N°6 - Indo-Pacifique, naviguer en eaux troubles

SOMMAIRE

L’Édito Quentin BENOIT - Cofondateur de Terra Bellum

Les mathématiques dans les conflits Frédéric ROSARD

Le Cambodge, un équilibre complexe Grégoire ROQUETTE

Viêt Nam, un partenaire émergent Martin BROYER

L’or rouge, les enjeux cachés de l’huile de palme Etienne LOMBARDOT

La puissance commerciale chinoise Johann LEMPEREUR

La Chine et l’ASEAN Eric GUIOCHON - FDNU

Huile de palme, l’impossible dialogue producteurs-consommateurs Alain MORSOF

Nusantara, la nouvelle capitale Indonésienne Sofiane MADMAR

2 - Revue TB N°6

4 6 10 14 20 24 30 38 44

L’Islam en Thaïlande, sécurité et cohabitation Guillaume BEAU - AMRI

De l’Inde au « Bharat », entre volonté nationaliste et paradoxe Chloé CALAVIA & Justine COLLIGNON - FDNU

L’Iran et l’Indo-pacifique Théo BANSE & Sarah KOUARTA - AMRI

Les défis de la protection de l’outre-mer français Laurent BABIN

L’Inde, une puissance militaire ambitieuse et émergente Benjamin VUILLEMOT

La complexe relation sino-australienne Alexandre MIES & Marine BLASSIAU - FDNU

Redéfinir le rapport franco-européen à l’ASEAN Boualem DJABBOUR

Au cœur de la rivalité sino-indienne Artus DE VIVIE - FDNU

50 56 60 64 68 76 82 88

©GoV

Revue TB N°6 - 3

ÉDITO

Merci à nos lecteurs Par Quen�n BENOIT - Cofondateur de Terra Bellum Chers lecteurs, Il est indéniable que le monde se trouve à un carrefour géopoli�que majeur, où les forces du changement et de la transforma�on se manifestent de manière plus évidente que jamais. Au cœur de ces dynamiques mondiales, la région Indo-pacifique émerge comme l'une des zones clés déterminantes du 21e siècle. Ce�e vaste étendue d'eau, qui s'étend de l'océan Indien à l'océan Pacifique, est devenue le point de convergence des enjeux géopoli�ques majeurs, où la puissance, la sécurité, l'économie et la culture se rejoignent.

L'Indo-pacifique est un théâtre géopoli�que diversifié, qui englobe des na�ons aussi variées que l'Inde, la Chine, les États-Unis, le Japon, l'Australie, l'Indonésie et de nombreuses autres na�ons cô�ères.

Les équilibres de pouvoir se déplacent rapidement, avec une montée en puissance économique de l'Asie et une redistribu�on du pouvoir qui impactent non seulement la région elle-même, mais aussi le monde en�er. La rivalité entre les États-Unis et la Chine, les ques�ons de souveraineté en mer de Chine méridionale, ou encore les enjeux énergé�ques et environnementaux, le commerce interna�onal et la montée en puissance de challengers regionaux sont autant de thèmes qui dominent la géopoli�que Indopacifique.

Dans ce�e revue, nous nous sommes engagés à explorer en profondeur les mul�ples face�es de l'Indopacifique. Nous examinerons des forces qui façonnent la région, des acteurs tradi�onnels et émergents, et comment ces dynamiques influencent les rela�ons interna�onales. Nous nous pencherons sur les enjeux de sécurité, qu'il s'agisse des tensions en mer entre puissances ou des défis posés par la lu�e contre le terrorisme ainsi que la protec�on des zones souveraines. Nous analyserons également les dimensions économiques, les réseaux de commerce et d'inves�ssement, ainsi que les ques�ons liées aux ressources naturelles.

L'Indo-pacifique est également un carrefour culturel riche, où une mul�tude de civilisa�ons se rencontrent, échangent et coexistent. Nous explorerons les aspects culturels et sociaux de ce�e région, me�ant en lumière les tradi�ons millénaires et les dynamiques contemporaines qui façonnent les sociétés de l’Indopacifique.

Finalement, nous chercherons à comprendre comment les grandes puissances mondiales, y compris la France, s'insèrent dans ce�e région dynamique.

Quel rôle la France peut-elle jouer dans la géopoli�que 4 - Revue TB N°6

Indo-pacifique ? Comment les alliances, les partenariats et les poli�ques étrangères évoluent-ils pour refléter les enjeux de ce�e région cruciale ?

Au fil des pages de ce�e revue, nous vous invitons à plonger dans l'Indo-pacifique, un territoire d'opportunités, de défis et de promesses. Nous espérons que ce�e explora�on géopoli�que vous aidera à mieux comprendre les enjeux complexes de ce�e région et à apprécier son importance grandissante dans le monde d'aujourd'hui.

Nous vous remercions de votre fidélité à notre revue et espérons que vous apprécierez ce�e édi�on spéciale sur l'Indo-pacifique.

Revue TB N°6 - 5

CHRONIQUE

La recherche opérationnelle

Les mathématiques dans les conflits Par Frédéric ROSARD - Enseignant à X et Sciences Po

GMC CCKW 353, 1st Army 3549th Transporta�on Corps, 37th Truck Companie, 'Red Ball Express', août 1944. ©Daniel Bechennec

Si on demande au grand public de citer un élément essen�el à prendre en compte lors d’un conflit, on peut s’a�endre à des réponses comme le moral des soldats, la qualité de l’armement, le type de muni�ons, … peu de gens (pour ne pas dire pas grand monde…) ne se risquera à évoquer l’applica�on de principes mathéma�ques, et pourtant….

Il existe une branche des mathéma�ques appelée « Recherche Opéra�onnelle » dont l’objec�f central est l'op�misa�on, c'est-à-dire faire les choses de la meilleure façon possible, en fonc�on des circonstances données. Celle-ci trouve des solu�ons op�males aux problèmes complexes en u�lisant une approche interdisciplinaire réunissant plusieurs ou�ls tels que la modélisa�on, l'analyse sta�s�que ou les algorithmes.

6 - Revue TB N°6

Tout ceci fait par�e d’un domaine par�culier des mathéma�ques, celui de l'op�misa�on sous contraintes. L'ensemble des variables de décision, des critères, des contraintes auront une significa�on économique et ges�onnaire. Il s'agira donc de formaliser des problèmes d'alloca�on de ressources, d'organisa�on de logis�que, d'ordonnancement de produc�on, de planifica�on de produc�on.

De nombreux synonymes de recherche opéra�onnelle sont couramment u�lisés. Au début, les Britanniques u�lisent le terme de « recherche opéra�onnelle » (opera�onal research), les Américains celui de « science de ges�on » (management science), d’autres celui d’« analyse

décisionnelle » (decision analysis). De nos jours ces termes sont indifféremment employés.

LES ORIGINES Même si on retrouve ponctuellement çà et là des cas où les mathéma�ques sont mises à contribu�ons pour prendre des décisions (Archimède et le siège de Syracuse par les Romains par exemple), il apparaît que des bases plus solides commencèrent à être posées par Pascal et Fermat qui effectuèrent des recherches sur le comportement face au hasard. Ces travaux furent complétés plus tard, en 1731, par Bernoulli qui évoqua la théorie des décisions dans son ouvrage « Ars conjectandi ». Par la suite, l’u�lisa�on de l’analyse combinatoire permit des avancées notables.

Un mathéma�cien français, Gaspard Monge, dans son mémoire sur la théorie des déblais et des remblais (1781), étudiait un problème des plus concrets (déplacer au mieux un tas de sable !) en lui appliquant une méthode rigoureuse, « op�male » dirions-nous aujourd'hui. Il s’était demandé quel était le moyen op�mal pour déplacer un tas de terre en un endroit donné pour former un autre tas de terre de même masse et ceci dans le but de construire des for�fica�ons (il s'agissait de déterminer en fait la charge de chaque broue�e en minimisant la main d'œuvre nécessaire). Ce problème, popularisé sous le nom de « Broue�e de Monge » est donc le premier exemple historique de recherche opéra�onnelle.

Il a (entre autres) op�misé la taille des convois mari�mes pour protéger les navires marchands. Les pe�ts convois étaient censés échapper plus facilement à la détec�on des U-boat (sous-marin allemand) que les grands. Cependant, une fois détectés, les grands convois se défendaient beaucoup plus efficacement.

Blacke� et son équipe ont constaté que la probabilité de détec�on ne variait pas significa�vement avec la taille du convoi, donc faire des convois de grande taille était la façon la plus efficace pour minimiser les pertes (ou maximiser le tonnage transporté).

Par la suite, Blacke� fût considéré comme une autorité en ma�ère de R.O et forma des groupes au sein de diverses en�tés de l’armée britannique.

LA THÉORIE DES GRAPHES La théorie des graphes est un ou�l puissant qui est u�lisé en recherche opéra�onnelle combinatoire.

Leonhard Euler (né en 1707) était un mathéma�cien suisse qui fit d’importantes découvertes dans de nombreuses branches des mathéma�ques ; on lui a�ribue également la théorie des graphes.

En 1735 il proposa une solu�on au problème connu sous le nom des Sept Ponts de Königsberg.

(Königsberg, une ville marchande sur la rivière Pregel, était la capitale de la Prusse orientale, Königsberg porte aujourd'hui le nom de Kaliningrad et est situé en Russie).

L’ESSOR L'importance de ces études n'est apparue qu’au cours du XXème siècle ; il a fallu a�endre la Seconde Guerre mondiale pour que leur intérêt soit redécouvert et que l'homme fasse appel à nouveau à ces principes mathéma�ques.

Le terme de recherche opéra�onnelle (R.O) fut créé en 1939, quand la direc�on militaire britannique fit appel à un groupe de scien�fiques pour appliquer une nouvelle approche dans l’étude des opéra�ons militaires. Le principal objec�f était d'allouer de manière efficace les maigres ressources aux diverses opéra�ons et ac�vités militaires au sein de chaque opéra�on.

Rapidement ces nouvelles méthodes de R.O se révélèrent très efficaces perme�ant notamment un meilleur emploi de l’armement et une économie en vies humaines.

LE CALCUL DE PROBABILITÉS COMME APPLICATION Patrick Blacke�, un physicien ayant par�cipé au développement du radar, était à la tête d’un « groupe de recherche » au sein du commandement an�aérien de l’armée britannique.

Leonhard Euler (1707-1783). ©Johann Georg Brucke

La ville comptait sept ponts, cinq perme�ant l’accès à l'île de Kneiphof et deux traversant les deux bras de la rivière. La ques�on est : Peut-on, en partant d’un endroit donné de ce�e ville, traverser les sept ponts sans emprunter deux fois le même ?

Euler représente chacune des zones terrestres avec les le�res A, B, C et D. Ensuite, il relie toutes les zones connectées entre elles par un pont. Ce�e abstrac�on du problème est un graphe, où les nœuds sont des zones terrestres et les liens sont les ponts.

Leonhard Euler présenta la preuve qu'un tel chemin n'existe. C’était la première fois qu'un problème mathéma�que était résolu à l'aide d'un graphe.

L'abstrac�on d'Euler est à la racine de la science des réseaux, qui est u�lisée pour étudier différents phénomènes complexes. Ce�e approche peut être u�lisée pour modéliser le transport de marchandises d'un point à un autre en maximisant le flux ou/et en minimisant le coût.

LE RED BALL EXPRESS Une des mises en pra�que les plus embléma�ques de ce�e théorie fut réalisée au cours de la seconde guerre mondiale.

En 1944, peu après le débarquement en Normandie, l’entre�en d’un soldat (vivre, muni�ons, …) pendant un mois nécessitait le transport d’une tonne de fret. Le problème à résoudre s’annonçait difficile ; en effet les bombardements alliés avaient quasiment détruit l’ensemble du réseau ferroviaire dans plusieurs régions de France ; en Normandie bien évidement mais aussi dans le Nord de la France pour freiner l’envoi de renforts allemands. Il ne restait plus que le réseau rou�er (par�ellement pra�cable) pour acheminer tout le matériel nécessaire à une armée en marche. Il fallait impéra�vement ravitailler les quelques 28 divisions engagées sur le front en transportant quo�diennement entre 700 et 750 tonnes de matériel sur des dizaines voire des centaines de kilomètres à travers un réseau rou�er très exigu.

Pour donner une idée sur l’ampleur de la tâche à accomplir, l’exemple du carburant est parlant. Une fois le débarquement effectué, tous les véhicules motorisés de la 3ème Armée de Pa�on, ajoutés à ceux de la 1ère Armée de Hodges consommaient en

Lignes d’approvisionnement mise en place après juin 1944

Les septs ponts de Königsberg, le graphe d’Euler moyenne 200 000 litres d’essence par jour ; il fallait donc les approvisionner en temps et en heure pour con�nuer l’offensive.

Durant l’organisa�on du débarquement sur les plages de Normandie en juin 1944, les Alliés mirent donc au point des modèles mathéma�ques d’op�misa�on afin de coordonner les approvisionnements avec l’avancée des troupes sur le terrain.

Les soldats américains surnommèrent ‘Red Ball’ Express la route qui allait des plages du débarquement vers le front (d’abord en Normandie puis dans le reste de la France).

UNE EFFICACITÉ REDOUTABLE Le premier convoi du ‘Red Ball’ se trouva rapidement bloqué par le trafic civil et militaire. Pour résoudre le problème, l’Armée établit des routes de priorité. Elles consistaient en deux grand-routes, à peu près parallèles, entre les plages normandes et la ville de Chartres, près de Paris. La route la plus au Nord était exclusivement réservée au trajet « aller », allant des plages de Normandie jusqu’à Chartres et celle du Sud était réservée au retour. Quand la ligne de front se fut encore éloignée vers l’est, le double i�néraire fut étendu jusqu’à Soissons, Sommesous (près de Vitry-leFrançois) et Arcis-sur-Aube (voir carte).

De plus l’armée instaura des règles de circula�on extrêmement strictes (aucun véhicule civil sur la route, interdic�on de doubler, vitesse imposée de 40 km/h pour tous les véhicules, …).

Le travail des camions du ‘Red Ball’ consistait donc à enlever leur chargement dans les dépôts des plages normandes et à le déposer dans des dépôts avancés de la Zone de Communica�on. De là, les approvisionnements étaient repris par les camions des unités qui les emmenaient directement au front. Il est cependant arrivé, surtout directement après la Percée d’Avranches, que le ‘Red Ball’ livre pra�quement en première ligne.

Le résultat fut à la hauteur des espérances. Quelques 90 jours après l’u�lisa�on de ce�e route pour la première fois, plus de 412 193 tonnes avaient été transportées depuis la Normandie jusqu’au front en mouvement.

• Le « Red Ball Express » prit fin officiellement le 16 novembre 1944.

• D’autres lignes rapides d’approvisionnement allaient prendre le relais, pour des tâches plus spécifiques, comme : • le « Li�le Red Ball » qui commençait en Normandie pour acheminer des marchandises jusqu’à Paris ; • le « Green Diamond Express » qui partait également de Normandie pour acheminer du matériel vers des installa�ons de chemin de fer, situées majoritairement à l’intérieur du pays ; • le « Red Lion Express » qui ravitailla le 21st Army Group en Belgique et joua un rôle déterminant dans la logis�que de la Bataille des Ardennes, qui était encore à venir ; • la « ABC Express Route » (Anvers, Bruxelles, Charleroi) qui achemina du matériel depuis le port d’Anvers, dès sa réouverture, jusqu’à des dépôts avancés. Le rôle de l’ABC Route fut également important pendant la Bataille des Ardennes ; • la « XYZ Route », route la plus longue de toutes les précédentes grâce à laquelle le matériel fut transporté à travers l’Allemagne pendant les dernières semaines du conflit.

Lorsque que l’on évoque le débarquement et la poursuite des combats, la ‘Red Ball Express‘ (ou les autres lignes) n’est que trop rarement men�onnée.

Pourtant, sans ce�e route, la mobilité des alliés aurait été très réduite entraînant une guerre d’autant plus longue.

La recherche opéra�onnelle dans le monde militaire d’aujourd’hui, une approche américaine très pragma�que …

Durant la dernière décennie, plusieurs hauts responsables de l’armée américaine ont demandé de pouvoir former en interne des analystes professionnels. Ces analystes ORSA (Opera�ons Research/Systems Analysis) devaient être capables de fournir une analyse quan�ta�ve et qualita�ve dans le processus de prise de décision militaire en développant et en appliquant différents modèles mathéma�ques.

Après quatre semaines d’acquisi�on d’une base mathéma�que solide, les stagiaires pouvaient passer à des ma�ères plus avancées comme la modélisa�on mathéma�que et /ou sta�s�que linéaire, la simula�on et à l’analyse décisionnelle.

Ces ORSA, une fois formés, furent (et sont) u�lisés (entre autres) sur les sujets suivants : • Iden�fier les tendances dans les données ennemies • Prédire la prochaine (cyber)a�aque.

• Recommander la meilleure combinaison quant à l’u�lisa�on de véhicules/drones Les ORSA sont affectés à des postes conjoints au sein d’état-major interarmées, de divers ministères ou de certaines affecta�ons de l’OTAN.

Une note demandait aux différents responsables de rechercher les ORSA au sein de leur organisa�on et de �rer par� de leurs compétences en analyse quan�ta�ve et qualita�ve pour renforcer les décisions avec une rigueur toute mathéma�que.

VERS DE NOUVELLES PERSPECTIVES D’AVENIR La tendance mondiale montre que de plus en plus de pays intègrent des analystes dans leur système décisionnaire. Les mathéma�ques, un temps boudées, font un retour en force, notamment dans toutes les forma�ons dispensées aux futurs décisionnaires.

Il faut garder à l’esprit qu’Archimède, avec l’applica�on de principes mathéma�ques, avait en son temps, tenu tête aux Romains lors du siège de Syracuse. Il ne reste plus qu’à ses successeurs de s’illustrer à leur tour. N’oublions pas ce�e maxime que l’on a�ribue à Napoléon : « les amateurs parlent tac�que, les professionnels discutent logis�que ».

En Ukraine par exemple, le blocus mari�me, imposé par la Russie empêche tout ravitaillement mari�me.

Avec la destruc�on des ponts, les routes sont aussi obstruées par des véhicules détruits, la pénurie de carburant gue�e (due en grande par�e à la destruc�on de dépôts), le transport rou�er peut être quasi paralysé. Les voies ferrées ukrainiennes restent donc la principale ligne de vie pour l’acheminement de la logis�que, notamment celle des armes étrangères.

Les frappes russes en profondeur ont sérieusement endommagé des infrastructures ferroviaires ukrainiennes (sta�ons électriques, nœuds ferroviaires, …). Même si des locomo�ves diesel ont pallié par�ellement ce déficit, la capacité du transport ferroviaire a été amoindrie. Le ravitaillement ukrainien, ainsi que le transport de véhicules lourds venant de l’étranger sont assurés essen�ellement par voie ferrée.

Aucune solu�on réfléchie n’a jamais été mise en place pour op�miser le réseau logis�que (comme l’avaient fait en leur temps les États-Unis avec la « Red Ball express »). Si on ajoute à cela que les voies ferrées sont con�nuellement sous le feu russe (ar�llerie, frappes air-sol, drones, …) cela rend le transport ferroviaire à des�na�on du front bien moins efficace.

La contre-offensive, qui était au cœur du projet stratégique ukrainien, a ainsi subi une perturba�on significa�ve (essen�ellement des problèmes acheminement de matériel). Une fois la contreoffensive débutée en juin 2023, la dynamique avait changé, avec des unités de combat ukrainiennes qui ajustaient leur rythme à celui de la logis�que (alors que c’est normalement à la logis�que de suivre le rythme des avancées).

Revue TB N°6 - 9

GÉOPOLITIQUE

Cambodge Le défi d’un équilibre entre souveraineté et réintégration internationale Par Grégoire ROQUETTE - Professeur d’économie & rédacteur géopoli�que

Hun Manet, Premier ministre du Cambodge depuis le 22 août 2023. ©Ge�y Images.

Le 22 août 2023, le Premier ministre cambodgien Hun Sen, au pouvoir depuis plus de 38 ans (au poste de Second Premier ministre entre 1993 et 1998) annonce sa démission. Si ce�e décision ne marque pas, a priori, de discon�nuité dans la gouvernance du royaume khmer¹, puisque c’est son fils le général Hun Manet qui lui succède, elle tourne néanmoins la page d’une période sanglante. En effet, le pays dont l’histoire récente est marquée une série de guerres civiles par�culièrement meurtrières, avait vu jusqu’à présent se succéder à sa tête plusieurs anciens cadres des Khmers rouges, par� au pouvoir de 1975 à 1979 et responsable d’atrocités. Ces derniers, transfuges passés du côté vietnamien, ont été installés au pouvoir par Hanoï après le renversement de Pol Pot en 1979.

Depuis lors, le pe�t royaume est devenu un pays fragile 10 - Revue TB N°6

mais convoité, entouré par des grandes puissances économiques (la Chine, le Viêt-Nam, et dans une moindre mesure, la Thaïlande), qui se le disputent dans leurs zones d’influences. Focus sur un pays à l’histoire tourmentée, à la recherche de nouvelles perspec�ves économiques et d’une réintégra�on interna�onale.

UN PASSÉ TRAGIQUE ET INDÉPASSABLE Dans les années 1970, le Cambodge traverse une guerre civile liée à celle du Viêt-Nam voisin. Le territoire cambodgien, u�lisé comme une base de repli

par les forces du Viêt-Cong avec l’aide d’un autre par� marxiste, les Khmers rouges, est massivement bombardé par l’avia�on américaine entre 1969 et 1973. Ces bombardements radicalisent les Khmers rouges qui en bénéficient pour leurs recrutements, et remportent la victoire en 1975. Le mois d’avril de ce�e année-là est ainsi marqué par la prise, en moins de deux semaines, de deux capitales asia�ques par des mouvements communistes armés : Phnom Penh le 17, et Saigon le 29-30. Après avoir forcé les habitants de Phnom Penh à évacuer vers les campagnes pour y construire une « utopie collec�viste », Pol Pot, leader des Khmers rouges, se lance dans une série de réformes radicales comme l’aboli�on de la religion, de l’école et de la monnaie, qu’il impose avec une brutalité inouïe. Les trois années suivantes sont marquées pour une mul�plica�on de massacres et d’actes de torture à grande échelle provoquant la mort d’environ deux millions de personnes, soit près d’un quart de la popula�on cambodgienne. Un terme singulier, « auto-génocide » est u�lisé par certains historiens pour qualifier ces tueries de masses au sein d’une même ethnie, les khmers, bien que le terme « génocide » ait aussi depuis lors été reconnu pour qualifier les extermina�ons de deux minorités : les Vietnamiens du Cambodge, et l’ethnie musulmane Cham.

Parallèlement, le contexte de la rupture sinosovié�que provoque de fortes tensions entre militants communistes asia�ques, selon leur allégeance sovié�que ou maoïste. Les Khmers rouges au pouvoir au Cambodge ne sont pas épargnés par ces scissions, plongeant Pol Pot dans une paranoïa qui le pousse à mul�plier les purges meurtrières dans son propre camp. Effrayés, plusieurs cadres du par� font défec�on et sollicitent une interven�on militaire du Viêt-Nam où les communistes au pouvoir, anciens frères d’armes

des Khmers rouges contre l’armée américaine, sont depuis lors devenus leurs principaux ennemis. Une offensive vietnamienne est lancée en décembre 1978 et abou�t en moins de deux semaines à la prise de Phnom Penh où Hanoï installe un gouvernement provietnamien dirigé par Heng Samrin, un transfuge Khmer rouge.

La décennie suivante est marquée par un étrange jeu d’alliances, toujours influencé par la guerre froide et la rupture sino-sovié�que, dans lequel des puissances étrangères sou�ennent au Cambodge des belligérants en lu�e contre d’autres puissances étrangères adversaires. Alors que le gouvernement vietnamien choisit le camp de l’Union sovié�que et entraîne dans son sillage son voisin cambodgien, Pol Pot et ses par�sans, redevenus rebelles, sont soutenus par la Chine de Deng Xiaoping, mais aussi par la GrandeBretagne de Margaret Tatcher qui autorise même l’envoi de forces SAS pour les entraîner.

Les États-Unis, dans leur animosité persistante envers le Viêt-Nam depuis leur défaite en 1975, imposent au Cambodge, devenu un état satellite de ce dernier, un embargo dévastateur. Le bloc occidental refuse de reconnaître son gouvernement provietnamien jusqu’à la fin de la guerre froide, qui coïncide en 1991 avec la signature à Paris d’accords de paix visant à me�re fin de la guerre civile cambodgienne. Pol Pot, poursuivant malgré tout sa guérilla et des purges dans son propre camp, est finalement arrêté en 1997 par d’anciens par�sans qui se retournent contre lui. Affaibli par la malaria, il meurt en 1998, tandis qu’un an plus tard, le par� des Khmers rouges est officiellement vaincu et dissous. Ses derniers dirigeants tels que Ieng Sary, Khieu Samphân et Kang Kek Ieu dit « Douch », sont jugés dans les années 2010 par un tribunal conjointement mis en place par le Cambodge et l’ONU.

Le Premier ministre cambodgien Hun Sen et son homologue japonais Fumio Kishida en septembre 2022. ©An Khuon SamAun.

À LA RECHERCHE D’UNE NOUVELLE PLACE SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE Parallèlement, à la fin des années 1990, le Premier ministre Hun Sen, lui aussi ancien Khmer rouge, mais l’un des premiers à en faire défec�on en 1977, consolide son pouvoir, et réoriente sa poli�que étrangère. En 1999, il fait adhérer le Cambodge à l'Associa�on des na�ons d'Asie du Sud-Est ; une adhésion favorablement accueillie par le Viêt-Nam, renforcé par la présence d‘un pays voisin sous son influence dans l’organisa�on, mais avec réserve par Singapour, craignant que ce�e dernière soit affaiblie par la présence d’un pays encore pauvre et instable. Le Japon, qui fournit une aide précieuse au royaume khmer dans le déminage de son sol après plus de trente ans de guerre civile, devient l’un de ses principaux inves�sseurs étrangers.

Mais c’est surtout envers la Chine, dont le gouvernement cambodgien s’était éloigné au profit du Viêt-Nam à la suite du renversement de Pol Pot, qu’Hun Sen ini�e un nouveau rapprochement. Alors qu’une méfiance envers Pékin persiste pour Hanoï et Tokyo, inquiets des ambi�ons expansionnistes de leur voisin en mer de Chine, les raisons de Phnom Penh d’opérer ce revirement sont moins idéologiques qu’économiques et opportunistes. Observant la montée en puissance du géant asia�que sur la scène mondiale, Hun Sen tente d’y arrimer le pe�t royaume, espérant bénéficier de bons résultats économiques pour légi�mer son pouvoir. En Chine, l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013, porté par des ambi�ons interna�onales incarnées par les « nouvelles routes de la soie », accélère ce�e tendance. Un accord de libreéchange est signé entre les deux pays en 2020, année qui voit la signature du Partenariat économique régional global, un accord commercial comptant quinze pays d’Asie-Pacifique, dont le Cambodge, la Chine, ou encore l’Australie.

Un quart des importa�ons du Cambodge vient alors de Chine, ainsi que près des deux �ers des inves�ssements directs étrangers à des�na�on du royaume. Ces derniers se concré�sent par la construc�on d’autoroutes, de ponts, de stades, de logements, et d’infrastructures énergé�ques, dopant la croissance économique cambodgienne. Les condi�ons perme�ant à la Chine d’exploiter ces infrastructures sur une durée déterminée pour rembourser leur construc�on sont jugées avantageuses par le gouvernement cambodgien, car elles lui évitent accroître sa de�e publique es�mée à 10 milliards de dollars. Mais ce�e de�e, dont la moi�é est détenue par la Chine, démontre malgré tout sa dépendance économique devenue préoccupante envers Pékin.

Ainsi, le début des années 2020 est aussi marqué par des tenta�ves cambodgiennes d’ouvertures plus 12 - Revue TB N°6

larges, notamment vers l’Occident. Car même si la Chine est un fournisseur et un inves�sseur essen�el pour le royaume, ses principaux clients interna�onaux sont l’Amérique du Nord et l’Europe, où sont expédiées plus des deux �ers des exporta�ons cambodgiennes. En 2021, le gouvernement cambodgien signe un accord de libre-échange avec la Corée du Sud, pays le plus pro-occidental d’Asie du Sud-Est avec le Japon. L’année suivante, le Cambodge est l'un des rares pays de ce�e région à condamner l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et apporte à l’armée ukrainienne son expérience précieuse dans le déminage. Ce�e décision lui permet d’a�rer posi�vement l’a�en�on des États-Unis, sans prendre trop de risques vis-à-vis de la Chine, car restant en même temps l’un des principaux sou�ens étrangers à la « poli�que d'une seule Chine », unifiant la Chine con�nentale et Taïwan sous l’autorité de Pékin.

DES RESSOURCES ET PERSPECTIVES ÉCONOMIQUES PROMETTEUSES… Alors que le tex�le et l’agriculture génèrent chacun près d'un �ers de son Produit intérieur brut dans les années 2010, le Cambodge, en voie de stabilisa�on poli�que et sécuritaire, compte sur les inves�ssements étrangers pour diversifier son économie et doper sa

croissance. Le pays met en avant plusieurs avantages compé��fs comme la liberté d'entreprendre, des coûts de produc�on avantageux, et un marché intérieur prome�eur avec une popula�on jeune et en croissance, et l’émergence d’une classe moyenne.

Sur le plan énergé�que, le royaume se dote peu à peu d’infrastructures pour assurer son autonomie, et accroître son a�rac�vité économique. Au cœur de ce�e ambi�on, plusieurs barrages construits sur le Mékong dont le plus grand, par le groupe chinois China Huadian Corpora�on, est inauguré en 2015. Décriés pour leur impact environnemental, notamment la déforesta�on qu’ils entraînent, ces barrages visent à généraliser l’accès à l’électricité dans le pays, dont ne bénéficiait qu’un quart de la popula�on au début des années 2010. Mais l’exporta�on d’électricité est aussi envisagée, l’ancien Ministre cambodgien des Affaires étrangères Hor Namhong, ayant déclaré en 2007 espérer faire de son pays le « générateur de l’Asie du Sud-Est ». Plusieurs centrales à charbon sont également construites par des compagnies chinoises, américaines et japonaises, ainsi qu’une raffinerie en 2016, alors que le Cambodge extrait en décembre 2020 ses premières gou�es de pétrole dans le Golfe de Thaïlande.

Enfin, bénéficiant d’un patrimoine naturel et surtout culturel excep�onnel avec les temples d’Angkor, emblème na�onal figurant sur le drapeau du pays, celui-ci compte sur la hausse du tourisme pour

accroître l’ac�vité de son secteur ter�aire. En 2022, le gouvernement cambodgien annonce un plan de 150 millions de dollars pour relancer l’industrie touris�que après la pandémie de Covid-19.

…MAIS FREINÉES PAR UN GOUVERNEMENT AUTOCRATIQUE ET CORROMPU Mais le développement comme la réintégra�on interna�onale du Cambodge restent freinés par une corrup�on généralisée, le plaçant à la 150ème place du classement de Transparency Interna�onal, au même niveau que l’Afghanistan. Le pays occupe par ailleurs une place quasi-similaire au classement de Reporters sans fron�ères (147ème), ainsi qu’au classement de l’ONU des pays par IDH (147ème), démontrant une corréla�on tragique, mais évidente, entre autoritarisme, corrup�on et sousdéveloppement. Ainsi, le cas du Cambodge, illustre bien ce�e déclara�on de la journaliste Marion Van Renterghem : « Toutes les autocra�es sont des kleptocra�es, il n’y a pas d’exemple contraire ». Les deux convergent dans la confisca�on du pouvoir par une classe oligarchique au sein de laquelle le pouvoir poli�que et ses avantages passent par des rela�ons personnelles et des réseaux clientélistes, voire mafieux, contournant les ins�tu�ons formelles. Mais elle se manifeste aussi en bas de l’échelle, où à l’instar d’autres pays sous-développés, de nombreux fonc�onnaires sous-payés sont tentés de s’enrichir en �rant avantage de leurs fonc�ons. En plus de pénaliser lourdement l’économie et la popula�on, la corrup�on et les a�eintes des droits de l’homme sont le principal point bloquant à un rapprochement diploma�que du Cambodge avec l’Union européenne et les États-Unis.

L’arrivée au pouvoir d’Hun Manet, diplômé des Universités de New York et de Bristol, permet de rajeunir la classe dirigeante avec un nouveau chef d’État occidentalisé et n’ayant pas par�cipé, contrairement à ses prédécesseurs, aux guerres civiles qui ont dévasté le pays pendant la seconde moi�é du 20ème siècle. Mais alors que son premier déplacement à l’étranger après sa prise de fonc�on a été en Chine à la rencontre de Xi Jinping, il semble peu probable qu’à court terme, ce�e succession amorce un changement significa�f dans l’Histoire du royaume khmer.

NOTES (1) Le Cambodge est une monarchie cons�tu�onnelle dans laquelle l’ethnie « khmer » est majoritaire.

Temple cambodgien d’Angkor Wat ©unsplash

Revue TB N°6 - 13

GÉOPOLITIQUE

Viêt Nam Émergence d’un partenaire stratégique en Indo-Pacifique ?

Par Mar�n BROYER - Étudiant à l’ILERI

Rizières en terrasses au Vietnam. ©Pexel

« Comme le bambou, le Việt Nam a été contraint de se courber au XXe siècle. Mais les racines du Việt Nam sont si profondes qu’il ne s’est pas brisé, et aujourd’hui, dans ce nouveau siècle, il se �ent debout. » Shelton Woods.¹ État d’idéologie communiste, situé dans la péninsule indochinoise en Asie du Sud-Est, le Viêt Nam a proclamé son indépendance en 1954 à la suite des accords de Genève. Membre de l’Organisa�on des Na�ons Unies (ONU), de l’Associa�on des Na�ons de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), de la Coopéra�on économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) et de l’Organisa�on Mondiale du Commerce (OMC), le Viêt Nam s’est affirmé depuis les années 1990’s comme un acteur majeur de la région et prend de plus en plus d’importance sur la scène interna�onale.

14 - Revue TB N°6

L’espace Indo-Pacifique est à géométrie variable et vacille en fonc�on des intérêts de chacun dans la région. Dans la poli�que étrangère française, il désigne l’espace mari�me et territorial s’étendant de Djibou� à Hawaï, avec la Chine en son centre.

En revanche, l’Asie du Sud-Est et son cœur mari�me, la mer de Chine méridionale, focalisent l’a�en�on et en composent la « centralité stratégique ». L’espace Indo-Pacifique s’est imposé au cours de la dernière décennie comme un enjeu majeur des rela�ons interna�onales. Naturellement, nous pouvons nous demander : Dans quelles mesures, le Vietnam émergeil comme un partenaire stratégique de l’Indo-pacifique ?

Nous verrons dans un premier temps la place régionale du Viêt Nam. Puis, les spécificités de la

poli�que étrangère vietnamienne et sa place sur la scène interna�onale.

LE VIETNAM, UNE PUISSANCE RÉGIONALE ÉMERGENTE ?

La zone Indo-Pacifique, est aujourd’hui marquée par la montée en puissance de la Chine et l’aggrava�on de sa rivalité avec les États-Unis, ainsi que par un certain nombre de pressions démographiques, industrielles, urbaines et énergé�ques. L’Indo-Pacifique est également la région du monde la plus touchée par le réchauffement clima�que et la pollu�on, ainsi que par la montée du niveau des eaux (l’Indonésie prévoit notamment de relocaliser sa capitale Jakarta, menacée de dispari�on dans les années à venir). Dans ce contexte géopoli�que, le Viêt Nam fait face à trois menaces ou incer�tudes : celle d’une nouvelle Guerre froide avec des conflits hybrides, de la place par�culière de Taïwan dans la région et du conflit en lien avec les fron�ères en Mer de Chine méridionale (exemple : îles Paracels et Spratlys, voir carte cidessous). Malgré ce contexte régional instable, des espoirs subsistent quant à une coexistence pacifique et pacifiée entre la Chine et ses voisins.

Dans la conduite de son ac�on dans la région, le Viêt Nam s’illustre par la recherche constante d’une diploma�e de l’équilibre, qui se traduit par sa “poli�que des Quatre Non” : non aux alliances militaires, non à l’alignement avec un État contre un autre, non à l’installa�on de bases militaires étrangères sur le territoire vietnamien et non à la menace ou à l’usage de la force dans les rela�ons interna�onales. Ce�e poli�que marque la volonté du Viêt Nam de ne plus être dépendant d’une unique grande puissance, comme il l’a été vis-à-vis de l’URSS. Ainsi, le Viêt Nam a mul�plié et diversifié le nombre de ses partenaires diploma�ques, passant de 57 partenaires bilatéraux en 1986 à 169 au début des années 2000. Il a conclu des partenariats stratégiques avec l’ensemble des pays du Conseil de Sécurité des Na�ons Unies, ainsi que de nombreux États européens et voisins régionaux. Le pays a également rejoint l’ASEAN en 1995, la FED en 1998, l’OMC en 2007, ainsi que l’OIF, profitant par la même occasion d’un rapprochement avec un certain nombre d’États africains.

Le Viêt Nam a choisi l’ouverture depuis la fin des années 1980’s et cons�tue aujourd’hui une des économies les plus dynamiques de l’ASEAN. D’après France Diploma�e², il a plus que doublé son PIB en dix ans pour a�eindre en 2021, 3 152 USD/hab (classé au niveau des pays à revenu intermédiaire). Le pays génère désormais une classe moyenne de plus en plus aisée. Ce développement repose sur une économie tournée vers l’exporta�on, où la part des entreprises étrangères est essen�elle (Samsung représente 23% des exporta�ons vietnamiennes) avec de nombreuses opportunités pour les entreprises françaises. Il est le

premier exportateur de poivre et de noix de cajou, deuxième exportateur mondial de riz et de café. Le Viêt Nam, qui devrait se hisser d’ici un à deux ans au 3e rang des économies de l’ASEAN, passant devant la Malaisie et Singapour, fait preuve depuis plus de 30 ans d’une forte résilience économique, que la crise du COVID n’a que provisoirement et très par�ellement ébranlé en 2020 et 2021. Le pays enregistre des résultats économiques remarquables qui lui ont permis de rejoindre le groupe des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Il a également conclu de nombreux accords commerciaux bilatéraux (Japon, Corée du Sud, Royaume-Uni, …) ou régionaux (UE, CPTPP, RCEP…). Enfin, la croissance économique s’est accélérée au cours du 2e et 3e trimestre 2022, pour a�eindre 7,7% et 13,6% respec�vement en glissement annuel, soit ses meilleurs résultats depuis 2011. Au premier semestre 2022, le Viêt Nam affichait un taux de croissance de 6,4%, chiffre pra�quement similaire à celui a�eint au 1er semestre de 2019 (6,8%) alors que le pays n’avait pas encore été fortement touché par le Covid. Le rebond enregistré rapproche la croissance observée des prévisions. La croissance vietnamienne du PIB pour 2022 a ainsi été de 7,0%. De plus, le Viêt Nam est un partenaire privilégié de l’UE. L’accord commercial UE-Viêt Nam, est le plus ambi�eux que l’UE ait conclu avec un pays en développement. Il prévoit à terme l’élimina�on de la quasi-totalité des droits de douanes entre les deux par�es. Pour l’UE, l’accord représente une étape importante vers la sécurisa�on et la consolida�on de son partenariat en ma�ère de commerce et d’inves�ssement avec l’ASEAN. Il s’agit du second accord conclu avec un pays de l’ASEAN après l’accord UE-Singapour.

Marquée par trois décennies de conflit, la diploma�e vietnamienne change radicalement au tournant des années 1990’s. Orphelin stratégique après l'implosion de l'URSS, le pays devient un pivot en Asie du Sud-Est. En 1975, le Viêt Nam tout juste réunifié devait relever un défi colossal, celui de la reconstruc�on et de la paix après trois décennies de guerre. Mais, au lieu d'assurer l'unité na�onale par la réconcilia�on et la mobilisa�on de toutes les forces vives du pays, les vainqueurs imposèrent brutalement au Sud le modèle socialiste d'inspira�on sovié�que et maoïste qu'ils avaient bâ� dans la douleur au Nord, tandis que les agressions répétées des Khmers rouges allaient plonger la péninsule indochinoise dans une nouvelle guerre. Afin d’assurer la survie du régime, les dirigeants du Par� Communiste Vietnamien (PCV) décident dans les années 1980’s d’entamer une ouverture économique du pays et lancent la poli�que du Dôi moi. Ce�e libéralisa�on économique cons�tue l’étape fondamentale pour l’intégra�on régionale du Vietnam. En 1991, la poli�que étrangère du pays connaît un renouveau à travers le discours du VIIe congrès du Par� Communiste qui révèle explicitement la volonté de Hanoï d’être « ami de tous les pays de la Revue TB N°6 - 15

communauté interna�onale, dans la lu�e pour la paix, l’indépendance et le développement ». Ainsi, les années 1990’s marquent la réinser�on interna�onale du Vietnam, à travers la normalisa�on de ses rela�ons avec les États-Unis, la Chine, ou encore par son intégra�on à diverses organisa�ons mul�latérales comme l’ASEAN en 1995.

LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE VIETNAMIENNE : LA DIPLOMATIE DU BABOU RÉVÈLE UNE MAÎTRISE DE L’ART DIPLOMATIQUE L’originalité de la poli�que étrangère vietnamienne est marquée par un héritage historique, économique et géographique bien par�culier. Géographiquement, l’ordre des priorités dans les rela�ons diploma�ques vietnamiennes peuvent être caractérisées par des cercles concentriques, le premier regroupant ses voisins immédiats (Chine, Laos, Cambodge), le deuxième les membres de l’ASEAN, le troisième les membres de l’APEC (comme les États-Unis) et enfin le quatrième cercle l’Union Européenne et autres pays du monde. L’héritage du passé influence également la poli�que étrangère vietnamienne qui se caractérise aussi par une « propension à privilégier les par�s frères en raison de liens historiques ». Au Viêt Nam, les orienta�ons de la poli�que étrangère sont les suivantes : indépendance, rela�ons amicales avec tous et diversifica�on des partenariats bilatéraux, défense du mul�latéralisme, enfin, rôle construc�f au sein de l’ASEAN. Le renouveau de la poli�que étrangère du Vietnam, lui permet au cours de ces dernières années de devenir un acteur de premier plan sur la scène interna�onale. Hanoï est très impliqué dans les dialogues et forums mul�latéraux. Ainsi, le Vietnam a assuré la présidence de l’ASEAN en 2010 et 2020 et a été élu deux fois comme membre non permanent du Conseil de sécurité des Na�ons Unies. Un des enjeux majeurs de la poli�que étrangère vietnamienne aujourd’hui est la façon de faire face à la puissance chinoise.

« Hanoï tente donc de poursuivre son rapprochement avec les États-Unis, indispensable à son économie mondialisée, tout en ménageant la Chine, qui est pour lui à la fois un modèle politique et un voisin menaçant. » 16 - Revue TB N°6

Par ses liens historiques et culturels étroits avec la Chine, l’approche du Vietnam est marquée par une certaine ambivalence. En effet, si la Chine apparaît comme une véritable menace poten�elle, dû à ses volontés expansionnistes comme en Mer de Chine méridionale, elle demeure un partenaire primordial pour Hanoï, leurs économies étant très liées. Afin d’assurer sa pérennité, Hanoï pourrait se rallier et s’aligner militairement à la Chine, toutefois ce�e stratégie lui coûterait son autonomie et indépendance vis-à-vis de ce�e grande puissance, ce que cherche à éviter Hanoï dans sa poli�que étrangère. Le Viêt Nam ne souhaite pas non plus être confronté ouvertement et de façon ferme à la Chine, au risque de s’a�rer des représailles. Ainsi, la stratégie la plus ra�onnelle pour Hanoï est plutôt celle du hedging. Ce�e stratégie flexible consiste à favoriser la socialisa�on de la Chine à travers le pragma�sme économique et des accords bilatéraux sur le commerce, augmentant l’interdépendance entre les pays et réduisant ainsi le risque qu’un conflit éclate, mais aussi par la mul�latéralisa�on de la Chine en favorisant le dialogue à travers divers forums et ins�tu�ons mul�latérales.

Elle comprend aussi le hard balancing comme l’illustre la modernisa�on des ressources militaires d’Hanoï, et le so� balancing, qui correspond aux alliances entre Hanoï et ses partenaires stratégiques comme les ÉtatsUnis, le Japon, la Russie ou encore l’Inde, qui perme�raient de contrebalancer la Chine. Ce�e stratégie est donc possible grâce aux changements dans la poli�que étrangère vietnamienne des années 1990’s, qui lui ont permis de ne pas se retrouver isolé aujourd’hui face à la puissance chinoise. Par ailleurs, il est intéressant de se demander si la mul�plica�on d’ins�tu�ons mul�latérales entraînant une coopéra�on accrue entre les pays, encouragée par Hanoï, ainsi que sa stratégie du hedging perme�ront réellement d’éviter dans un futur proche l’éclatement d’un conflit direct avec la Chine.

Hanoï tente donc de poursuivre son rapprochement avec les États-Unis, indispensable à son économie mondialisée, tout en ménageant la Chine, qui est pour lui à la fois un modèle poli�que et un voisin menaçant.

Un exercice qui exige de marier rigidité doctrinale et souplesse stratégique. Le style de "diploma�e du bambou" du Viêt Nam reflète la cohésion du pays avec la communauté interna�onale.

L’art de la "diploma�e du bambou" est celui qui porte les caractères du bambou vietnamien doté de racines solides, de troncs robustes et de �ges souples au gré du vent. Ce�e comparaison faite par le secrétaire général Nguyên Phu Trong reflète fidèlement l’approche du Viêt Nam sur les affaires étrangères, qui consiste à �rer le meilleur par� des opportunités et des rela�ons diploma�ques existantes pour promouvoir les intérêts du peuple vietnamien. La "diploma�e du bambou" doit servir l'objec�f d'assurer les intérêts de la na�on en toutes circonstances et à tout moment. La promo�on de la "diploma�e du

bambou" montre la confiance du Viêt Nam dans les affaires extérieures et cons�tue une ligne directrice pour les diplomates et ceux travaillant dans la diploma�e.

Le plus récent acquis de la "diploma�e du bambou" se reflète clairement dans les résultats obtenus de la "diploma�e vaccinale" dans la lu�e contre la pandémie de COVID-19, ou dans la conduite face à l'instabilité et à la concurrence féroce entre les grandes puissances de la région et du monde. Jusqu’à présent, les acquis de la "diploma�e du bambou" contribuent au main�en de l'indépendance, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale, crée un environnement pacifique et favorable au développement du pays ; et prend part de manière ac�ve et responsable à la

garan�e de la sécurité, de la paix et du développement dans la région et dans le monde.

Plus récemment, la visite du Président Biden à Hanoï à l'occasion du 10e anniversaire de l’établissement du partenariat stratégique entre les deux pays. Il s’agissait également d’une con�nua�on des tradi�ons de près de 30 ans des rela�ons diploma�ques entre le Viêt Nam et les États-Unis. Ce�e visite d’Etat a marqué une nouvelle étape dans les rela�ons entre les deux pays et fait écho aux aspira�ons des deux peuples à un avenir brillant et dynamique, contribuant au main�en de la paix, de la stabilité, de la coopéra�on et du développement dans la région et dans le monde.

D’après le vice-ministre vietnamien des Affaires étrangères, Hà Kim Ngoc,³ “l'établissement d'un

Revendica�on en Mer de Chine du Sud - Didier Ortolland, Jean Pierre Pirat, Atlas géopoli�que des espaces mari�mes, Paris, Technip, 2010

Revue TB N°6 - 17

partenariat stratégique intégral avec les États-Unis revêt des significa�ons au-delà du cadre des rela�ons bilatérales. [...] Pour la première fois, le Viêt Nam entre�ent des rela�ons au niveau du partenariat stratégique avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Na�ons unies (la Chine, la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France), créant ainsi un cadre de rela�ons stables et à long terme avec des partenaires importants et contribuant au renforcement de la posi�on du pays. [...] Les récentes ac�vités diploma�ques, y compris l'établissement d'un partenariat stratégique intégral avec les États-Unis, ont encore une fois affirmé la justesse et cons�tuent un résultat important et remarquable de la poli�que extérieure d'indépendance, d'autonomie, de paix, d'ami�é, de diversifica�on, de mul�latéralisa�on, de paix, de coopéra�on et de développement, et la poli�que de défense des "quatre non" du Viêt Nam.”

« Jusqu’à présent, les acquis de la "diplomatie du bambou" contribuent au maintien de l'indépendance, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale. » Au vu du contexte stratégique actuel et surtout de la puissance mari�me chinoise (voir tableau ci-dessus), le Viêt Nam accentue ses efforts en ma�ère d’armements. D’après des analystes militaires, le Viêt Nam a désespérément besoin d’une nouvelle généra�on d’avions de combat et d’autres armements, et les informa�ons récentes indiquent que le pays pourrait s’approvisionner auprès de la Russie et des États-Unis, bien qu’aucun détail ne puisse être confirmé. Reuters a rapporté que l’administra�on Biden est en pourparlers avec le Viêt Nam sur un accord pour le plus grand transfert d’armement entre les deux pays, dont des avions de combat de type F-16.

Le rapport indique que l’accord en est encore à ses débuts et pourrait ne pas abou�r.⁴

EN CONCLUSION Évoluant dans un environnement épineux, la République socialiste du Viêt Nam émerge en la qualité d’un partenaire stratégique de l’Indo-Pacifique de par son statut clé dans la région et sur la scène interna�onale. Avec une poli�que extérieure prônant notamment l’autonomie, l’indépendance, la paix, la coopéra�on et le mul�latéralisme, le Viêt Nam affirme sa posi�on dans la région et sur l’échiquier mondial.

D’un pays qualifié de sous-développé et ravagé par la guerre à la fin du XXè siècle, le dragon asia�que figure 18 - Revue TB N°6

désormais dans les pays avec la plus forte croissance économique du monde, et est devenu l’une des économies émergentes les plus abou�es. Le Viêt Nam est hautement envié pour son art diploma�que (dit “l’art du bambou”), et est considéré comme un exemple des pays en développement, soutenant le mul�latéralisme, s’intégrant ac�vement dans l’économie interna�onale.

NOTES (1) S. Woods, “VIỆT NAM IN THE TWENTY-FIRST CENTURY”, Educa�on About Asia, 2018, p.47 (2) “Présenta�on du Vietnam“, France Diploma�e, 14/03/2023 (3) VNA/CVN, “La visite d'État du président américain au Vietnam est un grand succès”, Le Courrier du Vietnam, 14/09/2023 (4) VOA, “Vietnam Reportedly Seeking Military Aid From Both Moscow and Washington”, VOA News, 25/09/2023

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ÉCONOMIE

Géostratégie l’or rouge Les enjeux cachés de l'huile de palme Par E�enne LOMBARDOT

Huile de palme, extraite de la pulpe des fruits du palmier à huile. ©Agro expert.

Pour Frances Seymour, Chercheuse au World Resource Ins�tute (WRI) : « L'huile de palme est devenue un symbole des dilemmes complexes de notre système alimentaire mondial. Sa produc�on a des effets considérables sur les forêts, la faune et les popula�ons autochtones, tout en étant essen�elle pour les économies locales. » Comme le pétrole ou les terres rares, l’huile de palme joue un rôle clé dans le développement économique des pays producteurs et est essen�elle dans de nombreuses industries. Mais elle aurait des conséquences environnementales catastrophiques.

En 30 ans, la produc�on d’huile de palme a été mul�pliée par 2,4. La demande exponen�elle de l’huile de palme s’explique par une très forte hausse de la demande alimentaire et industrielle pour ce�e huile.

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Les fruits du palmier à huile perme�ent d’extraire de l’huile. La chaire du fruit donne de l’huile de palme, les grains de l’huile de palmiste. Les palmiers à huile poussent en zone intertropicale. Les fruits des palmiers à huile sont récoltés deux fois dans l’année. Ceci leur permet d’avoir des rendements très ne�ement supérieurs à d’autres huiles végétales : environ 4 tonnes d’huile par hectare contre 0,4 pour le soja ou 0,6 pour le tournesol. Ce�e différence permet à l’huile de palme d’être moins chère que les autres huiles végétales sur le marché.

Riche en acides gras saturés, elle offre des applica�ons directes dans les industries agroalimentaires, cosmé�ques, pharmaceu�ques et de bio-carburants. En Europe, la demande est très forte pour fabriquer des carburants de synthèses : près

de 34 % des importa�ons sont u�lisées dans l’industrie pétrochimique. Ce chiffre grimpe à 70 % en France.

A l’image du pétrole, l’huile de palme semble aujourd’hui être une clé de voûte du système économique. Des secteurs économiques en�ers dépendent de ce�e huile pour produire des biens et créer de la valeur. Pourtant, les palmiers à huile ne peuvent être cul�vés que sous des climats très spécifiques. Ils poussent principalement dans zones intertropicales caractérisées par des températures et un taux d’humidité élevés. Ces contraintes agronomiques font que L’Indonésie et la Malaisie concentrent à elles seules 89 % de la produc�on mondiale d’huile de palme.

Dans des régions ou les surfaces agricoles sont limitées, la culture d’huile de palme entre en conflit direct avec la préserva�on des forêts tropicales. La planta�on de palmier à huile serait en effet responsable de 2,3 % de la déforesta�on mondiale.

L’huile de palme représenterait toutefois 12% de la déforesta�on importée (contre 24 % et 34 % pour le soja et les tourteaux de soja). La ques�on de la déforesta�on fait l’objet d’une véritable guerre d’informa�on en Occident : les consommateurs pointent souvent du doigt l’impact environnemental de l’huile de palme, sans se douter de l’essen�alité de ce�e huile dans les procédés industriels.

Les pays Indo-pacifiques producteurs d’huile de palme sont donc confrontés à un dilemme entre les perspec�ves économiques et stratégiques de ce�e huile et ses impacts environnementaux. C’est un véritable dilemme pour des pays en quête de prospérité économique et d’influence géopoli�que.

pacifique fait croître de manière considérable la demande d’huile de palme. En effet, les habitants de ces régions ont un lien culturel très fort avec l’huile de palme. Elle est un ingrédient de base de leur alimenta�on. Au niveau mondial, 80 % de l’huile de palme est des�née à l’alimenta�on. Ainsi, les plus gros débouchés pour les marchés de l’huile de palme sont l’Inde avec 16 % de la consomma�on mondiale, l’Indonésie avec 14 %, la Chine avec 9 %. L’Europe arrive en 3ème posi�on avec 11% de la consomma�on mondiale d’huile de palme.

Les palmiers à huile ne poussent que dans des zones intertropicales. De fait, la majorité des planta�ons ont été réalisées dans les pays proches des la�tudes de l’Indonésie et de la Malaise. La demande mondiale croissante pour l’huile de palme a mécaniquement mis ces deux pays sur le devant de la scène. Aujourd’hui, le commerce d’huile de palme représente 7 % du PIB indonésien. La forte spécialisa�on et la croissance du secteur de l’huile de palme a �ré la croissance de ces pays à la hausse. Aujourd’hui, ce sont 50 millions de personnes qui dépendent directement ou indirectement de la produc�on d’huile de palme, dont 5 millions de pe�ts producteurs. Les planta�ons de palmiers à huile restent fortement ar�sanales. Les grands groupes agroalimentaires s’occupent de

L’HUILE DE PALME, UNE RESSOURCE VITALE AU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE MONDIAL A la confluence des tous les échanges mondiaux, l’huile de palme joue un rôle clé dans le commerce mondial. La Malaisie et l’Indonésie produisent 89 % de l’huile de palme mondiale, soit respec�vement 42,3 Mt (58 %) sur 22,6 Mt (31 %) sur les 73 Mt produites à l’échelle mondiale. A �tre de comparaison, 20 Mt d’huile de tournesol et 50 Mt d’huile de soja sont produites chaque année. Aujourd’hui, l’huile de palme est la première huile mondialement produite. Elle représente 35 % des parts de marché mondiales des huiles végétales, mais seulement 7 % des surfaces mondiales d’oléagineux. En trente ans, la très forte croissance connue par le secteur de l’huile de palme a reba�u les cartes (+3% de croissance moyenne annuelle). Ce�e très forte croissance s’explique de deux manières. D’abord, l’industrie u�lise de plus en plus d’huile de palme pour ses propriétés physicochimiques et son faible coût. Ensuite, la forte croissance démographique en Asie et en Indo-

Frances Seymour, recevant la médaille de l’Ordre du Mérite Agricole au grade d’officier en Avril 2014.

Revue TB N°6 - 21

collecter les fruits chez les producteurs, pour en faire de l’huile et l’exporter. Ainsi, beaucoup de personnes sont extrêmement dépendantes de la vola�lité des prix sur le marché. L’essen�el de la valeur ajoutée est souvent capté dans les grandes firmes agroalimentaires, ce qui contraint le développement économique des régions productrices d’huile de palme.

L’HUILE DE PALME AU CŒUR D’UNE CONTROVERSE ENVIRONNEMENTALE L’augmenta�on de la demande mondiale de produc�on d’huile de palme a placé l’Indonésie et la Malaisie au cœur des flux de la mondialisa�on. Mais l’industrialisa�on de la produc�on d’huile de palme a changé la nature de la produc�on. Pour répondre à la demande toujours plus grande, la Malaisie et l’Indonésie ont détruit une par�e de leurs forêts pour les conver�r en planta�on de palmier à huile. Les taux de couverture fores�ère ont été réduits par 2 depuis 1950. L’Indonésie, qui était recouverte à 88 % de forêts en 1950, n’en compte aujourd’hui plus que 40 %.

L’huile de palme serait à l’origine de 40 % de la déforesta�on Malaisienne et 15 % de la déforesta�on Indonésienne. La déforesta�on est une catastrophe environnementale car des forêts vierges avec une véritable richesse en ma�ère de biodiversité sont détruites.

L’Union européenne s’est outragée de la déforesta�on des forêts subtropicales liée à la culture de l’huile de palme, tout comme elle s’insurge de la déforesta�on en Amérique du Sud. En 2019, la Commission européenne a souhaité me�re fin à des importa�ons d’huile de palme à l’origine de la déforesta�on.

Depuis décembre 2020, les importa�ons d’huile de palme sont interdites dans l’espace membre si elles proviennent de terres déboisées. Ce�e poli�que a aussi touché le cacao, le café, le soja, la viande bovine et le charbon de bois.

L’Indonésie et la Malaisie se sont insurgées contre ces mesures unilatérales de la Commission européenne.

Ces pays lui reprochent de vouloir me�re en place des réglementa�ons et de contrôler les importa�ons sans donner aux producteurs les ou�ls opéra�onnels pour cer�fier leur huile de palme. En effet, l’huile de palme est majoritairement produite par des pe�ts producteurs qui n’ont ni les moyens de se priver des revenus de l’huile de palme issue de la déforesta�on, ni les moyens de me�re en place un contrôle strict de la qualité ou de l’origine de leur produc�on. L’huile de palme produite est souvent le résultat d’une mise en commun de récoltes issues de terres déboisées et non déboisées. Il est donc très difficile de s’y retrouver et de remonter au producteur. Pour l’instant, il est très peu probable que les mesures voulues par l’Union européenne puissent être appliquées dans ces pays. Et 22 - Revue TB N°6

si tant est qu’elles le puissent, un système de commercialisa�on à double niveau de me�rait probablement en place : l’Union européenne achèterait de l’huile de palme très chère qui proviendrait de terre non déboisée. La Chine, l’Inde et d’autres pays en développement con�nueraient d’acheter à bon prix de l’huile de palme provenant de terres déboisées. La déforesta�on ne serait donc pas stoppée, seuls les flux seraient réorientés. La poli�que de l’Union européenne, dans un cas ou dans l’autre, est donc vouée à l’échec.

Dans l’Union européenne, 34 % de l’huile de palme importée est des�née à produire des agrocarburants.

La commission européenne a donc essayé de traiter le problème de l’huile de palme en réglementant les agrocarburants. La France, sous l’impulsion de l’UE, a notamment réduit les subven�ons accordées à l’huile de palme en 2020 : les produits à base d’huile de palme ne seront plus considérés comme des biocarburants à compter du 1er janvier 2026. Par ailleurs, les réglementa�ons (RED II - Renewable Energy Direc�ve II) cherchent à réduire l’impact carbone des agrocarburants pour viser la neutralité carbone d’ici 2030. Sans considérer les enjeux liés à la déforesta�on, ces régula�ons sur l’empreinte carbone des agrocarburants pourraient cons�tuer une entrave aux importa�ons d’huile de palme en Europe. En effet, l’huile de palme a une empreinte carbone 3,73 kg eq.CO2 émis par litre d’huile contre 2,94 kg eq.CO2 à l’huile de tournesol 2,47 kg eq.CO pour l’huile de colza.

Seule l’huile de soja émet davantage de CO2 avec en moyenne 4,47 kg eq.CO2 par litre d’huile.

L’HUILE DE PALME, ÉPICENTRE D’UN AFFRONTEMENT INFORMATIONNEL Une véritable guerre informa�onnelle et commerciale se joue au niveau de l’huile de palme.

L’huile de palme est en concurrence directe avec l’huile de soja et l’huile de tournesol. La controverse environnementale autour de l’huile de palme a principalement été alimentée par les lobbys du soja Américains et Sud-Américains. En effet, les producteurs de soja voient en l’huile de palme un concurrent face auquel ils ne peuvent pas rivaliser.

L’huile de palme offre des rendements 7 à 10 fois plus importants à l’hectare que l’huile de soja ou l’huile de tournesol. L’huile de palme permet deux récoltes annuelles et ne nécessite pas d’entre�en agricole par�culier : il n’est pas nécessaire fer�liser les sols pour faire pousser les palmiers à huiles. L’avantage économique de l’huile de palme sur l’huile de soja ou l’huile de tournesol est très fort. C’est notamment pour ce�e raison que l’huile de palme a connu une très forte croissance ces dernières années.

Les lobbys américains ont essayé d’arrêter ce�e dynamique en menant des campagnes d’informa�ons

sur les conséquences désastreuses de l’huile de palme.

Mais ce�e guerre informa�onnelle n’a principalement trouvé d’écho qu’en Europe. C’est d’ailleurs à ce sujet que l’Union européenne a adopté des réglementa�ons visant à contrôler l’huile de palme. Toutefois, si nous devions subs�tuer l’huile de palme par de l’huile de soja, il faudrait bien plus de surface à cul�ver et le coût serait plus important. Il faudrait aussi épandre davantage de fer�lisant. Pour une produc�on de quan�té équivalente d’huile, l’huile de palme a un impact plus faible sur la biodiversité que l’huile de soja. Mais choisir entre l’huile de palme ou l’huile de soja, revient quand même à choisir de déforester l’Indo-pacifique ou l’Amazonie. Autant dire que ce dilemme n’a pas de réponse. La déforesta�on ne pourra prendre fin que si la consomma�on d’huile se stabilise, ce qui est très loin d’être le cas. Le secteur de l’huile de palme devrait connaître une augmenta�on annuelle de la produc�on de 2,5 Mt au cours de prochaines années.

Même si l’huile de palme a perdu la guerre informa�onnelle, elle est en passe de gagner la guerre économique qu’elle livre à l’huile de soja. L’huile de palme prend une place de plus en plus importante dans de nombreux secteurs industriels : l’agroalimentaire, les cosmé�ques, la pharmacie, les agrocarburants. Le quasi-monopole de l’Indonésie et de la Malaisie pourrait rendre de nombreux pays stratégiquement dépendants de leur produc�on d’huile de palme. Si l’Indonésie et la Malaisie parviennent à maîtriser l’ensemble des chaînes de valeurs industrielles ra�achées à la produc�on d’huile de palme, ces deux pays pourraient me�re la main sur

de nombreuses filières très stratégiques. La Malaisie et l’Indonésie pourraient faire la même chose que la Chine a fait avec les terres rares. D’ailleurs, l’Indonésie et la Malaisie commencent à me�re en place des régula�ons sur les exporta�ons d’huile de palme afin de trouver un point d’entrée sur l’accaparement des chaînes de valeurs de l’huile de palme. L’huile de palme pourrait devenir le pétrole de XXIème siècle à tous les sens du terme. L’Indonésie et la Malaisie auraient un rôle de premier plan à jouer sur la scène interna�onale.

BIBLIOGRAPHIE Huile de palme, Stratégie na�onale de lu�e contre la déforesta�on importée, Ministère de la transi�on écologique et de la cohésion des territoires, consulta�on août 2023 Palmier à huile : état des lieux sur la déforesta�on et les standards de durabilité, CIrad, Cécile BESSOU Alain RIVAL, Décembre 2020 Rendement et huile de palme, Vivre sans huile de palme, consulta�on août 2023 Palme : une huile qui fait tache, Film de Emilie LANCON, Comité Français pour la Solidarité Interna�onale, 2015 Huile végétale plus durable : équilibrer la produc�vité avec les opportunités de stockage du carbone, Thomas D. Alcock, 10 juillet 2022 PLF POUR 2020 - (N° 2272), Assemblée na�onale, 9 décembre 2019

Campagne de sensibilisa�on sur l’huile de palme. ©ForFreeChoice Ins�tute.

ÉCONOMIE GÉOPOLITIQUE

La puissance commerciale chinoise Un outil de hard power ?

Par l’Ins�tut Johann LEMPEREUR Talleyrand - Sécurité & Défense, stagiaire à l’ambassade de France du Nigéria

Zhen Hua 33 à Stockholm en Mars 2020. ©Arild Vågen.

Depuis son admission en 2001 à l’Organisa�on mondiale du commerce (OMC) ayant succédé à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), la Chine a mul�plié sa présence dans les échanges commerciaux en passant de 9 % à 13 % d’exporta�ons mondiale¹. À l’aide de sa place au sein de ce�e organisa�on interna�onale, l’Empire du Milieu cherche à donner aux « na�ons émergentes » une place au centre du marché interna�onal. Membre des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), le pays a lancé plusieurs ini�a�ves économiques telles que la créa�on en 2013 d’une banque de développement parallèle au Fonds monétaire interna�onal (FMI) et à la Banque mondiale dédiée aux BRICS, la Nouvelle banque de développement, ou encore d’une banque réservée au 24 - Revue TB N°6

développement d’infrastructures asia�ques (Banque asia�que d’inves�ssement dans les infrastructures [BAII]). Éminente puissance commerciale, la Chine est aujourd’hui considérée comme un partenaire indispensable pour beaucoup de pays. Dans ce contexte de coopéra�on bipar�te, le gouvernement chinois a annoncé me�re en place un projet pharaonique de réseau et d’infrastructure global in�tulé les Nouvelles routes de la Soie (BRI), selon l’expression chinoise Yidai Yilu (一带一路). Annoncé pour la première fois en 2013 au Kazakhstan, il est confirmé par le gouvernement le 27 octobre 2017 lors du XIXe Congrès du Par� communiste chinois (PCC) qui inscrit l’ini�a�ve de la BRI dans les Statuts du PCC.

LA CHINE, PUISSANCE MARITIME EN TOUS POINTS Dans son objec�f d’instaurer et de sécuriser son gigantesque projet, la Chine a dû me�re sur pied d’incroyables armadas militaire et civile. La première, visant à protéger les intérêts chinois à l’interna�onal, a su être construite en un temps record. Si elle n’était durant la décennie 1980 que la quatrième flo�e en termes d’effec�f, elle cherche à rivaliser aujourd’hui avec les États-Unis pour la première place. De plus, alors composée de vieux modèles obsolètes n’ayant pas été en capacités de perme�e l’invasion de l’île de Formose trente ans plus tôt, La marine chinoise (Zhongguo Renmin Jiefangjun) d’aujourd’hui bénéficie d’années de R&D et d’espionnage industriel.

Le terme de « flo�e marchande » quant à lui est un terme désignant tous « navires marchands de plus de cent tonnes jauge brute (GT) immatriculés à une date donnée dans un pays »². Ainsi, là où la France possédait 186 navires de transports au tonnage dépassant les 100 UMS au début de l’année 2020, la Chine en possédait plus de quatre mille ! Ce�e disparité entre la Chine et la norme mondiale fait que sa flo�e marchande a gagné le surnom informel de « quatrième marine »³ aux côtés de l’Armée de Mer, des garde-côtes et de la milice navale qui portent respec�vement les �tres de première, seconde et troisième marine. Or, il apparaît très vite que la flo�e

commerciale et la flo�e militaire sont fortement liées dans la logique chinoise.

ÉVACUATION DE LA LIBYE, UNE MISSION CONJOINTE Une première expérience de mobilisa�on de bâ�ments civils dans un but militaire pour la Chine a été l’épisode de l’évacua�on de la Libye. En proie à une instabilité croissante à cause de la guerre civile, le pays d’Afrique du Nord n’était plus sûr pour les ressor�ssants chinois. Alors, le 22 février 2011, le Premier ministre chinois Wen Jiabao lance leur évacua�on. En douze jours, plus de 35 000 chinois et étrangers sont ainsi évacués. Lors de ce�e opéra�on, à l’image de l’évacua�on des troupes de Dunkerque par l’armée anglaise, tous les domaines de la société, y compris la société civile, ont été mobilisés pour mener à bien ce�e évacua�on.

Les citoyens ont d’abord été emmenés vers l’ambassade de Chine en Égypte dans la ville de Salim par la route terrestre grâce aux cent bus mobilisés.

L’Autorité chinoise de l’avia�on civile (CAAC) a alors organisé son premier vol le 23 février de Tripoli en direc�on de l’Égypte, de la Grèce, de Malte, de la Tunisie, de la Jordanie, du Soudan et de la Turquie pour évacuer les civils chinois. Le premier mars, la

CAAC organisait près de vingt vols par jour grâce au concours de l’Air China, de la China Southern, de la China Eastern Airline, de l’Hainan Airlines, ainsi que grâce aux quatre avions-cargos déployés par l’Armée Populaire de Libéra�on (APL). Enfin, l’évacua�on par la mer a permis d’évacuer 2 000 personnes vers la Grèce avec l’aide de sept cargos mis à la disposi�on de la Chine, ainsi que des paquebots de la China Ocean Shipping Group et de la China Shipping Group. Tous ces navires naviguaient alors sous la protec�on du Xuzhou, une frégate de classe Jiangkai II déplacée pour l’occasion du Golfe d’Aden⁴.

UNE UTILITÉ MILITAIRE POUR LES NAVIRES DE TRANSPORT DE MARCHANDISE ?

Si ils contribuent à renforcer la puissance économique du pays en temps de paix, les porteconteneurs peuvent aussi être u�lisés par le gouvernement en appui aux interven�ons militaires.

Ce fut notamment le cas lors de l’opéra�on contre la piraterie dans le golfe d’Aden en 2008 où les navires commerciaux ont été u�lisés pour pallier le manque logis�que des forces armées. Ainsi, en 2014, la frégate militaire Pu�an FFG-523 a pu être ravitaillée en mer par le pétrolier civil Hua Chuan de la compagnie China Shipping Group.

Les porte-conteneurs ne sont pas les seuls types de navires à intéresser l’État-major chinois. Les navires rouliers, c’est-à-dire les navires munis d’une ou plusieurs rampes d’accès perme�ant ainsi le transport de véhicules (notamment des voitures), a�rent par�culièrement l’a�en�on des forces militaires qui pourraient les u�liser lors d’une interven�on amphibie. À l’image de la doctrine de l’US Navy, la flo�e marchande doit pouvoir être u�lisée en temps de guerre en supplémentarité aux forces navales et aéroportées⁵. Selon la Joint Force Mari�me Component Command (JFMCC), les navires civils peuvent jouer un rôle militaire (comme le dragage de mines) en cas de conflit de haute intensité, à condi�on que celui-ci soit « mis en service comme un navire américain et que le capitaine soit remplacé par un officier naval en mission ». Ainsi, « la menace posée à la marine marchande et par la marine marchande » est très bien prise en compte par les autorités américaines car elle peut à la fois « être le protagoniste ou la cible »⁶.

Toujours pour ce type d’opéra�ons, les navires semisubmersibles pourraient de même s’avérer très u�les.

Dans ce�e op�que, le navire civil Zhen Hua 33 de l’entreprise ZOMC a été conçu en 2017 pour pouvoir être conver� en navire militaire si besoin, en témoigne son inaugura�on où les représentants de l’APL étaient présents. Selon certaines es�ma�ons, huit à douze divisions pourraient être transportées aujourd’hui 26 - Revue TB N°6

grâce à la flo�e marchande dans le cadre d’une invasion de Taïwan⁷. Ainsi, la flo�e civile chinoise possède toutes les capacités pour se militariser en cas de conflit, même si la principale force armée sur mer restera toujours l’Armée de Mer.

UNE LÉGISLATION À L’ALLURE BELLICISTE C’est en 2015 que, afin de poursuivre ce paradigme de conver�bilité des items civils en temps de conflit, le gouvernement chinois passe plusieurs lois civilomilitaire favorisant la coopéra�on des deux milieux en mer. Parmi elles, le gouvernement instaure par exemple un service stratégique de sou�en logis�que nommé « Force de sou�en logis�que interarmées » (FSLI) qui a pour mission de s’occuper du ravitaillement des commandements sur tous les théâtres possibles.

Pour aider ce�e nouvelle force, le gouvernement a dans le même temps passé une loi pouvant obliger n’importe quel armateur chinois à soutenir l’effort de guerre si besoin. En parallèle, de nouvelles normes en termes de construc�on navale sont appliquées, perme�ant la possible conversion des nouveaux navires civils (type porte-conteneurs, pétroliers, cargos…) en navires pouvant effectuer des tâches

une alterna�ve au port de Karachi en cas et de blocus et de conflit entre le Pakistan et l’Inde⁹, comme ce fut le cas lors de l’opéra�on Trident en 1971 par la marine indienne¹⁰.

Visant à améliorer les échanges commerciaux mari�mes, ce�e mosaïque d’infrastructures permet d’ancrer la présence chinoise dans tout l’océan Indien.

Pour les Américains et pour l’Inde, ce�e stratégie a un autre but, un but plus géostratégique, qui est d’encercler le Sous-Con�nent indien en cas de conflit.

La théorie du « collier de Perle » explique que la Chine s’est installée dans l’Indo-pacifique par le biais de ses infrastructures chez ses pays alliés où les perles représentent les sphères d’influences. Situé à quelques 240 miles marins du détroit stratégique d’Hormuz, Gwadar est stratégique puisqu’il permet de contourner le détroit de Malacca en passant par le Pakistan et contribue à entourer l’Inde par son ouest.

Si ce�e stratégie semble n’avoir pour but d’uniquement aider les intérêts économiques chinois, les alliés asia�ques des États-Unis comme le Japon et l’Inde se sentent oppressés par ce�e expansion¹¹.

LE « DILEMME DE MALACCA »

Ville portuaire de Gwadar dans le sud-ouest du Pakistan. ©Ge�y Images

militaires aux côtés de bâ�ments de guerre, et notamment des missions de transport de troupes, de véhicules et de matériel. Depuis, des exercices mêlant civils et militaires ont lieu. La FSLI semble populariser la coopéra�on entre les deux domaines afin de favoriser l’efficacité logis�que de l’APL.

LE RÉSEAU DE PORTS STRATÉGIQUES : GWADAR ET LA THÉORIE DU « COLLIER DE PERLES » Outre la concep�on d’une flo�e civile facilement militarisable, la Chine a mis sur pied tout un réseau de ports commerciaux inter-reliés. Mais outre l’importance numérique des ports sur le sol chinois, les yeux des observateurs étrangers sont surtout rivés sur ceux installés à l’étranger, et notamment sur le projet portuaire de Gwadar au Pakistan ainsi que le corridor reliant celui-ci à la Chine. Gwadar, qui signifie « porte du vent » en baloutche, est un port situé sur une pe�te péninsule donnant sur la mer d’Arabie et situé dans une région aride⁸. Cet ancien pe�t port de pêche est situé à 725 kilomètres de la plus grande ville du pays : la capitale économique Karachi. Cet ensemble portuaire, dont la construc�on a commencé en 2001 et s’est achevée en 2007, avait pour but de proposer

La sécurité du détroit de Malacca, point de passage obligé pour le trafic mari�me chinois, est nécessaire pour le bon développement du pays. Or, les menaces pesant sur le détroit sont très nombreuses. Le discours de Hu Jintao sur le « dilemme de Malacca » en 2003 évoque la nécessité de trouver des alterna�ves à cet endroit à la fois si important et si instable. Trop loin du territoire na�onal chinois, l’armée peut difficilement le protéger. C’est pourquoi le gouvernement a lancé trois projets différents à travers l’Asie du Sud pour relier la région de Yunnan à la cité-état de haute importance Singapour.

Le premier, in�tulé sommairement corridor central, passe par le Laos et la Thaïlande. Pour le Laos, dont les prémices des premières ébauches de projet datent de 1992, les accords sont bien accueillis. Le trajet de 420 kilomètres entre Kunming et Vien�ane permet de réduire un trajet de trois jours à un trajet de moins de trois heures. La coopéra�on étant bonne entre les deux partenaires, la ligne Boten–Vien�ane a été inaugurée le vendredi 3 septembre 2021 par un train chinois allant à une vitesse de 160 km/h¹².

Cependant, le second corridor passant par l’ouest de la région en Birmanie n’a pas encore été officialisé. En dehors du cadre des Nouvelles Routes de la Soie, des voies ferroviaires ont déjà été tracées, comme la voie à l’intérieur de la Birmanie Muse-MandalayKyaukphyu entre la China Railway Eryuan Engineering Corpora�on et la Myanmar Railway en octobre 2018, mais la ré�cence du gouvernement birman à une voie directe correspondant aux proposi�ons chinoises ne semble pas plaire. Ainsi, les négocia�ons entre les Revue TB N°6 - 27

deux pays pour relier les hubs de la Birmanie avec ceux de la Chine con�nuent de se dérouler, sans qu’un accord final et officiel ne soit encore trouvé. La Chine, en tant que grande puissance régionale, joue aussi de son statut pour obtenir une collabora�on de tous les acteurs, notamment régionaux, ce qui contribue à ques�onner la souveraineté du gouvernement birman, ce qui ne plaît pas à Naypyidaw¹³.

Enfin, le dernier corridor à l’est passant par le Vietnam rencontre certains obstacles à sa réalisa�on.

Malgré l’enthousiasme du gouvernement vietnamien manifesté dès 2007 pour le rail, bien avant l’annonce de 2013 de Xi Jinping, les limites fixées par le budget du pays et les coûts financiers et poli�ques de la relocalisa�on des popula�ons locales ralen�ssent le choix du fer au Vietnam.

CONCLUSION La rivalité avec Taïwan sur la scène interna�onale rend la mise sur pied de son réseau interconnecté des Nouvelles routes de la soie compliquée pour Pékin bien que perçu comme vital. Cependant, la Chine communiste arrive à s’imposer comme la puissance d’aujourd’hui et de demain pour ses partenaires commerciaux. Pour assumer ce nouveau rôle, le pays se dote alors d’une flo�e commerciale qui devient très vite une flo�e d’ampleur mondiale.

Néanmoins, comme beaucoup de domaines civils dans l’organisa�on chinoise, celle-ci possède aussi une u�lité militaire. Ces cargos et ces porte-conteneurs nouvelles généra�ons sont tous conçus pour pouvoir être, si besoin, conver�s en navires de transport de troupes, de matériels et de véhicules en cas de conflit armé. Toute ce�e flo�e, en temps de paix pourtant u�le au commerce et au développement mondial, devient en temps de guerre une arme logis�que d’ampleur. De plus, le réseau stratégique de ports, conçus en temps de paix pour le commerce, cons�tue d’autant de places fortes d’où lancer une a�aque ou réparer un bâ�ment, faisant ainsi de l’Indo-pacifique le centre des enjeux militaires et poli�ques d’aujourd’hui et de demain.

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NOTES (1) Amsili Sophie, « Commerce : les chiffres fous de l’économie chinoise », Les Échos, 10 décembre 2021.

(2) « Défini�on: Flo�e marchande ». h�ps:// www.tarifdouanier.eu/info/abrevia�ons/2277.

(3) Bouvet Grégory, « La quatrième marine chinoise. La flo�e marchande de Pékin », Aerion 24 news, 2 octobre 2020.

(4) LeBoeuf Aline, « La compé��on stratégique en Afrique. Approches militaires américaine, chinoise et russe », Études de l’Ifri, août 2019.

(5) Amiral Ford Walter C., « The U. S. Merchant Marine And Na�onal Defense », U.S Naval Ins�tute, novembre 1957.

(6) US Joint Chief of Staff, « Joint Publica�on 3-32, Joint Force Mari�me Component Command, 08 June 2018, Incorpora�ng Change 1 20 September 2021 », 20 septembre 2021.

(7) Bouvet Grégory, « La quatrième marine chinoise. La flo�e marchande de Pékin », DSI, 2 octobre 2020.

(8) AFP. « Dans un coin oublié du Pakistan, la Chine se bâ�t un port d’ambi�on mondiale ». Le Point, 25 octobre 2017.

(9) Grare Frédéric, « Baloutchistan : le conflit oublié », Outre-Mer, n° 24, pages 325-336.

(10) Hiranandani Gulab Mohanlal, « 1971 War: The First Missile A�ack on Karachi », Indian Defence Review, 9 septembre 2020.

(11) Ashraf Junaid, « String of Pearls and China’s Emerging Strategic Culture », Strategic Studies, vol. 37, 2017, pages 166-181.

(12) Mo�et Éric, « Nouvelles routes de la soie : la ligne Kunming-Vien�ane, profitable pour le Laos ? », IRIS, 29 novembre 2021.

(13) AFP, « Birmanie: un haut gradé chinois rencontre la junte pour parler “coopéra�on” », Le Figaro, 31 mai 2023.

Opéra�on de lu�e contre la piraterie dans le détroit. ©NBC News

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Detroit de Malacca, point d’étranglement stratégique de la Chine sur ses approvisionnement en hydrocarbures venant du Moyen-Orient et en ma�ères premières venant d’Afrique, où elle a inves� des milliards en infrastructures ©unsplash.

ÉCONOMIE

La Chine et l’ASEAN L’épopée géopolitique de l’Asie contemporaine Par Eric GUIOCHON – Président de la FDNU

20e sommet Chine-ASEAN Expo, dédié à l’environnement des affaires en septembre 2023

INTRODUCTION L'interac�on entre la République populaire de Chine et l'Associa�on des Na�ons de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) cons�tue un chapitre fondamental dans l'épopée géopoli�que de l'Asie contemporaine.

Comme une sonate harmonieuse, ce�e rela�on évolue avec une cadence singulière, �ssant une mélodie complexe de coopéra�on et de rivalité au cœur d'une région en pleine muta�on. Cet ar�cle entreprend l'explora�on mé�culeuse des dédales de ce�e interac�on fascinante, oscillant entre les fils sub�ls de la diploma�e et les textures riches de l'économie, tout en naviguant habilement entre les courants tumultueux des rivalités géopoli�ques.

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Dans le théâtre géopoli�que d'Asie, l'année 1991 marque l'émergence d'un chapitre nouveau et cap�vant. L'établissement des liens diploma�ques entre la Chine et l'ASEAN résonne comme une symphonie inaugurale, dont les échos ont déclenché une série de mouvements soigneusement orchestrés pour établir un �ssu de coopéra�on économique solide, ourdi de fils de confiance mutuelle. Tel un maestro de la compréhension régionale, l'érudite plume d'Alice D. Ba, dans son ouvrage "China and Southeast Asia: Global Changes and Regional Challenges", proje�e une lumière éclairante sur les méandres complexes de ce�e collabora�on, révélant les mécanismes poli�ques et économiques qui structurent ce�e toile rela�onnelle.

Le ballet des rela�ons sino-asia�ques se déroule sur une scène jalonnée de dialogues ininterrompus et de mécanismes de consulta�on persévérants. Ces ini�a�ves, émaillées d'échanges fréquents, ont invariablement favorisé une meilleure compréhension réciproque, un élément fondamental pour entrelacer les intérêts entre États. L’œuvre analy�que de Yuen Foong Khong, émanant de "Analogies at War: Korea, Munich, Dien Bien Phu, and the Vietnam Decisions of 1965", se fond harmonieusement dans ce paysage, soulignant l'importance d'une perspicacité historique pour éclairer les enjeux contemporains.

Cependant, tel un tableau en clair-obscur, ce�e symphonie coopéra�ve a souvent été assombrie par les tumultes persistants, en par�culier les querelles territoriales dans la mer de Chine méridionale. Les vagues turbulentes de dissension ont parfois voilé les avancées notables dans d'autres domaines de collabora�on, jetant ainsi une ombre complexe sur la corréla�on délicate entre coopéra�on et conflit. Les voix éminentes de Mingjiang Li et Dongmin Lee, dans "Naviga�ng Sino-American Rivalry: China's Rise and U.S. Power in East Asia", s'entrelacent avec finesse pour explorer les mul�ples face�es de ce dilemme, révélant la naviga�on sub�le entre la recherche de coopéra�on et les tempêtes des rivalités géopoli�ques.

Au cœur de ces interac�ons, où lumière et ombre se conjuguent en une danse complexe, se dessine le récit évolu�f des rela�ons sino-asia�ques. Avec l'érudi�on d'auteurs éminents tels qu'Evelyn Goh, Alice D. Ba et Yuen Foong Khong, ainsi que les éclairages issus de sources primaires, ce�e étude aspire à dévoiler les strates mul�ples de ce�e évolu�on. Telle une quête de vérité dans les plis de l'histoire, notre explora�on s'apprête à plonger profondément dans les dimensions poli�ques, économiques et sécuritaires de ce�e rela�on complexe.

Cet ar�cle s'ar�cule autour de trois thèmes majeurs : les enjeux stratégiques et économiques, la coopéra�on et l'intégra�on régionale, ainsi que la diploma�e mul�latérale et la ges�on des tensions.

Chacun de ces thèmes résonne comme un mouvement dis�nct de la symphonie sino-asia�que, offrant une perspec�ve riche et nuancée sur les fils entrelacés qui définissent ce�e rela�on. À travers ces thèmes, le panorama sino-asia�que se dessine comme une toile complexe, capturant la dynamique évolu�ve entre la Chine et l'ASEAN. Tel un récit enchanteur, ce�e interac�on reflète les aspira�ons, les défis et les ambi�ons des acteurs régionaux et mondiaux. Alors que les scènes géopoli�ques con�nuent de se dérouler avec une allure cap�vante, les choix et les voies empruntées par la Chine et l'ASEAN détermineront la mélodie qui guidera la région asia�que dans les chapitres à venir. À travers ce�e symphonie de coopéra�on et de rivalité, un message persiste : l'interac�on entre la Chine et l'ASEAN reste une œuvre en constante évolu�on, une pièce maîtresse dans la par��on complexe de la scène géopoli�que asia�que.

EVOLUTION HISTORIQUE DES RELATIONS L'amorce de la rela�on diploma�que entre la République populaire de Chine et l'Associa�on des Na�ons de l'Asie du Sud-Est en 1991 marque un jalon significa�f dans le paysage géopoli�que régional.

Surgissant tel un trésor diploma�que à explorer, cet événement inaugural a déclenché une série de démarches visant à �sser une trame de coopéra�on économique solide, mêlée d'un fil de confiance mutuelle. Éclairant ce panorama, la plume aver�e de

Xi Jinping lors d’un sommet commun Chine-ASEAN ©GoC

Alice D. Ba, dans son ouvrage "China and Southeast Asia: Global Changes and Regional Challenges", je�e une lumière éclairante sur les méandres complexes de ce�e collabora�on, me�ant en évidence les enchevêtrements poli�ques et économiques qui en

perspec�ve, soulignant l'importance de la prévoyance historique dans la compréhension des enjeux actuels.

Toutefois, ce panorama coopéra�f n'a pas été épargné par les contrecoups des tensions persistantes, par�culièrement exacerbées par les querelles

Infograhpihie expliquant le RCEP signé entre les membres de l’ASEAN et les pays partenaires.

cons�tuent l'assise.

La progression des rela�ons sino-asia�ques s'est inscrite dans un cadre de dialogues réguliers et de mécanismes de consulta�on persistants. Ces ini�a�ves, jalonnées par des échanges fréquents, ont incontestablement favorisé l'élargissement de la compréhension réciproque, élément-clé dans le maillage des intérêts interéta�ques. L'éclairage conceptuel de Yuen Foong Khong, émanant de "Analogies at War: Korea, Munich, Dien Bien Phu, and the Vietnam Decisions of 1965", imprègne ce�e

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territoriales dans la mer de Chine méridionale. Les impétueuses vagues de dissension ont souvent éclipsé les avancées notables en d'autres domaines de collabora�on, jetant une ombre sur la corréla�on complexe entre coopéra�on et conflit. L'éclairage éminent de Mingjiang Li et Dongmin Lee dans "Naviga�ng Sino-American Rivalry: China's Rise and U.S. Power in East Asia" sonde avec sagacité les face�es de ce dilemme, en exposant la délicate navigabilité entre la quête de coopéra�on et les tempêtes des rivalités géopoli�ques.

Le président indonésien se �ent à côté d’un train à grande vitesse pour un projet de liaison ferroviaire de la Nouvelle Route de la Soie ©GoI

Au travers de ces interac�ons entre ombre et lumière, la chronique des rela�ons entre la Chine et l'ASEAN s'est dessinée au fil des décennies, révélant un entrelacement complexe d'intérêts et de dynamiques.

La perspicacité d'auteurs éminents tels qu'Evelyn Goh, Alice D. Ba et Yuen Foong Khong, conjuguée à l'éclairage révélateur de sources primaires, nourrit une inves�ga�on mul�dimensionnelle des coulisses de ce�e rela�on. Dans ce�e perspec�ve, notre démarche aspire à percer le voile de ces rela�ons, dévoilant les couches mul�ples de leur évolu�on, tout en se préparant à plonger plus profondément dans les strates de leurs dimensions poli�ques, économiques et sécuritaires.

ENJEUX STRATÉGIQUES ET ÉCONOMIQUES Dans le dédale des enjeux stratégiques, l'essor de la Chine incite l'Associa�on des Na�ons de l'Asie du SudEst à arpenter les méandres d'une dynamique préoccupante. Les foyers ardents de contesta�on territoriale, focalisés sur la mer de Chine méridionale, injectent des tensions qui résonnent à l'échelle régionale et au-delà. En ce�e fresque de dissensions, des États membres de l'ASEAN se trouvent en posi�on de rivalité pour la souveraineté, ce qui ins�lle un élément de complexité supplémentaire dans le jeu des alliances et des interac�ons diploma�ques. La modélisa�on du défi, perçu sous l'op�que du réalisme géopoli�que, est discernée dans les écrits éloquents de Mearsheimer, où il sou�ent que la lu�e pour le pouvoir est intrinsèque à l'ordre interna�onal et s'intensifie lorsque des acteurs émergents comme la Chine ambi�onnent de défier les structures de pouvoir en place.

La stratégie globale de la Chine s'inscrit également dans une trame économique où les enjeux

géopoli�ques se tressent avec les ambi�ons financières. L'ini�a�ve Belt and Road, témoignage de l'engagement de la Chine dans le renforcement de sa posi�on régionale et mondiale, a tracé une voie semée d'infrastructures colossales et d'inves�ssements massifs. Ce�e démarche, tendant à établir un réseau d'interconnexions transcon�nentales, a été la cible de débats polarisés, où les perspec�ves d'intégra�on et d'opportunités économiques se sont heurtées aux craintes de dépendance et d'influence chinoise excessive. La réflexion de Mahbubani, dans "Has China Won? The Chinese Challenge to American Primacy", rejoint ces réflexions en soulignant que l'ini�a�ve Belt and Road incarne l'essor de la Chine en tant que protagoniste majeur, bousculant les équilibres géopoli�ques existants.

« La stratégie globale de la Chine s'inscrit également dans une trame économique où les enjeux géopolitiques se tressent avec les ambitions financières. » Ainsi, le jeu stratégique et économique en cours entre la Chine et l'ASEAN est façonné par une toile d'interac�ons complexes, où la quête de pouvoir et d'influence se mêle aux impéra�fs économiques et aux ambi�ons de croissance régionale. Ce�e réalité, nuancée et cap�vante, illustre la nature enchevêtrée de ces rela�ons et incite à plonger plus profondément dans les dimensions sécuritaires, poli�ques et économiques qui la sous-tendent.

Revue TB N°6 - 33

COOPÉRATION ET INTÉGRATION RÉGIONALE Dans le labyrinthe des défis géopoli�ques qui façonnent la toile sino-asia�que, la coopéra�on économique a cons�tué un récit de convergence et de cohésion. L'érec�on de la Zone de libre-échange Chine-ASEAN en 2010 émane comme un pivot stratégique, opérant un essor des dynamiques économiques entre ces en�tés. L'exacerba�on des interac�ons commerciales et des inves�ssements mutuels qui en a résulté a infusé une vitalité nouvelle dans les arcanes de ce�e rela�on. L'analyse sub�le de Goh, telle que présentée dans "The Struggle for Order: Hegemony, Hierarchy, and Transi�on in Post-Cold War East Asia," illustre comment ces ini�a�ves économiques, en se solidifiant au fil du temps, ont modulé les contours des rapports inter-éta�ques dans une direc�on propice à la stabilité régionale.

Ces liens économiques étroits ont incontestablement catalysé une stabilité régionale bienvenue, réduisant les incer�tudes et générant un espace propice au dialogue. Le concept de "sécurité coopéra�ve", comme conceptualisé par Buzan et al. dans "Security: A New Framework for Analysis," vient éclairer ce�e dynamique, en me�ant en avant comment la coopéra�on économique peut contribuer à la construc�on d'un climat de confiance, minant les prédisposi�ons conflictuelles sous-jacentes. Les opportunités de développement qui en découlent offrent une vitrine où les pays membres de l'ASEAN peuvent s'engager dans des synergies mutuellement bénéfiques, réduisant ainsi les lignes de fracture tradi�onnelles et ouvrant des horizons propices à la croissance et à l'innova�on.

L'ACCORD DE PARTENARIAT ÉCONOMIQUE RÉGIONAL GLOBAL (RCEP) ET SES IMPLICATIONS Au cœur de ces avancées économiques s'inscrit l'Accord de Partenariat économique régional global (RCEP), une entreprise collec�ve d'une ampleur significa�ve. Annoncé en novembre 2020, le RCEP reflète une réponse concertée à l'impéra�f de consolida�on régionale et d'ouverture commerciale.

Paraphe illustra�f du pouvoir des accords mul�latéraux, le RCEP réunit quinze pays, dont dix membres de l'ASEAN, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce�e composi�on hétérogène sert à la fois de reflet et de révélateur des aspira�ons régionales et mondiales, mais suscite également des interroga�ons quant aux implica�ons stratégiques et économiques. Une intégra�on de l’Inde semble d’ailleurs discutée.

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Le RCEP sert d'ou�l de convergence économique et de réponse au défi de la fragmenta�on régionale, en rassemblant des économies aux dynamiques diverses sous une bannière commune. L'intégra�on économique accrue qu'il propose a le poten�el de catalyser les flux commerciaux et les inves�ssements, contribuant ainsi à renforcer la résilience collec�ve face aux turbulences économiques mondiales.

Cependant, les retombées du RCEP ne sont pas dépourvues d'interroga�ons. La li�érature érudite, à l'image des analyses de Huang dans "The RCEP: AsiaPacific Economic Integra�on and China's Role", explore les nuances des mo�va�ons stratégiques et des dynamiques d'influence, tout en faisant écho aux espoirs de prospérité partagée et de stabilité accrue.

« Le RCEP sert d'outil de convergence économique et de réponse au défi de la fragmentation régionale, en rassemblant des économies aux dynamiques diverses sous une bannière commune. » DIPLOMATIE MULTILATÉRALE ET GESTION DES TENSIONS Au cœur de l'architecture régionale, l'Associa�on des Na�ons de l'Asie du Sud-Est se posi�onne en tant qu'élément catalyseur de la diploma�e mul�latérale, revêtant un rôle indispensable dans l'apaisement des tensions qui parsèment le paysage régional. En tant que véhicule central de dialogue, l'ASEAN a insufflé une dynamique de négocia�on et de collabora�on par le biais de mécanismes tels que les sommets et les consulta�ons régulières. Ce�e esquisse de concerta�on offre une tribune pour dénouer les nœuds gordiens des fric�ons sino-asia�ques, tandis que la construc�on d'un consensus mul�latéral contribue à esquisser une voie à suivre.

La genèse du processus de négocia�on du Code de conduite en mer de Chine méridionale, spécificité marquante de ce�e diploma�e mul�latérale, incarne l'aspira�on à la paix par le dialogue. Le déploiement concerté de ces négocia�ons reflète l'effort en faveur de l'établissement de règles et de normes communes pour régir les interac�ons dans ce�e région contestée.

Néanmoins, ce�e démarche révèle un panorama complexe où la diploma�e est soumise à la mécanique sub�le de l'équilibre des intérêts, illustrant ainsi la concep�on de diploma�e de pouvoir formulée par Kissinger, comme exposée dans "Diplomacy".

L’ASEAN estc considéré depuis 2020 comme le plus grand partenaire commercial de la Chine ©reuters

Cependant, au sein de ce�e sphère de négocia�ons, les progrès réalisés ont été assor�s d'une progression lente et vacillante, où les contours tracés ont maintes fois été heurtés par les obstacles émanant des divergences d'intérêts et de la complexité intrinsèque qui caractérise les enjeux en présence. L'abondance conceptuelle offerte par les érudits Keohane et Nye, éclairée dans l'œuvre "Power and Interdependence," apporte une clarté révélatrice à cet égard, en dévoilant comment les mécanismes de négocia�on et de coopéra�on sont intrinsèquement influencés par les asymétries de puissance et les jeux d’interdépendance. C'est précisément au sein de ce�e gesta�on mesurée des négocia�ons que s'esquisse la réalité imparfaite inhérente à la diploma�e mul�latérale, laquelle se dis�ngue par une délicate coexistence de concerta�on et d'égards pour les intérêts propres.

Le visage polymorphe de l'Associa�on des Na�ons de l'Asie du Sud-Est dévoile ses strates de complexité intrinsèque lorsque le défi de la résolu�on d'une situa�on épineuse de coup d'État dans le Myanmar de février 2021 se présente. Dans ce contexte délicat, l'organisa�on régionale est sollicitée à mener avec habileté une naviga�on au cœur des principes sacrés de non-ingérence, enracinés inextricablement dans les préceptes fondateurs de la charte de l'ASEAN, tout en répondant impérieusement aux préoccupa�ons majeures liées aux droits humains et à la stabilité poli�que. Ce�e circonstance spécifique met en exergue la tension sous-jacente entre la nécessité urgente de préserver une unité et une cohésion régionales inébranlables, et l'impéra�f pressant de s'a�aquer aux soubresauts internes d'un État membre ébranlé par des turbulences poli�ques de grande ampleur.

L'ASEAN, illustre figure de pragma�sme en ces contrées diploma�ques, a embrassé une posture de diploma�e silencieuse à l'égard du Myanmar,

généreusement établissant un cadre de média�on discret et un espace fécond dédié au dialogue entre les protagonistes enchevêtrés dans les dédales de la crise.

Cependant, l'invoca�on de ce�e stratégie a engendré un débat d'ampleur considérable, révélant au grand jour des clivages saillants quant à l'efficacité intrinsèque de ce�e réac�on tempérée face à l'acuité déconcertante des développements.

Les considéra�ons proférées par Weiss dans son opus in�tulé "The Handbook of Global Security Policy" éclairent judicieusement ce contexte épineux, dévoilant les dilemmes complexes afférents à l'entreprise de média�on et aux arbitrages délibérés dans le tumulte de situa�ons poli�ques en état de crise.

Au sein d'un paysage où les vecteurs norma�fs et les impéra�fs pragma�ques s'entrecroisent avec un lyrisme éloquent, l'ASEAN s'est astreinte à une naviga�on empreinte d'élégance afin de conserver intacte sa renommée en tant qu'architecte de la stabilité régionale, tout en s'affrontant à la réalité impérieuse d'une crise intérieure assaillant l'une de ses émana�ons éta�ques. La gérance de ce�e situa�on délicate convoque en exergue des ques�onnements cardinaux portant sur la voca�on de l'ASEAN en tant qu'acteur éminent du panthéon diploma�que régional, parallèlement à l'accentua�on des défis labyrinthiques auxquels elle se trouve confrontée dans la quête d'un équilibre harmonieux entre le cénacle de l'unité régionale et l'apanage inaliénable des valeurs démocra�ques et des droits humains.

IMPLICATIONS RÉGIONALES Les fils entrecroisés de l'interac�on entre la Chine et l'ASEAN �ssent une trame aux implica�ons profondes Revue TB N°6 - 35

pour la stabilité et la dynamique géopoli�que de la vaste région Asie-Pacifique. Le posi�onnement de l'ASEAN se révèle éminemment délicat, à la fois un pivot et un gardien des équilibres régionaux, où les intérêts chinois sont entrelacés avec les intérêts concurrents d'autres acteurs majeurs tels que les États-Unis et le Japon. Dans ce�e valse d'alignements, l'ASEAN assume un rôle de média�on habile, cherchant à naviguer avec sub�lité et à maintenir une trajectoire d'équilibre dans le paysage des intérêts divergents. Les analyses perspicaces de Ikenberry et Mastanduno dans "Interna�onal Rela�ons Theory and the Asia-Pacific" me�ent en évidence comment les évolu�ons régionales sont propices à l'émergence d'acteurs clés et à la reconfigura�on des alliances, laissant présager un espace régional où l'ASEAN peut peser de tout son poids.

« Dans cette valse d'alignements, l'ASEAN assume un rôle de médiation habile, cherchant à naviguer avec subtilité et à maintenir une trajectoire d'équilibre dans le paysage des intérêts divergents. » Les délibéra�ons de la Chine dans ses interac�ons avec l'ASEAN transcendent le cadre bilatéral et ont une résonance qui s'étend bien au-delà des fron�ères na�onales. La percep�on de la montée en puissance de la Chine est soigneusement scrutée dans ce�e région aux dynamiques complexes. Les choix poli�ques, économiques et sécuritaires de la Chine, lorsqu'ils interagissent avec les aspira�ons et les préoccupa�ons de l'ASEAN, façonnent le narra�f régional de la montée chinoise. Dans ce�e op�que, la concep�on de l'hégémonie modérée, dévoilée par Acharya dans "The End of American World Order," prend forme, illustrant comment la Chine, tout en ascension, pourrait chercher à modeler les règles et les normes régionales tout en évitant une domina�on brutale.

C'est précisément dans ces dimensions interconnectées que se révèle la puissance des interac�ons sino-asia�ques. Les liens entre la Chine et l'ASEAN, façonnés par une pale�e de dynamiques, ont des retombées qui émanent des confins de l'Asie du Sud-Est et se propagent à travers l'ensemble du panorama Asie-Pacifique. La toile complexe qu'ils �ssent offre un récit saisissant des aspira�ons, des influences et des équilibres qui sous-tendent les rela�ons entre les acteurs régionaux et mondiaux.

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CONCLUSION Les entrelacs entre la Chine et l'Associa�on des Na�ons de l'Asie du Sud-Est émergent comme une pièce maîtresse du puzzle géopoli�que de l'Asie du Sud-Est. Ce�e rela�on se dessine comme un tableau aux teintes riches, où s'entremêlent des fils de défis géopoli�ques aux nuances diploma�ques et économiques. Le récit de ce�e interac�on se dévoile avec une complexité indéniable, illustrant comment la diploma�e et la coopéra�on économique ont su rivaliser avec les tumultes de rivalités territoriales et de quêtes de pouvoir.

Au cœur de ce�e dynamique, la ges�on des différends et la consolida�on de la confiance mutuelle transcendent le caractère bilatéral pour revê�r une importance d'ordre régional et mondial. Les travaux de référence, de Alice D. Ba à Ikenberry, de Evelyn Goh à Acharya, ont contribué à éclairer les mul�ples face�es de ces rela�ons, me�ant en exergue les facteurs intrinsèques et extrinsèques qui les nourrissent.

Lorsque l'on contemple l'évolu�on de l'AsiePacifique, un spectacle d'une vitesse cap�vante, la capacité intrinsèque de la République populaire de Chine et de l'Associa�on des Na�ons de l'Asie du SudEst à �sser une trajectoire de convergence et de cohabita�on, tout en naviguant habilement au sein des remous géopoli�ques, cristallise l'apex de la prospec�ve régionale. Dans ce�e aventure ponctuée d'opportunités exaltantes et de défis ardus, les choix stratégiques opérés et les chemins tracés se transmueraient en baromètre du main�en de ces liens en tant que perpétuel moteur de stabilité et d'avancement, modelant ainsi le vaste panorama à venir de la région Asie-Pacifique.

Ce�e conjoncture engageante se drape ainsi de nuances majeures, où le croisement sub�l entre l'influence bienveillante de la République populaire de Chine et la cohésion orchestrée par l'ASEAN dessine les contours d'un avenir régional de haute vol�ge. Les décisions prises à ce�e croisée des chemins, agissant telles des charnières, conjuguées aux i�néraires adoptés par ces deux en�tés, deviennent une sen�nelle du dynamisme de ce�e alliance en tant que puissant levier d'équilibre et de progrès, un pivot central dans l'épopée de la région Asie-Pacifique qui écrit encore ses prochaines pages.

Dans ce �ssu complexe, la trajectoire tracée par ces acteurs majeurs n'est pas simplement un récit géopoli�que, mais une par��on envoûtante, où les thèmes de convergence et de coexistence s'entremêlent harmonieusement. Les interac�ons entre la République populaire de Chine et l'ASEAN s'inscrivent comme un dialogue constamment renouvelé, où les défis du passé et les opportunités du futur s'unissent pour �sser la trame d'une région qui

navigue dans les eaux tumultueuses de la modernité, avec en ligne d'horizon la quête inex�nguible d'une stabilité pérenne et d'une prospérité partagée.

En effet, la danse sub�le entre la République populaire de Chine et l'ASEAN s'avère être une créa�on con�nuellement en élabora�on, une magnum opus qui, tel un tableau enchanteur, persiste à se dévoiler et à éclore au sein du théâtre géopoli�que asia�que. En sondant les strates, les grada�ons et les ramifica�ons plurielles qui la composent, ce�e inves�ga�on s'évertue à offrir une perspec�ve judicieuse des dynamiques complexes et des forces propulsives qui sous-tendent ces deux en�tés majeures. À travers ce�e len�lle analy�que, se découvre donc l'effigie cap�vante d'une rela�on en perpétuelle transforma�on, dont la trame narra�ve se �sse au gré des évolu�ons incessantes du paysage global.

UNE COLLABORATION DE LA FDNU FÉDÉRATION POUR LA DIPLOMATIE ET LES NATIONS UNIES

Porte-conteneurs qui�ant l’île de Hong-Kong ©unsplash

SOCIÉTÉ

Huile de palme L’impossible dialogue entre producteurs et consommateurs Par Alain MORSOF - Ancien haut fonc�onnaire en poste en Asie du Sud Est

©Ge�y Image

Il s’est progressivement créé un gouffre intellectuel, poli�que sur la ques�on de l’huile de palme entre l’Occident d’une part, en par�culier l’Europe occidentale, et les pays producteurs, essen�ellement l’Indonésie et la Malaisie, qui contrôlent plus de 85% de la produc�on et des exporta�ons mondiales, et dirigent ensemble le Conseil des pays producteurs d’huile de palme (CPOPC). Loin derrière l’Asie du sudest, l’Amérique la�ne et l’Afrique de la ceinture équatoriale ont le poten�el pour occuper, progressivement, une place croissante sur ce marché.

La ques�on qui se posera, est de savoir si elles s’alignent sur le narra�f de défense à tout prix de l’huile de palme promu par l’Indonésie et la Malaisie, ou si, profitant de condi�ons agroéconomiques

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différentes, elles me�ent au contraire en avant le caractère plus « durable » de leur huile de palme.

Les enjeux de la déforesta�on, du changement clima�que, de la perte de biodiversité sont au cœur de la controverse acharnée, chargée d’émo�ons, qui entoure la produc�on d’huile de palme. Le fait que, côté occidental, des considéra�ons moins nobles, de protec�on des produc�ons internes d’autres huiles végétales soient également à l’œuvre, ne doit pas occulter l’importance de ces enjeux de durabilité, la nécessité de me�re en œuvre des poli�ques plus énergiques, crédibles de ralen�ssement, puis d’arrêt de la déforesta�on, de protec�on des travailleurs, des communautés autochtones.

Les stratégies de « shaming », d’ostracisa�on de l’huile de palme partent du postulat que la produc�on

durable d’huile de palme n’existe pas (« There is no such thing as sustainable palm oil »), voire qu’elle n’existera jamais. Par effet de contraste, cela conduit à une exonéra�on d’autres secteurs tels que la culture du soja, ou l’élevage bovin, dont on sait qu’ils contribuent au moins autant à la déforesta�on que l’huile de palme.

« Si l’Union européenne reste un acheteur important d’huile de palme, dans le classement par pays, l’Inde et la Chine sont de loin les premiers importateurs. » Même si elle ne porte que sur le bilan carbone des différentes huiles végétales, l’étude qui sous-tend l’« acte délégué» de la direc�ve de l’UE sur les énergies renouvelables (RED2), a accrédité l’idée que l’huile de palme devait porter seule la charge de l’accusa�on et donc subir seule la « déclassifica�on » en tant qu’énergie renouvelable introduite par la direc�ve.

Ces poli�ques, privées et publiques, �ennent pour nuls et non avenus tous les efforts consen�s par les producteurs (et leurs clients) en termes de cer�fica�on, mais aussi de moratoires sur l’octroi de licences, la conversion de tourbières et autres. Que les résultats de ces efforts laissent à désirer, c’est une évidence : corrup�on, conflit entre développement économique et durabilité jus�fient les doutes émis, notamment par les ONG. Mais dans un contexte d’interdépendance forte des économies, il parait important, à court-terme au moins, de renforcer la crédibilité des cer�fica�ons volontaires et na�onales, de suivre de près, et, le cas échéant de valoriser, à l’instar de la Norvège, les poli�ques de ralen�ssement de la déforesta�on.

Paradoxalement, l’huile de palme, précisément à cause de la forte suspicion qu’elle inspire, est sans doute l’une des commodités qui fait l’objet d’une surveillance, d’évalua�ons formelles et informelles parmi les plus poussées.

Si l’Union européenne reste un acheteur important d’huile de palme (peut-être plus pour très longtemps si ce type de biodiesel devait sor�r de son mix énergé�que), dans le classement par pays, l’Inde et la Chine sont de loin les premiers importateurs, tendance qui devrait s’accentuer. Le « shaming », en décrédibilisant notamment l’ensemble des cer�fica�ons disponibles, ne peut que pousser les producteurs à renoncer à cer�fier ou à cer�fier sans grande rigueur l’huile de palme, celle qu’ils u�lisent eux-mêmes (y compris en accélérant son incorpora�on dans les biocarburants qu’ils distribuent sur leur

marché intérieur) et celle qu’ils exportent vers l’Inde, la Chine, mais aussi la Russie ou la Turquie, alors qu’ils ont déjà du mal à valoriser l’huile de palme cer�fiée sur le marché européen. Les effets de la cri�que, concentrée en Europe, peuvent ainsi être inverses à ce qui est recherché, réorientant la commercialisa�on vers des marchés moins exigeants sur les ques�ons de durabilité. Or un pays comme la Chine commence à s’intéresser à la ques�on de la cer�fica�on ; il conviendrait plutôt de faire en sorte que les critères de cer�fica�on s’appliquent y compris dans des pays qui sont encore peu regardants dans ce domaine.

Le « shaming » enferme producteurs et consommateurs dans un dialogue de sourds réducteur, l’huile de palme étant parée de tous les maux d’un côté, de toutes les vertus de l’autre. L’image de l’autre se réduit à quelques grands traits néga�fs, accentués, dans ce domaine comme dans d’autres, par les bulles de confirma�on qui partagent les réseaux sociaux. Vu de Paris, Bruxelles ou Londres, l’Indonésie et la Malaisie sont des pays lointains et mal connus, peu regardants sur le développement durable ; ce sont aussi des pays majoritairement musulmans, qui appliquent la peine de mort. Tout concourt à ancrer une image défavorable dans l’inconscient collec�f d’un public occidental qui ne s’intéresse qu’épisodiquement à l’évolu�on de ces deux pays.

La première étape d’un long circuit économique et poli�que ©wwf

Comme toute caricature, celle-ci s’appuie sur des éléments bien réels, mais abou�t à une condamna�on sans nuance de poli�ques qui, dans le domaine de l’huile de palme, comporte des avancées mais aussi des retards indéniables.

UNE DÉMARCHE « NÉOCOLONIALE » ?

Vu de Jakarta et de Kuala-Lumpur, le ba�age autour de l’huile de palme est une façon, pour les expuissances coloniales, de « se venger » du ra�rapage économique qui �re l’Asie du sud-est vers le haut, et a permis à des millions de pe�ts producteurs, de salariés liés de près ou de loin à ce�e filière de sor�r de la pauvreté. L’écologie n’est qu’un prétexte pour protéger les producteurs de colza ou de tournesol, tout en épargnant le soja, pour complaire aux États-Unis.

D’aucuns dénoncent les occidentaux, qui, ayant déforesté à tour de bras chez eux pendant des siècles avec une parfaite bonne conscience, viennent aujourd’hui donner des leçons, au nom de la préserva�on de « biens public mondiaux », dont les forêts tropicales humides font par�e. « L’économie de planta�on est une inven�on occidentale qui n’a pas posé de problème de conscience jusqu’à ce qu’elle fasse à son tour concurrence aux ex-métropoles. Veut-on, au nom du développement durable, nous me�re à nouveau sous tutelle ? » Telles sont les opinions qui circulent au sein des pays producteurs.

Pour autant les producteurs ne peuvent pas se perme�re d’ignorer purement et simplement les cri�ques adressées à l’encontre de l’huile de palme.

Indépendamment de la taille du marché européen, ils savent que les occidentaux donnent encore le « la » dans le débat d’idées autour de la ques�on de la durabilité, du changement clima�que, de la préserva�on de la biodiversité. Les grandes ONG environnementales qui alimentent le narra�f an�huile de palme, sans trop d’égard pour les conséquences économiques et sociales dans les pays producteurs, se préoccupent avant tout des opinions publiques occidentales ; elles ont souvent des « filiales » dans les pays producteurs, dont les posi�ons sont plus nuancées, mais qui se situent à la périphérie du système et sont peu audibles.

PEUT-ON EN SORTIR ?

L’huile de palme rivalise avec le soja dans la couverture de la demande mondiale d’huiles végétales, loin devant le colza et le tournesol. La remplacer par une ou plusieurs de ces huiles concurrentes est à court-terme inenvisageable, voire serait contre produc�f, comme l’écrit l’UICN (Union interna�onale pour la conserva�on de la nature) : « La moi�é de la popula�on mondiale u�lise l'huile de palme dans son alimenta�on et si on l'interdit ou la boyco�e, des huiles plus avides de terre prendront vraisemblablement sa place. L'huile de palme est là pour rester et il y a un besoin urgent d'ac�on

Au niveau mondial, l’huile est u�lisée à 80 % pour l’alimentaire, 10 % pour les cosmé�ques et dérivés et 10 % environ pour les biocarburants. ©Ge�y Image

concertée pour rendre la produc�on d'huile de palme plus durable, en faisant en sorte que tous les acteurs (gouvernements, producteurs, chaîne d'approvisionnement) respectent leurs engagements de durabilité ».

Il paraît en effet plus judicieux de faire en sorte que la produc�on d’huile de palme soit découplée de la déforesta�on. Les campagnes an�-huile de palme ont eu l’incontestable mérite de faire prendre conscience de l’acuité de ce problème. Les producteurs, qu’il s’agisse des gouvernements ou des opérateurs, sont, dans une certaine mesure, conscients qu’ils ont aussi leur part du chemin à faire pour crédibiliser davantage leurs ini�a�ves. Les ONG, les grands médias occidentaux sont encore largement prescripteurs à l’échelle mondiale et le risque est réel que si la situa�on n’évolue pas, des pays comme la Chine ou l’Inde, se détournent à leur tour de l’huile de palme, au profit notamment du soja (la Chine étant, comme l’Union européenne, sous pression américaine pour en importer davantage).

L’« acte délégué » sur les énergies renouvelables de l’Union Européenne (RED2) se fonde sur l’hypothèse que la croissance ultérieure de la produc�on d’huile de palme con�nuera de se faire au détriment du couvert fores�er à haute valeur de conserva�on, que la conversion des tourbières va se poursuivre, nonobstant les promesses des pays producteurs. A ces derniers de prouver qu’il n’en est rien et que ce�e croissance s’opèrera avant tout par la hausse des rendements, en par�culier chez les pe�ts producteurs, où des marges importantes de progression existent.

« Il paraît en effet plus judicieux de faire en sorte que la production d’huile de palme soit découplée de la déforestation. » Tel devrait être l’objet du dialogue substan�el qu’il est urgent d’engager entre toutes les par�es prenantes de la probléma�que de l’huile de palme. Cet objec�f est inséparable de celui consistant à renforcer sensiblement la crédibilité des cer�fica�ons disponibles. Celles-ci sont sans doute trop nombreuses, de valeur, de statut divers et les ONG ont beau jeu de me�re en doute l’impact réel de ce maquis d’audits souvent redondants. Sans balayer le travail considérable et respectable réalisé notamment dans le cadre des cer�fica�ons RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil), il faut sans doute « faire monter à bord » les grandes ONG environnementales les plus cri�ques à l’égard de l’huile de palme, mais aussi les gouvernements des pays producteurs, dont les cer�fica�ons na�onales auront toujours du mal à

convaincre, car ils sont en quelque sorte juges et par�es, même si formellement le travail est confié à des cabinets indépendants. Enfin, sans la par�cipa�on des grands pays consommateurs, de l’Union européenne à travers la Commission, ce dialogue ne pourra véritablement s’engager et déboucher sur des résultats sa�sfaisants. L’inclusion d’autres acteurs majeurs tels que la Chine et l’Inde serait tout aussi souhaitable.

DES TENTATIVES SANS LENDEMAIN Malgré ou à cause du fait qu’elle est perçue comme l’adversaire le plus acharné de l’huile de palme en Europe, la France a pris un certain nombre d’ini�a�ves en ce sens. A la fin de sa présidence du « groupe d’Amsterdam », le 27 juin 2018, elle a convié le CPOPC et des représentants de pays producteurs à une discussion organisée à l’Arche de la Défense. Mais, convoquée à un niveau technique et non poli�que, au plus fort de la controverse sur la direc�ve RED 2, ce�e réunion n’a produit aucun résultat pra�que et est restée sans lendemain. Pour tenter de désamorcer les cri�ques indonésiennes et malaisiennes à l’encontre de RED 2, la Commission européenne a proposé de créer un « groupe de travail conjoint UE-ASEAN » sur l’huile de palme, qui s’est réuni à plusieurs reprises.

Mais, ce canal de dialogue est lui aussi trop technique, trop administra�f, pour enclencher une dynamique de confiance mutuelle. Les pays producteurs, et leur représentant, le CPOPC, insistent pour que ce groupe de travail traite de toutes les huiles végétales et pas seulement de l’huile de palme, qui, on l’a vu, ne mérite pas à leurs yeux d’être singularisée.

En septembre 2019, la France a lancé « l’Alliance pour la préserva�on des forêts tropicales et humides », ouverte à l’adhésion des pays fores�ers et qui a notamment pour ambi�on de « soutenir la mise en œuvre des efforts déployés par les pays fores�ers afin de faire cesser la déforesta�on et la dégrada�on des forêts ». Par ce�e démarche, la France et les autres pays signataires semblent donner crédit aux pays fores�ers, y compris les producteurs d’huile de palme, de leurs efforts visant à comba�re la déforesta�on. Le dialogue est largement entravé par le fait que les pays producteurs ne sont pas considérés comme des partenaires à part en�ère mais plutôt comme des acteurs qui ont encore besoin d’être « éduqués ». La dénoncia�on récurrente du « néocolonialisme » par les pays producteurs, au-delà de ses excès, doit être prise au sérieux et reflète une vraie inquiétude, qui vient de loin.

De même l’adop�on de la « stratégie sur la déforesta�on importée » délivre le message sousjacent que le problème peut être réglé en « lu�ant contre » les importa�ons notamment d’huile de palme, ce qui rend les pays producteurs méfiants, Revue TB N°6 - 41

même si le concept est jugé porteur dans l’opinion publique française.

DES INITIATIVES POUR RENOUER LE DIALOGUE ?

Dans un contexte différent, lors de tensions sur les marchés pétroliers, la France a été à l’ini�a�ve pour nouer un dialogue à haut niveau entre producteurs et consommateurs de pétrole ; elle aurait tout à gagner à se montrer à la hauteur de ce défi, dans un secteur qui, certes pèse moins sur les fondamentaux de l’économie mondiale, mais reste depuis plusieurs années un « irritant » superflu entre l’Europe et l’Asie du sud-est.

Les autres pays producteurs sont globalement dans l’expecta�ve, y compris parce que l’huile de palme ne joue pas, chez eux, le même rôle économique et social.

« Dialoguer ne veut pas dire faire preuve d’une indulgence coupable mais bien travailler ensemble à ancrer des pratiques agro-industrielles authentiquement durables. » Rien ne se fera sans l’engagement de la Commission européenne, qui, en par�culier lors des négocia�ons avec le Parlement européen sur la direc�ve RED2 sur les énergies renouvelables, a accumulé une importante exper�se sur les ques�ons de déforesta�on, de bilan carbone et de cer�fica�on. Cela même si les pays producteurs ont eu le sen�ment que les études scien�fiques auxquelles la Commission s’est référée étaient biaisées et réalisées « sous influence ».

Cet épisode est représenta�f du « stock de défiance » qui s’est accumulé en une quinzaine d’années entre producteurs et consommateurs d’huile de palme. Il sera difficile de dissiper ce�e défiance, toute ouverture en direc�on des producteurs risquant de se payer très cher poli�quement en termes électoraux à travers l’Europe occidentale. Une impulsion poli�que à haut niveau serait-elle suscep�ble d’inverser le cercle vicieux de la méfiance en un cercle vertueux de coopéra�on « gagnantegagnante » ? Les campagnes de « shaming » de l’huile de palme ont eu le mérite d’ouvrir les yeux y compris des pays producteurs et des entreprises, mais aujourd’hui le rejet sans nuance de ce�e commodité fait courir un risque nouveau, en renvoyant les pays émergents, producteurs et consommateurs, vers des pra�ques « décomplexées » de culture non durable, au nom d’une vision « complo�ste » de la cause 42 - Revue TB N°6

environnementale et du droit au développement économique et social qu’ils es�ment menacé par des exigences exorbitantes, jamais sa�sfaites, formulées par le monde développé et les ONG qui l’incarnent.

Dialoguer ne veut pas dire faire preuve d’une indulgence coupable mais bien travailler ensemble à ancrer des pra�ques agro-industrielles authen�quement durables ; le combat pour stopper la déforesta�on, préserver la biodiversité se gagnera avec les producteurs, pas contre eux. Comme indiqué par la Mission commune d’informa�on outre-mer du Sénat, les territoires et collec�vités d’outre-mer sont des « terres de contrastes ».

Revue TB N°6 - 43

GÉOGRAPHIE

Nouvelle Capitale Indonésienne Un enjeux géopolitique ?

Par Sofiane MADMAR - Ingénieur en aménagement durable du territoire & chercheur en urbanisme

An�cipa�on 3D de Nusantara, fonder une nouvelle ville a souvent permis d’ancrer une puissance et un dirigeant dans l’Histoire ©Urban+

Les villes modernes sont des éléments moteurs des changements globaux. L’urbain a imposé sur tout le globe un mode de vie associé au développement économique et humain. Néanmoins, devant les défis mondiaux tels que le changement clima�que et la perte de biodiversité, mais également l’augmenta�on des inégalités, les villes à travers le monde se retrouvent confrontées à l'impéra�f d'une réponse urgente. La manière dont nous avons façonné nos environnements urbains a eu une influence profonde sur l'équilibre délicat des systèmes biologiques et terrestres, exacerbant ces problèmes pressants. Il a aussi condi�onné les rela�ons humaines et notre expérience du monde. Les villes du monde en�er peinent à faire face à la nécessité urgente de relever ces défis, tous interconnectés. Les métropoles de 44 - Revue TB N°6

l’Indo-pacifique ne font pas défaut à ce constat. Elles sont bien au contraire parmi les plus vulnérables au vu de leur densité urbaine impressionnante, leurs niveaux de pollu�on, leurs inégalités spa�ales, les risques naturels et technologiques dont elles font face et leurs enjeux sanitaires dont nous sommes désormais bien conscients. Afin de faire face à ces problèmes, une vision nouvelle des modèles urbains émerge, s’orientant vers des démarches plus durables.

La crise de l’urbain revêt aussi d’une caractéris�que géopoli�que. On pourrait penser d’une façon simpliste que les pays émergents se concentrent sur leur croissance tandis que les pays développés commencent à s'orienter vers le développement durable.

Néanmoins ces nouveaux enjeux représentent de nouveaux espaces de compé��on

plus profonds engageant tous les pays du monde. A �tre d’exemple, même l'Afghanistan tout juste sor� de décennies de guerres s’oriente vers des projets urbains durables. Il s'agirait de proposer de nouveaux modèles et s’émanciper des précédents. En effet, qu’on pense que cela est possible ou non, le défi du siècle est de proposer un modèle de société plus durable qui ne limite pas le développement économique et humain.

Les pays de l’Indo-pacifique ont l’opportunité et la capacité de faire sor�r du sol de nouvelles villes durables qui seront des références pour la région. C’est un des objec�fs de la nouvelle capitale administra�ve de l’Indonésie.

UN PROJET AMBITIEUX ET SES ENJEUX En effet, c’est dans ce contexte développé précédemment que l’Indonésie décide de changer de capitale. Tandis que Jakarta s'enfonce lentement en raison de l'affaissement du sol et risque d'être par�ellement submergée, en plus de connaître un surpeuplement et une conges�on croissante, le gouvernement décide en 2019 de transférer sa capitale administra�ve de l’île de Java à l’île de Bornéo.

Jakarta est une ville très dense avec seulement 9% d'espaces verts dont la majorité sont des cime�ères.

L’idée est donc de qui�er la jungle de béton pour se diriger vers la métropole écologique. Jakarta n’est donc plus la ville souhaitable pour tenir le rôle de capitale de l’archipel. La nouvelle capitale, nommée “Nusantara”, aspire à devenir un modèle de durabilité urbaine. Sa vision est résumée par le slogan du projet : “intégrée localement, connectée mondialement, inspirée universellement”. Nusantara aspire à devenir la ville la plus durable au monde. Le projet vise à s�muler l’économie du pays tout en étant un symbole fort d’iden�té. De plus, le déplacement de la capitale est un élément clé de la transforma�on structurelle globale du pays. Les enjeux du changement de capitale sont mul�ples. Ils sont à la fois géopoli�ques, environnementaux, sociaux et économiques.

Tout d’abord et comme évoqué précédemment, ce sont les enjeux urbains de Jakarta et toutes leurs conséquences sur les plans économiques et sociaux qui ont enclenché ce�e ini�a�ve. Jakarta est l'une des mégapoles les plus peuplées du monde et fait face à des problèmes majeurs de surpopula�on, de conges�on du trafic, de pollu�on de l'air et d'infrastructures insuffisantes. Jakarta est aussi menacée par une éléva�on du niveau de la mer due au changement clima�que, en raison de sa situa�on basse et de son enfoncement progressif qui commence déjà à poser des problèmes. Le déplacement de la capitale vise à éloigner les centres de gouvernance et les popula�ons des risques associés à ces phénomènes clima�ques, assurant ainsi la

pérennité des opéra�ons gouvernementales et en réduisant les pressions urbaines.

Deuxièmement, les projets de ce�e ampleur sont structurants pour le développement économique d’un pays. Comme c’est le cas pour Neom en Arabie Saoudite qui oriente le développement vers le Nord de la péninsule, ouvre la voie à de nouvelles opportunités économiques et vise à a�rer des inves�ssements étrangers, le projet indonésien pourrait réduire les inégalités régionales en s�mulant le développement dans d'autres par�es du pays, en par�culier dans les régions de l'île de Kalimantan (île de Bornéo). Cela peut contribuer à répar�r plus équitablement les opportunités économiques et les avantages du développement dans tout le pays. La construc�on engendre également une ac�vité économique avec un financement de 20% par le gouvernement. Changer de capitale et changer de modèle urbain c’est aussi une occasion de favoriser le développement économique et l'a�rac�vité pour les inves�ssements na�onaux et étrangers.

« La nouvelle capitale, nommée “Nusantara”, aspire à devenir un modèle de durabilité urbaine. Sa vision est résumée par le slogan du projet : “intégrée localement, connectée mondialement, inspirée universellement” » La construc�on d'une nouvelle capitale à 35 milliards de dollars nécessite en effet d'importants inves�ssements financiers pour les infrastructures, les services publics et les bâ�ments gouvernementaux.

Nusantara est es�mée à environ 35 milliards de dollars pour sa construc�on, mais le gouvernement s'est engagé à inves�r seulement 20% de ce�e somme, selon le site officiel du projet¹. Ainsi, le projet repose principalement sur les inves�ssements privés et

De Jakarta à Nusantara

Le défi des inves�ssements étrangers ©OpenStreetmap

notamment les inves�ssements étrangers. Le gouvernement a déjà reçu plusieurs le�res d’inten�on (LoI) d’inves�ssements privés de plusieurs États étrangers et notamment en tête de liste les pays de l’Indo-pacifique. Ainsi, ce projet est aussi un moteur de collabora�on régionale. On notera aussi la visite récente des travaux par d’une déléga�on française² qui a donné suite à des le�res d’inten�on également, les entreprises françaises étant réputées dans les domaines de l’urbanisme durable³.

Le projet possède un enjeu symbolique important pour la na�on indonésienne mais pas seulement. En effet, "Nusantara" est un terme qui signifie étymologiquement les îles extérieures. Il caractérise les archipels indonésiens. Cependant, il est souvent u�lisé pour faire référence à l'ensemble des îles et des mers de l'Indonésie, de la Malaisie, des Philippines, de Singapour, du Brunei, de l'Est de la Thaïlande, de l'Est de Timor-Leste et du Sud de la Birmanie. C'est un terme qui met parfois en avant l'unité géographique et culturelle de ce�e vaste région insulaire. Il a aussi des connota�ons historiques et culturelles importantes dans la région notamment du fait que Nusantara, pendant le règne de Majapahit au XIVème siècle, comprenait des territoires en Indonésie, en Malaisie, à Singapour, dans le sud de la Thaïlande, aux Philippines, à Brunei et au Timor oriental. C’est aussi le nom “Wawasan Nusantara” choisi pour la vision géopoli�que de la république.

Ce nom iconique est une façon d’affirmer la culture indonésienne, sa géographie et son importance en Asie du Sud Est. Ce terme est parfois u�lisé pour signifier une forme d’unité ethnique et culturelle de ce�e région. Alors que la nouvelle capitale se veut être un modèle pour la région, « Nusantara » pourrait signifier plus que la capitale de l’Indonésie. Elle serait aussi un modèle de développement et une affirma�on du rôle majeur dans la région.

Le déplacement de la capitale soulève des probléma�ques environnementales majeures. Dans l’urbanisme durable, il est essen�el de planifier soigneusement l'u�lisa�on des terres, des ressources naturelles, de l'eau et de l'énergie pour éviter la dégrada�on de l'environnement. Selon WMF, l’île de Bornéo regroupe 6% de la biodiversité mondiale et plusieurs espèces protégées y vivent dont des éléphants, des orangs-outans, des �gres et des rhinocéros. Les forêts tropicales regroupent une 46 - Revue TB N°6

grande diversité de plantes de même que dans ses espaces li�oraux avec la présence de mangroves.

Ainsi, la localisa�on implique une déforesta�on conséquente qui aura sûrement un impact important à court-terme sur la biodiversité locale. Ce sujet est assez controversé puisque les uns arguent que les forêts qui seront détruites ne sont que des forêts de produc�ons alors que les autres, notamment Forest Watch Indonesia (FWI) qui défend que certaines par�es comme les mangroves soient considérées à tort comme forêt de produc�on alors que ce sont des habitats pour de nombreuses espèces. Pour l’associa�on, l’ini�a�ve manque de transparence sur le volet environnemental alors même qu’il est censé me�re en œuvre une ville-forêt durable⁴.

Le déplacement de la capitale implique le déplacement de milliers de personnes, ce qui soulève d’importants défis sociaux. En premier lieu, le projet pourrait représenter un risque de réduc�on des inves�ssements et de l’ac�on publique à Jakarta.

Néanmoins, Jakarta reste la capitale économique de l’archipel tout comme Putrajaya et Kuala Lumpur en Malaisie, mais qui ont l’avantage d’être adjacentes. De plus, le projet a été conçu avec très peu voire pas du tout de consulta�on de la popula�on. Son modèle urbain étant complètement nouveau et opposé à certains aspects de la culture indonésienne, il se pourrait que la capitale ne soit pas a�rac�ve auprès de la popula�on. Enfin, la presse cri�que souvent les droits et la préserva�on des tribus locales, des aspects qui sont très certainement sensibles dans le cadre du projet.

LA PROMESSE D’UNE VILLE-FORÊT L'exécu�f indonésien cherchait un projet à la mesure des défis posés. Le gouvernement se trouve dans la posi�on de devoir défendre la construc�on d'une ville au sein d'un espace naturel reconnu pour sa préserva�on. Ainsi, dans une perspec�ve préven�ve face aux possibles cri�ques sur les impacts écologiques du projet mais aussi avec une réelle démarche vers le développement durable, c'est Sofian Sibarani et son équipe qui ont remporté le concours de concep�on du projet urbain. Leur proposi�on intègre des principes écologiques tels que le biomimé�sme. Plutôt que de suivre le modèle des mégapoles ultra-futuristes, qui ont été récompensées par la 2ème et la 3ème place, ce choix démontre que l'exécu�f accorde une a�en�on par�culière à l'élabora�on d'un nouveau récit urbain : la ville-forêt. Opter pour Urban+, la jeune entreprise d'urbanisme de Sofian Sibarani, témoigne également de la confiance du gouvernement dans les compétences locales. Urban+ est en effet une entreprise basée à Jakarta, me�ant l'accent sur l'ancrage local et l'intérêt public. La vision d'Urban+ est de réunir des individus partageant une vision

L’écologisme de Nusantara, réalité ou plan de communica�on ?©Urban+

commune et préoccupés par la ville, afin de contribuer à bâ�r un avenir urbain meilleur.

« L'exécutif accorde une attention particulière à l'élaboration d'un nouveau récit urbain : la ville-forêt. » Le gouvernement a fixé des objec�fs ambi�eux pour l'autorité de ges�on de la nouvelle capitale na�onale.

Le concept nommé "Nagara Rimba Nusa" ou "État Forêt Archipelle" en français, souligne l'importance de la forêt et de la géographie insulaire dans ce projet.

Lors de la compé��on, les projets classés deuxième et troisième n'ont pas su être à la hauteur de l'argumentaire écologique. Placer la forêt au cœur de la discussion permet d'a�énuer une éventuelle percep�on néga�ve ini�ale. C'est pourquoi Sibarani a choisi de me�re en avant ce�e inspira�on de la forêt dans la narra�on du projet mais aussi car il trouve dans la nature un modèle de durabilité. Mis à part ce cadre créa�f, le projet est guidé par trois piliers issus de la direc�ve présiden�elle : l'iden�té indonésienne, le développement durable et la créa�on d'une ville intelligente et interna�onale. Le déplacement de la capitale est conçu comme étant plus que la simple mise en place de nouvelles infrastructures. C'est une opportunité de redéfinir le mode de vie urbain, d'adopter de nouvelles pra�ques et de renouveler une rela�on avec la nature. Pour Sibarani, l'aménagement urbain joue un rôle crucial dans la transforma�on des

comportements et du mode de vie des habitants. Le projet vise également à rétablir l'harmonie entre l'homme, la nature et Dieu, en accord avec les croyances profondément enracinées de l'Indonésie.

Ces trois éléments étaient indissociables dans l'architecture tradi�onnelle indonésienne. Sibarani est d'avis que les généra�ons passées détenaient une sagesse aujourd'hui perdue, ainsi que des connaissances sur les systèmes naturels et leur adapta�on. L'environnement a été vic�me des ac�ons de nos villes, ce qui a entraîné des conséquences graves telles que les inonda�ons, les maladies et la pollu�on de l'air. Le système est désormais déséquilibré. L'idée est de puiser dans la sagesse des anciens en repartant de la nature pour réduire notre empreinte écologique, en adaptant les technologies modernes tout en préservant la compa�bilité avec la nature. Cependant, cela implique de sacrifier certains des conforts de la ville tradi�onnelle pour viser la durabilité.

Le projet vise des objec�fs plutôt impressionnants.

Dans un premier temps, la métropole devra u�liser 80% d’énergies renouvelables. Ceci est un défi majeur impliquant l’installa�on de panneaux solaires sur toutes les toitures. Les déplacements seront à 80% en mode doux c'est-à-dire en transports en commun, à vélo ou à pied. La ville sera majoritairement piétonne, ne laissant que très peu de place aux voitures que ce soit en termes de routes ou de parking. Dans un pays sous climat tropical, il est difficile d’imaginer ce genre de résultat. Les quar�ers devront suivre le modèle de la ville à 10 minutes à pied où chaque habitant aura accès à son travail et à toute commodité en moins de 10 minutes à pied. La ville suivra aussi le modèle Revue TB N°6 - 47

Le président Indonésien, Joko Widodo avec le gouverneur de la province, écrivent l’histoire du pays sur le site de la future capitale ©GoI

urbain de TOD. Le concept de TOD (Transit-Oriented Development) en urbanisme est une approche de planifica�on urbaine qui développe la ville autour de sta�ons de transports en commun afin d’op�miser la densité urbaine et la qualité de vie des citadins.

Urban+ et l’autorité d’IKN ont fixé des normes élevées en visant une accessibilité à pied en 5 minutes dans un rayon de 220 mètres autour d'une sta�on de bus, et en 10 minutes dans un rayon de 440 mètres autour d'une sta�on de transit de plus grande envergure.

Concernant les déplacements piétons, le design prévoit des voies piétonnes et cyclables ainsi que des passerelles piétonnes, même entre bâ�ments. Les formes urbaines seront pensées pour perme�re plus d’aéra�on et les bâ�ments seront conçus pour améliorer le confort thermique dans un objec�f de réduire l’usage de la clima�sa�on. Le modèle urbain est directement inspiré de la forêt tropicale. En effet, les différentes fonc�ons d’une forêt sont reproduites.

Des racines inspirant les infrastructures de transport et de flux, en passant par les branches inspirant des passerelles entre les bâ�ments jusqu’à la canopée inspirant de prendre toute son énergie du soleil. La construc�on de la ville se base sur la nature et fait avec les éléments naturels existants. Ainsi, par la construc�on en pilo�s, les principaux cours d’eau et la topographie naturelle sont préservés. L’impact sur le sol se veut être réduit avec le moins de terraforma�on possible. Des mesures de conserva�on et de restaura�on de la forêt tropicale mixte, au lieu de forêt de monoproduc�on de palme, sont proposées. La zone gouvernementale d’IKN sera composée d’au moins 70% d’espaces verts. Ecouter la nature avant d’agir et composer avec elle est la démarche choisie par les urbanistes indonésiens.

Malheureusement, les aspira�ons théoriques rencontrent des difficultés sur le terrain. L’organisa�on 48 - Revue TB N°6

tradi�onnellement cloisonnée des ministères et le manque de forma�on de l’industrie de la construc�on compliquent la mise en œuvre des concepts cités précédemment. De plus, pour Sibarani, le public pourrait exprimer des doutes notamment sur des aspects du projet contraires aux habitudes des Indonésiens. Le changement radical de mode de vie pourrait ne pas être en�èrement acceptable pour la popula�on, notamment en ce qui concerne la transi�on de maison individuelle entourée de barrière vers des appartements sans clima�sa�on dans des espaces ouverts. Les passerelles entre les bâ�ments soulèvent aussi des ques�ons juridiques de responsabilité et de propriété. Malgré le début des travaux, les pra�ques de terraforma�on restent inchangées. La pression poli�que liée aux prochaines élec�ons présiden�elles incite à privilégier le court terme. Elles menacent poten�ellement d'annuler le projet sous le prochain chef d’Etat, incitant ainsi l'administra�on actuelle de Joko Widodo à accélérer le projet au point où son annula�on serait impossible.

L'approche utopiste est revendiquée par Sibarani qui est tout à fait conscient de ces limites. Il fait en sorte de pousser l'idée aussi loin que possible, tout en sachant que des compromis seront nécessaires dans le plan final.

UNE CAPITALE NATIONALE À L’IMAGE DES ENJEUX DE L’INDONÉSIE Le déplacement de la capitale de l'Indonésie vise à résoudre plusieurs problèmes majeurs auxquels est confrontée Jakarta, tout en s�mulant le développement régional, en considérant

par�culièrement les ques�ons environnementales controversées, et en favorisant une répar��on plus équitable des opportunités et des ressources dans le pays. Ce�e nouvelle capitale est avant même son inaugura�on un phare du développement de l’Indonésie mais aussi un élément clé dans les dynamiques géopoli�ques en Asie du Sud-Est. La capitale est un miroir des enjeux de l’Indonésie tout en�ère.

Le gala du 43ème sommet de l’ASEAN5 tenu à Bali en septembre 2023 n’aura pas manqué d’accueillir les leaders de la région avec sous le thème de la ville de Nusantara6. Le député chargé des finances et des inves�ssements de la nouvelle capitale indonésienne de Nusantara ou l’autorité IKN, Agung Wicaksono, a formulé son souhait que Nusantara devienne une interface pour l'ASEAN et notamment entre le Kalimantan (Indonésie), Sabah (par�e de la Malaisie sur l’île de Bornéo) et Brunei Darussalam. La ville est également candidate aux JO 2036. Cependant au-delà de ces déclara�ons, ce projet ambi�eux implique des défis poli�ques et techniques complexes et nécessite une planifica�on soignée ainsi qu'une collabora�on efficace à l'échelle na�onale et interna�onale.

L’Indonésie pourrait ainsi être à la hauteur de son ambi�on géopoli�que et inaugurer avec succès sa capitale en 2045, un siècle après sa proclama�on d’indépendance.

NOTES (1) Charmaine Jacob, “Indonesia is moving its capital from Jakarta to Nusantara. Here’s why it won’t be so easy”, CNBC, 27 aout 2023, .

(2) Yuni Arisandy Sinaga, French delega�on visits Indonesia's Nusantara Capital City, 13 juin 2023, (3) Liste des entreprises : Akuo Energy ; Archetype ; Bureau Veritas ; Egis ; FMDV ; ID logis�cs ; Legrand ; Louis Dreyfus Armateurs ; Menard ; Michelin - SRI ; Na�xis ; Saint-Gobain ; Schneider Electric ; Société générale ; Technicoflor ; Thales ; TotalEnergies ; Veolia. Selon un ar�cle de l’ambassade de France à Jakarta (4) “Informa�on Asymmetry: What Has Been Hidden from the Public on Indonesia Capital Reloca�on?”, FWI, 20 décembre 2022

Le président Joko Widodo arrive dans la zone du point zéro de la future capitale en mars 2022 ©GoI

SOCIÉTÉ

L’Islam en Thailande Entre enjeux sécuritaires et cohabitation au pays du sourire Par Guillaume BEAU - AMRI, Université catholique de Lille

Mosquée Centrale de Pa�ani ©unsplash

UNE IMPLANTATION HISTORIQUE 16 septembre 2006, six bombes détonnent à Hat Yai, dans le sud de la Thaı ̈lande, faisant 5 morts et 82 blessés. Ce�e a�aque s’inscrit dans un contexte plus large de tensions entre bouddhistes et musulmans dans le pays.

La Thaı ̈lande, pays de plus de 70 millions d'habitants, est trè s majoritairement bouddhiste. Cependant l’Islam est pra�qué par prè s de 6 millions d’individus et représente 5 % de la popula�on. L’implanta�on de l’Islam dans le pays remonte au début du Xè me siè cle.

De nombreux marchands musulmans perses, indiens et arabes s’installent alors dans ce qui deviendra le royaume de Sukhothai (1238-1438). Cependant c’est véritablement au XIVè me siè cle avec l’avè nement du royaume d'Ayu�haya (1351–1767) que la présence 50 - Revue TB N°6

musulmane va gagner un réel poids poli�que. Ainsi, de nombreux marchands perses rejoignent la cour des rois d’Ayu�haya et par�cipent à influer la poli�que du royaume. Le roi Somgtham (1610 - 1628) donnera même le �tre de Chularajmontri (superviseur des ac�vités religieuses) à certains de ses sujets musulmans, preuve de l’importance et de l’enracinement des musulmans au sein du royaume.

Sous la dynas�e Chakri et le royaume de Ra�anakosin (1782-1932) la centralisa�on amorcée par le gouvernement amena de nombreux migrants musulmans de différentes ethnies à s’installer dans le centre de la Thaı ̈lande. Encore aujourd’hui il existe à Bangkok des quar�ers Chams, Bengalis, Indiens et arabes. Le sud de la Thaı ̈lande est quand à lui, habité en trè s grande majorité par des malais, le royaume de

Pa�ani qui fut annexé en 1902 par le Siam (ancien nom de la Thaı ̈lande) s’étendait jusqu’à l’actuel province de Surat Thani ce qui explique la forte présence de musulmans malais dans le sud du pays. Ces derniers représentent 80 % de la popula�on musulmane et, contrairement aux restes des musulmans du royaume, sont moins assimilés à la société thaı ̈. Enfin, le nord de la Thaı ̈lande présente une forte diversité ethnicoreligieuse. Les premiers musulmans arrivés vers 1830 dans la région sont des marchands bengalis qui s’installent à Chiang Mai. Durant le XIXè me siè cle plusieurs vagues d’immigra�ons ont lieu qui conduisent des chinois hans musulmans, les “Hui” à s’installer dans le nord du pays. Les premiers arrivants issus de l’empire Qing (1644- 1912) sont des musulmans de la province du Yunnan qui fuient les répercussions de la révolte ratée des “Panthay” (18561873) qui voit s’opposer musulmans chinois et le gouvernement de la dynas�e Qing.

En 1940 le terme générique de “Thai-muslim” est introduit afin de désigner les musulmans des divers groupes ethniques qui peuplent le royaume.

Aujourd’hui encore ce terme est employé à la fois par le gouvernement thaïlandais mais aussi par un certain nombre de musulmans du pays. Les musulmans peuvent être trouvés dans l’ensemble des provinces de Thaı ̈lande et leur intégra�on à la société thaı ̈ est graduelle et dépend d’un ensemble conséquent de facteurs tels que la maı ̂trise de la langue thaı ̈, l’intégra�on spa�o-économique ou encore le sen�ment d’appartenance à la na�on.

De nombreuses personnalités publiques du pays sont musulmanes, c’est par exemple le cas de Wan Muhamad Noor Matha, le président de l’assemblée na�onale ou encore de Supachai Chaided, l’a�aquant du club de football de Buriram United.

PROBLÈ MES SÉCURITAIRES ET SÉPARATISME: LE CAS DU SUD DE LA THAÏLANDE 1786, le royaume du Siam sous la dynas�e des Ra�anakosin envahit le sultanat de Pa�ani situé au nord de la péninsule malaise. Deux siè cles plus tard, en 1902, le dernier raja (monarque) est déposé et le sultanat de Pa�ani défini�vement annexé au royaume siamois.

La région de Pa�ani à la province de Narathiwat en passant par les provinces de Yala et Songkla sont peuplées trè s majoritairement par des musulmans malais. Pour comprendre le conflit qui oppose le gouvernement thaïlandais aux sépara�stes malais locaux il faut donc comprendre comment ces derniers perçoivent leur iden�té en termes ethnique et religieux. Pour la popula�on malaise de Thaı ̈lande l’Islam en tant que religion et en tant qu’ensemble de pra�ques est vues sous le prisme de l’ethnicité, ainsi le

fait religieux et l’appartenance ethnique sont intermixés et créer une vision ethnicisé de l’Islam.

Dépendant de ces deux vecteurs, la genè se du conflit opposant thaïlandais bouddhiste et malais musulmans est issue de tensions mul�ples, aussi bien ethnique que religieuse.

Depuis le début des années 2000, le conflit s’est radicalisé entre les autorités thaı ̈landaises et les indépendan�stes malais qui réclament une plus grande autonomie des régions de l'extrême-sud de la Thaı ̈lande. L’implica�on de groupes de trafiquants d'huiles ainsi que de cartel mafieux combiné à la radicalisa�on islamiste latente des divers groupuscules malais indépendan�ste à graduellement ouvert le conflit à l’influence interna�onale. Actuellement les principaux groupes rebelles sont le BRN (Barisan Revolu�on Nasional) avec ses branches armées que sont le Pejuang Kemerdekaan Patani et le BRN-C (Barisan Revolu�on Nasional Koordinasi). Le Patani United Libera�on Organisa�on (PULO) ainsi que d’autres groupes plus modestes comme le Gerakan Mujahidin Islam Patani (GMIP) ou encore le Runda Kumpulan Kecil (RKK) affilié au BRN opèrent aussi dans la région. Le PULO fut fondé en 1968 en Arabie Saoudite et se basait sur une idéologie visant la créa�on d’un État de Pa�ani indépendant et séculaire vis à vis de Bangkok. Aujourd’hui le PULO à été supplanté sur le terrain par le BRN ou le GMIP, résultat direct du changement sociétal qui s’est mis en place dans les régions musulmanes du pays.

En effet, depuis 2001, un tournant salafiste est observable aussi bien dans la société malaise que au sein de son élite intellectuelle. L’érosion des valeurs ethno-na�onalistes au profit de l'implanta�on d’une idéologie islamiste fondamentaliste à causé la recrudescence d’a�entats, d’a�aques ainsi qu’un changement de modalités dans le déroulement de ces derniè res. Le résultat de la “salafisa�on” de la société malaise de Thaı ̈lande à par�r de 2004 à conduit à une intensifica�on d’a�aques à mains armées contre des agents gouvernementaux ou contre la popula�on civile. Le 28 avril 2004 plus d’une centaine de militants islamistes a�aquent une dizaine de postes de police dans les provinces allant de Songkla jusqu’à Narathiwat. Une trentaine d’entre eux se réfugient dans la mosquée Krue Se considérée comme l’une des mosquées les plus importantes du sud du pays.

L’interven�on militaire qui s’ensuit crée une polémique à l’échelle na�onale et interna�onale.

En octobre de la même année, dans la ville de Tak Bai (province de Narathiwat), une centaine d’hommes furent arrêtés par l’armée thaı ̈landaise aprè s que des militaires aient inculpé cinq hommes pour trafic d’armes en faveur des insurgés. Les prisonniers furent transférés au camp militaire de Ingkayu�haboriharn dans la province de Pa�ani. Le mauvais traitement infligés aux suspects et la chaleur eurent raison de 78 d’entre eux, ce qui créa de nouveau un scandale na�onal. Néanmoins le gouvernement de Thaksin Revue TB N°6 - 51

Shinawatra, premier ministre de 2001 à 2006 soutenant fermement l’opéra�on menée par l’armée.

Sur la période 2004-2017 un nombre grandissant d’a�aques organisées et d’a�entats se déroulè rent, a�aques contre des postes de polices, a�aque contre la popula�on ou pose de bombes, l’ensemble de ces procédés étaient conduit par une pluralité de groupuscules dont l’idéologie basculait sensiblement de indépendan�sme ethno-na�onaliste au dhijadisme interna�onal. Des groupes comme le GMIP sont trè s proches de mouvances comme Al-Quaida et le Jemaah Islamiyah et ont pour ambi�on commune l’établissement d’un État Islamique en Asie du Sud-Est. Des deux cô tés, un certain nombre d’abus ont été commis. L’organisa�on Human Rights Watch (HRW) à recensé des a�aques contre des membres du clergé bouddhistes, des viols ainsi que des mises à mort collec�ves. L’armée thaı ̈landaise à quant à elle menée un grand nombre d'exécu�ons extra-judiciaires. Ses méthodes de déten�on de suspects se sont révélées brutales et ont souvent conduit à la mort de ces derniers. Au total le conflit opposant sépara�stes et forces armées thaı ̈landaises à fait plus de 8000 morts et au moins le double de blessés. En 2021 le BRN envoya une demande de pourparler au gouvernement thaïlandais réclamant trois grands axes : une réduc�on des ac�vités militaires, une recherche de solu�ons poli�ques afin de contenter poli�quement la popula�on malaise et une meilleure intégra�on à la société civile.

ISLAM, BOUDDHISME ET NATIONALISME THAÏLANDAIS : UNE COHABITATION DIFFICILE ?

S’il existe des tensions entre musulmans et bouddhistes il serait trop simple et trop simpliste de résumer les rela�ons entre Islam et bouddhisme à des interac�ons de blocs monolithiques.

L’intégra�on à la société thaï varie ainsi grandement d’un groupe ethnique à un autre ainsi que de régions en régions. Ainsi pour bon nombre de thaï, le bouddhisme est une part de l’iden�té du pays et est donc intrinsè quement perçu comme un marqueur d’ethnicité. La bonne intégra�on des musulmans du nord et du centre de la Thaı ̈lande témoigne non pas d’une grande compréhension de l’Islam par la popula�on thaï mais bien d’une mauvaise intégra�on dans les circuits sociaux et économiques des malais du sud du pays, eux aussi musulmans.

Le na�onalisme thaïlandais, en par�e fondé sur une certaine forme d'extrémisme bouddhisme, peut aussi devenir vecteur de tension. La montée de l’hos�lité entre bouddhistes et musulmans ces derniè res années à souvent mené le gouvernement à mener une poli�que visant à concilier les deux par�s. L’exemple de la ges�on de la polémique sur le port du voile à l’école d’Anuban à Pa�ani est une sub�le illustra�on des méthodes gouvernementales en ma�è re de concilia�on religieuse. La posi�on ini�ale du

A�entats à la bombe dans la ville d’Hat Yaï en 2012, faisant 14 morts et 340 blessés. ©AP Photo/Sumeth Panpetch

gouvernement était de laisser choisir les élè ves de sexe féminin si elles souhaitaient porter le voile ou non. Un violent sursaut de la droite thaı ̈landaise et des na�onalistes bouddhistes obligea le gouvernement à faire machine arriè re.

Cependant il serait faux de résumer la cohabita�on du bouddhisme et de l’islam à un ensemble de confronta�on sociales et doctrinales. En guise d’exemple les chinois musulmans du nord de la Thaı ̈lande exerce des ac�vités jugés peu intéressante ou ne respectant pas l’orthopraxie du bouddhisme, les thaı ̈ dans un systè me de don-contre-don échangent lors de fêtes rituels ou lors d’occasions formels, des biens et des services ce qui permet une fluidité et une intégra�on dans la société. L’Islam, loin d’etre monolithique permet au contraire de produire du sociale, de faire évoluer des normes ou encore de les modifier. Il en va de même pour les communautés bengalis, pakistanaise et indiennes qui s’intè grent dans de larges circuits économiques notamment dans la couture ou le commerce. On les retrouve majoritairement à Thonburi ou dans les grands centres urbains. Chose intéressante à noter, il existe à Chiang Mai des communautés de Népalais musulmans originaires de Birmanie, ces derniers insérés dans des réseaux d’échanges avec le Népal et la Birmanie contribuent toujours plus à la mobilité de l’iden�té dans son champ social et économique. Enfin les musulmans malais de Thaı ̈lande présentent un cas anthropologique et géopoli�que trè s complexe.

Soumis à une assimila�on qui bien souvent réifie leur iden�té sur la base d’une exclusion linguis�que et culturelle, les malais de Thaı ̈lande sont considérés moins bien intégré à la société thaı ̈ que le reste de leurs homologues musulmans. Cela est dû en par�e à des formes d’irréden�sme développées au sein de la communauté et aussi à des divergences socioculturelles qui se sont produites avec le temps. Cela ne veut pas pour autant dire que l’ethnie malaise du royaume forme un bloc compact défini à la fois par son ethnicité et sa religion dans ce que les systè mes de représenta�ons les plus binaires aimerait nous faire croire. Beaucoup de malais musulmans portent des noms thaï et parlent le thaı ̈ avant le malais.

une aide à l’accè s à l’éduca�on supérieure pour une cinquantaine d’étudiants malais du sud de la Thaı ̈lande dans des domaines variés tels que les sciences sociales ou bien la biologie et les mathéma�ques. De plus le Pakistan finance un réseau de madrassa (établissement islamique d’enseignement) et de mosquée qui est disséminé sur l’ensemble de la Thaı ̈lande. On peut citer la Phitsanulok Pakistan Mosque située dans la province du même nom, les deux mosquées de Bangkok financées par le Pakistan ou encore la Masjid Pakistan de Pa�ani.

La même dynamique est à l'œuvre pour des pays comme l’Arabie Saoudite bien que leur stratégie soit moins visible spa�alement. Ainsi de nombreux musulmans de Thaı ̈lande partent étudier en Arabie Saoudite ou en Egypte. Le Hajj, c'est-à -dire le pè lerinage obligatoire à la Mecque pour tous musulmans est aussi une opportunité de diffuser le so� power du royaume en Asie du Sud-Est. De maniè re générale, les musulmans d’origines étrangè res comme les communautés bengalis, huis, pakistanaises, indiennes, etc ... forment des segments sociaux au sein des ensembles urbains qu’ils habitent.

Ces ensembles sont plus ou moins perméables aux influences étrangè res, les madrassas et les mosquées faisant ainsi office à la fois de relais et de point de

LES RÉSEAUX ISLAMIQUES INTERNATIONAUX AU PAYS DU SOURIRE Le 1er octobre 1951 les rela�ons diploma�ques furent établies entre la Thaı ̈lande et le Pakistan.

Cherchant à accroı ̂tre son so� power dans la région asia�que, le Pakistan à fondé sa doctrine de poli�que extérieure sur un intérêt pour les popula�ons musulmanes des pays non-musulmans. Ainsi, examinant et suivant de prè s le conflit entre musulmans malais et thaïlandais, le Pakistan à proposé

Meedee Korn, figure clé de la campagne visant à faire du bouddhisme la religion d’État de la Thaïlande. ©V.Valesquez.

Revue TB N°6 - 53

rencontre pour l’ensemble des musulmans d’une région. On peut citer par exemple la mosquée de Chang Klang, un quar�er au sud de la ville de Chiang Mai qui est habituellement fréquenté par la communauté bengali de la ville mais dont les imams sont originaires de la péninsule arabique. La pénétra�on d’idées, de courants et d’ensembles de pra�ques hétéroclites se fait donc par et pour ces réseaux interna�onaux islamiques qui jalonnent la Thaı ̈lande.

UNE COLLABORATION DE L’AMRI ASSOCIATION DU MASTER DE RELATIONS INTERNATIONALES UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LILLE

ET DEMAIN ?

Placé sous les feux des projecteurs par le conflit ethno-sépara�ste dans le sud de la Thaïlande, l’Islam dans le pays est cependant une composante essen�elle de la société. La progression rapide de l’influence fondamentaliste salafiste et l’émergence de réseaux islamiques de plus en plus structurés en Asie du Sud-Est posent des ques�ons de sécurité. Les sociétés musulmanes, par�culiè rement en Thaı ̈lande, se trouvent soumises à de fortes influences étrangè res et sont en train de changer radicalement. A l’avenir il est possible de voir une montée des tensions entre thaïlandais bouddhistes et musulmans alors que le pays s’intè gre de plus en plus rapidement aux réseaux intellectuels et commerciaux interna�onaux.

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Patani Forum.

Moines boudhistes ©unsplash

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SOCIÉTÉ

Le Bharat Entre volontés d’effacement et paradoxes Par Chloé CALAVIA et Jus�ne COLLIGNON - FDNU

Narendra Modi au lancement du programme Swachh Bharat Abhiyan (Clean India Mission) en 2014.

Alors que l’Inde s’apprêtait à accueillir le sommet du G20 en 2023, le premier ministre Narendra Modi a invité les leaders des autres puissances à se réunir à New Delhi au nom du président du Bharat et non de l’Inde. Ce choix pose alors la ques�on de savoir si les dirigeants indiens envisagent réellement de changer le nom du pays et de la raison qui les pousserait à le faire.

‘BHARAT’ : UN NOM HINDOU ANCIEN ET DÉJÀ RECONNU Le nom ‘Bharat’ n’est pas nouveau et remonte aux anciens textes hindous. Il fait référence à une des deux épopées sanskrites, in�tulée le Mahabharata, qui 56 - Revue TB N°6

comprend la figure du roi Bharat supposé à l’origine du peuple indien. Ce terme est même inscrit dans la Cons�tu�on indienne de 1950 comme l’un des deux noms officiels du pays et de nombreux documents en langue hindoue, qui est l’une des 22 langues officielles, l’u�lisent déjà pour désigner le pays en tant qu’ « union d’États ». On le retrouve également dans le nom Bhara�ya Janata Party (BJP), l’un des deux par�s poli�ques principaux, auquel appar�ent le premier ministre Narendra Modi. Il est également intéressant de men�onner la différence avec le nom ‘Hindoustan’ qui est aussi parfois u�lisé. Ce dernier désigne une région aux fron�ères floues, qui correspondrait soit à une par�e de l’Inde (la plaine du Gange), soit qui remonterait à l’époque de la par��on de l’Inde, par opposi�on à la créa�on des territoires du Pakistan. Il

est cependant moins répandu et surtout moins ins�tu�onnalisé.

L’expression ‘Bharat’ est ainsi déjà reconnue par la Cons�tu�on et par une grande par�e du peuple indien puisque les hindous représentent aujourd’hui un peu plus de 75% de la popula�on du pays. Le premier ministre Narendra Modi n’en est ni le créateur ni historiquement le premier défenseur, mais son administra�on cherche à accroître l’importance de la place accordée à ce terme. Ce�e volonté serait en par�e une stratégie tournée vers l’interna�onal, l’objec�f étant que les autres puissances reconnaissent également le Bharat et ce à quoi il est associé.

UNE VOLONTÉ D’EFFACER LES DERNIÈRES TRACES DE LA COLONISATION BRITANNIQUE L’invita�on au G20 est un signal fort que les leaders du BJP cherchent à s’affranchir des derniers signes de la colonisa�on britannique et à réaffirmer l’iden�té hindoue du pays. Ils sou�ennent que bien que le terme ‘Inde’ proviendrait du nom de la rivière Indus, ce serait en réalité les colons britanniques qui l’auraient imposé. Rappelons que les Britanniques sont présents dès le XVIIème en Inde avec la créa�on de la compagnie de commerce East India Company. Ce�e dernière se développe rapidement et son expansion s’accompagne de la conquête de nombreux territoires en Asie du Sud par l’Angleterre. L’Inde devient officiellement une colonie britannique en 1858 et le reste jusqu’en 1947. La décolonisa�on est synonyme d’une par��on violente entre les popula�ons hindoue et musulmane avec l’appari�on de deux tendances poli�ques et de deux pays. L’objec�f premier du changement de nom serait donc de rompre avec toutes traces rappelant la colonisa�on britannique.

Il est important de remarquer que le changement est bien plus vaste que le nom du pays. Cela se ressent notamment à travers des évolu�ons architecturales, au niveau de l’éduca�on ou de pra�ques ins�tu�onnelles. Des manuels scolaires, des noms de villes, de rues ou encore de monuments ont été notamment modifiés. Par exemple, à l’occasion des 75 ans de l’indépendance indienne, de grands chan�ers de réorganisa�on des lieux de pouvoirs ont été ini�és à New Delhi. Alors qu’auparavant la capitale du pays était Calcu�a, les Britanniques avaient choisi New Delhi comme nouveau siège du gouvernement en 1911. Aujourd’hui, l’ « allée de l'Empire », qui allait du palais du vice-roi des Indes à l’arc de triomphe des vic�mes de la Première Guerre mondiale, a été renommée « chemin du devoir ». Un nouveau Parlement a également été inauguré en 2023, ainsi que de nouvelles résidences pour le Premier ministre et le vice-président. La croix de Saint Georges sur le drapeau de la Marine a aussi été remplacée par le

©Unsplash

sceau du souverain Chhatrapa� Shivaji du XVIIème siècle. Enfin, un autre exemple parlant est celui des fonc�onnaires du Maharashtra qui ont été sommés d’arrêter de dire “hello” et de remplacer ce�e expression par “vande mataram”. Ce terme serait en effet une imita�on bien trop grande de l’Occident.

« Il est important de remarquer que le changement est bien plus vaste que le nom du pays. » UN PROCESSUS PLUS VASTE QUE LE BALAYAGE DE LA COLONISATION BRITANNIQUE : L’EFFACEMENT DE L’HÉRITAGE ISLAMIQUE DE L’EMPIRE MOGHOL Plus insidieusement, l’imposi�on de l’appella�on unique du Bharat contribue également à effacer l’héritage islamique de l’empire moghol et, par extension, la minorité musulmane indienne. L’empire moghol, empire islamique originaire d’Asie Centrale, a Revue TB N°6 - 57

occupé le sous-con�nent indien de 1526 à 1856 en y laissant un certain nombre de traces. Or, le régime de Narendra Modi met en place une dynamique d’uniformisa�on de l’Inde sous l’idéologie hindutva et donc de balayage de tous les éléments y faisant obstacle. Le Bharat pourrait ainsi être considéré non seulement comme un effacement de la colonisa�on britannique mais aussi comme une volonté du pouvoir ultra-na�onaliste hindou d’occulter les composantes islamiques historiques et actuelles du pays. L’objec�f final de ce changement de nom pourrait donc faire par�e d’un projet d’évic�on des composantes nonhindoues afin de “purifier” la popula�on indienne en effaçant tous les éléments ne se rapportant pas à l’hindutva.

Dans ce�e volonté de glorifier une période aryenne pré-islamique et pré-britannique pure et homogène, qui�e à faire fi des preuves archéologiques, le changement de nom du pays s’accompagne, comme dit précédemment, de l’éradica�on des éléments dérivés de la colonisa�on britannique mais aussi de ceux de l’empire moghol. Ainsi, la ville d’Allahabad, d’où est originaire le Premier ministre de l’indépendance Nehru, a retrouvé son nom prémoghol, Prayagraj. Le fait que le pouvoir redonne à ce�e ville le nom qu’elle portait avant les périodes moghole et britannique démontre que les dirigeants considèrent que ces deux périodes n’ont jamais existé dans l’histoire du pays. Néanmoins, Narendra Modi et son gouvernement ne se contentent pas seulement de modifier les noms de rues ou de villes hérités des Moghols mais cherchent également à effacer les traces mogholes de tous les domaines de la vie indienne. Un exemple marquant est la destruc�on le 6 décembre 1992 d’une mosquée du nord du pays, érigée par le premier empereur moghol. Le prétexte avancé à l’époque par les manifestants hindouistes responsables était qu’un temple hindou s’élevait selon eux - à ce�e place quatre siècles plus tôt, avant

d’être détruit lors de la construc�on de ce�e mosquée.

Cet événement illustre le fait que, pour les na�onalistes hindous, le poli�que et le religieux sont indissociables et le renforcement de leur poids poli�que passe par l’imposi�on de l’hindutva. Un second exemple pourrait être le projet de construc�on dans la baie de Bombay d’une statue de 212 mètres en l’honneur de Shivaji, héros local du XVIIème siècle et glorifié par les hindous en raison de ses combats contre l’empire moghol.

Ce�e volonté d’effacer les traces de l’empire moghol et de la colonisa�on britannique, qui nécessite de réviser l’histoire y compris dans les manuels scolaires, permet au pouvoir de décrire ces deux colonisateurs, notamment le musulman, comme des barbares. Ainsi, cela permet à Narendra Modi d’a�ser les tensions avec la minorité musulmane qui, à terme, lui perme�ront de jus�fier des poli�ques an�musulmanes plus vastes. Ce�e exclusion perpétuelle des musulmans, symbolisé par le poten�el futur nouveau nom du pays, permet au pouvoir en place de légi�mer et d’encourager les appels à la haine et au génocide prônés par les militants ultra-na�onalistes hindous.

Le Bharat, tout comme les changements de nom ou la glorifica�on de certains personnages, découlent de la volonté des ultra-na�onalistes hindous de s’approprier l’histoire dans un objec�f poli�que.

L’imposi�on de l’appella�on unique de Bharat permet aux hindous d’avancer qu’ils sont la seule popula�on en Inde grâce à l’exclusion systéma�que des autres groupes dans tous les domaines. L’imposi�on unique du Bharat est donc au cœur d’enjeux plus vastes que l’effacement de la période coloniale britannique et pourrait avoir des conséquences considérables, notamment sur les minorités ethniques et religieuses indiennes.

L’image média�que posi�ve de l’Inde est en par�e due à sa rivalité avec la Chine, cela pourrait s’éroder à l’avenir selon sa poli�que na�onaliste ©GoI

FAISABILITÉ, OPPOSITIONS ET PARADOXES Dans les faits, ce changement de nom pourrait être entériné prochainement, les opposants assurant que ce�e ques�on sera portée à l’ordre du jour de la session parlementaire extraordinaire programmée à la fin du mois de septembre.

« Cette volonté d’effacer le nom anglais traduit une volonté d’uniformisation. » Si un changement de nom suite à une décolonisa�on n’est pas inédit, pensons entre autres à la Haute-Volta qui devient le Burkina Faso à la fin de la période coloniale française, il se heurte cependant à de vives contesta�ons. A l’heure actuelle, la Cons�tu�on indienne reconnaît les deux appella�ons. Or, ce�e volonté d’effacer le nom anglais traduit une volonté d’uniformisa�on, bien qu’une par�e de la popula�on, notamment le Sud du pays, ne s’iden�fie pas à l’héritage sanskrit et hindou de l’État, dont découle l’appella�on Bharat. A ce�e exclusion des minorités notamment musulmane et chré�enne s’ajoute par ailleurs une mise à l’écart de l’opposi�on poli�que, dont la coali�on de vingt-six par�s se fait appeler India.

En outre et comme dit précédemment, l’opposi�on avance que balayer l’appella�on héritée des Britanniques perme�rait au pouvoir na�onaliste en place de réécrire l’histoire de la colonisa�on et de l’indépendance, abou�ssant à un certain nombre de paradoxes. Pour l’opposi�on, Narendra Modi cherche à modifier l’histoire en me�ant en avant le supposé rôle de sa famille poli�que dans l’effacement de la période coloniale, bien que celle-ci n’ait pas été un acteur majeur du processus indépendan�ste en restant rela�vement loyale à la Couronne britannique.

Or, ce�e volonté d’effacer les restes de l’ « humilia�on coloniale » engendre des paradoxes et des tensions. En s’efforçant de gommer les traces de la colonisa�on, Narendra Modi balaye également l’héritage du processus indépendan�ste et notamment ses valeurs.

Sa volonté d’uniformiser la pays sous l’idéologie hindutva, qui passe par l’imposi�on unique de l’appella�on Bharat, encourage également les responsables à inscrire un livre sacré de l’hindouisme dans les programmes scolaires des États dirigés par le BJP, rompant avec le principe de laïcité hérité de l’indépendance. Surtout, le Bharat aurait pour conséquence d’inférioriser les minorités qui ne se reconnaissent pas dans l’idéologie hindutva. De fait, les Hindous acquièreraient une supréma�e sur les minorités équivalente à celle que détenaient les Britanniques sur la popula�on indienne lors de la

colonisa�on. Le dernier exemple de ce�e décolonisa�on “à la carte” réside dans le recours à la loi sur la sédi�on de 1870, héritée des Britanniques. En effet, le gouvernement, qui refuse de faire appel à son héritage colonial, use et abuse pourtant de ce�e disposi�on pour réprimer journalistes, étudiants et opposants.

Néanmoins, ce�e volonté de faire des Hindous, de l’hindi et de l’hindouisme l’unique idéologie na�onale est entravée par la grande diversité des tradi�ons et histoires locales, rendant complexe l’absorp�on de cet ensemble au sein d’une même vision. Malgré cela, une détériora�on de la situa�on des popula�ons ne se revendiquant pas comme appartenant à l’idéologie prônée par le pouvoir est à craindre. Cet effacement historique pourrait en effet n’être qu’une étape préliminaire vers l’effacement de l’existence des popula�ons faisant obstacle à l’homogénéité de ce récit na�onal.

UNE COLLABORATION DE LA FDNU FÉDÉRATION POUR LA DIPLOMATIE ET LES NATIONS UNIES

Revue TB N°6 - 59

GÉOSTRATÉGIE GÉOPOLITIQUE

L’Iran et Russie &l’Indo-Pacifique Europe La République islamique a-t-elle de réelles ambitions dans& la région ?

Entre sanctions

coopération

Par Théo BANSE et Sarah KOUARTA - AMRI, Université catholique de Lille

Par l’Ins�tut Talleyrand

Frégate Iranienne IRIS « Dena » dans la baie de Gunabara, à Rio de Janeiro en février 2023. ©Graan Barros.

En janvier 2023, deux navires de guerre iraniens ont été aperçus au large de la zone économique exclusive australienne. Ils avaient fait escale à Jakarta deux mois plus tôt¹. En décembre, ce sont les forces françaises dans la région Asie-Pacifique (ALPACI) qui ont iden�fié ces deux navires au sud des Marquises (Polynésie française⁾². Il s’agit du navire-base polyvalent IRIS Makran et de la frégate IRIS Dena, formant la 86e flo�lle de la marine iranienne, ayant tous deux qui�é les côtes iraniennes pour un déploiement mondial historique. En octobre 2022, le pays s’est lancé dans un tour du monde dont le but, selon le chef de la marine iranienne Shahram Irani, est de “montrer l'autorité du cher peuple iranien au monde en�er”.

Faisant écho à la récente accession de l’Iran au BRICS et à l’Organisa�on de coopéra�on de Shanghai (OCS), 60 - Revue TB N°6

la République islamique entame un tournant vers l’Est, en par�culier l’Asie non-occidentale, d’où son intérêt pour l’Indo-Pacifique. Mais ces événements sont-ils révélateurs des ambi�ons indo-pacifiques de l’Iran ou me�ent-ils en lumière une projec�on navale au-dessus de ses moyens réels ?

DE L’EMPIRE PERSE À LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE : HISTORIQUE D’UN TOURNANT VERS L’EST L’Asie de l’Est et le sud-est asia�que ne sont pas étrangers à l’Iran et l'intérêt porté à la région ne s’est

pas manifesté pour la première fois avec la défini�on du concept d’Indo-Pacfique. Historiquement, dès le Vè me siècle, les lacunes bédouines se font voir sur les rives mari�mes bordant le Golfe Arabo-Persique. Les Byzan�ns et surtout les Perses, feront voler en éclat le pres�ge des empires d’Arabie pour s’imposer mari�mement vers l’Est. Alors, il n’est pas faute de prétendre que la Perse, en gardant au coin de nos esprits l’Iran actuel, a toujours eu des intérêts et cela aussi longtemps soit-il pour la région Indo-Pacifique, ou pour être davantage précis son centre de gravité géographique, l’Insulinde (Asie du Sud-Est insulaire).

Hormis les liens historiques liant ces deux sphères, il suffit d’avancer à l’ère du Shah Mohamed Pahlavi afin d’apprécier la ténacité de la Perse pour l’Océan Indien.

En effet, durant les années 1970, le Shah a tenté de négocier un “marché commun des pays riverains de l’Océan Indien”³ entre l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, la Malaisie en bref, le sous con�nent indien et l’Asie du Sud Est. Autre détail, Canberra était déjà dans la ligne de mire de l’empire puisque le Shah avait déjà présenté l’envie de collaborer avec l’Australie concernant les réserves minérales du pays pouvant fortement impulser l’industrie Perse. L’Inde voyant l’accord d’un mauvais œil, le souhait de coopéra�on sera écourté par crainte de voir un leadership conséquent de l’Australie dans ces accords.

Par la suite, le Shah va réitérer sa demande en évinçant ce dernier, chose qui ce�e fois-ci sera refusée par le Pakistan jus�fiant une trop forte asymétrie économique entre les possibles pays-membres.

La Révolu�on islamique de 1979 frappant l’Iran, les ambi�ons stratégiques incluent dorénavant un aspect idéologique. Précisément, l’exporta�on du modèle révolu�onnaire au cœur des pays musulman d’Asie du Sud-Est se verra incarner une nouvelle ambi�on pour le régime des Mollahs. De plus, le Guide Suprême �ent à assurer une présence mari�me dans les océans Indien et Pacifique, une tac�que élaborée à l’aide des détroits stratégiques comme Ormuz ou Panama. À l’aide de ce rappel historique, il est aisé d'apercevoir que l’heure est à la reformula�on d’un pres�ge mari�me d'antan dans la région Indo-Pacifique.

L’IRAN ET LE PIVOT ASIATIQUE, L’AXE TÉHÉRAN - PÉKIN - MOSCOU EN LIGNE DE MIRE ?

Le passage des navires IRIS Makran et IRIS Dena au large de l’Australie doit aussi être vu comme une réponse aux sanc�ons imposées par Camberra et son sou�en, suite à la mort de Mahsa Amini, aux révoltes de 2022⁴. Leur escale à Jakarta rappelle quant à lui la place de l’Indonésie, et de l’Asie du Sud-Est en général, pour l’Iran. C’est en par�culier l’ASEAN, en tant que moteur économique en Asie, qui intéresse Téhéran qui voit en l’Asie du Sud-Est des rela�ons économiques

pouvant a�énuer son isolement et les sanc�ons économiques. L’Indonésie, plus par�culièrement, apparaît comme un élément important pour Téhéran.

Mais ce dernier doit faire face à la rela�on économique plus poussée entre Riyad et Jakarta ainsi que la persécu�on de la minorité chiite dans l’archipel indonésien⁵.

Plus largement, la place de la République islamique dans ce�e région vise la réaffirma�on de sa stratégie asia�que tout en défiant la puissance américaine dans la région. L'opposi�on aux États-Unis est un vecteur important lorsqu’il s’agit de traiter de l’Iran, d’autant plus dans le cadre de l’Indo-Pacifique et l’importance que revêt la région pour Washington. La volonté de l’Iran est également de montrer sa capacité à projeter ses forces navales hors de ses fron�ères.

Mais l’affirma�on des inten�ons iraniennes est également le signe d’une volonté de faire émerger un monde post-occidental, en démontrant notamment l’inefficacité des sanc�ons économiques et la réussite de son autosuffisance⁶. La dimension navale est précisément un ou�l de promo�on et de diploma�e vers des pays comme la Chine, la Russie ou encore l’Indonésie. Le but étant de se rapprocher des puissances non-occidentales asia�ques ayant des intérêts convergents. Il s’agit ici plus largement de la stratégie de “Regard vers l’Est” (Négâh bé sharq) qui a été popularisé par Mahmoud Ahmadinejad (président de l’Iran de 2003 à 2013) désignant une tendance naturelle et inévitable de la diploma�e iranienne à se tourner vers l’Asie⁷. Ce�e poli�que a connu un tournant dans les années 2014-2015 lorsque la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Iran⁸. Cela contraste avec la poli�que étrangère iranienne à la suite de la Révolu�on de 1979 et sa doctrine “Ni Ouest, ni Est”.

L’Indo-Pacifique est pour l’Iran un vecteur de rapprochement avec Pékin et Moscou, faisant apparaître un axe indépendant face aux États-Unis. Les premiers exercices conjoints avec la Chine, réalisés en septembre 2014, ainsi que l’exercice trilatéral impliquant les forces russes en mer d’Oman, en juin 2017, vont dans ce sens. Signe d’un élargissement des rela�ons stratégiques entre ces trois États, le but est de me�re en avant les op�ons stratégiques à leur disposi�on afin de faire face aux États-Unis dans la région. Du point de vue chinois, la diploma�e navale sino-iranienne est un message envoyé à Washington.

En coopérant avec Téhéran, Pékin se dote d’une marge de manœuvre dans sa rela�on avec les États-Unis.

Mais là où la Chine et la Russie sont des puissances navales de premier ordre, l’Iran reste avant tout une puissance régionale. Il est donc important de souligner le décalage important entre les ambi�ons indopacifiques démesurées et les capacités limitées de la marine iranienne. Ainsi, les exercices conjoints avec la Chine et la Russie ou le passage des navires IRIS Makran et IRIS Dena dans le Pacifique, sont avant tout des signalements stratégiques plus qu’une réelle Revue TB N°6 - 61

démonstra�on de force de la part d’une marine n’étant pas en capacité de comba�re au-delà de ses fron�ères. La marine iranienne est avant tout une force capable d’opérer dans sa région proche ; le Golfe Arabo-Persique.

L’IRAN, AVANT TOUT UNE PUISSANCE NAVALE CANTONNÉE AU GOLFE ARABO-PERSIQUE ? À défaut de pouvoir se projeter durablement dans l’Indo-Pacifique, pour l’heure, les intérêts vitaux de l’Iran se concentrent surtout au niveau du golfe AraboPersique.

“La ceinture de sécurité mari�me” est le nom a�ribué à la stratégie iranienne de sécurisa�on du voisinage mari�me en vue d'y conserver sa présence militaire. Cela inclut une sécurisa�on de la mer d’Oman, presque un cloisonnement à toutes puissance étrangères s’aventurant sur les eaux du Golfe. À la manière de la conserva�on d'une certaine préciosité des abords mari�mes, l’Iran va développer une mul�tude de moyens de reconnaissance et de forces de dissuasions navales et cela surtout à l’encontre des États-Unis. Un début d’ouverture s’est fait voir avec l’élabora�on de l’exercice trilatéral entre la Russie, la Chine et l’Iran en mer d’Oman non loin du port iranien de Chabahar, ne perdant pas de vue ses animosités contre Washington.

Néanmoins, la mainmise sur ce�e région reste purement iranienne, avec la volonté de répondre à un double objec�f bien rodé pour Téhéran. L’un vise à répondre à la menace que représente les monarchies arabes dans la zone, l’autre cible, Israël, qui a la capacité militaire et surtout technologique d’a�eindre l’Iran. Ainsi, le Golfe prend forme d’un espace vital pour Téhéran, qui ne peut s’empêcher de d’abord traiter les rivalités opérant dans son espace géographique proche, avant d’opérer un pivot vers l’Indo-Pacifique. À �tre de comparaison, l’Iran peut dans les faits, difficilement rivaliser avec les monarchies tels que la flo�e émira�e ou qatari, alors, sa stratégie dans les eaux voisines s'apparente plus à une capacité de nuisance que de défense⁹. Et cela se retrouve dans les mul�ples menaces de fermeture du détroit d’Ormuz.

Concrètement, afin de brièvement évaluer ses capacités technologiques, l’Iran développe un ensemble balis�que pouvant être transporté sur des navires de pe�tes et moyennes tailles, un total de 6000 mines peut également être dissimulé, ajoutant l’existence de missiles an�-navires (C-802), en bref, tout ce qui peut être nécessaire à la dissuasion. Ce�e stratégie porte le nom de “déni d’accès” : c’est-à-dire qu’il n’est pas possible pour l’Iran de prétendre à un leadership mari�me or, le pays reste néanmoins sur 62 - Revue TB N°6

ses posi�ons : il faut prévenir toute a�aque ou toute ambi�on autre que la sienne. De ce fait, l’arsenal incluant ce�e stratégie des mines est totalement représenta�ve de ce déni d'accès.

La réponse américaine dite de contre-déni serait de détruire les principaux “nœuds d’informa�ons”¹⁰ qui appuient l’usage de l’arsenal iranien via des a�aques aériennes. Toutefois, la situa�on qui paraissait

avec le destroyer Type 52D Nanning de la ma

asymétrique va davantage �rer vers les Iraniens. En effet, la stratégie de contre dénie pourrait perme�re à Téhéran d’opérer des pressions diploma�ques pour empêcher les pays voisins d’ouvrir leurs espaces aériens aux forces américaines. De plus, l’Iran qui développe toujours ses moyens technologiques est amené à inverser la balance avec ses voisins arabes.

Alors que les pays du Conseil de coopéra�on du Golfe (Arabie saoudite, Oman, Koweït, Bahreïn, Émirats arabes unis et Qatar) sont en posi�on de supériorité face aux forces iraniennes. L’a�aque de la raffinerie saoudienne en 2019 semble transformer l'asymétrie des puissances en faveur de l’Iran. Ces revirements, amènent alors Téhéran à ne pas changer d’ambi�ons sur le Golfe, malgré un déni d’accès qui laisse pour l’instant l’avantage à l’US Navy.

Alors que Téhéran souhaite opérer un tournant vers l’Est, nous avons constaté que sa marine reste avant tout régionale. Apparaissant plus comme une force

perturbatrice qu’une force capable de se projeter vers l’Asie du Sud-Est, le point central de la région IndoPacifique, elle semble être en capacité d’opérer uniquement dans sa région proche, la cantonnant ainsi en périphérie de ce�e région stratégique qu’est l’IndoPacifique.

à d’autres puissances asia�ques, prendront le dessus sur l’affirma�on de ces intérêts convergents.

NOTES (1) « Iranian Warships Transi�ng South Pacific in Global Show of Force ». ABC News, 2 janvier 2023.

(2) « La Marine iranienne iden�fiée au large de la Polynésie ». Polynésie la 1ère, 25 décembre 2022.

(3) « Le chah d’Iran a proposé aux pays riverains de l’océan Indien de renforcer leur coopéra�on ». Le Monde.fr, 5 octobre 1974. Le Monde (4) « Ahead of Protest Anniversary, Iran Summons Australian Envoy over Remarks on Human Rights ».

AP News, 14 septembre 2023.

(5) Khomeini in the Archipelago: Iranian Interests and Influence in Indonesia.

(6) Les ambi�ons de la République islamique d’Iran dans le Pacifique, RFI (7) Bloj, Ramona. « Sommet des BRICS : le pivot asia�que de l’Iran s’accentue ». Le Grand Con�nent, 24 août 2023 (8) The China-Iran Strategic Partnership: 40 Years in the Making.

(9) Samaan, J. (2016). Les rivalités navales dans le Golfe : acteurs et ressources. Hérodote, 163, 149-165.

(10) Paglia, M. (2021). Détroit d’Ormuz : la guerre des nerfs. Poli�que étrangère, , 139-150.

(11) Dina Esfandiary et Ariane Tabatabai, Triple Axis : Iran’s Rela�ons with Russia and China, I.B. Tauris, 2018.).

UNE COLLABORATION DE L’AMRI ASSOCIATION DU MASTER

Exercice conjoint des forces navales iraniennes avec arine chinoise en mars 2023 dans les eaux iraniennes. ©Iranian Naval Force.

DE RELATIONS INTERNATIONALES UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LILLE

CONCLUSION Ainsi, la République islamique, en tant qu’État an�occidental et sous sanc�ons, renforce son Regard vers l’Est par ses ambi�ons indo-pacifiques. La projec�on, certes très limitée, dans ce�e région stratégique par�cipe à renforcer le “triple-axe” an�-occidental comme l’avait formulé Ariane Tabatabai et Dina Esfandiary pour décrire cet alignement Téhéran-PékinMoscou¹¹. Cela est à me�re en percep�on avec l’entrée de l’Iran au sein de l’OCS, dans la con�nua�on de son Regard vers l’Est, et des BRICS, en renforçant la dimension an�-occidentale de ces derniers tout en poursuivant un rapprochement vers Pékin. Reste à voir si ces victoires diploma�ques et ces signalements stratégiques vont bénéficier à l’économie et la stabilité poli�que de l’Iran ou au contraire, si les disparités d’intégra�on à l'économie mondiale, en comparaison Revue TB N°6 - 63

GÉOSTRATÉGIE

Outre-mer français Une protection efficace de la ZEE, mais une présence sous-dimensionnée ?

Par Laurent BABIN - Spécialiste de l’outre mer

La Nouvelle-Calédonie, essen�elle pour la projec�on mari�me française dans le pacifique. ©unsplash

INTRODUCTION En Juillet 2023, le Président Emmanuel Macron a fait une tournée dans le Pacifique Sud. L’objec�f principal : renforcer la posture française liée à l’Indo-pacifique. Il a à ce�e occasion visité Port-Vila au Vanuatu et Nouméa en Nouvelle-Calédonie.

Le second objec�f : prendre acte de la fin du processus de l’accord de Nouméa à l’issue des trois référendums d’autodétermina�on devant décider si la Nouvelle-Calédonie devait devenir indépendante ou rester française, lesquels ont mené à une victoire du non et de ceux qui souhaitent rester français.

La Nouvelle-Calédonie est un archipel de l’Océan Pacifique, situé à 1500 kilomètres à l’est de l’Australie et 2000 kilomètres au nord de la Nouvelle-Zélande,

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proche du tropique du Capricorne, situé dans le groupe d’îles de la Mélanésie.

L’archipel est « découvert » en 1774 par le navigateur anglais James Cook, avant d’être colonisé en 1853, sous Napoléon III. D’abord des�née à être une colonie péniten�aire, celle-ci devient ensuite une colonie de peuplement. La découverte de nickel dans la deuxième moi�é du XIXè siècle donne à la Nouvelle-Calédonie une importance supplémentaire.

Malgré les volontés de la Métropole, jamais la Nouvelle-Calédonie ne deviendra très peuplée par les colons, et le contexte guerrier et épidémiologique de la prise de possession causent une grande diminu�on de la popula�on autochtone originelle, le peuple

Kanak. Ainsi en 1940 on compte 53 000 habitants en Nouvelle-Calédonie, dont 30 000 Kanaks.

La grande Histoire se mêle à la pe�te. Les grands bouleversements du XXè siècle vont transformer l’archipel. Les deux Guerres Mondiales voient les Calédoniens et les Kanaks améliorer leur sort : les poilus volontaires Kanaks deviennent les premiers citoyens français de plein droit parmi les autochtones, tandis que la présence américaine en NouvelleCalédonie (1942-1947) va donner énormément d’opportunités économiques et salariales.

Hautement stratégique, à par�r de mars 1942, l’île devient une des bases principales de l’armée américaine dans sa lu�e contre le Japon.

Plus d’un million de GI’s passent sur l’île pendant la guerre (plus de 100 000 hommes en quasipermanence), tandis que Nouméa devient le deuxième port de l’US Navy dans le Pacifique après San Francisco.

Le peuple Kanak accède à de meilleures condi�ons de vie via le travail salarié, ce qui va provoquer un autre bouleversement qui va s’opérer dans la deuxième moi�é du XXè siècle.

Le réveil poli�que et iden�taire de la popula�on Kanak va faire émerger l’indépendan�sme calédonien, lequel va faire ressurgir à par�r des années 1970-1980 le sujet de la souveraineté française en NouvelleCalédonie.

Un sujet déjà ques�onné par le passé par d’autres forces, extérieures à l’archipel. De façon contemporaine, l’impulsion actuelle de la Chine dans l’Asie-Pacifique, et son implanta�on dans de nombreuses îles voisines de l’archipel ne fait aucun doute : le Dragon souhaite étendre son influence dans la zone, et ne se prive pas pour pra�quer du néocolonialisme à l’aide de l’emprunt et de la de�e notamment.

De l’autre côté du spectre des acteurs du Pacifique, les USA et l’Australie, via le QUAD, les Five Eyes et l’AUKUS, nos « alliés », ne se privent pourtant pas pour faire primer leurs intérêts. L’affaire des sous-marins nous l’a cruellement rappelé.

Pour reprendre une célèbre formule : En géopoli�que, il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts.

Comment dans ce contexte, la France peut-elle assurer la pérennité de son concept d’Indo-pacifique, faire exister la « troisième voie », et surtout, garan�r la souveraineté de ses territoires Outre-mer dans une région et une époque soumise à de fortes tensions ?

LA NOUVELLE-CALÉDONIE, VICTIME DU « DÉNI MARITIME FRANÇAIS » ?

Dans un rapport déposé en 2016, le Sénat évoquait le « Déni Mari�me » de la France, qui possède un des plus grands domaines mari�mes mondiaux, avec plus

de 11 millions de kilomètres carrés de ZEE2, dont une bonne par�e dans l’Indo-pacifique.

Afin de répondre à ce�e ques�on faisons le tour d’horizon historique et actuel des moyens alloués à la Défense de la Nouvelle-Calédonie.

1853 – 1883 : Première installa�on, mise en place du Bagne et gouverneurs militaires En 1878, lors de la grande révolte du chef Ataï la garnison terrestre présente en Nouvelle-Calédonie représentait 1818 hommes, essen�ellement des troupes de marines. C’est le moment où l’Empire Français inves�t le plus sur le Territoire NéoCalédonien : colonie pénale ac�ve devant être soumise par la force, il est nécessaire d’y appliquer une forte présence.

De la sorte, « Une trentaine de navires vont assurer pendant près de trente ans l’acheminement des renforts et la relève des unités dont la durée de séjour s’établit autour de 3 ans ».

On relève que les aménagements en termes d’infrastructures navales sont limités voire inexistants.

A ce�e période, les troupes et commandant de Marine dorment à bord de leur navires.

Nouméa, port d’escale (1884-1939) : fin de la colonisa�on pénale et gouverneurs civils La société Calédonienne devenant civile et de plus en plus pacifique, le rôle de l’armée s’efface peu à peu.

Les effec�fs militaires baissent régulièrement : en 1925 on ne compte plus que 200 militaires. Pour la Marine, l’île n’a plus qu’un rôle d’escale secondaire. La venue de quatre navires de guerre en 1928 est vécue comme un micro-évènement.

Or, ce�e posture baissière pour la NouvelleCalédonie ne semble pas en corréla�on avec la relance de l’effort naval observé de la part de la IIIe République à par�r de 1878.

Parallèlement, c’est dans ce�e période qu’un premier courant poli�que autonomiste voit le jour et connaît un certain succès en Nouvelle-Calédonie : dans les années 1920, le commerce se fait davantage avec le voisin australien qu’avec la métropole distante, tandis que l’archipel s’autofinance son budget avec ses revenus locaux.

Alors qu’en 1939, la Marine na�onale dispose d’une des plus belles flo�es de son histoire, en NouvelleCalédonie, le gouverneur Barthes fraîchement arrivé ne peut que constater la faiblesse des moyens de défense de l’archipel.

Nouvelle-Calédonie, joyaux des mers du sud et pomme de discorde (à par�r de 1945) Entre 1945 et 1958, la France est engluée dans les guerres de décolonisa�on d’Afrique et d’Asie. Sans compter les dégâts subis lors du Second conflit mondial pour les infrastructures navales de la métropole, dans ce contexte il est difficile pour la

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France et la IVe République d’inves�r dans une forte présence dans le Pacifique Sud. A par�r de 1958, l’arrivée de Charles de Gaulle et de la Ve République marque une nouvelle ère : la France se dote de l’arme nucléaire et veut se donner une nouvelle voie (et voix) dans un monde défini par la guerre froide.

Cela touche directement le Pacifique, puisqu’une fois passé les premiers essais nucléaires d’Algérie, à par�r de 1966 les essais suivants se font en Polynésie Française.

Indirectement, la Nouvelle-Calédonie bénéficie de la couverture liée à ce�e ac�vité nouvelle via la DIVAVPACI et les avisos-escorteurs qui la composent tels que le Protet.

A par�r de 1972, la Nouvelle-Calédonie se voit a�ribuer la présence des patrouilleurs La Dieppoise et La Dunkerquoise (anciens dragueurs de mines reconver�s), avant que ceux-ci ne soient remplacés par les nouveaux navires de la classe P-400 La Moqueuse et La Glorieuse au cours des années 1980.

Les deux P-400 vont protéger la souveraineté française sur la ZEE de Nouvelle-Calédonie. La Moqueuse effectue diverses intercep�ons de palangriers Taiwanais (1989, 2002, 2004, 2009, 2010), de même que La Glorieuse (2003, 2004, 2007).

L’affaire qui va faire couler le plus d’encre est l’intercep�on en 2013 du Yu Hu, un bateau chinois.

Ainsi, à l’aide d’un Etat du Vanuatu complaisant avec ses permis de pêches et en s’appuyant sur ses revendica�ons frontalières, l’affaire va connaître un imbroglio juridique, menant temporairement à l’installa�on d’une « zone grise » dans la ZEE Calédonienne par la Cour d’Appel de Nouméa, qui sera un peu plus tard brisée par l’interven�on de la Cour de Cassa�on en 2016.

LES MISSIONS DE DÉFENSE ET DE SOUVERAINETÉ CONTEMPORAINE : LA PROTECTION DE LA ZEE Aujourd’hui, les deux composantes principales de la Défense en Nouvelle-Calédonie sont l’Infanterie de Marine (RIMaP-NC) et les bâ�ments de la Marine Na�onale chargés de patrouiller sur la ZEE. Intéressons-nous aux missions de la Marine car ce sont celles qui concernent la souveraineté via sa mission de protec�on du domaine mari�me.

Notons que le RIMaP-NC est très ac�f, et travaille souvent avec les forces alliées présentes dans la région, ce qui par�cipe du pres�ge de la France et de la voix qu’elle peut porter diploma�quement.

Récemment, on pourra citer l’exercice BrunetTakamori de Septembre avec la JSDF, ou encore l’exercice Croix du Sud en Mai.

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Reliant, FS Dixmude, HMS Spey, FS Auguste Benebie, FS

Concernant la protec�on de la ZEE Calédonienne, le CIFM-NC (Centre de fusion de l’informa�on mari�me de Nouvelle-Calédonie), en lien avec le PNMC (Parc naturel de la mer de Corail), organisme civil, est à l’affût concernant les ac�vités de pêches illégales et les intrusions dans le domaine mari�me français.

Pe�te spécificité liée au statut par�culier de la Nouvelle-Calédonie, la compétence mari�me est partagée avec les ins�tu�ons locales : pour pouvoir traverser la ZEE Calédonienne, les pêcheurs étrangers ont obliga�on de déclarer leur transit avant d’y entrer.

Dans ce cadre interviennent les moyens actuellement à disposi�on de la Marine Na�onale : Le Vendémiaire (frégate de surveillance lancée en 1992), le BAOSM D’Entrecasteaux (bâ�ment de sou�en lancé en 2015), le patrouilleur La Glorieuse (P-400 lancé en 1987) et le POM Auguste Bénébig (Patrouilleur Outremer, lancé en 2023), ainsi que dans les airs deux Gardians de la flo�lle 25 F, et un Dauphin embarqué sur le Vendémiaire.

Les P-400 sont actuellement en cours de renouvellement : ainsi La Moqueuse a été remplacée par le patrouilleur de la nouvelle classe POM Auguste Bénébig en avril 2023. En 2024, La Glorieuse sera remplacée par le Jean Tranape.

Le bilan de l’ac�on des forces coordonnées par le CIFM-NC tend à indiquer un renforcement de la présence chinoise aux abords de la ZEE Calédonienne, notamment via la China Na�onal Fisheries Corpora�on (CNFC).

Une des stratégies u�lisées par la Chine, est, en plus de ses navires sous son propre pavillon, d’employer également des navires sous pavillon des îles du Pacifique, notamment fidjien.

S La Faye�e and FS La Glorieuse, exercice Croix du Sud 2023. ©L-R Savenaca.

La surveillance menée par les forces française et les capacités d’intercep�on semblent à l’heure actuelle suffisantes : le nombre d’opéra�ons de pêches illégales avérées à l’intérieur de la ZEE tend vers zéro.

De plus la sécurité d’ensemble est renforcée par deux mesures : 1 - Aucun navire étranger ne se voie délivrer d’autorisa�on de pêche, 2- L’obliga�on de déclara�on son transit avant d’entrer dans les eaux Calédoniennes.

En revanche, autour et aux abords de la ZEE l’ac�vité mari�me est en pleine croissance, probablement du fait de la raréfac�on des ressources ainsi que des montées en tension du côté de la Mer de Chine, qui voient non seulement les Chinois eux-mêmes, mais aussi les pêcheurs des États sur lesquels ils font pression par�r pour des eaux moins dangereuses, comme l’illustre l’exemple des Blue Boats vietnamiens.

CONCLUSION Avec des moyens de surveillance ac�fs et en cours de renouvellement, et des forces en permanence sur le qui-vive, il semble qu’en ce qui concerne la protec�on de la ZEE des eaux Calédoniennes, les moyens mis en place soient per�nents et en corréla�on avec le niveau de menace actuel.

Toutefois, malgré le rayonnement diploma�que et interna�onal que donnent les exercices et collabora�ons inter-éta�ques, la ques�on de l’opposi�on entre ambi�on affichée et réalité des moyens déployés se pose : en se contentant de faire de la Nouvelle-Calédonie une ZEE sanctuarisée, cela suffit-il à donner à la France le poids qu’elle souhaite

avoir dans l’Indo-pacifique et le conflit Sino-Américain qui s’y dessine ?

Des simples patrouilleurs, même à la pointe de la technologie et bardés de capteurs pèsent-ils aussi lourd que des unités navales de pres�ge tels que des croiseurs ou des porte-aéronefs ?

La flo�e chinoise ne cesse de se renforcer, et a lancé des séries de porte-avions et autres bâ�ments lourdement armés. Les autres pays de la région s’adaptent et relèvent leur puissance de feu. Le Japon notamment, est en train de répondre à la Chine et relève son niveau de puissance aéronavale de façon crédible.

Le réflexe Européen de s’abriter derrière le parapluie Américain semble également à l’œuvre Outre-mer. Si la France n’a pas voca�on à faire concurrence aux États-Unis et à leur dizaine de groupes aéronavals, elle a près de 11 millions de km² de ZEE à couvrir et à protéger, y compris de menaces qui peuvent aller audelà de la flo�e de pêche agressive.

Les évolu�ons toutes récentes du contexte interna�onal montrent clairement que la paix est fragile, et que derrière des situa�ons jugées stables, des développements rapides peuvent se produire.

Lors de la Seconde Guerre Mondiale, la ques�on s’est posée pour les Etats-Unis et l’Australie de savoir si la France « méritait » de conserver la NouvelleCalédonie. De la même façon il semble que les indépendan�stes de Nouvelle-Calédonie via le FLNKS soient sur la même ligne que les états mélanésiens indépendants en ce qui concerne la collabora�on avec la Chine.

Si les intérêts de nos « plus grands alliés » se désalignent des nôtres, la France aura-t-elle seulement la capacité de protéger sa ZEE ?

Face à une époque de menaces sérieuses et d’alliances à géométrie variable, il serait temps de se réveiller : la Défense est l’aspect le plus fondamental de la Na�on. A quoi bon faire des économies si c’est au prix de la sécurité collec�ve ?

La troisième voie dans l’Indo-pacifique rappelle la posture Gaullienne et une certaine autonomie, voire indépendance d’alignement. Pour allier discours et réalité, Charles de Gaulle a été capable de lancer de grands programmes d’inves�ssements militaires et de sécuriser la puissance diploma�que tricolore en la soutenant par la puissance militaire.

La France de 2023 est-elle capable de se relever les manches et de redonner des couleurs à son armée et à sa diploma�e ?

Revue TB N°6 - 67

GÉOSTRATÉGIE

La Puissance Militaire Émergente de l'Inde Un allié de taille pour les États-Unis en Indo-pacifique et un défi pour la Chine et l'équilibre des puissances mondiales ?

Par Benjamin VUILLEMOT

Infanterie légère sikhe à la parade. ©Antônio Milena

Dans l'arène complexe de la géopoli�que mondiale, un acteur est en train de �rer son épingle du jeu : l'Inde, une na�on autrefois reléguée au statut de puissance régionale est en passe de devenir une puissance de premier plan. "L'Inde s'éloigne progressivement de sa posi�on tradi�onnelle de puissance régionale pour revendiquer un rôle prépondérant à l'échelle mondiale"¹. Ce�e transforma�on est bien plus qu'une simple acquisi�on d'armement sophis�qué, c'est une métamorphose profonde qui affecte les équilibres mondiaux. L'Inde n'est plus simplement un spectateur, mais un joueur 68 - Revue TB N°6

clé qui redéfinit l'ordre mondial. Ce�e évolu�on crée des dynamiques complexes avec d'énormes implica�ons pour la Chine, les États-Unis et le reste du monde.

Au cœur de ce�e renaissance militaire indienne, l'Indo-pacifique devient un théâtre majeur de compé��on géopoli�que. Les États-Unis voient en l'Inde un allié stratégique pour maintenir la stabilité dans la région. En même temps, la Chine perçoit ce�e montée en puissance comme un défi poten�el à son influence régionale.

L'axe États-Unis-Inde

s'approfondit, marqué par des accords clés et une convergence d'intérêts économiques et sécuritaires².

Cependant, il existe également des défis à relever, et la Chine adopte une a�tude complexe envers l'Inde, mêlant préoccupa�ons de sécurité et opportunités de coopéra�on. Alors que l'Inde redessine les équilibres de pouvoir en Indo-pacifique, le monde observe a�en�vement ces évolu�ons, conscient des répercussions poten�ellement profondes pour la géopoli�que interna�onale.

« L'Inde s'éloigne progressivement de sa position traditionnelle de puissance régionale pour revendiquer un rôle prépondérant à l'échelle mondiale. » L'INDE DANS L'ARÈNE MILITAIRE : UN DRAGON EN DEVENIR La métamorphose de l’Inde se manifeste à travers une série d'ini�a�ves, comprenant l'acquisi�on de 26 avions de chasse Rafale, des avions F16 block 70 d’une valeur de 15 milliards de dollars³ et de missiles balis�ques intercon�nentaux Tomahawk⁴. Ce�e évolu�on dépasse les fron�ères na�onales, générant ainsi de nouvelles dynamiques et des défis pour les acteurs interna�onaux.

"L'Inde se posi�onne désormais en tant qu'acteur majeur dans le domaine de la sécurité interna�onale, non seulement dans son voisinage immédiat, mais également à l'échelle mondiale"⁵. Ce�e montée en puissance consolide davantage la posi�on émergente de l'Inde en tant que puissance militaire de premier plan. Les récents développements militaires, tels que la mise en service du sous-marin nucléaire d'a�aque INS Kalvari et l'annonce de la construc�on d'un deuxième porte-avions basé sur le modèle de l'INS Vikrant, témoignent de la détermina�on de l'Inde à renforcer sa posi�on sur la scène interna�onale⁶.

L'Inde traverse actuellement une transforma�on majeure en devenant une puissance militaire de premier plan dans la région indo-pacifique. Ce�e évolu�on perturbe les équilibres géopoli�ques établis et suscite des intérêts contradictoires, avec la Chine, ce�e dernière perçoit ce�e montée comme une menace tandis que les États-Unis la considèrent comme un allié stratégique.

L'Inde souhaite un rôle stabilisateur avec un stratégie de sécurité régionale. Sa capacité croissante à

surveiller les routes mari�mes cruciales renforce les tensions sécuritaires autour du commerce mondial.

L'ascension de l'Inde en tant que puissance militaire mondiale a des implica�ons considérables pour l'équilibre géopoli�que non seulement dans l'Indopacifique, mais également à l'échelle globale.

Parallèlement, le renforcement con�nu des alliances de l'Inde avec les na�ons de l'OTAN contribue à polariser davantage la région et alimente les tensions, déclenchant une course aux armements parmi les pays de la zone.

L'ENTENTE ÉTATS-UNIS-INDE : LE DUO STRATÉGIQUE DE L'INDOPACIFIQUE Dans le contexte de tensions en Indo-pacifique, l'alliance stratégique entre les États-Unis et l'Inde s'affirme comme un acteur clé dans le main�en de la stabilité régionale⁷.

Au cours des dernières années, ce partenariat a connu une expansion significa�ve, renforcé par la conclusion d'accords majeurs, tels qu'un accord de libre-échange, un accord de défense et un accord de coopéra�on en ma�ère de renseignement, « En 2022, les deux pays ont signé un accord pour coopérer sur le développement d'avions de combat de cinquième généra�on »⁸. En 2023, les États-Unis ont fourni à l'Inde une assistance militaire d'une valeur de 3,3 milliards de dollars, ce qui en fait le deuxième plus important bénéficiaire de l'assistance militaire américaine après Israël⁹. Ce�e évolu�on reflète une convergence d'intérêts économiques et sécuritaires entre les deux pays.

« En 2022, les deux pays ont signé un accord pour coopérer sur le développement d'avions de combat de cinquième génération. » L'élément catalyseur de ce�e alliance a été la montée en puissance de la Chine, dont les ambi�ons régionales et mondiales suscitent des préoccupa�ons aux États-Unis et en Inde. Les deux pays ont coopéré pour contrer les ini�a�ves chinoises, notamment la stratégie du « collier de perles » et les revendica�ons territoriales en mer de Chine méridionale. Les deux pays ont organisé des exercices militaires conjoints réguliers, notamment le Malabar, qui est l'un des plus grands exercices navals au monde¹¹.

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Malgré quelques divergences d'intérêts, notamment au Moyen-Orient et en Afghanistan, le partenariat États-Unis-Inde semble solide et appelé à se renforcer.

Les deux pays partagent une vision commune de la région Indo-pacifique en tant que zone de libreéchange et de paix. Ils se sont également engagés dans une coopéra�on en ma�ère de sécurité, notamment dans la lu�e contre le terrorisme¹² et la proliféra�on des armes¹³.

L'axe stratégique entre les États-Unis et l'Inde ne se limite pas à une rela�on bilatérale, mais s'inscrit dans un contexte plus large de la géopoli�que contemporaine. Bien que l'Inde ne soit pas un membre de l'OTAN (Organisa�on du traité de l'Atlan�que Nord), les deux par�es ont récemment exprimé un intérêt accru pour un renforcement de leur coopéra�on.

Ce�e tendance se manifeste par l'encouragement des États-Unis à l'Inde pour qu'elle joue un rôle plus ac�f dans les ac�vités de l'OTAN et qu'elle renforce la collabora�on en ma�ère de sécurité. Les domaines de coopéra�on poten�els incluent la lu�e contre le terrorisme et la sécurité mari�me.¹⁴ Ce renforcement des liens entre l'Inde et l'OTAN, bien qu'encore en phase exploratoire, représente un élément significa�f qui peut poten�ellement contribuer à la consolida�on de l'alliance stratégique entre les États-Unis et l'Inde dans la région de l'Indopacifique. Il traduit l'émergence de nouvelles dynamiques géopoli�ques qui façonnent l'équilibre des forces à l'échelle régionale et mondiale.

LE RÉVEIL DU DRAGON : LA CHINE FACE AU DÉFI INDIEN La montée en puissance militaire de l'Inde a suscité des réac�ons complexes de la part de la Chine, qui occupe une place centrale sur l'échiquier géopoli�que asia�que. Les percep�ons de la Chine face à l'émergence de l'Inde en tant que puissance militaire révèlent une combinaison de préoccupa�ons et d'opportunités.

Premièrement, il est indéniable que la Chine observe avec a�en�on l'évolu�on de l'Inde en tant que puissance militaire majeure. Ce�e transforma�on est considérée comme une poten�elle menace pour l'influence régionale de la Chine. L'Inde, avec ses 1,4 million de soldats ac�fs et 2,1 millions de réservistes¹⁵, dispose d'une force militaire significa�ve, ce qui n'échappe pas à la vigilance de la Chine¹⁶. Les conten�eux territoriaux en cours et la rivalité pour le leadership en Asie-Pacifique alimentent ces préoccupa�ons. De surcroît, l'Inde a renforcé son arsenal nucléaire, abritant entre 150 et 200 ogives nucléaires, ajoutant une dimension stratégique à ce�e dynamique¹⁷.

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« L'Inde a renforcé son arsenal nucléaire, abritant entre 150 et 200 ogives nucléaires, ajoutant une dimension stratégique à cette dynamique » Cependant, la vision chinoise ne se limite pas à une percep�on néga�ve de l'Inde en tant que concurrent militaire. La Chine reconnaît également le poten�el de collabora�on que peut offrir la montée en puissance de l'Inde. Les deux pays ont des intérêts communs, notamment dans la lu�e contre le changement clima�que et la promo�on du commerce interna�onal, comme en témoigne l'augmenta�on des rela�ons commerciales sino-indiennes, qui ont a�eint 100 milliards de dollars en 2022¹⁸, enregistrant une croissance de 30 % par rapport à l'année précédente.

Néanmoins, ces opportunités sont assombries par les tensions géopoli�ques persistantes et les divergences d'intérêts. La rivalité croissante entre la Chine et l'Inde rend difficile la réalisa�on d'une coopéra�on

significa�ve. De plus, la Chine a substan�ellement augmenté son budget de la défense, a�eignant 252 milliards de dollars en 2022 par rapport à 126 milliards de dollars en l'an 2000, témoignant de ses ambi�ons militaires en croissance¹⁹. Ce�e rela�on complexe, en jeu dans l'équilibre des puissances mondiales, porte des implica�ons considérables pour la stabilité régionale et la gouvernance mondiale. Il est impéra�f de surveiller a�en�vement ces dynamiques pour mieux comprendre les développements géopoli�ques futurs en Asie et au-delà.

L'ÉCHIQUIER ASIATIQUE : L'INDE REDÉFINIT L'ÉQUILIBRE DES POUVOIRS La montée en puissance militaire de l'Inde a eu un impact significa�f dans des régions sensibles comme l'Himalaya et le golfe du Bengale, avec des données clés pour illustrer ces répercussions. La confronta�on entre l'Inde et la Chine dans l'Himalaya a a�eint son apogée lors des affrontements dans la vallée de Galwan en 2020, ayant résulté en la perte tragique de 20 soldats indiens et 45 soldats chinois. En réponse à

ces tensions, l'Inde a déployé environ 50 000 soldats supplémentaires dans la région, modifiant considérablement l'équilibre des forces militaires²⁰.

Parallèlement, le golfe du Bengale est devenu un théâtre majeur de rivalité géopoli�que entre l'Inde et la Chine. Avec une expansion notable de sa marine, l'Inde a intensifié ses efforts pour accroître son influence mari�me dans ce�e région stratégique. Les données récentes de 2023 montrent que l'Inde a acquis de nouveaux navires de guerre et a renforcé sa présence dans le golfe du Bengale²¹. Ce�e escalade des forces navales a créé des tensions poten�elles et exacerbé la rivalité entre les deux puissances émergentes.

« Les données récentes de 2023 montrent que l'Inde a acquis de nouveaux navires de guerre et a renforcé sa présence dans le golfe du Bengale. » Néanmoins, ces développements ne doivent pas occulter les opportunités posi�ves offertes par la montée en puissance de l'Inde pour la stabilité régionale. L'Inde a cherché à établir des rela�ons construc�ves avec les pays d'Asie du Sud et de l'ASEAN. En 2022, l'Inde a signé des accords de coopéra�on militaire et économique avec le Népal et le Bangladesh²². Ces engagements ouvrent la voie à une collabora�on renforcée au sein de la région, offrant une perspec�ve encourageante pour la stabilité dans ce contexte de rivalité.

Ainsi, avec ces données clés, l'ascension militaire de l'Inde se manifeste pleinement, transformant la dynamique des rela�ons avec la Chine dans l'Himalaya et le golfe du Bengale, tout en offrant des opportunités pour une coopéra�on régionale accrue.

SCÉNARIOS À L'HORIZON : L'INDE, LA CHINE, ET LE NOUVEL ORDRE MONDIAL Lorsque nous envisageons l'avenir des rela�ons entre l'Inde et la Chine dans le contexte du nouvel ordre mondial, il est crucial d'envisager plusieurs scénarios et leurs implica�ons pour l’ordre et l’équilibre mondiale.

Exercices bilatéraux entre les États-Unis et l’Inde en 2016. ©US Army.

SCÉNARIO 1 : COOPÉRATION ÉLARGIE

Revue TB N°6 - 71

« L'Inde et la Chine doivent apprendre à coexister pacifiquement, même si elles ne sont pas d'accord sur tout. »²³ L'un des scénarios envisage une intensifica�on de la coopéra�on entre l'Inde et la Chine au delà de leurs tensions actuelles. Ce�e perspec�ve repose sur l'idée que les deux na�ons doivent trouver des moyens de coexister pacifiquement malgré leurs désaccords sur diverses ques�ons géopoli�que²⁴. Une telle évolu�on pourrait se traduire par une collabora�on accrue sur des enjeux mondiaux cruciaux, notamment le changement clima�que, la sécurité énergé�que, la ges�on de crises sanitaires et d'autres défis mondiaux.

Les deux puissances ont un rôle important à jouer dans la recherche de solu�ons à ces problèmes mondiaux, qui transcendent leurs différends géopoli�ques. La Chine et l'Inde ont déjà montré des signes de coopéra�on sur la scène interna�onale, notamment dans les négocia�ons sur le climat²⁵.

Une telle coopéra�on stratégique aurait des répercussions mondiales significa�ves. Elle pourrait contribuer à la stabilité de l'Indo-pacifique, à l'a�énua�on des tensions régionales et à l'émergence d'un ordre mondial caractérisé par une coopéra�on renforcée entre les grandes puissances. Toutefois, le succès de ce scénario dépendra en fin de compte de la volonté poli�que des deux pays de surmonter leurs divergences et de collaborer sur des ques�ons d'importance mondiale²⁶. Ce qui est certain, c'est que l'évolu�on des rela�ons sino-indiennes con�nuera d'avoir un impact sur la géopoli�que mondiale dans les années à venir.

SCÉNARIO 2 : ESCALADE DES TENSIONS Un scénario alterna�f envisage une escalade des tensions caractérisée par des conflits territoriaux persistants et l'émergence de nouvelles rivalités géopoli�ques. Les désaccords constants entre l'Inde et la Chine, notamment sur les li�ges frontaliers, pourraient contribuer à un climat de méfiance croissante. Les actes hos�les, comme les affrontements dans la vallée de Galwan en 2020, ont déjà entraîné des pertes humaines significa�ves, et un expert note que "les rela�ons sino-indiennes sont à un point de rupture"²⁷. Une confronta�on prolongée entre ces deux puissances dans des régions sensibles pourrait poten�ellement influencer la stabilité dans la région indo-pacifique, ce qui aurait des répercussions sur les intérêts de puissances mondiales, notamment les États-Unis²⁸.

Ces tensions croissantes dans l'Indo-pacifique inquiètent les acteurs interna�onaux, car elles pourraient perturber l'équilibre des pouvoirs et les 72 - Revue TB N°6

dynamiques de sécurité régionale. L'instabilité résultant de ces conflits con�nus risque d'affecter la libre circula�on des navires de guerre et de marchandises, qui est essen�elle pour l'économie mondiale. Ainsi, ce scénario souligne l'importance cruciale de la ges�on des conflits dans l'Indo-pacifique pour prévenir des perturba�ons majeures et protéger les intérêts mondiaux dans ce�e région vitale.

SCÉNARIO 3 : ENGAGEMENT SÉLECTIF Le troisième scénario envisage une approche d'engagement sélec�f entre l'Inde et la Chine, dans laquelle ces deux na�ons opteraient pour une coopéra�on sur certains sujets, tout en maintenant leur rivalité sur d'autres. Ce�e perspec�ve repose sur l'idée que l'Inde et la Chine collaborent déjà sur divers domaines, notamment le commerce, la lu�e contre le terrorisme et le changement clima�que. Les deux pays pourraient chercher à gérer leurs divergences de manière à minimiser les confronta�ons directes tout en iden�fiant des domaines de coopéra�on mutuelle.

Il est essen�el que "l'Inde et la Chine apprennent à coexister pacifiquement, même en cas de désaccords"²⁹.

Ce scénario offre une perspec�ve réaliste de la manière dont l'Inde et la Chine peuvent gérer leur rela�on complexe. Il souligne l'importance de trouver un équilibre entre la rivalité géopoli�que inhérente à la montée en puissance de ces deux na�ons et les avantages poten�els de la coopéra�on sur des ques�ons d'intérêt mutuel. Cependant, la réussite de ce�e approche dépendra en fin de compte de la volonté poli�que des deux pays de gérer leurs différends de manière construc�ve et de trouver des domaines de collabora�on mutuelle.

« L'Inde et la Chine apprennent à coexister pacifiquement, même en cas de désaccords » On peut conclure sur le fait que l'émergence de l'Inde en tant que puissance militaire majeure est incontestablement un phénomène qui remodèle les équilibres mondiaux. L'Inde, jadis reléguée au statut de puissance régionale, s'efforce désormais de jouer un rôle déterminant sur la scène interna�onale, avec des implica�ons profondes pour la Chine, les ÉtatsUnis et l'ensemble de la communauté interna�onale.

Les enjeux se déroulent principalement dans la région cruciale de l'Indo-pacifique, où l'alliance stratégique entre les États-Unis et l'Inde prend de l'ampleur pour maintenir la stabilité régionale. Ce�e montée en puissance crée des dynamiques complexes,

mais aussi des opportunités, pour les rela�ons interna�onales. Néanmoins, le futur n'est pas gravé dans le marbre, et divers scénarios se profilent, de la coopéra�on élargie à l'escalade des tensions ou à l'engagement sélec�f. Les choix effectués par l'Inde, la Chine et d'autres acteurs mondiaux seront cruciaux pour façonner la géopoli�que de l'Indo-pacifique et du monde.

Les facteurs déterminants incluent les décisions poli�ques prises par les deux pays, les évolu�ons économiques et les dynamiques des rela�ons interna�onales. L'évolu�on des rela�ons sinoindiennes demeure d'une importance cruciale, non seulement pour ces deux na�ons, mais également pour le nouvel ordre mondial en constante évolu�on.

Ces dynamiques influenceront la géopoli�que future et seront a�en�vement surveillées par le reste du monde. L'Inde est en train de devenir un acteur incontournable sur la scène mondiale, et son rôle con�nuera de susciter un intérêt mondial, déterminant ainsi les trajectoires de la poli�que interna�onale à venir.

NOTES (1) Tellis, Ashley J. (2022). India's Nuclear Arsenal: Mee�ng the Challenges of the New Decades.

Carnegie Endowment for Interna�onal Peace.

(2) Smith, J. "The US-India Axis: A Key Strategic Partnership in Indo-Pacific Geopoli�cs."

(3) United States Department of Defense. (2023, juillet 28). Malabar Exercise 2023. United States Navy.

(4) United States Department of Defense. (2023, mars 8). India, US to collaborate on air and missile defense.

United States Department of Defense (5) Mukherjee, Anit. (2021). India's Military Moderniza�on: The Strategy of Lag. Routledge (6) Rajagopalan, Rajeswari Pillai. (2023). India's Growing Naval Capabili�es and the Emerging Geopoli�cs of the Indo-Pacific. The Diplomat.

(7) Medcalf, R. (2022). The U.S.-India Axis: Founda�ons of Strategic Stability in Asia. Brookings Ins�tu�on (8) United States Department of Defense. (2022, août 3). India, US sign agreement to co-develop fi�hgenera�on fighter aircra�. United States Department of Defense.

(9) United States Department of Defense. (2023, février 1). Foreign Military Sales (FMS). United States Department of Defense (10) Ghosh, P. (2023). US-India Rela�ons: Convergence and Constraints. Observer Research Founda�on

(11) United States Navy. (2023, juillet 28). Malabar Exercise 2023. United States Navy (12) United States Department of State. (2023, mars 8). United States and India launch new cyber coopera�on ini�a�ve. United States Department of State (13) Pant, H. V. (2021). India and the Quad: Exploring the Role of the Quadrilateral Security Dialogue. Carnegie Endowment for Interna�onal Peace (14) Agence France-Presse. (2023). India and NATO: Exploring Opportuni�es for Enhanced Coopera�on.

ReliefWeb (15) SIPRI, "Military Expenditure Database", 2022 (16) Kumar, V. (2021). China’s Percep�on of India’s Rise as a Military Power. The Diplomat (17) Khan, S. (2020). China-India Rela�ons: Perspec�ve, Trends, and Challenges. Asian Affairs (18) Chambre de commerce sino-indienne (CCCI), "Annual Report 2022", 2022 (19) Friedberg, A. L. (2022). China and India: GreatPower Rivalry and Strategic Uncertainty. Survival (20) Joshi, M. (2020). India-China Border Tensions: From Confronta�on to De-escala�on.

(21) The Diplomat. Bajpaï, H. (2021). India's Geopoli�cal Pivot in the Bay of Bengal (22) Observer Research Founda�on. Kumar, S. (2020). India’s Neighbourhood Diplomacy: Redefining Regional Geopoli�cs. Ins�tute for Defence Studies and Analyses (IDSA).

(23) Bajpaï, H. V. (2023, décembre 20). The Future of India-China Rela�ons. Observer Research Founda�on.

(24) Smith, L. C. (2021). India and China: Managing an Unequal Rela�onship. Brookings Ins�tu�on.

(25) Lampton, D. M. (2022). China and India in Transi�on: Rivalry and Engagement. Carnegie Endowment for Interna�onal Peace.

(26) Tellis, A. J. (2020). Unraveling the "Quad"?: A Framework to Analyze the Future of the Indo-Pacific Security Architecture. Carnegie Endowment for Interna�onal Peace.

(27) Tellis, A. J. (2020, juin 23). The Galwan Valley Crisis: A Turning Point in India-China Rela�ons.

Carnegie Endowment for Interna�onal Peace (28) Sanghi, N. (2021). The India-China Border Crisis and Its Implica�ons for U.S. Policy. Congressional Research Service (29) Subramanian, A. (2023). India-China Rela�ons: Char�ng a New Course. Observer Research Founda�on

Revue TB N°6 - 73

Images de l’affrontement entre la Chine et l’Inde dans la vallée de Galwan en 2020.

Revue TB N°6 - 75

DIPLOMATIE

Relations sino-australiennes

Turbulences dans l’Indo-pacifique Par Alexandre MIES et Marine BLASSIAU - FDNU

L’ancien ministre chinois du Commerce, Gao Hucheng, et l’ancien Premier ministre australien, Tony Abbo�, ont officialisé l’accord de libre-échange Chine-Australie (ChA�a) en juin 2015.

Décembre 1972, l’Australie et la Chine établissent officiellement des rela�ons diploma�ques. Voilà maintenant plus d’un demi-siècle que les deux États, non seulement se reconnaissent, mais développent des partenariats dans de nombreux domaines. En Indo-pacifique, ce sont des puissances incontournables, que ce soit de manière bilatérale, ou en associa�on avec d’autres États de la région. La Chine est aujourd’hui le premier partenaire commercial de l’Australie, tandis que Pékin apparaît moins dépendante de Canberra, du moins sur le papier. Leur poids respec�f est donc avéré. Pourtant, et ce depuis plusieurs années maintenant, l’entente entre Pékin et Canberra n’est plus au beau fixe et celleci rencontre des turbulences plus ou moins sévères. La visée de cet ar�cle est ainsi de gagner en lisibilité 76 - Revue TB N°6

quant à la lecture des rela�ons sino-australiennes contemporaines. En revenant sur l’établissement des rela�ons, en scrutant les points de tensions récents, et en analysant les précau�ons défensives sur fond de réchauffement, le tableau dépeint tentera d’établir une vision globale de la situa�on géopoli�que.

AUX ORIGINES D’UN PARTENARIAT INSTABLE L’établissement des rela�ons sino-australiennes réside, avant tout, dans les flux de popula�ons. Les prémices de l’immigra�on entre les deux pays trouvent leur source au début du XIXème siècle : les

chinois sont les premiers à s’installer massivement en Australie, hors colons anglais. La croissance de ce�e immigra�on chinoise vers l’Île-con�nent est notable : de 10 000 arrivées par an dans les années 1850, la communauté des sino-australiens devient à la fin du XIXème le plus grand groupe ethnique d’origine non britannique en Australie.

Malgré l’importance de ce�e frange de la popula�on pour l’économie civile australienne, le revers de la médaille ne se fait pas a�endre. Dès 1901, la première législa�on du Commonwealth d’Australie donne naissance à la White Australia Policy. De son nom officiel Immigra�on Restric�on Act, ce�e loi rigidifie les condi�ons d’entrée des « non-européens » au sein de la colonie britannique, en instaurant notamment une dictée obligatoire en langue européenne. Son remplacement par le Migra�on Act, en 1958, supprime la plupart des mesures discriminatoires de 1901, qui demeurent malgré tout en applica�on dans certaines par�es de l’Australie jusque dans les années 1970.

« La Chine renforce progressivement son rayonnement international, cherchant par la même occasion à réduire l’influence occidentale dans l’Indopacifique. » Aujourd'hui, la communauté sino-australienne représente près de 4% de la popula�on du pays, sur un total de 25 millions d’habitants. Dans son ensemble, cet « atavisme an�-asia�que », dans les termes du sinologue Emmanuel Lincot, naît de ce�e immigra�on asia�que d’avant-guerre. Un certaine crispa�on face à l’immigra�on demeure aujourd'hui en Australie. Elle peut être vue comme le symbole d’une Australie qui cherche à maintenir son iden�té, ou, du moins, qui découvre peu à peu que l’Asie pourrait compter davantage que l’Occident dans l’avenir. À l’inverse, la Chine n’est quant à elle pas un pays d’immigra�on : le pays compte, en 2021, moins d’un million d’étrangers, sur plus d’un milliard d’habitants.

En 2015, le ChAFTA, un accord de libre-échange sinoaustralien, normalise les rela�ons commerciales entre les deux pays, après des décennies d’échanges commerciaux. La Chine est alors premier partenaire commercial de l’Australie, et ce depuis 2007 : 25% des importa�ons australiennes viennent de Chine, et 30% des exporta�ons l’ont pour des�na�on. De son côté, l’Australie occupe une place bien moindre dans l’économie chinoise : 6% des importa�ons, et seules

2% des exporta�ons chinoises impliquent l’Australie. À première vue, ces chiffres illustrent une asymétrie commerciale à l’avantage de Pékin. Pourtant, en y regardant plus en détail, ce�e asymétrie est discutable. La Chine importe principalement des produits australiens du secteur agroalimentaire, comme l’orge, la viande bovine ou le vin. Malgré sa poli�que de diversifica�on des sources d’importa�on, la Chine peut difficilement se passer de certains produits comme les minerais de fer, dont la majeure par�e de l’approvisionnement provient d’Australie.

Outre les échanges commerciaux, le bilatéralisme économique des deux pays passe en grande par�e par les inves�ssements directs à l’étranger (IDE) de capitaux chinois en Australie, et par le tourisme. Dans les années 2010, et surtout depuis le ChAFTA, l’Australie a accueilli les IDE à bras ouverts : des entreprises chinoises – par ailleurs souvent liées de près ou de loin au Par� Communiste Chinois – ont acquis des biens, des fermes et des terrains, au point où ces firmes possèdent aujourd'hui près de 3% de la surface agricole australienne. L’Australie n’a pas non plus échappé aux inves�ssements expansionnistes de Pékin : depuis 2015, le Port de Darwin est exploité par le groupe chinois Landbridge, après avoir remporté un appel d’offres à plus de 500 millions de dollars australiens, pour une concession d’exploita�on de 99 ans. Enfin, le tourisme occupe aussi une part importante des échanges sino-australiens.

LA QUESTION POLITIQUE, À LA RACINE DES TENSIONS COMMERCIALES Les tensions sino-australiennes naissent avant tout d’une collusion poli�que. Enracinées dans des causes profondes et exacerbées par des événements récents, elles revêtent une importance cruciale dans l'équilibre des pouvoirs en Asie-Pacifique. À par�r des années 2000, la Chine renforce progressivement son rayonnement interna�onal, cherchant par la même occasion à réduire l’influence occidentale dans l’Indo-pacifique. Elle acquiert des ports en eaux profondes tout autour de l’Australie, de la Micronésie aux Îles Fidji, en passant par le Vanuatu.

L’extension de l’emprise chinoise à ce dernier illustre d’ailleurs l’agressivité commerciale de Pékin face à son voisin : troisième bénéficiaire des aides au développement australiennes, ce�e île reçoit aujourd'hui des financements chinois indirects capables de perturber l’équilibre d’influences actuel.

En même temps, l’infiltra�on de la Chine dans les en�tés gouvernementales, industrielles et académiques australiennes, fait naître une crainte d’espionnage et d’ingérence poli�que. Le Port de Darwin, chinois depuis 2015, se situe à quelques kilomètres seulement d’une base militaire américaine : Revue TB N°6 - 77

Vanuatu, terre de tensions économiques entre l’Australie et la Chine. ©unsplash

ce�e proximité inquiète. Les liens étroits de l’Australie avec les États-Unis jouent d’ailleurs sur sa rela�on avec Pékin. Pour répondre aux manœuvres de Pékin, le gouvernement australien consolide son cadre législa�f. En 2017, les dons financiers étrangers aux par�s poli�ques sont interdits, 80% venant de Chine.

En 2018, après une décision des Five Eyes (une alliance des services de renseignement de cinq pays, dont Australie et États-Unis font par�e) les entreprises chinoises sont interdites de fournir des équipements de 5G. La même année, 38 lois sont adoptées en Australie pour empêcher les ingérences étrangères dans la poli�que et dans les médias, élargissant par la même occasion la défini�on de l’espionnage.

C’est en avril 2020 que la rela�on sino-australienne connaît un basculement. Sco� Morrison, alors premier ministre australien, appuie la demande des États-Unis d’une enquête sur l’origine de la pandémie de Covid-19 en Chine. Il réitère ce�e demande devant l’Assemblée générale de l’ONU, refusée par le PCC mais adoptée par l’Organisa�on Mondiale de la Santé.

« Face aux interdictions, l’Australie exporte ses biens à d’autres partenaires, augmente le prix des minerais de fer (dont la Chine est dépendante et ne dispose d’aucun autre fournisseur), et durcit les conditions d’IDE chinois. »

78 - Revue TB N°6

La dégrada�on des rela�ons diploma�ques sinoaustralienne donne naissance à un véritable bras-defer commercial entre les deux pays. En réponse aux décisions australiennes, la Chine freine ses échanges avec l’Île-con�nent. Plusieurs secteurs du commerce australien sont visés : entre autres, charbon, tourisme, et éduca�on.

Dès mai 2020, Pékin suspend ses importa�ons australiennes de viande bovine, suivie de l’orge et du vin en août. À chaque fois, la Chine mo�ve ces interdic�ons : pour la viande bovine, l’é�quetage australien n’est pas conforme ; pour l’orge, c’est la ques�on du dumping (ndlr : importer à un prix plus bas que celui du marché local), ayant pour conséquence l’augmenta�on des droits de douane de 80 à 200% selon le bien. S’agissant de l’orge, dont 40% des importa�ons en Chine sont australiennes, elle peut se tourner vers la France ou le Canada, capables de combler le manque à importer. Ces manœuvres pragma�ques sont à observer à travers la poli�que commerciale de la Chine contemporaine. Tirant par� de son immense marché intérieur, et de ses liens commerciaux comme source de vulnérabilité, elle ob�ent des concessions poli�ques. On peut ici parler de géoéconomie : en créant une dépendance des pays dont elle importe les biens, et en diversifiant ses sources d’approvisionnement pour limiter sa propre dépendance à ces biens, elle fait pression sur les pays dont elle veut contraindre le gouvernement à modifier ses posi�ons poli�ques.

Du point de vue australien, les effets de ces sanc�ons sont limités. Face aux interdic�ons, l’Australie exporte ses biens à d’autres partenaires, augmente le prix des minerais de fer (dont la Chine est dépendante et ne dispose d’aucun autre fournisseur), et durcit les condi�ons d’IDE chinois. Seul le coton australien semble souffrir des décisions chinoises. Canberra dépose aussi une plainte à l’OMC sur les droits de

douane imposés à l’orge. Pékin, de son côté, y dépose un recours pour dénoncer les mêmes sanc�ons sur certaines de ses exporta�ons, comme les éoliennes ou les éviers. Fin 2020, les rela�ons diploma�ques et commerciales entre les deux pays sont au plus bas.

L’éventualité d’un réchauffement des liens paraît alors peu probable.

PRÉCAUTIONS DÉFENSIVES SUR FOND DE RÉCHAUFFEMENT Aujourd’hui, les rela�ons des deux grandes puissances sont ambivalentes. D’un côté, nous assistons à un renforcement du hard power et à une affirma�on militaire, tandis que de l’autre les rela�ons diploma�ques et commerciales commencent à revenir à la normale, bien que par�ellement.

L’ac�visme militaire de la région n’est pas à négliger ces dernières années. Du côté de la Chine, celle-ci a signé en avril 2022 un accord de coopéra�on en ma�ère de sécurité avec les îles Salomon, situées non loin de l’Australie au Nord-Est. Par ailleurs, une pression chinoise toute par�culière est exercée depuis près d'une décennie sur Taïwan. L’influence de Pékin se fait également ressen�r dans d’autres micro-États du Pacifique. Ces éléments de contexte, cumulés à la poli�que économique des nouvelles routes de la soie, ont de quoi me�re l’Australie en alerte, si ce n’était pas déjà fait auparavant. L’île-con�nent renforce en effet sa sécurité na�onale via sa défense.

« Tandis que des précautions sont prises en matière de défense, on assiste à un retour des relations diplomatiques et commerciales entre les grandes puissances. » Deux partenariats, le Quad et l’AUKUS, méritent d’être mis en lumière. Le Quad, Quadrilateral Security Dialogue, est une coopéra�on diploma�que, économique et militaire lancée en 2007 entre les ÉtatsUnis, le Japon, l’Inde et la Chine. L’Australie s’en était alors rapidement re�rée afin de préserver ses rela�ons avec la Chine. Depuis la seconde moi�é des années 2010, la posi�on de Canberra vis-à-vis de Pékin a néanmoins été réévaluée, faisant renaître la coopéra�on en 2017. Ce changement peut être interprété comme un aver�ssement envoyé à la Chine.

L’alliance stratégique AUKUS a quant à elle été annoncée en septembre 2021 entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. Ce�e coopéra�on comprend notamment le renforcement des capacités

L’Australie était le 2e producteur de terres rares en 2022 ©Ge�y Image

militaires de l’Australie, via l’obten�on de sous-marins à propulsion nucléaire. Les premiers seraient ainsi des sous-marins américains de classe Virginia tandis que d’autres sous-marins de concep�on britannique suivraient. A nouveau, on peut y percevoir un ou�l de dissuasion et une confirma�on de la présence occidentale, en par�culier celle étatsunienne, dans les eaux du Pacifique. Ce�e alliance tripar�te prévoit aussi un volet de coopéra�on quant à la cybersécurité, l’intelligence ar�ficielle, les armes hypersoniques ou encore l’informa�que quan�que.

Les ques�ons sécuritaires sont donc bel et bien présentes entre la Chine et l’Australie, comme l’illustre l’opéra�on « Talisman Sabre » menée en juillet dernier. Cet exercice militaire était conduit avec la présence de treize États sur le sol australien, dans l’État du Queensland, que Canberra entend renforcer militairement. Un navire espion chinois avait alors été repéré en mer, sans que cela ne crée de tensions diploma�ques pour autant.

Tandis que des précau�ons sont prises en ma�ère de défense, on assiste à un retour des rela�ons diploma�ques et commerciales entre les grandes puissances. Ainsi, des réchauffements diploma�ques ont pu être amorcés. Fin 2022, le Premier ministre australien Anthony Albanese avait ainsi rencontré le président chinois Xi Jinping, puis c’était au tour de la cheffe de la diploma�e australienne de rendre visite à Revue TB N°6 - 79

Pékin, tandis que les ministres respec�fs du commerce s’étaient quant à eux entretenus en février 2023.

Les tensions avaient en effet pu caractériser les années de commerce antérieures, en par�culier en ma�ère de droits de douane. Néanmoins, il semble que celles-ci se soient calmées au vu des dernières mesures prises. En janvier 2023, la Chine a ainsi levé les droits de douane qui visaient le charbon australien.

Dès février 72 000 tonnes de charbon venues tout droit de Queensland en Australie sont arrivées dans un port chinois et l’autorisa�on a à nouveau été donnée à trois centrales thermiques pour acquérir du charbon australien. En août dernier, c’était au tour de l’orge en provenance de l’Île-con�nent de se trouver allégée de lourdes taxes. En revanche, les droits de douane demeurent toujours de mise en ma�ère de vin et de viande rouge. Il n’en reste pas moins que ces derniers mois, l’apaisement des rela�ons commerciales est tout à fait notable. Canberra semble donc con�nuer d’être un acteur important pour la stratégie commerciale chinoise, d’autant plus que la puissance australienne est notamment membre du CPTPP (Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership), un accord de libre-échange transpacifique que la Chine souhaiterait intégrer.

Les États-Unis ne sont jamais loin dans les discussions, expression de leur importance stratégique dans l’Indopacifique. Les sujets de poten�elles tensions ou collabora�on entre Pékin et Canberra sont mul�ples et poussent à être d’autant plus vigilants quant aux événements futurs d’autant que l’intérêt croissant porté à la région de l’Indo-pacifique repose en par�e sur ces deux acteurs centraux.

UNE COLLABORATION DE LA FDNU FÉDÉRATION POUR LA DIPLOMATIE ET LES NATIONS UNIES

CONCLUSION Des spécialistes évoquent un jeu d’équilibriste de la part de l’Australie. Entre partenariats et craintes, l’Australie se retrouve entre la Chine et les puissances occidentales. Bien que dans une moindre mesure, Pékin accorde tout de même une place importante à Canberra en ma�ère commerciale. Le changement de gouvernement australien à l’été 2022 est-il l’une des raisons de l’apaisement, le gouvernement travailliste semblant moins récalcitrant à la Chine que le groupe libéral précédent ? La viabilité de la situa�on entre les deux puissances n’en reste pas moins à ques�onner.

Patrouille conjointe australo-indonésienne ©A. Navy

Revue TB N°6 - 81 Sidney ©Unsplash

DIPLOMATIE

ASEAN La redéfinition stratégique Franco-Européenne Par Boualem DJABBOUR - Juriste en droit des affaires et chercheur à l’Ins�tut de Recherche Europe-Asie (IREA)

Chefs d’États de l’ASEAN réunis à Singapour lors d’un sommet. ©Ge�y Images

Dans un monde mul�polaire, la région Indopacifique émerge comme le nouveau centre des principales interac�ons géostratégiques. Les ambi�ons françaises et européennes y trouvent une nouvelle expression, notamment au sein de l’ASEAN (Associa�on des Na�ons de l'Asie du Sud-Est).

Lors d’une rencontre le Premier Ministre cambodgien Hun Sen le 13 décembre 2022, alors à la présidence de l'ASEAN, Emmanuel Macron a clairement exprimé sa volonté de développer les projets de coopéra�on entre la France et l'Associa�on des Na�ons de l'Asie du Sud-Est, soulignant l'harmonie entre leurs visions respec�ves pour la région.

L’organisa�on régionale s’est affirmée au cœur des échanges globaux et des dynamiques poli�ques de la région, la centralité de ce rôle s’est appuyé par le 82 - Revue TB N°6

caractère fondateur dans la construc�on d’une région mul�polaire et inclusive ces 15 dernières années. Le nouvel échiquier qui se dessine depuis en Asie pose ma�ère à réflexion concernant la transposi�on des rela�ons transatlan�ques dans la région, les États-Unis restent un partenaire essen�el, mais l’intensité des rela�ons transatlan�ques sur la scène Indo-pacifique revête un nouveau visage. Nous avons pu le constater en 2021 lors de l’annonce du pacte AUKUS entre le Royaume-Uni, l’Australie et les États-Unis, accompagné par la rupture de l’Australie d’un contrat de fourniture de 12 sous-marins de classe « A�ack » prévu dans le Partenariat stratégique conclu entre Paris et Canberra en 2016. Ce�e annonce soudaine est venue ébranler une confiance que Paris es�mait acquise.

Ainsi, ces dernières années ont vu s’esquisser de nouvelles dynamiques franco-européennes dans la région symboles de coopéra�ons inédites et de muta�ons par�elles dans les partenariats tradi�onnels. Dès lors, on observe depuis une prise de conscience palpable émanant des instances françaises et européennes face à l’émergence de ces nouveaux schémas.

L’ASEAN : UN AXE MAJEUR DES DYNAMIQUES FRANCOEUROPÉENNES EN MUTATION Alors que la l’administra�on Biden privilégie des coali�ons plus restreintes (Quad & AUKUS, Japon et Corée du Sud), les dirigeants d’ASEAN ont l’impression de voir leur centralité négligée par un pouvoir «obsédé par la Chine», faisant craindre des tensions dont ils auront seuls à gérer les conséquences. Divisés sur de nombreux sujets, les pays membres de l’ASEAN s’accordent tout de même à dédier la plus grande importance à la con�nuité de leur prospérité et les dossiers sécuritaires qui dépendent désormais des rela�ons sino-américaines.

« L’Union Européenne cherche à se positionner en tant que puissance d’équilibre et coopérative.»

Face à la complexité qui émane des dynamiques sino-américaines dans la région, l’Union Européenne cherche à se posi�onner en tant que puissance d’équilibre et coopéra�ve notamment le commerce en instaurant une stratégie qui reconnaît la posi�on centrale qu’occupe l’ASEAN dans les affaires régionales…

Ainsi, l’UE a ini�é en 2021 une stratégie d’interconnec�vité Europe-Asie témoignant d'une reconnaissance de l’importance croissante accordée à ce�e région, devenue le 5ème bloc économique mondial derrière l’UE. Ce�e ini�a�ve viens donc confirmer l’intérêt déjà exprimé depuis Bruxelles quant à la diversifica�on de ses partenariats dans la région, après s’être rendu compte de sa dépendance envers le géant chinois suite à la crise du Covid 19 et de la perte d’influence de sa puissance discursive au profit de nouveaux acteurs et différents modèles susmen�onnés.

Les États membres de l’ASEAN.

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L’émergence de l’ASEAN comme une plateforme neutre au cœur de l’Indo-pacifique dans les rela�ons interna�onales s’est confirmé par sa résilience face aux turbulences économiques du COVID-19, la région a su conserver une croissance économique exemplaire, toujours en tête des croissances les plus dynamiques du monde en 2023, plaçant l’Associa�on comme la région connaissant la croissance économique la plus soutenue ces dernières années.

L’associa�on reje�e ainsi toute logique d’alignement par crainte de redevenir une zone de rivalité bilatérale, privilégiant une posture pragma�que et mesurée avec les acteurs occidentaux et la Chine.

PARTENARIATS ÉCONOMIQUES EUROPÉENS, PARTENARIATS MILITAIRES FRANÇAIS, UNE SYNERGIE FRANCO-EUROPÉENNE QUI CONVIENT À PARIS La France, capitalisant sur sa présence ultramarine dans l'océan Indien et le Pacifique, ar�cule sa stratégie Indo-pacifique en s’appuyant sur divers piliers, et s’érige comme le fer de lance d’une poli�que européenne raisonnant en accord avec sa vision et son engagement dans la région.

Emmanuel Macron & le PM vietnamien Pham Minh Chinh.©Elysée

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Sur le plan économique Singapour, L’Indonésie, la Malaisie et le Vietnam, sont iden�fiés comme des partenaires essen�els dans la région dans la concré�sa�on la stratégie européenne en Indopacifique, à laquelle Élysée délègue son volet économique.

Depuis 2020, on observe un redressement de l’arsenal diploma�que français vers la région d’Asie du sud-est, Paris est à l’ini�a�ve de plusieurs partenariats conclus entre certains membres de l’ASEAN et l’Union Européenne. Ces derniers englobent la sécurité et la défense, l'économie, la connec�vité, l'innova�on, le mul�latéralisme, et la ges�on durable des enjeux environnementaux. On peut noter la ra�fica�on de certains accords audacieux, comme avec le Vietnam, avec qui l’Union Européenne à conclu en 2021 un accord de libre échange, perme�ant l’aba�ement des barrières douanières entre les deux économies, cet accord revêt un caractère inédit, il incarne le premier accord du genre conclu avec un pays « en développement ». De nombreux partenariats similaires, dont les négocia�ons ont été suspendues, sont relancés depuis Bruxelles, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et les Philippines pourraient se voir bénéficier des mêmes accords ces prochaines années.

« Depuis 2020, on observe un redressement de l’arsenal diplomatique français vers la région d’Asie du sud-est » Dans sa recherche d’alterna�ves visant à réguler une dépendance substan�elle vis-vis de Beijing, Bruxelles trouve en l’ASEAN une en�té régionale essen�elle, capable de se présenter comme une alterna�ve pragma�que s’alignant étroitement avec sa vision mul�latérale de la région, perme�ant d’entrevoir la poten�alité d’une coopéra�on renforcée entre les deux organisa�ons régionales. Parallèlement, ce rapprochement pourrait être interprété comme un message clair envoyé aux alliés tradi�onnels prouvant que l’Union Européenne est capable de nouer des partenariats robustes, avec de nouveaux acteurs, tout prenant une distance calculée par crainte de s’embourber dans un alignement trop étroit avec le triptyque anglo-saxon.

Sur le plan militaire, la France a su s’imposer depuis les années 1990 comme un partenaire privilégié dans la région, ainsi, elle fut le premier pays occidental à avoir formalisé, dès 1991, une coopéra�on de défense avec le Vietnam, a conclu en 2012 un partenariat stratégique avec Singapour avec un volet défense visant à renforcer la coopéra�on entre les deux marines afin d’assurer la sécurité des voies mari�mes au départ et à l’arrivée de la cité-état, et en 2022, la

France a également renforcé sa coopéra�on militaire avec un autre géant de la région en signant avec Jakarta un contrat de livraison de 6 Rafales, dans une commande totale prévue de 42 Rafales. Ce�e annonce concorde avec la nomina�on de la France parmi les membres observateurs de la réunion élargie des ministres de la défense d’ASEAN pour le cycle 2024-2027, aux côtés de la Chine et des États-Unis Il est donc clair que l’engagement français en l’Indopacifique est en train de basculer en Asie du Sud-Est, tantôt seul sur le volet militaire, tantôt de concours avec l’Union Européenne, sur les ques�ons économiques et poli�ques cherchant ensemble renforcer leurs rela�ons avec les principales puissances émergentes de l'ASEAN. Ce�e démarche s'inscrit dans une volonté de diversifica�on des partenariats, réduisant ainsi la dépendance vis-à-vis des grandes puissances de la région et ouvrant de nouvelles opportunités de coopéra�on à des économies en pleine croissance.

Dans un rapport d’informa�on, le Sénat souligne l'importance de rénover les partenariats existants et d'accroître la cohérence de la stratégie Indo-pacifique européenne. Il s'agit d'une reconnaissance de la nécessité d'adapter les ambi�ons françaises à la réalité géopoli�que complexe de la région, tout en œuvrant pour une ges�on conjointe avec les territoires ultramarins français, concernés par l’intérêt croissant de Pékin dans l’arc Mélanésien.

La vision européenne de l’Indo-pacifique, principalement portée par la France, reste pour l’instant commune à tous les États membres, se

construisant autour d’une stratégie non alignée avec l’axe AUKUS ouvertement hos�le aux velléités de la Chine dans cet espace, préférant le dialogue et la coopéra�on tout en faisant la promo�on de l’ouverture et de l’inves�ssement dans le développement durable et la diversifica�on des partenariats dans la région, d’une coopéra�on avec les grandes puissances que sont l’Inde et la Chine tout en assurant le respect d’une mutualité dans les rapports économiques qu’entre�ent l’Europe avec ces pays.

Dans ce contexte, la diversifica�on des partenariats et la coopéra�on renforcée avec l'ASEAN s'inscrivent comme des démarches pragma�ques pour la France et l'UE. Elles perme�ent non seulement de naviguer dans le paysage géopoli�que en muta�on de l'Indopacifique, mais aussi de promouvoir un ordre mul�polaire, stable et inclusif.

L'engagement franco-européen dans l'Indopacifique, centré autour de l'ASEAN, traduit une volonté de s'insérer de manière construc�ve dans les dynamiques régionales. Il reflète également l'aspira�on à contribuer à un environnement plus équilibré et prévisible, tout en promouvant les principes de mul�latéralisme et de gouvernance globale.

En somme, l'ASEAN se posi�onne comme un pivot central dans la redéfini�on des stratégies françaises et européennes en Indo-pacifique. Elle offre un terrain propice à la diversifica�on des partenariats et à la réalisa�on des ambi�ons franco-européennes, dans un monde où la coopéra�on régionale s'avère être un levier stratégique incontournable.

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Dans ce�e op�que, la conjugaison des efforts français et européens dans l'Indo-pacifique vise à édifier une architecture de coopéra�on plus résiliente et inclusive. L'engagement accru envers l'ASEAN est un reflet de ce�e ambi�on, offrant un cadre pour explorer des synergies mutuellement bénéfiques et adresser des défis communs. Les enjeux sécuritaires, économiques et environnementaux présents dans la région requièrent une approche collabora�ve, où la complémentarité des acteurs permet d'engendrer des solu�ons durables.

Les ressources et les partenariats diversifiés de l'ASEAN cons�tuent un atout considérable dans la réalisa�on de ces objec�fs. Ils offrent une plateforme pour le dialogue et l'ac�on concertée, perme�ant ainsi de naviguer dans les complexités géopoli�ques de l'Indo-pacifique. La coopéra�on avec l'ASEAN, en tant qu'en�té régionale, permet également de bâ�r des rela�ons de confiance et de promouvoir les principes de gouvernance partagée.

L'harmonisa�on des stratégies Indo-pacifiques de la France et de l'UE avec les aspira�ons de l'ASEAN pourrait engendrer une dynamique coopéra�ve renouvelée. Cela pourrait faciliter l'iden�fica�on de domaines d'engagement prioritaires, et la formula�on de réponses communes aux défis émergents. En outre, cela pourrait également ouvrir la voie à des ini�a�ves conjointes dans des domaines clés tels que la connec�vité, la sécurité mari�me, la lu�e contre le changement clima�que et la promo�on du commerce et de l'inves�ssement.

En conclusion, l'importance accordée à l'ASEAN dans la stratégie Indo-pacifique francoeuropéenne illustre bien la prise de conscience de réalités géopoli�ques et des dynamiques en constante évolu�on dans la région.

Elle témoigne également de l'aspira�on à construire de nouveaux partenariats durables, en s’intégrant à l'ordre régional émergent. La redéfini�on stratégique en cours, dont l’ASEAN semble être un axe majeur, incarne une nécessité de diversifica�on des partenariats existants.

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« La stratégie de la France dans L'Indo-pacifique » ©Business France

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DIPLOMATIE

Océan Indien Au cœur de la rivalité sinoindienne Par Artus DE VIVIE - FDNU

Le Premier ministre indien Narendra Modi s'adresse aux soldats lors d'une visite à Nimu ©GoI

Bénéficiant de ses 1,4 milliard d’habitants et de son explosion économique ces dernières années, la République populaire de Chine est aujourd’hui la deuxième puissance mondiale. Ses instruments de puissance, symbolisés par les nouvelles routes de la soie, se déploient dans le monde en�er, au point que le par� communiste chinois a la préten�on de contester l’hégémonie américaine. De son côté, l’Inde s’est aussi développée à une vitesse phénoménale, devenant la 4e économie mondiale, en plus d’être récemment devenue la première puissance démographique, historiquement occupée par son encombrant voisin. Face à une Chine affaiblie par la pandémie et par la dégrada�on de son économie en 2022, ce�e poussée démographique indienne combinée à sa croissance économique fulgurante, 88 - Revue TB N°6

pourrait reme�re en ques�on les ambi�ons de Xi Jinping de devenir la première puissance mondiale.

Les rela�ons entre l’Inde et la Chine sont historiquement tendues et se sont cristallisées dans un conflit frontalier en 1962, abou�ssant à une victoire pour Pékin et à une humilia�on pour New Delhi. Avec la montée en puissance spectaculaire de ces deux acteurs, ces affrontements prennent un autre niveau.

La rivalité sino-indienne dépasse désormais les 3500 km de fron�ères contestées et déborde sur l’océan Indien. Cet espace mari�me reliant l’Asie à l’Europe, en passant par l’Afrique, est devenu le centre de gravité de la mondialisa�on, avec plus d’un �ers du commerce mondial circulant par l’océan Indien. D’après le stratège naval américain Alfred Thayer Mahan : « Celui qui contrôle l’océan Indien contrôle l’Asie. L’océan

Indien est la voie de passage pour les sept mers du monde. La des�née du monde au XXIe siècle sera déterminée par l’océan Indien ».

Ce�e région est donc un espace stratégique pour les deux puissances, qui voient la majorité de leurs échanges transiter par ce�e zone. C’est ainsi 90% du commerce indien qui passe par cet océan. Pour Pékin, c’est la clé de voûte de ses nouvelles routes de la soie, qui lui permet d’a�eindre le marché européen et d’y déverser ses millions de tonnes de marchandises. La Chine et l’Inde doivent donc garan�r la sécurité mari�me et la libre circula�on de leurs navires, notamment via le contrôle des détroits, véritables goulets d’étranglement rendant les flux mari�mes vulnérables. L’océan Indien est aussi vital pour approvisionner les deux géants en hydrocarbures, dont les économies sont de plus en plus énergivores.

Ainsi, 80% des importa�ons chinoises de pétrole passent par l’océan Indien. Pour toutes ces raisons, la région devient un théâtre privilégié de projec�on de puissance et d’influence des géants de ce monde.

L’EXPANSION CHINOISE DANS L’OCÉAN INDIEN

La Chine con�nue sa quête de domina�on navale dans l’Indo-Pacifique

La vision chinoise de l’océan Indien s’incarne dans la stratégie dite du « collier de perles ». Elle se traduit par un important réseau d’installa�ons militaires et commerciales le long des voies mari�mes, qui s’étendent de l’Asie du Sud Est à Djibou�. Elles perme�ent à Xi Jinping de sécuriser ses lignes commerciales et d’approvisionnement en hydrocarbure, et par la même occasion, étouffer son principal rival dans l’océan Indien, allant jusqu’à pénétrer son voisinage immédiat. Pékin y mul�plie les infrastructures duales, telles que des ports ou des sta�ons de ravitaillement, autour de New Delhi, pouvant servir d’infrastructures militaires en cas de conflit et de plateformes de projec�on pour mener des opéra�ons offensives dans l’océan Indien.

Ce développement d’un « collier d’infrastructures » implique donc une véritable diploma�e mari�me, perme�ant de garan�r l’accès à la Chine aux sites des pays régionaux (ou du moins le non-accès d’installa�ons indiennes). Elle s’inves�t notamment dans des pays rejetés par la communauté interna�onale, lui laissant le champ libre pour renforcer son influence. De nombreux pays régionaux, comme la Birmanie ou le Bangladesh, ont ainsi mis à disposi�on leurs ports en eau profonde, pouvant poten�ellement accueillir des porte-avions chinois. La Chine vient ici menacer l’Inde dans son étranger proche, comme le témoigne le contrôle d’infrastructures dans les pays frontaliers. En effet, Pékin u�lise son influence économique, incarnée dans les nouvelles routes de la soie, comme levier géopoli�que afin d’obtenir des intérêts stratégiques dans ces pays.

Ainsi, le Sri Lanka, aspiré par le tourbillon de la de�e chinoise, a dû abandonner le 2e port du pays au profit d’une société chinoise, perme�ant à Xi Jinping de s’implanter aux portes de son rival. Situé à seulement 250km de la côte sud de l’Inde, New Delhi craint que Xi Jinping établisse une présence militaire grâce à ce port qui pourrait accueillir des bâ�ments de la marine chinoise. Récemment, un navire chinois soupçonné par le gouvernement indien d’être un bateau-espion a même été aperçu dans les eaux sri-lankaises.

Mais l’exemple le plus flagrant est celui du Pakistan, pion principal dans la stratégie d’encerclement chinoise et ennemi mortel du gouvernement indien.

Pékin y finance une mul�tude de projets d’infrastructures, en plus d’aider le gouvernement à développer des armes de haute technologie. Le corridor sino-pakistanais lui donne ainsi accès au port de Gwadar, base stratégique pour contrôler le détroit d’Ormuz, me�ant par la même occasion une pression sur le flanc ouest de New Delhi.

La montée en puissance de la marine chinoise vient crédibiliser ce�e menace aux yeux des Indiens. En effet, Pékin modernise sa flo�e et augmente ses capacités de projec�on en mer. En 2022, la Chine a mis à l’eau l’équivalent de la marine française actuelle. Elle dispose aujourd’hui de la flo�e la plus importante du Revue TB N°6 - 89

monde (en termes de bâ�ments), avec de nombreux destroyers, des sous-marins et aussi trois porte-avions.

L’armée populaire de libéra�on développe également des missiles an�-navires sophis�qués et des technologies de guerre électronique. Ce�e montée en puissance capacitaire perme�rait à la Chine de dominer son adversaire régional dans une hypothé�que confronta�on.

En effet, le développement des capacités mari�mes est un facteur clé de l’encerclement mari�me de son rival ainsi que de la sécurisa�on des voies commerciales. Ce�e marine serait également en mesure de mener des interven�ons humanitaires pour répondre aux catastrophes naturelles, perme�ant de renforcer les liens avec ses partenaires régionaux.

FACE À L’ÉTRANGLEMENT CHINOIS, LE CONTRE-ENCERCLEMENT INDIEN Pour répondre à ce�e stratégie d’encerclement et contenir l’influence de son rival, New Delhi renforce ses partenariats dans la région. Ce�e stratégie in�tulée « collier de diamants » vise à créer une manœuvre de contre encerclement, visant à étrangler le collier de perles chinois, sur un niveau encore plus large, passant par l’Asie Centrale, la Mongolie, le Japon, le Viêt-Nam, l’Indonésie, Singapour, les Seychelles, Oman et l’Iran. Pour étendre son parapluie sécuritaire, l’Inde capitalise sur la frustra�on des pays déçus par les promesses de développement chinois ainsi que sur la crainte de l’impérialisme de Pékin pour consolider ses rela�ons avec ces pays et y déployer ses infrastructures, tels que des ports et des radars, augmentant ses forces de surveillance et de projec�on dans l’océan Indien (et au-delà).

Ainsi, l’Inde possède une base aux Seychelles, perme�ant de contrer la présence chinoise à Djibou� et au Kenya, tout en contrôlant le canal du Mozambique. De plus, le port de Chabahar en Iran lui permet de s’extraire du carcan chinois, en prenant à revers le port de Gwadar, assurant au gouvernement indien une porte ouverte vers le Caucase et le détroit d’Ormuz. New Delhi s’est aussi rapprochée de Singapour et de l’Indonésie, lui offrant des points de ravitaillement pour sa marine, une plateforme vers la mer de Chine et un contrôle du détroit de Malacca, où transitent 80% des importa�ons d’hydrocarbures chinois. Mais cet encerclement mari�me se prolonge aussi sur la terre ferme, où l’Inde renforce son influence en Asie centrale et en Mongolie.

Ce�e volonté de contrer la Chine dépasse le cadre régional et se formalise dans des partenariats plus globaux. En effet, Modi semble se tourner progressivement vers le géant américain, qui voit dans l’Inde un moyen de comba�re l’influence chinoise dans l’océan Indien. Ce�e crainte commune s’incarne au cœur du partenariat quadrilatéral (QUAD), que 90 - Revue TB N°6

l’Inde a rejoint aux côtés des États-Unis, du Japon et de l’Australie. Cet organisme lui permet de coordonner ses moyens mari�mes avec les trois autres pays et de renforcer la stabilité régionale. Cependant, ce rapprochement trouve ses limites en raison du principe fondateur du non-alignement indien et des écarts de priorité entre les alliés, le président Modi revendiquant une autonomie stratégique et refusant tout concept d’alliance avec les États-Unis.

LES MALDIVES, UN EXEMPLE DE CETTE RIVALITÉ MARITIME Les Maldives occupent une posi�on stratégique, étant situées sur une des principales routes commerciales au monde, entre le détroit de Malacca et le golfe d’Aden. Ces dernières années, le pe�t archipel concentre les offensives diploma�ques des deux géants, qui cherchent à y établir un régime favorable à leurs intérêts pour pouvoir y déployer des infrastructures et se servir de l’île comme point d’appui dans la région. Depuis 2008, l’atoll de 400 000 habitants alterne entre des présidents pro chinois ou pro indiens. Les dernières élec�ons avaient porté au pouvoir un candidat favorable à un rapprochement avec l’Inde, mul�pliant les partenariats de défense avec son voisin. Le pays accueillait même depuis 2011 des radars mari�mes indiens des�nés à surveiller la naviga�on et un projet de construc�on de port en eau

L’Australie, l’Inde, le Japon et les États-Unis sont surl souhaitait que le quadrilatère établisse

profonde était à l’étude. Or, la récente accession du pro chinois Mohamed Muizzu menace les ambi�ons indiennes. En effet, le nouveau président s’oppose à toute présence militaire de New Delhi et réclame le départ des troupes indiennes présentes sur le territoire. Pékin s’est félicité du résultat du scru�n, et s’est dit prêt à « faire progresser le partenariat global de coopéra�on amicale entre les deux pays, orienté vers l’avenir ». Les Maldives étant membres du projet des nouvelles routes de la soie, Narendra Modi craint que l’archipel ne devienne un nouveau pion de Pékin à 600km de ses côtes.

UNE RIVALITÉ MARITIME QUI DÉBARQUE SUR LA TERRE FERME Le Cachemire, région du sous-con�nent indien à majorité musulmane, est disputé entre le Pakistan et l’Inde. Or, une par�e de ce�e zone, le Gilgit-Bal�stan, occupée par l’armée pakistanaise depuis 1947 semble concentrer des troubles qui pourraient déstabiliser tout le con�nent. En effet, nous assistons actuellement à des manifesta�ons au cours desquelles la popula�on revendique son émancipa�on du Pakistan et son ra�achement à l’Inde. En effet, les habitants de ce�e région se disent exploités par le Pakistan et la République populaire de Chine. Dans le cadre des nouvelles routes de la soie qui passent par le GilgitBal�stan, les terres agricoles ont été saisies et les

ouvriers chinois inondent le marché, engendrant des pertes d’emplois pour la popula�on locale. Face à un Pakistan affaibli par son instabilité poli�que et sa déliquescence économique, New Delhi pourrait légi�mer une interven�on militaire pour annexer le Gilgit-Bal�stan en s’appuyant sur les revendica�ons de la popula�on. Or, une telle ac�on serait inacceptable pour la Chine, car elle briserait le corridor sinopakistanais et par conséquent l’accès au port de Gwadar. Ce dernier occupe un rôle vital, car il sert de subs�tut à l’approvisionnement d’hydrocarbures pour la Pékin ainsi que d’une porte d’entrée pour les technologies occidentales, dans le cas où les voies tradi�onnelles d’approvisionnement, telles que le détroit de Malacca, seraient coupées par des puissances étrangères hos�les.

UNE COLLABORATION DE LA FDNU FÉDÉRATION POUR LA DIPLOMATIE ET LES NATIONS UNIES

lignés en bleu. L'ancien Premier ministre Shinzo Abe e un « arc asia�que de la démocra�e ».

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