N°7 - Europe, le temps du changement

SOMMAIRE

L’Édito Quentin BENOIT - Cofondateur de Terra Bellum

Les mathématiques dans les conflits Frédéric ROSARD

Enjeux & défis migratoires des frontières de l’UE Ferdinand GRASSAUD & Amélie CONSTANT

Démographie, y a-t-il une alternative au « déclinisme démographique » ?

Mathis AUFFRET

Quelle présidence Italienne du G7 ?

Emmanuel GOUT

La fragilité énergétique de l’Europe révélée ?

Grégoire ROQUETTE

Recomposer les frontières, quelle place pour la francophonie ?

Pierre BARBOEUF

France-Allemagne, vers un point de rupture ?

Raphaël YUSSOUROU - PROMETHEI

Balkans, des acteurs non-occidentaux dans la région ?

Théo BANSE & Lilie LENOIR - AMRI

Suisse, neutralité et réalité militaire en Europe Benjamin VUILLEMOT

La ville à l’ombre de la Guerre Sofiane MADMAR

France-Arménie, La militarisation d’une relation diplomatique Udai MAGHOUR - CINUP

2 - Revue TB N°7

4 6 10 12 18 22 26 30 36 42 48 54

MILEX 2023, Quels enjeux pour la boussole stratégique de l’UE ?

Andréa LAQUET

La Russie face à la montée de l’OTAN dans l’Arctique Artus DE VIVIE - FDNU

Choc civilisationnel, le cas de la Bosnie-Herzégovine Johann LEMPEREUR

Guerre en Ukraine, comment en sortir ?

Alain MORSOF

Biélorussie, au temps de la guerre en Ukraine Thomas VIGNES

Guerre en Ukraine, complexes industriels et centres de maintenance Juliette GRIBOVALLE & Léo REBOUILLAT - AMRI

Quelle politique migratoire pour l’UE ?

Rhéa NGANO - PROMETHEI

Pacte vert européen, mort assistée de l’agriculture ?

Etienne LOMBARDOT

Progrès & éthique, l’espace numérique européen Pablo LECHAPELIER - PROMETHEI

Slovaquie & Hongrie, l’alliance qui cause le trouble en Europe Charles ROGNON & Lucie BALMANA – FDNU

Moldavie & Géorgie, élargissement & avenir européen Maxime RESCAN & Nino VEPKHVADZE - FDNU

60 64 68 74 78 82 86 92 100 106 110

Revue TB N°7 - 3

ÉDITO

Merci à nos lecteurs Par Quen�n BENOIT - Cofondateur de Terra Bellum Chers lecteurs, Alors que nous amorçons ce�e nouvelle année, notre regard se tourne vers l'Europe, un con�nent façonné par des siècles d'histoire, de conflits, et d'innova�ons. En ce début 2024, l'Europe se �ent à la croisée des chemins, confrontée à des défis complexes qui redéfiniront son avenir poli�que, économique et social.

L'un des défis les plus pressants auxquels l'Europe est confrontée est la ques�on de son unité. Bien que l'Union européenne ait été le projet ambi�eux qui a aspiré à une collabora�on et une intégra�on sans précédent, les tensions internes et les divergences entre les États membres persistent. Les récents bouleversements géopoli�ques et les défis économiques exacerbés par la pandémie de COVID-19 ont mis à l'épreuve la solidarité européenne. L'heure était venue de réaffirmer les valeurs communes qui ont été à la base de la construc�on européenne. Mais le déclenchement de l’interven�on militaire russe en Ukraine cons�tue un nouveau défis autant plus grand sur le con�nent.

Les élec�ons à venir dans plusieurs pays clés seront cruciales pour déterminer la direc�on poli�que de l'Europe. Les dirigeants devront naviguer avec prudence entre les aspira�ons na�onales et la nécessité de maintenir une coopéra�on transna�onale solide.

Sur le plan économique, la transi�on vers une économie plus verte et résiliente prend une importance primordiale. L'Europe se trouve à un tournant décisif pour relever le défi clima�que et orienter ses poli�ques vers la durabilité. Les choix faits aujourd'hui auront des répercussions durables sur la prospérité future du con�nent et sa posi�on dans le monde.

La scène interna�onale n'est pas en reste. Les rela�ons avec d'anciens partenaires et adversaires, en par�culier avec les États-Unis et la Russie, sont en constante évolu�on. L'Europe doit redéfinir son rôle sur la scène mondiale et ar�culer une poli�que étrangère cohérente qui défende ses intérêts tout en promouvant la paix et la stabilité.

Cependant, au-delà des défis, l'Europe peut aussi entrevoir une renaissance. Les innova�ons technologiques, la créa�vité culturelle et une jeunesse dynamique offriraient un poten�el considérable pour créer une Europe des puissances renouvelée. Les synergies entre les pays, les ins�tu�ons et les citoyens peuvent être exploitées pour construire un avenir où

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les puissances européennes se posi�onneront comme des acteurs majeurs et influents.

Dans ce�e édi�on spéciale de notre revue de géopoli�que, nous explorons les différents aspects de ce�e Europe en muta�on. Nous analysons les dynamiques poli�ques, les enjeux économiques et les perspec�ves sociales qui façonneront le con�nent au cours des prochaines années.

Nous vous invitons à vous plonger dans les pages qui suivent, à explorer les idées, les analyses et les perspec�ves qui émergent de ce�e explora�on approfondie de l'Europe en 2024. En tant que témoins de ces changements, il nous appar�ent de comprendre, de ques�onner et d'an�ciper le futur de notre con�nent.

Bonne lecture.

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CHRONIQUE

Les Lois de Lanchester

Les mathématiques dans les conflits Par Frédéric ROSARD - Enseignant à X et Sciences Po

Tankistes ukrainiens ©MDU

Frederick W. Lanchester (1868-1946) fut un ingénieur britannique, qui dans la seconde moi�é du XIX siècle, s’illustra dans l'ingénierie automobile et aéronau�que. Sa contribu�on à la recherche opéra�onnelle est moins connue mais tout aussi intéressante.

Lanchester, tout comme quelques mathéma�ciens, s’intéressa durant la première guerre mondiale à la dynamique du champ de bataille. Pour expliquer puis prédire l’interac�on des forces militaires en présence, les premiers modèles mathéma�ques furent proposés.

Le modèle de Lanchester finit de convaincre après l’analyse à chaud de la bataille de Iwo Jima au cours de laquelle les forces américaines prirent le contrôle de l'île japonaise. En infériorité numérique et avec un armement de moindre qualité par rapport aux 6 - Revue TB N°7

Américains, les Japonais infligèrent néanmoins de lourdes pertes à l’ennemi. Le modèle, appliqué à posteriori, donna l’évolu�on du nombre de pertes américaines durant la bataille. Les chiffres obtenus étaient similaires à ceux provenant du service de Santé des Armées.

LES MODÈLES Il existe en fait plusieurs variantes du modèle de Lanchester. Le plus couramment rencontré est le soidisant "modèle de �r direct", un modèle avec un système de deux équa�ons différen�elles linéaires couplées dans lequel le taux d'a�ri�on d'une armée est directement propor�onnel à la puissance de feu de l’armée adverse. Ironiquement, dans un tel modèle, le

nombre ini�al de soldats a un effet plus important sur l'issue de la bataille que la puissance de feu rela�ve des deux armées. Ce modèle par�culier est souvent décrit par la loi linéaire de Lanchester.

L’armée B va détruire (0,1 x 500 = 50) 50 chars de l’armée A À l’issue de la première salve, les forces en présence seront

Elle repose sur plusieurs grandes hypothèses : Armée A : 1 000 – 50 = 950 • Il s’agit d’un combat dit « en ligne » (pas de guérilla) • Les armées de deux camps sont homologues (c’est-à-dire possèdent des capacités et des technologies similaires) • Les combats sont con�nus (pas de trêve, ni de cesser le feu) et interviennent sur toutes les par�es du front.

Dans ce modèle, certains points ne sont pas pris en compte, tels que le déploiement stratégique ou la tac�que. Il s'agit tradi�onnellement d'un modèle déterministe et bien qu’il soit essen�ellement con�nu, il est analysé en u�lisant des méthodes con�nues et discrètes.

BATAILLES DE CHARS 1 000 contre 1 000

Armée B : 500 – 100 = 400 Le ra�o Armée A/Armée B est maintenant de 950/400 soit environ de 2,4/1.

Lors de la seconde salve :

Il est intéressant de noter que plus la bataille avance et plus le ra�o Armée A/Armée B croit.

Lors de la cinquième et dernière salve (avant destruc�on de l’Armée B) les forces en présence sont :

Partons de l’exemple suivant : Deux armées s’opposent sur le champ de bataille :

Armée A : 845 Armée B : 40 Ra�o 20/1

• L’armée A qui possèdent 1 000 chars • L’armée B qui possèdent 1 000 chars Partons également de l’hypothèse que les deux armées possèdent des équipements équivalents, et que ses personnels sont de même niveau de compétence c’est-à-dire que pour chaque obus �ré, la probabilité de détruire un blindé adverse est de 0,1 (10%). Sans grand suspense, à la fin de la bataille les deux armées s’anéan�ront mutuellement.

1 000 contre 500 Supposons maintenant que l’armée B soit composée de 500 chars (au lieu de 1 000 précédemment). Le ra�o Armée A/Armée B est de 2/1. Les autres condi�ons restent inchangées (toujours une probabilité de destruc�on de 0,1) Pour bien appréhender le déroulé de la bataille, les premiers �rs seront décomposés. Dans ce�e séquence (ainsi que celles qui suivront), on supposera que l’armée A fait feu en premier, puis ce sera au tour de l’armée B, et ainsi de suite.

Lors de la première salve : L’armée A va détruire (0,1 x 1000 = 100) 100 chars de l’armée B

Tankistes ukrainiens ©MDR

1 000 contre 500 + 500 Que se passerait-il si maintenant les deux armées avaient des effec�fs similaires (1 000 chars) mais que le commandant de l’armée B décidait de scinder son armée en 2 (500 + 500) pour avoir des renforts ?

Comme nous l’avons décrit plus haut, après la cinquième salve l’armée A est forte de 841 chars et l’armée B de 0. C’est à cet instant que le commandant de l’armée B fait intervenir ses renforts. L’armée B est ainsi maintenant composée de 500 chars.

La seconde par�e du conflit donne le tableau suivant :

LOI GÉOMÉTRIQUE DE LANCHESTER - PRÉVISIONS DES PERTES Dans les combats modernes, avec l'u�lisa�on d'armements de plus en plus sophis�qués (acquisi�on de cibles mul�ples, …), On se doit d’appliquer la loi du carré de Lanchester pour connaître le nombre de soldats aptes au combat à la fin de la bataille. Ce nombre est donné par la formule :

Avec comme condi�on que l’effec�f de l’armée A soit plus important que l’effec�f de l’armée B. Avec les exemples plus hauts on ob�endrait : 1 000 contre 1 000

Aucun char ne serait épargné 1 000 contre 500

Pour résumer, l’armée B a été en�èrement détruite alors que les pertes de l’armée A sont d’environ 1/3 de son effec�f ini�al. Ceci est le reflet de l’adage « diviser pour mieux régner ». Si votre adversaire commet l'erreur de diviser ses forces, vous aurez l’avantage.

On peut citer plusieurs exemples de batailles qui durant la seconde guerre mondiale illustrent ce�e loi : • La Blitzkrieg ou la concentra�on de chars allemands en un seul point pour percer les lignes de défense.

• La bataille de El Alamein durant laquelle Montgomery modifia la tac�que britannique qui consistait à disperser ses forces en « penny packets » pour u�liser la concentra�on de force et briser l'armée de Rommel.

• La tac�que sovié�que de concentra�on d’ar�llerie chère à Staline sur le front de l’est.

La victoire de l’armée A (avec l’effec�f le plus important) lors d’une bataille faisant 134 (1 000 – 866) pertes.

1 000 contre 500 + 500 Lors de la fin de la première par�e de la bataille l’armée A possède 866 chars et l’armée B 500

APPLICATION AU CONFLIT ACTUEL EN UKRAINE Dès le début du conflit, les Russes avaient lancé l’offensive suivant trois direc�ons. Tout le monde se focalisait sur Kiev autour duquel une force russe s'était accumulée.

On ne sait pas si les Russes avaient l'inten�on de prendre Kiev ou d’amener le gouvernement ukrainien à la table des négocia�ons ; l’idée était d’a�rer le plus grand nombre de forces ukrainiennes possibles pour défendre Kiev. Il s’agissait vraisemblablement d’une opéra�on de fixa�on pour préparer l'adversaire à quelque chose de plus sérieux. Une fois ce�e

Ville de Caen, bataille de Normandie, par Ph. Coll © Archive

Situa�on en Ukraine en mars 2022 ©MDF

opéra�on terminée ce�e carte allait radicalement changer une fois les Russes re�rés du front Nord.

« La guerre ukrainienne a deux dimensions : l'espace et le temps. » Dans le même temps, les Russes ont lancé des a�aques massives pour me�re à mal le système logis�que ukrainien ; en par�culier les chemins de fer, les ponts et les dépôts de muni�ons. Le but était de rendre difficile pour les Ukrainiens l’acheminement de renforts (troupes ou/et matériel) dans les zones a�aquées sur les fronts Est et Sud. Peu après les Russes se sont re�rés de nombreuses posi�ons dans le nord pour regrouper leurs troupes dans le Sud et surtout dans l’Est du pays.

Les chiffres donnant la taille des forces russes engagées en Ukraine au début du conflit ne sont pas connus, mais les es�ma�ons vont de 150 à 250 mille hommes, pas très différent des 200 000 hommes dont on a crédité l'armée ukrainienne au début des hos�lités.

Comme nous l'avons vu avec notre modèle, la disposi�on des troupes a une influence plus importante que la taille de l’armée. Les troupes russes, en concentrant leurs forces dans le Donbass ont privé les Ukrainiens de mobilité puis, en lançant une offensive massive, ont réalisé une avancée significa�ve.

Les contre-a�aques ukrainiennes (sur le front Sud) et les bombardements en Crimée peuvent être considérées comme une façon de faire baisser ce�e concentra�on de troupes dans le Donbass, mais ces tenta�ves ont fait peu de différence comparées aux mathéma�ques appliquées à ce conflit.

La guerre ukrainienne a deux dimensions : l'espace (c’est-à-dire la répar��on spa�ale des forces) et le temps. Il existe des tenta�ves dans l'ouest de renforcer les forces ukrainiennes avec une livraison de diverses armes. Cependant ces systèmes d'armes arrivent au gou�es à gou�es sur le front. Si un grand nombre d'hommes entraînés et du matériel performant arrivaient en masse, alors cela pourrait en effet changer le cours du conflit. L’arrivée des renforts au coup par coup suggère que la loi de Manchester

Situa�on en Ukraine en avril 2022 ©MDF

con�nue à s’appliquer et que les pertes ukrainiennes con�nuent à s’alourdir.

Les Russes con�nueront vraisemblablement, et c’est leur intérêt, d’appliquer ce�e stratégie.

BIBLIOGRAPHIE Dynamics of the Ba�lefield: The Lanchester Model, Douglas Lewit Final, project for Math-374 with Professor Anuj Mubayi of Northeastern Illinois University Logic, Proof and Computa�on, Mark Tarver, FastPrint Publishing 2014 Lanchester Models for Irregular Warfare, Moshe Kress Washburn, A.; Kress, M. Combat Modeling; Springer: New York, NY, USA, 2009.

Eldrige, S.A.; Mesterton-Gibbons, M. Lanchester’s a�ri�on models and fights among social animals.

Behav. Ecol. 2003 Kress, M.; Caulkins, J.P.; Feich�nger, G.; Grass, D.; Seidl, A. Lanchester model for three-way combat. Eur. J. Oper. Res. 2018

Revue TB N°7 - 9

GÉOPOLITIQUE EN CARTE

Forteresse Europe ?

Enjeux & défis migratoires des frontières de l’UE Par Ferdinand GRASSAUD, cartographe & Amélie CONSTANT, journaliste et juriste

Et si l’Union européenne était une forteresse, entourée de ses remparts, ses douves et ses crocodiles. Étrange concept qui permet de visualiser une réalité complexe : l’Union européenne se protège de l’arrivée de migrants sur son territoire, depuis l’extérieur.

Selon le Conseil européen, 255 332 migrants ont pénétré de manière irrégulière sur le territoire de l'Union en 2023. Bien que ce chiffre soit loin des 1,04 millions d’entrées de 2015, une hausse est observée 10 - Revue TB N°7

depuis 2020, année où 97,2 mille entrées irrégulières ont été enregistrées. Fin 2023, des pays tels que le Danemark, l'Allemagne et l'Autriche ont décidé de délocaliser la ges�on de leurs demandeurs d’asile à des pays �ers, hors de l’Union. S’il s’agit pour l’instant d’annonces, en Italie, Giorgia Meloni a déjà signé avec son homologue albanais, Edi Rama, un accord prévoyant l’ouverture prochaine d’un centre d’accueil et d’un centre de réten�on dans le pays balkanique.

Financées et supervisées par l’Italie, ces structures

perme�ront de transférer les migrants secourus en mer. Un accord comparable, entre le Royaume-Uni et le Rwanda a été suspendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme avant d’être jugé illégal par la Cour Suprême britannique, ce qui laisse perplexe quant à l’avenir de ces projets. Ce�e externalisa�on de la ges�on de l’immigra�on est une déclinaison na�onale d’une poli�que européenne ancienne dont le nom officiel fut dès 2004 « dimension extérieure de l’asile et de l’immigra�on ». En choisissant de confier à ses pays voisins la maîtrise des flux migratoires, l’Union se décharge aussi de ses responsabilités en termes de protec�on des droits humains. Son objec�f est de rassurer sa popula�on, de pra�quer une immigra�on choisie et de se dispenser d’un possible accompagnement administra�f.

« Fin 2023, des pays tels que le Danemark, l'Allemagne et l'Autriche ont décidé de délocaliser la gestion de leurs demandeurs d’asile à des pays tiers, hors de l’Union. » Revenons à notre forteresse. Le château représenterait l’espace Schengen, une sorte de bulle à l’intérieur de laquelle les personnes peuvent circuler librement, sans contrôle aux fron�ères terrestres, mari�mes ou aériennes. Considéré comme « l'un des principaux accomplissements du projet européen », il s’agit d’un pacte, établi en 1985 par la France, l'Allemagne de l'Ouest et le Benelux. Aujourd’hui, vingt-trois des vingt-sept États de l'UE et quatre pays extérieurs, l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein, font par�e de cet espace. À l'extérieur du château, des remparts se dressent. La route des Balkans, qui est l’un des i�néraires terrestres privilégié par les personnes exilées qui souhaitent rejoindre l’Union, est barrée par 815,5 km de clôtures1. À l’été 2015, la Hongrie est la première à ériger une barrière de fils barbelés de 175 km, le long de sa fron�ère avec la Serbie2. En octobre, le pays poursuit l’édifica�on d’un mur longeant la Croa�e3 et la Bulgarie4. Un mois plus tard, la Macédoine du Nord et la Grèce puis la Slovénie et la Croa�e sont séparées par ces mêmes équipements 5. En mars 2016, une autre méthode est employée. Pour bloquer les nombreux Syriens qui arrivent en Grèce, Bulgarie et Chypre par la Turquie, l’Union européenne s’accorde sur une aide financière de 6 milliards d’euros à des�na�on du pays de transit pour qu’il améliore leurs condi�ons de vie et par�cipe à les maintenir sur son territoire6.

Les douves de notre forteresse sont par�culièrement meurtrières. En 2023, 6 618 migrants ont perdu la vie en tentant de rejoindre l’Espagne depuis les côtes

nord-africaines selon un rapport du mois de janvier de l’ONG espagnole Caminando Fronteras, ce qui représente en moyenne un décès toutes les 18 minutes. Actuellement, l’agence européenne de garde-côte et de garde-fron�ère, Frontex, mène sept opéra�ons conjointes en Méditerranée. Parmi cellesci, les opéra�ons Poséidon (Grèce), Thémis (Italie) et Indalo (Espagne) couvrent respec�vement la Méditerranée orientale, centrale et occidentale.

L’objec�f : « Sauver des vies en mer et lu�er contre le trafic de migrants ». Toutefois les pra�ques de l’agence sont régulièrement dénoncées. En février 2022, une enquête de l’Office de Lu�e An� Fraude (OLAF), à conduit à la démission de son directeur exécu�f, le français Fabrice Leggeri. Le rapport, dont une par�e a été rendue publique par le média allemand Der Spiegel, accusait l’agence d’avoir violé les droits humains en procédant à des refoulements illégaux de migrants en mer. Une pra�que qui perdure puisqu’en juin 2023, le Forum consulta�f de Frontex publiait un rapport selon lequel 50 % des canots de migrants repérés en mer Méditerranée par l’agence sont renvoyés en Libye. Ces retours peuvent cons�tuer des viola�ons du principe de non-refoulement, qui s�pule que « nul ne doit être renvoyé dans un pays où il risque d’être soumis à la torture, à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à d’autres sévices irréparables ».

Frontex poursuit son déploiement notamment dans les Balkans. Depuis l'adop�on d'un nouveau règlement en 2019, elle peut intervenir dans des pays �ers, sur l'ensemble de leur territoire, et non plus seulement dans les régions limitrophes de l'UE, comme c'était le cas auparavant. Ce�e « coopéra�on renforcée » nécessite l’autorisa�on des pays concernés et cristallise les négocia�ons actuelles. Des accords ont été conclus avec la Moldavie, la Macédoine du Nord et le Monténégro, perme�ant à Frontex de déployer son personnel au-delà des régions frontalières de l'UE. Les discussions sont également en cours avec la Serbie, l'Albanie et la BosnieHerzégovine.

L’Union européenne se dirige sans conteste vers une externalisa�on accrue de ses fron�ères. Une Europe forteresse qui sous-traite sa poli�que migratoire à des pays �ers via des accords de coopéra�on et fait en sorte que d’autres États bloquent le passage de migrants.

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GÉOPOLITIQUE

Europe de demain Y a-t-il une alternative au « déclinisme démographique » ?

Par Mathis AUFFRET - Etudiant en sciences sociales et science des données

La démographie est le nerf de la géopoli�que mais est aussi une ques�on d’équilibre ©DALL.E

« La popula�on en âge de travailler va baisser de près de 8% d’ici à 2050, alors que la popula�on totale, elle, va rester stable. S’il n’y a pas d’immigra�on pour compenser, alors le revenu produit par habitant va chuter, ce qui entraînera une baisse du pouvoir d’achat équivalente (...) et un déséquilibre des systèmes sociaux comme la Sécu ou les retraites ».¹ Ainsi s’exprimait, en novembre 2023, l’économiste Patrick Artus. Le débat sur le projet de loi immigra�on à la fin de l’année 2023 a ainsi été l’occasion de voir revenir sur le devant de la scène les discours affirmant l’existence d’un lien fort entre croissance démographique et croissance économique, et la nécessité de compenser la baisse de la natalité pour éviter que ne suive le déclin économique. Deux types de réponses se trouvent souvent associées à ces 12 - Revue TB N°7

ques�ons dans le débat public, déchaînant systéma�quement les passions : la nécessité de faire appel aux « migra�ons de remplacement »² d’un côté, celle d’augmenter la natalité de l’autre (le président Emmanuel Macron parlait il y a quelques semaines de « réarmement démographique »).

Pourtant, « jusqu’à une époque très récente (...) la croissance démographique était systéma�quement considérée comme néfaste à la croissance économique »³ ; soit la thèse tout à fait inverse à celle défendue aujourd’hui. Le rappel de ce�e concep�on dite « néomalthusienne », dominante dans les années 60 et 70, nous ramène à l’époque où la démographie a commencé à être pensée comme un facteur déterminant des dynamiques économiques et sociales dans le contexte moderne. Il s’agit du moment où a été

théorisée la transi�on démographique, dont la compréhension reste nécessaire pour saisir les enjeux démographique contemporains. « La transi�on démographique désigne le passage, d’un régime tradi�onnel d’équilibre démographique à mortalité et fécondité fortes [naissances nombreuses, 6 à 7 enfants par femmes, mais mortalité infan�le importante] à un régime moderne d’équilibre à mortalité et fécondité basses [peu de naissances, mais mortalité infan�le faible aussi]. Dans les deux cas, l’accroissement naturel de la popula�on est faible. Le plus important n’est cependant pas le changement de régime que la façon dont il se produit. La baisse de la mortalité précède celle de la fécondité, générant un accroissement sans précédent de la popula�on. C’est ce processus qui bouleverse la popula�on mondiale depuis plus de deux siècles ».⁴ Précisons d’emblée que la no�on de « transi�on démographique » fait en réalité référence à deux

observe que dans la plupart des pays ayant terminés leur transi�on, le nombre moyen d’enfants par femme ne s’est pas stabilisé au nombre symbolique de 2.1 enfants par femme – ce que l’on appelle le « seuil de renouvellement des généra�ons » –, mais est passé durablement en-deçà, allant parfois jusqu’à amorcer une diminu�on de la popula�on. Ainsi prennent forme les peurs exprimées en amorce : et si ce déclin démographique, et la baisse de la popula�on ac�ve qu’elle induit, finissait par entraîner le déclin économique de l’Europe, puis à terme son effacement général dans le monde ?

Notre thèse sera la suivante : « La décroissance démographique européenne ne cons�tue pas en soi un handicap spécifique à notre con�nent qui menacerait de le mener vers la ruine et le déclassement, mais correspond plutôt au résultat d’évolu�ons démographique mondiales structurelles qui nécessitent de repenser nos modèles économiques et sociaux pour le XXIème siècle ».

Nous commencerons par proposer une nouvelle façon d’aborder la ques�on démographique contemporaine en évoquant la thèse de la « seconde transi�on démographique » (I), avant de nous intéresser aux interac�ons entre démographie et économie autours des enjeux du vieillissement de la popula�on (II). Enfin, nous esquisserons un compte rendu de la façon dont le Japon réagit a ses propres enjeux démographique pour en �rer un éclairage nouveau sur la mobilisa�on de ce�e probléma�que en Europe (III).

LA « SECONDE TRANSITION DÉMOGRAPHIQUE » COMME PARADIGME D’ANALYSE DES ÉVOLUTIONS DÉMOGRAPHIQUES CONTEMPORAINES. dimensions : un « volet descrip�f », qui fait aujourd’hui consensus chez les démographes, et un « volet explica�f », qui lui est toujours sujet à controverses.

Car en effet, s’il est un fait établi que ce phénomène de transforma�on démographique enclenché en Europe s’est répandu partout dans le monde, ce�e transi�on démographique était d’abord perçue comme corrélée au développement économique, et lue dans une perspec�ve développementaliste. Or, il apparaît qu’une concep�on aussi déterministe du phénomène résiste mal aux différences de trajectoires démographiques empiriques. « La seule généralisa�on possible semble le passage d’un régime tradi�onnel à un régime moderne tant les cheminements possibles sont mul�ples », concluaient Clément et Brugeilles.

L’enjeu majeur qui concerne l’Europe contemporain est celui de la situa�on « après » la transi�on démographique.

Car contrairement à ce qu’an�cipaient la plupart des démographes, on

En 1986, le démographe belge Ron Lesthaeghe et le démographe néerlandais Dick van de Kaa publient conjointement un ar�cle in�tulé « Twee demografische transi�es ? »⁵ (« Deux transi�ons démographiques ? »), dans lequel est pour la première fois posée l’hypothèse d’une « seconde transi�on démographique ». Leur thèse prend sens en ces termes : dans les années qui viennent, la situa�on démographique des pays occidentaux (puis de l’ensemble des pays du monde) va progressivement évoluer dans le sens d’un abaissement structurel de la natalité en dessous du seuil de renouvellement des généra�ons. Ce�e évolu�on est perçue comme le résultat de dynamiques culturelles allant dans le sens de la hausse des préoccupa�ons « post-matérialiste » (au sens de Ronald Inglehart), qui se seraient répercutées sur la nup�alité et la fécondité à travers « la hausse de la cohabita�on hors mariage, l’augmenta�on des divorces et des nouvelles Revue TB N°7 - 13

cohabita�ons après les ruptures d’union, le retard de l’âge au premier enfant, l’augmenta�on des naissances hors mariage et des couples sans enfant »⁶.

Ce�e thèse fut rapidement contestée. En effet, en Europe même, les pays connaissant la fécondité la plus basse n’étaient pas toujours ceux dans lesquels les « nouvelles formes conjugales et familiales » étaient les plus installées (Italie, Grèce…). Et elle est d’autant moins généralisable lorsque l’on cherche à rendre compte de la baisse de la fécondité dans des pays extra-européens tels que les pays du Maghreb, du Moyen-Orient ou d’Asie orientale. La primauté du facteur culturel proposée par Lesthaege et van de Kaa, bien qu’étant une thèse toujours d’actualité, se trouve ainsi souvent opposée à des concep�ons concurrentes me�ant l’accent sur les dimensions économiques, ins�tu�onnels, historiques, ou mêlant différentes variables.

Là encore, il semblerait que la dichotomie entre « volet descrip�f » et « volet explica�f » soit opérante.

Car en effet leur constat, quand à lui, n’est aujourd’hui plus guère remis en cause : l’abaissement de la natalité en dessous du seuil de renouvellement des généra�ons est reconnu comme un phénomène structurel et mondial. On observe en effet tendanciellement sur tous les con�nents que l’indice synthé�que de fécondité (nombre d’enfants par femme), après la fin de la transi�on démographique, ne se stabilise que rarement autour de 2.1, et tend à se maintenir en dessous de ce chiffre de manière structurelle. Et comme à propos de la « première transi�on démographique », ce�e dynamique globale cache en réalité une mul�tude de trajectoires démographiques spécifiques, et ne dit rien tant des facteurs influençant ce�e dynamique (pouvant être différents selon les pays) que des différences en terme de temporalité. Ces-dernières sont d’ailleurs absolument majeurs non seulement entre les

14 - Revue TB N°7

con�nents (l’Afrique étant le dernier à n’avoir majoritairement pas achevé sa première transi�on démographique) mais aussi entre les pays d’un même con�nent. Toujours en Afrique, en 2016, Maurice était considéré comme en phase de « post transi�on démographique » (1.5 enfants par femme), tandis que le Niger n’avait pas encore commencé sa première transi�on (7.2 enfants par femme).⁷ Il apparaît ainsi que la situa�on démographique européenne ne doit pas être appréhendée indépendamment des évolu�ons démographiques globales si l’on veut être en mesure de l’appréhender de façon per�nente.

LA PROBLÉMATIQUE DU VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION ET L’ÉCUEIL DU « DÉTERMINISME DÉMOGRAPHIQUE ».

Indépendamment de ses causes, la « seconde transi�on démographique » et l’abaissement du nombre d’enfants par femmes en dessous du seuil de renouvellement des généra�ons abou�t à abaisser la propor�on de jeunes dans la popula�on totale, et donc à une modifica�on de la pyramide des âges allant dans le sens d’un vieillissement de la popula�on (tout par�culièrement dans un contexte d’allongement de la durée de vie). Ce vieillissement est ainsi, amené à engendrer une baisse de la popula�on une fois la dispari�on des cohortes âgées, numériquement plus importantes.

Le vieillissement général des popula�ons à l’échelle mondial peut se décliner à travers deux types de ques�onnements : 1) Au niveau interne, quelles sont

les adapta�ons sociales nécessaires pour répondre à l'enjeu du vieillissement de la popula�on ? 2) Au niveau externe, comment gérer les bouleversements et déséquilibres interna�onaux intrinsèques aux différences de temporalité des transi�ons démographiques ? Nous nous limiterons ici seulement à proposer des pistes de réflexions concernant la première.

Les bouleversements sociaux induits par le vieillissement de la popula�on sont nombreux, mais ce sont surtout ses conséquences économiques qui inquiètent en Europe. En effet, la réduc�on de la popula�on qui lui est intrinsèque semble logiquement abou�r à la fois à une baisse de l’offre de travail, et donc à un manque de main d’œuvre, et à une contrac�on de la demande intérieure à mesure de la réduc�on de la popula�on – ces deux phénomènes favorisant conjointement une diminu�on du PIB. La diminu�on de la popula�on ac�ve poserait aussi de façon plus directe encore la probléma�que de l’équilibre budgétaire de l’État, dans la mesure où elle abou�rait à une diminu�on des rece�es fiscales tout en nécessitant en parallèle l’augmenta�on de dépenses liées aux systèmes de santé ou aux retraites.

Cet enjeu préoccupe par�culièrement un pays comme la France⁸.

Cependant, ainsi que le rappelle Didier Blanchet dans « L'impact des changements démographiques sur la croissance et le marché du travail : faits, théories et incer�tudes »⁹, la croissance économique n’est pas unifactorielle, et la variable démographique ne saurait suffire à elle seule à déterminer l’avenir économique d’un pays. En effet, les évolu�ons démographiques se conjuguent toujours avec d’autres variables : les niveaux d’épargne et d’inves�ssement, les poli�ques publiques, et surtout le progrès technique, dont l’impact sur le produc�vité – et donc in fine sur les

performances économiques et la croissance – est absolument majeur.

Les conséquences économiques du vieillissement de la popula�on ne s'imposeraient pas d'elles-mêmes.

S’intéressant au cas des dépenses de santé, Blanchet souligne le fait que d'autres facteurs, tels que les revenus des individus et les avancées technologiques en médecine, ont compara�vement un impact beaucoup plus important sur leurs évolu�ons futures que le simple vieillissement de la popula�on.

Ainsi, pour le démographe, il est important de ne pas sures�mer l'impact des évolu�ons démographiques sur l'économie, et surtout de ne pas considérer qu’elles vont s’y répercuter de façon mécanique. Il nous semble en conséquence nécessaire de prendre garde au déterminisme démographique, et de promouvoir une réflexion sur l’adapta�on de l’organisa�on des sociétés européennes à la nouvelle réalité démographique qui va, sauf bouleversement ina�endu, progressivement se me�re en place tout au long du XXIème siècle. Et c’est, entre autre, ce qu’est déjà en train de faire le Japon.

LA DÉCROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE COMME CATALYSEUR D’UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE ET SOCIAL : UNE ESQUISSE DE LA PERSPECTIVE JAPONAISE COMME ALTERNATIVE. La situa�on démographique japonaise est bien connue sous nos la�tudes, et abondamment commentée média�quement. Il nous semble cependant important de garder en tête que la Revue TB N°7 - 15

traduc�on poli�que des enjeux démographiques, comme pour tous les problèmes publics, ne va pas de soi. Elle suppose au préalable toute une construc�on poli�que du problème et de sa solu�on, qui peut être tout à fait variable d’un groupe poli�que à un autre, et a for�ori d’un pays à l’autre.

Pour rendre compte de la réac�on japonaise à cet enjeu commun, il convient de commencer par étudier la façon dont « l’enjeu démographique » est « saisit poli�quement » par les autorités japonaises. Et l’interven�on de l’ancien Premier ministre du Japon Abe Shinzô (« 安倍 晋三 ») du 21 septembre 2016 nous semble cons�tuer un parfait exemple :

Dans ce contexte, l’objec�f des mesures prises par le Japon n’est pas « d’enrayer le déclin démographique », mais plutôt de l’accompagner à travers la mise en place progressive d’un nouveau modèle économique et social qui perme�ra de maintenir la puissance et la niveau de vie du pays dans le contexte de la « seconde transi�on démographique ». Un tel objec�f passe ainsi par la mise en place de deux types de mesures : 1) Des mesures pour compenser la baisse de la popula�on ac�ve le temps d’opérer une transi�on vers un nouveau modèle économique et social ; 2) Des mesures pour préparer l’avènement de ce nouveau modèle.

« Je n'ai absolument aucune inquiétude concernant la démographie du Japon. Mon pays a perdu, au cours des trois dernières années, trois millions de personnes en âge de travailler. Et pourtant, notre PIB nominal a augmenté. Nous devrions regarder vers l'avenir au lieu de nous inquiéter du présent. Le Japon vieillit. Le Japon perd sa popula�on. Mais, ce sont des encouragements pour nous. Pourquoi ? Parce que nous con�nuerons à être mo�vés pour faire augmenter notre produc�vité.

Nous con�nuerons à être mo�vés pour u�liser tout ce qui est nouveau et numérique, des robots à la détec�on sans fil, en passant par le Big Data et l'IA. Ainsi, paradoxalement, la démographie du Japon est un avantage et pas un handicap »¹⁰.

« Dans ce contexte, l’objectif des mesures prises par le Japon n’est pas « d’enrayer le déclin démographique », mais plutôt de l’accompagner à travers la mise en place progressive d’un nouveau modèle économique et social »

Il s’agit là d’une façon bien par�culière de construire poli�quement les évolu�ons démographiques japonaises, à laquelle nous sommes assez peu habitués en Europe. Outre la classe poli�que, un certain nombre d’universitaires parmi lesquelles l’économiste Hoshi Takeo (« 星 岳雄 »), professeur à l’université de Tokyo, défendent une thèse similaire.

Ce-dernier insiste par exemple sur le rôle marginal des évolu�ons démographiques sur les performances économiques du Japon en comparaison avec l’évolu�on de la produc�vité, affirmant ainsi que « la popula�on japonaise, vieillissante et en diminu�on, est simplement u�lisée comme bouc émissaire d'une économie en déclin »¹¹.

Pour faire face de manière conjoncturelle à la baisse de la popula�on ac�ve déjà en cours, et outre le développement d’une poli�que nataliste visant à limiter la chute de la natalité, le Japon a recours à un panel de mesures¹² : « le développement de l’emploi féminin » (« Womenomics »), « la promo�on de l’emploi des seniors », « l’ouverture à une main d’œuvre étrangère » (nouveaux visas de travail accessibles depuis 2019) et, « l’automa�sa�on des entreprises » (promouvoir l’usage de la technologie pour faire baisser le besoin en main d’œuvre).

Par ailleurs, depuis son annonce en 2016, la « Société 5.0 » sert de ligne d’horizon pour le développement du nouveau modèle de société japonais. Ce concept est définie officiellement comme « une société centrée sur l’homme qui équilibre le progrès économique avec la résolu�on des problèmes sociaux au moyen d’un système intégrant étroitement cyberespace et espace physique »¹³, Si l’on doit résumer les premières grandes orienta�ons de l’ambi�on japonaise de faire émerger une « nouvelle société » adaptée au contexte démographique de demain, l’enjeu consiste d’abord à réorienter les priorités économiques sur des secteurs d’avenir (la « silver economy » en par�culier, du fait de la hausse de la part des personnes âgées dans la consomma�on intérieur et de l’opportunité de développer un savoir-faire dans un contexte de vieillissement généralisé de la popula�on mondiale).

Ensuite, pour compenser la réduc�on quan�ta�ve du

Le choix du Japon comme inspira�on ? ©GoJ

à la baisse de la natalité, tant qu’elle est contenue et qu’elle n’est pas accompagnée par une réduc�on des dépenses dans le domaine de la forma�on, elle permet en parallèle de pouvoir consacrer plus de moyens par étudiant.

QUE TIRER DE TOUT CELA POUR L’EUROPE ?

L’exemple japonais nous semble intéressant non pas tant pour ses mesures, tant il nous semble trop tôt pour pouvoir avoir du recul sur leur per�nence ou non, que pour sa démarche.

« Le vieillissement de la population, puis sa réduction, suppose la raréfaction du facteur travail, autrement dit de l’homme »

facteur travail du fait de la « seconde transi�on démographique », est prévu une augmenta�on à la fois en termes quan�ta�fs et qualita�fs (c’est-à-dire en terme de produc�vité) du facteur capital par la robo�sa�on massive et le développement de nouvelles solu�ons technologiques (en par�culier l’IA). Il est aussi prévu d’augmenter la produc�vité du facteur travail en me�ant l’accent sur la qualité de la forma�on – et les performances du pays dans le classement Pisa 2022 sont assez encourageantes, le Japon étant l’un des seuls pays du monde à voir une améliora�on significa�ve des performances de ses élèves dans un contexte de déclin généralisé des performances éduca�ves.

C’est ainsi que l’on peut comprendre pourquoi le déclin démographique du Japon n’est non seulement pas perçu comme un handicap, mais même comme un « facilitant » de ces transforma�ons souhaitées. La réduc�on de la popula�on est en effet perçue comme favorisant l’acceptabilité sociale de l’introduc�on d’innova�ons technologiques perme�ant d’augmenter la produc�vité, alors que des tensions à propos de l’usage des IA généra�ves dans le monde de l’entreprise commencent à émerger en Europe. Quand

Le Japon a en effet pensé sa situa�on contemporaine, et pris conscience de la « seconde transi�on démographique » qui est à l’œuvre. Mais il a surtout pris la décision d’élaborer un projet poli�que qui prétend accompagner ce changement, et faire en sorte de préserver au maximum la puissance et le niveau de vie de son pays dans ce contexte. Le prérequis pour l’adop�on d’une telle démarche est incontestablement de porter un regard lucide sur la situa�on présente. Et il nous semble en ce sens que la grille d’analyse consistant à voir dans l’abaissement de la natalité une nécessaire catastrophe, n’ayant pour solu�on que l’alterna�ve entre un retour de la natalité au dessus de 2.1 enfants par femme (bien difficile dans le contexte démographique mondial décrit précédemment), ou le recours massif aux « migra�ons de remplacement », ne doit pas être le point final des ques�onnements sur l’avenir de l’Europe. Ce cadre intellectuel aujourd’hui majoritaire nous semble relever d’une concep�on conservatrice du monde, qui refuse de me�re en œuvre des réformes économiques et sociales qui pourraient pourtant s’avérer d’un grand intérêt – voire salvatrices.

Car en effet, le vieillissement de la popula�on, puis sa réduc�on, suppose la raréfac�on du facteur travail, autrement dit de l’homme. C’est ainsi que le Japon, pour assurer la pérennité de sa croissance économique en contexte de « seconde transi�on démographique », a misé sur l’abandon du modèle de croissance extensive, fondée sur l’abondance des facteurs de produc�on, pour un modèle de croissance majoritairement intensive, reposant sur l’augmenta�on de la produc�vité globale des facteurs.

L’Europe, pour l’heure, semble ne pas encore avoir fait son choix. Elle se retrouve en effet aujourd’hui Revue TB N°7 - 17

dans une situa�on paradoxale : tout en se lamentant de la faible natalité du con�nent, les intellectuels européens parlent de plus en plus de la nécessité d’instaurer un revenu universel pour maintenir, dans un contexte de développement de plus en plus rapide de l’intelligence ar�ficielle¹⁴, le niveau de consomma�on d’une masse d’hommes que l’on considère comme devenus « inu�les » (Harari)¹⁵.

L’Europe devra faire un choix ©DALL.E

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NOTES (1) HUBERTI Héloïse. « Loi immigra�on : le patronat s’inquiète des conséquences économiques », Capital, 20/12/2023.

(2) Concept défini par l’ONU comme « la migra�on interna�onale dont un pays aurait besoin pour éviter le déclin et le vieillissement de la popula�on » (« Replacement Migra�on: Is it A Solu�on to Declining and Ageing Popula�ons? », United Na�ons Secretariat, 21/03/2000).

(3) PICOUËT Michel ; SANDRON Frédéric. « L’impact de la croissance démographique sur le développement : évolu�on d’une idée », dans : Développement durable ? Doctrines, pra�ques, évalua�ons. Marseille : IRD Édi�ons, 2002.

(4) CLEMENT Céline ; BRUGEILLES Carole. « Chapitre 5De la transi�on aux transi�ons démographiques », dans : Introduc�on à la démographie. Paris, Armand Colin, « Cursus », 2020.

(5) LESTHAEGHE Ronald. « The second demographic transi�on, 1986–2020: sub-replacement fer�lity and rising cohabita�on—a global update ». Genus 76, 10, 2020.

(6) COSIO-ZAVALA Maria Eugenia. « La transi�on démographique ». dans : Dynamiques démographiques et développement, 1, ISTE Edi�ons, 2021, Encyclopédie Sciences.

(7) KOBA Éric ; DJOUFELKIT, Hélène ; RABIER, Serge, « Transi�ons démographiques, inégalités et développement humain : analyse des fiches démographiques synthé�ques pour 43 pays d’Afrique subsaharienne ». Paris Cedex 12, Édi�ons AFD, « Papiers de recherche », 2019.

(8) Voir « Vieillissement de la société française : réalité et conséquences », Haut-Commissariat au plan, 09/02/2023.

(9) BLANCHET Didier, « L'impact des changements démographiques sur la croissance et le marché du travail : faits, théories et incer�tudes », Revue d'économie poli�que, 2001/4 (Vol. 111).

(10) « Opening Remarks by Prime Minister Shinzo Abe at the Dialogue with the New York based Business and Financial Community of Japan », 21/09/2016.

(11) HOSHI Takeo. « Japan’s Demographic Advantages », The Tokyo Founda�on for Policy Research, 08/02/2018.

(12) « La démographie du Japon : Quels risques ?

Quelles opportunités », Comité Japon des Conseillers du Commerce Extérieur de la France, 07/2020.

(13) « Society 5.0 », Cabinet Office, Council for Science, Technology and Inova�on.

(14) Voir par exemple THORPE Simon. « Revenu de Base Universel, Intelligence Ar�ficielle et Automa�sa�on », 2022.

(15) HARARI Yuval. Homo Deus, Albin Michel, 2017.

Revue TB N°7 - 19

GÉOPOLITIQUE

G7 2024 Quelle présidence Italienne ?

Par Emmanuel GOÛT - Homme d’affaire et spécialiste de l’Italie

Rizières en terrasses au Vietnam. ©Pexel

Alors que la nouvelle année 2024 se présente dans un environnement géopoli�que extrêmement tendu, le cadre, dans lequel ces tensions pourront se développer, s’accentuer ou voir, pour les rares op�mistes, se réduire, présente une série de rendezvous électoraux et interna�onaux qui pourraient être incisifs sur les déroulés tragiques en cours: élec�on russe, élec�on européenne, élec�on ukrainienne (à ce jour encore bloquée par Zelensky), élec�on américaine, sommet du BRICS+, présidence italienne du G7.

C’est sur ce�e présidence italienne que nous nous a�arderons. L’Italie est elle encore en mesure de s’affirmer dans ce monde explosif et promouvoir de nouveaux équilibres.

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LES OBJECTIFS DE GIORGIA MELONI. Au cours des dernières semaines et de sa conférence de presse du 4 janvier la Présidente du Conseil italienne a clairement exprimé l’orienta�on que l’Italie veut donner à sa présidence du G7 en 2024: • • • •

les conflits interna�onaux en par�culier les guerres en Ukraine et au Moyen Orient la région indo-pacifique les défis de l’Intelligence ar�ficielle les flux migratoires et la défini�on d’une poli�que africaine appropriée

Formellement, la Présidente du Conseil affiche une rare consistance et prépara�on sur les dossiers qu’elle évoque. Bien entendu moins technicienne que son prédécesseur Mario Draghi, elle n’en connaît pas moins ses dossiers et sait en jouer devant un parterre de journalistes qui n’apparaissent que des “sparring partner” d’une championne ainsi décrite par Guido Barloze�, analyste italien.

La Présidente du Conseil a réitéré son sou�en à l’Ukraine, sans limite, s’improvisant figure de proue de l’opposi�on à la Russie, interrompant brutalement une rela�on poli�que, culturelle et industrielle, consolidée entre l’Italie et la Russie depuis plus de 60 ans.

Sur le conflit au Moyen Orient, qui compte en deux mois plus de 20.000 vic�mes civiles, Giorgia Meloni confirme le droit d’Israël à l’existence et à la sécurité tout en cherchant à apporter un sou�en humanitaire aux popula�ons gazaouis “vic�mes du Hamas”.

Quant à la région indo-pacifique, Giorgia Meloni affiche un nouvel op�misme dans les rela�ons avec l’Inde et le Japon alors qu’elle est sor�e de l’accord “les routes de la soie” fer de lance de la géopoli�que chinoise. Elle a pu revenir sur le “Blue Raman Project”, câble qui devrait relier et consen�r le transport de datas entre l’Inde et l’Europe, en passant par Marseille ou Gènes…un des (nombreux) points d’échauffement entre la France et l’Italie.

Très justement et habile communicante, Giorgia Meloni préside le premier sommet du G7 qui voit l’intelligence ar�ficielle envahir notre quo�dien; elle met en garde contre des effets qui pourraient affecter l’ordre géopoli�que actuel, revendiquant des ac�ons contraignantes indispensables à l’ini�a�ve du G7.

L’Italie sera aussi le premier pays à inclure la ques�on des flux migratoires à l’ordre du jour, en posant la ques�on des réseaux qui exploitent les migrants tout comme la quête de solu�ons en amont, ce qu’elle décrit comme le “droit à ne pas devoir émigrer”. Elle a d’ailleurs promu, encore sans résultats concrets, des accords avec la Tunisie, l’Égypte et l’Albanie.

C’est pour cela aussi que la Présidence italienne propose une réflexion approfondie sur l’Afrique, à commencer en débloquant 70% du fonds italien pour le climat en faveur de l’Afrique comme annoncé à la COP 28. Elle veut pouvoir me�re en évidence que famines et révoltes sont des ques�ons aux impacts mondiaux et non locaux. Elle veut pouvoir démontrer que les richesses de ce con�nent devraient pouvoir être une réponse à ces défis. C’est pour cela qu’elle rappelle à �tre d’exemple le “ Elmed electricity câble” entre la Tunisie et l'Italie, soutenu par des fonds européens à hauteur de 307 millions, qui concré�se la première interconnexion entre l’Europe et l’Afrique.

C’est aussi pour cela qu’elle a dépoussiéré le “plan Ma�ei” au grand dam des intérêts français, en allant même se recueillir sur la statue érigée à Alger à Enrico Ma�ei.

Giorgia Meloni en Algérie ©MAEI

UN SENTIMENT ANTIFRANCE ?

Il convient ici d’en rappeler les grandes lignes, car, à lire l’agenda italien tant sur ce�e ques�on spécifique que sur son ensemble, on pourrait croire en une réelle vision géopoli�que associée à un sen�ment de leadership aux ambi�ons souverainistes.

Ce serait se méprendre: il y a en effet fort à craindre que le “faire savoir” prenne le pas sur le “savoir faire”, tant la dépendance italienne, profonde et condi�onnée par l’”allié” américain, associée à un sen�ment an� français n’en condi�onne le devenir.

Enrico Ma�ei, une vieille histoire franco italienne: né en 1906, c’est en 1962 qu’il meurt dans son avion saboté par les services américains - il avait conclu des accords qui déplaisaient aux “sept soeurs” ainsi qu’il les dénommait, les sociétés anglo-américaines (Shell, Standard Oil, Anglo-Persian Oil, Mobil, Chevron, Gulf, Texaco) qui dominaient le marché mondial de l’énergie -, ou par les services français qui lui reprochaient sa proximité avec le FLN? En effet, sa mort survient après qu’il ait offert à l’Italie par le biais de l’ENI une poli�que énergé�que capable de s’imposer tant en Afrique qu’en Russie (alors URSS), car elle bénéficiait aussi aux pays détenteurs des réserves énergé�ques.

A sa mort, l’Italie dispose du réseau méthane le plus étendu en Europe et le troisième au monde.

La mort dans un accident d’avion du patron de Total - Christophe de Margerie - en 2014 au lendemain d’accords stratégiques dans une Russie sanc�onnée (à la suite du référendum qui avait ramené la Crimée en Russie) n’est pas sans analogies possibles.

On voudrait pouvoir prêter la meilleure volonté à Giorgia Meloni, tant pour sa capacité de travail, son parcours que pour toutes ces déclara�ons d’a�en�on mais la seule observa�on des résultats et non des inten�ons de sa poli�que, en Italie et dans le monde, Revue TB N°7 - 21

révèle une toute situa�on. L’Italie est un pays tradi�onnellement sous l' a�en�on par�culière des États-Unis. L’Italie est géographiquement le principal porte-avions américain en Méditerranée. Les ÉtatsUnis, après la seconde guerre mondiale, avaient déjà décidé que ce pays ne pouvait devenir communiste l’Italie avait alors le plus important par� communiste (PCI) -. Par la suite, les liens amicaux entre Pou�ne et Berlusconi ne furent pas sans inquiéter l’oncle Sam qu’il soit démocrate ou républicain, leur leitmo�v reste iden�que: America first!

LE SALUT VIENT DES ÉTATS-UNIS L’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni ex fasciste interroge naturellement l’allié tradi�onnel. Giorgia Meloni en �re les conclusions. Sa survie au pouvoir dépend aussi de ce lien historique. Elle décide donc de faire fi de sa voca�on souverainiste. Elle n’est ni Seguin, ni Chevènement. Elle s’improvise donc très rapidement plus royaliste que le roi et devient le fer de lance pro américain en Europe. Cela se voit en Ukraine, alors qu’elle aurait pu offrir à l’Italie une dimension interna�onale de leader en partageant avec le Pape François une culture du dialogue, dans laquelle son histoire l’avait enracinée.

Cela se voit aussi dans ses rela�ons avec la France où les desseins stratégiques se révèlent l’expression de règlements de compte presque personnels (Telecom, Câbles sous marins, projet européen d’avions de chasse).

Son dépoussiérage du Plan Ma�ei n’est encore qu’un exercice de style faute de compétences réelles dans son entourage.

Cela s’observe finalement en Italie où sa poli�que migratoire bloque sur les concessions qu’elle doit faire à l’Union Européenne pour en obtenir les financements nécessaires à sa relance, derniers chan�ers sur lesquels à la veille des prochaines élec�ons européennes elle tente encore de rester fidèle à ses engagements électoraux.

Enrico Ma�ei, figure de la realpoli�k italienne ©Archives

Alors que sur la scène poli�que italienne, Giorgia Meloni n’a ni rivaux à droite - Forza Italia survit difficilement à la mort de Silvio Berlusconi et la Ligue (Lega) a perdu de son emprise - ni dans une gauche éclatée, que sa popularité est indéniable de par sa personnalité plus que de par ses projets, elle pourrait peut être encore faire de l’Italie un moteur industriel européen en comptant plus justement sur le patrimoine industriel et culturel de son peuple, en reportant l’Italie sur la scène interna�onale non en vassal mais en protagoniste dans un monde qui a désormais changé.

En octobre le BRICS+ se réunira à Kazan, le Va�can y sera sûrement invité comme observateur, une autre moi�é du monde se retrouvera avec des analyses différentes, une vision du monde mul�polaire qui pourrait afficher sa richesse sans antagonisme, alors que le G7 tente d’imposer sa propre vision en accordant par exemple aux conflits en cours dans le monde des importances rela�ves, deux poids trois mesures.

L’Italie peut-elle encore se réconcilier avec sa tradi�on du dialogue?

Le porte-avions américain ©WH

Revue TB N°7 - 23

GÉOPOLITIQUE

Guerre en Ukraine La fragilité énergétique de l’Europe révélée ?

Par Grégoire ROQUETTE � Analyste et enseignant

Vladimir Pou�ne et Angela Merkel, l’énergie russe rencontre l’industrie allemande, l’alchimie était parfaite ©MAEA

Le 26 septembre 2022, les gazoducs Nord Stream, des�nés à desservir l’Europe (principalement l’Allemagne) en gaz russe, sont gravement endommagés par deux mystérieuses explosions volontairement déclenchées sur leur trajectoire au fond de la mer Bal�que.

Alors que les auteurs de ce sabotage restent inconnus (malgré la média�sa�on de plusieurs pistes), cet événement a été l’occasion de me�re en lumière une pièce maîtresse du plan d’invasion de l’Ukraine par la Russie. Un an plus tard, le 14 septembre 2023, la journaliste Marion Van Renterghem, lauréate du prix Albert Londres et spécialiste de l’Europe de l’Est, publie sous le �tre « Le piège Nord Stream » une vaste enquête analysant un projet d’offensive mûri depuis plus de quinze ans par Vladimir Pou�ne. Dans ses 24 - Revue TB N°7

plans, la dépendance des Européens aux importa�ons gazières russes devait être son principal moyen de pression pour les dissuader de faire obstruc�on à ses objec�fs de conquête. Cet ar�cle reprend certaines informa�ons clés de ce�e enquête, et analyse certains enjeux économiques et géopoli�ques de l’approvisionnement énergé�que de l'Union européenne.

UNE DÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE ORGANISÉE DE LONGUE DATE PAR LE KREMLIN Si les premiers gisements gaziers de Russie ont été découverts au 19ème siècle, c’est à par�r des années 1960 que les progrès techniques et le contexte

géopoli�que lui perme�ent de devenir un important exportateur. Alors que la cons�tu�on du « bloc de l’Est » lui apporte une vaste zone d’influence en Europe, le premier choc pétrolier déclenché en 1973 par des producteurs arabes fait de l’Union sovié�que un fournisseur d’hydrocarbures a�rac�f. Celle-ci coopère avec la République démocra�que allemande, communiste et inféodée à Moscou, mais aussi avec sa sœur la République fédérale d'Allemagne, intéressée par des importa�ons gazières bon marché pour développer son industrie. Dans le contexte de l’« Ostpoli�k » ini�ée par le chancelier ouest-allemand Willy Brandt, un premier gazoduc germano-russe est ainsi inauguré en 1973. Emboîtant le pas de Berlin, le gouvernement français de Pierre Mauroy sous la présidence de François Mi�errand signe à son tour son premier contrat d’importa�on de gaz russe via la compagnie na�onale Gaz de France en 1982. Déjà à l’époque, le président américain Ronald Reagan, à l’instar de ses successeurs contemporains Donald Trump et Joe Biden, alerte ses homologues européens sur leur risque de dépendance énergé�que envers l’Union sovié�que. Washington impose à ce�e dernière des sanc�ons économiques pour bloquer les importa�ons d’équipements nécessaires à la construc�on de gazoducs. Mais Moscou parvient à les contourner avec l’aide de ses clients européens qui dénoncent une a�einte américaine à leur souveraineté. Néanmoins, au début de la décennie suivante, un bouleversement géopoli�que majeur vient menacer ce�e rela�on commerciale bilatérale.

Le 1er décembre 1991, avant même la disloca�on officielle de l’Union sovié�que, l’Ukraine proclame son indépendance à la suite d’un référendum au cours lequel ce�e décision l’emporte aussi, il faut le rappeler, dans ses régions russophones comme le Donbass (86 à 87 %), et la Crimée (56 %). Si ce�e disloca�on de son empire est une humilia�on poli�que pour la Russie, elle est aussi une catastrophe économique : ses gazoducs approvisionnant l’Europe, un marché devenu crucial, passent désormais par un pays étranger.

« Dans le contexte de l’« Ostpolitik » initiée par le chancelier ouest-allemand Willy Brandt, un premier gazoduc germano-russe est ainsi inauguré en 1973. »

Pou�ne s’était opposé, à l’instar de son homologue français Jacques Chirac. L’année suivante, une première révolu�on ukrainienne arrive comme un coup de semonce une dizaine d’années avant le mouvement « Euromaïdan ». La cible est le candidat pro-russe Viktor Ianoukovytch accusé de fraudes lors des élec�ons présiden�elles dont il revendique la victoire. Ce soulèvement populaire nommé « révolu�on orange » en référence à la couleur de l’écharpe de son leader pro-occidental Viktor Iouchtchenko est pour Vladimir Pou�ne l’humilia�on de trop. C’est à la suite de cet événement qu’il commence à élaborer sa stratégie de rétablissement par la force de l’autorité de la Russie sur son ancien vassal. Dès lors, l’augmenta�on de ses exporta�ons gazières vers l’Union européenne remplit un double objec�f économique et géopoli�que. D’une part, consolider un marché à l’exporta�on générateur de précieuses devises étrangères, y compris pour le budget militaire russe. D’autre part, instaurer un rapport de force perme�ant à la Russie d’a�aquer l’Ukraine en écartant le risque d’une obstruc�on européenne.

UN NOUVEAU GAZODUC GERMANORUSSE, AVEC L’UKRAINE EN LIGNE DE MIRE Mais la Russie sait qu’elle est aussi elle-même dépendante de la coopéra�on de l’Ukraine, pays de transit, pour approvisionner ses clients européens.

Dans ce contexte, a�aquer son voisin slave pour le soume�re risquerait de perturber gravement ses exporta�ons gazières, ce qui lui coûterait très cher en manque à gagner comme dans sa réputa�on de fournisseur. Après avoir noué une ami�é hautement stratégique avec son homologue allemand Gerhard Schröder (aidé en cela par sa maîtrise de l’allemand acquise lorsqu’il était agent du KGB à Dresde), Vladimir Pou�ne lance donc en 2005 la construc�on d’un nouveau gazoduc germano-russe contournant l’Ukraine par la mer Bal�que. Nord Stream 1, doublé quelques années plus tard par Nord Stream 2 pour un

Le gouvernement ukrainien, tout en ménageant prudemment son homologue russe, affiche avec parcimonie sa volonté de rapprochement avec l’ancien bloc de l’Ouest. L’un de ses actes marquants, bien que méconnu, est sa par�cipa�on à l’invasion américaine de l’Irak en 2003, à laquelle le président russe Vladimir

Les projets (poin�llés) et gazoducs existants (traits pleins) en 2009 ©Samuel Bailey

Le GNL américain mais aussi russe s’est frayé un chemin depuis ces dernières années ©Unsplash

coût total d’environ vingt milliards d’euros, ambi�onne de relier directement les gisements du nord de la Russie à la ville cô�ère allemande de Lubmin. Les États-Unis, ainsi que plusieurs pays d’Europe de l’Est, alertent l’Allemagne sur le fait que ce�e manœuvre russe de contournement fait de l’Ukraine une proie vulnérable aux menaces expansionnistes de Vladimir Pou�ne. Après l’invasion russe du nord de la Géorgie en août 2008, celles-ci ne sont plus à prouver. Mais Gerhard Schröder, puis Angela Merkel qui lui succède en 2005, jus�fient ces nouvelles infrastructures en affirmant que l’interdépendance commerciale est au contraire la meilleure garan�e de paix entre les peuples. D’autant que par ailleurs, les ambi�ons allemandes de transi�on énergé�que, intégrant la sor�e du nucléaire à la suite à l’accident de Fukushima de mars 2011, augmentent considérablement les besoins allemands d’importa�ons gazières bon marché. En novembre de ce�e même année, North Stream 1 est terminé et opéra�onnel. La construc�on de Nord Stream 2 commence, pour un chan�er d’une durée d’une dizaine d’années.

« Les États-Unis, ainsi que plusieurs pays d’Europe de l’Est, alertent l’Allemagne sur le fait que cette manœuvre russe de contournement fait de l’Ukraine une proie vulnérable aux menaces expansionnistes de Vladimir Poutine. » Mais en 2013-2014, l’Histoire s’accélère. Une nouvelle révolu�on ukrainienne éclate contre le même Viktor Ianoukovytch, finalement arrivé au pouvoir par les urnes en 2010 après son échec en 2005, et provoque sa des�tu�on. En réac�on la Russie annexe la Crimée lors d’une première offensive éclair, qu’elle élargit peu à peu à la région ukrainienne du Donbass.

Les États-Unis et l’Union européenne lui imposent une série de sanc�ons économiques, mais ces dernières ne 26 - Revue TB N°7

concernent pas Nord Stream. Car ce projet est toujours défendu par Angela Merkel qui le considère comme une affaire industrielle et non poli�que, et que c’est en restant cliente de la Russie que l’Allemagne se garde des moyens de l’influencer. Vladimir Pou�ne temporise, niant toute par�cipa�on à la guerre du Donbass qu’il décrit comme une insurrec�on sépara�ste d’Ukrainiens russophones, et concentre ses efforts militaires sur la Syrie où il intervient en septembre 2015 en sou�en à son allié Bachar el-Assad.

Pendant ce temps, la construc�on de Nord Stream 2 avance et s’achève le 10 septembre 2021. La dépendance de l’Union européenne au gaz russe s’élève alors en moyenne à 45 %, dont 55 % pour l’Allemagne et 20 % pour la France. Le plan de Pou�ne entre dans sa phase finale. Le 22 février 2022, alors que la Russie masse des troupes à sa fron�ère ouest, qh Scholz, qui vient de succéder à Angela Merkel à la chancellerie allemande, annonce la suspension de Nord Stream 2. Trop tard. Deux jours plus tard, à la stupéfac�on générale, la grande offensive russe contre l’Ukraine commence. Mais ce�e jeune na�on oppose une résistance ina�endue, sous le commandement d’un président charisma�que sur lequel se braquent les projecteurs du monde lorsqu’il répond à son homologue américain Joe Biden lui proposant de l’exfiltrer : « J’ai besoin de muni�ons, pas d’un taxi ».

DE LA DÉPENDANCE EUROPÉENNE AU GAZ RUSSE, AU GNL AMÉRICAIN ?

Depuis bientôt deux ans que la guerre fait rage en Ukraine, tandis que Bruxelles et Washington font bloc aux côtés de Volodymyr Zelensky, l’Europe est devenue pour son allié américain un nouveau marché énergé�que prome�eur. Car ce�e guerre coïncide, à quelques années près, avec un boom de la produc�on pétrolière et gazière de l’autre côté de l’Atlan�que, rendue possible grâce à l’exploita�on des schistes bitumineux. Ainsi en 2016, un premier navire méthanier (tanker chargé de gaz naturel liquéfié ou « GNL ») qui�e la côte américaine faisant officiellement des États-Unis un pays exportateur de gaz. De quoi faire du gouvernement américain un probable commanditaire du sabotage des gazoducs Nord Stream afin de récupérer le marché européen ?

Si toutes les hypothèses sont encore sur la table, ce�e

piste est peu crédible. En effet, quel intérêt aurait-il à organiser une barbouzerie coûteuse et risquée pour sa réputa�on, pour obtenir un avantage déjà acquis ?

Dès mars 2022, craignant pour sa sécurité énergé�que après la forte réduc�on de ses importa�ons en provenance de Russie pour ne pas financer l’invasion de l’Ukraine, l’Union européenne signe à la hâte des contrats de long terme des fournisseurs américains. Et tandis que ces derniers construisent et étendent des terminaux de liquéfac�on du gaz au Texas et en Louisiane, les Européens me�ent en place, en miroir, leurs propres infrastructures de re-gazéifica�on afin de le récep�onner.

Or, l’installa�on d’une telle infrastructure coûte en moyenne un milliard d’euros, ce qui nécessite un fonc�onnement pendant au moins une décennie pour espérer la rentabiliser. Pour un approvisionnement gazier bien plus coûteux que par gazoduc, à cause des étapes de transforma�on du GNL, et aberrant écologiquement, puisque la France interdit depuis 2011 l’exploita�on de gaz de schiste sur son propre territoire au nom de la préserva�on de l’environnement. Tandis que l’Union européenne, pour rentabiliser ses terminaux de re-gazéifica�on, aurait également fortement augmenté depuis deux ans ses importa�ons de GNL en provenance… de Russie !

L’Union européenne, addi�onnant des ambi�ons louables, mais difficilement conciliables de réindustrialisa�on, de transi�on écologique intégrant le gaz (car peu éme�eur en CO2), et d’influence géopoli�que, est affaiblie par ses contradic�ons.

Auxquelles s’ajoutent les divisions entre ses membres défendant des intérêts parfois opposés, comme la Hongrie de Viktor Orban qui depuis plusieurs années semble faire cavalier seul. On peut néanmoins espérer que le vieux con�nent �re les leçons de sa longue cécité face à Vladimir Pou�ne, et de sa croyance, malheureusement trop naïve, dans l’interdépendance commerciale comme facteur de paix durable.

« Dès mars 2022, craignant pour sa sécurité énergétique après la forte réduction de ses importations en provenance de Russie pour ne pas financer l’invasion de l’Ukraine » Les importa�ons européennes de gaz russe ont certes été divisées par trois depuis le début de la guerre en Ukraine, et sont moins lucra�ves pour la Russie qui marge beaucoup moins sur les exporta�ons de GNL que par gazoducs. Mais la persistance de ce�e dépendance de l’Europe, somme toute réduite, est un échec au moins par�el dans ses objec�fs de ne plus contribuer à financer l’invasion de l’Ukraine.

Parallèlement, dans la région plus au sud du Caucase, l’enclave arménienne du Haut-Karabagh est défini�vement vaincue, et officiellement annexée par l'Azerbaïdjan le 20 septembre 2023. L’autocrate azéri Ilham Aliyev, à la tête d’un pays riche en hydrocarbures, a augmenté l’année précédente de 30 % ses exporta�ons gazières vers l’Europe, cherchant à diversifier ses fournisseurs. Un excellent moyen d’obtenir la passivité des Européens pendant ses a�aques répétées contre l’Arménie. Dans un autre vieux conflit larvé hérité de l’ère sovié�que, le scénario russo-ukrainien se répète.

Porte de Brandebourg, Berlin, Allemagne ©Unsplash

Revue TB N°7 - 27

GÉOPOLITIQUE

Recomposition des frontières européenne Quelle place pour la francophonie ?

Par Pierre Barboeuf - Rédacteur pour La Voix au Chapitre, média spécialisé sur la francophonie

Congrès de Vienne, gravure de Jean-Bap�ste Isabey (1815)

Indépendan�smes, mouvements régionalistes, sécessionnistes, volontés d’indépendance, disparités économiques, pressions extérieures ou encore réalités linguis�ques, pourraient favoriser une évolu�on des fron�ères au sein de l’Union européenne.

209 ans après le Congrès de Vienne, l’Europe n’est plus le « jardin » décrit par Joseph Borrell, chef de la diploma�e européenne. Les tensions internes à l’Union européenne et les pressions extérieures : guerre en Ukraine, menace turque ou immigra�on du sud pourraient reba�re les cartes et peut-être 28 - Revue TB N°7

favoriser les recomposi�ons au regard des logiques linguis�ques, notamment francophone, et culturelles ?

Plongée au cœur des grands mouvements à l’œuvre dans les prochaines années en Europe.

UN MOUVEMENT IRRÉPRESSIBLE D’ÉVOLUTION DES FRONTIÈRES EUROPÉENNES On le sait, dans l’histoire les fron�ères européennes ont toujours évoluées de manière cyclique, au gré des pressions internes ou externes, et les bouleversements

géopoli�ques qui sont à l’œuvre dans le monde et en Europe en 2024 n’en sont pas exclus. Il y a fort à parier, que 79 ans après la Seconde Guerre mondiale, les fron�ères européennes vont se faire et se défaire pour tenir compte des nouvelles réalités poli�ques et économiques.

La tendance que l’on a pu observer ces dernières décennies a été une remise en cause des na�ons, des souverainetés et des États dont la légi�mité reposait sur une concep�on westphalienne des rela�ons interna�onales. Ce�e légi�mité a été concurrencée, voire parfois remise en cause, par le haut, par l’Union européenne, instance suprana�onale par excellence, et par le bas, par la montée en puissance de régions.

L’exemple le plus criant pourrait être celui des régions sécessionnistes telles que l’Écosse ou la Catalogne, mais de manière plus sub�le, le redécoupage des régions françaises en 2015 répond aussi à ce�e logique d’uniformiser l’organisa�on territoriale européenne sans tenir compte des réalités na�onales, culturelles et linguis�ques, internes.

Le résultat ? Les États se voient donc concurrencés par le haut et par le bas : par l’Union européenne et par les montées en puissance des régions. Pourtant, il convient d’observer que la créa�on des ins�tu�ons intervient à court terme contrairement aux logiques culturelles et linguis�ques qui s’inscrivent sur le long terme. Lorsque les ins�tu�ons ne correspondent plus aux logiques culturelles, elles disparaissent pour faire place à de nouvelles ins�tu�ons plus cohérentes vis-àvis de la réalité de terrain.

« La tendance que l’on a pu observer ces dernières décennies a été une remise en cause des nations, des souverainetés et des États dont la légitimité reposait sur une conception westphalienne des relations internationales. » A ce �tre, les fron�ères na�onales et infra-na�onales en Europe pourraient être remises en cause par les mouvements à l’œuvre en Europe. D’abord par des changements liés à la guerre en Ukraine, Hongrois, Polonais et Roumains lorgnent sur l’Ouest de l’Ukraine mais ces changements pourraient en impliquer d’autres en Europe de l’Ouest. Ensuite, l’Espagne ou l’Italie pourraient également voir des différends augmenter entre des régions plus développées et des régions moins avancées. Par ailleurs, le fossé entre les Flamands et les Wallons ne cesse de s’étendre, ce qui pourrait reme�re en cause, à terme, la survie de la

Belgique. De même, la prise de sanc�ons de la Suisse contre la Russie et donc la remise en cause de la neutralité suisse comme ciment de la Confédéra�on pourrait amener des désaccords internes entre des cantons déjà divisés par leurs quatre langues : romanche, français, allemand et italien.

Il s’agit à l’heure actuelle seulement de tendances, de mouvements de fond mais qui pourraient s’accentuer rapidement en fonc�on des événements géopoli�ques et économiques mais aussi en fonc�on du résultat des élec�ons européennes de juin 2024.

A �tre d’exemple, l’Union européenne pourrait être un facteur d’accentua�on des disparités entre Flamands et Wallons. « L’Union européenne n’est pas sans favoriser involontairement le mouvement vers une forme d’indépendance flamande », explique PaulHenry Gendebien, par�san du mouvement ra�achiste wallon¹. Et d’ajouter : « La dispari�on des anciennes monnaies éta�ques et l’avènement de l’euro en cons�tuent peut-être le plus ac�f des s�mulants. Mais le retour éventuel aux monnaies na�onales aurait le même effet car la Flandre ne serait plus en mesure de tolérer un franc belge forcément dépourvu de fiabilité ; dans ce cas, la tenta�on d’une République de Flandre arrimée au mark serait irrésis�ble ».

DES FRANCOPHONES MARGINALISÉS MAIS RÉUNIS PAR UNE LANGUE EN PARTAGE L’histoire de France est in�mement liée à celle de ses voisins européens avec qui elle a �ssée de nombreux liens et notamment les francophones wallons, suisses, bruxellois et valdôtains, qui représentent des voisins géographiques mais également des voisins « de cœur et d’esprit ».

Ces francophones d’outre-hexagone, se caractérisent tous par une pra�que de la langue de Molière mais aussi parfois par un a�rait pour la France, ses valeurs et ses atouts.

Ainsi, des troubles économiques ou poli�ques accentués en Europe pourraient relancer l’incer�tude liée à l’avenir ins�tu�onnel de la Belgique et par conséquent amorcer une évolu�on des fron�ères. La France pourrait devenir un pôle de refuge pour de nombreux bruxellois ou wallons, qui partagent langue française et valeurs démocra�ques. « [...] Chacun sait que depuis le siècle des Lumières culture poli�que et valeurs démocra�ques sont iden�ques de Paris à Liège et de Lille à Mons », clame Paul-Henry Gendebien. « La Wallonie est une enfant bâtarde, fille naturelle née de père inconnu et de mère française, issue non d’une conquête ou d’une hégémonie, mais venue tout naturellement au monde comme le fruit d’un amour libre entre une terre de labeur et de créa�on et une grande langue de culture, celle de la France ».

Sans oublier les flamands, qui partagent des racines catholiques avec la fille aînée de l’Église, une

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La francophonie en Europe

caractéris�que qui avait causé la scission avec les PaysBas protestants.

La Suisse, pays enclavé avec environ 2 millions de francophones², est dans une situa�on économique plus prospère et n’a donc rien à envier à la France.

Pourtant, outre l’économie, la langue est un vecteur culturel fort et certains Suisses romands préfèrent se tourner vers la France que vers le monde germanique comme en témoignent de nombreuses associa�ons de défense de la langue française. « En priorité la langue de France, si menacée et pourtant si vivante qui a fait le tour du monde ; langue des diplomates autrefois, c’est encore et toujours une musique du vocabulaire et de la finesse d’expression, une alliance de rythmes qui en fait une langue limpide et sub�le, une richesse en soi »³, déclarent les responsables du Rayonnement français, associa�on helvète de promo�on de la langue française. « Et que d’alluvions lui apportent de nouvelles fer�lités : le sens dru du mot des Canadiens, le choix du verbe des Belges et la vivifiante démarche

du style chez les Suisses [...] », preuve s’il en est de l’a�rac�vité de la langue française.

Quant au Luxembourg, malgré une fron�ère partagée avec la France, la francophonie y est moins ac�ve et les liens avec la France par conséquent moins forts mais fait tout de même par�e des pays de la francophonie européenne. « La rela�on qui existe entre le Luxembourg, la Belgique et la France, qui sont les trois grands États francophones de l’UE, est une rela�on économique majeure. C’est aussi une rela�on poli�que forte. Ce sont les trois piliers de la francophonie européenne », ajoute Stéphane Lopez, représentant permanent de l’Organisa�on interna�onale de la francophonie auprès de l’Union européenne.

Toutefois, les troubles internes à la France : émeutes de l’été 2023, manifesta�ons liées à la réforme des retraites de 2023, comme la forte pression fiscale rendent la France moins a�rac�ve aux yeux des européens et des francophones. Comment se rendre a�rac�f lorsque l’on choisit volontairement son vocabulaire dans la langue de Shakespeare, à l’image de l’événement « Choose France » ? Si le geste peut a�rer des capitaux, il risque aussi et surtout de repousser les francophones, tradi�onnellement a�rer par les Lumières de l’hexagone.

FRANCOPHONIE ET RECOMPOSITION AUTOUR DES AIRES GÉOLINGUISTIQUES ?

En ce�e année 2024 d’élec�ons européennes, on peut évoquer plusieurs pistes d’évolu�on des fron�ères européennes.

D’une part, la tendance est plutôt favorable au fédéralisme européen, c’est-à-dire un élargissement de l’Union européenne à de nouveaux pays parallèlement à un redécoupage des régions internes,

Choose France (but not french) © Gezelin Gree / MEFR

« à taille européenne » et faisant fi des États et des fron�ères existantes, pour créer des eurorégions de taille équivalente et toutes ra�achées à Bruxelles suivant une logique plus économique que linguis�que ou culturelle.

« Il pourrait être intéressant de recentrer les échanges au sein des aires géolinguistiques » De manière générale, une cri�que adressée à l’Union européenne est sa construc�on hors de toute logique culturelle ce qui traduit souvent par un manque d’incarna�on et d’adhésion. « Un des grands travers de l’UE est de s’être construite parce qu’il y avait des enjeux existen�els pour des choses concrètes comme l’acier et le charbon, mais d’avoir longtemps négligé la culture », admet Stéphane Lopez⁴. « A l’intérieur de l’Union européenne il y a, par conséquent, de gros clivages culturels et de sérieuses incompréhensions. » Alors qu’il pourrait être intéressant de fonder de nouvelles aires géolinguis�ques, ra�achées à Bruxelles et tenant compte des disparités économiques, des cultures locales et des liens linguis�ques. La culture est in�mement liée à l’économie, Alain Peyrefi�e dans Le Mal Français me�ait justement en lumière les différences de développement entre les sociétés protestantes, souvent très avancées et très intégrées à la mondialisa�on, et les sociétés catholiques, moins développées.

D’autre part, pour tenir compte de ces différences intra-européennes, il pourrait être intéressant de recentrer les échanges au sein des aires géolinguis�ques : francophone, autour de la France, germanophone, autour de l’Allemagne, la�ne au sud de l’Europe, anglo-protestante pour les pays du nord à dominante protestante et le groupe de Visegrad, pour l’Est de l’Europe.

Chacune des aires disposerait ainsi d’une meilleure cohérence interne et cela diminuerait, dans le même temps, les différends entre les pays excédentaires et les pays déficitaires au budget de l’Union européenne.

Dans ce contexte, l’aire francophone rassemblée autour de la France, dispose de nombreux atouts parmi lesquels : un poten�el industriel dans le nord de la France élargi à la Belgique, une opportunité d’ouverture à la mer, vers les outre-mer, vers le Québec et l’Afrique francophone, doublé d’un très fort poten�el touris�que et disposant des atouts diploma�ques et militaires français. Un avantage nonnégligeable pour peser dans la mondialisa�on.

QUELLES PERSPECTIVES POUR L’AVENIR DE LA FRANCOPHONIE AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE ?

Au sein de l’Union européenne, la Francophonie pourrait être un atout non-négligeable pour accentuer la communica�on entre l’Est et l’Ouest. « Dans l’OIF se retrouvent beaucoup plus d’États de l’Est qu’au sein de l’Union, car toute l’ex-Yougoslavie y est présente ainsi que certains pays du Caucase », partage Stéphane Lopez. Ce qui perme�rait à « la Francophonie [de] jouer un rôle dans le dialogue Est-Ouest européen ».

Sans oublier le dialogue avec les nouveaux États entrants. « Il en va de même pour les pays des Balkans occidentaux qui sont candidats à l’adhésion.

L’élargissement à l’Est de l’Union était une volonté géopoli�que, mais il a suscité des cri�ques, et les pays des Balkans occidentaux en font les frais. Pour leur intégra�on l’OIF peut jouer un rôle [...] ».

Par ailleurs, deux tendances s’opposent donc en Europe pour la recomposi�on des fron�ères dans les décennies à venir : d’une part, une recomposi�on suivant une posi�on fédéraliste avec des régions indépendantes des États et ra�achées directement à Bruxelles et, d’autre part, une recomposi�on des fron�ères autour des principaux pôle géolinguis�ques et géoculturels.

A l’a�en�on de ses compatriotes alémaniques, Didier Berberat, ancien parlementaire helvète de la Francophonie et président d’une associa�on de défense de la langue française, expliquait l’intérêt de la langue française comme langue de partage : « [...] le français n’est pas seulement la langue des romands ou celle des vacances en Côte-d’Azur. On peut aussi commercer en français ou mener des études de haut niveau ». Ainsi, « la Francophonie, au cœur du dialogue des cultures, peut aider les Européens à mieux se comprendre », complète Stéphane Lopez. Et Didier Berberat de conclure : « C’est une langue na�onale qui ouvre des perspec�ves à l’interna�onal ».

NOTES (1) Paul-Henry Gendebien, Demain la Wallonie avec la France – Vers la réunifica�on française (2) h�ps://observatoire.francophonie.org/quiparle-francais-dans-le-monde/ (3) Rayonnement français : h�ps://rayonnementfrancais.ch/qui-sommes-nous/ (4) h�ps://www.touteleurope.eu/vie-poli�que-desetats-membres/la-francophonie-peut-aider-leseuropeens-a-mieux-se-comprendre/

Revue TB N°7 - 31

GÉOPOLITIQUE

Tandem franco-allemand

France-Allemagne, vers un point de rupture ?

Par Raphaël YUSSOUROU - PROMETHEI

Emmanuel Macron et Olaf Scholz, la fameuse « ami�é » franco-allemande ©AFP

Terrains de confronta�ons douloureuses dans l’histoire contemporaine, la France et l’Allemagne ont été des acteurs majeurs dans les guerres des siècles derniers. Plus que de simples rivaux, les deux puissances européennes se sont affrontées pendant soixante-quinze ans, entre 1870 et 1945, du Vieux Con�nent à l’Afrique. Il était donc difficile d’imaginer une réconcilia�on entre les deux pays qui abou�rait à la mise en place d’un projet de paix ambi�eux.

Pourtant ce projet est né : c’est l’Europe. Après des décennies de guerre s’inscrivant comme les plus meurtrières de l’Histoire, un projet de réconcilia�on entre Paris et Berlin voit le jour. C’est dans ce contexte que les figures de Jean Monet et Robert Schumann œuvrent aux côtés de leurs homologues allemands pour la créa�on de la Communauté Économique pour 32 - Revue TB N°7

le Charbon et l’Acier. Née en 1952, elle ouvre la voie au projet européen qui se concré�se avec le Traité de Rome en 1957. Né de l’adversité et construit sous le signe de la coopéra�on depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, le couple franco-allemand est un symbole fort et significa�f, mais dont la pérennité est menacée depuis l’arrivée du nouveau Chancelier allemand Olaf Scholz en 2022, qui marque une rupture dans les rela�ons tradi�onnelles de ces vieux partenaires.

Avec un nouveau chancelier à la tête de l’Allemagne, l’Union Européenne se retrouve dans une situa�on inédite où ses fondateurs sont dans une contradic�on historique depuis sa créa�on. La contradic�on affecte les rela�ons entre deux de ses membres fondateurs.

Les désaccords énergé�ques, militaires ou encore

stratégiques décident de l’avenir des rela�ons entre les deux piliers européens ainsi que de celui du Vieux Con�nent. Serait-il possible d’éviter un tel détachement ? L’Union Européenne serait-elle capable, sans ses acteurs principaux, de faire face aux nouvelles puissances et alliances interna�onales du XXIème siècle ?

DES DIVERGENCES MULTISCALAIRES Bien que l’Allemagne et la France aient des visions communes pour l’avenir de l’Europe, les deux pays divergent sur des points essen�els, notamment depuis l’arrivée du nouveau chancelier à Berlin. Les tensions sont d’abord militaires. Les manœuvres françaises se résument à l’envoi d’aide humanitaire et de matériel aux pays membres. Elle a par exemple déployé ses troupes au Mali dans le cadre de l’opéra�on Barkhane afin de lu�er contre la menace terroriste en Afrique subsaharienne, et aidée des pays comme la Lybie, ou l’Afghanistan. La France cherche à défendre l’autonomie stratégique européenne, comptant sur sa puissance et la projec�on de ce�e-dernière qu’elle souhaite affirmer à l’interna�onale, en se rendant u�le et nécessaire dans les conflits de son temps. Par ces ini�a�ves, Emmanuel Macron vise une Europe autonome et indépendante de ses alliés extérieurs quant à la produc�on et la fabrica�on des projets qu’elle promeut. Bien que Paris ait refusé le projet de construc�on d’une Europe de défense en 1954, la France tente de relancer la coopéra�on européenne en ma�ère de défense. En août 2023, Paris renouvelait par exemple le partenariat militaire franco-italien à hauteur d’un milliards et demi d’euros, des manœuvres conjointes mari�mes ont également eu lieu.

afin de subvenir à ses besoins, à laquelle s’oppose la France pour des raisons écologiques.

Dans ce�e guerre, le couple franco-allemand s’aligne sur les ques�ons défensives. Aux côtés de ses alliés à l’est, l’Allemagne a pour projet de construire un bouclier an�-aérien européen, le « European Sky Shield », à l’image du dôme de fer israélien. Une fois mis en place il perme�rait d’assurer la souveraineté de l’Union face aux a�aques étrangères et d’assurer la sécurité de ses fron�ères. Pour se faire, l’Europe a besoin de matériaux provenant d’Israël et des ÉtatsUnis, allant de fait à l’encontre avec la volonté du président français et l’autonomie stratégique qu’il cherche à défendre. Malgré les proposi�ons françaises, le projet porté par l’Allemagne a déjà été accepté par une par�e des membres de l’OTAN, dont quatorze pays d’Europe de l’est et la Grande-Bretagne.

Ainsi, comment faire en sorte d’avoir une « Europe de la défense » quand les deux acteurs majeurs sont en désaccord sur un point essen�el, dans une période de retour de la guerre sur le sol européen ?

Pendant la présidence française de l’Union Européenne du 1er au 30 juin 2022, les 27 membre de l’UE avaient adopté la déclara�on de Versailles, qui prévoyait un renforcement des inves�ssements dans la défense européenne. Parallèlement à ces mesures, l’Allemagne avait déjà acheté 35 chasseurs américains F-35 pour moderniser son armée. « L'Office fédéral pour l'équipement a signé avec l'armée de l'air américaine un contrat d'achat portant sur 35 avions de combat F-35A Lightning II, qui seront livrés entre 2026 et 2029 », indiquait l'ambassade française dans un communiqué.

LE DÉSACCORD ÉNERGÉTIQUE Dans le secteur énergé�que, la France défend l’u�lisa�on du nucléaire, là où l’Allemagne privilégie le charbon. La sor�e du nucléaire par la chancelière Angela Merkel, accélérée par la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, confirme la nouvelle poli�que allemande d’« Energiewende ». Son but est de remplacer le nucléaire par le charbon d’ici à 2022. Le 15 avril 2023 les trois dernières centrales ont été défini�vement fermées. L’Allemagne encourageait la voie de la dénucléarisa�on car elle possédait déjà des réserves de gaz russe avant 2011, et con�nuait de les alimenter en 2014 malgré l’annexion de la Crimée par Moscou, dans l’objec�f d’assurer 20% de ses réserves.

Depuis la guerre en Ukraine démarrée le 24 février 2022 avec l’offensive russe, Paris et vingt-trois autres pays souhaitent fixer un prix-plafond pour le gaz importé de Russie. Berlin con�nue de refuser, de peur que d’autres profitent de ces exporta�ons, et envisage même la construc�on d’un gazoduc hispano-allemand

L’énergé�que est le principal point de discorde ©Unsplash

Le Bundestag, l'assemblée parlementaire de la République fédérale d'Allemagne, a également donné son feu vert à d'autres projets, dont des achats de fusils d'assaut, financés par le fond spécial de 100 milliards d'euros créés après l'invasion russe de l'Ukraine pour moderniser la Bundeswehr. Avec la mul�plica�on des décisions unilatérales allemandes depuis le nouveau chancelier Scholz, on constate que Berlin se détache de plus en plus de son allié français et cherche de moins en moins le compromis avec Paris, malgré les projets portés par la France. Que ce soit le projet de s’étendre vers l’est, d’acheter des armes et des matériaux aux américains ou aux israéliens, de construire un bouclier aérien, l’Allemagne a tout d’une puissance qui veut s’imposer sur le sol européen. Les deux pays s’éloignent de la déclara�on d’Angela Merkel lors de son inves�ture en 2005 qui s’exprimait à propos de la rela�on entre les deux pays :« Ce�e rencontre franco-allemande ne se réduit pas à un rituel mais renvoie à la profonde convic�on que les rela�ons franco-allemandes fortes et amicales sont importantes non seulement pour nos deux pays mais aussi nécessaires et fondamentales pour l’Europe ».

Symbole de ce couple fort, le président français de l’époque, Jacques Chirac, avait baisé la main de Madame Merkel. Comment alors interpréter le report du premier conseil des Ministres entre le chancelier Scholz et le président Macron comme première interac�on ?

Quand certains pensent que l’Allemagne s’isole, d’autres comme Pierre Lelouche, ancien député français de droite, pensent qu’il s’agit plutôt de la France. Elle se trouverait en retrait par rapport à une Allemagne entreprenante, malgré un président possédant plus de pouvoir décisionnaire que le chancelier, permis par le régime semi présiden�el de la Ve République.

UNE ALLEMAGNE TOURNÉE VERS L’EST Alors que la France veut renforcer les liens entre les pays européens, l’Allemagne de Scholz a prévu une expansion vers l’est. Conséquence de la guerre en Ukraine, Berlin a exprimé sa volonté d’étendre son influence aux pays proches de la Russie. Le ministre de l’Économie allemande, Robert Habeck, a jus�fié ce�e posi�on par les poten�els risques à venir si le front est s’avérait ne pas être renforcé, d’où le projet d’un bouclier européen an�-aérien. Ainsi, l’Allemagne se pose d’emblée en leader en ma�ère de défense des fron�ères de l’UE en proposant des projets concrets, encrés dans les défis du présent. Avec un tel sou�en des pays de l’est et des Balkans, l’influence de Berlin ne fait que croître au sein de l’Europe. Le pays de l’OutreRhin mul�plie aussi les partenariats avec les pays de l’est : en plus de vouloir créer un axe Berlin-Varsovie perme�ant de relier les pays de l’est au centre de l’Union, il souhaite y intégrer la Roumanie et la 34 - Revue TB N°7

La Mi�eleuropa dans l’esprit géopoli�que allemand ©TB

Pologne, des pays à forts niveaux d’éduca�ons qui perme�rait à l’Allemagne de faire appel à une main d’œuvre qualifiée. Malgré les déclara�ons d’Emmanuel Macron à Bruxelles le 20 octobre 2022 « Je pense que ce n’est pas bon ni pour l’Allemagne ni pour l’Europe qu’elle s’isole », l’Allemagne semble décidée quant aux objec�fs de rapprochements entre les pays de l’UE. Malgré l’entrain allemand, la Pologne demande par des répara�ons s’élevant à 1300 milliards d’euros pour les dégâts causés par la Seconde Guerre Mondiale, une telle charge à laquelle s’ajoute les cri�ques des Balkans au sujet de sa naïveté vis-à-vis de la Russie ou encore de la Chine.

« Avec un tel soutien des pays de l’est et des Balkans, l’influence de Berlin ne fait que croître au sein de l’Europe. » Alors qu’un dialogue avec la Chine était engagé par le couple franco-allemand en 2019 aux côtés de l’ancien président de la Commission européenne JeanClaude Juncker, pour parler au nom du con�nent, le nouveau chancelier allemand s’y est déplacé en solitaire en novembre 2022. C’était le premier chef d’État du G7 à effectuer une telle visite depuis la pandémie de Covid-19. Son déplacement témoigne bien de la phrase du général De Gaulle « Les États n’ont pas d’amis ils n’ont que des intérêts ». Lors de la visite d’État du président chinois Xi Jinping à l’Élysée en 2019, le symbole était fort, le couple l’était, et affirmait la puissance européenne face à la Chine. L’Allemagne, montre maintenant son envie de se détacher de la France concernant une poli�que étrangère commune.

PAR DELÀ LES DIVERGENCES Comme le pensait Nietzsche, « il faut aller par-delà le bien et le mal ». Le couple franco-allemand a connu ses moments de gloire et a su réagir face aux épreuves auxquelles l’Union a été confrontée depuis sa créa�on.

Dés la signature du traité de Rome et la mise en place de la CEE, les deux pays ont noués des liens forts en signant le traité de l’Élysée signé en 1963. Ini�és par De Gaulle et Adenauer, il met en place les consulta�ons et rencontres régulières entre chefs d’états et fonc�onnaires afin de parvenir à des consensus. Ce�e base a toujours été respectée et forme un pilier dans les rela�ons entre les deux pays, c’est pourquoi le report du premier conseil sous la chancellerie de Scholz est un événement si marquant.

Ce couple, si fort et influent a marqué l’histoire de la construc�on européenne. Il a mis en place le système monétaire européen en 1979 et le corps d’armée européen en 1992. Alors, l’Histoire récente des rela�ons entre l’Allemagne et la France démontre-telle une perte de vitesse et un changement de vision ?

D’un côté, la France propose des solu�ons en prônant le consensus afin d’avancer ensemble, tandis que l’Allemagne préfère agir de son plein gré sans consulter son homologue. Les élec�ons européennes en juin 2024 éclaireront alors les citoyens européens sur l’avenir de ce partenariat.

LE CONSENSUS DE LA QUESTION MIGRATOIRE Malgré de nombreux désaccords et une prise de distance depuis ces deux dernières années, France et Allemagne s’entendent sur l’évolu�on de la ques�on migratoire. La poli�que de l’Union est passée d’une volonté de mul�culturalisme à un renforcement de ses fron�ères depuis son origine. Les pays européens, notamment français et allemands, ont beaucoup fait appel à l’immigra�on, venant d’Afrique du Nord et du Moyen Orient pour la reconstruc�on de l’Europe post 1945. L’État français a mis en place l’Office Na�onal de l’Immigra�on (ONI) et le regroupement familial en 1976, grâce auquel la popula�on immigrée passe de 3 442 000 en 1975 à 4 310 000 en 1999, d’après le site du musée de l’immigra�on. On comprend donc avec ces différentes réformes que l’immigra�on était sur l’agenda poli�que français. De son côté l’Allemagne aura aussi beaucoup par�cipé au mouvement de reconstruc�on de son sol. La date récente la plus marquante étant celle de 2015 avec l’accueil d’un million et demi d’immigrés syriens dans son territoire.

L’Allemagne et la Suède ont ajouté 2% de leur popula�on sur ce�e seule année.

En parallèle à ces mesures, l’Europe voit l’émergence d’une extrême droite de plus en plus présente sur la scène poli�que. La victoire récente aux législa�ves néerlandaises du par� d’extrême-droite de Geert Wilders en témoigner. Elle vient s’ajouter à la Hongrie de Viktor Orban, de l’Italie de Meloni. Tout

récemment, Le Monde publiait un ar�cle montrant « l’inquiétant essor de l’extrême droite » en Allemagne, sur son compte Instagram. On y lit que l’AfD, L'Alterna�ve pour l'Allemagne, en allemand Alterna�ve für Deutschland monte en flèche dans les sondages au cours de 2022-2023 suite à l’infla�on, la transi�on écologique portée par les Verts, et l’augmenta�on du nombre de demandeurs d’asile.

L’AfD est passée de 10,3% en 2021 aux législa�ves à 22% à l’été 2023 en Thuringe et en Saxe-Anhalt. En France, Le par� Reconquête d’Eric Zemmour est aussi un symbole de ce�e montée de l’extrême droite dans l’échiquier poli�que français. Par� ayant récemment fêté son premier anniversaire lors des élec�ons présiden�elles de 2022 et porté par Éric Zemmour, il a regroupé plus de 7% des voix, alors que des par�s comme la droite tradi�onnelle (LR) n’ont même pas a�eint la barre des 5% (4,7% pour Valérie Pécresse).

Face à une immigra�on massive due au changement clima�que, et aux instabilités liées aux guerres dans les pays d’Afrique et au Moyen Orient, le contrôle des flux migratoires devient l’une des priorités de l’Union.

Encore récemment à Lampedusa, Ceuta ou Melilla, l’UE est confrontée à des vagues d’immigra�ons, pour lesquelles l’Allemagne et la France ont une vision commune, qui est exprimée par la présidente de la commission européenne, Ursula Von Der Leyen, qui disait après la crise à Lampedusa : « L'immigra�on est un défi européen qui exige une réponse européenne ».

UN LONG PARTENARIAT

« Quant à la France, c’est 5700 entreprises qui sont implantées en Allemagne pour un total de 400.000 emplois et un chiffre d’affaires de 86 milliards d’euros. » Dans le domaine industriel, France et Allemagne sont encore des acteurs majeurs pour leurs industries respec�ves. Le chancelier allemand a évoqué la nécessité d’une révolu�on industrielle devant le Parlement Européen à l’occasion de la fête de l’Europe, ce qui semble correspondre à la vision d’Emmanuel Macron pour une nouvelle poli�que industrielle européenne. La crise du Covid-19 a recentrée l’industrie allemande en Europe. En 2021, l’Allemagne est restée le premier partenaire commercial de la France avec des échanges s’élevant à 165 milliards d’euros, soit une augmenta�on de 12% par rapport à l’année précédente. Berlin est devenue en 2021, devant les États-Unis, le premier inves�sseur en France. Quant à la France, c’est 5700 entreprises Revue TB N°7 - 35

qui sont implantées en Allemagne pour un total de 400.000 emplois et un chiffre d’affaires de 86 milliards d’euros. Malgré leurs nombreux désaccords pour l’avenir de l’Europe, les deux pays restent indispensables l’un pour l’autre dans leur échange économique.

UNE RIVALITÉ POUR L’INFLUENCE EN EUROPE Après avoir été un moteur efficace pendant des décennies, un symbole d’entraide et de coopéra�on, l’idée d’une rupture semble brutale. Mais brutale pour qui ? Le pays qui défend le plus les rela�ons du couple est bien la France. A�achée à ce�e tradi�on, elle doit désormais plus que jamais faire comprendre l’importance de leur alliance pour le bien du plus grand nombre…pour l’Europe. Bien que la France veuille garder ce�e métaphore de couple, des personnalités comme celle de Jean Pierre Raffarin, ancien Premier Ministre français, pense que ce terme est dépassé et ce�e vision utopique. Il lui semble impossible d’être en accord sur tous les sujets. L’ancien Premier Ministre propose de passer « du couple au contrat ». Que Berlin se renouvelle est une chose posi�ve pour l’Europe, cependant qu’en est-il de la place de la France qui respecte les traités, mais perd de son influence ? Elle semble délaissée et non isolée, face aux projets et à la persuasion diploma�que de ce�e nouvelle Allemagne.

Alors, si comme le disait l’ancien président du Parlement Européen Mar�n Schulz : « Lorsque la coopéra�on franco-allemande ne fonc�onne pas, c'est toute l'Europe qui souffre » qu’en est-il de l’avenir du fonc�onnement du Vieux Con�nent et de son influence dans un contexte d’embrasement des conflits en Europe et sur la scène interna�onale ?

UNE COLLABORATION PROMETHEI ASSOCIATION DES RELATIONS INTERNATIONALES INALCO

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Répar��on des filiales françaises en Allemagne Ac�vité des filiales françaises en Allemagne ©CCIFA

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GÉOPOLITIQUE

Les Balkans Des acteurs non-occidentaux dans la région ?

Par Théo BANSE & Lilie LENOIR - AMRI

Mosquée Centrale de Pa�ani ©unsplash

La disloca�on de la Yougoslavie (1991-1999) a laissé un vide en Europe, donnant naissance à sept États : la Serbie, le Monténégro, la Slovénie, la Croa�e, la Macédoine du Nord, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. Cet ensemble hétérogène de pays forme, avec l'Albanie, la région dite des Balkans occidentaux, une région fragmentée tant sur le plan culturel, ethnique que religieux.

Aujourd'hui, seules la Slovénie et la Croa�e sont membres de l'Union européenne (UE), les autres sont candidats reconnus à l’excep�on du Kosovo. La ques�on de l’élargissement de l’Union à ce�e région est devenue d’autant plus importante que les Balkans occidentaux sont dorénavant une zone stratégique pour diverses puissances non-occidentales. L'invasion de l'Ukraine et la candidature de Kiev pour une entrée 38 - Revue TB N°7

dans l’UE poussent en effet Bruxelles à relancer le processus d’intégra�on enlisé depuis des années, et ce au nom d'intérêts géopoli�ques. L’Union ne compte pas laisser le champ libre à Pékin ou encore Moscou, des concurrents directs à son modèle. Même si la région semble plus ou moins arrimée à l’UE ou encore à l’Organisa�on du traité de l'Atlan�que nord (OTAN), cela ne l'empêche pas d’entretenir des liens avec d'autres pays non-occidentaux. L’occasion donc de s’intéresser aux intérêts portés par ces puissances non-occidentales dans ce�e région à savoir la Russie, la Turquie, les monarchies du Golfe et la Chine.

LA RUSSIE : PROTECTRICE DES SLAVES DES BALKANS

À l'heure de l’invasion russe en Ukraine, les sept États des Balkans occidentaux ont voté en faveur de la résolu�on des Na�ons unies demandant l'arrêt des combats et le retrait des troupes russes. Mais leur posi�onnement face à Moscou n’en demeure pas moins complexe. Du fait des négocia�ons d'adhésion de l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie, ces derniers ont reçu pour consigne de s'aligner sur les posi�ons de Bruxelles, y compris donc sur les sanc�ons. Tous ont suivi, à l'excep�on de la Serbie. Belgrade affirme pourtant être sur le chemin de l’intégra�on européenne, mais considère être libre de décider de ses intérêts na�onaux. Une situa�on similaire avec la Bosnie. Sarajevo a accepté de me�re en place les sanc�ons mais Milorad Dodik, président de la Republika Srpska (République serbe de Bosnie), en freine la mise en œuvre.

Ce refus de sanc�onner Moscou est en grande par�e lié à l'orienta�on pro-russe du gouvernement serbe d'Aleksandar Vučić, ainsi qu'aux liens étroits entre Moscou et Belgrade. Des liens tels que la dépendance serbe au gaz russe ou encore le sou�en russe sur la ques�on du Kosovo. De plus, la Russie se présente historiquement comme la protectrice des Slaves des Balkans et demeure une référence pour les chré�ens orthodoxes de la région, présents en Serbie, Bosnie et Macédoine du Nord.

Ce sen�ment est également partagé par la popula�on, comme en témoignent les manifesta�ons de sou�en à Moscou dès mars 2022. Cela est en réalité une conséquence de la guerre des années 1990 et une cri�que de l’Occident a�sée par Vučić et qui trouve un écho dans la popula�on comme le souligne Florien Bieber, politologue et historien spécialiste des Balkans.

Le président Vučić a d'ailleurs condamné la Russie mais refuse de la qualifier de responsable. En juin 2022, 54 % de la popula�on serbe considéraient l'OTAN comme responsable de la guerre en Ukraine, contre 7 % a�ribuant ce�e responsabilité à la Russie. Par ailleurs, 45 % avaient une image posi�ve de Vladimir Pou�ne.

Mais c’est cependant la volonté de maintenir une

posi�on neutre face au conflit qui domine avec 81 % d’opinion favorable à la neutralité.

La présence russe dans la région se manifeste également par des liens économiques significa�fs avec la Serbie. En plus des liens culturels, Moscou entre�ent d'importants intérêts gaziers, illustrés par l'acquisi�on du groupe gazier serbe Na�a Industrija Srbije par le géant russe Gazprom. Les forces armées serbes s'équipent également en grande par�e auprès de la Russie, avec par exemple l'achat d'avions de combat MiG-29 et le déploiement en 2019 de ba�eries de défense aérienne S-400. Enfin, la présence de chaînes d’informa�on russes, Sputnik et Russia Today, permet la promo�on du pays dans la région. Mais bien que les inves�ssements russes représentent 10 % des inves�ssements directs étrangers (IDE) en Serbie, c’est l'Union européenne qui demeure en tête avec 70 % des IDE. L’influence russe dans la région n’en reste cependant pas moins importante, donnant à Moscou la capacité de déstabiliser les Balkans occidentaux en soufflant sur les braises de conflits territoriaux non résolus. En a�sant notamment les tensions na�onalistes, la Russie est ainsi en capacité de bloquer le processus d'adhésion de ces pays à l’UE. Les aspira�ons sécessionnistes de Milorad Dodik, en Republika Srpska de Bosnie-Herzégovine, sont par exemple soutenues par Moscou, ou encore la ques�on de l’adhésion du Kosovo qui demeure bloquée par la nonreconnaissance de cet État dont Moscou ne reconnaît pas l’indépendance.

Au même �tre que la Russie, la Turquie s’appuie sur des bases historiques pour s'assurer une présence dans la région.

LA TURQUIE OU LA CONVOCATION DE L’HÉRITAGE OTTOMAN COMME MOYEN D’INFLUENCE Le jeu d’influence exercé de la part d’une pluralité d’acteurs au sein des Balkans Occidentaux ne peut être considéré dans sa globalité sans men�onner le rôle de la Turquie au sein de ces territoires.

« L’influence turque repose en partie sur son soft power qu’elle déploie au sein des Balkans Occidentaux. En s'appuyant sur les minorités musulmanes des Balkans » La présence turque remonte à l’époque de l’Empire O�oman qui disposait auparavant d’un accès privilégié à la Mer Noire. Historiquement, l’influence turque disposait d’intérêts stratégiques dans la région

Le président turc en Bosnie (2022) ©Anadolu

des Balkans : la créa�on de l’Entente balkanique visait par conséquent à protéger ces territoires d’ingérences poli�ques de l’Occident en premier lieu et de l’Union sovié�que dans un second. Ces dynamiques turques au sein des Balkans, sont mo�vées par la volonté de s’affirmer sur la scène tant régionale qu’interna�onale parmi les dix puissances économiques mondiales au travers d’une poli�que « néo-o�omane ».

L’influence turque repose en par�e sur son so� power qu’elle déploie au sein des Balkans Occidentaux. En s'appuyant sur les minorités musulmanes des Balkans, Ankara s'assure de leur sou�en afin de favoriser son développement dans la région, mul�pliant ainsi les ini�a�ves religieuses et plus globalement culturelles. Par exemple, la Turquie finance la construc�on de 240 mosquées rien qu’au Kosovo, au cours des quinze dernières années. Son agence de coopéra�on et de développement nommée Tika, est le plus grand pourvoyeur d’aides de la région, symbole d’une influence toujours plus croissante. La puissance turque n’hésite pas à financer la construc�on d’écoles ainsi que des universités mais aussi à diffuser sa culture au travers de l’existence de centres culturels nommés Yunus Emre, dont 12 se situent au sein des Balkans.

Même si la puissance turque entre�ent des rela�ons avec l’ensemble des pays des Balkans Occidentaux, il est indéniable qu’elle dispose de rela�ons privilégiées avec l’Albanie au sein de laquelle, elle diffuse son so� power. Elle se posi�onne comme un partenaire commercial de choix. En décembre 2021, Mustafa Sentop, qui occupe la présidence du parlement turc, a annoncé que 600 entreprises turques employaient plus de 15 000 personnes sur le sol albanais. En termes d’inves�ssement, la Turquie a injecté quelque 3,5 milliards de dollars en Albanie sans pour autant oublier de réaffirmer son sou�en au pays des Aigles quant à son adhésion à l’Union européenne. Symbole de ce�e étroite coopéra�on bilatérale, certains spécialistes convoquent des rapports hiérarchiques issus de l’ère o�omane où le Premier ministre albanais Edi Rama est

surnommé le « Pacha » et le président turc Recep Tayyip Erdogan « le Sultan ».

De plus, la Turquie sou�ent des par�s poli�ques locaux. Ce�e dernière n’hésite pas à introduire sa technologie de pointe en pourvoyant l’armée albanaise de drones tac�ques. Au-delà de ses ini�a�ves à la fois économiques, poli�ques et militaires, la Turquie est forte de proposi�ons en ini�a�ves culturelles. Un centre Yunus Emre est situé en Albanie. Des ini�a�ves religieuses sont visibles : en effet, la direc�on des affaires religieuses turque finance la construc�on de mosquées en Albanie.

Ces diverses coopéra�ons bilatérales s’appliquent à un large champ de domaines passant de l’économie à la culture ainsi que l’éduca�on dépassant largement les pays à majorité musulmane à l’instar de la Serbie.

Nonobstant, son influence se heurte à celles de puissances récemment influentes au sein de la zone des Balkans Occidentaux à l’instar du Qatar, de l’Arabie saoudite mais aussi des Émirats arabes unis, où une concurrence entre les divers so� power est palpable.

LES MONARCHIES DU GOLFE : MENACE OU OPPORTUNITÉ POUR LES ÉTATS DES BALKANS ?

En effet, une certaine concurrence est observable entre les pays du Golfe et la Turquie au sein de ces territoires. Le so� power turc qui mise sur la construc�on de mosquées se voit contrer à la fois par celui qatari ainsi que celui saoudien. Depuis les années 1990, le Qatar et l’Arabie saoudite financent et opèrent dans la construc�on de mosquées promouvant des courants fondamentalistes.

Les États du Golfe se livrent une concurrence au sein des Balkans et en par�culier en Serbie. Une rivalité entre les Émirats arabes unis et le Qatar, l’un des principaux inves�sseurs en Europe, ques�onne le poids grandissant d’Abu Dhabi sur le territoire serbe et son influence sur le gouvernement, bloquant ainsi les ini�a�ves des autres puissances étrangères. Les jeux

Les Emirats s’imposent comme principal partenaire de la Serbie ©UAEPC

d’influence et de puissance entre les pays arabes et la Turquie pourraient ainsi avoir une incidence sur les partenariats de la Serbie.

Les Émirats arabes unis se sont posi�onnés en tant que partenaire majeur et principal inves�sseur en Serbie. Une concentra�on des inves�ssements est visible autour de Voïvodine, une province septentrionale serbe. Ce�e province agricole a bénéficié d’inves�ssements à hauteur de 300 millions d’euros de la part de l’émirat d’Abu Dhabi afin d’y développer la produc�on agricole. Nonobstant, la récep�on de ces inves�ssements par ces popula�ons n’est pas vue d’un bon œil, y voyant au contraire une concurrence déloyale. Des risques de pillage des ressources sans retombées financières sont également convoquées par ces popula�ons peuplant ce�e province septentrionale. A l’inverse, le ministre serbe de l’Agriculture s’est félicité de ce�e coopéra�on bilatérale où l’accord signé « représenterait un nouveau pas en avant pour l’agriculture serbe, qui ob�endra, grâce à ce contrat, les connaissances, la technologie et l’argent ».

« Les Émirats arabes unis se sont positionnés en tant que partenaire majeur et principal investisseur en Serbie. » Cependant, les inves�ssements des Émirats arabes unis ne font pas l’unanimité, certains projets immobiliers demeurent controversés et en par�culier celui nommé Belgrade Waterfront sous l’égide de Mohammed El-Abbar, un riche inves�sseur émira�. Ce complexe immobilier dont les travaux s’échelonnent à 3 millions d’euros, permet de concré�ser un souhait du gouvernement serbe de réhabiliter la rive droite de la rivière Sava mais n’avait jamais bénéficié d’inves�ssements suffisants. Débutée à l’automne 2015, ce�e réhabilita�on prévoit d’accueillir un complexe de deux tours, comportant 20 étages concentrant des appartements de luxe. Un centre commercial nommé Belgrade Mall devrait voir le jour ainsi que la Belgrade Tower, un conglomérat de résidences, de bureaux ainsi qu’un hôtel. Cependant, des doutes persistent concernant le financement de ce projet. Annoncé comme un cofinancement, des interroga�ons subsistent quant à la hauteur du financement de la part du gouvernement serbe. Ce projet voyait naître un partenariat entre le secteur public et privé mais l’opacité des financements émira�s pose ques�on.

Les États du Golfe ne sont pas les seuls inves�sseurs au sein des Balkans comme en témoigne le rôle de la Chine au travers de sa stratégie des Nouvelles Routes de la Soie.

BALKANS OCCIDENTAUX : UNE PORTE D’ENTRÉE STRATÉGIQUE POUR LA CHINE VERS L’EUROPE ?

L'intérêt de Pékin pour ce�e région est en effet guidé par le projet des Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Ini�a�ve, BRI) qui réunit tous les pays des Balkans occidentaux à l'excep�on du Kosovo. La stratégie de Pékin est la même que celle employée dans d’autres régions. Il s’agit principalement d’inves�ssements par des prêts sans condi�on poli�que, l’implica�on d’entreprises et de travailleurs chinois bon marché. Les infrastructures financées sont tournées vers le transport avec notamment le Pont de Pelješac (Croa�e), des chemins fer à grande vitesse en Serbie ou encore le tronçon autorou�er PodgoricaMatesevo (Monténégro).

Ce�e présence dans la région a différents objec�fs.

D’abord sur le plan stratégique, Pékin s’assure du sou�en des Balkans occidentaux sur des sujets cruciaux pour la Chine (Taïwan, Mer de Chine méridionale, Xinjiang,...). Le second est d’ordre géoéconomique. La région des Balkans apparaît comme un carrefour important pour les voies commerciales et logis�ques de la BRI. Le but est de profiter de l'alignement des pays sur les normes européennes et de leur accès privilégié au marché unique européen, le tout grâce à l’axe Grèce-Hongrie pour relier le port du Pirée en Grèce aux marchés du Nord et de l'Ouest de l'Europe.

Cependant, les pays des Balkans occidentaux n’ont pas tous réussi à en re�rer les mêmes bénéfices.

Comme le souligne Ana Krs�novska, spécialiste des rela�ons des Balkans occidentaux avec l’UE et la Chine, les ac�vités chinoises dans la région, désignées comme des inves�ssements, donnent en réalité une fausse image de la place réelle de Pékin.

Malgré l'apparente importance des inves�ssements chinois, principalement sous forme de prêts, dans les Balkans occidentaux, la part réelle de Pékin reste minime, représentant seulement 0,1 % du stock total des IDE de 2013-2018. En comparaison, ceux de l’UE s'élèvent à 73 %. En 2022, les IDE chinois étaient de 0,1 % en Albanie et en Bosnie-Herzégovine, et de 2 % au Monténégro et en Macédoine du Nord. La Serbie fait excep�on avec 15 % d'IDE chinois. Bien que ce�e influence économique soit donc limitée, elle pourrait cependant se transformer en influence poli�que et, à l’instar de la Russie, éloigner les Balkans occidentaux de l'intégra�on à l'UE. Car cela n’écarte pas la ques�on de l’ende�ement.

La carte chinoise n’a en effet pas bénéficié à tous. Le cas du Monténégro illustre cela avec un projet autorou�er de 800 millions d'euros qui est devenu un enjeu géopoli�que majeur entre l'UE et la Chine. La récession liée à la pandémie a entraîné l'incapacité du Monténégro à rembourser sa de�e contractée auprès d’une banque chinoise en 2014. Bien que l'UE ait souligné ne pas être responsable des de�es du Revue TB N°7 - 41

Xi Jinping visite les installa�ons portuaires grecques au côté du Premier ministre grec en 2019 ©CGTN

Monténégro, elle s'inquiète de plus en plus de l'influence chinoise dans les Balkans. Reste à voir si Bruxelles va exploiter la ques�on de la de�e chinoise comme un moyen stratégique pour contrer l'influence chinoise à ses portes.

Pour conclure, les Balkans Occidentaux sont soumis à une pluralité d’influences issue des puissances étrangères développant leur propre stratégie ainsi qu’un so� power spécifique. Certaines d'entre elles convoquent des liens historiques, culturels voire religieux avec les popula�ons ou une par�e d’entre elles afin de diffuser leur modèle et leurs valeurs. Les ini�a�ves ne se limitent pas qu’au champ culturel : des coopéra�ons économiques, militaires et même poli�ques voient le jour entre les différents États.

Alors que l’influence de la Russie subsiste au sein de ces territoires, une interroga�on demeure quant à la posi�on adoptée par ces États balkaniques quant au conflit russo-ukrainien. Alors que les membres de l’OTAN sou�ennent la posi�on ukrainienne, l’État serbe adopte une posi�on neutre. La poten�elle adhésion de l’Ukraine ainsi que ces pays à l’Union européenne laisse supposer des muta�ons des rapports de force actuels au sein des Balkans dont les puissances étrangères �rent les ficelles au gré de leurs ambi�ons.

UNE COLLABORATION DE L’AMRI ASSOCIATION DU MASTER DE RELATIONS INTERNATIONALES UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LILLE

Acropole d'Athènes, Grèce ©Unsplash

Revue TB N°7 - 43

DÉFENSE

Géostratégie Suisse Neutralité et réalité militaire en Europe Par Benjamin VUILLEMOT � Analyste des ques�ons de défense

L'Assemblée fédérale de la Confédéra�on Suisse à Berne ©Unsplash

Décryptage des enjeux stratégiques et des paradoxes helvé�ques dans le contexte géopoli�que contemporain.

En juin 2021, Genève se transforme en épicentre de la géopoli�que mondiale. La rencontre entre Joe Biden et Vladimir Pou�ne, dans ce�e ville Suisse embléma�que, aillant accueilli la SDN et l’ONU par la suite, ce moment rappelle combien la Suisse est un acteur discret mais essen�el sur l'échiquier interna�onal. Cet événement est révélateur d'un rôle historique suisse, souvent sous-es�mé mais crucial : celui de facilitateur impar�al dans les tensions mondiales. Ce fut déjà le cas en 1985 avec la rencontre en Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev. Ce n’est pas un choix au hasard, la Suisse na�on où la neutralité est

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ancrée dans la cons�tu�on, offre un cadre idéal pour accueillir ce type d’événement.

Intéressons-nous à ce pays intrigant, de 8,7 millions d’habitants, aux quatre langues na�onales et à son histoire aussi riche qu’ancienne. Nous allons prendre cela sous le prisme suivant : « Entre neutralité historique et réalités militaires au cœur d’une Europe en tension – décryptage des enjeux stratégiques et des paradoxes helvé�ques dans le contexte géopoli�que contemporain. » Pour enrichir cet ar�cle nous avons eu la chance d’avoir un entre�en avec Madame Pälvi Pulli suppléante du Secrétariat d'État à la poli�que de sécurité (SEPOS). Nous disséquerons l'évolu�on de la neutralité suisse, en la replaçant dans le contexte des tensions actuelles, notamment russo-ukrainiennes, et

en ques�onnant son avenir dans un monde où les anciennes règles semblent constamment redéfinies.

Nous aborderons également comment ce�e tradi�on de neutralité, tout en restant un pilier de l'iden�té suisse, doit se confronter et s'adapter à la réalité d'un monde interconnecté et mul�polaire.

FONDEMENTS HISTORIQUES : LA NEUTRALITÉ SUISSE À L'ÉPREUVE DU TEMPS Il y a quelque chose d’immuable depuis quelques siècles en Europe, la neutralité Suisse. C’est un cas par�culier, illustrant comment une na�on peut naviguer à travers des siècles de conflits européens en conservant une posi�on d'indépendance et de neutralité.

Ce�e dernière trouve son origine sur le champ de bataille de Marignan en 1515. Ce�e bataille a révélé les contraintes militaires de la Suisse, qui aspirait alors à un rôle de puissance majeure en Europe. L'année suivante, en 1516, un traité de paix fut conclu avec François Ier, roi de France, marquant une étape pour l'avenir de la poli�que étrangère suisse. Le traité de Marignan a longtemps été la base de la poli�que étrangère prudente de la Suisse. Durant les conflits confessionnels, l'unifica�on de ce�e poli�que était rendue difficile par les divisions internes¹.

« Durant le XVIe siècle, la Suisse a cherché à se distancer des conflits régionaux. Cette position a été institutionnalisée lors du Congrès de Vienne en 1815 »

Durant le XVIe siècle, la Suisse a cherché à se distancer des conflits régionaux. Ce�e posi�on a été ins�tu�onnalisée lors du Congrès de Vienne en 1815, établissant ainsi la Suisse comme un État neutre permanent, un mouvement stratégique dans un contexte européen en constante évolu�on².

Au cours de l'histoire, la Suisse a fait face à de mul�ples épreuves qui ont mise à mal sa neutralité.

Les deux guerres mondiales en sont un bon exemple, où, malgré les tensions et les pressions extérieures, la Suisse a maintenu son statut neutre, une manœuvre qui a joué un rôle clé dans la préserva�on de son intégrité territoriale et de sa souveraineté.

Aujourd’hui, la neutralité suisse est confrontée à de nombreux défis, en raison de l'interconnexion croissante du monde nous entourant. Les débats portent sur la manière dont la Suisse peut concilier sa neutralité avec une par�cipa�on ac�ve dans les ins�tu�ons interna�onales et faire face à de nouvelles menaces comme la cybercriminalité.

LA DIPLOMATIE HELVÉTIQUE DANS UN CONTEXTE INTERNATIONAL INSTABLE La Suisse se trouve à la croisée des chemins face à des défis sécuritaires de plus en plus prépondérant. La guerre en Ukraine et les tensions à la fron�ère Finlandaise, témoigne d'une Europe sous tensions, cela pousse donc la confédéra�on à la prudence pour le main�en du principe de neutralité. Selon Madame Pälvi Pulli, « La neutralité interdit de favoriser militairement un belligérant… Renoncer à la neutralité n'est pas à l'ordre du jour ou nécessaire » Elle souligne aussi que la neutralité de la Suisse n'est pas remise en ques�on par les autres acteurs interna�onaux, même en ce�e période de tensions, mais ses partenaires a�endent d'elle, qu'elle s'engage pour la défense de « …valeurs comme le respect du droit interna�onal, notamment la souveraineté et l'intégrité territoriale, la démocra�e, l'état de droit, ou les droits humains. »

La bataille de Marignan par Busto Arsizio

La neutralité Suisse impose la maintenance et l’entraînement d’une armée capable de protéger ce crédo ©DDPS

concrètement il y a une demande de par�cipa�on et d’engagement, mais les partenaires veillent à ne pas entraver le principe cons�tu�onnel qu’est la neutralité.

« La neutralité interdit de favoriser militairement un belligérant… Renoncer à la neutralité n'est pas à l'ordre du jour ou nécessaire » Depuis le début du conflit en Ukraine, la Suisse a maintenu une posi�on conforme à sa diploma�e tradi�onnelle, tout en adaptant sa réponse aux évolu�ons du conflit. La Suisse a malgré tout imposé des sanc�ons à la Russie en réponse à l'invasion de l'Ukraine, alignant ainsi sa poli�que avec celle de l'Union européenne, malgré son statut de nonmembre³. Cependant elle a refusé l’exporta�on de

muni�ons suisses vers l'Ukraine, une décision qui souligne le difficile équilibre entre ses obliga�ons interna�onales et sa neutralité⁴. La Suisse a également offert son aide en termes d'assistance humanitaire et s'est dit prête à jouer un rôle de média�on si les par�es en conflit le demandent, affirmant ainsi son rôle tradi�onnel dans la diploma�e interna�onale⁵.

La réponse de la suppléante du SEPOS (secrétariat d'État à la poli�que de sécurité) concernant les tensions entre la Finlande et la Russie illustre le défi pour la Suisse de maintenir un équilibre entre son rôle de médiateur et sa poli�que tradi�onnelle de neutralité. Elle a déclaré : « Elle se �ent à disposi�on pour assumer des mandats de média�on ou pour soutenir des négocia�ons... Mais il ne faut pas exagérer le poten�el et la voca�on de la Suisse de gérer tous les conflits et toutes les tensions. » Ce�e déclara�on met en lumière l'approche Suisse, qui privilégie une diploma�e préven�ve tout en conservant une posi�on de neutralité prudente. Le pays, cherche à la fois à préserver son rôle et son image sur la scène interna�onale.

LA SUISSE, UN PAYS NEUTRE QUI TRAVAILLE AVEC L’OTAN La Suisse, en dépit de sa tradi�on de neutralité, a développé une rela�on de coopéra�on avec l'OTAN qui reflète sa volonté de contribuer à la sécurité interna�onale tout en préservant ses principes fondamentaux. Ce�e coopéra�on est guidée par des valeurs communes et des objec�fs de sécurité partagées, bien que la Suisse main�enne une posi�on non alignée⁶.

L'acquisi�on par la Suisse des avions de combat F-35 et du système de défense an�-aérien « Patriot » va dans le sens d’une collabora�on⁷, travailler directement avec du matériel provenant de l’OTAN facilite la coopéra�on, ce que confirme madame Pulli, pour elle choisir ce chasseur « permet une coopéra�on interna�onale plus poussée avec l'OTAN et ses

Amiral Rob Bauer, président du Comité militaire de l'OTAN et lieutenant-général Thomas Süssli, chef de la défense suisse, déc. 2023 ©NATO

membres ». Elle explique que ce choix du F-35 s'est fondé sur son « meilleur résultat dans l'évalua�on coût-presta�on » et il offre la « presta�on militaire nécessaire. » C’était aussi le choix du prix puisque l’offre de l’américain Lockheed Mar�ns était meilleure financièrement (5,068 milliards de francs Suisse) comparés aux autres chasseurs en lisses, dont certains étaient issus de pays membres de l’Organisa�on du Traité de L’Atlan�que Nord⁸.

"Il n’y a pas de discussion en Suisse sur l’adhésion à l'OTAN, ou l’abandon de la neutralité."

Ce choix du F35 est un pas de plus dans la collabora�on Suisse/ OTAN, mais Madame Pulli insiste : "Il n’y a pas de discussion en Suisse sur l’adhésion à l'OTAN, ou l’abandon de la neutralité." La coopéra�on avec l'OTAN, selon elle, n'implique pas la fin de la neutralité suisse, mais s'inscrit dans un cadre de collabora�on existant depuis 1996 via le Partenariat pour la paix. Ce�e décision de renforcer la coopéra�on avec l'OTAN est liée à deux choses, la première, la posi�on centrale de la Suisse au milieu des pays occidentaux et l'aggrava�on de la situa�on sécuritaire en Europe.

Ce�e coopéra�on a des limites, la Confédéra�on helvé�que veillent tout de même à ce qu’aucun matériel provenant de son territoire ne se retrouve sur une zone de conflit, c’est le cas des chars léopards 2. En 2023, La Suisse, a revendu 25 de ces chars à l'Allemagne, pour compenser le matériel envoyé par ce�e dernière sur le front ukrainien. Selon les déclara�ons de Pälvi Pulli, la Suisse a reçu des garan�es du gouvernement allemand que ces chars ne seraient pas livrés à des pays en guerre. Ce�e précau�on illustre la manière dont la Suisse navigue entre ses obliga�ons de neutralité et les a�entes de ses partenaires interna�onaux, notamment dans le contexte du conflit en Ukraine.

Malgré ces années de collabora�ons, celle-ci devenant de plus en plus importante entre la Suisse avec l'OTAN, en réponse, notamment à l'invasion russe de l'Ukraine, de poten�elles tensions avec des pays non occidentaux peut apparaître du fait d’un alignement sur certaines décisions occidentales. La Russie a déjà exprimé sa désapproba�on, qualifiant le renforcement de la coopéra�on entre la Suisse et l'OTAN de "déplorable". Comme le souligne Pälvi Pulli, la Suisse considère ce rapprochement nécessaire pour sa propre sécurité, en réponse aux "ac�ons agressives de la Russie". La Suisse fait avant tout par�e de l’occident, avec qui elle partage des idées et une culture, cela ne remet pas en cause la neutralité, mais

cela peut être perçu de manière néga�ve par certains pays du non-alignés.

La Suisse arrive à maintenir des rela�ons avec ces pays non-alignés, comme la Chine, avec laquelle, le pays main�ent une posi�on indépendante, bien que conscient des implica�ons de son rapprochement avec l'OTAN. Le Conseil fédéral a récemment adopté un rapport sur la poli�que de la Chine, soulignant l'importance de diversifier les rela�ons économiques tout en prenant en compte les considéra�ons poli�ques et les valeurs suisses. Ce rapport montre que la Suisse cherche à équilibrer ses intérêts économiques avec des considéra�ons de poli�que étrangère, notamment en ce qui concerne les droits humains et l'État de droit⁹.

« Elle prend ses décisions et se positionne dans ses relations internationales de manière autonome, en prenant en considération tous ses intérêts. » Ce�e approche indique que, bien que la Suisse renforce sa coopéra�on avec l'OTAN, elle s'efforce de maintenir des rela�ons équilibrées avec des pays non occidentaux comme la Chine, en prenant des décisions qui reflètent ses intérêts na�onaux et ses valeurs.

Madame Pulli souligne que la Suisse « prend ses décisions et se posi�onne dans ses rela�ons interna�onales de manière autonome, en prenant en considéra�on tous ses intérêts. » Mais La Suisse reconnaît la nécessité de naviguer avec prudence dans un environnement géopoli�que complexe, cherchant à préserver ses intérêts tout en respectant ses principes fondamentaux.

La guerre en Ukraine n’est pas le premier défis que doit relever la Confédéra�on sur le con�nent ©MAES

UNE STRATÉGIE MILITAIRE QUI NÉCESSITE DES INVESTISSEMENTS « Avec la guerre en Ukraine, et le conflit au ProcheOrient, les préoccupa�ons sécuritaires sont à nouveau au centre des débats. C'est pour ce�e raison que nous pensons pouvoir combler certaines lacunes capacitaires ces prochaines années. » ce sont les mots de la suppléante du SEPOS, pour expliquer la décision du conseil fédéral d’augmenter le budget de l’armée à 1% du PIB d’ici 2035¹⁰. Comme beaucoup de pays autour d’elle la Suisse décide aussi d’augmenter ses budgets dû aux tensions interna�onales de ces dernières années.

« Avec la guerre en Ukraine, et le conflit au Proche-Orient, les préoccupations sécuritaires sont à nouveau au centre des débats » Les priorités d’inves�ssements de l’armée sont les suivantes : « Il s’agit en par�culier de renforcer et de moderniser les systè mes de troupes terrestres. Les priorités sont les systè mes an�-char, de l’ar�llerie et des véhicules blindés. Nous devrons aussi inves�r dans les systè mes de défenses an�-aérien de moyenne et de courte portée. Il y a aussi des inves�ssements à faire dans les domaines du réseautage et de la conduite, des renseignements accessoires et du cyber. » L’armée suisse a connu des retards significa�fs dans ses projets informa�ques, c’est pour cela que les inves�ssements dans le développement des capacités cyber sont une priorité. Le conseil fédéral a en 2022 validé un concept qui propose d'engager entre 1,6 et 2,4 milliards de francs jusqu'en 2030, pour combler les difficultés rencontrées dans la modernisa�on des infrastructures¹¹.

Le respect de la poli�que de neutralité suisse reste central dans ce�e démarche, avec un engagement à adapter ses capacités de défense aux réalités géopoli�ques tout en maintenant ses principes fondamentaux.

LE FUTUR POUR LA NEUTRALITÉ HELVÉTIQUE Depuis le Congrès de Vienne, la neutralité, est un pilier de la poli�que étrangère Suisse, elle a permis à la na�on de se distancer des conflits régionaux et de maintenir son indépendance au travers les âges. Cela doit rester un pilier, plus précisément un ou�l, comme le men�onne Pälvi Pulli, « La neutralité a toujours été un instrument au service de la sécurité et son applica�on peut être adaptée en fonc�on des intérêts 48 - Revue TB N°7

©DDPS

sécuritaires, tant que les obliga�ons légales sont respectées. Un revirement du posi�onnement fondamental de la Suisse n’est pas en vue ». Toutefois, les défis contemporains comme la guerre en Ukraine, montrent toute l’importance qu’a la neutralité pour la Suisse et pour maintenir sa posi�on.

« La neutralité a toujours été un instrument au service de la sécurité et son application peut être adaptée en fonction des intérêts sécuritaires » Madame Pulli aborde aussi le fait que, malgré que la neutralité empêche de favoriser militairement un belligérant, cela n'empêche pas le pays de s'engager ac�vement dans la défense de valeurs telles que le respect du droit interna�onal et les droits humains.

C’est une voix que le pays va con�nuer de poursuivre.

En imposant des sanc�ons à la Russie, en ligne avec l'UE, tout en refusant l'exporta�on de muni�ons vers l'Ukraine, le pays illustre ainsi l’équilibre entre ses obliga�ons interna�onales et son statut de neutralité.

Avec l'acquisi�on des avions F-35 et du système de défense an�-aérien Patriot, la Suisse manifeste un rapprochement vers l'OTAN, tout en réaffirmant qu'il ne s'agit pas d'une remise en ques�on de sa neutralité.

L'avenir géopoli�que de la Suisse s'ar�cule autour d'une adapta�on stratégique de sa poli�que de neutralité, en réponse aux défis sécuritaires contemporains, tout en maintenant son engagement envers les valeurs interna�onales et la coopéra�on qu’elle développe avec des partenaires comme l’OTAN et l’Union Européenne.

NOTES (1) Eda.Admin.ch (2004): Die-Neutralitaet-derSchweiz-2004_fr.pdf (2) SWI swissinfo.ch. (2015). 'The day Switzerland became neutral'. Available at: h�ps:// www.swissinfo.ch/eng/the-day-switzerland-becameneutral/41336330 (3) Revill, J. (2022). Analysis: Neutral Switzerland leans closer to NATO in response to Russia. Reuters. [online] 16 May. Available at: h�ps:// www.reuters.com/markets/europe/neutralswitzerland-leans-closer-nato-responserussia-2022-05-15/.

(4) SRF/sp (2023). Swiss parliament rejects proposal to export weapons to Ukraine. [online] SWI swissinfo.ch. Available at: h�ps://www.swissinfo.ch/ eng/business/swiss-parliament-rejects-proposal-toexport-weapons-to-ukraine/48560394 (5) www.eda.admin.ch. (n.d.). Bilateral rela�ons Switzerland–Ukraine. [online] Available at: h�ps:// www.eda.admin.ch/eda/en/fdfa/representa�ons-andtravel-advice/ukraine/switzerland-ukraine.html.

(6) www.eda.admin.ch. (n.d.). OTAN: Partenariat pour la paix. [online] Available at: h�ps:// www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/poli�que-exterieure/ organisa�ons-interna�onales/otan.html.

(7) rts.ch. (2022). L’acquisi�on du système de défense an�aérienne Patriot par la Suisse avance. [online] Available at: h�ps://www.rts.ch/info/suisse/ 13651608-lacquisi�on-du-systeme-de-defensean�aerienne-patriot-par-la-suisse-avance.html.

(8) Lert, F. (2021). Comment la Suisse jus�fie-t-elle son choix du F-35A ? [online] Aerobuzz. Available at: h�ps://www.aerobuzz.fr/defense/comment-la-suissejus�fie-t-elle-son-choix-du-f-35a/.

(9) www.admin.ch. (n.d.). La Suisse et la Chine soignent leurs contacts de haut niveau et approfondissent leurs liens à l’approche du 75e anniversaire de leurs rela�ons diploma�ques. [online] Available at: h�ps://www.admin.ch/gov/fr/accueil/ documenta�on/communiques.msg-id-99693.html.

(10) L’armée demande 13 milliards pour accroître ses capacités de défense - Le Temps.

(2023). www.letemps.ch. [online] 17 Aug. Available at: h�ps://www.letemps.ch/suisse/l-armeedemande-13-milliards-pour-accroitre-ses-capacitesde-defense.

(11) rts.ch. (2023). Entre retards et surcoûts, l’armée suisse est-elle au bord d’un désastre informa�que ? [online] Available at: h�ps:// www.rts.ch/info/suisse/13696992-entre-retards-etsurcouts-larmee-suisse-estelle-au-bord-dun-desastreinforma�que.html.

Paysage à Meiringen, Suisse ©Unsplash

DÉFENSE

LA VILLE À L’OMBRE DE LA GUERRE Une coévolution paradoxale Par Sofiane MADMAR - Ingénieur en aménagement durable du territoire & chercheur en urbanisme

La Prise de Valenciennes par Louis XIV (et ses mousquetaires) le 17 mars 1677, Jean Alaux (1837)

De tous temps, les villes ont été des lieux de pouvoirs et de conflits. Des cités for�fiées et défendues, nous sommes passés à des métropoles ouvertes et étendues. Leur pouvoir ne s’iden�fie plus dans les dimensions de leurs for�fica�ons ou la profondeur de leurs douves mais bien à la hauteur de leurs tours et le so� power qu’elles produisent.

L’analyse géopoli�que des villes est un sujet vaste et implique une analyse à la fois historique, architecturale, poli�que et sociale. Selon Yves Lacoste, la géopoli�que est « l’étude des différents types de rivalités de pouvoir sur les territoires, (…) la puissance 50 - Revue TB N°7

se mesurant en fonc�on de poten�alité territoriale interne et de la capacité à se projeter à l’extérieur de ce territoire et à des distances de plus en plus grandes ». Il est donc évident que les villes n’échappent pas à la géopoli�que au vu de la concentra�on de richesse et donc de pouvoir en leur sein. Ce serait d’ailleurs une cause de leur « appari�on » avec comme richesses les réserves de denrées agricoles. Les villes se vouent aujourd’hui une rivalité économique et culturelle.

Néanmoins, l’actualité récente nous rappelle tristement que les espaces urbains sont aussi un lieu

de rivalités armées. L’histoire nous apprend que les villes étaient une unité principale des rivalités territoriales et que les conflits armés ont influencé l’urbanisme tout comme l’urbanisme a influencé l’évolu�on de la guerre. Cet ar�cle explore ce lien à la fois trouble dans son ar�cula�on et évident dans son historicité entre l’évolu�on des villes et des conflits armés, du moyen âge à nos jours, ouvrant la porte à des réflexions plus profondes sur l’évolu�on de la guerre urbaine.

“Depuis que la guerre existe, le contrôle des villes a toujours revêtu une grande importance stratégique et psychologique. Les villes sont en effet le cœur de la vie poli�que, économique, technologique et culturelle d’un pays ; elles sont aussi le centre des réseaux de transport et de communica�on na�onaux.” Rapport de l’OTAN

QUAND LA VILLE PRÉPARE LA GUERRE : LA PLANIFICATION MILITAIRE La construc�on de for�fica�ons était une pra�que courante au Moyen Âge en raison de l'instabilité poli�que, des conflits fréquents et des menaces constantes. Ces for�fica�ons, qu'il s'agisse de châteaux, de murailles ou de tours, servaient à dissuader les agresseurs poten�els et à protéger les popula�ons locales. Les guerres façonnaient directement les territoires sous plusieurs aspects. Il fallait se préparer aux invasions et protéger les richesses. Les hommes et les pierres se mouvaient au rythme des guerres. Les espaces urbains d'antan s'entouraient de mul�ples couches défensives. La guerre influence fortement la logis�que et la ges�on des ressources des communautés urbaines. Par conséquent, la planifica�on urbaine est défensive par nature ce qui forme les espaces et condi�onne la vie sociale. Elle pousse à densifier à l’intérieur des murs.

Le développement de la ville est donc confiné et doit s’obliger à des contraintes militaires. Ce n’est le cas que des espaces les plus stratégiques du pouvoir défendus par les seigneurs locaux ou les souverains. Ils étaient for�fiés et représentaient la puissance d’un empire, d’un royaume ou d’un État. Ainsi, prendre une ville

Fort « Neuf-Brisach » (Alsace) hérigé par Vauban au XVIIe siècle

était synonyme de victoire contrairement à une bataille en terrain ouvert qui ne la matérialise pas directement. L’enjeu étant plus important, les combats étaient plus rudes.

Légende : Sébas�en Le Prestre de Vauban, maréchal de France et ingénieur militaire du XVIIe siècle, a joué un rôle significa�f dans la revitalisa�on et l'adapta�on des for�fica�ons dans la planifica�on urbaine. Il a conçu un archipel de villes for�fiées afin de créer une ceinture de protec�on autour de la France. Ces artefacts du passé montrent que les for�fica�ons ont eu un regain d’intérêt au cours des siècles et selon les circonstances.

En Europe, la fin de la ville des for�fica�ons est liée à des évolu�ons urbaines et militaires. Ainsi, parmi les raisons de ce�e transi�on il y a le réarrangement des espaces de vie et leur élargissement vers des pe�tes villes, en lien avec la croissance démographique. Les protec�ons étaient construites par les tenants du pouvoir féodal alors que le développement de la bourgeoisie a poussé la transi�on vers des modèles urbains ouverts. Du côté des forces armées, l’évolu�on des moyens militaires avec l’inven�on de la poudre à

Cité de Carcassonne, exemple typique de la forteresse médiévale, témoin de l’étalement urbain au cours des siècles ©Chensiyuan/Wikipédia

canon et le développement progressif de l’ar�llerie ont rendu les forteresses beaucoup moins efficaces.

Néanmoins, ça ne signifie pas que les villes ouvertes étaient plus facilement prenables que les forts. Les envahisseurs pouvaient facilement se retrouver à devoir disperser leurs efforts dans les rues et faire face à une résistance beaucoup plus mo�vée. Les civils représentent aussi un obstacle supplémentaire ralen�ssant l’armée. Devenant de nouveaux centres économiques et poli�ques, il restait néanmoins important de conquérir ces espaces.

Avec des espaces de plus en plus denses, peuplés et contenant des clusters de criminalité, il devient de plus en plus complexe pour une force armée de s’aventurer en milieu urbain. Les armées conven�onnelles n’ont pas su s’adapter à la guerre urbaine moderne. Ce�e dernière paraît pourtant inévitable dans les conflits à venir. Les forces armées pourraient donc se heurter à des belligérants mieux préparer au terrain urbain et u�liser des techniques totalement désuètes. Pour une armée orthodoxe, l’environnement urbain est unique.

Ce « système de systèmes » réserve toujours des surprises et la rela�on entre les occupants et leur environnement est dynamique. Les stratégies, les contraintes, le progrès et les résultats sont différents.

La présence des civils en est un démonstrateur évident. Tantôt vic�mes collatérales, acteurs du conflits ou u�lisés comme boucliers humains, volontairement ou non, ils sont présents en un nombre si important qu’ils présentent un défi considérable pour les forces armées. Ils peuvent rendre une victoire comme défaite sur le plan poli�que par leur brave résistance ou par un bilan civil jugé inacceptable sur le plan moral. La ville moderne est en effet d’abord un habitat, il n’est pas conçu pour la guerre, c’est lieu d’humanité pacifié.

Les armées doivent donc s’adapter au mode de combat urbain et de même des guérillas ou des groupes de résistance urbaine qui doivent se professionnaliser pour pouvoir faire face. La ville élargit l’incer�tude et complexifie les opéra�ons. Dans

le monde contemporain, il faut constamment penser aux enjeux socio-poli�ques des ac�ons engagées. Du reste, ces opéra�ons semblent être généralement plus coûteuses et plus lentes. Leur issue peut se révéler étonnante. « Engager délibérément la bataille dans une aggloméra�on est un comportement militaire plutôt rare. Excep�onnel jusqu’au XXe siècle, ce type d’affrontement se mul�plie pourtant depuis lors » DUFOUR, Jean-Louis. La Guerre, la ville et le soldat, Paris, édi�ons Odile Jacob, 2002

L’ÉVOLUTION DU COMBAT URBAIN Le combat urbain est en réalité aussi vieux que les villes elles-mêmes. Dans les récits an�ques tels que l’Iliade et l’Odyssée d'Homère parlaient déjà de sièges et de pillages. L’An�quité est en effet remplie de récits de siège comme les guerres puniques le témoignent.

Les textes religieux connus traitent également de la ques�on au cours de l’histoire, relevant aussi des ques�ons morales. L’archéologie révèle que les plus anciennes cités iden�fiées montrent des traces de for�fica�ons. Les difficultés à intervenir militairement en milieu urbain ne représentent donc pas un phénomène nouveau. Les espaces urbains ont toujours été des défis redoutables pour les armées : « If one would wreck an army, tradi�on argues, send it into a city ». Les stratégies militaires sont tournées vers des terrains ouverts et larges. Dans l’Art de la Guerre de Sun Tzu compilé en 1078, l’auteur parlait déjà des villes comme la pire des op�ons. Pour lui, la stratégie plus rapide et moins coûteuse à adopter est la manipula�on, l’espionnage, les fausses informa�ons, feints, subversion et trahison. La guerre a toujours été une constante de la vie urbaine, que ce soit en termes de protec�on ou d’armement. La ville change l’échelle des opéra�ons. « Buildings would become campaigns, stairs would become avenues of approach, and rooms would become fortresses ». Les combats en zone

Entrainement au combat urbain par les forces armées françaises ©MDF

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urbaine sont tributaires de trois éléments : le terrain, la popula�on et l’infrastructure. Le terrain et les infrastructures jouent sur le mouvement, les renseignements et la stratégie. La popula�on joue sur les contraintes humaines et juridiques.

Il en reste que la guerre urbaine moderne est significa�vement différente. Elle se singularise principalement par un changement d’échelle et une évolu�on des armées. En effet, l’urbanisa�on exponen�elle qui con�nue aujourd’hui a modifié le terrain d’opéra�on. Inversement, les armées se sont réduites massivement. Alors qu’il était autrefois possible pour une armée de prendre en siège massivement une ville, aucune armée n’est aujourd’hui assez grande pour encercler les métropoles. Ceci implique aussi que la part des civils non armés est beaucoup plus grande aujourd’hui, rendant l’interven�on encore plus délicate. La puissance de feu, les technologies militaires et les moyens de pression poli�ques ont aussi évolué. En somme, l’anatomie des conflits urbains a radicalement changé. Certes, il est toujours ques�on de sièges, de ruses en tout genre, d’invasion et de destruc�on du bâ�, ce qui pousse certains chercheurs à conclure qu’il ne s’agit que d’une amplifica�on du passé. Néanmoins, ces stratégies ancestrales opèrent bien dans un environnement et un agencement nouveau qui condi�onnent leur usage. Ils pousseraient notamment à devoir s’introduire dans l’urbain et de comba�re par prise progressive de posi�ons stratégiques et par des micro-sièges.

Les conséquences sont globales. La forte densité accroît les destruc�ons et donc les dommages collatéraux. Toute a�einte aux infrastructures essen�elles induit forcément des conséquences humanitaires. Les métropoles par�cipant à un réseau commercial interna�onal, les conflits urbains entraînent des conséquences dépassant de loin les limites de la ville. La révolu�on numérique et la propaga�on des réseaux sociaux accroissent ce phénomène faisant d’un conflit urbain localisé l’objet de débats et de perturba�ons poli�ques partout dans le monde. Les opéra�ons urbaines sont donc à mul�ples dimensions et à mul�ples échelles. Elles peuvent donc vite devenir un vrai casse-tête pour une armée moderne. Comprendre ces conflits aujourd’hui demande donc beaucoup plus de profondeur et de transversalité avec les sciences humaines et sociales car la ville est un espace social où les acteurs civils et militaires vont s’exprimer. Il faut donc allier la compréhension stratégique et géopoli�que avec l’analyse sociale : “it is important to comprehend the city as a social space, and also to understand how the armed forces organize themselves for warfare. It is o�en the case that academic scholarship has li�le apprehension of the armed forces, while military scien�sts have an inadequate apprecia�on of ci�es.”

Anthony King dans “Urban Warfare in the Twenty-First Century”

LES TECHNIQUES MODERNES DE SIÈGE URBAIN: LE CAS DE MARIOUPOL Sur le plan des techniques militaires, le siège de Marioupol en 2022 cons�tue un cas d'étude des méthodes modernes de siège et de capture d'un espace urbain. Marioupol, ville portuaire située dans l'est de l'Ukraine, une région russophone où des affrontements avaient déjà eu lieu entre les forces ukrainiennes et des groupes sépara�stes soutenus par la Russie, représente un centre économique et industriel majeur avec une popula�on dépassant les 400 000 habitants. Sa posi�on stratégique en bordure de la mer d'Azov et son importance na�onale en font une cible prioritaire pour Moscou dans son changement de stratégie.

Le rapport des forces armées russes par rapport à la popula�on civile est de 7 pour 200, confortant que les forces armées risqueraient d'être rapidement submergées en cas d'a�aque directe en milieu urbain.

Ainsi, l'armée russe a opté ini�alement pour des bombardements aériens de la ville, suivis de l'isolement par l'occupa�on des espaces périphériques, impliquant des combats en espaces ouverts dans les zones rurales environnantes. Après l'encerclement du territoire, l'armée a bloqué l'approvisionnement en maintenant ses lignes de front, rendant l'encerclement possible mais lent, progressif et soutenu par des bombardements massifs.

Face à de nombreuses pertes civiles, notamment les frappes touchant une maternité, un hôpital et divers refuges, la pression interna�onale a conduit à la créa�on d'un couloir humanitaire pour évacuer les civils ukrainiens. Malgré l'échec de la proposi�on de capitula�on et quelques négocia�ons, l'armée russe a

Marioupol 2021/2022

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con�nué à pilonner la ville tout en maintenant le siège.

L'opéra�on russe s'est révélée beaucoup plus longue que prévu pour le Kremlin, avec des tenta�ves d'infiltra�ons se soldant parfois par des échecs en raison de l'encerclement des Ukrainiens mieux préparés au terrain.

Les forces ukrainiennes ont exploité l'immense métallurgie de Marioupol, l'usine Azovstal, en tant que véritable forteresse, résistant jusqu'au bout malgré l'avancée russe qui a finalement réussi à sec�onner la ville, phagocytant des brigades ennemies. Une fois la plupart de la ville capturée, le régiment Azov, l'armée ukrainienne et les civils retranchés dans Azovstal ont été soumis à des bombardements aériens intensifiés et à un blocus empêchant tout ravitaillement. Les Ukrainiens se sont finalement trouvés dans l'impossibilité de con�nuer le combat, conduisant à leur reddi�on. À la fin du conflit de Marioupol, au moins 20 000 civils ont perdu la vie dans ce�e ville dévastée.

Les sièges modernes reposent principalement sur le sou�en aérien et l'ar�llerie terrestre, confinant l'ennemi en l'absence d’un confinement au sol assez efficace. Ce�e méthode engendre de nombreux "dégâts collatéraux", soulevant la probléma�que des civils. Qualifiés de crimes de guerre par les conven�ons interna�onales, les bombardements touchant des innocents obligent parfois les par�es à organiser des évacua�ons et des cessez-le-feu. Les destruc�ons sont inten�onnellement considérables en vue de préparer une invasion terrestre. Ces sièges ne sont plus sta�ques et se mul�plient en sièges intra-urbains, divisant les forces défensives. Les technologies de l'informa�on et de la communica�on, ainsi que leur sabotage, deviennent des enjeux cruciaux tant pour le déploiement des troupes que pour la synchronisa�on de la défense. Finalement, les troupes, les blindés et les chars montrent parfois leurs limites face à des défenseurs parfaitement familiarisés avec le terrain des opéra�ons.

UNE DUALITÉ PARADOXALE Finalement, le lien entre la guerre ou plus largement les conflits armés et la ville est dynamique. Cet ar�cle n’est certainement pas exhaus�f tant les aspects urbanis�ques, historiques, militaires et moraux sont nombreux. On peut au moins conclure que dans une forme de dualité, la guerre a largement influencé la concep�on urbaine jusqu’à la moi�é du deuxième millénaire. Ensuite, les villes se sont étendues pour des raisons démographiques et poli�ques. Ces espaces de pouvoir qui semblaient plus facilement prenables ont pourtant forcé l’évolu�on des techniques et des stratégies militaires. Nos métropoles modernes n’ont pas changé de paradigme. Ce sont des espaces ouverts et sans planifica�on défensive. La violence y est décuplée en cas de guerre et les opéra�ons militaires y sont irréversibles, dans les corps, les murs et les mémoires.

Les événements récents en Ukraine montrent que les probléma�ques de la guerre urbaine se profilent comme les enjeux majeurs des conflits du XXIème siècle. En effet, avec 70% d’urbains en 2050 selon l’ONU et des espaces de plus en plus denses et vulnérables, sans oublier l’existence de fractures sociales et poli�ques au sein des sociétés, la ville restera au cœur des tensions internes comme externes, occultant presque le reste des territoires. Le cas de la bande de Gaza, actuellement aux proies des violences les plus immondes de la guerre urbaine, fait tristement échos aux probléma�ques évoqués dans cet ar�cle.

« Nos métropoles modernes n’ont pas changé de paradigme. Ce sont des espaces ouverts et sans planification défensive. » Il paraît encore plus important aujourd’hui de faire appliquer le cadre juridique existant sur l’a�einte aux civils et aux infrastructures vitales. Un rapport de l’ONU condamne en effet « l’u�lisa�on d’armes puissantes aux effets intrinsèquement indiscriminés, entraînant un nombre colossal de morts et la destruc�on d’infrastructures essen�elles à la vie ». Des analyses d’images satellites réalisées par un rapporteur concluaient fin novembre que 70% des bâ�ments de Gaza étaient endommagés. Alors, complémentaire du concept de génocide, le nouveau concept de « dominicide », se voulant comme la destruc�on massive d’habita�ons pour rendre le territoire inhabitable, pourrait contribuer à repenser la stratégie de bombardement aérien et con�nuer à faire évoluer leurs technologies militaires. L’adapta�on des villes les plus à risque pourrait aussi être une conséquence à long terme. La reconstruc�on après-

Char T-80 avec protec�on contre les drônes au forum Armya 2023

guerre est aussi un moment clé où les sociétés changent de modèle urbain comme l’a montré la fin du XXème siècle.

BIBLIOGRAPHIE Anthony King. Urban Warfare in the Twenty-First Century. Publié le 7 juillet 2021.

Philippe Michel-Kleisbauer. "Combat en milieu urbain." Rapport de l'ONU, 20 novembre 2020.

"Villes et guerres.", Numéro 91 de Les annales de la recherche urbaine, Décembre 2001.

Roger J. Spiller. "Urban Warfare: Its History and Its Future." Ar�cle dans Block by Block: The Challenges of Urban Opera�ons. Revue scien�fique.

Patrick Wintour. "Widespread destruc�on in Gaza puts concept of ‘domicide’ in focus." The Guardian, 7 décembre 2023.

Château d’Eltz, Allemagne ©Unsplash

DÉFENSE

France & Arménie La militarisation d’une relation diplomatique Par Udai MAGHOUR � CINUP

Le ministre de la défense française rencontre son homologue arménien en 2023 ©Elysée

La France a franchi une nouvelle étape pour renforcer sa présence dans la région du Caucase du sud, en tant que garant fondamental de la sécurité de l’Arménie. Après avoir promis d’aider Erevan à protéger les Arméniens du Karabakh, à leur fournir toutes les garan�es de sécurité et à renforcer les capacités de l’Arménie à faire face aux nouveaux défis, la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, lors de sa visite dans la capitale arménienne, a menacé d’une « réponse forte » à toute tenta�ve de viola�on de l’intégrité territoriale de l’Arménie.

La France a déjà joué un rôle, aux côtés de la Russie, de l’Allemagne et des États-Unis, dans la mise en œuvre du cessez-le-feu conclu après la première guerre du Karabakh en 1994. Elle a également été 56 - Revue TB N°7

ac�ve diploma�quement parlant afin de tenter de rapprocher Erevan et Bakou après la deuxième guerre en 2020. Ces derniers mois, alors que l’Arménie s’oriente vers le renforcement de la présence européenne parallèlement à l’influence russe dans ce dossier, le rythme des démarches françaises s’est accéléré.

Ayant comme objec�f la stabilité de la région, l’applica�on du droit interna�onal public ainsi que ses composantes, convaincue par la primauté de la souveraineté. La France jus�fie son interven�on par l’emploi fic�f de la force afin d’établir ou rétablir une paix durable, parfaire l’égalité et « conserver la souveraineté ». Il ressort de ce�e réflexion une probléma�que visant à clarifier le vécu des rela�ons

franco-arméniennes à l’instar du volet militaire et stratégique.

LES RELATIONS FRANCOARMÉNIENNES : ANCIENNES ET PROFONDÉMENT ENRACINÉES La rela�on entre la France et l’Arménie est ancienne, remontant à un traité en 1553 entre le sultan Soliman le Magnifique et le roi François Ier, dans lequel l’Empire o�oman a accordé aux Français le droit de protéger les chré�ens catholiques, y compris les Arméniens. La rela�on française avec les Arméniens a donc commencé à se forger après ce�e date grâce à la migra�on des élites arméniennes en France, qui maîtrisaient la langue française et servaient de lien entre la France et l’Empire o�oman.

La communauté de la diaspora arménienne a con�nué à croître en France, et sa force a augmenté en tant que lobby arménien au pays, ce qui a entraîné la créa�on de la Mutasarrifiya du Mont-Liban après le conflit sectaire de 1860 en vertu d’un traité entre les pays européens et l’Empire o�oman, qui s�pulait que le souverain de la Mutasarrifiya devait être un chré�en o�oman « un sujet de l’Empire o�oman », et tous les dirigeants de la Mutasarrifiya à l’époque o�omane étaient des Arméniens, car la France par�cipait à leur sélec�on, et ils avaient une rela�on étroite avec elle.

La France se considère comme le protecteur culturel et historique des Arméniens à la fois en Arménie et dans la diaspora, et considère ses rela�ons avec les Arméniens comme supérieures à celles des Arméniens russes, malgré la domina�on à long terme de la Russie sur l’Arménie, à la fois à l’époque impériale et sovié�que.

SIGNES AVANT-COUREURS D’UN CHANGEMENT DE POSITION FRANÇAISE

de troupes et l’envoi d’un officier de l’armée française pour conseiller le ministère de la Défense de l’Arménie.

OBJECTIFS DU SOUTIEN FRANÇAIS À L’ARMÉNIE La poli�que française à l’égard de l’Arménie est guidée par la dynamique d’implanta�on dans le Caucase du Sud dans une situa�on géopoli�que encore en forma�on, influencée par les rela�ons sociales et historiques par�culières entre la France et les Arméniens en général. En renforçant la capacité de l'Arménie à prévenir et répondre aux menaces, la France contribue à la stabilité régionale. Cela peut être interprété comme une mesure visant à éviter toute escalade des tensions et à maintenir un certain équilibre délicat dans la région.

« La France vise à protéger sa capacité à faire face à des menaces potentielles et à préserver sa souveraineté. » En soutenant un allié comme l'Arménie, la France peut tenter de défendre des principes partagés tels que la démocra�e, la stabilité et le respect du droit interna�onal. Cela renforce les rela�ons à long terme entre les deux na�ons.

Le droit à l'autodéfense est la base du sou�en. En renforçant les capacités défensives de l'Arménie, la France vise à protéger sa capacité à faire face à des menaces poten�elles et à préserver sa souveraineté.

La souveraineté est envisagée ici au double point de vue dynamique et sta�que. À la suite de Charles Chaumont, il est d’usage de considérer que le droit

La ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a appelé le président américain Joe Biden à « soutenir l’Arménie, qui craint que l’Azerbaïdjan ne viole son intégrité territoriale ». À la suite des affrontements entre les forces arméniennes et azerbaïdjanaises dans le Haut Karabakh en septembre dernier, la France a appelé à une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU pour discuter de l’évolu�on de la situa�on au Karabakh. Le ministère français des Affaires étrangères a publié un communiqué affirmant qu'« il n’y a aucune jus�fica�on à l’opéra�on militaire azerbaïdjanaise » et qu’il travaillait avec ses partenaires pour préparer une « réponse forte » à ce�e « a�aque inacceptable ».

Le sou�en militaire français devrait inclure l’acquisi�on de systèmes de défense, l’éduca�on militaire, la forma�on et l’échange d’expériences. Trois sta�ons radar GM200, des systèmes de missiles an�aériens Mistral, 50 véhicules blindés de transport

Les missiles AA Mistral pourront faire pencher le rapport de force dans l’espace aérien ©Wikipedia

Les Radar GM200 perme�ront de veiller sur l’intégrité territoriale mais il en faudra bien plus pour dissuader l’Azerbaïdjan ©THALES

interna�onal contemporain fonde la souveraineté sur le droit des peuples à l’auto-détermina�on et le droit des peuples à disposer d’eux même n’est rien d’autre que la souveraineté. Ce geste part de ce�e convic�on et peut être considéré comme un sou�en diploma�que fort de la France à l'Arménie. Il reflète la posi�on de la France dans le contexte géopoli�que complexe de la région et peut avoir un impact sur les dynamiques diploma�ques actuelles et futures.

Ce�e ini�a�ve renforce la coopéra�on bilatérale entre la France et l'Arménie dans le domaine de la défense et rapproche les deux pays diploma�quement. Au-delà de la simple transac�on commerciale, cela renforce les liens stratégiques et témoigne de l'engagement à long terme de la France envers la sécurité de son allié.

La France veut s’implanter dans la région du Caucase du Sud, qui se compose de trois pays; l’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Arménie. La France considère l’Arménie comme le pays le plus approprié pour le développement de son rôle dans la région, compte tenu de l’état fort de l’alliance entre l’Azerbaïdjan et la Turquie, et de la bonne rela�on non conflictuelle entre l’Azerbaïdjan et la Russie. Tandis que la Géorgie est le deuxième pays de la région à être un pays divisé, dans lequel « l’Abkhazie et l’Ossé�e du Sud » ont annoncé leur sépara�on unilatérale, et elle a une crise dans la région d’Adjarie, qui est habitée par une majorité de la popula�on de l’Azerbaïdjan. Les musulmans de Géorgie, chez lesquels les Turcs jouissent d’une rela�on d’influence culturelle et historique, la France n’a pas beaucoup d’op�ons dans la région, et elle essaie donc de renforcer son influence cet inves�ssement est aussi lié à la confronta�on à la fois avec l’influence russe, ainsi qu’avec celle des Turcs.

COMBATTRE LES TURCS ET COMBLER LE VIDE RUSSE La Russie a une influence tradi�onnelle dans la région, qui a commencé à décliner rela�vement en raison de la préoccupa�on russe pour l’Ukraine, qui a créé un vide que les Turcs tentent de combler. De sorte que la France cherche, à travers l’Arménie, à affronter et à perturber l’influence turque, qui est devenue une source d’inquiétude pour elle, que ce soit dans la région du Caucase ou en Afrique, en plus des tensions entre eux concernant le gaz du bassin méditerranéen et du par� pris de la France envers la Grèce.

LA NATURE DU SOUTIEN

RENFORCER L’INFLUENCE PROOCCIDENTALE FACE À L’INFLUENCE La France, "extrêmement vigilante" au respect de l'intégrité territoriale de l'Arménie se penche vers les RUSSE équipements d'armement défensif, ces derniers sont suscep�bles de dissuader d'éventuelles agressions. En effet, en fournissant des moyens de détec�on avancés, la France contribue à créer une dissuasion en renforçant la capacité de l'Arménie à an�ciper et contrer toute menace. Concrètement parlant, cela se manifeste par la signature d'un contrat avec le géant français de la défense, Thales, pour la fourniture de trois radars Ground Master (GM200). Ces radars, qui ont déjà été testés en Ukraine, ont des capacités excep�onnelles de détec�on sur une portée de 250 km, qui couvrent autant les drones que les avions de combat. L'inclusion d'une le�re d'inten�on avec le fabricant de missiles européen MBDA met en évidence l'engagement envers une défense robuste et diversifiée. L'Arménie bénéficie d'un sou�en technologique important grâce à ces accords, qui lui perme�ent de renforcer sa posi�on défensive sans adopter une approche agressive.

INVESTIR EN MODE GÉOPOLITIQUE 58 - Revue TB N°7

La France craint la possibilité d’un coup d’État dans l’armée arménienne, et s’efforce de maintenir le nouveau gouvernement « Pashinyan », car ce dernier pousse l’Arménie vers l’Occident, et l’on pense que l’alliance avec Moscou n’est plus u�le ou réalisable pour l’Arménie.

« La France ne peut donc pas compenser cette pénurie en conjonction avec les effets de la guerre ukrainienne sur les armées européennes en général » À tout cela s’ajoute l’influence de facteurs culturels, historiques et sociaux sur l’Arménie, en par�culier à la lumière de la présence d’une importante communauté

nous perme�raient pas de protéger au mieux le territoire arménien et ses habitants ».

Paris n’a pas précisé quelles armes il acceptait de fournir à l’armée arménienne. Colonna a fait valoir que ces ques�ons sont « protégées par le secret de la défense », soulignant que « le dialogue commencera avec l’Arménie pour connaître ses besoins... C’est une façon d’éviter de tomber dans une situa�on plus difficile, qui ce�e fois-ci nécessitera certainement des sanc�ons, une réac�on très forte de l’Europe, de la France, de la communauté interna�onale.

Paris jus�fie comme moyen de contrepoids à la Russie son aide et tente d’y entraîner les États-Unis mais aussi l’OTAN ©NATO

arménienne en France et de son rôle dans l’élabora�on de la poli�que française en tant que groupe de pression.

La France pourrait vouloir exercer une influence sur l’Arménie sur le corridor Zanguezour, qui pourrait relier l’Asie à de nombreuses régions du monde, y compris l’Europe, ce qui, à long terme, pourrait contribuer à l’orienta�on stratégique européenne dans la réduc�on de la dépendance au gaz russe.

Cependant, cela ne devrait pas changer l’équilibre militaire pour de nombreuses raisons, dont la plus importante sont les rela�ons militaires stratégiques entre l’Azerbaïdjan et la Turquie, et Israël d’autre part.

L’armée azerbaïdjanaise se classe également au « 57e » rang parmi les armées les plus puissantes du monde, tandis que l’armée arménienne est classée au « 94e rang ». La France ne peut donc pas compenser ce�e pénurie en conjonc�on avec les effets de la guerre ukrainienne sur les armées européennes en général, y compris la pénurie de main-d'œuvre et d’industrie des muni�ons, en plus du refus de la Russie de perme�re à l’Arménie de se rendre facilement à l’Ouest. Sans oublier que la Russie con�nue d’essayer de maintenir son influence dans la région et de ne pas l’abandonner facilement.

Il s’avère clair que les rela�ons francoazerbaïdjanaises allaient s’intensifier dans le contexte du contrôle rapide de la région du Karabakh par l’Azerbaïdjan, du départ de plus de cent mille habitants vers l’Arménie et des déclara�ons des deux par�es, en par�culier après l’annonce par la ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna, d’Erevan, de son inten�on de fournir des armes aux forces arméniennes pour défendre les fron�ères de son pays.

Malgré ce�e escalade, Paris n’a pas encore a�eint le moment d’imposer des sanc�ons à l’Azerbaïdjan, une posi�on exprimée par le président Emmanuel Macron en marge de sa par�cipa�on à la communauté poli�que européenne et aux sommets européens.

Selon Macron, dont les propos ont été rappelés par Colonna, « ce n’est pas le moment d’imposer des sanc�ons car elles seraient contre-produc�ves et ne

« Il s’avère que Paris est destiné à jouer le rôle de « protecteur » de l’Arménie, qui a perdu le soutien des deux pays dont elle dépendait : la Russie d’un côté et l’Iran de l’autre. » Le Parlement européen a adopté à son tour une résolu�on appelant l’Union européenne à imposer des sanc�ons aux responsables du gouvernement azerbaïdjanais pour ce qu’ils considèrent comme des viola�ons du cessez-le-feu et des droits de l’homme.

Cependant, la résolu�on parlementaire n’est pas contraignante et n’a pas été adoptée lors de la réunion des 27 dirigeants européens à Grenade, en Espagne.

Le Parlement a exhorté l’UE à me�re fin aux achats de gaz azerbaïdjanais.

Compte tenu du vide créé par Moscou aux événements du Karabakh, Erevan cherche une alterna�ve qui le protégera. Il semble qu’elle l’ait trouvé en France, qui entre�ent des rela�ons étroites avec l’Arménie, d’autant plus qu’elle abrite une communauté arménienne bien organisée, y compris des personnalités occupant des postes importants aux niveaux économique, social, culturel et même poli�que.

Il s’avère que Paris est des�né à jouer le rôle de « protecteur » de l’Arménie, qui a perdu le sou�en des deux pays dont elle dépendait : la Russie d’un côté et l’Iran de l’autre. Tous deux avaient des calculs qui leur faisaient observer de loin l’invasion du Karabakh par les forces azéries sans rien faire.

Après l’escalade entre Paris et Bakou, il est devenu peu probable que la communica�on entre les présidents Macron et Ilham Aliyev revienne. D’autant plus que la par�e azerbaïdjanaise �ent Paris pour responsable d’avoir poussé le Parlement européen à exiger des sanc�ons contre l’Azerbaïdjan et accuse le président Macron d’avoir soutenu le refus du président turc Recep Tayyip Erdogan de se joindre aux pourparlers qui devaient avoir lieu à Grenade entre les Revue TB N°7 - 59

responsables arméniens et azerbaïdjanais en présence de Macron, du chancelier Scholz et du responsable européen Charles Michel, ce qui a incité Erdogan et Aliyev à boyco�er le sommet de Grenade. À ce jour, aucun pays européen n’a annoncé sa volonté de fournir des armes à Erevan, à l’excep�on de la France, qui pousse en parallèle l’UE à préparer un ambi�eux panier d’aide à l’Arménie pour lui perme�re de faire face à la migra�on massive du territoire tombé aux mains de Bakou. Paris craint que l’Azerbaïdjan ne profite de sa supériorité militaire sur l’Arménie pour tenter de réaliser une percée militaire qui lui perme�rait de créer une con�guïté géographique avec la province occidentale du Nakhitchevan, qui partage une fron�ère avec la Turquie.

Bakou pourrait chercher à fournir une communica�on terrestre ouverte avec la région et est actuellement contacté par le biais du corridor de Zenguezour. Par conséquent, les Européens veulent accélérer la pression des deux par�es pour signer un traité qui stabilise les fron�ères des deux pays, reconnaît la souveraineté de chacun d’eux sur son territoire et empêche les guerres ultérieures entre eux, après que le dossier du Karabakh a été clos avec le contrôle des forces azéries.

Paris veut aider Erevan et lui perme�re de défendre son territoire qu’elle que soit l’issue. Ce qui se passe aujourd’hui nous rappelle les tensions qui se sont aggravées entre la Grèce et la Turquie en 2020 et 2021 concernant l'explora�on turque dans des eaux revendiquées par la Grèce. Cela a conduit à un accord de défense entre Paris et Athènes, avec la vente d'avions et de pièces navales, ainsi que des démonstra�ons navales dissuasives pour dissuader la Turquie de toute aventure qui pourrait se transformer en guerre ouverte entre deux pays membres de l’OTAN. UNE COLLABORATION DU CINUP COMITÉ INTERUNIVERSITAIRE DES NATIONS UNIES DE PARIS

Lac Sevan, Arménie ©Unsplash

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DÉFENSE

Exercice MILEX 23 Quels enjeux pour la boussole stratégique de l’UE ?

Par Andréa LAQUET - Professeure de géopoli�que & rela�ons interna�onales

Exercice européen MILEX 2023 ©Marine Na�onale

« Une armée commune ferait comprendre à la Russie que nous sommes sérieux quand il s'agit de défendre les valeurs de l'Union », selon Jean-Claude Juncker¹, président de la Commission européenne de 2015.

Pour autant, ce�e volonté de s’unir sous un même drapeau, pris en son sens d’une même armée, ne semble pas encore abou�e. Malgré tout, le 25 octobre 1950 est approuvée, par l’Assemblée na�onale française, le projet d’une véritable armée européenne, qui serait considérée comme « unifiée au point de vue de son commandement, de son organisa�on, de son équipement et de son financement et placée sous la direc�on d’une autorité suprana�onale unique »². La « Communauté européenne de défense » ne verra, en

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réalité, pas le jour, en raison d’une vraie divergence de l’opinion publique.

En dépit d’une armée inexistante en sa forme la plus officielle, l’Union européenne ne saurait rester impassible face aux conflits protéiformes à ses fron�ères, dès le XXIème siècle certes, mais surtout depuis 2022. C’est donc naturellement que ses poli�ques de défense axent une par�e des décisions régionales autour de la ques�on de sécurité, sans pour autant revenir officiellement sur ce�e no�on de CED. Ainsi, se focaliser sur l’état de prépara�on militaire de l’Union reste en adéqua�on avec le contexte interna�onal actuel, entre crises na�onalistes iden�taires et enjeux supra-éta�ques. Dès lors, quels sont les enjeux à prendre en compte pour l’exercice annuel européen MILEX 23 ?

INTÉRÊT D’UN EXERCICE DE GESTION DE CRISE Selon Patrick Lagadec³ : « La ges�on de crise regroupe l’ensemble des techniques, des modes d’organisa�on et des moyens à me�re en œuvre pour perme�re aux services de l‘État de se préparer et de faire face à un événement impactant la sécurité des personnes et des biens ».

Une demande en adéquation avec le contexte international Se préparer en amont rassemble des situa�ons de risques ou de menaces qui viseraient une déstabilisa�on de la situa�on de l’Union européenne.

Ainsi, user d’exercices de ges�on de crise, notamment par le biais des exercices militaires interarmées, perme�rait indubitablement d’accentuer la cohésion des États membres face à des dangers futurs liés au contexte géopoli�que de la scène interna�onale : changement clima�que et démographie amenant migra�on et probléma�que des ressources, conflits militaires régionaux étendus à d’autres zones géographiques, ce que l’on peut également nommer « guerres invisibles »⁴ ou encore poten�elles pandémies.

Si en juin 2023, l’Allemagne accueillait déjà le plus grand exercice militaire otanien⁵ de l’Histoire du déploiement de l’organisa�on afin de préparer les forces aériennes de 25 États membres en cas de conflit, cela ne saurait suffire face au contexte. Au contraire, l’OTAN et l’Union européenne regroupent à elles-deux 22 membres communs. Il resterait plusieurs États membres européens hors de cet exercice militaire à l’honneur : l'Autriche, Chypre, l'Irlande, et Malte, mais également la Suède qui, en 2023, est en pleine candidature pour intégrer la sécurité collec�ve atlan�que nord. Dès lors, l’Union européenne se doit, avec le contexte crisogène actuel, de connaître la capacité de déploiement rapide en cas de conflit hors de l’Union européenne, quand bien même tous les États ne sauraient par�ciper à chaque exercice.

Un exercice scénarisé en deux temps : de la réflexion à la libération de civils Quelques mois après l’exercice Orion où la France, de février à mai 2023, est à l’honneur du côté militaire pour ra�raper le retard d’adaptabilité face aux conflits de haute intensité⁶, un nouveau scénario de ges�on de crise apporte une vision inédite de la coopéra�on interalliée de l’Union. L’événement MILEX a suscité un intérêt par�culier face au contexte géopoli�que en raison de son ampleur : 2 800 soldats venus de 19 États membres de l’Union européenne ont réfléchi à diverses probléma�ques sécuritaires, dont : l’Autriche, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, Malte, le Portugal et la Roumanie. Rappelons ici que

L’exercice débute au sein de l’état-major ©UE

l’Autriche, l’Irlande et Malte n’avaient pas par�cipé à Air Defender 23. Leur présence au sein de MILEX 23 reste donc per�nente.

Le scénario a été réfléchi sur la base de trois probléma�ques amphibiennes : réaliser la prise de contrôle du port depuis la mer tout d’abord, procéder à encadrer et sécuriser chaque accès dudit port, accomplissant enfin à la libéra�on de la popula�on civile grâce aux forces terrestres employées.

Ainsi, l’exercice a pu se réaliser en deux temps : • Une première phase de planifica�on en état-major afin de préparer, pendant environ une semaine (du 18 au 26 septembre 2023), l’organisa�on et la bonne coordina�on des rôles de chaque membre, mais également la logis�que et des scenarii : ici ont été décidés l’orienta�on de l’opéra�on, le concept même de l’exercice, la répar��on des rôles et la valida�on de la conduite ; • Une phase prévue pour le lancement des opéra�ons en mer, du 16 au 22 octobre 2023, près de la base navale espagnole de Rota. Ce�e deuxième phase intéresse par�culièrement au vu de la logis�que mise en place pour réaliser l’exercice. En effet, avec plus de 2800 militaires, la mission paraît tout de même réfléchie et per�nente. Deux na�ons se démarquent parmi les celles présentes : la France avec son portehélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre et 600 pax (marins et autres corps d’armée), mais également l’Espagne, u�lisant son bâ�ment de projec�on Juan Carlos I, entré en service en 2010 et présent

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Le PHA Tonnerre (L9014) a par�cipé à l’exercice au large de la baie de Cadix ©EMA

sur Orion (aux côtés des frégates Blas de Lezo et Victoria à Toulon).

En résumé, « MILEX 23 est l'abou�ssement de près de 14 mois de planifica�on et de prépara�on détaillées, dirigées par la direc�on Concepts et capacités de l'état-major de l’UE. L'objec�f de MILEX 23 est de renforcer encore la prépara�on militaire de l'UE à répondre aux conflits et aux crises externes⁷ ».

Ce�e capacité suit en réalité l’enjeu de la strategic compass, soit la boussole stratégique de l’Union européenne.

LA CAPACITÉ DE DÉPLOIEMENT RAPIDE EN CONFLIT DE MILEX 23 : LE STRATEGIC COMPASS DE L’UE Selon Jean Monnet⁸, « une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre ». Ainsi, si la cohésion semble être le maître mot d’une bonne orienta�on de défense, il faut tout de même réussir à diriger une poli�que européenne unique et coopéra�ve entre les États membres. Dès lors, au même �tre que le Livre blanc français pour la défense et la sûreté du territoire, l’Union européenne doit se doter d’une réelle stratégie de réflexion et de solu�on en cas de scenarii me�ant en péril la sécurité du territoire européen et de tous ses États membres.

Ainsi, en corréla�on avec les décisions de l’OTAN, l’UE met en place une véritable boussole stratégique, adoptée notamment le 25 mars 2022, soit un mois après l’invasion russe en Ukraine⁹.

La mise en pratique d’une réaction véloce au paroxysme des guerres hybrides La boussole stratégique actuelle de l’Union européenne n’est, en réalité, pas la première feuille de route des États membres. La dernière mise à l’honneur date de 2016, avant le renouveau du conflit israélopales�nien (notamment face au 7 octobre 2023 et aux suites du conflit Israël-Hamas) ou encore la pandémie 64 - Revue TB N°7

du Covid19. Dès lors, il paraît évident qu’avec une muta�on aussi profonde et rapide de la scène interna�onale, il est nécessaire de me�re à jour les direc�ves de l’Union européenne. Bien que l’Europe ne soit pas en guerre, elle se doit de surveiller ses fron�ères, mais également de réfléchir aux flux migratoires engendrés par les conflits récents. Une vision commune éclaire davantage sur les choix à réaliser pour le court, moyen et long terme. En effet, c’est justement par le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne de 2022 que ce�e boussole stratégique a été repensée, afin de pallier le manque d’armée européenne et de s’affirmer face aux nouveaux conflits, les guerres hybrides. Si les voisins européens semblent plutôt aptes à commercer, ce que l’on appelle les « voisins des voisins » de l’UE ne sauraient approcher de la même manière les rela�ons interna�onales et les rela�ons sereines et pérennes.

Ainsi, afin de ne pas prendre de retard, quatre objec�fs¹⁰ perme�ent aux membres de l’Union européenne de définir la trajectoire de la boussole, en totale adéqua�on avec MILEX 23 : • Coopérer contre la menace commune : l’exercice interarmées vise bel et bien à sauvegarder l’intégrité de l’Union européenne face aux défis des États membres, tout en s’accordant avec différents partenaires, comme ici l’OTAN ; • Agir rapidement et résolument en termes de crise : c’est ici le principe de réac�on véloce voulue par l’exercice. Ce�e capacité de déploiement se doit également d’être résolutoire ; • Inves�r dans des capacités de technologie : c’est ici que rentre en ac�on le plan logis�que de MILEX 23, notamment celle de la France. On compte ainsi, au sein même des 600 soldats et marins sus cités, et du PHA, un Puma de l’Armée de l’Air et de l’espace, mais aussi deux hélicoptères Cougar, trois hélicoptères gazelles depuis l’Armée de terre ; • Assurer la sécurité face aux menaces et protéger les citoyens : l’exercice l’applique par la libéra�on d’otages.

Nul doute que ces quatre buts semblent tenus par le Military Exercise 2023.

Quelle finalité de l’année 2023 pour la sécurité de l’Union européenne ?

Depuis le début de la dissuasion nucléaire, mais également depuis la fin de la Guerre Froide, les alliances s’intensifient pour pousser plus loin la coopéra�on, l’interopérabilité et la sécurité. Bon nombre d’organisa�ons interna�onales réalisent ce genre d’opéra�ons. L’Organisa�on de Coopéra�on de Shanghai, bien qu’elle ne semble pas portée sur les espaces mari�mes, propose elle aussi un main�en de la sécurité de sa zone, comme « Mission de paix 2021 » avec ses huit membres permanents¹¹, ou, plus anciennement, des exercices sino-russes sous couvert de l’OCS¹², déjà appelés « Mission de paix » en 2005. Ils avaient pour but d’agir dans la lu�e contre le terrorisme. L’Union africaine avance également dans ce sens, notamment avec l’Union européenne-même et son exercice Amani Africa en 2010. Ainsi, il semble effec�vement judicieux pour l’Union européenne de persévérer dans ces exercices conjoints pour ne pas prendre de retard au niveau défense et sécurité.

L’intérêt repose donc sur une capacité de déploiement rapide au sein de la boussole stratégique de l’Union européenne, laquelle se doit d’être opéra�onnelle dès l’année prochaine. En développant de plus en plus de scenarii en temps réel, les soldats peuvent approfondir les opéra�ons de sou�en, en milieu complexes : les espaces mari�mes. Le choix astucieux des différents types d’engins, comme le Puma avec le Cougar, provient en réalité de missions déjà réussies précédemment, comme lors des aides humanitaires aux An�lles au moment de la catastrophe naturelle Irma, un ouragan dévastant l’île en 2017.

In fine, ces exercices démontrent un réel besoin d’adaptabilité de la puissance européenne. Malgré tout, au vu du nombre de membres de l’Union, il convient de comprendre la difficulté de mise en place de ges�on de crise de ce�e ampleur. Alors que la

capacité de déploiement rapide se doit d’être opéra�onnelle en 2025, l’Union européenne saura-telle sa�sfaire par ses résultats en cas de conflit prochain ?

NOTES (1) STROOBANTS Jean-Pierre, « M. Juncker relance l’idée d’une armée européenne », Le monde, 10 mars 2015 (propos prononcés le 5 mars 2015) (2) FRANC Claude, « Histoire militaire – L’échec de la Communauté européenne de défense (1951-1954), ou l’impossible Europe de la défense », Revue Défense Na�onale, 2015/9 (N° 784), p. 121-123. DOI : 10.3917/rdna.784.0121.

(3) LAGADEC Patrick, Cellules de crise : les condi�ons d’une conduite efficace, Paris, Les édi�ons de l’organisa�on, 1995 (4) GOMART Thomas, Guerres invisibles, édi�on Thallandier, 2021, 336 pages (5) Exercice Air Defender 23 (6) VIEILLARD-BARON Tugdual, « Lu�er contre les rétroac�ons sur le territoire na�onal : quel rôle pour la Gendarmerie na�onale ? », Revue Défense Na�onale, 2023/HS13 (N° Hors-série), p. 175-188.

DOI : 10.3917/rdna.hs13.0175.

(7) Cita�on du service diploma�que de l’Union européenne, dans Mer et Marine, GROISELEAU Vincent, « L’Union européenne pilote son premier exercice militaire », 18 octobre 2023 (8) Discours prononcé devant le Na�onal Press Club, Washington, 30 avril 1952 (9) L’invasion a, en effet, commencé le 24/02/2022.

(10) Conseil européen, Infographie – une boussole stratégique pour l’UE, mise à jour le 19 avril 2023, (11) L’Iran n’intégrant l’organisa�on qu’en 2022.

(12) FACON Isabelle, « L'Organisa�on de coopéra�on de Shanghai. Ambi�ons et intérêts russes », Le Courrier des pays de l'Est, 2006/3 (n° 1055), p. 26-37.

DOI : 10.3917/cpe.063.0026.m

Exercice MILEX-23 sur la base navale de Rota @Diaro de Cadiz

DÉFENSE

Russie & OTAN La Russie face à la montée de l’OTAN dans l’Arctique Par Artus DE VIVIE - FDNU

Le brise-glace nucléaire russe Pavel Lvov « ouvre » l’Arc�que ©RiaNovos�

L’IMPORTANCE STRATÉGIQUE DE LA RÉGION POUR LA RUSSIE Après l’humilia�on de la chute de l’URSS, la Russie perçoit l’Arc�que comme un lieu de réaffirma�on de son pres�ge et de son statut de grande puissance.

Dans la révision de la poli�que étrangère russe de 2023, il est dit que l’Arc�que représente la deuxième priorité régionale de la Russie, juste derrière « l’étranger proche ». Le pays le plus vaste du monde aspire donc à consolider le pays en relançant le développement économique et militaire de l’Arc�que, la région devenant une priorité na�onale. Tout d’abord, Moscou souhaite faire de la Route Mari�me du Nord un axe majeur de son développement économique. En effet, Vladimir Pou�ne voit dans cet 66 - Revue TB N°7

axe un instrument de désenclavement lui perme�ant de s’affirmer comme puissance mari�me en ouvrant ce�e voie au commerce mondial. Ce passage perme�rait à Moscou de valoriser les ressources naturelles du Grand Nord, extrêmement abondantes.

La Russie souhaite capitaliser sur ce�e richesse en développant de vastes projets d’extrac�on d’hydrocarbures, le pays voulant faire de la région une base de ressources stratégiques.

Pour défendre cet espace stratégique et assurer l’intégrité de ses fron�ères arc�ques, clé de voûte de sa dissuasion nucléaire face à une augmenta�on des menaces, Moscou poursuit ses objec�fs de militarisa�on. En effet, ce�e région polaire est un élément clé de la dissuasion nucléaire russe, l’Arc�que étant le point du globe le plus proche pour frapper les

États-Unis. La péninsule de Kola accueille ainsi deux �ers des ogives nucléaires russes, la plupart des sousmarins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et un vaste arsenal de défense an�-aérienne et an�-navire.

L’Arc�que est aussi un axe de projec�on perme�ant à la flo�e du Nord et aux sous-marins nucléaires russes d’accéder à l’océan Atlan�que via le passage mari�me entre le Groenland, l’Irlande et le Royaume-Uni (GIUK).

Ainsi, la Russie doit contrer la présence occidentale pour préserver sa souveraineté na�onale dans la région et dissuader tout agresseur poten�el.

VERS UN RENFORCEMENT DE LA FAÇADE NORD DE L’OTAN… La guerre en Ukraine a réveillé l’OTAN, qui était jusqu’ici « en état de mort cérébrale ». Longtemps considéré comme un front oublié, les alliés prennent brusquement compte de l’importance stratégique de l’Arc�que (et des enjeux vitaux que la région représente pour Moscou), en envisageant la région en théâtre de confronta�on poten�el avec la Russie. Par conséquent, l’OTAN affirme vouloir réinves�r ce�e région, désormais plus accessible que jamais avec l’adhésion (poten�elle) de la Suède et de la Finlande.

En effet, Washington prend de plus en plus conscience de la pression russe dans la région qui menacerait les intérêts stratégiques américains, à savoir la possibilité d’une a�aque sur les États-Unis, le défi à l’ordre interna�onal basé sur les règles de la Route Mari�me du Nord et la possibilité d’un débordement stratégique. Ce�e inquiétude est renforcée par le rapprochement entre Moscou et Pékin dans la région (la Route Mari�me du Nord s’inscrit dans les nouvelles routes de la soie chinoise, Pékin s’étant proclamé comme na�on « quasi-arc�que »), les deux principaux rivaux des États-Unis. En août 2022, Biden a annoncé la créa�on d’un nouveau bureau de stratégie arc�que au Pentagone qui prône un retour des États-Unis dans la région, fortement délaissée depuis la chute de l’URSS. Sur le plan intérieur, cela se traduit par la

construc�on d’infrastructures stratégiques et le renforcement des capacités civiles et militaires dans le Grand Nord et l’augmenta�on du nombre de gardecôtes et de la flo�e de brise-glace. Sur le plan extérieur, ce�e stratégie arc�que vise à approfondir la coopéra�on avec les alliés, et plus par�culièrement les pays arc�ques de l’OTAN tels que la Finlande, afin de dissuader une agression russe dans la région et créer un environnement sécuritaire sur le flanc Nord de l’alliance. En Alaska, le gouvernement agrandit et modernise le port de Nome pour accueillir les navires américains. Les forces américaines prévoient également des inves�ssements sur la base de Thulé au Groenland, qui a récemment accueilli des F-35 pour la toute première fois.

Mais les États-Unis ne sont pas les seuls à désirer renforcer leurs postures en Arc�que et plusieurs partenaires mul�plient les accords sécuritaires avec l’oncle Sam. Rien que pour le mois de décembre 2023, la Finlande, le Danemark et la Suède ont signé des accords de coopéra�on de défense, ouvrant ainsi 39 bases à l’armée américaine. Mais les autres pays de l’OTAN souhaitent également augmenter leur présence na�onale pour sécuriser leur flanc nord et contrer la Russie. De plus en plus de voix s’élèvent pour créer un Commandement Arc�que de l’OTAN afin de garan�r la dissuasion dans la région. Le 24 août 2022, le secrétaire Jens Stoltenberg a déclaré que l’alliance augmentait sa présence dans le Grand Nord, réaffirmant la volonté d’engagement dans la région. En effet, de nombreux alliés inves�ssent dans des capacités aériennes et mari�mes, notamment le Canada qui a décidé d’augmenter ses dépenses militaires de 10 milliards de dollars depuis le 24 février 2022, ce qui comprend une modernisa�on de ses systèmes de radars pour mieux détecter les missiles hypersoniques russes ainsi que des avions de surveillances capables de localiser les sous-marins, qui devraient être livrés en 2032. Le Danemark inves�t 200 millions pour renforcer ses capacités militaires en Arc�que et envisage de déployer des satellites et des

Alaska, exercice Arc�c Edge 2022, armée américaine et canadienne joignent leurs forces ©USNC

drones de surveillance. Enfin, la Norvège inves�t dans une base de lancement spa�al et souhaite aussi lancer des satellites de surveillance en 2024.

…ACCÉLÉRÉ PAR L’ADHÉSION DE LA SUÈDE (POTENTIELLE) ET DE LA FINLANDE À L’OTAN L’invasion de l’Ukraine a poussé la Finlande et la Suède, en première ligne face à Moscou, à demander leur adhésion à l’OTAN. Ce�e intégra�on de deux pays arc�ques renforce considérablement la posture de l’alliance atlan�que sur sa façade polaire, avec un doublement de la fron�ère entre la Russie et l’OTAN, menaçant fortement les intérêts russes dans la région.

En effet, en raison de leur histoire tumultueuse avec la Russie, les deux pays se sont longtemps préparés à un conflit contre le géant russe, au point de baser l’en�èreté de leur doctrine militaire dans le but de dissuader une agression à l’Est. La Finlande possède la première force d’ar�llerie d’Europe et d’un vaste réservoir humain. Ainsi, en cas de guerre, Helsinki qui dispose d’une tradi�on de conscrip�on obligatoire peut rapidement mobiliser 280 000 hommes et compter sur un million de réservistes (plus que la France, l’Allemagne et l’Italie réunies). L’armée suédoise dispose d’une avia�on de pointe ainsi que d’une flo�e de sous-marins en pleine modernisa�on.

De plus, les deux armées inves�ssent massivement depuis la guerre en Ukraine dans leurs forces aériennes, afin qu’elles puissent comba�re aux côtés de leurs alliés de l’OTAN. En 2026, la Finlande recevra son premier lot de F-35, la région accueillera alors la deuxième plus grande concentra�on de F-35 au monde derrière l’Alaska.

Par conséquent, ce�e adhésion de Helsinki met fin à l’isolement géographique (même si des accords militaires existaient avant l’intégra�on) des pays du Nord, leur offrant une profondeur stratégique qui se traduit par l’u�lisa�on d’un nouveau corridor de transit militaire par la Norvège via la Laponie Finlandaise. Quoi qu’il en soit, les espoirs d’une offensive russe pour a�eindre les côtes de la Norvège et sécuriser sa fron�ère arc�que sont sérieusement diminués, une telle invasion de la Finlande pouvant maintenant déclencher l’ar�cle 5 de l’OTAN. Mais ce�e adhésion menace aussi la Russie sur le plan défensif. À terme, Moscou craint que l’OTAN finisse par sta�onner des installa�ons de renseignement, des missiles et même des armes nucléaires à la fron�ère finlandaise.

En effet, l’armée russe doit maintenant prendre en compte le danger d’une opéra�on militaire de l’OTAN, qui met en péril le flanc nord-ouest de la Russie sur une longue fron�ère qui s’est agrandie de 1 340 km, extrêmement difficile à sécuriser (bien que ce�e agression soit peu probable, risquant d’entraîner une réponse nucléaire russe). Une telle opéra�on viendrait directement menacer la péninsule de Kola, clé de voûte de la dissuasion nucléaire russe et de sa sécurité

na�onale à un moment où la Russie est vulnérable. La dégrada�on des forces conven�onnelles russes en Ukraine incite encore plus la Russie à s’appuyer sur ses forces nucléaires, augmentant l’importance de ce secteur à ses yeux (plusieurs bombardiers stratégiques ont ainsi été déplacés au nord de la péninsule). C’est aussi ici que se trouve le port de Mourmansk, le seul à ne pas geler, perme�ant la projec�on des forces russes dans l’océan Atlan�que via le canal de GIUK. C’est dans ce port qu’est basée la flo�e du Nord, qui comprend les sous-marins lanceurs d’engins, garan�ssant une capacité de seconde frappe, ainsi que divers bâ�ments (sous-marins d’a�aque et navires de surface) contribuant à l’interdic�on des convois de renfort américains en direc�on de l’Europe. L’intégra�on de la Finlande à l’OTAN menace aussi la route régionale reliant Saint-Pétersbourg à Mourmansk de 1 592 km, qui pourrait être bloquée par les forces de l’OTAN, empêchant l’approvisionnement de la péninsule de Kola. Enfin, l’adhésion de la Suède (poten�elle) et de la Finlande ferait en sorte que la Russie soit face à sept pays membres de l’OTAN (Canada, Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède et États-Unis) au Conseil de l’Arc�que. Tous les pays du Conseil seraient ligués contre Moscou et l’espace arc�que s’intégrerait dans l’architecture sécuritaire nord-atlan�que (me�re plus haut). Le risque serait alors une militarisa�on du Conseil Arc�que contre la Russie.

UN CONSTAT QUI RESTE À RELATIVISER Malgré ce constat qui semble bien sombre pour Moscou, rappelons que les forces navales russes restent dominantes en Arc�que, et con�nueront à menacer l’OTAN sur le court et moyen terme. En effet, malgré les désirs des pays de l’alliance de s’étendre dans l’OTAN, l’alliance ne dispose pas encore de véritable stratégie arc�que et ils ne possèderont pas avant un certain temps des capacités nécessaires pour contrebalancer la puissance russe dans la région. Les

Suède et Finlande dans l’OTAN, opportunités mais défis majeurs ©USNC

Par ses moyens déployés et son importance pour la Russie, le rapport de force sera difficile à contrebalancer pour l’OTAN dans la région arc�que

États-Unis tentent de ra�raper leur retard en construisant des brise-glace, ces derniers n’en possédant que deux (sujets aux pannes et aux incendies) contre quarante-quatre pour la Russie. Les infrastructures arc�ques américaines restent limitées, et les condi�ons clima�ques extrêmes sont une contrainte majeure pour les Occidentaux, limitant leurs capacités à mener des opéra�ons durables.

De plus, face à la montée de ce�e menace, la Russie pourrait mul�plier les manœuvres dites « hybrides » afin de défendre ses intérêts dans la région, au moins à court terme. De telles a�aques perme�ant de ne pas franchir de ligne rouge d’une invasion terrestre ou de frappes et ainsi d’éviter une confronta�on directe avec l’OTAN. Ces a�aques hybrides offrent ainsi la possibilité de nier ces dernières, offrant à l’agresseur un avantage asymétrique et en infligeant un maximum de dégât à ses adversaires. Depuis l’invasion de l’Ukraine, nous assistons à une mul�plica�on de ces a�aques, qui prennent diverses formes, telles que le ciblage d’infrastructures sensibles difficiles à surveiller, des manipula�ons migratoires, des cybera�aques, des brouillages ou bien de la collecte de données de renseignement via des moyens non conven�onnels.

L’Église orthodoxe est ainsi u�lisée comme plateforme pour mener des opéra�ons d’espionnage : au cours de la planifica�on d’une visite d’ami�é de prêtes orthodoxes russe d’un village frontalier à la Norvège, ces derniers ont montré un intérêt suspect pour l’approvisionnement en eau de la région, entraînant l’annula�on de ce voyage par les autorités locales.

UNE COLLABORATION DE LA FDNU FÉDÉRATION POUR LA DIPLOMATIE ET LES NATIONS UNIES

Le SNLE de classe Boreï est le garant de la dissuasion nucléaire russe deux sont déployés au sein de la flo�e du Nord, un 3e le « Prince Pozharsky » sera transféré en 2024

Revue TB N°7 - 69

HISTOIRE

Choc civilisationnel et processus de paix Le cas de la BosnieHerzégovine Par Johann LEMPEREUR - Sécurité & Défense, analyste au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Les accords de Dayton (1995), Serbie, Croa�e, Bosnie, Espagne, Etats-Unis, France, Allemagne, Russie, Grande-Bretagne ©NATO

L’actualité de ces dernières années nous a défini�vement montré que, contrairement aux enseignements de Fukuyama, l’Histoire n’était pas finie.

Dans le Haut-Karabagh, l’invasion militaire des troupes azéris et l’épura�on culturelle de la région ont entraîné le rapprochement de l’Arménie chré�enne avec l’Occident face à l’Azerbaïdjan musulman, proche de la République islamique d’Iran. En Israël, l’a�entat du 7 octobre par le Hamas, organisa�on terroriste islamiste, est venu rappeler que la cohabita�on des deux États sur une seule et même terre semble 70 - Revue TB N°7

compromise par les �rs de kalashnikov. Tous ces conflits larvés, ces massacres de civils ainsi que ces affrontements et ces ne�oyages ethniques, sont tant d’agressions qui alimentent une rancœur mutuelle incompa�ble avec une entente durable. La ques�on du difficile processus de paix entre des cultures si opposées, qui nous amènerait presque à relire Le choc des civilisa�ons de Hun�ngton, est la ques�on qui aura animé les rela�ons interna�onales de ce premier quart de siècle. Il paraît dès lors u�le de se re-pencher sur le cas de la pacifica�on de la Bosnie-Herzégovine qui eut

lieu il y a plus de vingt-cinq ans, mais dont les blessures ne paraissent toujours pas totalement refermées.

De 1991 jusqu’à sa destruc�on finale en 2003, la Fédéra�on yougoslave fut le terrain de tensions et d’affrontements d’une extrême violence, dont leur apothéose eut lieu durant les guerres appelée aujourd’hui guerres de l’ex-Yougoslavie. Le 21 novembre 1995, après plus de trois ans de conflits, les accords de Dayton (dans l’Ohio) perme�ent de me�re un terme au conflit sanglant qui déchirait les peuples de Bosnie-Herzégovine. Signé le 14 décembre à Paris, cet accord de paix met fin à une guerre où plus de 100 000 personnes ont perdu la vie et dont la moi�é étaient de simples civils¹.

LA YOUGOSLAVIE, UNE NATION DE NATIONS En 1945, le pays sort victorieux de la Seconde guerre mondiale et, sous l’égide de son libérateur Josip Broz Tito, devient un État communiste². Précédemment nommée « Royaume des Serbes, Croates et Slovènes », la République fédéra�ve socialiste de Yougoslavie est un État mul�culturel situé dans les Balkans et dont le nom lui-même, « Yougoslavie », signifie étymologiquement « le pays des Slaves du Sud ». Ce�e fédéra�on comporte en son sein six Républiques différentes : la République populaire de Serbie, la République populaire de Croa�e, la République populaire de Slovénie, la République populaire de Bosnie-Herzégovine, la République populaire de Macédoine et la République populaire du Monténégro³.

Aussi, la diversité des origines ethniques et religieuses des yougoslaves rend le recensement très complexe. Dans la fédéra�on sont reconnus six groupes différents : les Serbes, les Croates, les Slovènes, les Macédoniens, les Monténégrins et un sixième groupe qualifié de « Yougoslaves nonspécifiés ». La République de Bosnie Herzégovine était donc la seule République fédérée à ne pas posséder de groupe na�onal propre. En se basant sur le

recensement de 1953, les Yougoslaves se déclarant Serbes sont majoritaires (7 066) et les Croates sont les seconds plus nombreux (3 976). La religion majoritaire du peuple yougoslave est la religion chré�enne (75 %), dont 45 % se revendiquaient orthodoxes et 30 % se disaient du catholicisme, tandis que seuls 17 % des habitants étaient musulmans. Sur le territoire bosnien, sur les 2 825 personnes recensées, 1 264 se disaient Serbes (45 %), 654 Croates (23 %) et 892 se disaient Yougoslaves non-spécifiés (31 %)⁴. Aussi, au début des années 1990 soit peu avant le conflit, la religion majoritaire en Bosnie était l’islam avec environ deux millions (46 %) d’habitants se réclamant de celle-ci⁵.

MAINTENIR LA PAIX SOCIALE D’UNE MAIN DE FER Ainsi, malgré les différences ethniques, na�onales et religieuses, la Yougoslavie rappelait le principe d’égalité totale de ses citoyens pour éviter le retour de l’« hégémonie grand-serbe » du Royaume de Yougoslavie (1918-1941)⁶. Tito, par son charisme, son pouvoir autoritaire et sa popularité auprès des peuples, surtout en Bosnie-Herzégovine, a su maintenir l’équilibre de la fédéra�on jusqu’à sa mort le 4 mai 1980. Ses obsèques furent grandioses et rassemblèrent plus de 500 000 personnes pendant deux jours à Belgrade⁷.

Une fois ses funérailles achevées, les rela�ons entre les Républiques fédérées se sont très rapidement détériorées, effritant le système fédéral et autonomisant de ce fait les Républiques. L’arrivée au pouvoir de Slobodan Milošević en 1986 marqua le point de rupture final à tout espoir de fédéralisme. Ce dirigeant d’origine serbe abandonnait la ligne poli�que pluri-na�onale pour une poli�que na�onaliste pro-serbe plus hégémonique. Sa tenta�ve de recentralisa�on de la Fédéra�on autour de Belgrade ne réussit qu’en Serbie, au Monténégro, en Voïvodine et au Kosovo. Face au retour de ce�e hégémonie serbe, la Slovénie, la Croa�e et la Macédoine déclarèrent leur indépendance (qui était

Revue TB N°7 - 71

Soldats bosniaques lors de la bataille de Sarajevo ©Ron Haviv

autorisée par la Cons�tu�on) en juin 1991, suivi de la Bosnie-Herzégovine en 1992. Ce�e décision entraîna alors les premiers actes de guerre⁸. Durant ces affrontements, les combats eurent lieu en Croa�e et en Bosnie, et bien que la Serbie soit un des belligérants, son territoire fut épargné des destruc�ons⁹.

Tandis que les Républiques déclaraient leur indépendance, le na�onaliste Milošević cherchait alors à réunir les Serbes en une seule na�on. À ce�e époque, près de 30 % des Serbes vivaient hors de la Serbie¹⁰. Et si lors de la sécession de la BosnieHerzégovine les popula�ons serbes décident de boyco�er les référendums, 62,78 % des habitants s’étaient tout de même prononcés pour l’indépendance de la République¹¹. Se formèrent alors trois en�tés serbes disséminées sur l’ancien territoire yougoslave : la République fédérale de Yougoslavie (RFY) en Serbie, la République de Krajina serbe (RSK) en Croa�e et la Republika Srpska (RS) en BosnieHerzégovine¹².

DES COMBATS D’UNE EXTRÊME VIOLENCE Lorsque la Communauté européenne reconnaît l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine le 6 avril 1992, les premiers combats commencent à secouer le pays.

« Le lieu le plus symbolique de cette violence est la ville bosnienne de Srebrenica, sous le siège des forces serbes depuis le début du conflit. » 72 - Revue TB N°7

Le lendemain de ce�e reconnaissance, la République serbe de Bosnie-Herzégovine est elle-aussi proclamée près de Sarajevo et Radovan Karadzic en devient son président. Très vite, les Serbes se mobilisent. L’armée yougoslave, affaiblie par les différentes sécessions, est obligée d’être accompagnée au niveau local par des milices citoyennes¹⁴. L’État emploi aussi des hooligans serbes pour former des groupes armés, dont le plus connue est l’Étoile rouge, aux ordres de Zeljko Raznatovic, alias Arkan. Du côté Bosnien, les forces militaires reposent essen�ellement sur des milices locales car les con�ngents de bosniaques de l’armée yougoslaves furent pour la plupart neutralisés de manière préven�ve avant le conflit¹⁴.

Or, du fait de la fron�ère floue qui existaient entre les milices citoyennes et les civils innocents, de nombreuses et d’atroces exac�ons eurent lieu de part et d’autre des deux camps. La volonté des Serbes de réunir leurs compatriotes dans un seul pays et d’expulser les autres popula�ons étrangères les a amenés à pra�quer un véritable « ne�oyage ethnique »¹⁵. Selon les Na�ons unies, ce terme qualifie la volonté de « rendre une région homogène par l’u�lisa�on de la force ou l’in�mida�on ». Pour procéder de la sorte, la Yougoslavie agissait systéma�quement en suivant le même schéma. Après le siège d’une ville par l’armée et par les milices, tous les signes d’appartenance au groupe discriminé sont détruits. Ensuite, l’occupa�on est rude, intransigeante et d’une violence inouïe envers les popula�ons que l’on souhaite faire par�r. Pour arriver à vider des lieux, les forces militaires n’hésitent pas à comme�re des violences physiques telles que des viols, des pillages, des déporta�ons ainsi que des meurtres¹⁶.

Le lieu le plus symbolique de ce�e violence est la ville bosnienne de Srebrenica, sous le siège des forces serbes depuis le début du conflit. Ce�e ville fut l’une des cinq « zones de sécurité » instaurées par l’ONU : les popula�ons, en échange de leur désarmement,

étaient placées sous l’égide des forces interna�onales.

Pourtant, le 6 juillet 1995, un assaut des forces serbes est lancé face auquel les troupes des Casques bleus reculent sans opposer de résistance, laissant les Bosniaques se défendre avec le peu d’armes qui leur restait sur place. Le 11 juillet, pour tenter de briser le siège, 15 000 hommes bosniens s’élancent en dehors de la ville pour tenter de s’enfuir, tandis que les femmes et les enfants restés sur place se rendirent aux serbes qui leurs avaient promis clémence. Cependant, tous les hommes de plus de 16 ans restés sur place furent fusillés dans les environs de la ville et au total plus de 8 000 Bosniaques furent tués du 13 au 16 juillet 1995¹⁷. « Les guerres balkaniques, soulignait le Premier ministre grec, ont fait remonter à la surface l’écho des vieux liens entre orthodoxes. Ils étaient enfouis, mais avec l’évolu�on récente des Balkans, ils reprennent corps. Dans un monde très changeant, les peuples sont en quête d’iden�té et de sécurité. Ils se cherchent des racines et des rela�ons qui pourraient les protéger contre l’inconnu. » - Hun�ngton Samuel, Le choc des civilisa�ons, 1997

LA RÉACTION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE Suite à la violence des a�aques, la communauté interna�onale a vivement réagi. Les na�ons d’Europe de l’Ouest ont d’abord cherché à gérer le conflit seuls, chose que les États-Unis semblaient accepter dans un premier temps, plutôt occupés à guerroyer en Irak.

Mais l’Union européenne (UE) était divisée entre deux visions : une vision allemande promouvant l’indépendance intégrale des na�ons faisant sécession et une vision française plus modérée. Des premiers accords sont négociés sous l’égide de la Communauté européenne pour l’indépendance de la Slovénie, incluant aussi un cessez-le-feu temporaire entre la Croa�e et la Yougoslavie serbe. Ce traité permit à la jeune na�on indépendante de sor�r du conflit après seulement quelques combats. Mais la Serbie n’accepta de signer ce traité uniquement pour mieux se préparer à une invasion de la Croa�e une fois le délai du cessezle-feu impar�¹⁸. L’UE, qui voit alors ressurgir la guerre à ses portes, s’engage dans une vive poli�que de média�on diploma�que. Pourtant, bien que sincèrement engagée dans la résolu�on du conflit, elle est très vite ra�rapée par la volonté belliciste américaine. En 1992, les premières images des massacres sont relayés par la presse et, en pleine campagne électorale, le Président Clinton promet de « bombarder les Serbes » – ce qui sera le cas le 10 et 11 avril 1994 lors des premiers �rs de l’histoire de l’OTAN¹⁹. L’UE s’efface donc derrière l’OTAN jusqu’en 2004, moment où elle prend la relève avec l’opéra�on de main�en de la paix Althéa qui mobilise jusqu’à 7 000 hommes.

Une bonsique à Sarajevo surveille un service funéraire ©Ron Haviv

Ainsi, après des opéra�ons militaires onusiennes aux conséquences désastreuses et l’interven�on armée tardive de l’OTAN, la paix est signée le 14 décembre 1995 à Paris. Dès 1993, différents plans de paix sont proposés. En même temps des enquêtes de terrain pour définir les différents découpages ethniques des provinces de la nouvelle Bosnie-Herzégovine indépendante, des premières enquêtes sont faites pour définir le rôle des Serbes dans le ne�oyage ethnique dans la région. Finalement, en raison des bombardements de l’OTAN, les différentes Serbies acceptent la paix par la voix de Slobodan Milošević. La Bosnie-Herzégovine, créée par cet accord, se retrouve alors divisée en deux régions autonomes, une croatomusulmane (51 % du territoire) et une serbe (49 % du territoire)²⁰.

UNE PAIX DURABLE ?

Pour entériner la paix après une guerre si atroce, il était dit que les criminels de guerre devaient être jugés. Dès 1993, le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) est établi. Avec un budget de 100 millions de dollars par an et plus d’un millier d’employés de diverses na�onalités²¹, il a eu pour mission de juger 161 personnes, dont Slobodan Milošević (arrêté le 1er avril 2001). La cavale du dernier criminel recherché s’est arrêtée en 2011 et le tribunal a été dissous en 2017. Accusé d’être par�al et d’être vic�me des poli�ques de son temps, le tribunal a duré plus de temps qu’il n’aurait dû, laissant un sen�ment plutôt Revue TB N°7 - 73

mi�gé au sein des popula�ons de Bosnie²². La média�sa�on de l’audi�on de Milošević a même été perçue par certains comme une tribune pour partager sa vision biaisée de la guerre au grand public. Mais sa mort précoce mit un terme abrupt à son procès²³.

Pourtant, bien que la paix ait été a�einte, le modèle à deux régions autonomes pose un problème d’unifica�on. Le par� na�onaliste de la Republika Srpska, dirigé par Milorad Dodik, cherche à encourager la sécession de la république serbe. En encourageant la créa�on d’une armée pour chacune des républiques, il semble essayer d’acquérir une autonomie totale pour le peuple serbe, et ainsi engager un processus de sépara�sme. Depuis 2018, celui-ci est le représentant serbe à la présidence de la République de Bosnie-Herzégovine, poste qu’il doit partager avec un collègue d’origine bosniaque et un autre d’origine croate, afin de former un triumvirat, qui fonc�onne difficilement.

« Pourtant, bien que la paix ait été atteinte, le modèle à deux régions autonomes pose un problème d’unification. » Même s’il est connu de tous les habitants bosniens que les dirigeants serbes enchaînent les déclara�ons sécessionnistes peu avant les élec�ons pour enivrer leurs électeurs – ce qui fut le cas encore une fois en 2022 – le risque d’éclatement semble cependant augmenter année après année et trouver un accueil de plus en plus favorable auprès des popula�ons serbes de Bosnie, démoralisées car confrontés à un chômage touchant 30% de sa popula�on.

CONCLUSION Malgré une unifica�on réussie grâce à la main de fer de Tito, la Yougoslavie n’a pas pu empêcher les diverses ethnies et les diverses religions de déclarer leurs indépendances au début des années 1990. Ce�e nouvelle guerre en Europe aurait pu être l’occasion pour la Communauté européenne de montrer sa capacité de ges�on de crise. Or, le résultat fut très limité et permit à la Serbie de gagner du temps pour entamer une reconquête, plus violente, des territoires sécessionnistes. L’interven�on de l’OTAN ne fut pas plus glorieuse. Si elle permit de me�re un terme au combat, l’alliance fut coupable de très nombreux bombardements destructeurs et meurtriers. Le rôle de l’ONU apparaît lui aussi complètement controversé. En se re�rant sans comba�re de Sarajevo, zone dont elle avait déclaré la neutralité et qu’elle avait placée sous sa protec�on, l’ONU a laissé se dérouler un massacre de civils dont les historiens con�nuent encore aujourd’hui de mesurer l’importance. Enfin, les accords de paix de Dayton ne perme�ent aujourd’hui pas d’envisager pleinement une paix pérenne. La volonté des Serbes de Bosnie-Herzégovine d’être ra�achés à la Serbie n’est pas assouvie et leur intégra�on dans le pays ne semble pas fonc�onner dû à la sépara�on en deux républiques complètement autonomes au sein d’un seul même pays. Alors, il apparaît plus clair maintenant pourquoi en octbre 2023 à Mostar, en plein milieu du territoire bosnien, on y trouvait à la fois un drapeau pales�nien sur le vieux pont de la par�e orientale musulmane de la ville tandis qu’on y soutenait Israël dans la par�e occidentale.

Défilé des forces de police de la République serbe de Bosnie © AP Photo/Radivoje Pavicic

NOTES (1) Courmont Barthelemy, La guerre, Armand Colin, 2007.

(2) Gossiaux Jean-François, « La Yougoslavie, des empires à l’État-na�on », Presses Universitaires de France, 2002.

(3) Cons�tu�on Yougoslave, Ar�cle 1, 1953.

(4) Castellan Georges, « Aspects de la poli�que des na�onalités dans la Fédéra�on socialiste yougoslave », Revue française de science poli�que, vol. 10, n° 1, 1960, p. 83-106.

(5) Clayer Nathalie, « Les musulmans des Balkans.

Ou l’islam de “l’autre Europe” », Le Courrier des pays de l’Est, n° 1045, 2004, p. 16-27.

(6) Batakovic Dusan T., « Serbie : Restaurer notre histoire », Outre-Terre, n° 12, 2005, p. 221-227.

(7) Szerbhorváth György, « Les funérailles de Tito, glas de la Yougoslavie », dans J. Foa, É. Malamut, & C. Zaremba (Éds.), La mort du prince : De l’An�quité à nos jours (p. 309-332). Presses universitaires de Provence, 2021.

(8) Garde Paul, « Varia�ons de l’État na�onal : le cas yougoslave. (Septembre 1994) », dans Fin de siècle dans les Balkans, Odile Jacob, 2001.

(9) Ibid.

(10) Castellan Georges, op. cit.

(11) Courmont Barthelemy, op. cit.

(12) Garde Paul, op. cit.

(13) Bougarel Xavier, « Chapitre II. Les dynamiques internes du conflit » dans Bosnie, anatomie d’un conflit, La Découverte, 1996.

(14) Dérens Jean-Arnalut, « L’éclatement de la Yougoslavie a-t-il commencé dans les stades ? », Confluences Méditerranée, n° 50, 2004, p. 131-140.

(15) Garde Paul, op. cit.

(16) Tanner Samuel, « Saisir la violence de masse : Le ne�oyage ethnique en Bosnie et l’apport d’une perspec�ve locale et d’une approche de réseau », Déviance et Société, n° 31, 2007, p. 235-256.

(17) Dérens Jean-Arnalut et Samary Catherine, Les 100 Portes des Conflits Yougoslaves, Édi�ons de l’Atelier, 2000, p. 270-275.

(18) Kandel Maya, « La communauté interna�onale face à la guerre de Bosnie. D’une logique mul�latérale à une logique de puissances », Rela�ons interna�onales, n° 175, 2018, p. 123-136.

(19) Ibid.

(20) Dérens Jean-Arnalut et Samary Catherine, op. cit.

(21) Kutnjak Ivkovich, Sanja et Hagan John, « La poli�que de puni�on et le siège de Sarajevo. Vers une applica�on de la théorie du conflit à la percep�on d’une (in)jus�ce interna�onale », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 173, 2008, p. 62-79.

(22) Ibid.

(23) Dérens Jean-Arnalut, « Le Tribunal pénal interna�onal pour l’ex-Yougoslavie : Une faillite annoncée ? », Poli�que étrangère, 2015, p. 25-37.

Ville de Mostar, Bosnie-Herzégovine ©Unsplash

GUERRE EN UKRAINE

Guerre en Ukraine

Comment en sortir ?

Par Alain MORSOF - Ancien diplomate

Faudra-t-il tout a�endre des États-Unis pour résoudre ce conflit en Europe? ©WH

Lorsque, le 24 février 2022, l’armée russe a envahi le territoire ukrainien, la sidéra�on de la plupart des commentateurs, des analystes a été propor�onnelle à l’incrédulité dont ils ont fait preuve jusqu’au dernier moment, malgré les signaux, les aver�ssements précis délivrés par les services de renseignement américains et britanniques.

Peu parmi eux pouvaient s’imaginer que la Russie, membre fondateur et permanent du Conseil de sécurité des Na�ons Unies, prendrait le risque de violer aussi effrontément la Charte.

Pourtant il y avait eu le précédent de la Crimée, annexée en mars 2014, et des « Républiques populaires » sécessionnistes de Donetsk et de Lougansk, sous perfusion russe. Mais la Crimée était considérée comme un cas par�culier, compte tenu des 76 - Revue TB N°7

condi�ons de son a�ribu�on à l’Ukraine par Nikita Khrouchtchev en 1954, et de la place qu’elle occupe dans le « roman historique russe ». Les deux républiques sécessionnistes relevaient à l’époque de ces « conflits gelés » dont la Russie semblait s’accommoder.

La percée des chars russes jusque dans la banlieue de Kiev a fait craindre que l’objec�f de Vladimir Pou�ne fût une annexion pure et simple de l’ensemble de l’Ukraine, crainte corroborée par plusieurs textes signés du Président russe sur « l’unité organique » des peuples russe et ukrainien.

La vaillante résistance de l’armée ukrainienne a invalidé ce calcul et l’armée russe s’est re�rée sur une ligne de front laissant du côté russe des territoires plus

La bataille de Bakhmut d’août 2022 à mai 2023, exemple d’une guerre d’usure

vastes que celui des seules républiques de DonetskLougansk.

Historiquement l’Ukraine est soumise à des influences opposées ; pour faire court, car la réalité, y compris chez certains Ukrainiens eux-mêmes, est complexe : d’un côté les régions proches de l’Europe centrale, à laquelle elles ont longtemps été ra�achées, les popula�ons, à Kiev notamment, se reconnaissent dans les modèles poli�ques, les valeurs de l’Occident, de l’autre la par�e orientale est beaucoup plus proche de la Russie poli�quement, culturellement.

Cet équilibre est fragile, le préserver suppose que la classe poli�que locale, les voisins, russes, polonais, l’occident partagent un sens du compromis malheureusement assez peu répandu.

« La question de l’élargissement de l’OTAN est un autre abcès de fixation des hostilités, qui a lui aussi suppuré selon un cercle vicieux de méfiance réciproque » Le mouvement de Maidan (novembre 2013 – février 2014), déclenché par la décision catastrophique de Viktor Yanoukovitch, à l’ins�ga�on de Moscou, de renoncer à l’accord d’associa�on avec l’Union Européenne, a emporté sur son passage toute idée de compromis avec la Russie et les régions russophones.

Les accords de Minsk, supposés déboucher sur une large autonomie des en�tés sécessionnistes, un peu sur le modèle bosniaque, se sont très vite enlisés dans des réunions stériles, des échanges d’accusa�ons de sabotage du processus.

La ques�on de l’élargissement de l’OTAN est un autre abcès de fixa�on des hos�lités, qui a lui aussi suppuré selon un cercle vicieux de méfiance réciproque : au narra�f russe d’un élargissement rendu caduc par la dissolu�on du pacte de Varsovie (et contraire aux engagements, vagues et jamais traduits dans des textes, de ne pas lancer ce processus au lendemain de

la chute du mur de Berlin) répond la crainte chez les ex-satellites externes ou internes de l’URSS, de voir l’occupant revanchard tenter d’inverser le cours de l’histoire. Les protesta�ons russes exprimées à chaque élargissement de l’Alliance atlan�que n'ont fait que confirmer ces craintes et conforter les pays d’Europe centrale et orientale, mais aussi les États-Unis, les milieux les plus « atlan�stes », dans leur volonté d’aller au bout de la démarche. L’Allemagne et la France, dans un premier temps, se sont montrées plus �èdes avant, au vu de l’agression russe, de se rallier au consensus favorable à l’adhésion de l’Ukraine (la déclara�on du sommet de Bucarest de 2008 reflète ce�e ré�cence franco-allemande ini�ale).

Vu de Moscou, l’idée que l’Ukraine orientale, y compris la Crimée et la base navale de Sébastopol devienne un territoire otanien est un point dur qu’il faudra inévitablement traiter lors d’hypothé�ques négocia�ons sur la sor�e de crise. Il est probable que Vladimir Pou�ne, la direc�on russe, avaient peu d’illusion quant à l’a�rac�vité d’une annexion « sèche » pour la majorité des Ukrainiens, leur calcul semble avoir été de profiter d’un effet de sidéra�on devant la percée ini�ale des troupes russes pour obtenir un changement de régime à Kiev et un engagement de neutralitleé à long terme de l’Ukraine.

Devant l’échec de ce projet, Moscou semble s’être raba�ue sur une formule de type : « OK, vous adhérez à l’OTAN (et à l’UE mais la sensibilité sécuritaire de ce�e adhésion est moindre) mais délestés de la composante russe de la na�on ukrainienne ».

DE LA FATIGUE À L’ÉPUISEMENT Presque immédiatement après le début des opéra�ons de l’armée israélienne autour et dans la bande de Gaza, en réac�on à l’intrusion et aux massacres perpétrés par le Hamas, les appels à un cessez-le-feu se sont mul�pliés.

L’a�aque russe contre l’Ukraine a, elle, été déclenchée il y aura bientôt deux ans; la ques�on d’un cessez-le-feu entre les deux belligérants a à peine été soulevée, pour être rejetée par l’Ukraine et le camp occidental.

Revue TB N°7 - 77

Or ce qui caractérise le théâtre ukrainien, c’est : • Des centaines de milliers de morts cumulés dans les deux camps, • Une incapacité de plus en plus flagrante à faire pencher le balancier de la « victoire » d’un côté ou de l’autre.

Quelles sont les objec�ons à l’instaura�on d’un cessez-le-feu, suivi (ou accompagné) de négocia�ons vers une sor�e de crise plus ou moins stable, « à la coréenne » ?

• Un cessez-le-feu validerait les gains territoriaux de la Russie, • Chaque belligérant a consen� trop de sacrifices pour se contenter d’un « retour à la case départ » (laquelle d’ailleurs ? Celle de février 2022 ou celle de mars 2014 ?)

• Mirage de l’accès aux armements « dernier cri » qui perme�raient enfin de punir l’armée russe ou de la révolu�on de palais qui remplacerait Vladimir Pou�ne par un hypothé�que dirigeant prooccidental.

Inversement, la « fa�gue ukrainienne » se fait de plus en plus sen�r, y compris chez les sou�ens majeurs de l’Ukraine tels que les États-Unis ou la Pologne. Il semble même que des signes de ce�e fa�gue apparaissent au sein de la direc�on et de la popula�on ukrainiennes. Sous la chape de plomb qui pèse sur le champ informa�onnel russe, nul doute que l’aspira�on à l’arrêt de « l’opéra�on spéciale » ne soit également forte. Le fait que Pou�ne ait écarté tout candidat pacifiste du scru�n présiden�el de mars prochain (pourtant gagné d’avance) et laissé fuiter son éventuel intérêt pour un cessez-le-feu, suggère qu’il est luimême conscient de ce�e aspira�on à me�re un terme à une guerre dont la logique échappe largement au Russe moyen.

On entend souvent dire que la clé est à Washington.

Faut-il a�endre passivement la décision américaine, voire voter Trump pour forcer le des�n de l’ouverture de négocia�ons ?

S’agissant d’un conflit qui se déroule sur le sol européen, l’Europe, la France doit-elle se contenter d’un strapon�n, d’un rôle de supplé�f et de commentateur ?

Dans une op�que gaullienne, la France devrait davantage être force de proposi�on. Quels sont les points à traiter par toute ini�a�ve poli�que ?

• Sauf à vitrifier la Crimée et à reconquérir un champ de ruines, il n’y a pas d’autre op�on que de la laisser côté russe ; aucun « maître du Kremlin », aussi « libéral » ou « pro-occidental » soit-il, ne renoncera à la Crimée.

• Les territoires de l’est, par contre pourraient être l’objet de négocia�ons ; on pourrait imaginer trois catégories : 1. Les territoires ra�achés à la Russie, 2. Ceux restant côté ukrainien, 3. Une zone « démilitarisée », bénéficiant d’un statut spécial, le cas échéant sous le parrainage ou le contrôle des Na�ons-Unies.

« Dans une optique gaullienne, la France devrait davantage être force de proposition. Quels sont les points à traiter par toute initiative politique ? » L’asser�on selon laquelle la Crimée et les républiques de Donetsk-Lougansk appar�ennent à l’Ukraine au regard du droit interna�onal est incontestable ; mais quand une réalité de fait s’ancre dans le temps, il devient irréaliste de ne pas en tenir compte ; certes il s’agit d’un temps rela�vement court mais rétrospec�vement ce�e brièveté rela�ve s’applique aussi aux territoires russophones a�ribués à l’Ukraine. Est-on certain que la reconquête de territoires « psychologiquement perdus » depuis longtemps soit un but de guerre obsessionnel des

La Russie accroît ses capacités, au front comme à l’arrière, les deux belligérants n’es�ment donc pas encore que la guerre est dans une impasse ©MDR

Les puissances européennes se sont effacés au profit de l’Union Européenne, mais ce sont les états qui devront garan�r la paix ©UE

dirigeants et de la popula�on ukrainienne ? Gérer le retour des « collaborateurs », « dé-russifier » ces régions est-il plus important que d’adhérer de manière accélérée à l’OTAN et à l’Union Européenne ?

Jusqu’en 2014, il s’était établi un équilibre entre les « lobes » ukrainien/occidental et russe/oriental du « cerveau ukrainien » ; en 2014 cet équilibre a été rompu, peu importe dans quelles condi�ons pour le sujet qui nous occupe. Les accords de Minsk ont été la dernière occasion de maintenir le lobe russe au sein de l’Ukraine. Contrairement à ce qu’on entend parfois, ces accords n’étaient pas qu’un gadget perme�ant de gagner du temps (au profit de qui ?). Après leur abandon (sans non plus aborder la ques�on de la responsabilité de cet abandon), un partage de l’Ukraine selon les lignes esquissées ci-dessus apparaît comme la moins mauvaise solu�on.

Ce�e ligne de démarca�on rappellerait irrésis�blement la guerre froide et créerait beaucoup de frustra�on côté ukrainien. L’ «Ukraine ukrainisante » trouverait donc sa consola�on dans son adhésion accélérée à l’OTAN et à l’UE, dans un effet d’exemplarité de son développement économique et démocra�que, selon un schéma RFA/RDA. Des ballons d’essai de type « paix contre territoires » ont déjà été lancés y compris par des noms pres�gieux ; pour être plus spécifique il faudrait sans doute parler aujourd’hui d’OTAN contre territoires. Cela même si ce�e adhésion dans un contexte de conflit territorial en suspens, poserait beaucoup de problèmes.

Il faudra sans doute ensuite une ou plusieurs généra�ons pour surmonter ce�e fracture, par une voie difficile à imaginer aujourd’hui.

La France a-t-elle la légi�mité, le poids nécessaire pour porter de telles idées ? L’accusa�on de Munich ou de russophilie resurgirait immédiatement si elle le faisait ; mais elle est toujours latente, même quand nous affichons un sou�en « jusqu’au-bou�ste » à l’Ukraine.

Où est le véritable courage ? Est-ce de signer des chèques de plus en plus astronomiques pour envoyer la fine fleur de la jeunesse ukrainienne (et russe) se faire tuer sur un front quasi-immobile, avec la bonne conscience de celui qui n’envoie aucune troupe au sol et qui préserve ainsi son confort social et poli�que ?

Ou d’appeler à se me�re enfin autour d’une table pour sor�r du bourbier ? La proximité géographique, linguis�que, ethnique entre les deux adversaires favorise de part et d’autre des frappes en profondeur, des « coups » aux objec�fs plus psychologiques que véritablement militaires, qui, sans véritablement modifier la donne stratégique, ajoutent des souffrances supplémentaires et préparent des décennies de haines recuites.

« Il faudra sans doute ensuite une ou plusieurs générations pour surmonter cette fracture, par une voie difficile à imaginer aujourd’hui. » Il y aura aussi un prix pour la Russie : celui de la présence d’un voisin direct viscéralement et durablement hos�le, nonobstant le narra�f sur « l’unité organique des deux peuples » et d’une ostracisa�on par l’occident et ses « affinitaires » qu’elle aurait certainement préféré éviter mais auquel le choix de février 2022 la condamne.

La France peut-elle se proposer seule comme « honnête cour�er » ? Sans doute pas au vu de son image notamment dans les pays de l’élargissement.

Travailler avec l’Allemagne serait une op�on, mais le discrédit du « format de Normandie », qui n’a rien obtenu sur les accords de Minsk, ne plaide pas forcément pour le réac�ver. Il faudrait sans doute iden�fier au moins un partenaire supplémentaire à la fois désireux de contribuer au lancement d’un processus de négocia�on sans pour autant adhérer sans nuance au narra�f russe.

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GUERRE EN UKRAINE

La Biélorussie de Loukachenko au temps de la guerre en Ukraine Par Thomas VIGNES - Spécialiste de l’ espace postsovié�que et étudiant à HSE Saint-Pétersbourg

Alexandre Loukachenko ©GoB

Alors que la guerre en Ukraine va entrer dans sa troisième année, il est per�nent de revenir sur la valse exécutée par la Biélorussie et son leader, Alexandre Loukachenko, depuis le début de « l’opéra�on militaire spéciale » lancée par Moscou sur Kiev en février 2022.

En effet, la Biélorussie partage 1084 kilomètres de fron�ère avec l’Ukraine et ce�e proximité géographique se retrouve aussi dans la l’Histoire. Les deux pays furent membres des mêmes en�tés poli�ques au cours des siècles précédents comme la République des Deux-Na�ons autour de la Pologne et 80 - Revue TB N°7

de la Lituanie du XIIIème à la fin du XVIIIème siècle suivi de l’Empire Russe au XIXème et par la suite de l’Union Sovié�que au cours du XXème siècle.

Depuis la fin de l’URSS, Minsk et Kiev avaient signés des traités afin de promouvoir la paix et la coopéra�on entre les deux états, qui ont été annulés par le sou�en passif biélorusse à l’invasion russe. En effet, le Traité d’Ami�é, de Bon Voisinage et de Coopéra�on signé en 1995 et ra�fié en 1997 prome�ait un respect mutuel vis-à-vis de leurs souverainetés respec�ves, d’une noningérence dans les affaires internes de l’état voisin et du refus de la menace ou de l’u�lisa�on de la force

entre les deux pays. De plus, les ressor�ssants biélorusses et ukrainiens bénéficiaient d’un régime sans visa afin de se rendre dans le pays de l’autre.

En décembre 1991, la Biélorussie et l’Ukraine, avec la Russie, signèrent l’Accord de Minsk, entérinant la fin de l’Union Sovié�que (ces pays étaient d’ailleurs trois des quatre fondateurs de l’Union en 1922). Suite à cela, Minsk et Kiev ont pris deux chemins opposés visà-vis de la Russie. Le premier s’est épanoui dans la Communauté des États Indépendants (CEI), établissant même un « état d’union » avec la Russie depuis 1996 dans les sphères poli�ques, commerciales et militaires.

Alexandre Loukachenko, le président biélorusse et « seul et dernier dictateur d’Europe », a construit son emprise sur l’état depuis 1994, date de sa première élec�on comme premier président de la jeune république biélorusse.

Malgré une victoire contestée aux élec�ons présiden�elles de 2020, exposant son importante impopularité, le président biélorusse main�ent son pouvoir avec le sou�en de Moscou. L’Ukraine a quant à elle, malgré une période au sein de la CEI, qui�é l’organisa�on pendant la décennie 2010, en raison de la récente annexion de la Crimée par la Russie et du conflit dans le Donbass abreuvé par Moscou. Alors, depuis 2014, l’Ukraine s’était lancée dans un processus de distancia�on vis-à-vis de la Russie qui a culminé avec l’invasion lancée par la Russie en février 2022.

Alors, considérant ce contexte de proximité entre les deux pays, il apparaît judicieux d’établir le rôle de la Biélorussie dans la guerre en Ukraine, in�mement lié au des�n de son dirigeant autoritaire, Alexandre Loukachenko, ainsi que de son futur entre les deux blocs occidentaux et russes.

UN SOUTIEN PASSIF À LA GUERRE

permet de situer le niveau des armées : 845 millions de dollars en 2020 ou environ 2 milliards de dollars à parité de pouvoir d’achats. Les forces armées Biélorusses sont profondément influencées par la Russie au niveau tac�que, opéra�onnel et stratégique.

L’armée est majoritairement composée de conscrits issus du service militaire obligatoire et en cas de conflit, le pays aurait obligatoirement besoin d’u�liser des vagues de mobilisa�ons afin de compléter ses effec�fs. Alors, dans ce contexte, il apparaît suicidaire pour Loukachenko de lancer les forces armées biélorusses dans le conflit, sachant d’ailleurs qu’une vague de résigna�on sans précédent à frapper l’armée peu après le début de l’invasion, les militaires craignant une par�cipa�on ac�ve dans le conflit et que des figures éminentes des forces armées biélorusses se sont opposées à la par�cipa�on à la guerre, comme le général Sakhashik, qui a appelé à ne pas « obéir à des ordres criminels pour a�aquer l’Ukraine » et que « ce n’est pas notre guerre ».

Alors, Loukachenko a dû adapter une approche beaucoup plus passive dans le conflit, autorisant l’armée russe à u�liser son réseau d’infrastructure afin de lancer son invasion depuis le nord de l’Ukraine en février 2022 ainsi qu’en changeant la cons�tu�on biélorusse afin de sta�onner des armes nucléaires russes sur son sol. U�lisant d’abord une rhétorique visant à jus�fier l’a�aque contre l’Ukraine insinuant que « si nous n’avions pas fait une a�aque préven�ve, ils nous auraient a�aqué », Loukachenko a par la suite chercher à éviter l’interven�on de l’armée biélorusse dans le conflit. Ce�e dernière n’interviendrait pas car il n’y a simplement « pas de besoin à cela », que si les « Ukrainiens ne traversaient pas la fron�ère [avec la Biélorussie], nous ne par�ciperions jamais dans ce�e guerre » et que les troupes biélorusses gardaient le

Considérant la proximité poli�que entre Minsk et Moscou, une ques�on légi�me se pose quant à la nonpar�cipa�on directe de la Biélorussie en Ukraine. Ce�e posi�on s’exprime par plusieurs facteurs.

Le premier concerne la guerre elle-même. En effet, ce n’est pas une guerre menée principalement par la Biélorussie et pour la Biélorussie mais un conflit mené par la Russie. Ce n’est pas non plus une guerre défensive où les intérêts biélorusses se trouveraient menacés, loin de là. De par la proximité géographique des deux pays et de l’isolement de Minsk en Europe, l’Ukraine était le principal partenaire commercial de la Biélorussie après la Russie en 2021 et leurs échanges s’élevaient à 5.4 milliards de dollars. Alors, c’est dans l’intérêt de la Biélorussie de voir ce conflit se terminer au plus vite afin de reprendre le commerce habituel avec son voisin du sud.

Outre le manque d’un casus belli et le commerce, la Biélorussie possède une armée désuète incapable de comba�re dans un conflit moderne de haute intensité.

Un bref aperçu du budget annuel de défense du pays

Wagner s’est reconver� en formateur pour l’armée ©MDB

flanc arrière de l’état d’union (avec la Russie) contre l’OTAN. Loukachenko a bel et bien compris qu’une interven�on directe de la Biélorussie dans le conflit serait calamiteuse pour le pays mais aussi, bien plus désastreuse pour sa propre personne au vu de son manque de sou�en dans la société biélorusse, malgré les pressions actuelles de Moscou.

UN ISOLEMENT TOUJOURS PLUS GRAND VIS-À-VIS DE L’UNION EUROPÉENNE L’isolement de la Biélorussie vis-à-vis de l’UE n’est pas nouveau et la guerre en Ukraine a seulement intensifié un phénomène déjà bien entamé deux ans auparavant. Outre le caractère autoritaire et non démocra�que du régime, Minsk est la cible de sanc�ons européennes depuis les élec�ons présiden�elles de 2020. En effet, suite à la victoire d’Alexandre Loukachenko dans une élec�on jugée frauduleuse par les standards de l’OSCE et de la répression violente des manifesta�ons dirigées par l’opposi�on, l’UE a décidé d’imposé des sanc�ons sur 233 individus et 37 en�tés. De plus, ces mêmes sanc�ons se sont intensifiées à la suite de l’instrumentalisa�on des flux de migrants à la fron�ère avec la Pologne (et d’une manière plus restreinte à la fron�ère avec la Lituanie et la Le�onie) en Novembre 2021 afin de riposter aux paquets de sanc�ons précédemment imposés, selon l’Union Européenne.

Alors, les nouvelles mesures européennes établies contre la Biélorussie au temps de la guerre Ukraine ne sont que le prolongement d’un processus d’isolement entamé quelques années plus tôt. Les nouvelles sanc�ons visent 22 individus, le commerce, un bannissement du système bancaire SWIFT de cinq

banques biélorusses et la prohibi�on de transac�ons avec la banque centrale biélorusse. Ces sanc�ons rappellent fortement, mais dans une moins importante mesure, les restric�ons établies vis-à-vis de la Russie au lendemain du déclenchement de l’invasion.

En conséquent, l’économie biélorusse est entrée en récession et le taux de croissance du PIB biélorusse s’est effondré et s’est établi à -4,7% en 2022. Dans ce contexte, le pays a dû réorienter une par�e ses exports (comme les fer�lisants et pétrochimiques) vers la Russie et la Chine car 52% de ses exports vers l’UE (ainsi que 15% de ses imports de l’UE) ont chuté en 2022. Suivant la tendance comme son grand frère russe, le pays a entamé un pivot vers la l’Asie et plus par�culièrement la Chine et est supposé devenir membre de l’Organisa�on de Coopéra�on de Shangaï fin 2024. De plus, le pays était récepteur des inves�ssements du projet chinois des « Nouvelles routes de la soie » (ou Belt and Road Ini�a�ve en anglais) en raison de sa posi�on stratégique de hub entre l’Europe et la plus large Eurasie, mais la guerre en Ukraine et les sanc�ons qui ont suivi ont fortement compromis ce�e opportunité.

Enfin, malgré une situa�on évidemment tendue avec les Européens, la Biélorussie main�en des tenta�ves de normalisa�on de façade avec les pays de l’UE. Dans une le�re du 6 avril 2022, le ministre des affaires étrangères biélorusses, Uladzimir Makei, a dénoncé « une nouvelle chasse aux sorcières » contre son pays et « rejetait fortement toutes accusa�ons concernant la par�cipa�on de la Biélorussie dans les hos�lités en Ukraine » et le 5 mai, Alexandre Loukachenko lui-même a annoncé faire tout son possible pour arrêter la guerre de la Russie contre l’Ukraine.

LOUKACHENKO, LE MÉDIATEUR DE MOSCOU Dans cet équilibre que cherche à maintenir la Biélorussie entre la sa�sfac�on de Moscou et sa passivité dans le conflit, Alexandre Loukachenko s’est trouvé un nouveau rôle de médiateur, notamment entre l’Ukraine et la Russie mais plus par�culièrement entre Vladimir Pou�ne et Evgueni Prigojine, le feu leader du groupe Wagner, lors de sa marche rebelle vers Moscou en Juin 2023.

Bien avant la guerre ouverte entre Kiev et Moscou, la Biélorussie représentait un terrain de discussion pour les belligérants du conflit dans le Donbass, avec la présence des deux républiques autoproclamées de Lougansk et Donetsk, la Russie, l’Ukraine et l’OSCE. Le protocole de Minsk (ou Minsk I) est signé le 5 September 2014 avec ces derniers et met en place un cessez-le-feu immédiat dans l’est de l’Ukraine malgré l’échec de la mise en place d’une réelle fin des combats. Au vu de cet échec, les Accords de Minsk II furent signés en février 2015 selon le format

Le Bélarus se détourne de l’Occident à compter des manifesta�ons de 2020

La Biélorussie est pour le moment tournée vers l’est, jusqu’en Chine afin de palier à la fermeture du commerce avec l’UE ©GoB

Normandie, regroupant la France, l’Allemagne, l’Ukraine et la Russie. Malheureusement, le conflit ne sera pas résolu et nous en connaissons les funestes conséquences aujourd’hui.

De nos jours, Alexandre Loukachenko s’est assumé comme médiateur entre le président russe et le leader des mercenaires en rébellion. En effet, il aurait dit « à Pou�ne : on peut le buter, ce n’est pas un problème.

Soit à la première tenta�ve, soit à la deuxième. Mais j'ai dit : ne le faites pas ». Vladimir Pou�ne aurait alors promis des « garan�es de sécurité » à Prigojine suivi de l’asile pour lui et le groupe Wagner en Biélorussie.

Selon le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, Loukachenko et Prigojine se connaissaient « depuis vingt ans », ce qui aurait facilité la média�on offerte par Minsk. Pour cela, Loukachenko a même été remercié par le président russe. Sérieux revers pour le maître du Kremlin là où le dirigeant biélorusse a su �rer son épingle du jeu tout en montrant son importance aux yeux du monde. On peut éventuellement voir cela comme le renvoi de l’ascenseur, après que Vladimir Pou�ne a aidé Loukachenko à mater les manifesta�ons de l’opposi�on lors de l’élec�on présiden�elle de 2020.

Pour ce qui est de l’avenir du groupe Wagner en Biélorussie, rien n’est plus incertain. Avec la mort du leader Evgueni Prigojine le mercredi 23 août 2023, les mercenaires se retrouvent décapités de leur influent leader. Le déplacement des mercenaires en Biélorussie n’a pas causé grand bruit, si ce n’est quelques inquiétudes à Varsovie qui a dépêché des troupes à sa fron�ère orientale, au cas où. Selon l’une des dernières allocu�ons de Prigojine, le groupe de mercenaires se prépareraient en Biélorussie à se redéployer en Afrique ou même entraîner l’armée biélorusse21. En effet, malgré la rébellion avortée en Russie, le groupe reste très ac�f en Afrique et notamment dans le pré-carré de la France, au Mali et en Centrafrique.

CONCLUSION Considérant Loukachenko partagé entre deux posi�ons, l’une, préserver son pouvoir autant que son pays et l’autre, soutenir son principal allié, la Russie,

dans sa guerre d’agression, le futur risque d’être fort agité pour la Biélorussie.

Avec une emprise sur le pays reposant majoritairement sur le sou�en de Moscou comme il fut observé lors des manifesta�ons de 2020, Loukachenko ne peut se perme�re une guerre hautement impopulaire auprès des biélorusses, alors même que ses forces (en désaccord ouvert) n’ont pas encore été jetées dans la bataille. Ce�e guerre serait fatale à son règne mais aussi à son pays, car ayant une économie quasiment isolée du reste de l’Europe et extrêmement dépendante de la Russie et de la Chine, une par�cipa�on ac�ve ne ferait que livrer sur un plateau le peu de souveraineté qu’il reste à la Biélorussie, à la Russie. De plus, considérant la contesta�on massive de 2020 et les prochaines élec�ons présiden�elles prévues en 2025, Loukachenko ne peut se perme�re des manœuvres aventureuses (comme une par�cipa�on à la guerre) sachant sa posi�on précaire.

Néanmoins, Loukachenko se doit de se montrer u�le au grand frère russe, en hébergeant ses bases, en fournissant un sou�en logis�que et en accueillant ses indésirables comme le groupe Wagner. Dans le cas échéant, il ne pourrait demeurer le dirigeant biélorusse sans l’aval de Moscou. Ainsi, Alexandre Loukachenko se doit de maintenir le balancier entre deux opposés qui mèneraient à la chute de sa personne et de son pays : la par�cipa�on à la guerre ou la colère de Moscou.

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Revue TB N°7 - 83

GUERRE EN UKRAINE

Guerre en Ukraine Complexes industriels et centres de maintenance Par Julie�e GRIBOVALLE & Léo REBOUILLAT - AMRI

La guerre d’a�ri�on en cours est un véritable gouffre logis�que, humain et financier ©AP

Le 24 février 2024 marquera précisément le deuxième anniversaire de l'invasion de la Russie sur le territoire ukrainien. Tout au long de ce�e période prolongée de conflits, les a�aques se sont succédées des deux côtés, et depuis mai 2023, le front a a�eint une forme d'équilibre instable. Malgré les condi�ons météorologiques extrêmes et les défis logis�ques liés à la saison des pluies (raspu�tsa), la détermina�on russe à faire reculer les troupes ukrainiennes demeure intacte. Pendant ce temps, la par�e ukrainienne fait face à la difficulté de composer avec les équipements cédés depuis le début du conflit, accentuée par une phase cri�que de « faim de muni�ons ».

Cet enjeu se déroule dans un contexte où une autre guerre sévit au Proche-Orient, cap�vant l'a�en�on des pays occidentaux, en par�culier des États-Unis. Les 84 - Revue TB N°7

experts militaires affirment que l'issue de la guerre dépendra largement du complexe militaro-industriel, rappelant le précepte de Georges Clemenceau selon lequel celui qui peut résister moralement le plus longtemps émerge comme le vainqueur.

RÉFLEXIONS SUR LES ENJEUX CAPACITAIRES ET INDUSTRIELS DANS UN CONTEXTE DE MONTÉE EN PUISSANCE GÉNÉRALE Pour soutenir rapidement l'Ukraine, les na�ons occidentales ont expédié du matériel militaire en prélevant directement sur leurs stocks existants ou en effectuant des acquisi�ons auprès de leurs industries

de défense. Ces aides comprennent précisément des équipements tels que des véhicules blindés, des armes légères et lourdes, ainsi que des systèmes de défense an�aérienne. Au fil du temps, plusieurs vagues d'assistance se sont succédées, visant à contrer l'agression russe en fournissant des armements toujours plus puissants et sophis�qués. Ce�e réponse s'est avérée cruciale, surtout face à une armée russe disposant d'un vaste arsenal, notamment en termes de chars de combat.

La livraison d'armes et de matériel s'inscrit dans un cadre plus vaste visant à fournir à l'Ukraine un éventail complet de ressources pour résister et repousser l'agression russe. Le sou�en s'étend également à la forma�on des militaires ukrainiens, à la mise en place de mécanismes financiers spéciaux, ainsi qu'à la réponse aux besoins urgents liés à la mise en œuvre de la maintenance. Il est essen�el de souligner que la maintenance représente un enjeu majeur lorsqu'il s'agit d'envoyer des armes.

Au début de l'année 2023, les États-Unis manifestaient des doutes quant à l'envoi de véhicules blindés lourds tels que les Abrams, en raison notamment des problèmes an�cipés liés à la maintenance. L'ancien sous-secrétaire à la poli�que de Défense des États-Unis avait souligné que le système n'était pas le plus facile à entretenir et nécessitait une forma�on complexe. Le ministre des Armées françaises avait énoncé pour sa part des critères stricts, notamment la garan�e du main�en en condi�on opéra�onnelle du matériel déployé sur le front. Cela explique en par�e l'impossibilité de livrer le char Leclerc, qui n'est plus produit depuis 2008.

Dès que les na�ons ont consen� à augmenter leurs capacités en envoyant des pièces d’ar�llerie ou des chars lourds en Ukraine, il a été envisagé d'établir des hubs logis�ques dans les territoires avoisinants. Ce�e ini�a�ve visait à réduire significa�vement les délais et les distances entre les centres de maintenance et le front ukrainien.

L’ar�llerie, le nerf de la guerre ©AP

En Slovaquie, c’est dans la ville de Košice (Cassovie en français), que s’est établi le site de répara�on de certains véhicules militaires par l’entreprise francoallemande KNDS. Ce centre s'a�elle à la répara�on de divers équipements tels que les canons automoteur CAESAR et PzH 2000, les véhicules blindés de transport Dingos, ainsi que les lance-roque�es mul�ples MARS II, entre autres. La sélec�on de la Slovaquie comme emplacement stratégique découle de sa proximité géographique avec l'Ukraine. Parallèlement, la Pologne abrite des centres de maintenance. En 2023, il a été révélé qu'un atelier, opérant dans un lieu confiden�el, se consacre à la restaura�on du matériel militaire en vue de son déploiement sur le front. Sous l'égide de l'entreprise polonaise Polish Armaments Group, environ 400 ingénieurs et mécaniciens na�onaux y exercent leurs compétences, se focalisant notamment sur la remise en état des chars Leopard II. De même, le site de répara�on de Gliwice, géré par l'entreprise Bumar-Labedy, en Pologne également, est dédié à la restaura�on des chars Leopard en vue de leur réintégra�on opéra�onnelle sur le champ de bataille. Ces centres de maintenance perme�ent aux pays occidentaux d'apporter un sou�en matériel et mécanique aux forces ukrainiennes.

LA CONSTRUCTION DE LA LOGISTIQUE MILITAIRE DANS UN ENSEMBLE STRATÉGIQUE, TACTIQUE ET OPÉRATIONNEL « La sueur épargne le sang. » Ce�e devise, arborée par l'escadron de transport de blindés du 511e régiment du train, basé à Auxonne, trouve une applica�on par�culièrement per�nente dans le rôle joué par les hommes et les femmes qui opèrent dans l'ombre. Leur mission consiste à apporter un sou�en essen�el à ceux qui se ba�ent en première ligne en effectuant des répara�ons sur le matériel dont ils dépendent étroitement. Ce�e devise reflète également l'engagement des membres du personnel qui, en contribuant depuis l'arrière des lignes, offrent leur assistance à l'Ukraine.

Dans un conflit qui suscite un intérêt mondial considérable et qui est largement média�sé, il est souvent négligé que le main�en d'une force de combat sur une zone du front nécessite un nombre substan�el de personnes en sou�en à l'arrière.

La logis�que, dans le contexte militaire, s'appréhende comme une toile complexe d'ac�vités visant à garan�r, en tout temps et en tout lieu, les moyens essen�els aux forces armées. Ce�e approche englobe la vitalité des soldats, leur ap�tude au combat, leur mobilité, les soins médicaux, et la maintenance des équipements.

L'art suprême de me�re en œuvre les forces armées à un niveau stratégique cons�tue la stratégie militaire, et la logis�que vient directement renforcer cet effort

Déplacer un char lourd depuis l’Allemagne sur le front en Ukraine ©AP

en régénérant les ressources essen�elles. Son rôle crucial consiste à perme�re la con�nuité des combats et des opéra�ons, qu'elles soient offensives ou défensives. Cela représente un défi logis�que horsnorme, car la maîtrise des flux est d'autant plus complexe quand il s'agit d'une guerre dite de haute intensité. Les destruc�ons d'équipements engendrées par une guerre d'usure, combinées aux a�aques directes contre les bases logis�ques, y compris les postes de commandement, dans un contexte d'effet de satura�on, imposent une contrainte significa�ve aux forces en arrière-front et sapent les forces morales de la na�on.

La maîtrise logis�que émerge comme un élément clé de la supériorité opéra�onnelle, dis�nguant les armées les plus résilientes de celles qui perdent leur autonomie opéra�onnelle. Tout cela renforce l'idée qu'une armée sans logis�que n'est rien et que dans l'histoire, aucune grande armée n'a prospéré sans une logis�que robuste. À ce propos, le général de brigade Jomini émerge comme le principal penseur de la logis�que. En 1838, dans son traité in�tulé « Précis de l'art de la guerre », il a�ribue à la logis�que une place prépondérante en la définissant comme l'une des cinq branches de cet art stratégique. Pour lui, la logis�que transcende le simple ou�l en devenant une concep�on à part en�ère, influençant de manière fondamentale les manœuvres des armées. Dès lors, la logis�que, dans son sens le plus noble, est intégrée à la conduite opéra�onnelle dans son ensemble.

conflit en Ukraine, Paris a par exemple décidé de réduire les transferts d'équipements militaires à Kiev.

Cependant, une nouvelle orienta�on se dessine avec la créa�on de partenariats industriels entre les deux na�ons, indiquant un changement de paradigme où la cession ne cons�tue plus la règle, mais plutôt l'excep�on. Dans la perspec�ve d’une résolu�on rapide du conflit, l’armée ukrainienne aurait besoin de renforcer et parfois même de recons�tuer ses capacités défensives. Pour les pays européens et de l’OTAN cela représente indubitablement des opportunités pour leurs industries de défense. Kiev cherche à instaurer une nouvelle dynamique en renforçant ses capacités industrielles et technologiques de défense. Ce�e ambi�on s'accompagne d'une incita�on ac�ve envers les pays occidentaux à s'engager dans une produc�on directe sur le territoire ukrainien. Certains acteurs se lancent dans la produc�on immédiate, tandis que d'autres optent pour la ges�on de la sous-traitance. Des accords concrets ont déjà été conclus, comme celui avec une société turque spécialisée dans la fabrica�on de drones Bayraktar.

Un autre exemple est celui de Vistory, qui prévoit de s’installer afin de construire une entreprise dédiée à la répara�on et à la fabrica�on de près de mille drones par mois. De plus, un centre d'impression 3D sera mis en place pour la produc�on de pièces de rechange.

Dans le même temps, les groupes Arquus et Nexter ont conclu un partenariat avec une entreprise ukrainienne en vue de créer un atelier de maintenance pour les véhicules de transport de troupes livrés à Kiev, englobant également les blindés AMX-10 et les canons CAESAR.

UN CHANGEMENT DE PARADIGME DANS L’AIDE MILITAIRE À L’UKRAINE Les Européens ont graduellement ajusté leur stratégie quant à la localisa�on des centres de maintenance, privilégiant désormais la produc�on directe sur le sol ukrainien pour le court terme et l'après-guerre. Confronté à une durée prolongée du

Les pays de l’UE semble opter pour la produc�on directe Sur le sol ukrainien, une aubaine pour la logis�que, une cible pour la Russie ©RF

La branche allemande, représentée par le conglomérat de défense Rheinmetall, a pris la décision de construire une usine en partenariat avec l'entreprise publique ukrainienne Ukrainian Defense Industry. Une deuxième entreprise allemande, Flensburger Fahrzeugbau Gesellscha�, selon les informa�ons transmises par le membre du Bundestag Marcus Faber, sera également impliquée dans la répara�on des véhicules blindés allemands, perme�ant ainsi de réduire les délais nécessaires à leur remise en service, bien que cela soulève évidemment des préoccupa�ons en ma�ère de sécurité.

Les ambi�ons des entreprises occidentales pourraient être entravées par des problèmes persistants, comme le souligne le député allemand Sebas�an Schäfer. Il a expliqué à l'agence de presse Dpa que la répara�on des systèmes prend du temps en raison d'un manque de pièces de rechange appropriées, et que le personnel ukrainien n'est pas encore suffisamment formé pour assurer la maintenance de ces équipements. Ce�e réalité implacable met en lumière, s'il en était besoin, que les défis en temps de guerre ne se limitent pas au champ de bataille, mais s'étendent également aux usines situées à plusieurs centaines de kilomètres du lieu des affrontements.

En conclusion, les retours d'expérience en provenance d'Ukraine sont nombreux et révèlent encore bien des mystères. L'étude d'une guerre est une démarche par�culière qui requiert objec�vité pour décrypter les clés d'une pensée stratégique. La situa�on en Ukraine évoque par certains aspects l'année 1916, avec un front rela�vement stable et une offensive, telle que celle de la Somme, qui n'a pas réussi à percer les lignes ennemies. L'année 2024 s'annonce comme une période où la guerre con�nuera de gronder aux portes de l'Europe, suscitant chez certains une perspec�ve d'annus horribilis. C'est également l'année où les trois escadrilles de F-16 prendront leur envol dans le ciel ukrainien, opérant de manière coordonnée avec l'ensemble de la chaîne logis�que. Cependant, la ques�on cruciale demeure quant à la réussite des Occidentaux à soutenir les Ukrainiens dans la maintenance de leurs aéronefs.

Enfin, les belligérants chercheront probablement à élargir leurs alliances afin de perturber l'équilibre rela�f des forces en présence. La complexité des enjeux stratégiques persiste, illustrant que les ramifica�ons de la guerre s'étendent bien au-delà du simple champ de bataille.

UNE COLLABORATION DE L’AMRI ASSOCIATION DU MASTER DE RELATIONS INTERNATIONALES UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LILLE

La logis�que fait la guerre et la Russie doit faire face à un défis similaire ©NYT

Revue TB N°7 - 87

UNION EUROPÉENNE

UNE EUROPE DIVISÉE

Quelle politique migratoire pour l’UE ?

Par Rhéa NGANO - PROMETHEI

Migrants en « transit » vers l’Europe en mer Méditerranée ©Reuters

En 2022, 3,75 millions de personnes ont migré vers l’Union européenne. Il est vrai que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe fait par�e des plus grandes terres d’asile et de migra�ons au monde. Les mul�ples crises auxquelles le monde est sujet sont venues amplifier la situa�on. Du réchauffement clima�que à la pauvreté en passant par les guerres et l’instabilité poli�que : toutes sont à l’origine de l’exode de milliers de migrants vers l’Europe chaque année. Le XXIe siècle a ainsi été marqué par une augmenta�on significa�ve des déplacements vers le con�nent, générant de nombreuses divisions au sein de l’Union européenne. À l’approche des élec�ons du Parlement européen en 2024, les enjeux suscités par ce phénomène migratoire sont majeurs. Alors que le con�nent voit sa 88 - Revue TB N°7

popula�on vieillir et sa main d’œuvre manquer, les opinions publiques se polarisent faisant monter un populisme qui réclame une poli�que migratoire ferme.

En 2020, la Commission européenne a lancé un projet de Pacte européen sur la migra�on et l’asile en réponse à la crise migratoire de 2015. Avec ce projet, la Commission européenne ambi�onne d’« instaurer un climat de confiance et un nouvel équilibre entre responsabilité et solidarité » parmi les États membres.

Néanmoins, le projet est entravé par les divergences d’opinions sur la manière de gérer les flux migratoires.

Alors que certains pays réclament davantage de coopéra�on afin de gérer l’afflux de migrants à leurs fron�ères, d’autres y sont opposées et cri�quent au contraire le laxisme de la poli�que migratoire européenne. Dans un contexte aussi contrasté, que

peut faire l’Union européenne pour parvenir à résoudre l’équa�on à mul�ples variables de la poli�que migratoire ?

DES DIVISIONS IDÉOLOGIQUES FORTES À L’AUNE DES ÉLECTIONS EUROPÉENNES En juin 2024, les citoyens de l’Union européenne seront appelés aux urnes afin d’élire leurs représentants au Parlement européen. Les dernières élec�ons de 2014 et de 2019 ayant été marquées par l’essor des par�es d’extrême droite cons�tuant désormais la deuxième force poli�que au sein de l’hémicycle européen, elles pourraient encore renforcer leur posi�ons au parlement. En Italie notamment, le par� de Ma�eo Salvini La Ligue du Nord a récolté de 34,27% des suffrages en 2019 contre 6,15 en 2014. Plus à l’est, en Pologne, la coali�on de droit Droit et Jus�ce est également arrivé en tête des suffrages aux dernières élec�ons en récoltant plus de 45% des voix. Alors qu’il était au paravent traversé par un clivage gauche droite, le paysage poli�que européen se divise aujourd’hui entre les conservateurs et les progressistes avec comme point majeur d’opposi�on : l’immigra�on.

Le politologue français Dominique Reynié observait dans une interview sur France inter que : « Le pouvoir de déstabilisa�ons des crises migratoires sur les démocra�es est considérable, ce sont des cadeaux pour les populistes ». La ques�on migratoire est souvent men�onnée pour expliquer la poussée électorale de ces par�s en Europe. Ceux-ci profitent d’un climat social et économique dégradé pour orienter le débat public vers l’immigra�on qu’ils désignent comme la cause première de troubles dans leur pays. D’un autre côté, les par�es libéraux et sociaux-démocrates conservent un poids significa�f au Parlement Européen.

Contrairement aux euroscep�ques d’extrême droite, ceux-ci revendiquent un a�achement fort à l’Union européenne et au

main�en d’une solidarité entre les 27. Ce�e fragmenta�on favorise l’ingérence de certaines puissances étrangères cherchant à accentuer ces divisions. C’est le cas notamment de la Russie qui u�lise les migrants comme arme poli�que dans le but de déstabiliser davantage une union fragile. À �tre d’exemples, le 16 novembre dernier, le gouvernement finlandais annonçait fermer une par�e de sa fron�ère avec la Russie accusant Moscou d’avoir fait entrer des centaines de migrants illégalement dans le pays afin de la fragiliser.

Ces clivages idéologiques, qui puisent leur racine dans des différences historiques et culturelles, se traduisent également d’un point de vue géographique.

Se dessine alors un schisme idéologique entre l’est et l’ouest de l’Europe. Si la construc�on européenne a cherché à unifier les peuples européens autour de la promo�on d’une cohésion économique sociale et territoriale au sein de l’Union européenne, le manque d’homogénéité poli�que reste encore aujourd’hui bien visible. Ainsi, les pays d’Europe centrale et orientale ayant été pendant longtemps sous la domina�on des empires Russes et O�oman, et étant peu familiers avec l’immigra�on extra-européenne, réclament davantage de souveraineté et de liberté dans l’élabora�on de leur poli�que migratoire. Cela se manifeste par un vote majoritairement en faveur de l’extrême droite euroscep�que dans ces régions, comme en Hongrie, où le par� Fidesz du conservateur Viktor Orban arrive en tête des élec�ons législa�ves du pays depuis plus de 10 ans. En conséquence, ces pays, réunis au sein du groupe de Visegrád (Hongrie Pologne République Tchèque et Slovaquie), sou�ennent une ligne dure en ma�ère de migra�ons.

Le sommet de Bra�slava de 2016 en a été bon exemple. En opposi�on à la poli�que de répar��on par quota des réfugiés de l’Union européenne, les quatre pays y ont développé le concept de « solidarité flexible » des États selon lequel chaque État membre devrait décider sur la base du volontariat du nombre de réfugiés qu’il accueillera.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et la première ministre italienne, Giorgia Meloni, visitent le centre d’accueil pour les migrants, sur l’île italienne de Lampedusa ©Reuters

« Les pays d’Europe centrale et orientale […] réclament davantage de souveraineté et de liberté dans l’élaboration de leur politique migratoire. » Dans le même temps, les pays d’Europe occidentale, socle originel de l’union, se montrent plus enclin à la collabora�on entre États membres et invoquent un principe de solidarité en ma�ère migratoire. Le président français Emmanuel Macron déclarait en 2018 à l’occasion d’un accord sur les migra�ons : « C'est la coopéra�on européenne qui l'a emporté sur des solu�ons na�onales qui n'auraient été ni efficaces, ni durables.»

Ainsi, la division avec les pays de l’est a été par�culièrement marquante lorsqu’en 2017, les pays du groupe Visegrad ont a�aqué devant la Cour de jus�ce de l’Union européenne le plan de relocalisa�on obligatoire et temporaire des réfugiés dans la Schengen adopté par le Conseil de l’UE. Dans une moindre mesure, on observe également une dissonance entre le Sud et le Nord. Les pays du sud, qu’il s’agisse de la Grèce, de l’Espagne ou de l’Italie, se plaignent d’un manque de solidarité de la part du reste de l’union quant à la ges�on des vagues migratoires fréquentes à leurs fron�ères.

UNE GESTION DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES RÉVÉLATRICE DE PROFONDES CONTRADICTIONS Coopéra�on et solidarité entre États membres sont des principes essen�els dans la mise en œuvre de la poli�que migratoire européenne. L’ar�cle 67 alinéa 2 du traité sur le fonc�onnement de l’Union européenne (TFUE) dispose d’ailleurs que : l’Union européenne « développe une poli�que commune en ma�ère

d’asile, d’immigra�on et de contrôle des fron�ères extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l’égard des pays �ers. ».

« La gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen ne cesse de faire apparaître les contradictions de la politique migratoire européenne » C’est dans ce�e visée qu’à la créa�on de l’espace Schengen en 1985, a été ins�tué un principe de libre circula�on des personnes supprimant les contrôles au sein des fron�ères intérieures de l’espace. S’agissant de ses fron�ères extérieures, l’Union européenne s’est doté d’un ensemble de mesures et de moyens afin d’une part de s’assurer une maîtrise effec�ve de ses fron�ères et d’autre part de poursuivre dans ce�e logique de solidarité. En conséquence, a été créée en 2004 l’agence pour la ges�on et la coopéra�on opéra�onnelle aux fron�ères extérieures de l’UE transformée en 2016 en l’agence européenne de garde-fron�ères et garde- côtes, c’est l’agence Frontex. À celle-ci s’ajoute le SIS, système d’informa�on de Schengen : une base de données commune aux États membres de l’espace Schengen pour la sécurité et la ges�on des fron�ères.

Néanmoins, en dépit de ce�e bonne volonté, la ges�on des fron�ères extérieures de l’espace Schengen ne cesse de faire apparaître les contradic�ons de la poli�que migratoire européenne.

C’est ainsi qu’en 2022, l’agence Frontex s’est trouvée au cœur d’un scandale. Une enquête menée par le journal Le Monde et le collec�f Lighthouse report l’accusait d’être complice de « Push back », accusant

Session au Parlement Européen ©AFP

les garde-côtes grecs de renvoyer des embarca�ons de migrants illégaux vers les côtes turques. Ces manœuvres étant manifestement contraires au droit interna�onal puisqu’elles contreviennent à l’interdic�on de non-refoulement collec�f d’étrangers posée par la Conven�on européenne des droits de l’Homme. Le journaliste du Monde Thomas Sta�us explique que ce�e affaire n’est « ni plus ni moins que le symbole des hésita�on, des contradic�ons de l’Union européenne en ma�ère migratoire » opposant une « Europe refuge » à une « Europe forteresse qui se barricade ». Contraint à la démission, l’ancien directeur exécu�f de l’agence Fabrice Leggeri confirmait ce�e ambiguïté sur le rôle de l’agence en déclarant : « Certains auraient voulu en faire […] une agence humanitaire. Mais le rôle de ce�e Agence […] c’est quand même plutôt de faire la police des fron�ères des États » En plus de ce�e affaire, le repli de certains États membres autour de leur désir de souveraineté en dépit d’un droit européen clair et ferme vient accentuer les discordances au sein de l’espace Schengen. Alors que l’ar�cle 14 paragraphe 2 du code aux fron�ères de Schengen dispose que : « l’entrée ne peut être refusée qu’au moyen d’une décision mo�vée indiquant les rasons précisés du refus », cela n’a pas empêché certains États membres d’ériger des murs ou des clôtures sur leurs fron�ères afin d’empêcher les migrants et demandeurs d’asile d’accéder à leur territoire. C’est le cas par exemple de la Hongrie qui a fait construire en 2015, une barrière de quatre mètres de haut afin d’endiguer l'afflux de migrants à sa fron�ère avec la Serbie. Ce mur, d’abord qualifié de « mur de la honte » est par la suite devenu un modèle pour d’autres pays européens : depuis lors, 1 200 kilomètres de fron�ères ont été érigées aux portes de l’Europe.

L’ACCUEIL DES MIGRANTS, ENTRE HUMANITÉ ET FERMETÉ « La France n’accueillera pas de migrants » : c’est ce qu’a déclaré le ministre de l’Intérieur Français, Gérald Darmanin lors de l’arrivée importante de migrants sur l’île italienne de Lampedusa en septembre dernier. Ce message fait écho à une dis�nc�on fréquente faite entre les réfugiés, et les autres migrants dits « économiques ». Le ministre explique qu’il souhaite « dis�nguer les migrants des personnes qui sont des réfugiés poli�ques ». Dans les faits, la conven�on de Genève définit un réfugié comme étant : « toute personne qui, craignait avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa na�onalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses op�ons poli�ques se trouve hors du pays dont elle à la na�onalité ». À l’opposé, selon le Haut-commissariat des Na�ons unies pour les réfugiés, les migrants : « choisissent de qui�er leur pays non pas en raison d'une menace directe de persécu�on ou de mort, mais

surtout afin d'améliorer leur vie en trouvant du travail, et dans certains cas, pour des mo�fs d'éduca�on, de regroupement familial ». Ainsi, les gouvernements européens oscillent entre humanité et fermeté dans leur poli�que d’asile et migra�ons.

« en l’absence d’une politique uniforme, les États membres livrés à eux même adoptent une diversités de mesures parfois infructueuses afin de gérer l’arrivée de migrants sur leur territoire » Concernant les réfugiés, il semble que « l’humanité » soit de rigueur. Et pour cause, un bon nombre d’obliga�ons juridiques s’a�achent au statut de réfugié fermement défendu par la conven�on de Genève de 1951 et son protocole addi�onnel. À l’échelle européenne, depuis 1999, l’UE tente d’instaurer une régie commune avec le régime d’asile européen commun (RAEC) : il fixe les normes applicables au traitement des demandeurs d’asile sur le sol européen. C’est dans celui-ci que se trouve le règlement de Dublin III adopté en 2013 déterminant le pays responsable du traitement d’une demande d’asile. Cependant, en dépit de ce cadre juridique, les demandes d’asiles ne sont pas traitées uniformément sur l’ensemble du con�nent ce qui démontre les difficultés de l’Union européenne à se doter d’une poli�que d’asile commune.Ainsi, alors que l’Allemagne concentre à elle seule un quart des demandes d’asile, d’autres pays comme la Hongrie n’ont accueillis à �tre d’exemple que 45 demandes d’asile en 2022. De plus, le socle juridique mis en place par l’Union est luimême remis en cause. Le règlement de Dublin, par exemple, est accusé de faire reposer l’essen�el de la pression migratoire sur les pays du pourtour européens tels que l’Espagne, l’Italie ou Malte. Selon celui-ci en effet, l’État qui a la responsabilité du traitement de la demande d’asile est celui qui a eu : « le rôle le plus important dans l’entrée des demandeurs d’asile sur le territoire de l’UE». Les cri�ques ont été entendues puisqu’en 2020, la présidence de la Commission européen Ursula Von der Leyen a annoncé vouloir abolir le règlement pour le remplacer par le Pacte asile et migra�ons.

Ainsi, en l’absence d’une poli�que uniforme, les États membres livrés à eux même adoptent une diversités de mesures parfois infructueuses afin de gérer l’arrivée de migrants sur leur territoire. En l’Italie, Georgia Meloni a ainsi été élue en 2022 sur la promesse d’une ligne dure en ma�ère migratoire.

Néanmoins, un an après son arrivée au pouvoir, celleRevue TB N°7 - 91

ci adme�ait qu’elle aurait espéré « faire mieux en ma�ère de migra�ons ». À �tre d’exemple, les mesures prises consistants à externaliser la ges�on des migra�ons à des pays �ers tel que la Tunisie et à empêcher les sauvetages en mer menées par des ONG n’ont pas permis d’endiguer les vagues migratoires importantes vers l’Italie, en démontrent les événements récents à Lampedusa. La géographe Camille Schmoll déclare que : « La crise de Lampedusa est le résultat de la poli�que menée par Georgia Meloni de désorganisa�on totale du secours en mer. » Sur un second plan, la poli�que d’accueil du reste des migrants parfois appelés « migrants économiques » est ce�e fois propice à plus de fermeté. Mais là encore, les contradic�ons sont présentent. Le contraste est apparent entre les pays qui seraient tentés d’a�rer une main d’œuvre qualifiée ou de régulariser des migrants déjà présent sur leur territoire pour pallier au vieillissement de leur popula�on et ceux restant formellement opposé à toute forme d’immigra�ons sur leur territoire. Le projet de loi immigra�on récemment présenté par le gouvernement français est un bon exemple de ce�e dichotomie entre une volonté de dureté face à l’immigra�on d’une part et la recherche migrants dans un but économique d’autre part. L’ar�cle 3 du projet envisage de créer une carte de séjour d’un an par les travailleurs sans papier des mé�ers en tensions qui pourront par la suite demander une régularisa�on sur la base de celle-ci. De plus, une carte de séjour « talent-profession médicales et de la pharmacie » pourrait être mise ne place pour répondre aux besoins de recrutement dans les hôpitaux. Dans le même temps d’autres mesures sont proposées afin de faire preuve de plus de sévérité dans le contrôle de l’immigra�on : il s’agit par exemple d’un durcissement des condi�ons de l’accès à la na�onalité française ou du regroupement familial.

QU’ELLES SOLUTIONS DANS UN AVENIR OÙ LES MIGRATIONS SERONT DE PLUS EN PLUS NOMBREUSES ?

entraîné une vague d’immigra�on importante en Europe.

Dans ce contexte, et alors que les successions de crises migratoires démontrent des failles dans la poli�que migratoire actuelle, il semble crucial pour l’Europe de dépasser ses divergences et de s’accorder sur la manière de gérer ces flux migratoires à venir. Le con�nent a démontré en octobre dernier qu’il en était capable. Dans le cadre de l’élabora�on du Pacte sur la migra�on et l’asile, les 27 États membres réunies à Bruxelles se sont accordés sur la répar��on de la prise en charge des réfugiés dans les pays en situa�on de crise. Le texte prévoit notamment de développer des partenariats avec des pays d’origine et de transit dans le but de faciliter le retour des migrants ainsi que de renforcer la solidarité entre États membres pour éviter la concentra�on de demandes d’asiles dans certains pays. Celui-ci s’était d’abord heurté à des ré�cences allemandes pour des raisons humanitaires, puis Italiennes concernant le rôle des ONG dans le secours des migrants en mer, mais bien que les divergences entre Rome et Berlin n’aient pas empêché le règlement d’être voté, il doit encore être validé par le Parlement européen, ce qui n’a rien d’acquis, compte tenu des réserves Polonaises et Hongroises.

Autre manifesta�on d’espoir d’une cohésion européenne en ma�ère migratoire : le conflit russoukrainien. À l’occasion de celui-ci, l’Union européenne a accueilli plus de 4 millions réfugiés. La direc�ve sur la protec�on temporaire entrée en vigueur en 2001 a été déclenchée par le Parlement européen afin d’apporter une protec�on temporaire aux ressor�ssants Ukrainiens leur octroyant un certain nombre de droits tel que l’accès au logement, à l’aide médicale, à l’éduca�on ou encore le droit de séjour.

UNE COLLABORATION PROMETHEI ASSOCIATION DES RELATIONS INTERNATIONALES INALCO

Selon des prévisions de la banque mondiale, 216 millions de personnes pourraient être conduites à fuir leur foyer d’ici 2050 du fait du réchauffement clima�que. La situa�on clima�que cons�tue en outre déjà l’une des causes principales d’immigra�on dans le monde. L’Europe n’est pas épargné : en effet, le nombre de demandes d’asiles enregistrée sur le con�nent a tendance à augmenter significa�vement, a�eignant même un nombre record de 519 000 entre janvier et juin 2023. Outre la cause clima�que, les conflits armés dans le monde par�cipent également à la hausse des migra�ons vers l’Europe. On a pu le voir notamment avec de la guerre en Ukraine qui a

©UNHCR

Parlement hongrois à Budapest ©Unsplash

Plaza de España à Séville ©Unsplash

Les rives de Stockholm ©Unsplash

UNION EUROPÉENNE

Pacte vert Européen Mort assistée de l’agriculture ?

Par E�enne LOMBARDOT - Etudiant à l’Ecole de Guerre Economique et fondateur d’E�X RSE

Huile de palme, extraite de la pulpe des fruits du palmier à huile. ©Agro expert

L’agriculture ne compte que pour 1,6 % du PIB français et emploie 576 000 personnes, pourtant, elle est un point d'ar�cula�on essen�el entre le maillage territorial, la société et son iden�té et l’environnement. Elle donne une profondeur économique à une na�on. Nourrir une popula�on avec des denrées produites sur le territoire na�onal est essen�el. La crise du Covid et la guerre en Ukraine en ont montré l’importance.

En France, la nature de l’agriculture a fortement évolué avec la construc�on européenne. L’intégra�on européenne s’est faite en par�e avec une mise en commun des budgets agricoles des pays membres autour d’un programme de sou�en agricole et des aides au développement rural : la Poli�que Agricole Commune (PAC). Elle avait pour origine d’augmenter 94 - Revue TB N°7

les rendements et la produc�on agricole pour a�eindre la souveraineté alimentaire européenne.

Parler de souveraineté européenne, plus que de souveraineté na�onale, est ici plus cohérent car l’agriculture s’inscrit pleinement dans une logique confédérale et de marché commun. Ce�e poli�que a ne�ement évolué depuis, abandonnant les quotas au profit d’une rémunéra�on directe des agriculteurs.

Depuis 2014, la PAC tend vers une agriculture durable et plus respectueuse de l’environnement. Ce�e dynamique a été très fortement renforcée lors du renouvellement de la PAC en 2023.

AGRICULTURE ET ENVIRONNEMENT : EST-IL POSSIBLE D’ENRAYER LE

CERCLE VICIEUX ?

L’agriculture, coupable et victime du changement climatique Au niveau mondial, l’agriculture est responsable de 34 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). En France, elle cons�tue le deuxième poste d’émissions avec 19 %. Bien qu’elles aient tendance à décroître, le secteur agricole reste très éme�eur en raison de l'élevage bovin, à lui seul responsable 45 % des émissions agricoles françaises.

« Accompagner les systèmes agricoles vers des pratiques plus durables et moins polluantes semble aujourd’hui nécessaire, tout en s’attachant à ne pas anéantir la souveraineté alimentaire. » Quoique l'agriculture contribue significa�vement aux émissions de GES, elle est la première vic�me des changements clima�ques. L’augmenta�on de la fréquence des événements clima�ques extrêmes accentue les difficultés pour le secteur. Selon le GIEC, les pertes de récoltes liées à ces événements ont triplé en Europe au cours des cinquante dernières années.

Toutefois, les progrès agronomiques et techniques qui compensent les pertes dues aux évolu�ons clima�ques, perme�ent de maintenir voire d’augmenter les rendements.

L’agriculture intensive est aussi responsable d’une perte importante de la biodiversité. En l’espace d’une trentaine d'années, le nombre d’insectes a été réduit de 76 %, le nombre d'espèces d'oiseaux de 34 %, le nombre de papillons de 39 %. L’érosion de la biodiversité déstabilise l’ensemble des écosystèmes agricoles, et l’UE, malgré les poli�ques de conserva�on de la biodiversité, peine à a�eindre les résultats escomptés.

Face à l’augmenta�on des températures, l’agriculture va avoir besoin de plus en plus d’eau.

Pourtant, au cours des prochaines décennies, l'augmenta�on des températures va renforcer les é�ages, diminuer la recharge des nappes de 30 % en moyenne, et réduire de 20 % les débits des cours d'eau en moyenne. La qualité de l’eau est aussi un défi majeur pour l’irriga�on des parcelles agricoles.

Aujourd’hui, 56 % des eaux de surface et 33 % des eaux souterraines en France ne sa�sfont pas aux critères du droit européen, car elles sont polluées aux nitrates qui proviennent du surplus d’engrais épandus et du ruissellement.

L’agriculture, sous sa forme intensive, impacte considérablement les écosystèmes. Accompagner les systèmes agricoles vers des pra�ques plus durables et moins polluantes semble aujourd’hui nécessaire, tout en s’a�achant à ne pas anéan�r la souveraineté alimentaire.

Vers une agriculture plus durable en Europe ?

Face à ce constat, l’UE, par le biais la PAC 2023-2027, a fait le choix de soutenir les pra�ques agricoles durables. Les nouveaux objec�fs agricoles européens s’inscrivent dans une poli�que environnementale plus large : le Pacte vert européen.

La muta�on des systèmes agricoles est très ambi�euse : d’ici 2027, Bruxelles souhaite que 50 % des surfaces européennes soient sous protec�on Natura 2000, 25 % des surfaces en agriculture biologique et que l’usage des pes�cides soit réduit de 50 %. Ce�e poli�que devrait a�énuer l'impact environnemental de l’agriculture. Mais sont-ils vraiment a�eignables et conciliables avec une logique économique ?

Frances Seymour, recevant la médaille de l’Ordre du Mérite Agricole au grade d’officier en Avril 2014.

Revue TB N°7 - 95

Les rendements agricoles devraient aussi s’en trouver fortement diminués, et les prix de l’alimenta�on augmenteront très probablement dans les prochaines années. Ce�e poli�que va donc avoir de nombreuses conséquences à la fois sociales et économiques, et remet en ques�on la souveraineté alimentaire européenne.

UNE POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE SOURCES DE MULTIPLES FRACTURES

Hausse des coûts de l’alimentation : vers une fracture sociale européenne ?

La poli�que environnementale va conduire à un système généralisé reposant sur une compé��vité hors-prix des produc�ons agricoles. Seulement, tous les européens n’auront pas un pouvoir d’achat suffisant pour s’alimenter avec des produits de meilleure qualité et plus sains. La baisse des rendements conjuguée à une hausse des prix conduira naturellement à une délocalisa�on d’une par�e de l’agriculture pour que les popula�ons les plus modestes puissent con�nuer à se nourrir. Ce système à deux vitesses alimentera une fracture sociale entre des classes supérieures qui pourront consommer des aliments de qualité et produits en Europe,et le reste de la popula�on qui devra se contenter de produits probablement moins qualita�fs que ceux qu’ils consomment aujourd’hui.

Par ailleurs, délocaliser en par�e de la produc�on agricole expose davantage les popula�ons européennes à la vola�lité des cours des marchés interna�onaux. En effet, même si la PAC ne repose plus sur un système de quotas, l’Union européenne, par des mesures protec�onnistes, arrive à maintenir des prix constants pour l’alimenta�on (hors infla�on). Au risque de vola�lité des prix s’ajoute aussi le risque de rupture des chaînes d’approvisionnement comme l’Europe a pu en connaître lors de la crise du Covid ou du conflit en Ukraine. Outre la fracture sociale, la poli�que environnementale agricole pourrait aussi faire naître une fracture économique.

L’objectif de neutralité carbone européen : fracture économique et paradoxe idéologique ?

L’UE européenne vise la neutralité carbone d’ici 2050. Une large par�e de la stratégie environnementale européenne repose sur des indicateurs carbone. Toutefois, les indicateurs carbone revêtent deux problèmes majeurs. Tout d’abord, ils sont intrinsèquement faux, et plus l’échelle est 96 - Revue TB N°7

macroscopique, plus ils le sont. Les incer�tudes sont très élevées et frôlent parfois les 80 %. L’origine est sta�s�que : le même impact carbone est a�ribué à un pe�t pois occitan consommé localement et consommé à Paris. Les incer�tudes couvrent les approxima�ons faites.

Le second problème concerne la défini�on du périmètre d’étude. Doit-on prendre en compte les émissions totales des européens ? Les émissions produites par les européens ? Quid des émissions importées ? L’Union européenne a décidé de retenir comme périmètre d’étude, les émissions produites dans l’espace européen. Or, par rapport aux émissions globales des européens, 66 % sont produites dans l’espace européen, les 34 % restants sont importées.

Ce chiffre grimpe à 46 % en France. La neutralité carbone européenne n’est donc qu’une neutralité par�elle !

« Polluer dans l’UE coûterait donc 50 fois plus cher que polluer en dehors de l’UE, sans prendre en compte le coût de l’énergie et des exigences réglementaires plus élevées dans l’UE. » Selon Bruxelles, la neutralité carbone, c’est zéro émission ne�e produite dans l’espace européen d’ici 2050. Il y a trois solu�ons pour répondre à cet objec�f : réduire les émissions grâce à des mesures d’économie ou d’op�misa�on, compenser en stockant du carbone dans la biomasse ou dans les sols, et délocaliser les émissions.

Les deux premières solu�ons vont avoir un coût très important. Le Pacte vert prévoit une enveloppe de 1000 milliards d’euros d’ici 2030 qui sera financée par des obliga�ons vertes, de l’alloca�on de budgets publics, et la mobilisa�on de l’épargne des européens.

En parallèle, une taxe carbone aux fron�ères est entrée en vigueur le 1er janvier 2024 et perme�ra de générer 10 milliards de rece�es sur les émissions carbone importées. Taxer 10 milliards les 34 % des émissions totales d’un européen est dérisoire par rapport aux 1000 milliards que vont coûter les 66 % restantes (34 % des émissions d’un européen est importé).

Polluer dans l’UE coûterait donc 50 fois plus cher que polluer en dehors de l’UE, sans prendre en compte le coût de l’énergie et des exigences réglementaires plus élevées dans l’UE. Ce calcul est toutefois à me�re en perspec�ve d’une non-taxa�on environnementale dans les pays hors UE, ce qui n’est pas toujours le cas.

Objec�vement, très peu de pays hors-UE vont exercer

©UE

une pression aussi forte que Bruxelles. La délocalisa�on des ou�ls de produc�on européens sonne comme un choix économique totalement ra�onnel.

En voulant sauver la planète à tout prix, l’UE risque surtout de détruire le �ssu agricole et agroalimentaire qui avait résisté jusque-là. Ce�e situa�on donne le sen�ment que l’UE adopte une logique similaire et généralisée à celle qui avait poussé à la délocalisa�on de nombreuses industries polluantes dans les années 1990. Même si Bruxelles sacrifie une par�e de l’économie pour a�énuer le changement clima�que, les émissions mondiales vont con�nuer de croître dans les prochaines années. L’Europe a probablement à gagner sur la résilience des écosystèmes. Pour ce qui est des systèmes économiques, cela est moins sûr, car la perte de souveraineté et la fracture économique devraient con�nuer de se creuser.

NEUTRALITÉ CARBONE, DURABILITÉ ET SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE : VRAIMENT CONCILIABLE ?

La délocalisation d’une partie de l’agriculture La stratégie européenne pour le climat pourrait induire une délocalisa�on d’une par�e de l’agriculture hors de l’Union européenne comme le montrent les accords de libre-échange en cours de négocia�on ou récemment signés. La Commission ne s’interdit pas d’importer des fruits de Nouvelle-Zélande, de la

viande et du soja d’Amérique, du poisson de Mauritanie… En contrepar�e, l’UE exporte des voitures, des équipements industriels ou des produits chimiques et phytosanitaires. A moyen-terme, le vieux con�nent va donc con�nuer à produire des produits phytosanitaires sans pouvoir les u�liser. Ils seront donc exportés, et en échange, nous importerons les denrées alimentaires qui auront été produites avec les substances chimiques interdites à l’usage en Europe.

Le paradoxe de la stratégie environnementale européenne n’a�eindrait-il pas son paroxysme ?

Délocaliser une par�e de l’agriculture perme�rait aussi de réduire le coût de l’alimenta�on. La maind'œuvre est souvent moins onéreuse à l’étranger. De plus, la pression environnementale imposée par l’Union européenne induit des coûts supplémentaires de produc�on. Ces coûts sont considérablement réduits lorsque la produc�on est faite hors de l’UE. Cela perme�rait aussi de placer hors périmètre les émissions carbone liées à l’agriculture et donc d’a�eindre plus facilement l’objec�f de neutralité carbone.

Toutefois, la conséquence d’une délocalisa�on d’une par�e de l’agriculture pourrait se traduire par la baisse de qualité d’une par�e de l’alimenta�on des européens. Bien que l’UE essaie d’imposer ses exigences sanitaires aux pays exportateurs, les contrôles sont souvent difficiles à me�re en place.

C’est par exemple le cas avec les labels RSPO qui interdisent l'importa�on de produits issus de la déforesta�on, ou bien avec les clauses environnementales dans les accords de libre-échange de seconde généra�on. Sur le papier, les principes

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environnementaux sont présents, mais dans la réalité, il est plus difficile de les me�re en vigueur.

A ce�e dynamique, s’ajoute le risque d’une perte de souveraineté alimentaire au niveau de l’Union européenne. Par sa poli�que environnementale, l’UE pourrait dans les prochaines années, créer des dépendances stratégiques de certains produits agricoles, notamment les produits carnés, les produits lai�ers, et les fruits et légumes. On pourrait aussi s’a�endre à ce que notre dépendance en céréales et oléoprotéagineux s'accroisse vis-à-vis de l’Ukraine.

Réduire les émissions : la fausse bonne idée de réduire l’élevage Dans la mesure où l’agriculture représente 14 % des émissions de GES dans l’UE et 19 % en France, elle va incontestablement être très impactée par les stratégies environnementales européennes. Dans les émissions de l’agriculture, la moi�é est liée à l’élevage.

Une solu�on logique pour respecter les objec�fs environnementaux, serait de croire u�le la réduc�on de la taille des cheptels européens. Certes, ils ont un rôle indéniable dans les émissions de GES. Mais ils contribuent aussi à l’entre�en des paysages et à la produc�on de ma�ères fer�lisantes d’origine résiduaire. Ce�e ma�ère organique est indispensable pour fer�liser les prairies et les grandes cultures biologiques. Plus la taille des élevages, extensifs notamment, sera réduite, plus le développement de l’agriculture biologique sera contraint. L’enjeu est de taille car les surfaces bio représentent aujourd’hui 12 % des surfaces agricoles européennes. Les objec�fs européens sont fixés à 25 % d’ici 2030. L’UE ne peut donc pas se perme�re de réduire la taille de ses élevages si elle veut développer son agriculture biologique.

Le développement de modèles agricoles et alimentaires alternatifs Aujourd’hui, certains modèles agricoles présentés comme alterna�fs cherchent à soutenir le développement d’une agriculture durable : agroécologie, agriculture de conserva�on des sols, agroforesterie… Ils offrent une meilleure ges�on des ressources minérales (azote, potassium et phosphate).

En effet, jusqu’à présent, les régions agricoles françaises, et plus globalement les pays européens, se sont spécialisés dans une ac�vité agricole par�culière.

L’ouest de la France dans l’élevage, la Beauce dans les céréales, le sud dans les fruits et légumes. Ces spécialisa�ons régionales créent un déséquilibre dans les flux de ma�ères. La Bretagne a trop d’azote, ce qui conduit à une proliféra�on des algues vertes. Les autres régions, au contraire, connaissent un déficit.

Repenser la ges�on des flux à l’échelle locale, et plus globalement la ges�on des circuits alimentaires, notamment dans la Farm to Fork Strategy ou dans les 98 - Revue TB N°7

lois EGalim, peut perme�re à l’agriculture de recouvrer une meilleure résilience. Mais ce�e meilleure résilience des systèmes agricoles et alimentaires conduira très probablement à une baisse des rendements et à une hausse des coûts de l’alimenta�on. Néanmoins, ces méthodes de culture favorisent généralement le stockage de carbone dans le sol, qui pourrait aussi cons�tuer une source de revenu complémentaire pour les agriculteurs en vendant crédits carbone. Les revenus indirects générés par la vente de ces crédits carbone pourraient perme�re à des systèmes agricoles non intensifs d’être économiquement viables tout en limitant l’augmenta�on des coûts de produc�on. Mais cela ne résout pas pour autant la ques�on du déclin de la souveraineté alimentaire.

« Mais cette meilleure résilience des systèmes agricoles et alimentaires conduira très probablement à une baisse des rendements et à une hausse des coûts de l’alimentation. » Ces modèles ont aussi le défaut d’avoir recours à davantage de main-d'œuvre. Aujourd’hui, les agriculteurs ont des difficultés à recruter des saisonniers et d’ici dix ans, un agriculteur sur deux par�ra à la retraite. Il paraît peu probable que ces modèles puissent se développer sur le long terme et à grande échelle. Croire que l’Europe en�ère pourrait être nourrie avec des méthodes alterna�ves est utopique. Au contraire essayer de retrouver un équilibre dans les flux de ma�ère organique, même dans l’agriculture conven�onnelle, paraît être une idée per�nente.

PUISSANCE AGRICOLE EN DÉCLIN ET RELATIONS INTERNATIONALES : QUELLE PLACE POUR L’UE ?

Une perte d’influence européenne ?

Avec 32,6 milliards d’euros en 2022, la balance commerciale en produits alimentaires de l’UE est posi�ve. Cela donne à l’UE un avantage géopoli�que de taille, car de nombreux pays, notamment du Moyen-Orient et d’Afrique sont dépendants des exporta�ons européennes pour nourrir leur popula�on. Avec la baisse de produc�on à venir l’UE connaîtra très probablement une baisse de son influence dans les rela�ons interna�onales car les

dépendances stratégiques se feront plus pe�tes. La place qu'occupe historiquement l’Europe sera à prendre. Les puissances émergentes, notamment les BRICS, ne cachent pas leur appé�t... Par ailleurs, les dépendances européennes vont probablement croître au cours de prochaines années, exposant d’autant l’alimenta�on des Européens à des jeux d’influence ou des risques interna�onaux.

Des puissances agricoles émergentes u�lisent l’alimenta�on comme levier dans les rela�ons interna�onales. La Russie, qui est devenue un des principaux compé�teurs en ma�ère d’exporta�on agricole, s’est très largement prêtée au jeu avec la guerre en Ukraine. Avant le conflit 92 % des exporta�ons agricoles ukrainiennes transitaient par la Mer noire. Entre ruptures logis�ques et blocus militaire, les flux d’exporta�ons se sont retournés vers les pays d’Europe de l'Est, qui a été complètement déstabilisée. Les difficultés ukrainiennes pour exporter ont conduit à une chute très importante du prix des ma�ères premières agricoles sur le territoire.

Parallèlement, la Russie a organisé un sommet en juillet dernier avec les chefs d’État africains pour rassurer sur les ques�ons de sécurité alimentaire du con�nent.

Des puissances agricoles émergentes u�lisent l’alimenta�on comme levier dans les rela�ons interna�onales.

Moscou a également joué la carte d’exporta�on gratuite de blé pour six pays africains. Bien que les dons de blé à des pays africains soient minimes par rapport à là part totale des exporta�ons russes, le message poli�que envoyé était très fort. Et dans les

faits, cela n’a pas coûté à la Russie, car les cours du blé excep�onnellement élevés ont permis à la Russie de couvrir le coût des exporta�ons gratuites par des excédents très élevés sur le blé vendu. C’est en quelque sorte une forme de ristourne. Le tour de main diploma�que est remarquable : d’un simple export de céréales, le Kremlin a réussi à affaiblir l’Ukraine, à diviser poli�quement l’UE et à renforcer les liens diploma�ques avec l’Afrique au détriment des liens historiques avec la France. Le déclin de la souveraineté alimentaire européenne renforcera notre perte d’influence et nos vulnérabilités à l'égard d’autres puissances.

Intégrer l’Ukraine dans l’UE : une solution envisageable agricole ?

Depuis l’invasion de la Russie, le rôle de l’Ukraine dans les chaînes de valeur alimentaire a été mis en évidence : elle est une puissance agricole de premier plan. Les récentes annonces de Ursula van den Leyen rela�ves à la poten�elle adhésion du pays à l’UE soulève des ques�ons. Le rapprochement stratégique agricole avec l’Ukraine va se heurter inéluctablement au Pacte vert européen. Entre l’Ukraine ou la biodiversité, l’UE devra choisir !

Si l’Ukraine venait à intégrer l’UE, elle deviendrait le principal bénéficiaire de la PAC avec 20 % du budget, soit 96,5 milliards d’euros sur sept ans. L’adhésion de l’Ukraine soulèverait des probléma�ques agricoles de premier plan. Aujourd’hui, les produc�ons agricoles ukrainiennes ne sont pas conformes aux normes environnementales européennes. Le pays devrait alors

L’agriculture est un précieux ou�l au service de la géopoli�que ©Unsplash

ra�raper son retard par rapport à l’UE et an�ciper les nouvelles normes environnementales qui prendront effet dans les prochaines années. Cela aurait un coût considérable, et il serait très peu probable que Kiev y parvienne seul et rapidement.

« Si l’Ukraine ne rentre pas dans l’UE, on pourrait s’attendre à ce qu’une partie des délocalisations européennes soient faites vers l’Ukraine pour des raisons économiques et de comptabilité carbone » L’UE devrait donc prendre des déroga�ons spécifiques, ce qui conduirait à une distorsion de la concurrence entre les pays européens qui appliqueront les normes environnementales et l’Ukraine. Ensuite, le coût de la main-d'œuvre en Ukraine est très largement inférieur à ceux des autres pays européens. On pourrait donc s’a�endre à une délocalisa�on des unités de produc�on agricole qui demandent beaucoup de main d’œuvre vers l’Ukraine : vergers, produc�on de fruits et légumes, aba�oirs, usines de transforma�ons… La souveraineté alimentaire européenne ne serait pas compromise, au contraire, mais l’agriculture française en serait très affectée. L’adhésion de l’Ukraine perme�rait de renforcer le posi�onnement stratégique européen sur les marchés alimentaires. Toutefois, l’UE devrait très probablement revoir ses objec�fs environnementaux à la baisse dans ce�e hypothèse.

Si l’Ukraine ne rentre pas dans l’UE, on pourrait s’a�endre à ce qu’une par�e des délocalisa�ons européennes soient faites vers l’Ukraine pour des raisons économiques et de comptabilité carbone.

Nous deviendrions très dépendants des produc�ons agricoles ukrainiennes sans avoir une maîtrise totale des chaînes de valeurs alimentaires et de la conformité environnementale et sanitaire des denrées alimentaires. Toutefois, délocaliser en Ukraine serait peut-être plus per�nent que de délocaliser en Amérique du Sud.

augmenter. Des progrès sont à faire, des méthodes à améliorer, mais on ne peut pas opposer les systèmes agricoles les uns par rapport aux autres. Tous apportent quelque chose de différents : certains favorisent une meilleure ges�on des ressources, d'autres le pouvoir d’achat, d’autres encore le main�en d’une agriculture en Europe. C’est la complémentarité des systèmes qui créera la résilience de l’agriculture et de l’autonomie alimentaire européenne de demain.

Vouloir délocaliser indirectement la produc�on agricole européenne, sous couvert de normes environnementales, ne peut qu’accélérer la perte d’influence poli�que et économique européenne.

Ce�e poli�que est à peu de chose près, la même que celle qui a conduit à fermer nos usines en Europe.

Voulons-nous vraiment reproduire les mêmes erreurs ? Voulons-nous vraiment se rendre compte que dans trente ans nous n’avons plus de souveraineté alimentaire et que nous sommes dans une situa�on cri�que que nous aurions pu éviter ? Peut-être que les prochaines élec�ons européennes reme�ront en ques�on les orienta�ons stratégiques qui ont été prises par l’Union européenne au cours des décennies précédentes. Même si le temps presse, rien n’est encore acté, tout peut encore changer.

Dans tous les cas, il est incontestable que les normes environnementales européennes qui vont s’imposer à l’agriculture vont réduire la capacité de produc�on agricole européenne. L’autonomie alimentaire européenne pourrait muter en une dépendance. Le centre de gravité agricole européen, va probablement se déplacer vers l’Europe de l’Est dans les prochaines années. L’agriculture serait un élément de plus pour renforcer l’axe Varsovie-Kiev au détriment de l’axe Paris-Berlin.

Faire converger plutôt que diverger les agricultures européennes ?

Il est évident que les systèmes agricoles montrent aujourd’hui leurs limites en ma�ère de durabilité.

Néanmoins, le produc�visme a été et permet encore à l’UE d’être alimentairement autosuffisant. Les impacts du changement clima�que vont avoir des conséquences indéniables sur les systèmes agricoles, et le coût de l’alimenta�on va probablement

L’Ukraine et son poten�el agricole (après le déminage)

Mont-Saint-Michel depuis les champs, France ©Unsplash

UNION EUROPÉENNE

Progrès & Éthique ?

L’espace numérique européen Par Pablo LECHAPELIER - PROMETHEI

Un retard à ra�raper à l’ère du tout numérique ©Unsplash

Chaque jour, la jungle numérique à laquelle le citoyen du XXIème siècle est confronté prend de l’ampleur. Elle se fait plus vaste dans des endroits toujours plus reculés, et les espaces de « désert numérique » perdent du terrain. Les programmes et applica�ons que nous u�lisons sont de plus en plus présents dans nos vies, et leur protec�on, leur surveillance et leur sécurité deviennent des enjeux centraux pour les poli�ques na�onales aux quatre coins du globe. Alors que les u�lisateurs d’internet, toujours plus dépendants des GAFAM, voient leur vie confiée à la discré�on des géants américains et chinois, l’Union Européenne et ses ins�tu�ons se donnent pour mission de fournir des cadres compé��fs, éthiques et sécurisés à ses citoyens et à ses entreprises. Numérisa�on des services publics, 102 - Revue TB N°7

souveraineté juridique et économique, monnaie numérique, l’Union déploie ses moyens sur tous les fronts du secteur numérique pour ra�raper son retard.

LE RETARD DU VIEUX CONTINENT DANS LES SECTEURS NUMÉRIQUES Avec la deuxième zone géographique la plus riche au monde et un demi-milliard de citoyens majoritairement urbanisés et connectés, les 300 milliards d’euros annuels que l’Europe inves�t en Recherche & Développement dans le numérique (soit 2% de son PIB) ne suffisent pas à l’élever au rang de puissance numérique. Face aux États-Unis qui dominent le secteur depuis l’Arpanet des années 1960, les GAFAM des années 2010 et les nouvelles NATU

(Ne�lix, RBNB, Tesla, Uber), et à une Chine qui s’impose en nouveau géant via son écosystème BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiamoi), avec une poli�que volontariste de protec�on du marché et de promo�on de l’IA, les entreprises et organisa�ons européennes ne peuvent qu’aspirer à un succès limité et local. Le géant américain finance les startups technologiques, promeut l’entreprenariat, et dé�ent 90% des sites les plus visités au monde, avec 84% de la capitalisa�on boursière des entreprises numériques. Quand les parts européennes, elles, peinent à a�eindre les 3%.

DES PROGRAMMES À DIFFÉRENTES ÉCHELLES POUR RELANCER LA COMPÉTITIVITÉ Si les poli�ques européennes n’ont pas contribué au développement du numérique jusqu’aux années 2015, notamment par l’absence de poli�ques volontaristes à grande échelle, la dernière décennie est marquée par une volonté commune des pays membres de développer un environnement numérique accessible et propice à la concurrence. Des programmes éduca�fs ont par exemple été mis en place, comme « Digital Skills for You » qui a offert une forma�on numérique à 100.000 Suédois en 2023.

Des partenariats entre structures publiques et privées ont également été établis à ce�e occasion. La Commission Européenne allouait par exemple, début 2023, un budget de 20 milliards d’euros sur 5 ans à l’entreprise « AI4UE » pour s�muler la recherche et le développement de l’IA au sein de l’Union. On peut également citer « Next Genera�on EU », un nouveau fonds européen de 750 milliards d’euros des�né aux entreprises du numérique, dont la créa�on faisait suite à la proposi�on de Règlement d’avril 2021 visant à développer le poten�el de l’IA. Ou encore le plan de produc�on de semi-conducteurs voté en septembre 2023, axé sur le développement des matériaux indispensable à la compé��vité et à l’autonomisa�on de la produc�on du Vieux Con�nent.

LA DOUBLE FRACTURE NUMÉRIQUE, LES PROBLÈMES D’UNE EUROPE HÉTÉROGÈNE

comptait plus de la moi�é en Angleterre. Malgré quelques réformes visant à harmoniser les législa�ons na�onales tout en finançant les ac�vités numériques prome�euses, les difficultés d’une Europe hétérogène sur le plan numérique se ressentent également dans l’inégalité des financements du secteur. Ainsi, l’Irlande et la Finlande représentent à elles deux 25% des financement numériques européens, quand la Le�onie, la Lituanie et le Portugal peinent à a�eindre les 5%.

Alors pour unifier les projets numériques des 27, assurer une compé��vité à la hauteur des moyens du Vieux Con�nent, et produire de nouveaux champions numériques après que le BREXIT ait privé l’Union de la moi�é de ses Licornes, un programme numérique inédit par ses objec�f et son ampleur est mis en place sous l’impulsion de la Présidente de l’Union, Ursula Von Der Leyen : c’est le Plan Digital 2030.

POUR LA SOUVERAINETÉ ET LA COMPÉTITIVITÉ : LE PLAN DIGITAL 2030 À l’image de la « stratégie numérique » publiée par la Commission Européenne en 2020, le Plan Digital 2030 prévoit d’organiser la transi�on numérique européenne en s’assurant de dépendre le moins possible des systèmes interna�onaux et de développer au maximum le poten�el compé��f européen. Doté d’un fond de 7,5 milliards d’euros, une part malgré tout assez faible du budget alloué au numérique, il vise surtout à établir des objec�fs communs, une coordina�on et une coopéra�on approfondies entre les pays membres, avec un rapport tous les 2 ans et un partage d’informa�ons constant.

Perme�ant ainsi de penser ce vaste territoire comme une unité, et de répar�r également les efforts, du Portugal à la Pologne.

Le Programme s’étale sur 10 ans et accorde des financements dans des domaines clés tels que le super-calcul, l'intelligence ar�ficielle, la cybersécurité, ou les compétences numériques avancées. Et les objec�fs sont ambi�eux : 20 millions de spécialistes des technologies numériques et un taux de 80% de la popula�on à l'aise avec ces nouvelles pra�ques sont espérés. Mais les entreprises sont également ciblées :

Alors que les puissances transatlan�ques et asia�ques occupent le haut des classements, les 27 pays de l’Union produisent, financent et accèdent au numérique de manière inégale. Les disparités socioéconomiques et les différentes infrastructures et législa�ons entre États ont poussé chaque membre à appliquer ses propres règles, dans un secteur qui fait fi des fron�ères. En 2018, le géo-blocage des sites internet dans certains pays menaçait la concurrence dans un marché numérique déjà fragmenté. Et la répar��on des 28 Licornes européennes, les entreprises dont la valorisa�on dépasse le milliard, était si mal équilibrée sur le territoire qu’on en

L’IA n’est encore qu’à ses débuts ©Unsplash

75% d'entre elles devraient pouvoir u�liser à terme des technologies telles que le cloud, l'IA et le Big Data, et 90% des PME avoir accès au numérique de base. Les services publics doivent également devenir en�èrement digitaux, avec 100% des citoyens ayant accès aux plateformes de santé en ligne. Le Rapport souligne par ailleurs l'importance de l'éthique et de la transparence dans l'IA, ainsi que la nécessité d'une iden�té numérique sécurisée pour tous.

Ce projet novateur touche des secteurs aussi variés que la santé et le développement de la télémédecine, la manufacture et les imprimantes 3D, la 5G, les récoltes de données, mais aussi la produc�on de nouveaux matériaux de construc�on imprimés, la logis�que et des acheminements plus efficaces grâce à des logiciels de trafic, l’agriculture (avec un gain de produc�on agricole européen de 15% à horizon 2030), ou encore la mobilité et la coordina�on numérique des transports. Sans compter les économies permises grâce au numérique, es�mées à 120 milliards par an, ou les méga-projets communs comme la construc�on d’ordinateurs quan�ques à Bruxelles ou d’usines de semi-conducteurs en Allemagne. À 7 ans de l’échéance, on peut noter que 81% du territoire européen dispose de la 5G, ce qui le place devant la Chine et les USA en termes de déploiement technologique. Le nombre de Licornes a doublé depuis 2022, et de plus en plus d’entreprises se modernisent.

La sécurité de l’espace numérique doit être balisée ©Unsplash

UNE NOUVELLE SOUVERAINETÉ JURIDIQUE EUROPÉENNE : LE CONSOMMATEUR AU CENTRE DE L’ATTENTION Pour assurer et faire prospérer sa future souveraineté juridique, l'Union Européenne s'engage depuis quelques années dans une démarche d'harmonisa�on des législa�ons na�onales, tout en encadrant les ac�vités des pays membres. Si les premières Direc�ves sur la protec�on des données personnelles datent de 1995, c’est en 2018 que le Règlement Général sur la Protec�on des Données (RGPD) a marqué une avancée inédite. Ce dernier instaure des principes de transparence et de droit à la portabilité et à l’oubli de ses données, qui s'appliquent non seulement aux citoyens européens mais également aux entreprises non européennes offrant des services sur le territoire. 5 ans plus tard, le RGPD de 2018 a déjà prouvé son efficacité avec plus de 300 amendes pour non-conformité, pour un montant de 190 millions d’euros. Illustrant ainsi la fermeté de l'UE en ma�ère de protec�on des données. Google, en réponse, a ajusté ses paramètres de confiden�alité, soulignant l'impact concret de ces mesures sur les pra�ques des géants du numérique.

Sur le volet fiscal, un accord supervisé par l’OCDE a été conclu en 2021, entré en vigueur le 1er janvier 2024. Il prévoit que les mul�na�onales dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions d’euros devront désormais s’acqui�er d’un impôt mondial de 15%.

L’OCDE prévoit des rece�es de 750 millions d’euros, dont la moi�é sera réinjectée dans le budget numérique européen. En effet, les principaux acteurs de ce�e dynamique, Margrethe Vestager, viceprésidente de la Concurrence et de l'Europe numérique, et Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, sont à l’origine des nouvelles réglementa�ons présentées en décembre 2020, qui visent à contrôler le contenu en ligne et à lu�er contre la concurrence déloyale. Actuellement, des réformes sont en cours pour contrer la domina�on des oligopoles et des GAFAM, qui imposaient jusque-là leurs règles et leur loi, notamment en pra�quant le dumping fiscal en quasi-impunité, entre autres en installant leurs sièges sociaux en Irlande, pays à la fiscalité avantageuse.

De plus, des projets tels que le cloud européen ou le système de paiement européen montrent l'aspira�on de l'UE à renforcer sa souveraineté dans ces domaines clés. Tout en me�ant un point d’honneur à placer l’«u�lisateur européen au centre de l’a�en�on », selon les mots de la présidente Von Der Leyen. La Déclara�on des Droits et Principes Digitaux Européens, signée en 2022, et les actes « DSA » et « DMA » sur les services numériques parus à l’été 2023, s’assurent de la sécurité, de la durabilité, de l’aspect solidaire, inclusif et libre des services proposés, quand le

Levier au service de la géopoli�que, le numérique fait aussi craindre de nombreuses dérives ©Unsplash

règlement « Europrivacy » garan�t la confiden�alité des données des u�lisateurs et la sécurité des mineurs.

SÉCURITÉ, CYBERSÉCURITÉ ET MIGRATION : Le numérique ne représente pas toujours la fin, il peut œuvrer pour les moyens. Avec une hausse de 60% des cyber-a�aques entre 2022 et 2023, on assiste à des progrès technologiques notables dans le secteur de la sécurité, notamment aux fron�ères de l’Union. Le Système d’Informa�on Schengen (SIS), qui permet la traçabilité de certains biens et l’émission de signalements dans tout l’espace Schengen a été mis à jour en 2022, en même temps que le système de cybersécurité SRI2. Ces deux logiciels communiquent entre eux et partagent leurs bases de données avec celles d’Eurodac et du nouveau système d’informa�on sur les visas (VIS), perme�ant aux gardes-fron�ères de l’UE d’obtenir rapidement des informa�ons plus complètes sur les entrées quo�diennes au sein de l’Union. Pour certains, ces nouveaux disposi�fs nuisent à la liberté de circuler librement et favorisent les discrimina�ons. Le président de la Fédéra�on Interna�onale pour le Droit Européen, Alexander Abaradjiev, cri�quait ainsi en mars 2023 les nouveaux systèmes européens d’entrée / sor�e qui enregistrent les franchissements de fron�ères des ressor�ssants de pays �ers, ainsi que le système VIS qui trace les déplacements grâce aux visas.

LE PROJET D’EURO NUMÉRIQUE ET SES DÉRIVES, UN DANGER POUR LES CITOYENS EUROPÉENS « Qui contrôle l’argent contrôle le monde » disait Henry Kissinger. Alors que les États-Unis, la Chine ou encore le Japon prévoient de lancer leur propre monnaie numérique, le Conseil Européen étudiait en 2023 le projet et les proposi�ons législa�ves de la Banque Centrale Européenne pour la créa�on d’un euro totalement numérique. Si 45% des consommateurs européens préfèrent le paiement en

liquide selon Eurostat, ce�e proposi�on consiste à numériser intégralement la monnaie de la zone euro à horizon 2027. À une époque où les transac�ons se digitalisent entre personnes privées, entreprises et États, il semble logique qu’une telle transforma�on ait lieu. Accessible via une applica�on, le nouvel euro ne laisserait plus de place à la monnaie physique. Fabio Pane�a, membre du directoire de la BCE et acteur de ce projet, expliquait en 2021 les bénéfices du nouveau système : plus de fraude fiscale ni de blanchiment d’argent, possibilité de payer instantanément depuis son smartphone, parade aux paiements illégaux, inclusion financière, concurrence équitable… Les avantages sont nombreux, et perme�raient même d’éviter les faillites bancaires. Quand 5 jours du mois de mars 2023 auront suffi aux trois banques américaines Silvergate, Silicon Valley Bank et Signature Bank à faire faillite aux États-Unis, les pays de l’Union pourraient se prémunir de tout risque de crise de liquidités avec une monnaie centralisée et commune.

Seulement, un tel changement de paradigme vers une monnaie totalement numérique sans pièces ni billets, implique que toutes les transac�ons seront traçables. Comme l’a précisé la présidente de la BCE Chris�ne Lagarde, ancienne de chez McKinney, notre compte bancaire sera lié à notre iden�té numérique via une autre applica�on fournie par l’UE, et le citoyen européen n’aura plus aucun moyen d’effectuer une transac�on privée. En étant contrôlé par une seule en�té, la BCE, l’euro pourra être programmé pour avoir des comportements spécifiques : u�lisables pour certains types de dépenses, dans certaines zones géographiques, à des dates spécifiques. Des paiements ne correspondant pas à certains critères pourraient alors être refusés, comme le président de la Banque des Règlement Interna�onaux l’expliquait clairement dans son discours du 7 avril 2022 : « Avec une monnaie numérique, la Banque Centrale exercera un contrôle absolu sur les règles qui détermineront l’usage de la monnaie, et disposera de la technologie nécessaire pour faire appliquer ces règles ». Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, centralisa�on, traçabilité et programmabilité Revue TB N°7 - 105

pourraient donc être intégrées au cœur même du concept de ce qu’est l’argent. La dématérialisa�on de l’Euro semble être une évolu�on naturelle, mais pourrait se révéler menaçante dans la mesure ou une centralisa�on totale et inédite du contrôle de la monnaie ne peut se faire qu’au prix d’un risque de perte de souveraineté individuelle.

UN DÉBAT QUI PASSE SOUS LES RADARS Aux États-Unis, des voix s’opposent à la digitalisa�on de la monnaie. Des lois contre l’avènement du dollar numérique sont discutées au Minnesota, au Texas et en Floride, et le candidat aux prochaines présiden�elles Robert Kennedy a même fait de la lu�e contre les monnaies des banques centrales un point important de sa campagne. En Europe, la BCE se veut rassurante et assure que l’euro numérique ne sera pas programmable, et plusieurs parlementaires européens en faveur de ce projet rappellent que chaque pays gardera sa souveraineté, l’Union Européenne n’étant qu’un ou�l de coordina�on. En effet, on imagine mal des amendes directement prélevées par l’Union, des quotas mis en place pour des produits en cas de pénurie, ou des refus de paiement pour des billets d’avions à cause d’une limite de pollu�on annuel.

LES RISQUES D’UN PORTEFEUILLE EUROPÉEN : DES SERVICES PUBLICS TROP CONNECTÉS ?

Si le Plan Digital 2030 a�eint ses objec�fs, les principaux services publics européens seront ouverts à l’iden�té numérique d’ici une dizaine d’année. La Commission Européenne appuie d’ailleurs ce projet en proposant les premiers modèles de portefeuille européen d’iden�té numérique. Une fois enregistré, plus besoins dossier médical physique, ni de carte de mutuelle. Peut-on alors imaginer qu’un tel principe s’étende à d’autres services comme la carte d’iden�té ou les données bancaires ? Un dossier numérisé et synchronisé qui perme�rait des fonc�onnements similaires dans d’autres domaines que celui de la santé ferait bel et bien peser des risques sur nos libertés individuelles. Si les plus alarmistes et complo�stes, appuyés par certains euroscep�ques, proje�ent un futur exagérément dystopique de surveillance constante aux airs de Big Brother, certaines mesures bien concrètes inquiètent les plus ra�onnels. La Fédéra�on Interna�onale pour les Droits Humains (FIDH) alerte sur les avancées de l’entreprise suédoise Dsrup�ve Subdermals, qui dès 2021, implantait à des volontaires des puces sous-cutanées pour stocker les données de leur Pass sanitaire, devenu un Pass vaccinal. « Bien qu’avantageuse et pra�que, portée sur la sécurité du citoyen face aux GAFAM intrusives, et des�née à faciliter l’accès aux services publics, l’idée 106 - Revue TB N°7

d’iden�té numérique européenne pourrait, si elle est mal maîtrisée, ouvrir la porte à une étape irréversible où les données fiscales, juridiques, judiciaires et médicales seraient scanables et consultables, immédiatement et librement par les autorités » alerte Virgine Joron, parlementaire européenne.

La Bible, Apocalypse 13:17 « Et que personne ne pût acheter ni vendre sans avoir la marque, le nom de la bête ou le nombre de son nom ». Alors, comme pour tout pas de géant dans la voie du progrès technologique, l’Europe et ses ins�tu�ons se trouvent devant l’immense défi de créer un environnement propice à l’essor d’une compé��vité numérique à la hauteur de ses volontés de développement et de souveraineté, tout en assurant de façon renforcée des pra�ques éthiques, parfois extrêmement difficiles à déterminer et à garan�r. Elle se doit, par son Histoire et les valeurs dont elle fait son étendard, d’avancer toujours plus loin dans la course technologique qui régit les rapports de forces contemporains, tout en veillant à ne jamais céder à la tenta�on d’une poli�que semblable à celle de Yuan, où l’iden�té numérique est liée à un score social, lui-même évalué par un système de surveillance intrusif et an�-démocra�que.

UNE COLLABORATION PROMETHEI ASSOCIATION DES RELATIONS INTERNATIONALES INALCO

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UNION EUROPÉENNE

Slovaquie & Hongrie L’alliance qui cause le trouble en Europe Par Charles ROGNON & Lucie BALMANA – FDNU

Fascinante pour les souverainistes, inquiétante pour les européistes, la poli�que de la Slovaquie et la Hongrie divise au sein de l’UE @MTI

“La guerre en Ukraine n’est pas la nôtre, nous n’avons rien à voir avec ce�e guerre”. Voici les mots déclarés en octobre 2023 par le Premier ministre slovaque, Robert Fico, au lendemain de sa nomina�on, à la tête d'un gouvernement de coali�on avec le par� d’extrême droite pro-russe SNS. Ce�e élec�on marque un véritable tournant, tant dans la poli�que menée par la Slovaquie que pour l’Europe.

En effet, quelques semaines après son élec�on, Robert Fico appelle le groupe de Visegrad à relancer ses ac�vités, en partenariat avec la Hongrie. Depuis, les deux États reme�ent en cause la poli�que menée par l’Union européenne sur les ques�ons d’immigra�on, de budget mais également de sécurité en prônant une posi�on pro-russe et souverainiste. La guerre en Ukraine devient alors l’un des symboles 108 - Revue TB N°7

phares de leur alliance renouvelée, et cons�tue un exemple de la volonté de la Hongrie et de la Slovaquie d’apporter des modifica�ons dans les poli�ques internes et externes de l’UE. Ainsi, l’alliance slovaquehongroise menace directement un équilibre européen fragile et contribue à renforcer l’influence des mouvements populistes en Europe.

Cet ar�cle vise à mesurer les répercussions d’une telle alliance sur les ins�tu�ons du con�nent dans un contexte où la guerre en Ukraine a bouleversé l’Union européenne en provoquant une crise mul�dimensionnelle.

DES DIFFÉRENDS DANS LE GROUPE DE VISEGRAD (V4)

Il est avant tout important de men�onner que le groupe de Visegrad est une organisa�on qui a été créée en 1991 afin d’accélérer le processus d’intégra�on de trois pays d’Europe centrale dans l’Union européenne. A l’origine, le V4 se composait de trois États, à savoir la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie, puis a a�eint quatre membres lors de la dissolu�on de ce dernier au début des années 1990.

En prônant la coopéra�on poli�que, économique et culturelle entre ces États, et en remplissant les objec�fs fixés, les membres du groupe ont pu adhérer à l’Union européenne et à l’OTAN entre 1999 et 2004.

L’objec�f principal de l’organisa�on était alors a�eint, ce qui a engendré peu à peu une diminu�on de l’importance du groupe et une remise en ques�on de son u�lité.

« La guerre en Ukraine, qui a débutée en février 2022, a profondément divisé le groupe de Visegrad sur les positions à adopter envers la Russie. » Toutefois, en 2015, en raison de la crise migratoire, les membres du V4 ont renoué leur lien, ayant des intérêts communs pour contrer les poli�ques européennes. En effet, les membres du groupe se sont grandement opposés à l’accueil de migrants sur leur territoire, en rejetant la poli�que de quotas de réinstalla�on de réfugiés proposée par l'Union européenne. En ce sens, ils ont plaidé en faveur de solu�ons alterna�ves centrées sur le renforcement des fron�ères extérieures de l'UE et la coopéra�on avec les pays d'origine des migrants. Ainsi, le groupe de Visegrad a insisté sur le principe de la souveraineté

na�onale et de l’importance du na�onalisme en ma�ère de poli�que migratoire.

Il est alors possible d’expliquer ces arguments poli�ques par la présence de populistes d’extrême droite au sein des gouvernements de ces pays, qui n’ont pas seulement collaboré sur la ques�on migratoire, mais aussi sur des ques�ons poli�ques, économiques, énergé�ques et sécuritaires tout en représentant un frein pour l’UE. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, est alors devenu l’une des figures principales du populisme en Europe centrale depuis de nombreuses années, et formait avec la Pologne une véritable alliance sur les idées na�onalistes, euroscep�ques et an�-mondialistes.

En outre, la guerre en Ukraine, qui a débutée en février 2022, a profondément divisé le groupe de Visegrad sur les posi�ons à adopter envers la Russie.

Effec�vement, d’un côté, nous retrouvons Viktor Orban qui se dit “pro-russe” et souhaite bloquer les aides économiques et militaires de l’UE envers son voisin, et de l’autre, nous retrouvons les trois autres membres du V4 prêts à adopter une poli�que étrangère totalement différente. Des tensions idéologiques et poli�ques sont alors présentes au sein du groupe. Si la Pologne était une alliée puissante de la Hongrie lors de la crise migratoire, sa posi�on a radicalement changé depuis le début de la guerre.

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce revirement poli�que. En effet, le gouvernement polonais a connu une alternance au pouvoir avec les élec�ons parlementaires de 2023, passant d’un par� d’extrême droite euroscep�que à une coali�on de par�s de centre-gauche, plus déterminée à collaborer avec Bruxelles. Ainsi, au début de la guerre, la Hongrie est le seul État du V4 à ne pas considérer la Russie comme ennemi. Budapest sera d’ailleurs le seul pays de l’Union européenne à envoyer un ambassadeur à Minsk, en Biélorussie, pour entamer des négocia�ons avec la Russie. Ce�e situa�on pousse alors Budapest à s’isoler diploma�quement et à bloquer les poli�ques d’aide envers l’Ukraine.

UN RAPPROCHEMENT IDÉOLOGIQUE ENTRE LA SLOVAQUIE ET LA HONGRIE Il est tout à fait intéressant de men�onner que la situa�on d’isolement de la Hongrie n’est plus réellement d’actualité. En effet, en octobre 2023, lors des élec�ons législa�ves, les Slovaques ont voté en majorité pour le par� populiste Smer-SD de l’ancien Premier ministre, Robert Fico. Ce dernier a été une figure poli�que importante en Slovaquie en étant Premier ministre à plusieurs reprises, avec son premier mandat débutant en 2006. Toutefois, son gouvernement a été fortement cri�qué pour des cas de corrup�on et pour avoir fragilisé l'État de droit en réduisant certaines libertés et droits fondamentaux. Il a démissionné en 2018 en raison de la pression Revue TB N°7 - 109 Orban s’est taillé une réputa�on d’inflexibilité face à Bruxelles ©Dpa

publique des�née à son encontre, qui fut suscitée par l'assassinat du journaliste Ján Kuciak et de sa fiancée, qui enquêtait sur les rela�ons entre le gouvernement slovaque et le crime organisé dans le pays.

Suite aux élec�ons législa�ves, il décide alors de faire une coali�on avec le par� de gauche Hlas et le par� d’extrême droite pro-russe SNS afin d’obtenir une majorité absolue au Parlement. Ainsi, après cinq ans d’absence, Fico revient sur le devant de la scène avec de nombreuses promesses et des idées contraires aux poli�ques menées par l’UE, en affirmant notamment une posi�on “pro-russe” pour la Slovaquie. En ce sens, il nomme ministre des Affaires étrangères le député pro-russe, Juraj Blanar, qui a directement établi des rela�ons avec Moscou. Ce revirement poli�que en Slovaquie crée de facto une alliance avec la Hongrie d’Orban, qui peut alors sor�r de son isolement diploma�que. Les deux États peuvent ainsi trouver des intérêts communs à bloquer les poli�ques européennes en ce temps de guerre menaçant directement la stabilité de l’Europe.

LA GUERRE EN UKRAINE : ENTRE MENACES EXTERNES ET INTERNES La guerre est un sujet de clivage en Europe, que ce soit pour ses implica�ons poli�ques, économiques ou encore énergé�ques. En effet, depuis le début de l’invasion russe en février 2022, l’Europe a fait face à de sérieuses répercussions sur ses marchés énergé�ques et alimentaires, mais a dû également répondre aux retombées humanitaires de la guerre. La crise mul�dimensionnelle provoquée par l’invasion russe a engagé les pays du con�nent à s’accorder sur une poli�que énergé�que commune afin de garan�r la stabilité interne de l’Union. L’Europe s’est alors tournée vers une diversifica�on de ses importa�ons en gaz, a défendu des sanc�ons à l’égard de Moscou et a protégé des corridors de solidarité pour réduire l’impact de la guerre dans l’exporta�on des denrées alimentaires à l’échelle mondiale.

Nous pouvons également affirmer que l’engagement européen est caractérisé par une stratégie conjointe entre l’UE et l’OTAN. En effet, les deux organisa�ons offrent un appui poli�que à l’Ukraine par l’accompagnement de son adhésion dans l’alliance nord-atlan�que depuis 2008, ainsi qu’à son adhésion à l’Union depuis 2023. Le sou�en poli�que est couplé au renforcement des capacités de l’Ukraine à la fois dans ses forces militaires et dans son matériel militaire et médical. En outre, l’UE et ses États membres ont fourni près de 85 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine, marquant l’importance de l’aide européenne dans ce�e guerre1. A �tre de comparaison, les Etats-Unis ont accordé une aide de 43,9 milliards d’euros à l’Ukraine, marquant la place prédominante et essen�elle de la contribu�on des pays européens contre la menace russe2.

Même si la Russie menace l’Union européenne de manière externe, c’est-à-dire en dehors de ses fron�ères, il est important de souligner que l’alliance slovaque-hongroise peut devenir à son tour une faille à la stabilité de l’UE. Le rapprochement entre les deux États cons�tuerait alors une menace interne. Depuis le début de la guerre, si la majorité des pays européens considèrent la Russie comme un véritable danger et un perturbateur de la paix en Europe en raison de sa proximité géographique, d’autres, comme la Hongrie et la Slovaquie, ne perçoivent pas Moscou comme un ennemi. En effet, les deux pays d’Europe centrale avancent l’argument selon lequel l’UE n’est pas censée par�ciper à l’envoi d’aide militaire, mais plutôt à apporter la paix et être médiatrice dans ce conflit.

Les deux États se placent alors comme de véritables porte-voix à la poli�que menée par le Kremlin depuis l’intérieur de l’UE. En effet, ils ont manifesté une volonté de normaliser les rela�ons diploma�ques avec Moscou, ont décidé d’arrêter d’envoyer un sou�en économique et militaire à l’Ukraine, ainsi que d’arrêter de soutenir les sanc�ons européennes à l’encontre de la Russie. Pourtant, la Slovaquie était jusque-là un acteur essen�el dans l’aide militaire apportée à l’Ukraine en prodiguant près de 13 avions de chasse Mig 29. De plus, sous les prédécesseurs de Fico, l'État slovaque a accordé près de 720 millions d’euros, soit 0,63% de son PIB, à l’effort de guerre en Ukraine, ainsi qu’une aide humanitaire et financière respec�ve de 10 millions d’euros3. Par conséquent, l’arrêt de l’aide militaire annoncé par Fico en octobre 2023 a fait l’effet d’une douche froide pour l’Ukraine. La Hongrie a également u�lisé son veto à une aide de 50 milliards d’euros à des�na�on de l’Ukraine en décembre 2023.

Ce blocage poli�que intervient dans une période où l’aide accordée à l’Ukraine est en baisse significa�ve.

En outre, les ini�a�ves portées par l’alliance slovaquehongroise servent résolument les intérêts de Moscou

110 - Revue TB N°7 2024, la Slovaquie annonce la fin de l’aide militaire à l’Ukraine ©GoS

Contrairement à d’autres puissances européennes, la France semble bouder les poli�ques populistes

en endiguant l’aide européenne. L’alliance se concentre au même �tre à se porter comme un relais de la propagande et de la désinforma�on russe dans le but de miner l’ac�on de l’Europe dans ce conflit.

Ainsi, la récente alliance slovaque-hongroise sème de nouveaux troubles au sein de l’Union européenne, qui peine à s’accorder sur une posi�on commune. Les deux États sont alors une véritable faille pour la poli�que extérieure de l’UE et de l’OTAN. En ce sens, le chercheur Lukas Macek, spécialiste de l’Europe centrale à l’Ins�tut Jacques Delors, affirme que “Le Kremlin a gagné un relais au plus haut niveau en Europe. Voilà un deuxième gouvernement au sein de l’Union européenne, qui dans son discours, reprend des éléments de langage russes”. Il est alors possible de considérer la Hongrie et la Slovaquie comme des chevaux de Troie de Moscou en Europe, et cons�tueraient directement une menace interne pour l’UE.

reme�ent en cause les poli�ques d’immigra�on, le budget européen, la place de l’Europe sur la scène interna�onale, détournant par la même occasion l’UE de sa posi�on atlan�ste. Ainsi, l’alliance slovaquehongroise témoigne de la désunion poli�que européenne, mais également de l’influence grandissante de la Russie pour certains pays, troublant l’avenir du con�nent.

UNE COLLABORATION DE LA FDNU FÉDÉRATION POUR LA DIPLOMATIE ET LES NATIONS UNIES

LE POPULISME EN VOIE DE GÉNÉRALISATION ?

Au cours des dernières années, l’UE est devenue une véritable arène idéologique entre européistes, atlan�stes et euroscep�ques, qui a été encore plus chamboulée par la guerre en Ukraine. Ce�e bataille idéologique sème le trouble en Europe à l’heure des prochaines élec�ons européennes qui se dérouleront en juin 2024. En ce sens, la récente élec�on de Fico en Slovaquie est interprétée comme un signal d’alarme pour l’unité poli�que de l’UE alors que les populismes se généralisent et augmentent dans chaque État. En effet, le populisme se démocra�se partout en Europe comme le démontrent les récentes élec�ons successives en Italie, en Suède et aux Pays-Bas. Ces dynamiques populistes d’extrême droite marquent un tournant et peuvent par�ciper, à l’avenir, à une restructura�on de la poli�que externe et interne de l’UE. En effet, les par�s na�onalistes et euroscep�ques Revue TB N°7 - 111

UNION EUROPÉENNE

Moldavie & Géorgie Élargissement & avenir européen Par Maxime RESCAN & Nino VEPKHVADZE - FDNU

Les pays candidats ne sont encore qu’au début de leur périple pour obtenir le statut de membre de l’Union Européenne ©MFA

La ques�on de l’élargissement de l’Union européenne à de nouveaux pays est un sujet central depuis la créa�on de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) puis la CEE (Communauté économique européenne) dans les années 1950. L'élargissement est, aujourd’hui encore, l'une des stratégies les plus importantes de l'UE. Comme l'a déclaré Charles Michel, président du Conseil européen, dans son discours au Conseil européen en décembre 2023 : « L'élargissement est un inves�ssement dans la paix, la sécurité et la prospérité ».

En 2024 aussi se pose la ques�on de l'élargissement de l’Union européenne dans un contexte de guerre en Ukraine, d’exacerba�on des na�onalismes et de montée des populismes. L’élargissement à l’est ne fait 112 - Revue TB N°7

pourtant pas consensus au sein même de l’organisa�on européenne, en témoigne en par�culier le blocage du Premier ministre Hongrois Viktor Orban qui refuse de donner davantage d’aide financière à l’Ukraine et qui se rend volontairement absent du Conseil européen au moment du vote concernant la ques�on de l’élargissement de l’Union à plusieurs pays, et en par�culier la Géorgie et la Moldavie.

Con�nuant dans la logique de lier les anciens pays de l’Union Sovié�que, comme les pays Balkans déjà candidats, l'Union européenne a amorcé une nouvelle phase d'élargissement visant à renforcer les liens avec des na�ons partageant ses valeurs sans en être membres. Elle a accordé le statut de candidat à la Géorgie et à la Bosnie-Herzégovine et a ouvert les négocia�ons d’adhésion à la Moldavie et à l’Ukraine.

Ce�e nouvelle vague se diffère des précédentes car elle s’inscrit dans un contexte géopoli�que par�culier.

L'invasion à grande échelle de la Russie en Ukraine en février 2022 a accéléré le rythme de ce processus.

DEUX VOIES DISTINCTES VERS L'INTÉGRATION DANS L'UNION EUROPÉENNE La Moldavie et la Géorgie ont des posi�ons différentes en ce qui concerne leur adhésion poten�elle à l'Union européenne. La Moldavie est déjà en négocia�ons, tandis que la Géorgie vient d'obtenir le statut de candidat. Ces dis�nc�ons découlent en par�e de la stratégie des pays envers l'Europe, influencée par des facteurs tels que la guerre en Ukraine. La Moldavie, en raison de son emplacement stratégique et de la présence russe sur son territoire, revêt une importance par�culière pour l'UE et l'OTAN. Cependant, il est intéressant de noter qu’en Géorgie, la popula�on sou�ent fortement l'intégra�on euroatlan�que, avec 89% en faveur selon un sondage de l'IRI2. Cependant, en Moldavie, l'opinion est plus ambivalente, avec seulement 63% en faveur de l'adhésion à l'UE selon un sondage de novembre 2022.

Les réalités diffèrent également en ce qui concerne les gouvernements. La présidente de la Moldavie, Maia Sandu, est connue pour sa posi�on pro-UE, tandis que le gouvernement géorgien est dirigé par un par� poli�que, le « Rêve géorgien » arrivé au pouvoir en 2012, qui, en apparence, sou�ent l'orienta�on occidentale du pays, mais qui a connu plusieurs controverses reme�ant en ques�on son orienta�on européenne. Leur tenta�ve d'introduire, au printemps 2023, un projet de loi sur les « agents étrangers » qui, selon la présidente géorgienne a été dicté par Moscou, et qui a été re�ré à la suite de protesta�ons massives.

En outre, le fondateur du par�, l'ancien premier ministre Bidzina Ivanichvili, entre�ent des liens étroits avec la Russie, où il a bâ� sa fortune dans les années 1990.

En ma�ère de réponse aux critères d'intégra�on de l'UE, la Moldavie est plus avancée que la Géorgie, principalement en raison de son partenariat commercial étroit avec les pays de l’organisa�on, représentant 70% de ses exporta�ons totales et 56% de son commerce total en 2018. Sur le plan économique, la Moldavie a une longueur d'avance, bien que des progrès soient nécessaires. La Géorgie, malgré des avancées notables, doit encore s'aligner sur les normes de l'Union, notamment par la mise en place d'accords de libre-échange approfondi.

Néanmoins, les progrès de la Géorgie ne doivent pas être sous-es�més, avec la signature d'un Accord d'Associa�on en 2014 et son transfert sur la liste des pays �ers exemptés de visa en 2017, un jalon important dans son rapprochement avec l'UE, bien que la Moldavie ait franchi ce�e étape elle dès 2014.

Le traité sur l’Union européenne pose une triple condi�on pour obtenir le statut de candidat : être un État, être « européen » (critère géographique rela�vement indéterminé) et respecter les valeurs de l’Union, tout en s’engageant à les promouvoir de manière constante et durable dans le temps.

Chronologiquement, les étapes à suivre pour obtenir le statut de candidat avant d’adhérer sont : 1. Le dépôt de candidature.

2. L’obten�on du statut de pays candidat. (qui ne préjuge par ailleurs en rien de l’admission d’un pays dans l’Union européenne).

3. La stratégie de pré-adhésion. Une fois le pays devenu candidat, une stratégie de pré-adhésion est mise en œuvre. L’objec�f est de familiariser le candidat avec les procédures et les poli�ques de l’UE en lui offrant la possibilité de par�ciper à des programmes européens et en lui accordant une aide financière. Ce sou�en est des�né à aider ces pays à entreprendre les réformes poli�ques, économiques et ins�tu�onnelles nécessaires pour respecter les règles européennes.

4. Ouverture des négocia�ons d’adhésion. Un État qui souhaite intégrer l’Union doit sa�sfaire quatre condi�ons d’adhésion : - Critère poli�que ; - Critère économique ; - Acquis de l’Union européenne ; - Capacité d’intégra�on.

5. Signature du traité d’adhésion.

6. Adhésion à l’Union européenne.

Concernant l'alignement sur la poli�que étrangère de l'UE, la Géorgie présente une disposi�on à s'aligner selon un document du Parlement européen, bien que son niveau d'alignement soit évalué à seulement 43%.

Malgré des mesures spéciales de sanc�ons pour « Donetsk et Luhansk » et des ac�ons contre le contournement des sanc�ons de l'UE, la Géorgie n'a pas appliqué de restric�ons envers la Russie en raison de l'occupa�on de 20% de son territoire. En revanche, la Moldavie, évaluée entre bon et modéré en termes de prépara�on, a considérablement augmenté son alignement avec l'UE dans les forums interna�onaux, passant de 54% à 78% en un an. Cela souligne les efforts du gouvernement moldave pro-UE dans la défini�on de sa poli�que, tandis que le gouvernement géorgien semble plus hésitant en ma�ère de poli�que interna�onale.

La realpoli�k géorgienne impose un équilibre sub�le de sa rela�on Occident-Russie, un obstacle à son intégra�on dans l’UE ©Reuters

Pour comprendre les difficultés rencontrées par ces deux pays dans leur objec�f de l'intégra�on dans l’UE, il faut rappeler les importants défis dis�ncts auxquels ils font face dans leur parcours vers l'intégra�on. La Géorgie a progressé dans les réformes liées à l'administra�on publique, aux marchés publics et à l'économie, mais les préoccupa�ons persistantes de l'UE incluent la protec�on des minorités, notamment des femmes et des personnes LGBTQ+, ainsi que le respect des droits de l'homme. L'accent est mis sur la promo�on d'élec�ons démocra�ques, le main�en d'un système judiciaire indépendant et la réduc�on de la polarisa�on poli�que. La Moldavie, bien que recevant moins d'indica�ons dans la revue annuelle des progrès par rapport à la Géorgie, est encouragée par le Conseil européen à poursuivre les réformes judiciaires et à renforcer les ins�tu�ons dans la lu�e contre la corrup�on, en établissant un historique solide d'enquêtes et de condamna�ons, notamment dans des affaires de haut niveau.

QUE SIGNIFIE L'INTÉGRATION À L'UNION EUROPÉENNE POUR LA GÉORGIE ET LA MOLDAVIE ?

Malgré des avancées notables, une chose demeure vraie : ni la Géorgie, ni la Moldavie n'auraient probablement présenté leur candidature à l’adhésion de l'Union européenne aussi rapidement sans le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022. En effet, l’avancée historiquement rapide des négocia�ons entre ces deux pays et l’Union européenne s’explique aussi, en par�e, par un contexte géopoli�que par�culièrement complexe à l’est.

UN VOISIN RUSSE MENAÇANT L’accéléra�on de la candidature de la Géorgie et de la Moldavie à l’Union européenne s’explique en effet avant tout par une raison géopoli�que : le déclenchement de la guerre en Ukraine. Ces deux pays étant voisins plus ou moins proches de la Russie, l'Union européenne est pour eux une forme de protec�on primaire et éventuellement une première étape avant de demander une adhésion au sein de l’Organisa�on du traité de l’Atlan�que nord (OTAN).

Pour autant, une dis�nc�on est à opérer entre ces deux pays. L’un, la Géorgie, est voisin direct de la Russie quand l’autre, la Moldavie, est voisin direct de l’Ukraine. Au moment de l’invasion de l’Ukraine la Géorgie s’est donc inquiétée de nouveau de manière importante et « la Géorgie en tant qu’État indépendant pourrait disparaître si elle reste ou si elle est laissée dans une zone grise », a rappelé dans une interview écrite à l’AFP, l’ancien président réformateur et pro-européen Mikhaïl Saakachvili, emprisonné depuis 2021 par l’actuel régime autoritaire. La Géorgie représente pour l’Europe un enjeu moral autant que 114 - Revue TB N°7

géopoli�que. Elle fut l’une des premières exrépubliques sovié�ques à se dégager de l’influence de Moscou. Dès 2004, la « révolu�on des roses » renverse le vieil apparatchik Edouard Chevardnadze pour instaurer un pouvoir pro-européen et réformateur, modèle de modernisa�on dans l’espace de l’ex-URSS. Pour autant, le Kremlin via ses relais sur place ne cédera pas facilement à lâcher tout influence sur la Géorgie qui représente en effet un appui essen�el pour Moscou en mer Noire et qui fut longtemps quasiment un « lac sovié�que ». Seule la Turquie au sud, membre de l’OTAN, échappe alors à l’hégémonie sovié�que. Depuis l’effondrement de l’URSS, la majorité des pays riverains dont la Roumanie et la Bulgarie ont d’ailleurs rejoint ce�e organisa�on.

Toutefois, la Moldavie s’inquiète des difficultés de son voisin ukrainien sur le front aussi pour elle et par peur de l’hégémonie russe. Raison pour laquelle l’ouverture des négocia�ons a été perçue extrêmement posi�vement par le pouvoir moldave. La République moldave est en effet une cible privilégiée de l’ingérence Russe, le pays tente ainsi de rompre un à un ses liens avec Moscou sous l’impulsion du gouvernement pro-européen actuel. Si le risque d’une a�aque directe de la Russie envers ce pays est peu probable aujourd’hui, l'ingérence, elle, est effec�ve et l’adhésion de la Moldavie dans l’UE serait une protec�on supplémentaire pour les Moldaves, gage de sécurité tant sur le plan poli�que qu’économique.

LA NÉCESSITÉ D’UNE ASSISTANCE ÉCONOMIQUE Par ailleurs, si au niveau sécuritaire et militaire la Moldavie et la Géorgie s’inquiètent de la situa�on actuelle de la guerre en Ukraine, l’adhésion de leur pays au sein de l’Union européenne représente avant tout pour eux une protec�on économique et une possibilité d’assurer leur développement grâce aux aides économiques apportées par la Commission européenne.

La Moldavie a souvent été considérée comme un failed state européen le pays a un besoin cri�que de sou�en économique qui divisera une communauté européenne toujours plus élargie ©EU

En effet, la Moldavie est un pays à la croisée des mondes. L’État a été sovié�que avant d’être indépendant, et privé d’une part de son territoire – la Transnistrie sépara�ste – à peine la nouvelle République proclamée. La popula�on parle en grande majorité le roumain mais aussi très souvent le russe.

L’Union européenne y finance des programmes de développement importants et la République ne cesse de montrer des preuves de ses efforts pour con�nuer à pouvoir profiter de ces aides indispensables à son bon développement économique. Ainsi, dans le cadre des négocia�ons d'adhésion, la Moldavie à qui�er la Communauté des États indépendants, une organisa�on régionale dominée par Moscou. La Moldavie perçoit d’ores et déjà des aides mais l’adhésion officielle perme�rait un bon en avant et une augmenta�on de ce�e assistance.

C’est également le cas pour la Géorgie. Comme l’affirme le Conseil européen, le développement économique et la créa�on d'emplois sont des priorités essen�elles pour le pays. L'UE est d’ailleurs le principal partenaire commercial de la Géorgie, avec une part de 27 % du total de ses échanges. L'ouverture du marché de l'UE à davantage de produits géorgiens offre con�nuellement aux Géorgiens de nouvelles possibilités d'exporta�on et de revenus. Aussi, par l'intermédiaire des groupes d'ac�on locale, l'UE a soutenu 360 ini�a�ves de développement local dans les zones rurales, qui ont permis d'améliorer les condi�ons d'emploi de plus de 1 000 ménages et les condi�ons de vie de plus de 10 000 personnes3.

UN POINT COMMUN : L’EXISTENCE DE RÉGIONS SÉPARATISTES ET DE CONFLITS TERRITORIAUX. Si le besoin d’Europe semble se faire si pressant pour ces deux pays c’est enfin à cause de ques�ons territoriales. En effet, la Géorgie connaît en son sein deux régions dites « sépara�stes” » depuis la guerre éclair entre la Russie et la Géorgie en 2008. Ce conflit avait en effet débouché sur la reconnaissance par Moscou de l'indépendance de deux territoires sépara�stes, l’Ossé�e du Sud et l’Abkhazie. Ce�e « sépara�on interne » dans le pays a pour conséquence presque directe une volonté de solidarité nouvelle provenant de l’extérieur, une solidarité européenne.

Quant à la Moldavie, le cas de la Transnistrie reste pour elle source d’une grande inquiétude concernant la permanence de l’influence Russe au sein même de son pays. En effet, la région sépara�ste de Transnistrie, soutenue par la Russie, est une étroite bande de terre située entre le sud de l'Ukraine et la Moldavie, dont elle a fait sécession dans la foulée de l'effondrement de l'URSS. Ce�e région majoritairement russophone a unilatéralement proclamé son indépendance en 1990, de peur d'une « roumanisa�on » du pays, qui cherchait alors à sor�r de l'orbite sovié�que. Un conflit armé,

achevé en juillet 1992, s'est soldé par plusieurs centaines de morts et l'interven�on de l'armée russe.

L'actuel président Vadim Krasnoselski, est encore prorusse, ce qui explique l’inquiétude de certains Moldaves.

QU'EST-CE QU’IMPLIQUE CET ÉLARGISSEMENT À L’EST POUR L’UNION EUROPÉENNE ?

Tout d’abord, au niveau économique, selon un rapport du Parlement européen, l'adhésion de nouveaux États membres à l'UE aura un impact sur le budget de l'Union. Des ressources supplémentaires seront nécessaires pour couvrir les coûts liés aux poli�ques agricoles et de cohésion. Une étude du Secrétariat général du Conseil de l'UE es�me le coût de l'adhésion de tous les pays candidats actuels sur sept ans à 256,8 milliards d'euros, soit 37 milliards d'euros par an. Cependant, ce�e évalua�on dépend du main�en des règles actuelles. Si ces règles restent les mêmes, cela entraînera des réduc�ons importantes des paiements aux États membres et aux régions existantes.

Au niveau géopoli�que, une fois officiellement membre de l'UE, chaque nouvel État, y compris la Moldavie et la Géorgie, bénéficiera de la clause de défense mutuelle de l'Union, ce qui pourrait entraîner des conflits poten�els avec la Russie. Si l'Ukraine cède davantage de son territoire à la Russie à la suite d'un conflit, la puissance et l'influence de la Russie en Europe augmenteront. Cependant, pendant que l'a�en�on de Moscou est ailleurs, l'Occident a l'opportunité de réduire son influence dans la région de la mer Noire et dans le sud-est de l'Europe, apportant des avantages en termes de sécurité. L'aide financière de l'UE à la Moldavie a également augmenté. Pour la Géorgie, l'adhésion à l'UE est vue comme un seul chemin pour le développement du pays. L'Union européenne doit u�liser sa posi�on pour promouvoir la paix et régler les rela�ons entre les États à travers le con�nent européen et ainsi sa�sfaire la « soif d’Europe » que ces pays ont dans un contexte géopoli�que à haut risque et au moment même où le reste du monde à désormais les yeux rivés vers le Proche-Orient.

UNE COLLABORATION DE LA FDNU FÉDÉRATION POUR LA DIPLOMATIE ET LES NATIONS UNIES

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