritaires, économiques, et géopoli�ques, afin d’en comprendre les dernières tendances et bouleversements.
UNE FORTE CROISSANCE PORTÉE
PAR DES FACTEURS MULTIPLES
Les causes de la croissance de la produc�on, de la circula�on, et de la consomma�on de drogues dans le monde sont mul�ples et indissociables. Il n’y a pas de produc�on sans profit, et pas de profit sans débouchés commerciaux. Certes, la croissance démographique globale entraine mécaniquement une hausse du nombre de consommateurs poten�els. Mais ce�e explica�on est insuffisante au regard l’accéléra�on de la croissance de la consomma�on de drogue (+20 % de 2010 à 2022) alors que la croissance de la popula�on mondiale a, elle, tendance à ralen�r depuis plusieurs décennies. Il est dès lors assez consensuel parmi les analystes que les causes de l’augmenta�on de la consomma�on de drogue sont à rechercher du côté de la quan�té de produits disponibles.
Un premier facteur est la diversifica�on de la produc�on, qui intègre de plus en plus de drogues de synthèse peu chères, faciles à fabriquer n’importe où (car ne nécessitant pas de climat propice, ni de terre arable), et faciles à transporter. Certaines innova�ons dans les formules chimiques frôlent parfois avec une dangereuse ambigüité le secteur pharmaceu�que, comme dans le cas tragique de la crise des opioïdes quifrappelesÉtats-Unisdepuislesannées2000.Celleci est à me�re en lien avec un deuxième facteur, l’évolu�on depuis la fin du 20ème siècle des mentalités des popula�ons, voire de leurs gouvernements, plus enclins à considérer les drogues comme des solu�ons médicinales (par exemple la consomma�on de marijuana pour soulager la maladie de Parkinson). À cet égard, la crise des opioïdes est un exemple probant, des millions d’Américains étant devenus à leur insu des toxicomanes (dont plusieurs centaines de milliers d’accros sont morts par overdose) en prenant des traitements an�douleurs prescrits par leurs médecins.
Un troisième facteur est l’efficacité et la diversifica�on des canaux logis�ques u�lisés par les narcotrafiquants. Ces derniers profitent des mêmes tendances que le commerce interna�onal dans son ensemble, comme les accords de libre-échange et la croissancedelatailledesnavirescommerciauxdontla capacité de chargement peut a�eindre plusieurs dizaines de milliers de conteneurs. Inévitablement, ce�e croissance des volumes échangés entraine une baisse des contrôles des marchandises en circula�on, devenus impossibles techniquement ou caduques administra�vement du fait de l’ouverture des fron�ères. Sur un plan technologique, on peut enfin citer le e-commerce, canal d’échange très bien
maitrisé et exploité par les narcotrafiquants qui s’en servent pour expédier des commandes parfois individualisées.
Quatrièmement, sous un angle géopoli�que, la mul�plica�on des conflits et la détériora�on de la sécurité dans le monde créent malheureusement sur touslescon�nentsdesterreauxfer�lesàlaproduc�on de drogue et au narcotrafic. Comme l’explique la chercheuseàl’ONUDCAngelaMe:«Leséconomiesde deladroguefleurissentdanslescontextesdefaiblesse ins�tu�onnelle et exacerbent l’instabilité ». Les autorités de certains pays sont parfois même directement impliquées dans la produc�on et le trafic de stupéfiants, par la corrup�on de fonc�onnaires, mais aussi dans certains cas, par la volonté poli�que des dirigeants qui y voient un moyen de s’enrichir facilement. On parle alors de «narco-État» bien que ce�e no�on, souvent discutable, couvre un spectre assez large de situa�ons selon le niveau d’implica�on des autorités éta�ques dans le trafic.
PRINCIPAUX BASSINS DE PRODUCTION ET «NARCO-ÉTATS»
Si la produc�on de drogues concerne tous les pays du monde, certaines régions se dis�nguent par des concentra�ons par�culièrement élevées. En Asie, le Triangle d'or, zone géographique incluant une par�e de la Birmanie (Myanmar), du Laos et de la Thaïlande, et le Croissant d'or, qui regroupe une par�e de l'Afghanistan, de l'Iran et du Pakistan, sont les principales concentra�ons mondiales de produc�on d'opium. Dans des contextes de guerres civiles simultanées en Afghanistan et en Birmanie, un système de «vases communicants» a été observé entre ces deux pays au début des années 2020. Alors que la guerre civile afghane prend fin avec la prise de Kaboul par les talibans en août 2021, la guerre civile birmane monte en intensité au mois de mai de la même année lorsqu’une coali�on de groupes rebelles seformeenréponseaucoupd’Étatdelajunte.L’année
suivante, l’interdic�on de la produc�on d’opium imposée par les talibans la fait chuter de 95 % en Afghanistan, provoquant un appauvrissement considérable des travailleurs agricoles afghans. Mais celle-ci est suivie d’une forte hausse de la produc�on dans l’État birman de Shan. La junte au pouvoir, en grande difficulté militaire, profite du vide laissé par la chute des exporta�ons afghanes pour se financer son effort de guerre en lui prenant la place de premier producteur mondial d’opium.
Une situa�on qui rappelle l’explosion de la produc�on de captagon (une drogue de synthèse) en Syrie à l’ins�ga�on du régime Assad, à la recherche de financements après avoir perdu une grande par�e de son territoire et de ses ressources pétrolières dans la guerre civile. Les exporta�ons massives de ce�e drogue vers ses voisins du Moyen-Orient comme le Liban, l’Irak, la Jordanie, et surtout l’Arabie saoudite, ont eu d’importantes conséquences sanitaires, mais aussi géopoli�ques. En effet, la réintégra�on de la Syrie dans la Ligue arabe en mai 2023 a été obtenue par le régime Assad en échange de promesses de stopper ce trafic vers leurs territoires. Une promesse nontenue,cequiaentrainél’abandonparcesderniers de leur homologue syrien encombrant lorsqu’une coali�on rebelle l’a renversé en décembre 2024. Depuis sa prise de pouvoir, le nouveau gouvernement syrien islamiste sunnite communique régulièrement sur la saisie et la destruc�on de pilules de drogues de synthèse fabriquée dans les laboratoires du régime Assad.
L’Afghanistan jusqu’en 2021, la Syrie jusqu’en décembre2024,et la Birmaniesont autant d’exemples de pays qualifiés de « narco-États » après avoir vu leur produc�on et trafic de stupéfiants exploser avec la complicité des gouvernements, dans des contextes de conflits armés et de déstabilisa�ons.
En Amérique du Sud, la Colombie produit près des deux �ers de la cocaïne en circula�on dans le monde, principalement des�née au marché nord-américain et dans une moindre mesure, européen. La culture de
ce�edrogues’yétendsurplusde250.000hectares.La lu�e des autorités contre ces trafics ainsi que les guerres de gang y provoquent des violences meurtrières régulières depuis des décennies. Plus au nord, le Mexique est devenu un territoire incontournable pour les trafiquants car situé entre les principaux pays producteurs en Amérique du Sud, et consommateurs en Amérique du Nord. Les crises économiques qui ont secoué le Mexique dans les années 1980 et 1990, ainsi que la désindustrialisa�on danslesannées2000,ontpeuàpeupousséunepar�e de sa popula�on à se tourner vers ce trafic par�culièrement rentable et lucra�f. Les cartels disséminés à travers l’ensemble du territoire mexicain dont ils contrôlent des pans en�ers, y ont développé une importante capacité de corrup�on et de pénétra�on des appareils et des ins�tu�ons de l’État. Impuissantes, les autorités alternent entre tenta�ves de répression et arrangements avec certains cartels, afin d’en faire des alliés contre d’autres cartels rivaux, ou simplement pour faire baisser la violence et les affrontements. En vingt ans entre 2003 et 2023, la guerre contre la drogue au Mexique aurait fait plus de 300.000 morts.
Sur le même sous-con�nent, deux pays peuvent être qualifiés de «narco-États» du fait d’une implica�on ac�ve des autorités dans les trafics de stupéfiants: le Suriname et le Venezuela. Le premier est u�lisé comme une plaque tournante par les narcotrafiquants pour transporter la drogue produite en Colombie vers la Guyane, d'où elle est transportée par avion vers la France métropolitaine grâce à des «mules». L'ancien présidentDesiBouterse,aupouvoirde2010à2020est empêché de qui�er le territoire na�onal par un mandat d’arrêt interna�onal émis contre lui pour narcotrafic. Tandis qu’au Venezuela, le président Nicolas Maduro au pouvoir depuis 2013 a été inculpé en 2020 par la jus�ce américaine pour «narcoterrorisme». Les États-Unis l’accusent de s’être allié avec les FARC pour faire transiter de la cocaïne de Colombie vers l’Amérique du Nord.
Enfin, à l’instar de l’Afghanistan et la Syrie, le Honduras est probablement sor� du statut de «narcoÉtat» grâce à un récent changement de gouvernement. Arrivée au pouvoir en 2022, la présidente Xiomara Castro s’est engagée à faire de la lu�e contre le crime organisé sa priorité, tandis que la jus�ce hondurienne a accepté d’extrader son prédécesseur Juan Orlando Hernández vers les ÉtatsUnis. Ce dernier, au pouvoir au Honduras de 2014 à 2022, est reconnu coupable en 2024 de trafic interna�onal de drogue par un jury fédéral américain, et condamné à 45 ans de prison.
L’Afrique, historiquement peu concernée par la produc�on et les trafics de stupéfiants, est de plus en plus considérée par les trafiquants comme offrant des i�néraires a�rac�fs pour desservir l’Europe. Les insurrec�ons armées, guerres civiles et mouvements jihadistes qui secouent le Sahel depuis le début du
21ème siècle déstabilisent des États plus ou moins«faillis» incapables d’exercer leur autorité sur l’ensemble de leurs territoires. Une aubaine pour les trafiquants de stupéfiants, d’armes, ou de migrants clandes�ns,quiparfoisseconfondentdanslesmêmes organisa�ons criminelles. Le principal «narco-État » africain iden�fié est la Guinée-Bissau, considérée comme une « tête de pont » du trafic de drogue interna�onal entre l’Amérique du Sud et l’Europe.
L’IMPORTANCE DE LACORRUPTION ET DU BLANCHIMENT
DE L’ARGENT
Le risque pour un pays de devenir un «narco-État» est directement lié à son niveau de corrup�on, puisqu’il indique que ses autorités sont davantage intéressées par le profit que par l'intérêt public. Dès lors, ces dernières sont plus enclines à accepter voire à encourager la produc�on et le trafic de stupéfiants sur leur territoire pour en �rer des bénéfices financiers. Pour preuve, les pays plus ou moins qualifiés de « narco-État » sont très bas dans le classement de Transparency interna�onal sur l'indice de percep�on de la corrup�on, allant de l'Albanie (101ème place) à la Syrie (178ème, juste après le
Venezuela). En Europe, où majorité des stupéfiants saisis est importée par voie mari�me dissimulée dans des conteneurs, les Pays-Bas, la Belgique, mais aussi la France, sont de plus en plus exposées à ce�e menace. Par�culièrement dans leurs zones portuairescomme Ro�erdam, Anvers, et Le Havre, où les narcotrafiquants ob�ennent frauduleusement la collabora�on de dockers, voire de fonc�onnaires dans les douanes et dans la police. En novembre 2024, le journal français L'Opinion publie une enquête édifiante révélant les « tarifs » de la corrup�on proposés par les narcotrafiquants : 5000 € pour qu'un policier consulte un fichier, 50.000 € pour qu'un greffierglisseuneerreurdansuneprocédurejudiciaire afin d'obtenir une remise en liberté, et 100.000 € pour qu'undockercacheunconteneurchargédecocaïne.Si les incita�ons financières ne suffisent pas, les trafiquants usent de menaces et d’in�mida�ons auxquelles ils exposent aussi régulièrement les proches des fonc�onnaires (conjoints et enfants) dont ils cherchent à obtenir la collabora�on.
Outrelacorrup�on,leblanchimentdel’argentgagné par les narcotrafiquants leur est crucial pour leur perme�re d’en profiter. Son objec�f est de se débarrasser du cash mal acquis dont ils ne peuvent rien faire sous forme liquide, en le réinjectant dans le circuit de l’économie légale. En bref, transformer des liasses de billets en lignes de chiffres sur des comptes en banque.
Selonl’enseignantspécialistedel’économieducrime Bertrand Monnet, le blanchiment passe par trois phases:
� Le placement, lorsque l'argent d'origine criminelle est introduit dans le système financier. Une méthode simple et courante est l’achat (en cash) puis revente d’objets luxueux sur le marché de l’occasion: SUV, montres de luxe, œuvres d’art, caisses de vins millésimées, etc.
� L’empilement de nombreuses transac�ons dans le système bancaire via plusieurs comptes de par�culiers, ou en gonflant les rece�es de pe�ts entrepreneurs corrompus (restaurants, supére�es, lavoma�ques, etc), pour compliquer le suivi de l'origine des fonds.
� Les placements via des inves�ssements dans l’économie légale. Des pots-de-vin doivent parfois être versés également à ce�e étape pour obtenir la complicitéd’auditeurschargésdevérifierl’authen�cité et la conformité des comtes des entreprises ciblées. Le blanchiment ne permet pas seulement de déplacer l’argent du narcotrafic d’une économie clandes�ne vers l’économie légale. Il permet aussi de le transporter géographiquement du point de vente souvent situé dans un pays développé (comme la France), vers une des�na�on où les contrôles plus laxistes. Il peut s’agir de paradis fiscaux, ou de pays en développement où l’économie est dominée par le secteur informel et où les autorités, en recherche d’inves�ssements étrangers, sont plus enclines à
laisser entrer ces fonds sans se préoccuper de leur origine. Le Groupe d'ac�on financière (GAFI), un organisme intergouvernemental de lu�e contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, a iden�fié une trentaine de pays considérés comme complices.
DES SOLUTIONS LIMITÉES, FRAGILES, ET À RENOUVELER
CONSTAMMENT
La grande difficulté de trouver des mesures pour lu�er efficacement contre la produc�on et le trafic de stupéfiants �ent aux caractéris�ques propres de ce secteuretdesacteursquiypar�cipent.Cesderniersse dis�nguent par leur grande flexibilité qui leur permet un renouvellement constant de leurs offres, de leurs i�néraires et de leurs méthodes. Ce�e flexibilité est accrue par leur interconnexion interna�onale, ainsi qu’avec d’autres formes de criminalité, et leur tendance générale à profiter des situa�ons de conflit et de pauvreté. Ainsi, selon l’Office des Na�ons unies contreladrogueetlecrime,ilestnécessaired’adopter une approche globale tant sur un plan géographique, que mul�factorielle et interdisciplinaire. La lu�e doit être axée sur la répression du crime organisé et sur la préven�on grâce à la diffusion d’informa�ons factuelles et scien�fiquement fondées. Mais elle doit aussi s’axer sur le développement économique pour éviter que le narcotrafic devienne pour certaines popula�ons un moyen de sor�r de la pauvreté. Des solu�ons de subs�tu�on doivent être proposées à ceux qui par�cipent aux trafics, ainsi qu’aux exploitants agricoles pour qui la culture de stupéfiants est un moyen de subsistance essen�el. Enfin, toute
réflexion sur la lu�e contre la produc�on et le trafic de stupéfiants doit se préoccuper des problèmes de gouvernance, d’instabilité et de corrup�on qui détournent certains États de leurs missions d’intérêt public.
Ces préconisa�ons de l’ONUDC ne poussent guère à l’op�misme tant elles démontrent le niveau de complexité d’un problème global qui dépasse largement les pouvoirs régaliens des états. Le caractère changeant et mul�forme de la produc�on et du trafic de stupéfiants et la constante augmenta�on des volumes en circula�on font peser une responsabilité écrasante sur les pays comme la France qui cherchent à protéger leurs popula�ons. Quant à la recherche d’une coordina�on interna�onale efficace, elle se heurte à un monde où le commerce n’a jamais été aussi ouvert et libéralisé, et où une part du profit généré par ce trafic est captée par des autorités éta�ques qui n’ont aucun intérêt à lu�er contre. Une tendance inquiétante qui n’épargne pas l’Union européenne alors qu’en 2017, un ancien directeur de la police judiciaire fédérale à Anvers déclare que des trafiquants ont réussi à infiltrer ses services. Tandis qu’en France, le porte-parole du syndicat policier Alliance Sud Rudy Manna a affirmé en juillet 2023 que les émeutes consécu�ves à la mort de Nahel Merzouk avaient été stoppées sur ordre des dealers de drogue qui souhaitant pouvoir reprendre leurs ac�vités. Quand les narcotrafiquants n’infiltrent pas les rouages de l’État, ils se subs�tuent à son autorité.
L’objet de cet ar�cle n’est pas de livrer une analyse alarmiste de la situa�on, qui malheureusement en ressort inévitablement. Il s’agit plutôt de rela�viser la responsabilité des gouvernements français qui depuis des décennies sont confrontés à une crise dont l’ampleur les dépasse, et qu’à leur échelle ils ne peuvent juguler. Les débats portant sur les meilleures poli�ques intérieures à adopter axées sur la répression, la préven�on, ou éventuellement sur la légalisa�on ont toute leur place dans un pays démocra�que. Mais que valent-ils lorsque le pouvoir exécu�f ne peut faire respecter la loi?
En février 2025, le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau diffuse un nouveau clip des�né aux consommateurs leur adressant le message: « Chaque jour, des personnes payent le prix de la drogue que vousachetez».Unefaçonderappelerqu’iln’yapasde produc�onsansprofit,etpasdeprofitsansdébouchés commerciaux. Le levier le plus simple, et probablement le plus efficace sur lequel nous pouvons agir collec�vement.
Le mercredi 25 décembre 2024, les nouvelles autorités syriennes issues du groupe Hayat Tahrir alCham (HTC) ont annoncé avoir brûlé plusieurs millions de comprimés de captagon issus du trafic opéré par le régime du dictateur déchu Bachar Al-Assad.
Ini�alement vendu comme un médicament traitant -entreautres-lanarcolepsieouledéficitdel’a�en�on, le Captagon a par la suite été détourné. A l’origine composée de fénétylline, la contrefaçon a commencé dans les années 2000 quand ce�e molécule a été interdite. Le Captagon est alors devenu le captagon: une drogue de synthèse composée d’amphétamines. Sa prise permet de s�muler l’endurance, la concentra�on ou encore la désinhibi�on, d’où son surnom de “chemical courage”. Les comprimés sont caractéris�quement gravés de deux symboles en forme de croissant, raison pour laquelle ils sont appelés “Abu Hilalain” (“père des deux croissants”). Puis, en prise avec la guerre civile et constatant l’opportunité économique et l’ampleur que prend ce�e drogue, le régime syrien a commencé la
produc�on et l’exporta�on du captagon. Peu à peu, le marché a pris de l’envergure, poussant le régime à augmentersaproduc�onetsoncommerceillicite,àtel point que la Syrie est devenue un narco-Etat, surnommé la “république du captagon”. [1]
LE RÔLE DU RÉGIME SYRIEN DANS
LE TRAFIC DE CAPTAGON
Al’origine,laproduc�ondecaptagonestuneac�vité du Hezbollah dans la Bekaa libanaise. La Syrie est alors simplementunpaysdetransitpourlesexporta�ons,le régime soutenant la contrebande. Toutefois, le déclenchementdelaguerrecivileetl’effondrementde l’État de droit ont provoqué une explosion de la produc�on de captagon dans le pays, soutenue par le régime. On es�me ainsi que 80% de l’approvisionnement mondial provient de Syrie, ce qui représentaitseptmilliardsdedollarsderevenusparan entre 2020 et 2023.[2] A �tre de comparaison, cela équivaut à trois fois les revenus de tous les cartels
mexicains combinés. Même en considérant l’es�ma�on la plus faible selon laquelle le trafic générerait200millionsdedollarsannuels,[3] cechiffre est déjà suffisamment élevé pour entraîner des conséquences économiques significa�ves pour l’État. Le captagon est une source de revenus vitale pour la Syrie et l’État. La guerre civile a en effet ravagé l’économie, plongeant des régions en�ères dans la pauvreté. Le trafic de captagon permet alors de s’assurer une source de revenus supplémentaires. Un soldat du régime indiquait par exemple que sa solde perme�ait de subvenir trois jours aux besoins de sa famille,lepoussantàpar�ciperautrafic.Celaexplique d’ailleurs pourquoi la plaque tournante se trouve dans des régions très peuplées comme Derra ou Soueïda. Pour l’État et le régime, le captagon représente également une bouée de sauvetage économique et poli�que. En premier lieu, les revenus engendrés sont réinves�s par l’État dans ses opéra�ons militaires et la répression des soulèvements afin de se maintenir au pouvoir. En second lieu, ils lui perme�ent de s’assurer la loyauté de ses fidèles en leur perme�ant de s’enrichir grâce à ce�e ac�vité comme cela a par exemple été le cas avec la minorité chré�enne de Saidnaya. Finalement, le captagon, devenu le premier produit d’exporta�on syrien, a permis à l’État de générer des devises étrangères, qui lui perme�ent de commercer en contournant les sanc�ons interna�onales des�nées à l’isoler.
Bien que le régime accuse les groupes terroristes d’êtreàl’originedutrafic,ilestrapidementapparuque les laboratoires se situaient dans les zones tenues ou reprises par les pro-Assad. Ces suspicions se sont confirmées en 2020 avec la saisie en Italie de 84 millionsdecomprimésenprovenancedeLa�aquié.Or, l’État islamique ne possédait déjà plus les infrastructures nécessaires à un tel trafic. Surtout, les emballages des comprimés ont prouvé le rôle clé des services de sécurité et de grandes figures agricoles et industrielles syriennes, tous affiliés au régime, dans l’approvisionnement en matériaux, le transport et l’acheminement. Dès lors, l’implica�on de l’État dans ce�e industrie est devenue évidente. Loin d’être passifs, il s’avère effec�vement que les proches du régime dirigent eux-même le réseau de captagon en Syrie, avec au moins neuf membres de la famille AlAssad par�es prenantes. Le frère cadet de Bachar AlAssad, Maher, ainsi que quatre de ses cousins, Samer, Wassim et Mudar Rifaat Al-Assad et Rami Makhlouf, sont d’ailleurs sous sanc�ons occidentales pour ces ac�vités.
Maher Al-Assad, qui est considéré comme le deuxièmehommelepluspuissantdurégimeaprèsson frère, est la figure clé du réseau. Il a fait de la 4ème division militaire de l’Armée qu’il dirigeait un conglomérat militaro-mafieux qui u�lisait ses forces pour protéger les infrastructures de produc�on et l’acheminement du captagon. La 4ème division plaçait par exemple des gardes armés autour des installa�ons
et était rémunérée 300 000 dollars par conteneurs de drogue qui�ant la Syrie. Elle u�lisait également ses barrages et les dealers des zones sous son contrôle pour la distribuer. La 4ème division était ainsi le pivot du trafic, auquel par�cipaient également au moins les Forces de défense na�onale, le renseignement militaire, le Hezbollah, les douanes, les gardesfron�ères ou encore des figures du secteur privé (agricole, pharmaceu�que, industriel…) fidèles du régime. L’implica�on de l’appareil éta�que explique par ailleurs pourquoi la produc�on de captagon a lieu près des ports, des grandes villes (Damas, Alep, Deirez-Zor…) et des terrains militaires, zones tenues par le régime. D’ailleurs, l’avancée des troupes loyalistes en 2018 a permis à l’État de prendre en main la produc�onetladistribu�onpourlesfairepasseràune échelleindustrielle.BienqueBacharAl-Assadn’aitpas un rôle ac�f, le fait que tous les acteurs lui soient directement subordonnés fait de lui la figure la plus influente du marché, sans rival ou compé��on.
Comme démontré, les ins�tu�ons et le régime sont impliqués dans le trafic et en �rent profit. De fait, il devient possible de qualifier la Syrie de narco-État, au même �tre que le Myanmar ou l’Afghanistan. Cela explique ainsi pourquoi il est si complexe de lu�er contre cet enjeu sécuritaire. Malgré les discours officiels de fermeté, les autorités n’ont pas intérêt à lu�er contre puisqu’elles y par�cipent pleinement et en dépendent pour leur survie. Or, ce�e absence de volonté du régime de comba�re ce phénomène entraîne des conséquences régionales car la probléma�que du captagon dépasse les fron�ères syriennes.
LES CONSÉQUENCES RÉGIONALES
DE L’EXPORTATION DU CAPTAGON SYRIEN
L’exporta�on du captagon est massive et touche de nombreux pays de la région, engendrant alors des conséquences diploma�ques.
La Syrie est frontalière avec le Liban, la Jordanie, l’Irak et la Turquie mais a aussi une ouverture sur la mer Méditerranée, ce qui lui donne une posi�on stratégique pour l’exporta�on de la drogue.
La route la plus empruntée se trouve à la fron�ère jordanienne, il s’agit donc d’une voie terrestre u�lisée pardestrafiquantsetdespasseurs.D’autresméthodes impliquent des drones pour déposer les cargaisons directement de l’autre côté de la fron�ère, ou encore l’u�lisa�on de tunnels souterrains. Une fois en Jordanie, la drogue con�nue de circuler et d’alimenter la péninsule arabique. Dans le cas des exporta�ons vers l’Irak et l’Arabie Saoudite, les cargaisons partent par bateau depuis le port de La�aquié puis les milices irakiennes les diffusent, perme�ant alors l’approvisionnementdel’ArabieSaouditeetduKoweït.
Mais les trafiquants ont aussi d’autres méthodes pour faire passer la marchandise sans éveiller les soupçons. Ainsi, il arrive parfois que les comprimés soient expédiés vers l’Europe afin d’y être recondi�onnés puis reexpédiés au Moyen-Orient.
Ce�e stratégie s’explique par le fait que les bateaux en provenance d’Europe sont moins suspects aux yeux des contrôleurs de la péninsule arabique et donc, moins contrôlés.
Ce commerce massif à travers la région fait du captagon le produit le plus exporté de Syrie, l’Arabie Saoudite étant son plus grand consommateur. Cela s’explique par le fait que la jeunesse s’ennuie et u�lise ce�esolu�onpours’amuseretsedétendre,maisaussi par le fait que les travailleurs ont besoin de ses puissants effets pour supporter de longues journées de travail.
Face à un marché si lucra�f, d’autres acteurs que le régime syrien entrent en jeu et prennent part à la contrebande. De nouveaux comprimés sont fabriqués avec une plus grande dose d’amphétamines, puis sont vendus. Des sociétés écrans et des entreprises tentent alors d’obtenir une place dans le commerce du réseau de Bachar Al-Assad, principal acteur du trafic. Ces entreprises,contrebandiersetmilicesperme�entainsi de faciliter les exporta�ons via les espaces mari�mes, notamment grâce à leur influence territoriale.
L’ampleur est telle que les pays concernés par les exporta�ons cherchent désespérément des solu�ons et tentent de prendre des mesures pour limiter le captagon sur leur territoire. L’ac�on la plus efficace est d'avoir recours à des saisies de cargaisons. Entre 2020 et 2022 ce sont plus d’un milliard de comprimés qui ont été saisis,[4] que ce soit en provenance, dans ou vers l’Arabie. On es�me que 86% de la drogue est consommée dans la région, ce qui explique le fait que 58% des cures de désintoxica�on en Arabie Saoudite soient pour des drogues de type captagon.[5] Les saisiessontdifficilesàeffectuer,notammentparceque la marchandise circule sous de fausses déclara�ons pour ne pas que les autorités la repère. Malgré les précau�ons prises par les trafiquants, selon l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies, ce sont plus de 127 millions de comprimés qui ont été saisis en Europe ces dernières années.|6] Ceux-ci provenaient essen�ellement de Roumanie, d’Allemagne et de Grèce et étaient à des�na�on de la
péninsule arabique. L’Europe a donc dû s'adapter et renforcer ses contrôles pour tenter de limiter les exporta�ons de captagon et en augmenter les saisies. Face aux conséquences sur le Moyen-Orient, des pays comme la Jordanie ont autorisé l’usage de la force pour repousser les trafiquants se trouvant à la fron�ère avec la Syrie.
Au vu de l’importance du marché et des conséquences qui touchent toute la région, des impacts poli�ques se font également ressen�r. En effet, le régime de Bachar Al-Assad avait, avant sa chute, entamé une réconcilia�on avec les pays arabes. Au cœur de ces tenta�ves d’apaisement, le captagon estdevenuunsujetcentral,notammentparcequel’exprésident syrien s’en servait pour faire pression sur d’autres Etats. Ayant été exclu des alliances régionales à cause de sa répression de la guerre civile, Bachar AlAssad u�lisait les problèmes d’addic�ons des popula�ons en ques�on pour négocier sa réintégra�on. Par exemple, lors du sommet de la Ligue arabe qui s’est tenu à Djeddah en mai 2023, un accord s’est conclu pour renouer des rela�ons diploma�ques avec l’Etat syrien et lever les sanc�ons et embargos si celui-ci cessait la contrebande de captagon à des�na�ondespaysmembresdelaLigue.Toutefois,la chutedurégimeendécembre2024amisuntermeaux négocia�ons entreprises.
EN SOMME
La chute du régime de Bachar Al-Assad a bouleversé l’industrie du captagon en Syrie et permis de mieux en mesurer l’ampleur. Les nouvelles autorités filment en effet régulièrement les millions de comprimés qu’elles découvrent dans des hangars et des bases militaires
ainsi que leur destruc�on. Dès son discours de victoire,HTCadefaitannoncésavolontédeme�reun termeàcetrafic,d’autantqueledépartdesacteursdu réseau a pra�quement mis un terme à la produc�on. Pourtant, ces déclara�ons fortes doivent être considérées avec prudence. La situa�on économique resteextrêmementprécairedufaitdessanc�onsetde la chute de la monnaie syrienne, ce qui pose la ques�on des conséquences de la perte d’une telle ac�vité et de ses revenus pour l’État central. De plus, de nouveaux acteurs, telles que les milices irakiennes pro-Iran, pourraient profiter du vide laissé par le départ du clan Al-Assad pour s’imposer sur ce marché lucra�f.
NOTES
[1]Clementz, G. (31 aout 2022). Un narco-Etat au MoyenOrient ? L’implica�on du régime syrien dans le trafic de captagon. FRS.Consultéle7mars2025.
[2]United Kingdom Foreign, Commonwealth & Development Office & Lord Ahmad of Wimbledon, T. (28 mars 2023). Tackling the illicit drug trade fuelling Assad’s war machine [Communiqué de presse]. Consulté le 1er mars2025.
[3]Observatory of Poli�cal and Economic Networks. (2023). Sky High: The Ensuing Narco�cs Crisis in the Middle-EastandtheRoleoftheAssadRegime. Consultéle 7mars2025.
[4]Ibid.
[5]Ibid.
[6]Gozlan, M. (16 décembre 2024). “Le captagon, ce�e drogue illicite qui a transformé la Syrie en narco-État”. Le Mondeblog.Consultéle7mars2025.
DOSSIER � GÉOPOLITIQUE DE LA DROGUE
Le cas du Canada
Face à la crise du fentanyl
Par William LANGLOIS - FDNU
Au Canada, entre 2016 et 2024, près de 50 000 personnes sont décédées de surdoses d'opioïdes. Sur ce�edernièreannée,79%decelles-ciimpliquaientdu fentanyl et/ou des analogues de celui-ci, un pourcentage qui a quasiment doublé depuis le début de la crise, selon l’Agence de santé publique du Canada. Entre janvier et juin 2024, les autorités ont recensé une moyenne de 21 décès par jour, ce qui correspond à une baisse de 11 % par rapport à la mêmepériodeen2023.Lefaitestquelesopioïdesont remplacé, au fil des années, l’héroïne ou encore la morphine. Or, le fentanyl, à l’origine disponible sur ordonnance est 50 fois plus puissant que la première citée et 100 fois plus que la seconde.
Ces nouvelles données ont été publiées alors que le nouveau président élu états-unien Donald Trump menaçait d’imposer des droits de douane sur les produits canadiens. En cause, le laxisme dont ferait preuve le gouvernement canadien, mené par Jus�n Trudeau, dans la lu�e contre le fentanyl et cela conduirait à une forte exporta�on de l'opioïde vers les
États-Unis selon Donald Trump. Toutefois, il faut reme�re en perspec�ve ce�e affirma�on par rapport à l’autre voisin des Américains, le Mexique. Effec�vement, si l’on en croit les informa�ons des autorités frontalières états-uniennes, sur les dix tonnes de fentanyl saisies en 2024, seulement 0,2 % l’ont été à la fron�ère canadienne, contre 97 % à la fron�ère mexicaine.
Ce�e crise du fentanyl débute dans le courant des années 2010, à ce�e époque, plusieurs médias provinciaux et na�onaux commencent à rapporter des casdesurdosesliésàl'opioïde,pluspar�culièrementà Vancouver. À par�r de ce�e période, une observa�on est effectuée par les autorités canadiennes sur un changement en profondeur du marché de la drogue na�onal. Les opiacés remplacent progressivement l’héroïne dans les lieux publics. La principale raison est que le coût d’achat pour ces nouvelles drogues est largement moindre pour ces consommateurs. En réalité, le brown sugar est devenu complexe à
importer pour les trafiquants, ce qui conduit à une certaine rareté de ce produit et finalement cela gonfle son prix.
À la suite de ce�e évolu�on, les marchands de drogues se sont adaptés à la demande des acheteurs de substances. Ils se sont tournés vers des fabricants chinois qui envoyaient directement du fentanyl. Sauf que ces échanges doivent s’adapter à de nouvelles contraintesdel’autrecôtéduPacifique.Àpar�rdemai 2019, le gouvernement chinois a décidé d’inscrire le fentanyl sur sa liste des substances contrôlées. Donc, les autorités chinoises ont resserré la réglementa�on sur la produc�on, mais aussi l’exporta�on de l’opioïde. Par ailleurs, la pandémie de la COVID-19 a elle aussi impacté le marché des opiacés, notamment avec la réduc�ondeséchangescommerciaux.Depuis,lecrime organisé canadien a changé de statut, il n’est plus simplement importateur, il est aussi producteur. Certes, différents groupes ont commencé à produire ce�e substance à une échelle locale dans des laboratoires clandes�ns. Nonobstant, ceux-ci ont tout de même besoin de ma�ères premières pour produire cesdroguesetleurfournisseurprincipalrestelaChine. Toutefois, en 2022, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) signale que le crime organisé commence à délaisser ces producteurs pour privilégier des approvisionneurs canadiens. En effet, selon un rapport du SCRS datant de 2022, 95 % des produits chimiques u�lisés pour produire le fentanyl ne sont pas réglementés et peuvent être achetés au Canada. En outre, cela est aussi un avantage par rapport à d’autres drogues, à l’instar de la cocaïne et de l’opium qui nécessitent des ingrédients qui ne peuvent être trouvés que sous certains climats. Ces dernières années, les différents corps policiers, qu’ils soient provinciaux ou de la gendarmerie royale du canada (GRC), sont parvenus à fermer 44 laboratoires qui produisaient du fentanyl. Cependant, certains ont refait surface sous différentes formes. De fait, quelques-uns ont été trouvés dans des zones rurales, dans des résidences, voire même dans des conteneurs mari�mes. La majorité de ces lieux de fabrica�ons se situent en Ontario et en Colombie-Britannique. Ces deux provinces ont un posi�onnement stratégique, la première est frontalière avec les États-Unis et à proximité des provinces situées à l’Est du Canada, comme le Québec, la Nouvelle-Écosse pour ne citer qu’elles. La seconde, quant à elle, est aussi frontalière avec le voisin états-unien, mais elle est aussi face à l’océan Pacifique. Ainsi, ce�e exposi�on permet aux différentsgroupescriminelsd’envoyerleurscargaisons vers le con�nent océanien qui semble être leur zone privilégiée. Ce�e hypothèse est validée par les différentes saisies effectuées par les autorités de Nouvelle-Zélande, mais aussi, et surtout, d’Australie. La produc�on est telle qu’elle commence à être exportée vers l’Europe en passant par les Pays-Bas. D’ailleurs, c’est en Colombie-Britannique que les autorités canadiennes ont démantelé en octobre 2024
le plus important et sophis�qué laboratoire produisant du fentanyl. La quan�té de produits retrouvés dans celui-ci aurait permis de fabriquer 95 millions de doses, ce qui aurait permis de tuer l’en�èreté de la popula�on canadienne à deux reprises.
Or, pour qu’il y ait une exporta�on qui s’amplifie ces dernières années, cela signifie que la demande intérieure est comblée. Alors, il faut comprendre pourquoi ce�e drogue s’est si facilement installée et les facteurs qui ont favorisé son développement. Bon nombre de responsables de la Santépubliquecanadiennepointentdudoigtplusieurs causes sociales qui peuvent l’expliquer. Selon la ministre canadienne de la Santé mentale et des dépendances, Ya’ara Saks, la pandémie de la COVID a favorisé une remontée des cas de surdoses dues au fentanyl. Il est vrai que la fermeture des fron�ères a entraîné un approvisionnement en drogue plus contaminée, ce qui augmente les risques à la suite d’une consomma�on. De plus, les restric�ons sanitaires qui ont été mises en place durant ce�e période ont limité l’accès des usagers aux services de toxicomanie. Cela a aussi conduit à une hausse du nombre de personnes consommant seules, et surtout, à des doses plus élevées. Sauf que la situa�on ne s’est pas améliorée dans le post-COVID. Effec�vement, le système de santé est fragilisé et ne réussit pas à prendre soin de ces démunis. En outre, les services d’aide à la désintoxica�on sont insuffisamment financés. Puis, à cela, il faut ajouter une crise du logement qui n’en finit pas, bon nombre de locataires doivent qui�er leur foyer faute de pouvoir faire face aux hausses effrénées des loyers. Ceux-ci se retrouvent donc sans domicile fixe. La drogue leur semble être la seule échappatoire pour une certaine tranquillité.
Alors, il est légi�me de se ques�onner sur ce qui a été réalisé, dans les différentes provinces et à l’échelle na�onale, en réponse à ce�e crise du fentanyl. Le premier cas qui peut être cité est celui de l’Alberta qui est l’une des provinces les plus durement touchée, voire même une par�e de l’épicentre de la crise. Entre 2020 et 2024, il y a eu davantage de morts dus aux surdoses qu’à la COVID-19. Depuis son accession au pouvoir en 2022, la Première ministre de la province, Danielle Smith, prône un modèle de rétablissement basé sur des centres de thérapies pour vaincre les surdoses, une méthode qui semble intéresser la Saskatchewan. Du point de vue du gouvernement provincial, ce�e crise est un problème de dépendance qui doit être réglé par des soins. Ainsi, leur approche repose sur la diminu�on des conséquences néga�ves liées à la consomma�on de drogue. Au-delà de ces centres, l’administra�on Smith finance aussi la distribu�on de matériel d’injec�on et de naloxone. Ce dernier est un médicament qui peut neutraliser temporairement les effets d’une surdose d’opioïdes. Cela octroie plus de temps pour le personnel médical d’intervenir. Sauf que ces centres, qui se basent sur l’abs�nence des usagers de drogues, ne sont pas sans limites.Effec�vement,lorsquecesderniersqui�entles programmes, ils risquent de rechuter sévèrement puisque leur tolérance aux drogues a diminué après une longue période d’abs�nence. Ainsi, ils peuvent s’exposerplusfacilementàdescasdesurdoses.Infine, ce plan mis en place dans la province alber�enne peut contribuer à une hausse des décès.
Un second cas est celui de la Colombie-Britannique, qui est la province la plus touchée par les cas de surdose. Bien qu’elle soit séparée par les Rocheuses avec l’Alberta, il n’y a pas que ces dernières qui les divisent. De fait, il existe un fossé idéologique, entre les deux provinces de l’Ouest canadien, sur la manière de lu�er contre ce�e crise. En effet, le gouvernement néo-démocratedelaprovinceaentaméunedémarche pour endiguer le fléau du fentanyl. Celle-ci s’établit sur le principe que les toxicomanes ne sont pas des
criminels,maisdesgensquisouffrentdeproblèmesde santé. Dans ce�e op�que, en 2022, Victoria a demandé au gouvernement fédéral d’approuver un projet qui décriminalise la possession d’une pe�te quan�té de drogues et parmi ces dernières, on retrouve le fentanyl. O�awa accepte l’exemp�on demandée et déclare qu’elle entre en vigueur pour une durée de trois années à compter du 31 janvier 2023. En outre, ce�e proposi�on reçoit un sou�en de taille, celui de l’Associa�on canadienne des chefs de police. L’objec�f de ce�e expérimenta�on est d’évaluer comment un changement d’approche peut réduire la dépendance et le nombre de surdoses, en limitant la s�gma�sa�on des vic�mes et en évitant l’incarcéra�ondesconsommateursgrâceàunmeilleur accompagnement. Sauf que la situa�on évolue au bout d’un peu plus d’un an d’expérience puisque la Colombie-Britanniquereculeenavril2024etdemande à O�awa de me�re fin à la consomma�on de drogues dans les lieux publics. Toutefois, l’usage des drogues reste permis dans les espaces privés. Ainsi, il ne s’agit pas d’une recriminalisa�on de la possession, mais uniquementd'unelimita�ondesusagesdecelle-ci.De fait, David Eby, le Premier ministre britannocolombien, es�me qu’il faille traiter les personnes dépendantesdeproduitsstupéfiants,maisqu’ilyavait aussi une crainte autour des troubles à l’ordre public. Pour autant, il serait simpliste de conclure à un échec du projet. Effec�vement, les problèmes sociaux cités précédemment généraient déjà des probléma�ques dans les espaces publics. En réalité, la décriminalisa�on doit s’inscrire dans un projet à long terme et doit être accompagnée d’autres mesures. Le 11 février dernier, le gouvernement de Jus�n Trudeau annonce la nomina�on d’un « tsar du fentanyl » en la personne de Kevin Brosseau, ancien haut cadre de la GRC. Sa mission sera de coordonner les efforts des ministères et des agences gouvernementales pour endiguer le trafic d’opioïdes. De plus, le Premier ministre fédéral a aussi rappelé la miseenœuvred’unplanmassifpourlasécurisa�onde
Saisie d’un réseau de trafiquants en Colombie-Britannique
la fron�ère avec les États-Unis. Ces mesures ne sont pas le fruit du hasard, elles résultent des menaces de Donald Trump de lancer une guerre commerciale avec le Canada si aucune ac�on n’était menée.
Nonobstant, nous l’aurons compris, l’ac�on policière et le financement de la sécurisa�on des fron�ères ne sont pas les seuls remèdes à ce�e crise. Comme nous avons pu le constater, la crise du fentanyl au pays à la feuille d’érable s’inscrit dans un processus complexe qui a débuté il y a bientôt dix ans. Celle-ci ne se limite pas à une simple ques�on de trafic de drogue. De fait, son enracinement est plus profond et se trouve dans des réalités sociales, sanitaires et économiques, la rendant alors mul�dimensionnelle. Ce qui souligne la nécessité d’une approche globale et adaptée. Les provinces agissent différemment pour parvenir à résolverce�ecrise.Lecasdel’Alberta,quiprivilégieun modèle axé sur la thérapie et l’abs�nence, face à la province voisine de la Colombie-Britannique, qui a tenté une poli�que de décriminalisa�on sont les plus éloquents. Pour autant, aucune de ces solu�ons ne semble être sans défaut. Il est nécessaire que ces dernières soient accompagnées de mesures d’une dimension sociale pour obtenir des résultats sur le long terme. La persistance de ce�e crise montre qu’il est impéra�f d’innover, ainsi que d’adapter les proposi�onsenfonc�ondesréalitéslocales.Letouten trouvant un équilibre entre préven�on, traitement et accompagnements des consommateurs et démantèlement des groupes criminels producteurs de fentanyl.
NOTES
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Dans le cadre du conflit au Nord-Kivu
Par Léone AYONGO & Guerlain DENE - AMRI
En ce début de mars 2025, des discussions préparatoires entre Kinshasa et Washington sont actuellement en cours dans la négocia�on d’un accord minier en échange d’une aide à la sécurité et à la stabilité régionale. Le Congo, face à l’offensive des troupes rebelles du M23 dans l’est du pays, semble compter sur un sou�en américain pour répondre à ce�e menace grandissante. Ce rapprochement stratégique avec les États-Unis vise également à diversifier les partenaires économiques du pays tout en réduisant sa dépendance vis-à-vis de la Chine. Cet accord laisse entrevoir une dynamique où les
ressources naturelles, abondantes au Congo, se transforment en un levier stratégique dans un contexte géopoli�que tendu, notamment en ma�ère de sécurité et de dissuasion militaire. Ce�e situa�on résonne fortement avec l’accord similaire entre les États-Unis et l’Ukraine, où des ressources, telles que les terres rares, sont échangées contre un sou�en militaire.
Si cet accord entre les États-Unis et la RDC se concré�se, il pourrait modifier l’équilibre des puissances dans la région. En effet, la République Démocra�que du Congo abrite des réserves
considérables de minerais stratégiques comme le cobalt et le cuivre, deux composants essen�els pour la transi�on énergé�que mondiale, en par�culier dans la fabrica�on des ba�eries pour les véhicules électriques et autres technologies propres. À �tre d'exemple, en 2022, la RDC détenait 70 % des réserves mondiales de cobalt, soit environ 3,5 millions de tonnes. Toutefois, ce�e immense richesse ne s’est pas traduite par un développement durable, et le Congos est en proie à des décennies de guerre, de violence et de pauvreté généralisée, exacerbée par des ingérences étrangères.
LES INGÉRENCES EXTÉRIEURES : UN FACTEUR CLÉ DU CONFLITAU KIVU
Le conflit dans l’Est de la RDC, par�culièrement dans la province du Nord-Kivu, a pris une ampleur inquiétante ces derniers mois. Ce conflit est enraciné dansunensemblecomplexedefacteursgéopoli�ques, historiques et économiques. L’ingérence étrangère, tant militaire qu’économique, joue un rôle primordial dansce�edynamiquedeviolenceetdedéstabilisa�on régionale.
La crainte d’une escalade régionale
Depuisjanvier2025,lesrebellesduM23ontreprisle contrôle de vastes territoires dans le Nord-Kivu, notamment des villes stratégiques telles que Goma. Face à ce�e offensive, l’armée congolaise a été déployée pour récupérer les territoires perdus et empêcher une nouvelle expansion du groupe armé. Le président Félix Tshisekedi accuse directement le Rwanda d’appuyer le M23, lui fournissant armes et troupes pour mener une guerre par procura�on, avec l’objec�f présumé de piller les ressources minières du pays et de perturber l'ordre poli�que en RDC. De son côté, le Rwanda nie ces accusa�ons, arguant qu’il sou�ent en réalité la lu�e contre les milices hutu responsables du génocide rwandais. Le Rwanda voit la
présence de ces groupes rebelles dans l’est du Congo comme une menace directe à sa sécurité et souhaite également conserver son influence sur la région [1]. Ce�e situa�on se voit exacerbée par l’implica�on d’autres acteurs régionaux. Le Burundi, bien que tradi�onnellement impliqué dans des missions de sécurité dans la région, sou�ent désormais l’armée congolaise dans ses combats contre le M23, préoccupéparuneextensiondel’influencerwandaise. L'Ouganda, autre pays frontalier au Congo et bien que n’étant pas directement impliqué dans les combats, demeure un acteur ambigu dans ce�e guerre. Si son armée coopère avec les forces congolaises pour traquer des groupes terroristes liés à l’État islamique, il est également suspecté d’apporter un sou�en indirect au M23, avec des rapports de l’ONU faisant état de l’u�lisa�on de son territoire comme base arrière par les rebelles.
Une ingérence étrangère économique et commerciale
L’ingérence étrangère en RDC ne se limite pas aux interven�ons militaires. L’exploita�on des ressources naturelles du pays, notamment le cobalt, le cuivre et les terres rares, est au cœur des conflits qui dévastent l’Est du pays. Depuis la deuxième guerre du Congo en 1998, le contrôle de ces ressources a alimenté une guerre de conquête entre différentes fac�ons, éta�ques et/ou rebelles, qui se disputent ces territoires riches en minerais stratégiques. Les profits �rés de l’exploita�on illégale de ces ressources perme�ent à ces groupes de financer leur guerre, et des rapports des Na�ons Unies ont confirmé l’implica�on de pays voisins, tels que le Rwanda et l’Ouganda, dans le pillage des minerais congolais.
En parallèle, l’industrie minière en RDC est dominée par des mul�na�onales étrangères, en par�culier chinoises. Des entreprises telles que China Molybdenum (CMOC) contrôlent aujourd’hui une grande part de la produc�on de cobalt, le minerai
crucial pour les ba�eries des technologies modernes. Ce�e mainmise sur les ressources naturelles du pays contribueàlafragilitédel’Étatcongolais,n’encontrôle ni l’extrac�on ni la commercialisa�on, ce qui lui fait perdre une part importante de ses revenus poten�els. En 2023, CMOC est devenu le premier producteur mondial de cobalt, augmentant sa produc�on de 174 % par rapport à l'année précédente. Face à ce�e situa�on, les pays occidentaux, en par�culier les ÉtatsUnis, ont redoublé d’efforts pour diversifier leurs sources d'approvisionnement en ma�ères premières. L’objec�festderéduireleurdépendancevis-à-visdela Chine, qui contrôle désormais une grande par�e de l'industrie minière en Afrique. Ce virage stratégique explique l’intérêt croissant des États-Unis pour la RDC, qui dispose de vastes réserves de minerais essen�els à la transi�on énergé�que mondiale.
Des rela�ons franco-indiennes fortes
L’ingérence étrangère en RDC ne se limite pas aux interven�ons militaires. L’exploita�on des ressources naturelles du pays, notamment le cobalt, le cuivre et les terres rares, est au cœur des conflits qui dévastent l’Est du pays. Depuis la deuxième guerre du Congo en 1998, le contrôle de ces ressources a alimenté une guerre de conquête entre différentes fac�ons, éta�ques et/ou rebelles, qui se disputent ces territoires riches en minerais stratégiques. Les profits �rés de l’exploita�on illégale de ces ressources perme�ent à ces groupes de financer leur guerre, et des rapports des Na�ons Unies ont confirmé l’implica�on de pays voisins, tels que le Rwanda et l’Ouganda, dans le pillage des minerais congolais.
En parallèle, l’industrie minière en RDC est dominée par des mul�na�onales étrangères, en par�culier chinoises. Des entreprises telles que China Molybdenum (CMOC) contrôlent aujourd’hui une grande part de la produc�on de cobalt, le minerai crucial pour les ba�eries des technologies modernes. Ce�e mainmise sur les ressources naturelles du pays contribueàlafragilitédel’Étatcongolais,n’encontrôle ni l’extrac�on ni la commercialisa�on, ce qui lui fait perdre une part importante de ses revenus poten�els. En 2023, CMOC est devenu le premier producteur mondial de cobalt, augmentant sa produc�on de 174 % par rapport à l'année précédente. Face à ce�e situa�on, les pays occidentaux, en par�culier les ÉtatsUnis, ont redoublé d’efforts pour diversifier leurs sources d'approvisionnement en ma�ères premières. L’objec�festderéduireleurdépendancevis-à-visdela Chine, qui contrôle désormais une grande par�e de l'industrie minière en Afrique. Ce virage stratégique explique l’intérêt croissant des États-Unis pour la RDC, qui dispose de vastes réserves de minerais essen�els à la transi�on énergé�que mondiale.
Les mul�na�onales et la déstabilisa�on de la RDC
La déstabilisa�on de la RDC n'est pas seulement le fruit de l'ingérence militaire, mais aussi des pra�ques
économiques dites “néocoloniales”. Les mul�na�onales, notamment dans le secteur technologique, sont régulièrement pointées du doigt pour leur rôle dans l’exploita�on des ressources minières. En décembre 2024, le gouvernement congolais a déposé une plainte contre Apple, l'accusant de recel de crimes de guerre et de financement indirect de groupes armés en raison de ses pra�ques d'approvisionnement en minerais de conflit. En effet, des entreprises mondiales, notamment dans le secteur des technologies et de l'automobile, achètent du cobalt provenant de mines contrôlées par des groupes armés, accentuant ainsi le cycle de violence dans l’Est de la RDC.
Ainsi, le conflit à l’Est du Congo reste encore compliqué par l'implica�on de mul�ples acteurs régionaux et mondiaux, chacun ayant ses propres intérêts dans ce�e région riche en minerais et souvent au détriment de la souveraineté du Congo et de la stabilité de la région.
UN CONFLITAUX LOURDES CONSÉQUENCES POUR LAPAIX ET LARDC
Un pays déstabilisé : L’impact humain, économique et poli�que du conflit congolais
Le regain de tensions depuis 2024 au Congo, alimenté par des ingérences étrangères et les enjeux autour des ressources minières stratégiques, a provoqué une hécatombe humaine et une déstabilisa�on poli�que et économique. Les combats dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri ont causé des milliers de morts en l’espace de quelques mois. En plus des affrontements, les popula�ons civiles subissent les conséquences de ce�e instabilité : des épidémiessepropagentrapidementdanslescampsde déplacés surpeuplés, la sous-alimenta�on et la malnutri�on touchent les familles coupées en par�e de l’aide humanitaire.
Les violences se mul�plient dans les zones minières, espacesclésdel’économiedanslarégion.Ilestdifficile d'es�mer la valeur financière des mines congolaises, néanmoins cela représente plusieurs milliards comme le montre les chiffres du Fond Monétaire Interna�onal quiindiquequelaRDCagénéré5,5milliardsdedollars
paran en rece�es minières entre2018 et 2022 [2]. Or, les milices armées rivalisent pour le contrôle des sites de produc�on de cobalt et de coltan. Ce�e exploita�on illégale prive l’État congolais de ressources financières. Cela paralyse les circuits économiques, freine les inves�ssements et aggravent la pauvreté, laissant des millions de Congolais sans emploi ni perspec�ves d’avenir. En mars 2025, l’entreprise Alphamin Resources dû fermer sa mine d’étain, située dans le Nord-Kivu, métal essen�el à l’industrie électronique à cause de l'avancée des groupes armés [3]. Ce�e mine était la plus importante du pays et la troisième plus importante au monde et par conséquent sa fermeture pourrait avoir des impacts néga�fs importants sur l’économie congolaise. Sur le plan poli�que, le conflit a affaibli les ins�tu�ons, déjà instable depuis la première et la deuxième guerre en Congo entre 1996 et 1997, et entre 1998 et 2003. Le gouvernement central peine à rétablir son autorité sur les régions de l’est, tombées sous le contrôle des groupes armés. Ce�e fragmenta�on du territoire donne lieu à de la corrup�on et des abus de pouvoir, tandis que de maigres espoirs de réformes poli�ques sont tombés à l’eau. En résultent une défiance croissante envers les dirigeants congolais et un approfondissement de la crise sociale. Au milieu de ce�e tourmente, la popula�on tente tant bien que mal de survivre et de reconstruire son quo�dien.
Vers une paix insaisissable : Les échecs et défis de la stabilisa�on en RDC
Depuis 2010, suite à la persistance des conflits en RDC, l’Organisa�on des Na�ons Unies a lancé la MONUSCO (la mission de l’Organisa�on des Na�ons unies pour la stabilisa�on en République Démocra�que du Congo), afin de jouer un rôle dans le rétablissement de la paix. En place depuis 2010, la MONUSCO avait pour but de protéger les civils, d’appuyer la stabilisa�on du Congo et de favoriser le désarmement des groupes paramilitaires. Cependant, son ac�on est de plus en plus cri�quée, notamment depuis la résurrec�on du groupe paramilitaire M23 depuis 2021, soutenu par le Rwanda. Ainsi la MONUSCOpeineàassurerlasécuritéàl’EstduCongo, etparvientdifficilementàprotégerlescivilesimpactés par le conflit. Néanmoins elle permet de déplacer les popula�onsdel’estdupaysdansdeszonesplussûres, en a�esteun rapport du 27 mars relatant lesauvetage de 53 civils. Or, depuis février 2019, la présidence du Congo a demandé le retrait progressif des forces de la MONUSCO, en novembre 2023, un ordre de retrait progressif est donné et en juin 2024, les forces de l’ONU qui�ent leur dernière base à l’est du pays mais reste sta�onné ponctuellement à certains endroits afin de réaliser des opéra�ons d’observa�ons et de sauvetages des civils.
Des pays comme l'Afrique du Sud ont également mené une ac�on pour tenter de ramener la paix
régionale. En tant que seconde puissance économique de l’Afrique, le pays cherche à devenir la grande puissance incontournable de l’ensemble du con�nent, et cela passe notamment par le volet sécuritaire, avec l’envoie d’équipements militaires et de troupes sud africaine en février 2025, qui vont s’ajouter aux forces sud-africainesdéjàprésententauseindelaMONUSCO et de la SADC. Ce nouvel envoie de troupes se fait en toute discré�on, sans en informer la commission de Défense du parlement sud-africain [4]. Néanmoins, des combats se sont déroulés entre le M23 et des soldats sud-africains en janvier 2025, causant la mort de 14 soldats dans le camp de ces derniers. Après ces évènements, les pays d'Afrique australe membre de la SADC ont mis fin au mandat de leur mission militaire dans l'Est de la République démocra�que du Congo et ont ordonné le début d'un retrait progressif des troupes.
Malgré ce�e défaite, l’Afrique du sud main�ent des rela�onsdiploma�quesafind’apaiserlacriserégionale actuelle. En 2024 et en 2025, Pretoria a mené des ini�a�ves de dialogue impliquant les principaux acteurs du conflit en RDC, espérant obtenir un cessezle-feu durable. Malheureusement, ce�e tenta�ve a échoué face à l'intransigeance de certains groupes armés et à l'incapacité de garan�r la sécurisa�on des zones minières. Cet échec a montré les limites des ini�a�ves diploma�ques isolées, en par�culier sans l'engagement soutenu d'autres puissances régionales et interna�onales. L’Afrique du Sud, malgré ce revers, con�nue de dialoguer avec la RDC afin d’établir une paix durable dans la région, en a�este le voyage diploma�que du ministre de la Défense congolais, Guy Kabombo Muadiamvita, ainsi que la ministre des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, à Pretoria.
Lacommunautéinterna�onale,quantàelle, peineà condamner les ingérences rwandaises en RDC car la mémoire du génocide tutsis de 1994 reste encore très présente. La France par exemple, commence difficilement à cri�quer les ac�ons du Rwanda, peu de temps après la tenta�ve de réconcilia�on des deux pays suite à l’inac�on de l’armée française face au génocide.
Un avenir suspendu entre conflits et espoirs Malgré les efforts diploma�ques et le retrait progressif de la MONUSCO, la RDC reste piégée dans un cycle de violences alimenté par des intérêts étrangers et une course aux minerais stratégiques. L’accord en discussion avec Washington pourrait redéfinir l’équilibre régional, mais sans une véritable volonté poli�que et un contrôle accru des ressources, la paix risque de rester hors de portée. L’avenir du Congo dépendra de sa capacité à reconquérir sa souveraineté et à transformer ses richesses en levier de stabilité plutôt qu’en moteur de guerre.
NOTES
[1] Carte de l’Est de la République Démocra�que du Congoetdesesprincipalesmines, Revue Conflits,2025
[2] Mines.cd, Avec 5,5 milliards $/an, la RDC voit ses rece�es minières exploser
[3] Le Monde, Guerre en RDC : la société Alphamin suspend ses ac�vités dans la troisième mine d’étain du monde
[4] RFI, RDC: dans la plus grande discré�on, l'Afrique du Sud envoie des renforts militaires
Cejeudi 27marsàParis,lesommetsur«lapaixetla sécuritépourl’Ukraine»aréunipasmoinsdetrenteet un dirigeants de pays membres de l’OTAN et/ou de l’Union Européenne. Si l’objec�f affiché est de démontrer une volonté poli�que commune, l’intérêt premier était en réalité d’abou�r à un accord sur la cons�tu�on d’une coali�on de volontaires qui serait envoyée en tant que forces de main�en de la paix en Ukraine. Une prise d’autonomie européenne, donc, face aux Etats-Unis qui ne sont plus perçus comme un alliéincondi�onnel.Ce�eperspec�vesouritàlaChine, concurrente des américains, qui aurait secrètement sondé Bruxelles afin d’étudier la possibilité de par�ciper à ce�e force armée aux côtés de ses partenaires européens.
L’informa�on est tombée samedi dernier, le 22 mars 2025. Christophe B. Schiltz, correspondant du journal allemand Welt Am Sonntag à Bruxelles, annonçait l’ina�endu : la Chine, d’ordinaire très prudente en ma�ère d’engagement militaire à l’étranger, serait prête à envoyer des troupes en Ukraine dans le cadre d’unemissiondemain�endelapaixenUkraine.L’idée peut surprendre mais c’est pourtant ce qu’a laissé entendre le journaliste, relayant ainsi des indiscré�ons diploma�quesévoquantuncontactinformelentredes représentants chinois et l’Union européenne. Il n’en fallaitpaspluspoursusciterdevivesréac�onsdansles cercles diploma�ques européens. Pékin, en retrait jusque-là, s’apprêterait-elle à faire un pas stratégique décisif ?
Ces informa�ons inédites apparaissent dans un contexte où le président français Emmanuel Macron annonçait un nouveau sommet des par�sans de l’Ukraine. Evènement qui s’est déroulé jeudi dernier. Un sommet pour la « coali�on des volontaires », a-t-il déclaré à l’issue du sommet européen à Bruxelles. Ce pas en avant des autorités chinoises est une aubaine pour l’Europe et les projets du président français et du premier ministre britannique Tony Blair, tous deux à l’ini�a�ve dans ce projet de force de main�en de la paix en Ukraine. Selon l’informateur, les cercles diploma�ques à Bruxelles auraient déclaré que « L'inclusion de la Chine dans une « coali�on des volontaires » pourrait poten�ellement accroître l'accepta�on par la Russie de troupes de main�en de la paix en Ukraine. »
L’informa�on bien qu’une rumeur, n’apparaît pas de nulle part. Déjà en février, le journal The Economist rapportait que le gouvernement américain avait suggéré qu’une force de main�en de la paix composée de pays non-européens soit mise en place, dont le Brésil et la Chine. Le porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois, Guo Jiakun, lors d’une conférence de presse du 18 février 2025, avait répondu : « Nous ne commentons pas une ques�on hypothé�que. La Chine main�ent toujours une posi�on juste sur la ques�on de la crise ukrainienne, et nous l’avons dit très clairement à de mul�ples occasions » Aucun « non » catégorique n’était donc sor� de la bouche du diplomate. Pour autant, le ministère des
affaires étrangères chinoises, le lundi 24 mars, de nouveau par l’intermédiaire de Guo Jiakun, a ce�e fois-ci clairement réfuté ces rumeurs. Mais le simple fait que ce�e informa�on ait circulé a suffi à créer une onde de doute. Dans les chancelleries, certains ont commencé à réfléchir à ce qui, quelques jours plus tôt encore, semblait totalement improbable. Ainsi, que ces informa�ons soient effec�vement fausses ou bien réelles, il reste intéressant d’étudier les conséquences que pourraient avoir une telle prise de posi�on. Cet événement inédit pousse, en effet, à la réflexion : quelles seraient les implica�ons d’une telle interven�on ?
LES IMPLICATIONS D’UNE TELLE
PRISE DE POSITION SI ELLE S'AVÉRAIT RÉELLE
On parle d’une réelle prise de posi�on de la Chine sur l’échiquier géopoli�que interna�onal. Une manœuvre qui n'est que très rarement observée dans l’histoire contemporaine de la Chine. Le pays a, en effet, toujours redoublé d’efforts pour conserver sa neutralité et sa non-implica�on dans les conflits majeurs. Voilà qu’elle serait aujourd’hui prête à s’inves�rsurlaques�onukrainienne.Assiste-t-onàun changement de stratégie pour la Chine qui a toujours misé sur la « croissance discrète », sans jamais choisir de camp ? La devise « Tao Guang Yang Hui » qui peut se traduire par « cacher sa lumière et nourrir son obscurité » est-elle toujours d’actualité ? Le démen� formulé par le porte-parole du ministère des affaires étrangères chinoises montre que ce�e posture n’a pas totalement été abandonnée. Ou du moins, la Chine a�end des garan�es et un accord concret avant de défini�vement se posi�onner. Accord qui ne semble pas arriver de sitôt : ce jeudi, le sommet de la « coali�on des volontaires » à Paris n’a pas obtenu l'unanimité et a davantage reflété la division entre les membres de l’UE mais aussi de l’OTAN.
Au-delàdelasymboliqueinéditequeseraitunetelle interven�on, par�ciper à l’engagement de forces de main�en de la paix en Ukraine cons�tuerait un profond désaccord avec la Fédéra�on de Russie. Événement qui ne serait pas le premier : Le 14 février dernier lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi avait affirmé que l’Ukraine et l’Europe devaient avoir un siège à la table de négocia�ons de paix. Une déclara�on allant à l’encontre des plans du président russe. Bien que cela est pensé par une bonne par�e de l’opinion publique, les deux puissances n’ont jamais été amicalement proches. Les rela�ons bilatérales sino-russes ont toujours été pragma�ques. Ce�e prise de posi�on et sa volonté d’envoyer des troupes de main�en de la paix en Ukraine risque de refroidir ces rela�ons car la Russie s’était récemment strictement opposée au
déploiement de telles forces en cas de cessez-le-feu entreKievetMoscou.Leprésidentfrançais,Emmanuel Macron et le premier ministre britannique, Keir Starmer, avaient évoqué ce�e possibilité et avaient vite reçu le refus de Vladimir Pou�ne via une déclara�on de son ambassadeur au Royaume-Uni, Andrey Vladmirovich, le 21 février dernier. Certes, 3 jours plus tard, le 24, le président des Etats-Unis Donald Trump avait affirmé que Pou�ne accepterait ce�emanœuvre.Unaccordquel’américainauraitreçu par entre�en téléphonique. Mais ce�e informa�on n’est pas vérifiable.
Quoiqu’il en soit, l’interven�on chinoise peut poten�ellement faire avancer les négocia�ons de paix entre russes et ukrainiens. Car si Vladimir Pou�ne se montre volon�er en lu�e face à l’Occident, souhaite-tillamêmechoseavecsonvoisinchinois?L’asia�sa�on de la Russie depuis maintenant plusieurs années, en par�culierdesonéconomie,nevapasdanscesens.La Chine est en effet un partenaire commercial indispensable.Entrerenconflitavecellemèneraitàun isolement total de la Russie, que ce soit à l’Ouest ou à l’Est. Ainsi, ce�e prise de posi�on pourrait forcer la main du président russe afin de lui faire accepter la paix et ce�e présence de troupes interna�onales en Ukraine.
Au-delà des perspec�ves du conflit ukrainien, ce�e interven�on mènerait à un « coup de pouce » dans les négocia�ons de paix et ainsi à une nouvelle affirma�ondela«voie»chinoise.Uneperspec�vequi ferait de l’ombre aux Etats-Unis. Car si les négocia�ons de paix abou�ssent, il sera indéniable que la Chine y aura joué un rôle. Une victoire diploma�que éminemment importante dans un conflit aussi central pour la sécurité européenne. Cela a bien sûr suscité unecertainenervositéchezlesdiplomatesaméricains. Pékinchercheraitàseposi�onnercommeunacteurde média�on sur les grands conflits interna�onaux, y compris ceux où les États-Unis sont déjà engagés de longue date. De leur côté, les Etats-Unis ont préféré voter contre la résolu�on du CSNU du 24 février 2025 portant sur le retrait des troupes russes d’Ukraine, plaçant le pays aux côtés de la Corée du Nord, de la Russie, de la Biélorussie ou encore du Mali, quand la Chine s’est toujours abstenue, fidèle à sa neutralité. L’échiquier géopoli�que est renversé, les partenariats et les coopéra�ons changent et la Chine semble gagner du terrain dans ce jeu face aux Etats-Unis. Car s’il faut retenir une leçon de géopoli�que dans le conflit russo-ukrainien, c’est bien la vola�lité de certaines puissances quant à leurs alliances. Il semble que les ententes tradi�onnelles qui opposaient l’Occident à l’axe sino-russe ne sont plus d’actualité. Les Etats-Unis, désormais menés par l’administra�on Trump, se sont rapprochés de la Russie. Le cadeau de VladimirPou�neàDonaldTrump;unportraitdeceluici remis à l’émissaire américain Steve Whitkoff lors d’une rencontre à Moscou en témoigne.
LACHINE : QUELLES RELATIONS AVEC LARUSSIE ET LES EUROPÉENS ?
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Chine évite soigneusement de choisir un camp. Elle ne condamne pas la Russie, tout en appelant officiellement à une résolu�on pacifique du conflit. Ce�e posture de neutralité reflète surtout une stratégie bien plus nuancée, que Pékin ajuste au fil des rapports de force. Derrière ce posi�onnement mesuré se cache un jeu d’équilibriste entre deux blocs : d’un côté Moscou, partenaire historique devenu plus dépendant que jamais, et de l’autre l’Europe, avec qui la Chine doit maintenir des échanges économiques vitaux.
La rela�on entre la Chine et la Russie est bien plus pragma�que qu’idéologique. Oui, les deux pays affichentunecertaineproximitédiploma�que,maisce n’est pas une alliance au sens classique du terme. DepuisquelaRussiefaitfaceàunevaguedesanc�ons occidentales, elle s’est tournée presque exclusivement vers Pékin pour écouler ses ressources et importer les composants dont elle a besoin. En 2023, la Chine est devenue le premier acheteur de pétrole brut russe, avec 107,2 millions de tonnes importées, soit près de 25 % de plus qu’en 2022. Du côté du gaz, les exporta�onsrussesverslaChineontbondide45%sur
la même période, a�eignant une valeur record de 9,6 milliards de dollars, en grande par�e grâce au gazoduc Power of Siberia. L’un vend donc son énergie à prix préféren�el,l’autrefournitenretourdestechnologies, des équipements industriels, et surtout une ouverture commerciale que Moscou ne trouve plus ailleurs. Une étude du Council on Foreign Rela�ons début 2025 confirme que les échanges sino-russes ont franchi des niveaux historiques, portés par ce�e complémentarité contrainte.Maiscelienrenforcécacheunedynamique déséquilibrée. La Chine avance ses pions avec méthode, y compris dans des zones où la Russie se senttradi�onnellementchezelle.EnAsiecentrale,par exemple, Pékin inves�t massivement dans les infrastructures, là où Moscou con�nue de miser sur ses anciens réseaux sécuritaires. Selon Alexander Gabuev, expert du Carnegie Endowment, ce�e concurrence silencieuse est bien réelle. Même affaiblie, la Russie reste sensible à tout ce qui ressemble à une perte d’influence dans ce�e région tampon qu’elle considère comme stratégique.
Côté européen, la situa�on n’est pas plus simple. L’Union européenne est à la fois cliente et partenaire de la Chine, mais aussi de plus en plus méfiante. En 2022, les échanges commerciaux entre la Chine et l'Union européenne ont a�eint 847,3 milliards de dollars, marquant une augmenta�on de 2,4 % par rapport à l'année précédente (UE : Quels étaient les produits les plus importés de Chine en 2024 ? –Ecorama Luxembourg). En 2023, selon la Un Comtrade Database, l’Allemagne était le 7ème client de la Chine (3%) et le 6ème parmi ses principaux fournisseurs (4,2%). La Russie n’est même pas dans le top 10, donnant là aussi une raison à la prise de posi�on chinoise. Pour autant, depuis 2018, la Chine est officiellement classée par la Commission européenne commeunpartenairestratégique,unconcurrentetun rival systémique. Ce triple statut reflète bien l’ambiguïté persistante dans les rela�ons entre les deux acteurs. Un rapport de l’Ins�tut Montaigne publié en 2024 met d’ailleurs en évidence ce�e difficulté à choisir entre coopéra�on et méfiance. Sur
le dossier ukrainien, l’Europe se retrouve face à une équa�on compliquée : comment exiger plus de distance de la part de la Chine vis-à-vis de Moscou, tout en comptant sur elle pour jouer un éventuel rôle de médiateur ? L’a�tude américaine de plus en plus floue ces derniers mois a rendu l’Europe plus seule que jamais. Un contexte qui a largement accéléré le rapprochement sino-européen. Klaus Welle, ancien secrétairegénéralduParlementeuropéenl’aconfirmé aumicrodujournalSouthChinaMorningPost:«C’est ce que les chinois ont toujours voulu : voir l’alliance transatlan�que divisée ». Vision corroborée avec le ministre des affaires étrangères chinois Wang Yi luimême en février dernier : l’objec�f est de présenter la Chine « comme un partenaire plus fiable que Washington ». IlfautdirequePékinentre�entsoigneusementce�e ambiguïté pour affermir ses coopéra�ons. Dès 2023, elle avait proposé un plan de paix en douze points, assez vague mais suffisamment calibré pour rappeler son rôle d’acteur global. Deux ans plus tard, la rhétorique reste la même. En mars 2025, une note de Chatham House soulignait que la Chine n’avait pas renoncé à l’idée de s’imposer comme une puissance diploma�que capable d’apparaître comme « raisonnable », tout en préservant ses liens stratégiques avec la Russie. Concrètement, la Chine joue sur deux tableaux. Elle profite du recul de la Russie pour affirmer sa place dans certains secteurs clés, tout en évitant de froisser les Européens. Mais ce�e stratégie a ses limites. Plus le conflit s’éternise, plus les demandes de clarifica�on de la part de Bruxelles risquent de se faire pressantes. Si Pékin décideunjourdes’engagerplusconcrètementdansle processus de paix, par exemple en soutenant une mission mul�latérale, elle ne pourrait plus faire semblant de rester à égale distance des deux camps.
CETTE PRISE DE POSITION VA-TELLE VRAIMENTABOUTIR ?
Il est trop tôt pour le dire. La seule cer�tude aujourd’hui, c’est l’incer�tude. Le seul accord qui est ressor� du Sommet de Paris ce jeudi 27 mars a été le main�en des sanc�ons à l’encontre de la Russie, mais rien n’est plus incertain que la mise en place d’une réelle force de main�en de la paix en Ukraine. Or il est clair que la Chine ne se lancera jamais dans une telle entreprise géopoli�que sans garan�e.
D’ailleurs, l’Europe souhaite-t-elle vraiment l’interven�on de la Chine ? Frédéric Mondoloni, directeur poli�que du ministère des Affaires étrangères français, affirmait en février que « ce n’est pas parce qu’un ami est absent (les Etats-Unis) qu’un autre peut automa�quement prendre la relève ». Les rela�onsaveclaChine,bienquedeplusenplusfortes, souffrent tout de même d’un certain nombre de mésententes. Le triptyque défini en 2018 par les européens vis à vis de la Chine : « Rival, concurrent, coopérant » a parfois basculé du côté néga�f : la crise liée à la déporta�on des Ouïghours du Xinjiang éclatant en 2017, le caractère non-démocra�que du système poli�que chinois, les lu�es en mer de Chine méridionale et surtout le partenariat rapproché sinorusse sont tous des éléments qui ne plaident pas en la faveur d’un rapprochement sino-européen. L’Union européenne n’est en effet pas dupe et a bien conscience que bien qu’une telle interven�on jouerait ensafaveur,c’estavanttoutlaChinequien�reraitdes bénéfices.
NOTES
Andrieu, P. (n.d.). « Géopoli�que des rela�ons russochinoises» [Entre�en].Conflits:Revuedegéopoli�que.
Blackburn, G. (2025, 24 février). « Vladimir Pou�ne accepterait des soldats de la paix européens en Ukraine, selon Donald Trump » Euronews.
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GÉOPOLITIQUE
Les terres rares
Des ressources stratégiques entre transition énergétique et rivalités internationales
Par Pauline FONTAINE & Aboubacar KONATE - AMRI
Ces derniers temps, les terres rares occupent une place croissante dans les débats économiques et géopoli�ques. Leur importance s'affirme dans le cadre de la transi�on énergé�que et numérique, mais aussi à travers la découverte de nouveaux gisements, la posi�ondominantedelaChinesurcemarché,l'intérêt des États-Unis pour le Groenland ou encore les stratégies mises en place par l'Union européenne (UE) pour sécuriser ses approvisionnements. Ainsi, au-delà deleursimplevaleuréconomique,ces ressources sont devenues un véritable levier de pouvoir pour les États. Bien que le marché des terres rares reste rela�vement restreint, il joue un rôle clé dans la redéfini�on des rela�ons interna�onales, notamment en raison des tensions qu’il engendre sur les chaînes
d'approvisionnement et des enjeux stratégiques qu'il soulève.
QU’EST-CE QUE LES TERRES RARES ET OÙ LES TROUVE-T-ON ?
Souvent confondues avec les ma�ères premières cri�ques ou les minerais stratégiques, les terres rares désignent un groupe de 17 éléments chimiques aux propriétés excep�onnelles : les 15 lanthanides, ainsi que l'y�rium et le scandium. Leur rareté ne �ent pas tant à leur présence dans la croûte terrestre qu'à leur dispersionetàlacomplexitédeleurextrac�on.Defait, bien que ces éléments soient rela�vement abondants, leur concentra�on en gisements exploitables est
limitée, ce qui rend leur extrac�on coûteuse et technologiquement exigeante. Si les réserves sont vastes, elles sont inégalement répar�es à travers le monde. Selon les données les plus récentes de l’USGS, la Chine dé�ent environ 44 millions de tonnes de réserves iden�fiées, suivie par le Brésil (21 millions), l’Australie (5,7 millions) et les États-Unis (1,9 million).
Toutefois, il est essen�el de dis�nguer les ressources des réserves : les ressources correspondent aux quan�tés totales poten�ellement exploitables, tandis que les réserves désignent les volumes dont l’extrac�on est économiquement et technologiquement viable à l’instant T. De plus, ces réserves ne sont que des es�ma�ons et de nouveaux gisements sont régulièrement découverts. Pour autant, leur exploita�on peut poser ques�on quant à la rentabilité et aux contraintes environnementales associées.
UNE PRODUCTION MONDIALE DOMINÉE PAR LACHINE
Comparées aux réserves, les produc�ons effec�ves sont plus restreintes : en 2024, la Chine a extrait environ 270 000 tonnes de terres rares, soit près de 70 % de la produc�on mondiale, suivie par les États-Unis (45 000 tonnes), la Birmanie (31 000 tonnes) et l’Australie (13 000 tonnes). Ce�e domina�on chinoise ne se limite pas à la produc�on brute, mais s’étend à l’ensemble de la chaîne de valeur, du raffinage à la fabrica�on de composants à haute valeur ajoutée. Ce déséquilibre entre les ressources disponibles et la produc�on effec�ve met en lumière la nécessité, pour de nombreux États, de sécuriser leurs chaînes d'approvisionnement et de réduire leur vulnérabilité face aux fluctua�ons du marché.
Lequasi-monopolechinois nereposepas seulement sur l’extrac�on des terres rares, mais surtout sur ses capacités de raffinage et de sépara�on. En effet, la Chine contrôle la majorité des capacités mondiales de raffinage, ce qui la place en posi�on incontournable dans la chaîne d’approvisionnement. Même lorsque les terres rares sont extraites ailleurs, elles sont souvent envoyées en Chine pour être raffinées avant d’être exportées à nouveau sous forme de produits finis ou semi-finis. Ce contrôle intégral de la chaîne de valeur confère à Pékin un levier géopoli�que puissant, notamment face aux États-Unis et à l’UE, qui cherchent à réduire leur dépendance.
LES TERRES RARES, UN ENJEU TECHNOLOGIQUE ET MILITAIRE
Les terres rares jouent un rôle clé dans de nombreuses technologies de pointe. Elles sont indispensables à la fabrica�on des aimants permanents u�lisés dans les éoliennes et les moteurs de véhicules électriques, qui nécessitent du néodyme, du praséodyme et du dysprosium. Ces aimants sont par�culièrement recherchés pour leur puissance et leur efficacité énergé�que. Leur importance s’étend également au secteur militaire, où elles entrent dans la composi�on de nombreux équipements stratégiques, ce qui renforce encore davantage leur caractère géopoli�que. D’après l’AIE, la demande mondiale en terres rares pourrait être mul�pliée par trois d’ici 2040 en raison de la transi�on énergé�que et de l’essor des véhicules électriques. Par ailleurs, les terres rares entrent dans la composi�on des écrans de smartphones et d’ordinateurs (europium, terbium), des catalyseurs pour l'industrie pétrochimique, ainsi que dans les
équipements de défense tels que les radars, les missiles et les avions de combat. Elles sont également u�lisées dans l’éclairage LED et les lasers, soulignant leur rôle essen�el dans l'innova�on technologique et la transi�on énergé�que.
Pour tous ces usages, les terres rares sont donc classées parmi les ma�ères premières cri�ques par plusieurs acteurs interna�onaux. L’UE les considère comme essen�elles en raison de leur rôle dans les technologies bas-carbone (éoliennes, panneaux solaires, ba�eries électriques) et de leur approvisionnement incertain. Aux États-Unis, elles sont qualifiées de ressources stratégiques car elles sont indispensables à l’industrie militaire (avions de chasse, radars, missiles) et aux infrastructures technologiques.
Les terres rares sont cri�ques car elles sont au cœur de la révolu�on technologique et environnementale, mais leur chaîne d’approvisionnement reste fragile, dominée par la Chine et fortement polluante. L’affrontement entre grandes puissances pour sécuriser ces ressources façonnera les prochaines décennies, entre course à l’innova�on, tensions géopoli�ques et paradoxes environnementaux.
UNE COMPÉTITION MONDIALE POUR LE CONTRÔLE DES TERRES RARES
Les Etats Unis, conscients de leur dépendance cri�que aux terres rares notamment chinoises, mul�plient les ini�a�ves pour sécuriser leur approvisionnement. Leur stratégie repose sur trois axes : accords bilatéraux avec des pays producteurs en l'occurrence l’Australie, le Canada ou même certains pays sur le con�nent africain. Ils relancent aussi
l’extrac�on domes�que comme le cas de Mountain Pass en Californie. Ils inves�ssent également dans le raffinage, un secteur encore dominé par la Chine. Par ailleurs, les Minerals Security Partnership (MSP) vise à créer une chaîne d’approvisionnement en coordonnant les efforts de plusieurs alliés.
Face à ces efforts, la Chine adapte sa stratégie en consolidant son contrôle sur le marché. Elle ne se contente plus d’exploiter ses propres ressources car elle inves�t dans d’autres mines à l’etranger. En Mongolie dans la mine de de Bayan Obo et Baotou, la chine a un contrôle de 37 % des réserves avec une réalisa�onde 58%delaproduc�onmondialeselonle Centre Na�onal d’Etudes Spa�ales. Pour assurer la mainmise, elle achète les mines que dé�ennent ces concurrents ou même leur part, à l’exemple du rachat de la par�cipa�on du géant américain FreeportMcMoRan dans la mine de Tenke Fungurume au groupe CMOC déclare Quang Anh. De plus, elle n’hésite pas à instrumentaliser ce�e domina�on, comme en témoigne l’embargo de 2010 contre le Japon à la suite d’un conten�eux territorial en mer de Chine orientale et les récentes restric�ons sur le gallium et le germanium en 2023 avec l’imposi�on d’un quota mis sur l’exporta�on pour répondre aux sanc�ons américaines sur les technologies avancées. Son objec�f est clair, maintenir son influence en imposant aux puissances occidentales une dépendance structurelle. Par ailleurs, le schéma de déséquilibre rappelle à bien des égards la géopoli�que du pétrole au XXe siècle. À l’époque, la concentra�on deshydrocarburesauMoyen-Orientavaitentraînéune dépendance structurelle des économies occidentales, donnantnaissanceàl’OPEPen1960,quirégulaitl’offre etlesprix.Larépar��oninégaleavait donnélieuàune intense compé��on entre les puissances industrielles,
suscitant des alliances stratégiques, des conflits et des crises d’approvisionnement. De la même manière, la maîtrise des terres rares et d’autres métaux cri�ques est aujourd’hui un levier de pouvoir économique et géopoli�que. La Chine, qui contrôle la majorité du raffinage mondial, adopte une posture similaire à celle des pays de l’OPEP sur le pétrole. Elle ajuste sa produc�on et sécurise son accès aux gisements étrangers pour asseoir encore plus son influence.
L’UNION EUROPÉENNE FACE À LA DÉPENDANCE
L’UE publie depuis 2011 une liste des ma�ères premières cri�ques et stratégiques pour l’UE. Le Cri�cal Raw Materials Act, qui inclut expressément les terres rares, vise à diversifier les sources d’approvisionnement, à encourager la produc�on européenne et à promouvoir le recyclage afin de réduire la dépendance vis-à-vis des marchés externes, notamment celui de la Chine. Ce disposi�f législa�f entend non seulement s�muler la recherche et l’innova�on dans le secteur minier européen, mais aussi instaurer un cadre réglementaire garan�ssant la durabilité et la sécurité des chaînes d’approvisionnement. L’UE souhaite qu’au moins 10% des ma�ères premières stratégiques soient extraites sur son territoire, au moins 40% y soient transformées et au moins 25% y soient recyclées.
Dans ce contexte, la Commission européenne a dévoilé le 25 mars 2025 un ensemble de 47 projets stratégiques, dont cinq ini�a�ves spécifiques consacrées aux terres rares. Parmi ces projets, deux se situent en France : Caremag pour le traitement et MagFactory pour le recyclage des terres rares. Une autre entreprise a été sélec�onnée en Italie pour le recyclage, il s’agit de Itelyum Regenera�on SpA. En Pologne, un site de traitement figure également dans la liste : Mkango Resources Ltd. En Suède, des terres rares seront extraites et traitées par LKAB. Cependant, malgré ces ini�a�ves, l’autonomie totale est hors de portée pour l’UE. En effet, la diversifica�on de la chaîne d’approvisionnement passe aussi par le développement de partenariats interna�onaux. Ainsi, d’autres projets, en dehors hors UE, seront dévoilés prochainement par la Commission européenne. Ces partenariats stratégiques perme�ront à l’UE de diversifier des sources complémentaires de terres rares et de diminuer sa dépendance vis-à-vis de la Chine,toutenpoursuivantsatransi�onénergé�queet numérique. Rappelons que l’UE a pour objec�f de ne pas dépendre à plus de 65% d' une seule source d’approvisionnement.
CONCLUSION
Ainsi, les terres rares illustrent le rôle central des métaux cri�ques dans les rela�ons interna�onales contemporaines. Au-delà de ces éléments, d’autres minerais, tels que le lithium, le cobalt, le nickel, le tantale et le tungstène, figurent sur les listes stratégiques de l’UE et des États-Unis. Essen�els à la fabrica�on des ba�eries, des composants électroniques, de l’armement et des infrastructures énergé�ques, ces matériaux sont au cœur d’une intense compé��on économique et industrielle. Face à ce�edépendance,Washington,Bruxelles et d’autres puissances cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement et à sécuriser leurs chaînes de produc�on. Arte rapporte qu' un projet d’usine de recyclage et de raffinage a été annoncé en France pourfin2026,illustrantainsileseffortsentrepris pour réduire la dépendance aux importa�ons et renforcer l’autonomie stratégique. Cependant, ce�e transi�on demeure complexe et s’inscrit dans un contexte de rivalités croissantes.
Au-delà des enjeux géopoli�ques et économiques, l’extrac�on des terres rares soulève une probléma�que environnementale majeure. Ce processus génère de grandes quan�tés de déchets toxiques et radioac�fs, notamment en raison de la présence d’uranium et de thorium dans certains minerais. Selon l’Agence Interna�onale de l’Énergie, l’extrac�on et le raffinage des terres rares peuvent produire jusqu’à 2000 tonnes de déchets par tonne de terres rares raffinées. Ce paradoxe est par�culièrementfrappant:desressourcesessen�elles à la transi�on énergé�que et numérique reposent sur des pra�ques à forte empreinte écologique, soulevant ainsi la ques�on de modèles d’extrac�on durables et
du développement du recyclage des matériaux stratégiques.
Le XXIe siècle ne sera pas seulement marqué par des conflits énergé�ques, mais également par une lu�e acharnée pour le contrôle des ressources minérales stratégiques.Àl’imagedupétrole,ausiècleprécédent, les terres rares et les métaux cri�ques façonneront les grandes dynamiques interna�onales des décennies à venir, définissant les équilibres de puissance tout en posant de nouveaux défis en ma�ère de développement durable.
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GÉOPOLITIQUE
L’Arctique
Une région au cœur des jeux de puissances
Par ASSOCIATION PROMETHEI
Terrain convoité par les grandes puissances de notre époque, le Groenland fait l’objet de grands débats depuis les annonces et le retour de Donald Trump à la Maison Blanche.
L’île sous autorité danoise depuis 1953 est revenue au cœur de l’échiquier géopoli�que mondial et doit apprendre à composer avec les enjeux contemporains qui frappent la région Arc�que. Un statut d’autonomie a été voté en 1979, renforcé en 2010 par le contrôle des ressources de l’île, alimentant les revendica�ons indépendan�stes. Entre ingérences étrangères, convoi�se américaine, désir d’indépendance et changements clima�ques, le Groenland fait face aujourd’hui à de mul�ples ques�onnements que la chaude actualité a ravivé.
du président Américain posé à l’aéoport
Historiquement conquise par les Vikings autour du 10e siècle puis par des Inuits plus résistants au froid que les Nordiques, l’île a ensuite été colonisé par le Danemark: un missionnaire Norvégien, Hans Egede, a été missionné au 18e siècle par la couronne afin de coloniser ce�e île de 2,166 millions km2, soit 98% du territoiredanoisactuel.Dansl’histoirecontemporaine, les États-Unis ont mul�plié les proposi�ons de rachats de l’île qui se situe dans sa sphère d’influence, définie par la doctrine Monroe de 1823. Effec�vement, si les annonces récentes de Donald Trump ont fait couler beaucoupd’encre,elless’inscriventtoutefoisdansune longue tradi�on américaine. Ravagés par la guerre civileaméricaine,ditede«Sécession»(1861-1865),le présidentAndrewJohnsonsouhaitedès1867lerachat du Groenland et de l’Islande, proposi�on qui se voit
refuser par le royaume du Danemark. Quelques décennies plus tard, alors que le Danemark est envahi par l’Allemagne nazie en 1940, les États-Unis se voient autoriser l’implanta�on d’une base militaire à Thulé, dans le nord-ouest de l’île. À la fin de la guerre, le président Truman propose au Danemark de racheter pour cent millions de dollars le Groenland. À nouveau, Copenhague refuse la proposi�on. De nos jours, les tensions autour du Groenland sont ravivées par le retour de Donald Trump à la tête de la première puissance économique mondiale. Après avoir émis l’hypothèse de racheter l’île en 2019 lors de son premier mandat, le 47e président a renouvelé son souhait.
«Qui possède le Pôle possède le monde» - John Kennedy, 1962.
L’ar�cle vise à examiner quelles mo�va�ons poussentlespuissancesétrangèresàintervenirdansla région, tout en traitant également du changement clima�que et de ses conséquences. Enfin, avec les élec�ons tenues le 11 mars dernier, une analyse des enjeux qui touchent la popula�on groenlandaise sera faite afin de comprendre quel avenir lui est promis.
LESAMBITIONS DE TRUMP: LE GROENLAND COMMEAVANT-POSTE STRATÉGIQUE DU «MONDE LIBRE»
Donald Trump s’inscrit dans une certaine tradi�on américaine en reprenant les idées de ses prédécesseurs. En 2019 déjà, lors de son premier mandat,ilavaitémisl’idéederacheterl’île,comparant son rachat à une «grosse transac�on immobilière» : il souhaite me�re en avant l’avantage stratégique de ce rachat, tout en pointant les défaillances danoises à l’égard de l’île. Trump accusait le Groenland de faire «beaucoup de mal au Danemark parce qu’ils perdent environ 700 millions de dollars chaque année pour l’entretenir… Et stratégiquement, pour les États-Unis, ce serait sympa », rapportait le Wall Street Journal. Ce à quoi le Ministère groenlandais des affaires étrangères répondait « Le Groenland est riche en ressources précieuses (…). Nous sommes prêts à faire des affaires, pas à vendre sur X »
Ceci étant dit, les tenta�ves de rachat émises par Trump avant son inves�ture le 21 janvier 2025 ne sont pas nouvelles et suivent la logique de son premier mandat. Le 25 janvier, Donald Trump a mis en avant la nécessité de protéger le Groenland et l’Arc�que pour ainsi perme�re la «protec�on du monde libre» et pour lu�er contre les «navires russes et chinois», rapporte Courrier Interna�onal. Si le président américain a réitéré les ambi�ons de rachat du Groenland lors d’un discours le 4 mars devant le
Congrès américain, Trump cherche également à me�re en avant les enjeux de sécurité na�onale américaine. Dans une logique de guerre commerciale avec la Chine lancée depuis son premier mandat, et plus généralement de quête de puissance contre les opposants russe et chinois, le Groenland est un territoire situé à l’épicentre des trois puissances et concentre les préoccupa�ons des puissances limitrophes. Avec la réappari�on d’un monde de blocs comme pendant la Guerre Froide, le Groenland cons�tue une sorte d’avant-poste stratégique perme�ant d’observer le bloc opposé. Si la région est idéalement située, elle concentre aussi maintes ressources naturelles bénéfiques à ces mêmes puissances, qui les convoitent et cherchent à s’en emparer. L’accès aux ressources est de plus en plus facilité par le changement clima�que, qui ouvre de nouvelles voies de naviga�on et fait fondre la calo�e glacière, rendant plus accessible les diverses ressources de son sol.
LE CHANGEMENT CLIMATIQUEAU CŒUR DE L’ACTUALITÉ DU PÔLE
En raison du changement clima�que, les ressources naturelles de l’Arc�que sont de plus en plus accessibles. De fait, la zone est touchée par le réchauffement clima�que qui entraîne la fonte de sa calo�e glacière et favorise l’accès à ses minéraux et hydrocarbures. Le sol, qui fond six fois plus vite que dans les années 1980, con�ent de nombreux matériaux dont les industries sont friandes: de l’or, du zinc, du cuivre, du nickel ou encore de l’uranium. En plus, la région Arc�que dé�ent 25% des réserves d’hydrocarbures et de terres rares du monde. C’est pourquoi les puissances voisines – principalement la Russie, la Chine, les États-Unis- cherchent à profiter des effets du réchauffement clima�que afin de s’approvisionner et s’emparer de ces ressources précieuses pour leur développement. L’inuit Qupanuk, ingénieure minière de l’île Arc�que met justement en avant la richesse du sol groenlandais «Nous avons beaucoup de minéraux, le Groenland est comme un paradis pour les géologues, nous avons des terres rares, nous avons de l'or, nous avons du fer, nous avons des diamants, des rubis, du �tane, du zinc, du plomb… Sérieusement, nous avons de tout ».Qupanukcon�nue enexpliquantlesambi�onsdeTrumpdanslarégionet lesenjeuxdepuissancequis’yjouent: «La raison pour laquelle il dit qu'il veut acheter le Groenland et que son fils visite le Groenland, c’est juste pour montrer qu'il est là, c'est juste une manière poli�que et tac�que d'éloigner la Chine et la Russie du Groenland en déclarant "Je suis ici, c’est mon territoire" »
Silarégiona�retant,c’estaussigrâceàsesterres rares, notamment du gisement Gvane�eld qui est le
deuxième plus grand gisement de terres rares au monde et contenant de l’uranium. Minéraux nécessaires à la transi�on écologique, mais aussi pour développer son arsenal militaire et les appareils électroniques du quo�dien, leur présence explique en par�e la volonté des puissances à conquérir l’Arc�que etlesgisementsprésentsauGroenland.LaChineapar exempleacquislarégiondugisementdeGvane�elden 2007 en rachetant le lieu que possédait la société australienne Energy Transi�on Minerals Ltd, avant que l’entreprise Shenghe Ressources la rachète en 2016, devenant l’ac�onnaire majoritaire à hauteur de 11%. Les manœuvres chinoises dans la zone Arc�que se mul�plient, à l’image d’une entreprise hongkongaise qui a tenté de s’approvisionner une base navale à Grønnedal afin de développer des ac�vités minières. Par ailleurs, le premier producteur d’énergie verte du monde mène des projets d’infrastructures dans la région afin de con�nuer à développer sa produc�on. En effet, Pékin a inves� plus de 90 milliards de dollars en Sibérie russe dans le secteur de l’extrac�on de ressources. Par la mul�plica�on de ces ini�a�ves, la Chinecon�nueàdominerlaproduc�ondeterresrares dans le monde. Rien qu’en 2023, elle a extrait pour 240.000 tonnes de terres rares, l’équivalent de 69% de la produc�on mondiale, soit 6 fois plus que la produc�on américaine sur la même année. Du côté américain, l’intérêt circule aussi sur l’acquisi�on d’hydrocarbures et des terres rares présents dans la région et par�culièrement au Groenland. L’île dans la sphère Monroe a�re l’œil des États-Unis, dont l’intérêt est marqué par les annonces répétées du président Trump de racheter ce territoire. Comme la Chine et la Russie, Washington profite de la conjoncture clima�que afin de la faire bénéficier à son
économie. L’industrie des voitures électriques u�lise par exemple les terres rares, comme l’entreprise Tesla de l’entrepreneur Elon Musk, devenu membre du gouvernement Trump. Par ailleurs, le réchauffement clima�que ouvre de nouvelles routes mari�mes, facilitant le transport des marchandises en provenance d’Asie, principalement de Chine et de Russie. Il existe deux voies en Arc�que: la voie du nord-est qui longe les côtes russes jusqu’au détroit de Béring; et la voie du nord-ouest qui s’étend du détroit de Béring à l’est du con�nent américain, en longeant les côtes canadiennes. Le réchauffement de la zone Arc�que entraîne de pénibles conséquences environnementales, mais les puissances limitrophes voient ces changements comme une opportunité à saisir et dont il faut profiter. À terme, la zone pourrait servir de voie de naviga�on plus efficace que les voies mari�mes tradi�onnelles. Un trajet du port de Shanghai à Ro�erdam nécessite à l’heure actuelle 48 jours en passant par les détroits de Malacca et Suez. Un trajet par la zone Arc�que réduirait la durée du trajetàseulement35.Enempruntantlaroutedunordest, 20% du trafic Europe-Asie pourrait transiter dans la zone arc�que d’ici 2050 et modifier les dynamiques mari�mes. Toutefois, les routes de l’Arc�que sont dangereuses et de nombreuses variantes sont à prendre en considéra�on. Les vents violents, le brouillard ainsi que le prolongement des nuits sont autant de probléma�ques à régler avant d’assurer la pérennité des trajets. De plus, les coûts liés aux infrastructures et au développement de brise-glaces
ques�onnent la rentabilité de la route Arc�que. Car si certaines condi�ons clima�ques peuvent être résolues, il reste encore à prendre en compte la santé et le bien-être des marins qui voyageraient dans des condi�ons inédites, sans compter sur la mise en place de ports ayant les capacités d’accueillir des cargos en Arc�que.
Ces considéra�ons alimentent les débats et reme�ent en cause la sécurité de la région. « Ça ouvre beaucoup de possibilités, mais remet aussi en cause la sécurité dans l’Arc�que », prononçait Pénélope Ruth How, glaciologue et climatologue lors d’une conférence tenue au centre de recherche sur l’Arc�que. Le nord-ouest du Groenland, lié par la glace avec le Canada, fond à mesure que le réchauffement clima�que fait effet et devient franchissable entre fin juillet et mi-septembre. Les bateaux de marchandises se mul�plient et les pays doivent protéger en conséquence leurs marchandises de la piraterie et de leurs voisins. À l’image de la Chine qui a installé sa seule base militaire à Djibou� afin de protéger ses cargos qui font le tour du monde, il est possible d’imaginer une militarisa�on du Pôle Nord à mesure que les marchandises transitent et que les trois puissances dominantes inves�ssent davantage les lieux et ses ressources. Grâce à ces nouvelles voies qui s’ouvrentaufuretàmesure,laChineviseparexemple l’exporta�on de 10% de sa produc�on via ces routes. De plus, dès 2018, Pékin a fait paraître dans un livre blancsonambi�ondedévelopperunprojetde«route de la soie polaire». Ce livre marque de manière claire,
et pour la première fois, les ambi�ons chinoises en Arc�que. Pékin affirme sa volonté de travailler avec d’autres pays dans le but «d'édifier une route de la Soie polaire grâce au développement de voies de transport mari�me dans l'Arc�que». Kong Xuanyou, vice-ministre des Affaires étrangères, a affirmé que la Chine n’avait pas pour objec�f d’extraire du gaz à grande échelle dans la région, malgré des incita�ons gouvernementales favorables à la construc�on d’infrastructures en Arc�que.
LE GROENLAND : SOURCE DE CONFLITS ET DE CONCURRENCE
ENTRE LES PUISSANCES EXTÉRIEURES
Comme vu précédemment, le Groenland fait l’objet detouteslesconvoi�seseta�reautantlespuissances russes, chinoises et américaines grâce à sa richesse en ressources naturelles. Si le Groenland cherche à obtenir son indépendance et pense pouvoir faire face à ces-dernières de manière autonome, l’ami�é russochinoise creuse dans l’Arc�que tout en profitant de la fonte des glaces afin de naviguer et exploiter plus facilement les ressources de la région, nécessaires à leur transi�on énergé�que, leur industrie de défense et automobile. S’inscrivant dans ce partenariat, une flo�e russo-chinoise a patrouillé pour la première fois dans le détroit de Béring pendant l’été 2024. Du nom Ocean-24, ces exercices mari�mes conjoints sont un symbole fort marquant leurs ambi�ons. Pour la Chine, l’enjeu est crucial et par�cipe au développement de son projet des «routes de la soie chinoise», en étendant sa sphère d’influence dans le nord du globe via «les routes de la soie polaire». Le spécialiste de la
géopoli�que arc�que à l’Université de Calgary Rob Huebert es�me que «La Chine veut clairement apprendre à fonc�onner efficacement dans un environnement et une météo arc�que.» en s’appuyant sur l’expérience russe. Ce�e patrouille a même pénétré «l’espace économique mari�me américain dans les îles Aléou�ennes» rappelle Stéphanie Pézard, politologue du groupe de réflexion californien RAND qui a publié en 2022 un rapport sur les ambi�ons chinoises en Arc�que, nous rappelle le journal La presse. La présence russo-chinoise dans la région s’est doncfaitremarquerparlesÉtats-Unis,quiontsurveillé leursagissements.StéphaniePézard,pensequelelivre blanc «des routes de la soie polaire» mis en place en 2018 par le gouvernement chinois exprime «l’idée d’u�liser l’Arc�que comme voie mari�me», tout en s’implantant dans la région afin de profiter des ressources naturelles. Par ailleurs, la stratégie chinoise semble s’inscrire comme un prolongement de sa stratégie de réunifica�on avec Taïwan. En effet, le politologue Rob Huebert es�me que les agissements chinois dans la zone Arc�que serviraient à détourner les États-Unis du Pacifique, en concentrant la flo�e américaine sur plusieurs fronts. Les ballons chinois qui ont survolé le sol américain en 2023 «faisaient assurément par�e d’un plan d’espionnage visant à tester les capacités de détec�on et d’interven�on» pense M. Huebert. Le politologue a poursuivi «L’an dernier, la Chine a installé une sta�on d’écoute sousmarine en Arc�que. Il semble y avoir des plans pour un sous-marin nucléaire renforcé capable de naviguer sous la glace polaire. Ajoutez à cela l’annonce que la Chine a maintenant un drone et un mini-sous-marin capable de naviguer sous la glace, et vous avez une capacité de couper des câbles ou des oléoducs sousmarins. ». Tous ces agissements forceraient les ÉtatsUnis à se concentrer davantage sur la région en
La Russie domine aujourd’hui l’Arc�que avec sa flo�e de brises glaces nucléaires, chevilles ouvrières de ce territoire hos�le.
délaissant par�ellement sa capacité de projec�on dans l’Indopacifique pour concentrer une par�e de sa marine dans l’Arc�que.
De plus, la Chine possède déjà deux brise-glaces et ambi�onne d’en construire un troisième grâce à l’aide de la Russie. Plusieurs brevets ont été déposés en Chine pour la construc�on de brise-glaces nucléaires: le projet commun avec la Russie perme�rait donc à Pékin de s’équiper d’un brise-glace à propulsion nucléaire, me�ant fin au monopole russe dans la régionquiestleseulpaysàpouvoirnaviguerlibrement grâceàsasupérioritétechnologique.LaRussiequantà elle est équipée d’une dizaine de brise-glaces, d’une flo�e de centaines de navires polaires et de cinquante ports ou bases militaires en Arc�que afin de naviguer en mer Arc�que, s’imposant comme un acteur incontournable. C’est aussi le seul pays à disposer de sous-marins à propulsion nucléaire, ce qui lui permet desedéplaceravecaisancedanslazoneArc�que,tout en formant les routes mari�mes. Alors que l’invasion de l’Ukraine a isolé le pays de ses partenaires européens, elle a toutefois par�cipé au rapprochementaveclaChine.StéphaniePézardpointe néanmoins le risque de dépendance de la Russie à l’égard de la Chine si ce�e dernière progresse en Arc�que en développant sa capacité à manœuvrer. Nous savons également que le président chinois Xi Jinping cherche à rétablir la grandeur de la Chine en revenant aux fron�ères qui précèdent les traités inégaux et les invasions occidentales sur son territoire. De ce fait, la Russie a elle aussi joué sa part au 19e siècle en s’emparant de plusieurs territoires en Extrême Orient ce qui fait de la Chine «un allié circonstanciel plutôt qu’indéfec�ble» rappelle M. Huerbert. En plus, la Chine développe massivement sonnombredemissilesnucléaires-quiapresquetriplé lors de la dernière décennie- passant de 300 à 800 et pourraitcons�tuerunearmeenpluspours’émanciper de son partenaire russe actuel, tout en s’affirmant davantage dans la région à son profit.
LAPLACEACTUELLE DES INUITS ET DESGROENLANDAISAUGROENLAND: VERS UNE SUPPRESSION DES MODES DE VIE DES POPULATIONS
TRADITIONNELLES
Si la popula�on Inuit est la première à s’être installée durablement au Groenland tout en cons�tuant 90% de la popula�on locale, elle subit toutefois depuis 1953 les poli�ques mises en place par le Danemark. Effec�vement, dès les années 1950 et pendant plusieurs décennies, Copenhague a décidé de plusieurs mesures visant à transformer l’économie de l’île, afin qu’elle transite d’une économie de subsistance vers une économie industrielle. Ce�e stratégie a donc déstabilisé la culture tradi�onnelle
Inuit par la modifica�on de leurs mœurs. De plus, le DanemarkasouhaitérendrelesInuits«Danois».Pour ce faire, Copenhague a opéré une transforma�on dras�que du paysage urbain groenlandais, notamment en supprimant les villes li�orales pour les regrouper dans des grandes villes. Ces diverses mesures ont eu des conséquences importantes sur les modesdeviedespopula�ons,enniantleursingularité culturelleetlarichessequecelle-cipouvaitavoir.C’est danscecontextequelesmo�va�onsindépendan�stes de tous les bords poli�ques du Groenland ont émergé et con�nuent d’alimenter le débat poli�que actuel. De plus, Anne-Françoise Hivert, correspondante du Monde dans les pays scandinaves, rapporte dans l’épisode «Le Groenland, une île convoitée en quête d’indépendance» de l’Heure du Monde, les mauvais traitements à l’égard de la popula�on groenlandaise. La correspondante parle de la stérilisa�on forcée de milliers de femmes ainsi que de l’envoie d’une vingtaine d’enfants au Danemark afin d’en faire «des pe�ts danois» dans les années 1950. Ces poli�ques ontfaitscandale,etontpar�cipéaurenforcementdes aspira�ons indépendan�stes de l’île. Des excuses publiques du gouvernement ainsi que des indemnités ont été versées pour se faire pardonner, une enquête sur le passé colonial du royaume danois a même été ouverteparlegouvernementdanois.Enoutre,unplan contre le racisme an�-groenlandais de trente-cinq millions de couronnes a été décidé afin de lu�er contre les formes de racisme existante contre les habitants de l’île, qui sont perçus comme des «alcooliques» par certains, rapporte Qupanuk Olsen, une influenceuse groenlandaise citée dans le podcast.
Par ailleurs, les élec�ons tenues le 11 mars dernier auGroenlandrisquentdemodifierlepaysagepoli�que de l’île. Le par� de centre-droite Demokraa�t, Les Démocrates, a remporté 29,9% des voix, triplant son nombre de sièges à l’Inatsisartut, le Parlement groenlandais. Le par� Naleraq qui promeut une indépendance rapide du Groenland a lui aussi progressé, récoltant 24,5% des suffrages. Ainsi, ces deux par�s prônent l’indépendance de l’îleà des rythmes toutefois différents. Le par� de centre-droite Demokraa�t veut une indépendance progressive et réfléchie, là où le par� Naleraq souhaite une indépendance rapide de l’île. Étant désormais les deux forces poli�ques majeures du Groenland, l’émancipa�on de l’île à l’égard du Danemark est un sujet chaud qui va alimenter les dynamiques interna�onales dans les prochaines années à venir. De plus,aveclechangementdebordpoli�queaupouvoir, les interdic�ons liées à l’exploita�on de certaines ressources de l’île risquent d’être levées. En effet, en 1988 l’interdic�on totale de l’extrac�on d’uranium a été décidée à cause de craintes liées à la pollu�on qui pourraient nuire à la popula�on et à la seule ac�vité agricole de la région. En 2013, l’interdic�on est levée avec la venue d’un nouveau Premier Ministre puis rétablie par Egede en 2021. Dans ce�e logique, le gisement de Gvane�eld, deuxième plus grand gisementdeterresraresaumonde,contenantausside l’uranium pourrait être exploité. Afin d’obtenir l’indépendance de l’île, les par�s doivent trouver des moyens pour s�muler son économie. Dans ce�e situa�on, des accords pourraient être passés avec les puissances étrangères qui souhaitent bénéficier des ressources en hydrocarbures et en terres rares de l’île, comme la Chine qui est déjà prête à creuser à Gvane�eld avec Shenghe Ressources
CONCLUSION
Ainsi, le Groenland est au cœur de l’actualité et est une zone chaude des rela�ons interna�onales. Pays stratégique au sein du Pôle nord, la conjoncture clima�que actuelle alimente les débats autour de l’île et renforce les enjeux de puissance dans la région. À cause du réchauffement clima�que, causé en grande majorité par les pays désirant profiter de ses effets dans la zone Arc�que, de nouvelles routes mari�mes s’ouvrenteta�rentl’œildecesmêmespuissances.De plus, la fonte de la calo�e glacière pousse les pays limitrophes à s’intéresser à la région afin d’en faire bénéficierleurséconomies.Ce�ecourseàlapuissance et à la croissance économique ravive les tensions dans une zone jadis cruciale pendant la guerre froide. Si des doutes étaient émis à propos d’une nouvelle guerre-froide, il semblerait néanmoins qu’elle ait lieu sous nos yeux, agissant comme une transforma�on silencieuse. Les mul�ples manœuvres des marines américaines avec les exercices Icex en mer de Beaufort
qui ont lieu tous les deux ans afin d’apprendre aux sous-marins à naviguer sous la glace, ainsi que les opéra�ons Ocean-24 conjointes sino-russes, sont autant de signes manifestant la militarisa�on de la région. Par ailleurs, la base chinoise à Djibou� qui sert à protéger ses cargos de marchandises, pourrait servir d’exemple et favoriser l’installa�on d’une nouvelle base militaire chinoise en Arc�que avec les mêmes objec�fs que la base du détroit de Bab-el-Mandeb,. Avec la forte présence russe, une coopéra�on renforcée des deux acteurs pourrait redéfinir les enjeux de puissance à l’échelle régionale, et même mondiale si l’on suit la déclara�on du président John Kennedy: «Qui possède le Pôle possède le monde».
NOTES
Le monde en cartes / Pourquoi TRUMP veut le Groenland ? h�ps://www.youtube.com/watch?v=jUrgnLrqf9I
INA / Arnaud Fazilleau / Groenland : au cœur des convoi�ses interna�onales/ le28.01.2025
Courrier interna�onal / Avec le Groenland, Trump “humilie et ridiculise” la Première ministre danoise / 27 janvier2025
Grands-espaces/ Thulé Air Base, la sen�nelle stratégique
Le Monde / Gary Dagorn / Pourquoi Donald Trump s’intéresse au Groenland depuis 2019 / 08janvier2025
Taïwan, territoire insulaire de 23,39 millions d’habitants en 2024, se trouve aujourd’hui à un tournant décisif de son histoire. Héri�ère d’un passé complexe, ul�me ves�ge de la République de Chine (Zhonghuá Mínguó) née de la guerre civile chinoise (1927-1949), elle fonc�onne de facto comme un État souverain bien que revendiquée par Pékin.
Si Taïwan ne bénéficie d’aucune reconnaissance officielle aux Na�ons unies depuis 1971 et le retournement des USA, si elle n'est reconnue par aucun état de l'Union Européenne, l’île main�ent des rela�ons diploma�ques avec 12 États et entre�ent des liens stratégiques étroits avec les démocra�es du monde. Sa posi�on en mer de Chine méridionale, sur une route mari�me cruciale où transite 50 % du
commerce mondial, renforce son importance géopoli�que.
Mais l’enjeu dépasse la géographie. Taïwan est le symbole d’un combat iden�taire : est-elle chinoise ou pleinement taïwanaise ? C'est le débat qui agit la poli�que taiwanaise. Même si les jeunes généra�ons se sentent de moins en moins chinoises et de plus en plus issues d'une culture et iden�té différente.
LADÉMOCRATIE, SOCLE DE L’IDENTITÉ TAÏWANAISE
La plus grande dis�nc�on entre Taïwan et la Chine con�nentale (Zhongguo Dàlù) repose sur leur système poli�que. Depuis les premières élec�ons
présiden�ellesausuffrageuniverselen1996aprèsdes années de dictature conservatrice, l’île a consolidé un modèle garan�ssant la sépara�on des pouvoirs, la liberté de la presse et les droits fondamentaux. Elle a aujourd'hui un indice de liberté supérieur à celui de la France (94 contre 90 selon Freedom House) et 12 rangsentermededémocra�edevantlaFranced'après l'indice de The Economist Intelligence Unit (10e mondiale contre 22e)
Lorsdel’élec�ondu13janvier2024,LaiChing-te(Lài Qīngdé), candidat du Par� démocrate progressiste (Mínjìndǎng, DPP, centre-gauche opposé au rapprochement avec Pékin), a remporté la présidence avec 40,05 % des voix contre 33,49 % pour Hou Yu-ih (HóuYǒuyí)duKuomintang(KMT,droitepar�saned'un rapprochnement avec Pékin) et 26,46 % pour Ko Wenje du Par� du peuple taïwanais (TPP).
Avec une par�cipa�on de 71,86 %, ce scru�n a confirmé l’a�achement des Taïwanais aux ins�tu�ons démocra�ques et leur rejet des pressions chinoises.
UN TALON D’ACHILLE ÉNERGÉTIQUE
Si Taïwan affiche une croissance économique de 5,7 % en 2021 et un PIB par habitant de 32 500 USD en 2023, son indépendance énergé�que reste son principal point faible.
L’île importe 98 % de son énergie et sa produc�on repose majoritairement sur les énergies fossiles : Legouvernementvise20%d’énergiesrenouvelables d’ici2025eninves�ssant30milliardsUSDdansl’éolien offshore et le solaire. Mais ce�e transi�on reste entravée par les menaces militaires chinoises. J'ai visité l'IFRI, le centre de recherches technologiques le plusimportantdeTaiwanquisetournedeplusenplus vers les énergies renouvelables et la géothérmie, encore peu exploitée dans l'Ile.
LAPRESSION MILITAIRE DE PÉKIN
S’INTENSIFIE
L’élec�on de Lai Ching-te a été suivie d’une intensifica�on sans précédent des manœuvres militaires chinoises. Entre octobre et décembre 2024, l’Armée populaire de libéra�on a mené plusieurs opéra�ons de grande envergure :
• Le 13 octobre 2024, 153 avions militaires chinois ont pénétré dans la zone d’iden�fica�on de défense aérienne (ADIZ) taïwanaise, un record historique.
• Des exercices navals impliquant 12 destroyers etfrégatesontsimuléunblocusénergé�queautourde l’île.
• Des simula�ons de frappes de missiles balis�ques à moyenne portée (DF-16 et DF-21) ont été effectuées dans le détroit de Taïwan.
Ces démonstra�ons de force visent à in�mider Taipei et à tester les défenses de l’île. En réponse, Taïwan a renforcé son budget militaire à 19,1 milliards USD en 2024, soit 2,5 % de son PIB, et modernisé ses systèmesdedéfensean�missileavecl’appuidesÉtatsUnis.
Puissance technologique : semi-conducteurs et IA, les cartes maîtresses de Taipei
Face aux menaces militaires, Taïwan mise sur sa domina�on technologique. L’île produit 63 % des semi-conducteursmondiauxet92%despuceslesplus avancées (inférieures à 10 nm).
TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), géant taïwanais, alimente Apple, Nvidia et Qualcomm, ce qui fait de l’île un acteur stratégique pour l’économie mondiale.
En2025aréaffirmésonambi�ondedevenirunpôle majeur de l'intelligence ar�ficielle (IA) en Asie, plus uniquement sur le hardware mais aussi en développant de la solu�on logicielle, s'appuyant sur le plan de 1,2 milliard USD lancé en 2023 pour inves�r dans la recherche et la forma�on. Ce�e ini�a�ve s'inscrit dans une stratégie de « diploma�e des semiconducteurs » visant à renforcer ses alliances avec Washington,TokyoetBruxelles.Parallèlement,Taïwan a mis en place un programme de cer�fica�on na�onale en IA pour former 200 000 experts d'ici 2028, a�rant des inves�ssements étrangers et
Lai Ching-te, President de Taiwan
consolidantsaposi�onstratégiquedansledomainede l'IA en Asie.
GUERRE HYBRIDE : LA DÉSINFORMATION, UNEARME DE PÉKIN
Outre les pressions militaires, Pékin mène une guerredel’informa�oncontreTaïwan.SelonleCouncil on Foreign Rela�ons (CFR), la Chine u�lise des milliers de comptes automa�sés sur WeChat, TikTok et Facebook pour diffuser fausses nouvelles et rumeurs.
Lin Chia-Lung, ministre des Affaires étrangères, m’a confié lors d’un entre�en à Taipei fin 2025 :
« Pékin cherche à semer le doute, diviser notre société et affaiblir la confiance dans nos ins�tu�ons et nos alliés. »
Pour lu�er contre ce�e menace, Taïwan a mis en place :
• Une unité de cybersécurité intégrée au ministère de la Défense que j'ai eu le plaisir de rencontrer
• Une collabora�on avec Google et Meta pour iden�fier les campagnes de désinforma�on,
• Desprogrammesd’éduca�onauxmédiaspour sensibiliser les citoyens.
UNE ÎLE SOUS PRESSION, UNAVENIR INCERTAIN
Taïwan est à la croisée des chemins : préserver sa démocra�e, affronter les pressions militaires et renforcer son indépendance énergé�que.
Mais l’île ne se bat pas seulement pour elle-même. Sondes�nrésonnebienau-delàdesesfron�ères,dans un monde où l’affrontement entre démocra�es et régimes autoritaires s’intensifie et s'est compliquée avec Donald Trump.
NOTES
(CNA, Central News Agency Taiwan) : h�ps://www. cna.com.tw
(Liberty Times, Taipei) : h�ps://www.ltn.com.tw
Taipei Times : h�ps://www.taipei�mes.com
Ministry of Foreign Affairs, Republic of China (Taiwan) : h�ps://www.mofa.gov.tw
Council on Foreign Rela�ons (CFR) : h�ps://www.cfr. org