N°5 - Le Moyen-Orient, carrefour dangereux

SOMMAIRE

L’Édito Quentin BENOIT - Cofondateur de Terra Bellum

Chronique du Levant Marie LE SCOLAN

Lutte pour l’hégémonie Benjamin WUCHER

La guerre secrète entre Israël et l’Iran Artus DE VIVIE

L’espace vue de l’Orient Dylan BREYNE

La mer Égée, une périphérie disputée Johann LEMPEREUR

Stratégie et diplomatie Israélienne André ROTHSCHILD

Téhéran - Caracas du levant aux Antilles Alexandre PAMART - Intitut Talleyrand

Les enjeux du traité Irano-Saoudien Gabriel GINIOUX, Ambre BARRIA, Erwan GESREL - AEGE

La Chine un nouvel acteur au Moyen-Orient ?

Eric GUIOCHON - CINUP

2 - Revue TB N°4

4 6 12 16 20 24 30 36 42 48

Sultanat d’Omann, l’autoritarisme éclairé ?

Grégoire ROQUETTE

L’eau en Mésopotamie Etienne LOMBARDOT

Le port de Fujairah une alternative au détroit d’Ormuz ?

Ambroise GODARD

Dubaï au cœur des trafics Alexandre PAMART, Dorian PAIRE-COCHIN - Intitut Talleyrand

Dans l’ombre de l’Iran avec la force Al-Qods Loik MANACH - CINUP

Egypte des sous-marins pour la Méditérannée Defense Insider

Le drone un marché en quête d’autonomisation J. GUERIN - Jeunes IHEDN

Turquie un complexe militaro-industriel souverain ?

Ismaël RICARD

54 58 62 66 74 78 82 88

Sommet annuel de la Ligue Arabe

Revue TB N°4 - 3

ÉDITO

Merci à nos lecteurs Par Quen�n BENOIT - Cofondateur de Terra Bellum Le Moyen-Orient, berceau de civilisa�ons millénaires et théâtre Par l’Ins�tut deTalleyrand conflits historiques, con�nue d'occuper une place prépondérante dans l'agenda géopoli�que mondial. La région est caractérisée par une combinaison complexe de facteurs, tels que les rivalités religieuses, les tensions ethniques, les lu�es pour les ressources naturelles et les intérêts géostratégiques des puissances mondiales. Dans ce numéro de la revue Terra Bellum, nous allons examiner les défis auxquels est confronté le Moyen-Orient, les dynamiques actuelles qui façonnent la région et les perspec�ves d'avenir qui s'offrent à elle.

Le Moyen-Orient est une mosaïque de pays aux réalités poli�ques, économiques et sociales diverses.

Parmi les défis majeurs auxquels la région est confrontée, on trouve les conflits persistants en Syrie, en Irak et au Yémen, qui forment de véritables zones ou les puissances régionales et interna�onales s’affrontent dans la logique de leurs intérêts. La menace du terrorisme, alimentée par des groupes tels que l'État islamique, con�nue de peser sur la sécurité régionale. Les rivalités entre l'Arabie Saoudite et l'Iran sont toujours une réalité bien que les récents accords, sous l’égide de la Chine, perme�ent d’apaiser les tensions. La Syrie a réintégré la Ligue Arabe après une parenthèse de plus de 10 ans. Tandis qu’Israël, le cas de la Pales�ne ou du Liban demeurent des sources poten�elles de conflit et d'instabilité, nourris par une guerre de l’ombre irano-israélienne qui a déjà fait des milliers de vic�mes.

Le Moyen-Orient connaît aussi une évolu�on rapide de ses dynamiques poli�ques, économiques et sociales. Les protesta�ons populaires qui ont éclaté dans plusieurs pays, connues sous le nom de "Printemps arabe", ont bouleversé l'ordre établi et ont conduit à des transi�ons poli�ques complexes et souvent tumultueuses, du jamais-vu depuis la période post Seconde Guerre mondiale et les na�onalismes arabes. Parallèlement, la région est confrontée à des enjeux économiques majeurs, tels que la diversifica�on des économies dépendantes du pétrole, la promo�on de l'emploi des jeunes et la réduc�on des inégalités socio-économiques. Les pouvoirs poli�ques sont à la recherche d’un équilibre entre tradi�on et développement.

Malgré les défis qui persistent, le Moyen-Orient offre également des perspec�ves d'un avenir prome�eur. La région possède d'importantes ressources naturelles qui pourraient être exploitées de manière durable pour favoriser le développement économique. Les ini�a�ves visant à promouvoir l'intégra�on régionale, telles que la créa�on de zones économiques spéciales 4 - Revue TB N°4

et les projets d'infrastructures transna�onales, pourraient contribuer à renforcer la coopéra�on et à réduire les tensions. Les changements géopoli�ques ini�és en 2022, placent ainsi le Moyen-Orient au cœur de l’axe Nord-sud. Ce qui en fait une région stratégique et donc toujours autant convoitée.

Le Moyen-Orient est une région complexe et en évolu�on constante, où les défis et les opportunités s'entremêlent. La stabilité et la prospérité durables de la région nécessiteront des efforts concertés de la part des acteurs régionaux et interna�onaux. Les solu�ons poli�ques inclusives, la diploma�e préven�ve et la coopéra�on économique sont essen�elles pour relever les défis.

Ce numéro spécial sur le Moyen-Orient a pour objec�f de délivrer un panorama réaliste sur la région et de démocra�ser la géopoli�que auprès de notre public. Grâce à nos contributeurs, nous revenons sur des aspects poli�ques, diploma�ques, économiques, géographiques ou militaires. Je remercie tous les auteurs et associa�ons qui ont su faire preuve de professionnalisme et ont par�cipé à ce travail de rédac�on ambi�eux qui regroupe au total un peu moins d’une centaine de pages de contenu géopoli�que. Je remercie nos abonnés qui nous sou�ennent et portent ce projet d’une revue à notre échelle et je vous souhaite une très bonne lecture.

Revue TB N°4 - 5

GÉOSTRATÉGIE

Chronique du Levant Moyen-Orient, une région en pleine mutation Par Marie LE SCOLAN

Un carrefour au bord de trois con�nents, l’emplacement géographique du Moyen-Orient est aussi révélateur des bouleversements qui s’y déroulent

29 février 2020, les Etats-Unis et les Talibans signent l’accord de Doha sur le retrait des forces des Etats-Unis et de l’OTAN des territoires contrôlés par les Talibans.

Le 15 août 2021, Kaboul chute aux mains des Talibans, conséquence de leur offensive militaire menée entre le 1er mai et le 15 août. Deux semaines après la prise de Kaboul, le dernier soldat américain qui�e le sol afghan, me�ant fin à l’opéra�on Freedom’s Sen�nel, à la mission Resolute Support de l’OTAN, ainsi qu’au plus long engagement militaire de l’histoire des Etats-Unis.

Le 30 août 2021 consacre le désengagement américain du Moyen-Orient, ul�me expression d’un mouvement dont les prémices sont bien antérieures. Bien plus qu’une rupture avec l’orienta�on de la poli�que étrangère américaine sur ce théâtre, le 30 août 2021 est signe de con�nuité. Il est l’incarna�on d’un regard 6 - Revue TB N°4

américano-occidental qui se désaxe du Moyen-Orient au profit du théâtre Indopacifique, laissant toute la�tude aux autres puissances pour s’y ancrer et évoluer.

En 2011, le mouvement transna�onal du Printemps arabe s’étend à l’Egypte, alors gouvernée par Hosni Moubarak. Ayant été élu président à la suite de l’assassinat de son prédécesseur, Anouar El-Sadate, en 1981, il fut incité à démissionner le 11 février 2011.

Moubarak était l’un des partenaires les plus capitaux de l’administra�on Obama au sein du monde moyenoriental, le manque d’implica�on américaine dans cet épisode égyp�en fut interprété sous le prisme de la trahison par les acteurs régionaux. La crédibilité américaine est écaillée, et son image de fiabilité, écornée. La séquence des printemps arabes et la

démonstra�on de la faillibilité de la présence américaine dans la région ne fut que le début d’un désengagement américain, pavant ainsi la route aux puissances désireuses de faire du Moyen-Orient, une terre d’alliances et de sou�ens à l’interna�onal.

La poli�que étrangère américaine au Moyen-Orient, qui était profondément régie par la « guerre contre le terrorisme », s’é�ole. En 2015, au lendemain d’un a�entat terroriste de grande ampleur au Yémen, les forces américaines se re�rent. L’engagement américain passe d’un engagement physique à un engagement plus indirect avec le sou�en à la coali�on menée par l’Arabie saoudite afin de pacifier le Yémen, déchiré par la guerre civile. Six ans plus tard, le président Biden annonce l’arrêt du sou�en américain à la coali�on. Dans le même temps, dans le sillage de la guerre contre l’Etat Islamique, la coali�on Etats-Unis – Iran – Irak se disloque. Dès 2016, les rela�ons diploma�ques irano-états-uniennes sont rompues.

Deux ans plus tard, l’administra�on Trump se re�re de l’accord sur le nucléaire iranien, et rétablit l’intégralité des sanc�ons prises contre Téhéran. Les rela�ons irako-états-uniennes se dégradent, marquées par l’invasion américaine de l’Irak en 2003, qui est associée, dans les opinions publiques régionales, au mensonge d’Etat et à la frasque Simon Powell.

L’administra�on Biden n'a pas non plus su résorber les inquiétudes de ses partenaires et restaurer son aura de fiabilité, le voyage présiden�el de juillet 2022 n’en est que la traduc�on. Transcrivant une influence américaine sur le déclin, le président Biden n’est pas parvenu à obtenir des résultats auprès de ses partenaires. En Israël, les négocia�ons n’ont pas été relancées, Biden ne prenant pas posi�on sur le dossier israélo-pales�nien. L’allié saoudien a en outre refusé d’accroitre la produc�on de pétrole pour pallier les difficultés rencontrées du fait de la guerre en Ukraine, et a également refusé de s’allier aux sanc�ons proférées contre la Russie. L’incompréhension devient alors l’expression dominante, son corollaire étant l’éloignement, désormais maxime d’ac�on des partenaires régionaux des Etats-Unis qui doutent de la per�nence de cet allié dont l’ac�visme diploma�que est bien moindre qu’il fût auparavant. La décision, entamée sous Obama, entérinée par ses successeurs, de centraliser les forces diploma�ques et militaires en Indo-Pacifique par le Pivot to Asia coûte aux EtatsUnis, occasionnant un déséquilibre majeur dans les rapports de forces et jeux d’alliances au MoyenOrient. Ce Moyen-Orient, désormais résolument postaméricain, se repense et se réinvente, les puissances et acteurs mondiaux s’engouffrent dans ce vide stratégique laissé par les Etats-Unis.

« L’administration Biden n'a pas non plus su résorber les inquiétudes de ses partenaires et restaurer son aura de fiabilité, le voyage présidentiel de juillet 2022 n’en est que la traduction » En 2019 et 2020, Washington décide de frappes sur Bagdad afin de stopper la progression de l’influence des Gardiens de la révolu�on islamique en Iran. En 2020, l’administra�on Trump prend la décision de re�rer du matériel lourd d’Arabie saoudite afin d’assurer une meilleure capacité de projec�on et de déploiement dans le Pacifique. La même année, le plan de paix proposé par Trump et Netanyahou, surnommé le deal of the century, échoue à me�re un terme au conflit israélo-pales�nien. Ce plan avait pour finalité de prouver la crédibilité de l’allié états-unien dans la structura�on des équilibres géopoli�ques au MoyenOrient et sa capacité à instaurer une esquisse de pacifica�on régionale, mais il produira l’effet contraire.

En réponse à ce qui est perçu comme étant un interven�onnisme états-unien n’ayant plus de raison d’être, des roque�es sont �rées depuis la bande de Gaza, territoire contrôlé par le Hamas, vers Israël.

Trump, l’amorce du retrait américain du Moyen-Orient ©Ge�yImage

Trois forces profondes sont désormais à l’œuvre.

Elles sont mul�scalaires, coexistantes, simultanées, et paradoxales. A l’échelle régionale des puissances riveraines, les rapports de force sont en cours de réécriture, l’évanescence de la présence américaine ayant cons�tué des fenêtres d’opportunités pour tout acteur réclamant une indépendance stratégique eu égard aux Etats-Unis. En dépit de ce�e dynamique de construc�on à l’échelle régionale, au sein même des Etats, la déconstruc�on semble paradoxalement avoir le primat, résultant en l’émergence d’Etats « faillis », tout du moins vulnérables, exposés aux menaces transna�onales qui définissent également l’environnement stratégique moyen-oriental. Enfin, les acteurs extrarégionaux voient également en ce�e émergence d’un Moyen-Orient post-américain, une chance à saisir pour faire du Moyen-Orient un théâtre d’avantage stratégique.

LA RECONFIGURATION DE L’ÉQUILIBRES GÉOPOLITIQUES ET DES JEUX D’ALLIANCE Les décisions successives des Etats-Unis, auparavant puissance tutélaire d’un théâtre stratégique en proie à une maximisa�on des conflictualités et des tensions, a entraîné un délitement du réseau de partenaires américains dans la région – l’Arabie saoudite étant en première ligne. Le pacte de Quincy de 1945 entérinait un accord simple : du pétrole pour les Etats-Unis, contre une garan�e de sécurité pour l’Arabie saoudite.

Le désinves�ssement des Etats-Unis de la projec�on saoudienne au Yémen et le retrait du mouvement des houthistes yéménites de la liste des organisa�ons terroristes, une organisa�on pourtant réputée proche

de l’Iran – ennemi séculaire de l’Arabie saoudite – a irrité Riyad. A cela s’ajoute la tardive réac�on américaine face aux frappes de drones houthistes, ciblant l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis, entrainant un reposi�onnement saoudien dans la rela�on avec les Etats-Unis.

« Le Moyen-Orient postaméricain entre dans une période charnière, modifiant en profondeur les équilibres de partenariats et de rivalités » En réac�on aux tensions israélo-pales�niennes de 2020, consubstan�elles à la poli�que de l’administra�on Trump et qui ne cessent de prouver l’incandescence du dossier, Israël s’est également repensé à double �tre : dans son régime en interne, et dans sa rela�on avec les Etats-Unis. Le gouvernement Netanyahou VI entérine notamment une alliance avec le Par� sioniste religieux, Otzma Yehudit et Noam, crispant l’entente avec l’administra�on Biden, ini�ant un rapprochement avec la Russie. Le Moyen-Orient postaméricain entre dans une période charnière, modifiant en profondeur les équilibres de partenariats et de rivalités. Se détournant de l’allié américain, ses partenaires dessinent de nouveaux rapprochements et convergences d’intérêts pour �rer profit de ce retrait.

Subséquemment, le Moyen-Orient connait actuellement une vague de normalisa�on des rela�ons entre puissances régionales. Par les accords d’Abraham

La Chine, nouvel acteur de la région veut avant tout sécuriser ses routes commerciales et le pétrole vital à son développement ©Reuters

en 2020, Israël pacifie ses rela�ons avec le monde arabe, notamment avec les Emirats arabes unis et le Bahreïn. Dans le même temps, ces deux traités de paix creusent la discorde entre Etats sunnites et chiites, et affaiblit la portée des revendica�ons pales�niennes.

En 2022, le Liban et Israël signent un accord entérinant leur fron�ère mari�me. Face à ce dynamisme diploma�que israélien, la diploma�e saoudienne a également redistribué les cartes des jeux d’alliances au Moyen-Orient. En mars 2023, Riyad et Téhéran ont annoncé rétablir leurs rela�ons diploma�ques. Ne répondant pas, ici, à la volonté israélienne de faire front contre la république islamiste d’Iran, puissance la plus véhémente et asser�ve face à Israël, le royaume saoudien a ainsi mis fin à toute spécula�on sur un poten�el ralliement de l’Arabie saoudite aux accords d’Abraham. Une telle décision est également à être interprétée comme la proclama�on tacite d’une indépendance stratégique que prend l’Arabie saoudite eu égard à la ligne états-unienne. La Syrie joue également un rôle central dans ce nouvel équilibre stratégique précaire au Moyen-Orient. Se rapprochant de la Turquie et de la Russie, elle cherche à approfondir sa rela�on avec l’Iran. Le jeu d’alliances semble alors se polariser autour d’Iran et d’Israël, sur fond de fractures na�onales et de menaces transna�onales déstabilisant l’intégralité du MoyenOrient.

Hezbollah dans le paysage poli�que na�onal, suivant l’invasion du Liban par Israël en 1982, déséquilibrant l’équilibre confessionnel d’antan au profit de l’Islam chiite et de l’influence iranienne.

« Israël, bien que bénéficiant désormais d’une couverture médiatique amoindrie en raison de la guerre en Ukraine, est l’un des premiers théâtres de déséquilibre régional » L’influence de l’Iran et le primat du religieux dans l’analyse des rela�ons interna�onales et stratégiques au Moyen-Orient se retrouve également au Yémen, où la guerre civile faisant rage depuis 2014 oppose principalement les forces houthistes, forces rebelles chiites soutenues par l’Iran, et les forces du gouvernement. Réminiscence de la révolu�on yéménite de 2012, la guerre civile semble ne pas trouver son issue. La balkanisa�on du territoire yéménite traduit en outre d’une autre force profonde, variable primaire de ce Moyen-Orient : la présence de

LA MULTIPLICITÉ DES FACTEURS D’INSTABILITÉ : ETATS FAILLIS ET MENACES TRANSNATIONALES Amplifiant les remous provoqués par le désengagement américain, les régimes en eux-mêmes sont également dotés d’une grande vulnérabilité, les exposant à des vagues de déstabilisa�on dans le sillage du Printemps arabe. Comprome�ant la stabilité régionale, certains de ces Etats présentent toutes les caractéris�ques d’un Etat failli. Le Liban en est la plus saillante manifesta�on. Etat pluriethnique et pluriconfessionnel, la cons�tu�on libanaise est un singulier compromis entre les différentes communautés confessionnelles na�onales : le Président est usuellement un chré�en maronite ; le Premier ministre, musulman sunnite ; le président de l’Assemblée na�onale, musulman chiite ; et le vice premier ministre et le porte-parole du gouvernement, chré�ens orthodoxes.

Ce mul�confessionalisme poli�que propre au Liban a déjà démontré de la précarité de son équilibre, le Liban ayant été en guerre civile de 1975 à 1989.

L’accord de Taëf avait semblé parvenir à pacifier la situa�on poli�que. Toutefois, depuis octobre 2022, le Liban est en impasse poli�que, le poste de président demeurant vacant. Pour la douzième fois consécu�ve, la séance électorale du mercredi 14 juin ne s’est pas soldée par un consensus. La fragmenta�on poli�que est d’autant plus accrue depuis l’émergence du

L’Iran et la Syrie reviennent de loin ©Reuters

interne par des mouvements de protesta�on populaire réclamant respect des droits et transi�on démocra�que.

La récente réélec�on de Tayyip Recep Erdogan à la tête de l’Etat turc affirme en outre la prédominance de la théma�que de l’Islam poli�que au Moyen-Orient, ayant un effet dimensionnant autant sur les régimes en interne que sur les rela�ons que les acteurs entre�ennent entre eux, structurant les jeux d’alliance.

La ques�on kurde, chevauchant les territoires turc, syrien, iranien et irakien, est également une ques�on résolument prioritaire du cet espace, aux côtés des ques�ons affiliées au dossier israélo-pales�nien et à la proliféra�on nucléaire notamment.

LE GRAND JEU AU MOYEN-ORIENT, DU VIDE DE PUISSANCE AUX INFLUENCES ÉTRANGÈRES

Israël, souvent énoncé, rarement analysé ©IDF

l’Etat islamique et d’Al-Qaïda, notamment sa branche péninsule arabique (AQPA).

La Syrie est également l’un des facteurs de déstabilisa�on les plus prégnants au Moyen-Orient.

Bien que le gouvernement de Bachar el-Assad contrôle une majeure par�e du territoire na�onal, la guerre civile en cours depuis 2011 divise toujours le pays. La présence du Front al-Nosra en Syrie, dit désormais Front Fatah al-Cham, fait également par�e des éléments de déstabilisa�on du territoire, s’étendant également au Liban. La situa�on yéménite et syrienne incarne en outre toute la per�nence d’une lecture des conflictualités moyen-orientales à l’aune du Printemps arabe et des reconfigura�ons na�onales ainsi engendrées.

Dans ce panorama des vulnérabilités éta�ques et des facteurs d’instabilité, Israël, bien que bénéficiant désormais d’une couverture média�que amoindrie en raison de la guerre en Ukraine, est l’un des premiers théâtres de déséquilibre régional. A cela se superposent les rivalités internes aux territoires de jure sous contrôle de l’autorité pales�nienne, la Cisjordanie étant par�ellement gouvernée par elle tandis que la bande de Gaza, également revendiquée par l’autorité pales�nienne, est gouvernée par le Hamas – Mouvement de Résistance Islamique –depuis 2007. Les récents soulèvements, en Afghanistan et en Iran, ont également révélé que peu nombreux sont les Etats moyen-orientaux qui ne sont pas affaiblis en 10 - Revue TB N°4

Consubstan�ellement au désengagement américain et au vide stratégique de puissance engendré, de nouvelles puissances extrarégionales se sont intéressées de très près aux opportunités que représente le Moyen-Orient. La Russie fût la première à inves�r ce théâtre, suivie par la Chine, toutes deux étant dotées d’une certaine historicité de leur influence. Comment ne pas noter que le rétablissement des rela�ons diploma�ques iranosaoudiennes s’est conclu à Pékin ? Pas une seule puissance de la région n’est pas partenaire des nouvelles routes de la soie chinoises. La dixième édi�on de la conférence commerciale sino-arabe, qui s’est tenue à Riyad du 11 au 12 juin 2023, ont également entériné une coopéra�on commerciale d’autant plus renforcée entre Pékin et Riyad.

L’influence chinoise au Moyen-Orient n’est actuellement que d’ordre économique, ce qui peut laisser à penser que l’ambi�on chinoise n’est pas de jouer sur l’échiquier géopoli�que moyen-oriental.

Cependant, il est à rappeler que c’est le propre du schéma chinois que de s’implanter géopoli�quement par le premier pilier de l’économie, pénétrant les systèmes économiques na�onaux, avant de révéler une préten�on sur le poli�que.

La Russie ne laisse toutefois pas de marge d’incer�tude concernant ses inten�ons au MoyenOrient. Grignotant peu à peu les acquis stratégiques des Etats-Unis, la Russie a obtenu une rela�ve neutralité d’Israël dans le cadre de la guerre en Ukraine. Bien qu’Israël ait récemment validé l’envoi d’une aide succincte à l’Ukraine, Israël apparaît déterminé à préserver ses rela�ons qualifiées de « modérées » et d’ « équilibrées » avec Moscou.

Netanyahou et Pou�ne entre�ennent de plus des rapports qui laissent ouverte la porte d’un rapprochement plus affirmé, à l’instar de l’invita�on de Netanyahou Place Rouge, le 9 mai 2018. La Russie convoite également l’allié saoudien, avec un succès d’autant plus saillant. Le partenaire saoudien avait

refusé de s’aligner sur les sanc�ons américaines contre la Russie, notamment car la Russie est le partenaire le plus essen�el pour les hydrocarbures. La coopéra�on militaire irano-russe est de surcroît un incontournable de l’analyse des rapports de forces au Moyen-Orient.

La Russie profite ainsi de la crise de crédibilité que les Etats-Unis rencontrent auprès de leurs partenaires pour s’implanter durablement dans un espace hautement stratégique, résolument central dans les rela�ons interna�onales et stratégiques.

« L’influence chinoise au Moyen-Orient n’est actuellement que d’ordre économique, ce qui peut laisser à penser que l’ambition chinoise n’est pas de jouer sur l’échiquier géopolitique moyen-oriental. » Entre désengagement américain, intérêt sino-russe, vulnérabilités internes, dynamiques iden�taires, ac�vismes diploma�ques, primat du religieux, menaces de déstabilisa�on et fenêtres d’opportunités pour des acteurs se rêvant clefs de la région moyenorientale, le Moyen-Orient se dessine comme vivant un interregnum – entre-deux stratégique – gramscien.

L’ancien ordre moyen-oriental est mort, le nouveau n’est pas encore né – les rapports de forces se construisent, comprome�ant les uns, valorisant l’expansion des autres ; éclairant dès lors la complexité de l’équa�on moyen-orientale contemporaine.

Jérusalem, millénaire, convoitée dans l’histoire, carrefour religieux est une bonne synthèse de ce que représente le Moyen-Orient ©Unsplash

GÉOSTRATÉGIE

Lutte pour l’hégémonie Quelle puissance au Levant ?

Par Benjamin WUCHER - Diplomé de Sciences Po en études orientales & spécialiste des enjeux de sécurité

Exercices militaires égyp�ens ©Egyp�an Armed Forces

Le début de l’année 2023 le confirme : le MoyenOrient est une région du globe marquée par des recomposi�ons géopoli�ques répétées et périodiques.

Il y a tout juste cent ans, la fonda�on de la Turquie actait la fin de l’Empire o�oman et ouvrait l’histoire contemporaine de la région. Une histoire d’abord jalonnée par les puissances européennes qui importent en Orient l’idée d’État-na�on en dépit des réalités locales. Les indépendances marquent le début de lu�es d’influence pour l’accès à une prépondérance rela�ve du pouvoir des États sur leur environnement régional.

Dans son histoire contemporaine, deux États sont généralement cités pour avoir tenté d’exercer un pouvoir hégémonique sur la région : l’Égypte nassériste dans les années 1950 et 1960, et la République islamique d’Iran dans les années 1980.

Toutes deux ont échoué car, malgré leur mobilisa�on d’idéologies à portée plus universelle -le panarabisme pour l'Égypte et le panislamisme pour l’Iran-, elles se sont confrontées à des opposi�ons fortes de point de 12 - Revue TB N°4

vue de la part d’autres États de la région et à un vide poli�que souvent comblé par des puissances étrangères. Le Moyen-Orient demeure une région fortement marquée par l'interven�onnisme des grandes puissances mondiales, une pénétra�on extérieure qui étouffe les possibilités d’émergence d’une puissance hégémonique régionale.

Les différentes contribu�ons à la théorie des rela�ons interna�onales suggèrent qu’une puissance hégémonique régionale se définit avant tout par sa prépondérance rela�ve par rapport aux autres États qui composent la région. Elle doit de plus se percevoir et être perçue comme telle par ses voisins, et se caractérise par une domina�on rela�ve dans des domaines variés : contrôle des ressources, géographie, démographie, capacités militaires, influence, posi�on dans les organisa�ons régionales, performances économiques, diploma�e, etc. La région a vu émerger plusieurs puissances régionales, principalement concentrées au Levant et dans le Golfe arabo-persique.

Mais cet ordre régional sans cesse en mouvement

permet-il à une véritable puissance hégémonique de s’imposer ?

LES LIMITES RENCONTRÉES PAR DES PUISSANCES RÉGIONALES DÉTACHÉES Les trois États non-arabes de la région - Israël, Iran et Turquie - se trouvent être des puissances régionales majeures en raison de leur histoire singulière.

Cependant, leurs spécificités ethnoreligieuses cons�tuent un frein à leurs éventuelles préten�ons hégémoniques dans une région à très grande majorité arabe. Depuis 1979, l’Iran cherche à exporter son Islam révolu�onnaire mais peine à convaincre au-delà des popula�ons chiites, disséminées au Levant et dans le Golfe, pour qui le Guide suprême iranien a une vraie légi�mité religieuse.

La Turquie ne parvient également pas à faire consensus dans le monde arabe musulman malgré les tenta�ves d’Erdogan d’incarner un certain leadership de la communauté sunnite. Il avait notamment pris la décision de réislamiser Sainte-Sophie en 2020 et se posi�onne régulièrement comme un farouche défenseur de la cause pales�nienne, surtout depuis que les Accords d’Abraham ont montré la lassitude des États du Golfe à s’a�acher à l’horizon d’un État pales�nien plus lointain que jamais.

Israël, enfin, a longtemps représenté une « anomalie » dans l’ordre régional et a acquis sa légi�mité au cours des guerres successives qui l’ont opposé à ses voisins arabes. La par�cularité de l’État hébreu est qu’il n’a pas voca�on à devenir une puissance hégémonique au Moyen-Orient, mais se reconnaît davantage dans l’espace socio-poli�que occidental. La « seule démocra�e du Moyen-Orient » cherche à se démarquer des États de son espace régional plutôt qu’à rassembler. Elle aurait de toute façon le plus grand mal à le faire, la cause pales�nienne étant certainement le dernier reliquat du na�onalisme arabe des années 1950 et 1960.

Suivant donc la simple loi de la majorité, un État arabe a naturellement plus de chance de construire une légi�mité nécessaire à l’exercice de l’hégémonie régionale. Et les candidats ne manquent pas.

puisque le nouvel État ne dura que trois ans. Mais le panarabisme socialiste de Nasser dérangeait dans un Golfe encore marqué par une tradi�on religieuse rigoriste. L’Égypte perdra de son influence à la mort de Nasser et sera même temporairement ostracisée après que son successeur Anouar el-Sadate décide de faire la paix avec Israël. Aujourd’hui, l’Égypte est un colosse aux pieds d’argile, un État sous perfusion dont l’économie instable �ent malgré tout grâce à des aides étrangères, notamment du Golfe.

D’autres dirigeants, dans la lignée de Nasser, ont tenté de marquer la région de leur empreinte. Saddam Hussein en Irak et Mouammar Kadhafi en Libye se trouvaient à la tête de dictatures qui ne connaissaient pas de limites, et qui leur donnaient des airs de grandeur. Saddam Hussein avait repris le flambeau panarabe dans les années 1980 et devint le fer de lance de la résistance arabe à l’exporta�on de la révolu�on iranienne. Tout au long de la guerre qui l’opposa à l’Iran jusqu’en 1988, l’Irak conserva le sou�en des États arabes et disposait de moyens militaires conséquents. L’Irak aurait aussi pu devenir le premier État arabe à disposer de la technologie nucléaire, grâce au sou�en de la France, si le projet n’avait pas été stoppé par une opéra�on israélienne dictée par la crainte que l’Irak ne se dote à terme de l’arme atomique. L’invasion irakienne du Koweït en

LES DICTATURES, INCUBATEURS DES VELLÉITÉS DE PUISSANCE Le premier à avoir placé l’arabité au cœur de son projet poli�que fut Gamal Abdel Nasser. L’homme d’État égyp�en, décrit comme un « héros » dans tout le monde arabe, avait redonné sa dignité au peuple égyp�en en na�onalisant le canal de Suez et en résistant, non sans le double sou�en américain et sovié�que, à l’entreprise impérialiste française et britannique. Il parvint à convaincre la Syrie de céder sa souveraineté à l’Égypte en 1958 pour former ensemble la République arabe unie, un succès cependant rela�f

Gamal Abdel Nasser, figure fondatrice du panarabisme

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1990 et l’interven�on américaine marqua la fin d’un rêve de puissance du pays des deux fleuves. Kadhafi avait quant à lui allier panarabisme et panafricanisme dans ses discours pour rêver d’une Libye dominante, libérée de tout impérialisme occidental. Autoproclamé « roi des rois d’Afrique », il n’est pas parvenu à faire de la Libye une puissance hégémonique régionale et à sa mort, le pays sombre dans la guerre civile.

DEPUIS LE PRINTEMPS ARABE, L’ÉMERGENCE D’UNE RÉGION MULTIPOLAIRE Le dernier choc à avoir recomposé l’ordre régional fut le « Printemps arabe », une vague révolu�onnaire qui a touché la quasi-totalité des États arabes à des degrés variés. Ces soulèvements populaires ont produit des effets différents d’un pays à l’autre : réformes substan�elles (Tunisie), renversement du régime (Égypte, Libye), guerre civile (Syrie, Libye, Yémen), réformes cosmé�ques (Oman, Maroc, Koweït), ou résilience de l’autoritarisme (Arabie saoudite, Bahreïn, Jordanie, Émirats arabes unis). Si le Printemps arabe a globalement échoué à répondre au profond malaise qui s’est installé entre la société civile et l’État dans le monde arabe, il a cependant conduit à la déstabilisa�on de nombreux États et permis l’émergence du modèle de l’autoritarisme résistant des monarchies du Golfe. La rente pétrolière a naturellement joué un rôle central dans la sauvegarde de ces régimes, qui ont ni plus ni moins « acheté la paix sociale » à coup de presta�ons qui n’existent nulle part ailleurs. La répression violente qui, couplée à une sectarisa�on du discours officiel accusant l’Iran chiite

d’être à l’ins�ga�on d’une tenta�ve de renversement des monarchies sunnites, a eu raison du soulèvement à Bahreïn et dans la province orientale de l’Arabie. La résilience du Royaume saoudien et des Émirats leur a offert une marge de manœuvre suffisante pour entamer la reconstruc�on d’un ordre régional dans lequel stabilité rime avec autorité, aux dépens des libertés individuelles et des demandes populaires de démocra�e. Riyad et Abu Dhabi ont ainsi financé la sauvegarde des monarchies jordanienne et marocaine ainsi que la réinstalla�on d’une dictature militaire à la tête de l’Égypte.

Pour autant, les monarchies du Golfe sont-elles les grandes dominantes de l’arène régionale aujourd’hui ?

Certes le pétrole reste un pilier central du « miracle économique » du Golfe qui a permis aux États de la Péninsule arabique de développer une puissante « diploma�e du carnet de chèques », s’assurant le sou�en des grandes puissances mondiales. Mais la décision des États-Unis de re�rer leurs troupes d’Irak en 2010 a marqué la fin de l'interven�onnisme américain dans la région, une fin maintes fois réaffirmée depuis, notamment avec le retrait non sans conséquences d'Afghanistan en 2021. Le désintérêt américain est tel que lorsque le gisement pétrolier saoudien d’Abqaiq est a�aqué par les Houthis en 2019, l’allié américain est aux abonnés absents. Le pacte « pétrole contre sécurité » passé entre Roosevelt et Ibn Saoud en 1945 semblait désormais caduque au moment-même où l’Arabie saoudite subissait une a�aque grave sur l’un de ses sites les plus vitaux. Les Accords d’Abraham, conclus en 2020 entre Abu Dhabi et Manama d’un côté et Tel Aviv de l’autre, répondent donc à un besoin de diversifica�on de leurs alliances

Le printemps arabe a considérablement bouleversé l’ordre géopoli�que dans la région ©REUTERS

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nécessaire aux monarchies du Golfe face à ce qu’elles perçoivent comme une menace de l’Iran et des milices que Téhéran finance à travers la région. La normalisa�on des rela�ons irano-saoudiennes en mars dernier confirme une volonté de résoudre les conflits régionaux par la voie diploma�que. L’entremise de la Chine rela�vise néanmoins l’autonomie affichée des puissances régionales et perpétue la fatale dépendance des États du Moyen-Orient vis-à-vis des puissances mondiales.

L’ÉQUILIBRE RÉGIONAL FRAGILE : FREIN AUX DÉSIRS D’HÉGÉMONIE DE L’ARABIE Ces dernières années, l’ordre régional semble sourire aux États du Golfe, en par�culier à l’Arabie saoudite sous Mohammed ben Salman qui domine ce sous-espace du Moyen-Orient et contribue ac�vement à en produire la significa�on. Les monarchies de la Péninsule s’imposent comme des puissances économiques et diploma�ques de la région et cherchent à se diversifier grâce aux domaines culturels et spor�fs. Toutefois, leurs dissensions stratégiques internes, notamment sur le conflit syrien et dans la Corne de l’Afrique, limitent le pouvoir d’ac�on du Conseil de Coopéra�on du Golfe (CCG). Malgré les sanc�ons interna�onales et l’impasse des négocia�ons sur son programme nucléaire, l’Iran résiste et conserve son statut de puissance régionale.

Quant à Israël, qui possède certainement l’armée la plus efficace de la région, ainsi que l’arme nucléaire, il con�nue de se dis�nguer des armées qatarie, saoudienne et émira�e, dotées des meilleurs équipements au monde mais qui main�ennent un niveau d’opérabilité faible. Sur le plan militaire donc, Riyad est loin de pouvoir se mesurer à Tel Aviv. Le Moyen-Orient est donc dominé par des puissances régionales qui forment un équilibre fragile et toujours en mouvance, mais qui empêche l’émergence d’une véritable puissance hégémonique.

Les dernières recomposi�ons régionales ont vu le retour de la Syrie dans la Ligue arabe au mois de mai dernier. Bachar al-Assad, miraculé d’une guerre civile qu’il aurait dû perdre s’il n’avait pas reçu le sou�en de Téhéran et de Moscou, se retrouve paradoxalement en posi�on de force : en ayant transformé la Syrie en un narco-État déversant des millions de pilules de Captagon sur la Péninsule arabique pour survivre aux sanc�ons interna�onales, il s’est créé un avantage stratégique considérable face à des pétro-monarchies qui sont les principales vic�mes de ce trafic. À l’heure de la conversion vers l’après-pétrole, le Royaume saoudien cherche à tout prix à préserver la stabilité régionale mais doit, pour ce faire, composer avec des puissances asymétriques, faute de parvenir à imposer son hégémonie sur la région.

Mohammed Gamal binAbdel Salman, Nasser, princefigure héri�er fondatrice d’Arabiedu Saoudite panarabisme ©EPA

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GÉOSTRATÉGIE

Israel VS Iran Une guerre secrète aux enjeux explosifs Par Artus DE VIVIE � Diplomé de l’IRIS Sup’ & spécialiste des ques�ons de défense

Iran, défilé militaire en l’honneur des « martyrs de la révolu�on » dans une guerre qui ne dit pas son noml depuis 1979 ©ZumaPress

Depuis la Révolu�on islamique de 1979, l’Iran cherche à diffuser son idéologie théocra�que tout en adoptant une rhétorique antagoniste à Israël. De son côté, le foyer na�onal juif considère le pays des Ayatollahs comme une menace existen�elle, en raison de ses ambi�ons nucléaires et de son sou�en à des groupes armés hos�les à l’État juif. Les tensions sont de plus en plus palpables entre ces deux puissances régionales et ont monté d’un cran depuis le début de la guerre civile syrienne. C’est dans ce contexte que Israël officialise sa stratégie de « guerre entre les guerres » en 2013. Alors que les affrontements directs entre les deux armées sont rares, une guerre invisible se déroule dans les coulisses du Moyen-Orient, dont le résultat pourrait bien dépendre des évolu�ons géopoli�ques de la région.

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UNE MANŒUVRE D’ENCERCLEMENT PAR PROCURATION QUI MENACE ISRAËL Pour exercer une pression constante sur Israël, la théocra�e islamique s’appuie sur différentes milices à travers le Moyen-Orient. Ces fac�ons sont u�lisées pour mener une guerre par procura�on à son ennemi mortel, à travers une manœuvre d’encerclement, mul�pliant les fronts poten�els pour l’État juif le maintenant dans une guerre d’a�ri�on permanente.

Ce�e stratégie débute avec le sou�en de groupes pales�niens qualifiés de terroristes par Israël, tels que le Hamas et le Djihad islamique, qui peuvent frapper au cœur même de l’État hébreu. Mais l’acteur principal de ce�e pression sur Israël est le Hezbollah libanais,

qui ne cesse de se renforcer grâce à son assise poli�que. Doté d’un arsenal impressionnant d’environ 120 000 missiles et roque�es (en 2021), le Hezbollah est devenu l’acteur non éta�que le plus armé du monde. Grâce aux GPS fournis par l’Iran, les roque�es imprécises et non guidées peuvent être améliorées en missile de précision. Ce groupe représente ainsi la principale menace pour Israël, lui assurant une dissuasion efficace, étant donné que Tsahal évite au maximum de frapper les posi�ons du Hezbollah au Liban.

chiites sont animées par une réelle convic�on idéologique, perme�ant à Téhéran de s’implantant durablement dans le sud de la Syrie, autant dans le domaine militaire que civil. Ainsi, la popula�on est u�lisée comme bouclier humain pour décourager les a�aques de Tsahal. Ce�e stratégie lui permet de s’implanter dans le sud du pays sans craindre de représailles israéliennes.

« Au cours de la guerre civile syrienne, l’Iran va réussir à s’implanter aux portes de l’État hébreu »

La doctrine militaire israélienne est calquée sur la réalité de la faible superficie de son territoire, entraînant un manque cruel de profondeur stratégique pour défendre sa na�on. Le pays ne peut donc pas se perme�re que la guerre a�eigne ses fron�ères et se doit de conserver son ini�a�ve stratégique ainsi qu’une supériorité technologique pour mener des opéra�ons préven�ves visant à éliminer les dangers en profondeur. Face aux menaces croissantes, qu’elles soient non éta�ques (surtout depuis la créa�on du corridor terrestre reliant Téhéran à Beyrouth) ou liées au programme nucléaire iranien, l’État hébreu officialise sa nouvelle stratégie en 2013 in�tulée « guerre entre les guerres » qui s’inscrit dans ce�e doctrine militaire. Ce�e stratégie vise à affaiblir un maximum la coali�on iranienne afin de renforcer la posi�on d’Israël en prévision d’un futur conflit, tout en évitant une escalade qui serait drama�que pour l’État hébreu. Par conséquent, ce�e campagne militaire doit prendre la forme d’ac�on ponctuelle, et souvent non déclarée. D’après Aviv Kokhavi, le chef d’état-major de l’armée israélienne, ce�e « guerre entre les guerres » consiste en une « combinaison complémentaire du renseignement, de la puissance de feu, de manœuvres militaires et d’un changement d’approche dans l’u�lisa�on de la force ».

Le renseignement israélien est la clé de voûte de ce�e guerre de basse intensité contre la coali�on proiranienne, notamment depuis la guerre du Liban en 2006 qui a révélé de sérieuses lacunes dans ce domaine. Une fois les informa�ons récoltées, ces dernières sont exploitées puis transformées en ac�ons sur le terrain. L’avia�on israélienne cons�tue l’atout majeur de l’État juif, lui perme�ant de mener des frappes en profondeur en toute fur�vité. La Syrie est la cible privilégiée des forces aériennes et spa�ales israéliennes, avec de nombreux bombardements sur des convois d’armements circulant le long du corridor Téhéran-Beyrouth. Rien que pour l’année 2018, 2000 frappes en Syrie ont été recensées. À la différence des autres ac�ons, ces frappes sont reconnues par l’armée israélienne, dans une rhétorique de dissuasion.

Pour éviter de provoquer une escalade des tensions, l’armée israélienne s’est rendue maître des ac�vités clandes�nes (le Mossad y occupe une place centrale), dont la plupart visent à freiner le programme nucléaire iranien. Ces opéra�ons secrètes prennent de mul�ples

Le conflit syrien ainsi que le retrait par�el des Américains en Irak ont permis à Téhéran de poursuivre sa stratégie d’encerclement, en renforçant son implanta�on régionale à travers différents groupes armés. L’objec�f du régime iranien est d’établir une présence durable dans ces pays pour y développer des capacités de produc�on et de stockage d’armement.

Toutefois, le véritable enjeu de ce�e manœuvre réside dans la créa�on d’un corridor reliant Téhéran à Beyrouth, traversant l’Irak et la Syrie, protégé par les fac�ons locales. Ce couloir créé en 2013 est une des principales menaces pour la sécurité d’Israël, car il permet à l’Iran d’alimenter le Hezbollah en armements ainsi qu’en GPS pour moderniser leurs missiles. Ce�e voie d’approvisionnement se prolonge le long des voies mari�mes, où des navires iraniens transportent du matériel militaire à des�na�on de milices proiraniennes.

Au cours de la guerre civile syrienne, l’Iran va réussir à s’implanter aux portes de l’État hébreu, perme�ant à la République islamique de faire pression sur Israël et de limiter sa marge de manœuvre. En effet, la théocra�e souhaite profiter de sa posi�on de force suite à la reconquête par l’axe russo-syro-iranien des territoires syriens face aux rebelles et aux terroristes, pour y implanter ses milices chiites en Syrie. La liberté d’ac�on israélienne à mener des frappes est ainsi réduite par la complexité de frapper certaines zones en raison de la présence russe. Le Kremlin autorise occasionnellement Tsahal à viser les posi�ons iraniennes, mais les frappes doivent être minu�eusement coordonnées avec Moscou.

En outre, Téhéran s’appuie sur des milices locales, chiites comme sunnites, entraînées par « l’axe iranien » comprenant le Hezbollah entre autres. En recrutant des fac�ons sunnites, le pays des Ayatollahs ob�ent l’accès à des villages stratégiques, en échange d’une plus grande autonomie et d’une compensa�on financière pour ces groupes. À l’inverse, les milices

LA RÉPONSE ISRAÉLIENNE FACE À L’AXE IRANIEN

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in�tulée « doctrine de la pieuvre ». Après des années de concentra�on sur les ramifica�ons tentaculaires iraniennes au Moyen-Orient, il s’agit maintenant de frapper le cerveau de l’ennemi, directement à l’intérieur de son territoire. Ainsi, si des a�aques contre des Israéliens perpétrés par des groupes soutenus par Téhéran devaient avoir lieu, Israël réagirait directement sur le sol iranien. Depuis lors, les frappes de drones morts suspectes se sont mul�pliées au sein des ins�tuts scien�fiques et des forces armées.

Par manque de possibilités de représailles, l’Iran tend à minimiser l’impact de ses a�aques. Bien que ce�e stratégie ne soit pas nouvelle, la doctrine de la pieuvre serait avant tout un aver�ssement pour son ennemi, servant à maintenir Téhéran dans l’incer�tude d’une riposte foudroyante.

LES BOULEVERSEMENTS GÉOPOLITIQUES DU MOYEN-ORIENT Le MOSSAD au centre de la « guerre secrète » formes, telles que des cybera�aques, des sabotages VIENNENT REBATTRE LES CARTES d’infrastructures stratégiques ou encore l’assassinant DE LA CONFRONTATION ISRAÉLOde scien�fiques. Ainsi, durant l’été 2020, 83 sites IRANIENNE. iraniens ont été sabotés, dont une usine d’enrichissement d’uranium et un site de produc�on de missiles balis�ques. La même année, Mohsen Fakhrizadeh, désigné comme le cerveau du programme nucléaire iranien, fut aba�u au cours d’une opéra�on audacieuse à 50km de la capitale iranienne. Entre 2015 et 2020, au moins cinq scien�fiques iraniens et syriens travaillant sur des projets balis�ques et nucléaires ont été assassinés.

« En juin 2022, l’ancien premier ministre israélien Naftali Bennett a inauguré sa stratégie anti-iranienne, intitulée doctrine de la pieuvre » Ces opéra�ons commandos se poursuivent également dans le domaine mari�me. En effet, une grande spécialité de l’armée israélienne est le sabotage de pétroliers iraniens qui contournent les sanc�ons interna�onales, et des navires contournant l’axe Téhéran-Beyrouth (fréquemment visé par des frappes israéliennes) pour approvisionner les milices en armements. Entre 2019 et 2023, Israël aurait saboté au moins 10 navires et plus de 20 pétroliers iraniens.

En 2021, une charge explosive a même endommagé un navire militaire appartenant aux Gardiens de la Révolu�on. Tsahal opère dans une obscurité totale, de sorte que ces actes ne sont généralement pas revendiqués.

En juin 2022, l’ancien premier ministre israélien Na�ali Benne� a inauguré sa stratégie an�-iranienne, 18 - Revue TB N°4

Cet affrontement israélo-iranien se joue également dans la sphère diploma�que. Lors des accords d’Abraham en 2020, le Bahreïn, les Émirats arabes unis et Israël normalisent leurs rela�ons diploma�ques, cons�tuant une véritable ouverture géostratégique pour le foyer na�onal juif. Bien que l’Arabie Saoudite n’en soit pas signataire, Riyad a donné son approba�on pour que les deux autres monarchies du Golfe puissent ra�fier cet accord historique. L’État hébreu devient donc peu à peu un allié inévitable du « bloc saoudien », qui voit en Israël un moyen de combler les insuffisances des systèmes Patriot américains, mais plus généralement les carences de leur alliance avec Washington (accords de Vienne de 2015, retrait progressif de la région, sou�en aux mouvements révolu�onnaires des printemps arabes). Ce rapprochement a aussi un aspect économique, Israël étant une des na�ons les plus innovantes, notamment dans le domaine des technologies de pointe. C’est donc une opportunité pour ces pays arabes qui disposent de fonds considérables et cherchent à diversifier leurs économies.

Cependant, la principale raison de cet accord est la crainte commune du programme nucléaire iranien, d’autant plus que de récentes déclara�ons semblent indiquer une progression de l’enrichissement de ma�ère fissile. Pour Israël, un Iran nucléarisé et poten�ellement irra�onnel du fait de son idéologie, cons�tue une menace existen�elle. Bien qu’Israël possède la bombe nucléaire, la modeste taille de son territoire ne lui permet pas de subir une seule frappe.

Si l’Iran possédait l’arme atomique, il aurait donc un ascendant considérable, ce qui consoliderait sa préten�on hégémonique dans la région. Pour les pays sunnites, la nucléarisa�on de l’Iran risque de

sanctuariser le pays, renforçant ainsi sa capacité à étendre son influence en toute impunité et creusant le déséquilibre des pouvoirs au Moyen-Orient en faveur du régime des mollahs. Étant donné qu’aucune Monarchie du Golfe ne possède l’arme nucléaire, cela pourrait également provoquer une proliféra�on incontrôlable dans la région.

Mais tout n’est pas rose pour l’État hébreu dans ces bouleversements géopoli�ques. En effet, le rapprochement entre les rivaux saoudiens et iraniens, combiné à la réintégra�on de la Syrie dans la Ligue arabe en 2023, ne présage rien de bon pour Israël.

Nous assistons ici à une normalisa�on de l’axe an�israélien au Moyen-Orient, renforcé par le désengagement américain de la région. De nombreux groupes pro-iraniens se sont ainsi félicités de ce début de réconcilia�on. Les espoirs israéliens de former une coali�on an�-iranienne s’estompent donc peu à peu.

Quoi qu’il en soit, un rapprochement entre Israël et la monarchie wahhabite semblait déjà compromis depuis l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement ouvertement hos�le aux Pales�niens à la Knesset en novembre 2022. Enfin, la guerre en Ukraine pousse Vladimir Pou�ne à dégarnir le front syrien, mais aussi à se rapprocher de l’Iran pour obtenir ses drones. Cela laisse donc plus d’autonomie aux proxys iraniens dans le pays, tout en perme�ant à Téhéran de s’appuyer sur son allié russe pour renforcer sa posture militaire.

Assassinat du chef du programme nucléaire iranien en 2020 par le Mossad ©IDF

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GÉOSTRATÉGIE

L’espace vue de l’Orient Quand les pays des mille et une nuits rêvent Par Dylan BREYNE - Assistant de recherche à l’IESD & responsable du GT Gouvernance pour ASTRES

La sonde « Al-Amal » a été lancée en 2020 par les Emirats arabes unis ©UAESA

La situa�on géopoli�que du Moyen-Orient est complexe et marquée par une constella�on de facteurs et d'acteurs qui façonnent la région. Le Moyen-Orient est le théâtre de tensions poli�ques, économiques et religieuses, résultant en un paysage géopoli�que dynamique et souvent instable. L'un des principaux défis géopoli�ques de la région, est, la rivalité entre les puissances régionales, notamment l'Arabie Saoudite et l'Iran se disputant l'influence poli�que et religieuse au sein du monde musulman¹.

Pourtant, alors que la région est régulièrement sous les feux des projecteurs pour ses conflits et ses tensions, une dynamique émergente de coopéra�on spa�ale se greffe sur une stabilité faisant peau neuve au Moyen-Orient.

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Les na�ons composant ce�e région s'engagent aujourd’hui dans des ini�a�ves communes² visant à mieux explorer et à mieux exploiter les vastes possibilités offertes par l'espace extra-atmosphérique.

Les pays du Moyen-Orient sont en train d'écrire un nouveau chapitre dans le domaine de la coopéra�on spa�ale.

Historiquement, si la coopéra�on spa�ale a été un domaine dominé par quelques grandes puissances spa�ales, le Moyen-Orient émerge aujourd’hui en tant qu'acteur régional prome�eur, avec une série d'ini�a�ves qui témoignent de son ambi�on de se posi�onner sur la scène spa�ale mondiale. Et comme l’affirme la chercheuse Florence Gaillard-Sborowsky dans son ouvrage le plus récent « les liens entre

diploma�e et espace sont donc consubstan�els à la conquête spa�ale dans ses prémices mêmes. ».

Cet ar�cle tente d’explorer brièvement les différentes dimensions de la coopéra�on spa�ale au Moyen-Orient, en examinant les projets en cours, les partenariats régionaux et interna�onaux, ainsi que les implica�ons et les retombées de ce�e dynamique émergente. Le tout sans pour autant faire l’exégèse de tous les différents faits composant l’actualité de la région, mais simplement en tentant de souligner certains éléments pouvant être u�le à un point de vue spa�al de la région. En me�ant en lumière ces ini�a�ves, il est sans doute loisible de saisir l'importance croissante de l'espace en tant que catalyseur de coopéra�on et de développement régional, ouvrant ainsi la voie à un avenir prome�eur pour le Moyen-Orient dans l'explora�on de l’espace extra-atmosphérique.

AGGIORNAMENTIO MOYENORIENTAL D’UNE STABILISATION CROISSANTE DE LA RÉGION Les partenariats dans le secteur astronau�que ont le vent en poupe ces derniers temps dans le berceau de l’humanité. Pour expliquer ce�e vigueur économique et diploma�que il appert convenable de redonner quelques éléments de contexte.

Dans un temps récent, trois points marquent un retour posi�f des rela�ons interéta�ques de la région : le premier est des plus coruscants puisqu’il concerne l’apaisement des tensions entre les deux puissances principales que sont l’Arabie Saoudite et l’Iran sous la férule de Pékin en avril dernier³. Comme affirmé quelques lignes plus haut, ce�e rela�on est un facteur

structurant pour la stabilité de la région dont on devine déjà une première conséquence notable avec la réintégra�on de la Syrie dans la Ligue des États Arabes quelques semaines plus tard en mai 2023.

D’autres ricochets pacifiques pourraient alors survenir⁴ et contribuer à un apaisement général des rela�ons entre les différentes na�ons cons�tuant la région.

Il appert aussi convenable de noter l’accord entre l’Iran et Oman pour une meilleure coopéra�on spa�ale entre les deux pays avec la signature d’un memorandum of understanding le 11 mai 2023. Cet accord marque ainsi la poursuite ambi�ons spa�ales iraniennes, dans le sillage du nouveau lanceur « civil », le Zoljanah, lancé depuis Semnan en janvier 2021.

UN SECTEUR SPATIAL FLORISSANT DES RAMIFICATIONS DE L’ÉQUILIBRE GÉOPOLITIQUE Le deuxième vecteur de stabilité se trouve probablement dans les effets produits par les accords d’Abraham de 2020 entre Israël, les Émirats Arabes Unis et Barheïn sous l’égide ce�e fois des États-Unis⁵.

Un premier effet peut être esquissé dans l’abou�ssement de la coopéra�on entre Washington et Abou Dabi pour la sonde Hope⁶ et délivrant aujourd’hui des clichés de Déimos s’étant par ailleurs satellisé sur Mars en 2021, date du 50ème anniversaire de l’indépendance des EAU. Un second effet plus marqué prend racines dans l’accord de libre-échange entre Israël et leurs voisins émira�s de Juillet 2021 et abou� un an plus tard naissance à une coopéra�on spa�ale plus poussée pour projeter ensemble leurs ambi�ons de viser la

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©Dylanbreyne

lune. Projet se poursuivant d’ailleurs en février 2022 dans un appel conjoint avec son homologue des Émirats arabes unis appelant des groupes de recherche en Israël et aux Émirats arabes unis à soume�re des proposi�ons conjointes basées sur les données recueillies lors de la surveillance de la végéta�on et de l'environnement sur un nouveau micro-satellite (VENµS) Satellite : « L’importante coopéra�on entre Israël et les Émirats dans l’espace, officialisée aujourd’hui, montre que la technologie connecte les peuples » affirme la ministre israélienne des sciences, de la technologie et de l’espace.

FOCUS SUR LES ÉMIRATS ARABES UNIS : PARANGON SPATIAL DU MOYEN ORIENT La poli�que spa�ale des Émirats arabes unis (EAU) est de loin la plus intéressante en ce qu’elle met en évidence l'engagement du pays dans le développement et l'explora�on de l'espace au MoyenOrient. Depuis leur créa�on en 1971, les EAU ont adopté une approche progressive en ma�ère d'explora�on spa�ale, passant d'un intérêt modeste développement dans le secteur des télécommunica�ons dans les années 1990 et la créa�on de l’Emirates Ins�tu�on for Advanced Science and Technology (EIAST) en 2006 en se limitant in fine à des transferts de technologie - à une vision ambi�euse avec la créa�on de l'Agence spa�ale des Émirats arabes unis (UAESA)⁷ en 2014 et jusqu’au succès de la sonde Hope en juillet 2020.

La stratégie spa�ale des EAU repose ensuite sur plusieurs piliers. Tout d'abord, le pays cherche à diversifier son économie en développant son industrie

spa�ale na�onale et en créant des emplois spécialisés.

Les EAU ont par ailleurs inves� massivement dans la recherche et le développement, en s'associant à des partenaires interna�onaux de renom⁸ pour acquérir des connaissances et des compétences techniques.

Autre aspect important de la poli�que spa�ale des EAU : l'explora�on planétaire. Les EAU ont lancé le programme Mars Mission, qui comprend le projet Emirates Mars Mission (EMM). Ce projet ambi�eux a abou� à la mission Hope Mars, lancée avec succès en juillet 2020⁹.

Les EAU ont également développé un programme de satellites d'observa�on de la Terre. Leur satellite DubaiSat-1 a été lancé en 2009, suivi de DubaiSat-2 en 2013. Ces satellites fournissent des images haute résolu�on u�lisées pour des applica�ons telles que la cartographie, la surveillance des ressources naturelles et l'urbanisme.

Pour financer leurs projets spa�aux, les EAU ont établi des partenariats stratégiques avec d'autres pays et entreprises. Ils ont coopéré avec des acteurs interna�onaux majeurs tels que les États-Unis, la Russie, la Chine et l'Europe pour le lancement de satellites et la forma�on de leurs astronautes.

UN PRISME RÉALISTE IMPÉRISSABLE DANS LE CŒUR POLÉMOGÈNE DU MONDE Cependant, deux composantes viennent ternir le tableau de coopéra�on jusqu’alors dressé, et rappeler que le prisme réaliste des rela�ons interna�onales ne perd rarement sa place : la première donnée à prendre en compte dans ce�e équa�on régionale prend la forme du départ de l’Arabie Saoudite des accords sur la

Les Emirats Arabes Unis s’imposent comme leader du spa�al dans la région, mais la concurrence s’annonce rude ©UAESA

Lune¹⁰, déjà déficitaire de signataires et perdant un peu plus de sa superbe face à son « alterna�ve¹¹ » sortant des arènes onusiennes. Gravant dans le marbre sa place de premier pays à qui�er l’un des cinq principaux traités. Il est difficile de voir ici une nouvelle agréable pour un droit interna�onal spa�al d’ores et déjà fragmenté et contribuant péniblement à stabiliser les rela�ons interna�onales au Moyen-Orient mais aussi sur toute la planète, rappelant ainsi la prépondérance des intérêts économiques des États. En effet, l’Arabie Saoudite est également le 11ème pays signataire des accords Artemis : ce qui signifie que le respect de l’ar�cle 4 paragraphe 1 du traité de la Lune statuant sur un patrimoine commun de l’Humanité, serait difficile à la lumière de la sec�on 10 des accords lancés par Washington, men�onnant quant à eux des fins plus lucra�ves.

l'ESA, la nouvellement créée ASA et d'autres agences spa�ales.

La coopéra�on spa�ale au Moyen-Orient ouvre de nouvelles perspec�ves pour la région¹³ en offrant également l'opportunité de promouvoir une image posi�ve de la région à l'échelle interna�onale, me�ant en lumière une volonté commune de transcender les différences poli�ques et de collaborer pour a�eindre des objec�fs communs.

Seulement si un vent de coopéra�on souffle sur la région, les tensions inhérentes à la région menacent toujours de s’appesan�r sur ce�e vision spa�ale du Moyen-Orient et d’en abîmer l’avenir prome�eur. Il apparaît donc impéra�f que ce�e dynamique stabilisatrice se renforce pour que tout ne parte pas à vau l’eau. Affaire à suivre donc.

« Le Moyen-Orient émerge en tant qu'acteur régional prometteur, avec une série d'initiatives qui témoignent de son ambition de se positionner sur la scène spatiale mondiale »

1. Ce qui se manifeste à travers des conflits indirects dans des pays comme la Syrie, le Liban ou le Yémen.

2. « Géopolitique de l’Espace, à la recherche d’une sécurité spatiale », Florence Gaillard-Sborowsky, Le Cavalier Bleu, mai 2023.

3. Des ambassades seront ainsi de nouveau ouvertes à la suite de cette normalisation entre les deux pays 4. Il est surtout fait référence ici à la situation au Yémen, systématiquement pointée du doigt par Amnesty International.

5. Mais amenuisant probablement au passage, à peau de chagrin les espoirs palestiniens de trouver un soutien diplomatique durable dans ces pays du Moyen-Orient.

6. À visualiser en haut à droite sur la carte ci-dessous, et pour en savoir plus.

7. L'UAESA est responsable de la mise en œuvre de la stratégie spatiale du pays et de la coordination de ses activités spatiales. Elle joue un rôle crucial dans l'élaboration de partenariats internationaux, dans la recherche scientifique et technologique, ainsi que dans la promotion de l'industrie spatiale émiratie.

8. De nombreux protocoles d’accord ont été conclus avec les agences américaine, japonaise, russe et française.

9. L'objectif de cette mission est d'étudier l'atmosphère martienne et de fournir des données précieuses sur le climat de la planète rouge.

10. “The Moon Agreement: Hanging by a thread ?”, StefanMichael Wedenig and Jack Wright Nelson, Institute of Air and Space Law, McGill University 11. Voir les accords d’Artemis sur le droit de l’espace 12. Les illustrations à ce propos ne manquent pas, mais l’une des plus pertinentes serait sans doute l’arrêt du programme spatial égyptien sous Nasser dans les années 60, brutalement avorté par la guerre des six jours.

13. Voir l’importance de la technologie spatiale comme « symbole (...) du progrès des pays » selon les termes de l’agence spatiale iranienne en 2021 : « Space technology is a symbol of scientific authority, development and progress of countries ».

La future stratégie spa�ale est annoncée part l’Arabie Saoudite ce�e année 2023, il sera nécéssaire de voir plus en détail ce qu’il advient de ses inten�ons en ma�ère de conquête lunaire. Il est aussi bon de rappeler, en deuxième composante menaçant une stabilité spa�ale dans la région, que si certaines rela�ons sont aujourd’hui moins impétueuses qu’auparavant, d’autres souffrent toujours des s�gmates des conflits et des tensions de la région qui sont suscep�bles de peser sur le développement du spa�al dans la région¹². Le récent retrait étasunien d’Afghanistan et la reprise du pouvoir par les Talibans n’est pas par�culièrement du goût de Téhéran qui ne reconnaît toujours pas le régime nouvellement crée dans le système interna�onal et donne lieu à une recrudescence des tensions aux fron�ères des deux pays, fragilisant le chemin d’un apaisement progressif des rela�ons de Kaboul.

EN ENSUITE ?

Plusieurs pays du Moyen-Orient ont récemment lancé leurs propres programmes spa�aux na�onaux, avec des objec�fs allant de la construc�on de satellites de télécommunica�ons à l'explora�on de la Lune. Ces ini�a�ves na�onales sont souvent soutenues par des collabora�ons interna�onales, notamment avec des acteurs majeurs du secteur spa�al tels que la NASA,

Revue TB N°4 - 23

GÉOGRAPHIE

Une périphérie disputée La mer Égée Par Johann LEMPEREUR - Sécurité & Défense, secrétaire de rédac�on à la Revue Défense Na�onale

La mer Égée, un pont entre le Moyen-Orient et l’Europe au cœur de la rivalité entre la Grèce et la Turquie

Le 19 janvier 2022, l’image hétéroclite d’un prêtre orthodoxe bénissant de nouveaux avions de classe Dassault Rafale F3R sur un tarmac grec fait le tour du monde. Ce�e livraison fait suite à la volonté de la Grèce exprimée le 12 septembre 2020 de se doter de dix-huit nouveaux avions de guerre ainsi que de leur armement. Sur ce�e commande, la France a fourni douze appareils issus de sa propre armée de l’air ainsi que six appareils neufs. Ces avions de combats mul�rôles français ont permis à la Grèce de remplacer rapidement ses vieux modèles ainsi que d’augmenter sa puissance de frappe, en se dotant d’appareils spécialisés dans le combat air-air grâce à leur nouvelle nacelle de désigna�on TALIOS (Targe�ng Long-range Iden�fica�on Optronic System), du système d’autodéfense SPECTRA (Système de Protec�on et d’Evitement de Conduite de Tir du Rafale) modernisé, du moteur turboréacteur Snecma M88 à durée de vie augmentée, et enfin grâce à la possibilité d’emploi du missile air-air MBDA Meteor. Le jeudi 24 mars 2022, un nouveau contrat militaire s�pulant la livraison de trois 24 - Revue TB N°4

frégates de défense et d’interven�on ainsi que de six nouveaux Rafales a été signé entre les deux pays.

Ce�e volonté de réarmement du côté de la Grèce est une réponse à la montée des tensions depuis plusieurs années dans la mer Égée. La Turquie a aussi entamé un réarmement de son avia�on auprès des États-Unis, bien que sa commande de Lockheed Mar�n F-35 Lightning II a été refusée par l’administra�on de Joe Biden.

La mer Égée, une extension de la Méditerranée couramment appelée mer orientale de la Méditerranée, est composée de cent soixante archipels étalés autour des îles de Chypre et de Crète et caressant à la fois les côtes grecques et turques. Elle mène à la mer Noire, une mer intérieure bordant la Russie, la Turquie, l’Ukraine, et d’autres pays européens, fermée par un verrou stratégique situé au niveau du détroit des Dardanelles : la mer de Marmara et le détroit du Bosphore. Cet ensemble de passages hautement stratégique est surnommé les Détroits turcs. Ce passage est important pour la Russie car c’est

le seul passage mari�me qui lie le port de Sébastopol à la Méditerranée. La stabilité de la mer Égée est donc nécessaire à la stabilité régionale et interna�onale.

Pourtant, dans ce�e région clé, la Grèce et la Turquie sont opposées sur plusieurs ques�ons de territoire.

Bien que faisant par�e d’instances interna�onales communes, les différents géopoli�ques ne semblent pas s’arranger.

LE TRAITÉ DE LAUSANNE, DE LA « GRANDE IDÉE » À LA « GRANDE CATASTROPHE » Les fron�ères contemporaines de la Grèce et de la Turquie en vigueur de nos jours ont été le fruit d’une évolu�on constante, marqueur des conflits qui ont marqué l’histoire des Balkans. Depuis l’indépendance de la Grèce du joug de l’Empire O�oman en 1832, aucun consensus ne convenant aux deux pays n’a pu être trouvée, bien que la fron�ère terrestre ait tout de même été fixée à la suite du traité de Lausanne signé en 1923. Après la Première Guerre mondiale, où la Grèce alignée sur les Alliés a fait face à l’Empire O�oman et les Puissances Centrales, les na�ons victorieuses ont procédé à un démantèlement de la Sublime Porte. Grâce aux résolu�ons du Traité de Sèvres signé en 1920, les Grecs ont alors pu s’emparer de la plupart des territoires revendiqués de part et d’autre de la mer Égée. Cet irréden�sme hellénique est appelé la « Grande Idée » (Megáli Idéa).

« L’identité nationale de la jeune nation grecque en genèse était le résultat d’un savant mélange d’héritage antique et byzantin qui se posait irrémédiablement en réaction à l’Empire qui contrôlait encore une partie de son territoire de jure. » La représenta�on mentale des Grecs de l’époque considérait l’O�oman comme un ennemi héréditaire.

Le trauma�sme de la perte de Constan�nople (car les Grecs se considèrent alors comme les héri�ers directs de Byzance) est indépassable pour l’imaginaire collec�f na�onal. L’iden�té na�onale de la jeune na�on grecque en genèse était le résultat d’un savant mélange d’héritage an�que et byzan�n qui se posait irrémédiablement en réac�on à l’Empire qui contrôlait encore une par�e de son territoire de jure. C’est alors que naît au XIXe siècle la « Grande Idée ».

Mustafa Kemal Atatürk lors de la guerre gréco-turque (1919-1922)

En 1919, lorsque les soldats grecs débarquent à Smyrne pour occuper le territoire acquis par les armes, la « Grande Idée » se transforme assez vite en « Grande Catastrophe » (Mikrasia�kí Katastro�) : les nouveaux grecs sont rejetés par les anciens grecs. En effet, un violent sen�ment de supériorité anime les Grecs de la péninsule face à ces Grecs du sol anatolien.

Ce�e altérité vécue de part et d’autre de la mer Égée résulte très vite en des insultes et des violences générales dégénérant par moment en massacres. La décep�on est grande et la cohabita�on devient très vite impossible. Pour les soldats chargés de l’occupa�on, la mer Égée est une véritable fron�ère civilisa�onnelle. Dans une le�re adressée à une femme restée au pays, le sergent grec Papamarkakis écrit : « Ma chère. J’aurais voulu t’envoyer chaque jour des fromages et des fruits d’Asie mineure. Mais j’habite un lieu où il n’y a pas de terre con�nue, seule la mer nous sépare comme les ténèbres sont séparés du paradis ».

Après plusieurs exac�ons et atrocités menées par les occupants, la nécessité de me�re un terme à l’expédi�on se fait de plus en plus sen�r auprès du gouvernement grec. L’opéra�on est un échec. Dans son journal in�me, un soldat grec note que « au lieu de capturer Ankara, nous sommes en train de creuser nos propres tombes en Anatolie ». Or, face à ce�e Revue TB N°4 - 25

radicalisa�on de l’occupa�on, les forces turques se sont organisées autour de Mustafa Kémal. Assez vite, le retrait des forces françaises implique l’isolement de la Grèce. La catastrophe militaire est sévère pour les forces militaires grecques. Le retrait et l’abandon des territoires à la Turquie sont suivis par la signature du Traité de Lausanne en 1921.

Ce traité a entraîné des conséquences durables pour les deux pays égéens. En Grèce, la « Grande Idée » est abandonnée faute de moyen pour l’appliquer, mais surtout en conséquence de la mauvaise expérience de l’occupa�on de Smyrne. En Turquie, la construc�on de l’iden�té na�onale se fait sur une base ethnique et na�onaliste très prononcée. Cependant, si la fron�ère terrestre a été définie en 1921 par le traité de Lausanne, la fron�ère mari�me reste cependant discutée.

accompagnée d’une souveraineté mari�me s’étendant jusqu’à trois milles nau�ques du rivage. Or, la conven�on de Genève ainsi que les accords interna�onaux de 1958 étendent ce�e souveraineté jusqu’à six milles nau�ques du rivage, tandis que la conférence de 1982 et la conven�on européenne de 1994 poussent ce droit jusqu’à douze milles nau�ques.

La Turquie est grandement en désaccord avec ces résolu�ons puisqu’ils impliqueraient que les navires turcs doivent passer dans les eaux territoriales grecques avant de pouvoir arriver dans les eaux interna�onales. Cela sous-entendrait alors que la marine grecque pourrait contrôler le passage de tout navire voguant sous pavillon turc. Dans les faits, la Grèce applique la loi impliquant le contrôle de six milles nau�ques. Pour la grande Assemblée na�onale turque, le passage des six aux douze milles nau�ques par la Grèce – comme le droit interna�onal l’autorise –

LA MER, LE NOUVEL HORIZON La fron�ère mari�me coupait assez simplement les îles de la mer Égée depuis 1830. D’un côté, les îles des Cyclades, Skyros et les Sporades septentrionales du côté grec, de l’autre les îles turques du Dodécanèse de l’Égée septentrionale et de la Crète, bien que la perte progressive des possessions o�omanes aux profits des Anglais et des Italiens complique la division de la souveraineté de la mer Égée. En 1921, le traité de Lausanne transfère toutes les îles turques de la mer Égée à la Grèce à l’excep�on d’Imbros et de Tenedos afin de garan�r la maîtrise et la stabilité des Dardanelles à la Turquie, et ce malgré la popula�on majoritairement grecque qui composait ces îles.

En 1947, l’Italie fasciste défaite par les Alliés a été circoncise de certaines de ses régions au profit des na�ons victorieuses. Le traité de Paris cède l’archipel du Dodécanèse à la Grèce, qui avait précédemment été acquis par l’Italie en 1911 en même temps que la Libye à l’Empire O�oman. Entrée en guerre en 1940, la Grèce a pu réclamer des régions lors des négocia�ons contrairement à la Turquie qui est entrée tardivement en guerre en mars 1945. Grâce à ce�e acquisi�on, le territoire na�onal grec se situe dès lors uniquement à quelques kilomètres de la ville turque de Rhodes.

« Pour la Turquie, la souveraineté maritime doit être définie selon le plateau continental. Il doit être analysé de manière géologique » Cependant, ces territoires insulaires grecs imposent un maillage complexe de la souveraineté des eaux territoriales. En effet, selon le traité de Lausanne, la souveraineté sur les îles de la mer Égée est 26 - Revue TB N°4

La m

serait suffisant pour être considéré comme un casus belli. Elle fait cependant marche arrière sur sa déclara�on en 2005.

Pour la Turquie, la souveraineté mari�me doit être définie selon le plateau con�nental. Il doit être analysé de manière géologique, impliquant ainsi que la mer Égée devrait être séparée en fonc�on du plateau et des fonds marins sans tenir compte des réalités des îles qui la composent. Ainsi, en novembre 1973 et en juillet 1994, la Turquie définie unilatéralement son plateau territorial en incluant les îles grecques de My�lène, de Chios et de Samos. La mer Égée devrait, pour le gouvernement turc, bénéficier d’une considéra�on excep�onnelle et devrait être considérée comme une excep�on au regard du droit interna�onal car c’est une mer fermée et ses îles ne devraient pas être considérées comme des territoires

terrestres car elles seraient des excep�ons à la con�nuité de la mer Égée.

Pour la Grèce, les conven�ons interna�onales font loi. La conven�on sur le droit de la mer de Genève en 1958 ra�fiée en 1972 par la Grèce ainsi que celle de Montego Bay en 1982 et ra�fiée en 1995 sont les textes de référence, alors que la Turquie n’a reconnu aucun de ces textes. Ils impliquent que les îles ont leur propre plateau con�nental au même niveau que les côtes, contrairement à la discrimina�on impliquée par la vision turque.

UNE MER RÉGIONALE AUX ENJEUX MONDIAUX Ce conflit a de nombreuses répercussions sur la scène interna�onale. En effet, la Grèce et la Turquie sont insérés dans de nombreuses organisa�ons

des Dardanelles) subsistantes empêchent une totale collabora�on. Malgré ces éléments qui peuvent paraître probléma�ques ou dangereux pour certains, les deux na�ons rejoignent en 1952 l’OTAN. Si la France et l’Allemagne ont su dépasser leurs différends, la Grèce et la Turquie ont rejoint l’Alliance sans avoir trouvé préalablement un accord sa�sfaisant pour les deux par�s.

L’adhésion à l’Union européenne (UE) est aussi probléma�que. Si la Grèce a rejoint l’UE en janvier 1981, la Turquie n’est toujours pas membre de l’Union.

Depuis 1958, le pays souhaite rejoindre l’Europe, volonté qui semblait se concré�ser le 12 septembre 1963 à Ankara lorsque l’Accord d’associa�on est signé. Or, la crise économique aggravée par la crise poli�que du coup d’État militaire de 1980 ralen�t l’op�misme des bureaucrates de Bruxelles. Aujourd’hui, les rapports plus que conflictuels entre la Turquie et la France ne semblent pas présager une reprise des négocia�ons. Le Président français Emmanuel Macron se montre très vindica�f à propos de son homologue turc en affirmant par exemple en octobre 2022 que « Nos épouses s’entendent bien, pas nous ».

UNE MER DE PLUS EN PLUS IMPORTANTE

mer joue un rôle clef, souvent oublié, dans ce�e périphérie « tendue » ©MND

interna�onales et possèdent de nombreux accords bilatéraux avec des na�ons �erces.

Ces deux pays sont membres de l’Organisa�on du Traité de l’Atlan�que Nord (OTAN) qu’ils ont rejoint la même année. En septembre 1951, la volonté stratégique américaine d’étendre l’alliance à la mer Méditerranée orientale les pousse à inviter la Grèce et la Turquie dans l’alliance malgré quelques ré�cences européennes. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Grèce avait sombré dans la guerre civile : les forces communistes s’opposaient au retour du roi soutenu par les Anglais et les Américains, tandis qu’en Turquie, le régime des bolcheviks avait entamé un rapprochement historique. Les dons en armes et en or russe pendant la guerre de Mustafa Kemal ont été un game changer pour la jeune na�on turque. Mais la méfiance envers le communisme et les rivalités territoriales (notamment pour le contrôle du détroit

Au centre de ce conflit se posent des ques�ons de souveraineté mari�me mais surtout de souveraineté sur les ressources sous-marines. De ce conflit résulte dès août 1976 et mars 1987 les premières expédi�ons de prospec�on pétrolières turques en territoire grec, provoquant ainsi une crise diploma�que. Le but de ces manœuvres est de voler la souveraineté sur les poten�elles ressources sous-marines de la mer Égée qui appar�ennent aujourd’hui à son voisin, comme lorsqu’en 1986 un navire de prospec�on pétrolière turc a analysé les fonds marins à l’ouest de My�lène dans les eaux grecques.

Aux rivalités de souveraineté s’ajoutent des rivalités d’autorité. En tant que membre de l’opéra�on navale Irini de l’Union européenne, la Grèce par�cipe à lu�er contre le trafic d’armes sévissant en Libye (voir mon ar�cle sur le trafic d’arme en Libye). En tant que membre de ce�e mission, et selon la résolu�on 2292 renouvelée par la résolu�on 2526 des Na�ons Unies autorisant l’abordage de navires suspectés de contourner l’embargo sur le trafic d’armes en Libye, le pays avait toutes les autorisa�ons pour accoster un cargo suspect. Or, le 10 juin 2022, le navire tanzanien le Cirkin remarqué par la frégate grecque le Spetsai à la sor�e d’un port turc, a a�ré l’a�en�on de la mission en faisant des allers-retours suspects entre la Turquie et la Libye depuis plusieurs semaines : les autorités compétentes avaient de forts soupçons sur la possibilité pour le cargo de transporter illégalement des chars d’assaut M60A3 en direc�on de la Libye pour armer le camp du maréchal Ha�ar. Précédemment, le Revue TB N°4 - 27

1974, la Turquie envoie 40 000 soldats pour soutenir les milicien chypriotes turcs et proclame l’état fédéré turc de Chypre ©MND

27 mai 2020, la frégate française Le Forbin avait déjà essayé de contrôler ce même cargo, en vain. Alors, dans le but de contrôler le navire, le quar�er général de la mission européenne a autorisé l’hélicoptère Sikorsky S-70B grec à s’approcher du navire. Il s’avère alors que le Cirkin était accompagné d’une frégate turque, le F-496 TCG Gökova, qui semble avoir refusé toute coopéra�on et forcé l’hélicoptère à faire demitour. Une seconde frégate turque, le F-245 TCG Oruçreis, aurait ensuite mis le cap sur l’hélicoptère, forçant le navire grec à ne pas poursuivre le contrôle afin d’éviter que la situa�on ne s’envenime d’avantage.

Le même jour, le navire français Le Courbet (F-712) accompagné d’un bâ�ment italien et même d’un navire turc (!), approche le cargo rebelle dans le cadre de la mission de l’OTAN Sea Guardian. Les deux frégates turques empêchent alors le navire de la Marine d’approcher de manière violente. Le Courbet sera illuminé trois fois, c’est-à-dire que les navires turcs vont se me�re à le viser avec leurs armes afin de faire sonner les alarmes du navire français qui détecte le viseur ennemi. C’est un acte grave qui montre l’implica�on de la Turquie dans le trafic d’armes libyen et qui entérine encore plus la rivalité gréco-turque, tout en ayant un impact sur les autres na�ons amies de la Grèce, dont fait par�e la France, l’Union européenne et le reste de l’Otan.

CHYPRE, SYMPTÔME D’UNE RIVALITÉ QUI N’EN FINIT PAS Membre de l’Union européenne depuis 2004, Chypre est un État divisé en deux : au sud la communauté grecquo-chypriote, protégé par la Grèce et le Royaume-Uni et État membre de l’UE, est séparée de l’autoproclamé « République turque de Chypre du 28 - Revue TB N°4

Nord » protégée par la Turquie au nord de l’île. En 1974, un coup d’État militaire par les généraux chypriotes est u�lisé par la Turquie comme excuse pour intervenir militairement. La République est autoproclamée en 1983 et est reconnue uniquement par son instaurateur. Les négocia�ons sous l’égide de l’ONU n’arrivent pas à résoudre le problème et à impliquer une réunifica�on de l’île. Les échecs du plan Annan en 2004 et des conférences du Mont Pèlerin et de Crans Montana en 2017 risque de rester sans suite à cause de l’élec�on au nord d’Ersin Tatar en 2020, considéré comme l’ami de Recep Tayyip Erdogan, qui prône le main�en et la solu�on en deux États.

Pour le ministre des Affaires étrangères turcs Hürriyet, « Chypre est un énorme porte-avions qui s’est ancré dans la par�e la plus stratégique de la Méditerranée orientale. Il met toute la Méditerranée orientale sous un contrôle militaire. Il est à un pas des côtes turques et à deux pas de la péninsule Arabique.

Il est comme un gardien du canal de Suez ».

« Pour la Grèce, si la Grande Idée est révolue, Chypre est toujours considéré comme un territoire national » Pour la Turquie, Chypre est un enjeu sécuritaire fort.

Ce�e île méditerranéenne au sud de l’Anatolie est depuis 1974 la cible d’une colonisa�on turque. Les popula�ons civiles ainsi que des forces militaires d’Ankara s’installent sur l’île pour essayer de se l’approprier. Le conflit a entraîné un fort processus de migra�on des Chypriotes grecs du nord de l’île vers le

sud de celle-ci, laissant leur place à des Turcs, créant une ségréga�on de facto de la popula�on insulaire.

Des deux côtés de la « ligne verte », la démarca�on entre les deux Chypres, tout est fait en fonc�on de la puissance protectrice si bien que, dès le plus jeune âge, l’école relie les origines de Chypre à la Grèce pour l’un et à la Turquie pour l’autre à tel point que, au final, seul 20% du programme scolaire des cours d’Histoire des Chypriotes grecs et des Turcs n’a de rapport avec l’Histoire de l’île.

Pour la Grèce, si la « Grande Idée » est révolue, Chypre est toujours considéré comme un territoire na�onal. Pour l’archevêque Chypriote grec Mikhaíl Khristodoúlou Moúskos, dit Makários III, en 1977, « on pourrait affirmer que la “Grande Idée” avait une logique interne, demandant de façon pressante à se réaliser dans chaque par�e du monde grec qui restait sous domina�on étrangère. Les Grecs de Chypre se considérant eux-mêmes comme des Grecs, tant historiquement que culturellement, la “Grande Idée” a exercé sur eux un a�rait intense ». Ainsi, si la « Grande Idée » est abandonnée, elle a été remplacée par l’« Enosis », c’est à dire la volonté de voir la Grèce et Chypre se réunir.

Bien que (ou peut-être parce que) centrale pour la stabilité des na�ons régionales, y compris la Fédéra�on de Russie, la mer Egée reste une mer sensible. Véritable verrou stratégique Méditerranéen au nord du Canal de Suez, elle risque de s’embraser au moindre conflit géopoli�que.

Les conflits territoriaux qui opposent la Grèce et la Turquie sont nombreux. Depuis l’indépendance de la Grèce en 1830, son ambi�on de retrouver et de réunifier tous les territoires issus de la civilisa�on grecque en une seule na�on n’a jamais été achevée.

Animée par la « Grande Idée », la Grèce a vite abandonné ses revendica�ons en Anatolie après avoir été déçue par l’expédi�on de Smyrne. Pendant ce temps, la construc�on de l’État-na�on turque se fait alors en opposi�on à la Grèce, sur des bases ethniques, religieuse et civilisa�onnelle.

Pour autant, annexer les îles de la mer Égée ainsi que la réunifica�on avec l’île grecque de Chypre (Enosis) fait toujours par� des ambi�ons de la Grèce, alors même que la Turquie con�nue de revendiquer ces territoires pour en faire des avant-postes militaires dans la Méditerranée ainsi que pour y exploiter les ressources.

La souveraineté sur les mers associées à ces îles pose donc de sérieux problèmes. Si la Turquie présente une revendica�on peu commune qui lui permet de s’avantager dans le débat public, la Grèce suit à la le�re les préroga�ves du droit interna�onal de la mer en vigueur.

Ces rivalités, bien qu’elles ne dégénèrent pas en conflit ouvert aujourd’hui, posent de sérieux problèmes pour la stabilité régionale. Tous deux membres de l’OTAN, un conflit entre ces deux na�ons créerait un précédent unique. Membre de l’UE, la Grèce a�aquée pourrait faire valoir l’ar�cle 42-7 du traité de Lisbonne impliquant une obliga�on d’assistance aux autres États membres de l’Union, dont l’applica�on par la France aux lendemain des a�entats du 13 novembre a déjà créé une jurisprudence.

Les rivalités de souveraineté sur les ressources ainsi que sur l’autorité mari�me posent de sérieux problèmes. La Turquie semble jouer selon ses propres règles, niant ainsi les protocoles de sécurité et les missions interna�onales.

La situa�on de l’île de Chypre reste préoccupante.

Jugée comme une extension du conflit en mer Égée puisqu’il comporte les mêmes acteurs et suit les mêmes logiques, le conflit géopoli�que à Chypre laisse présager le pire alors qu’aucune solu�on ne semble se dessiner. Une transforma�on de la rivalité en conflit chaud est-elle possible ? Rappelons que, comme la Grèce, Chypre fait par�e de l’Union Européenne.

La Turquie est souvent qualifiée comme le « mauvais élève » de l’OTAN, elle est pourtant une puissance stratégique pour l’alliance

DIPLOMATIE

Stratégie Israélienne Désenclavement et découplage diplomatique Par André ROTHSCHILD - Diplomé de l’HUJI & consultant en affaires européennes

Une diploma�e méconnue et pourtant tous azimuts ©MFA

UNE DIPLOMATIE AGILE L’image d’Épinal diploma�que est bien souvent liée à l’Organisa�on des Na�ons unies (ONU): un chef d’État à la tribune sur fond de serpen�nite; un ministre - Colin Powell ou Dominique de Villepin - devant la reproduc�on de Guernica dans la salle du Conseil de sécurité. Il en est autrement en Israël depuis l’adop�on de la fameuse résolu�on 3379 de 1975, assimilant le sionisme à une forme de racisme et de discrimina�on raciale.¹ Même si celle-ci a été révoquée depuis lors, l’ONU est depuis perçue par la diploma�e israélienne comme une plateforme poli�que antagoniste. De fait, en 2022 par exemple, l’ONU a adopté un plus grand nombre de résolu�ons contre Israël (15) que contre toutes les autres na�ons réunies (13). Israël est aussi le seul pays à être visé par un point permanent aux 30 - Revue TB N°4

sessions du Conseil des droits de l’homme, l’inamovible “point 7”. On le comprend, la marge de manœuvre diploma�que israélienne à l’ONU est réduite, et ses chances de la voir accéder à des postesclé, sans même men�onner un des sièges tournants du Conseil de sécurité, procédures qui sont soumises à des votes, sont proches de zéro. Face à la logique de blocs et des posi�ons de principe qui s’est développée dans l’enceinte onusienne, Israël développe une poli�que extérieure agile.

Les formats géométriques, plus souples par nature, sont ainsi largement u�lisés par Israël afin d'équilibrer sa posi�on vis-à-vis des grandes structures mul�latérales. Le pays a par exemple noué des rela�ons privilégiées avec le groupe de Visegrád² et développé un triangle par�culièrement dynamique

avec la Grèce et Chypre. Mais c’est surtout une diploma�e bilatérale ambi�euse qui est mise en place.

Celle-ci, parfois discrète, s’exerce avec certains pays qui, pour des raisons d'équilibre interne, de poli�que régionale, d’image, ou tout simplement de principe, mènent une poli�que diploma�que antagonique dans les travées de l’ONU ou de la Ligue Arabe. Ce�e stratégie, fondée sur l’exploita�on de l’espace entre ligne diploma�que officielle et intérêts pragma�ques, permet de désenclaver la posi�on israélienne en découplant la diploma�e mul�latérale de la diploma�e bilatérale, et de promouvoir des intérêts communs malgré des divergences de fond.

UN MOTEUR DE DÉVELOPPEMENT DIPLOMATIQUE L’exemple le plus célèbre de ce�e poli�que est la signature des Accords d’Abraham, signés d’abord entre Israël, Bahreïn et les Émirats arabes unis, rejoints dans un second temps par le Maroc et le Soudan. Ces accords ont été perçus comme un tournant dans les rela�ons entre Israël et ses voisins et comme un signe du désenclavement diploma�que d'Israël. Mais il s’agit surtout de l’officialisa�on de rela�ons déjà existantes, longtemps gardées secrètes, entre Israël et des pouvoirs arabes qui redoutaient la réac�on de la rue ou la perte de leur statut poli�que dans certains fora mul�latéraux. Outre l’approfondissement des rela�ons bilatérales, ce�e stratégie peut produire des résultats étonnants sur la scène régionale, comme quand en avril 2023, Israël se propose en médiateur discret au Soudan entre le chef de l’armée, le général Abdel Fa�ah Al-Burhan, et le chef des Forces de sou�en rapide, le général Mohamed Hamdane “Heme�” Daglo.³ Un développement d’autant plus frappant que

le Soudan s’enorgueillissait encore en 2020 de ne jamais soutenir aux Na�ons unies une résolu�on sponsorisée par Israël⁴, même quand celle-ci avait trait à “l’entrepreneuriat au service du développement durable".⁵

« Les formats géométriques, plus souples par nature, sont ainsi largement utilisés par Israël afin d'équilibrer sa position vis-à-vis des grandes structures multilatérales » Ce�e stratégie est aussi mise en œuvre dans le cas du conflit russo-ukrainien. Tout en affichant clairement son sou�en à l'Ukraine, y compris à l'ONU, et alors que la Russie y main�ent une poli�que plutôt hos�le à l'égard d'Israël, Jérusalem ménage Moscou au niveau bilatéral et adopte un posi�onnement plus nuancé. Du fait des liens culturels et humains entre ces deux pays, Israël ayant recueilli de nombreux juifs russes après la chute du rideau de fer, mais aussi de la présence russe en Syrie. Ce�e capacité à agir en dehors de la logique onusienne et de mener une poli�que pragma�que a permis à Israël de proposer ses services pour le règlement du conflit aux premiers mois de la guerre et à se poser en médiateur poten�el.⁶ Un autre cas par�culièrement intéressant est celui de la Chine, dans la mesure où les deux pays n’entre�ennent officiellement pas de rela�ons diploma�ques officielles avant la reconnaissance de

Les Accords d'Abrahams en 2020 marquent le début d’une poli�que de normalisa�on des rela�ons avec le monde arabe ©WH

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l’État hébreu par Beijing en 1992. Les rela�ons bilatérales s’intensifient dès lors malgré des divergences de fond: en effet, Israël entre�ent une rela�on par�culièrement étroite avec le rival américain et de plus en plus avec l’Inde, tandis que la Chine, qui se rapproche de l’Iran, ne mène pas précisément une poli�que pro-israélienne à l’ONU. Mais ces différences n'empêchent pas le développement de rela�ons sino-israéliennes, qui s’intensifient depuis de manière exponen�elle dans tous les domaines, en par�culier dans le secteur de la haute technologie et de l’innova�on. En 2021, le volume des échanges commerciaux bilatéraux était d’environ 18 milliards de dollars, faisant de la Chine le premier importateur en Israël et la seconde des�na�on des exporta�ons israéliennes.⁷ Outre les inves�ssements mutuels et une coopéra�on bilatérale approfondie, Jérusalem et Beijing travaillent même sur des projets à portée régionale⁸, comme le projet de rail à haute vitesse bap�sé “Red-Med”, du nom des deux mers qu’il relierait et qui perme�rait au commerce chinois de trouver une alterna�ve au canal de Suez ainsi qu’à l’axe Liban-Syrie-Irak, jugé risqué car trop instable, et de créer une connexion économique entre l’océan Indien et la mer Méditerranée.

Cependant, l’existence d'intérêts convergents n’est pas synonyme d’alignement total, et la poli�que de découplage est confrontée à des limites. Les répercussions sécuritaires de certains inves�ssements chinois font ainsi craindre parfois un approfondissement des rela�ons bilatérales, comme lorsqu’Israël décide d’annuler en 2022 la par�cipa�on d’une entreprise chinoise, la China Railway

Construc�on Company (CRCC), à un projet de construc�on de métro à Tel Aviv. Présentée comme une pression de Washington, qui interdit tout inves�ssement américain dans la CRCC du fait de ses rela�ons probables avec l’industrie de défense chinoise, ce revirement est surtout le fruit de la crainte grandissante de l'appareil sécuritaire israélien quant aux inves�ssements chinois dans les infrastructures du pays.

« Israël entretient une relation particulièrement étroite avec le rival américain et de plus en plus avec l’Inde, tandis que la Chine, qui se rapproche de l’Iran, ne mène pas précisément une politique proisraélienne à l’ONU » Le directeur du Shabak, Nadav Argaman, souligne publiquement en 2019 lors d’une conférence à l'université de Tel-Aviv les défis sécuritaires posés par les inves�ssements chinois et propose de les faire superviser.⁹ De fait, la ligne de métro perdue par la CRCC devait passer à quelques encablures du Quar�erGénéral de Tsahal. Enfin, ces réserves s’expriment aussi à l'export, avec la crainte que les technologies israéliennes vendues à la Chine ne finissent dans les mains de l'Iran, avec qui la Chine entre�ent de bonnes rela�ons. Par le jeu des proxies, ces technologies pourraient se retrouver en possession du Hezbollah ou du Hamas, ac�fs directement aux fron�ères de l’État hébreu.

Le cas de la Chine montre que malgré leur intérêt, des rela�ons bilatérales souples hors de véritable cadre norma�f partagé et d’une vision convergente de l'échiquier géopoli�que peuvent s'avérer limitées.

Bien qu’efficaces sur certains points de convergence, des considéra�ons sécuritaires, économiques et stratégiques sont à prendre en considéra�on lorsque la rela�on bilatérale s'approfondit trop.

ISRAËL FACE AUX LIMITES DE SA POLITIQUE DE DÉCOUPLAGE la poli�que de découplage a certaines limites, Cellesci sont aggravées par d’autres facteurs dans le cas israélien.

D’abord, ce�e diploma�e d’ouverture tous azimuts peut créer des fric�ons avec d’autres partenaires. Pour reprendre le cas de la Chine, les Etats-Unis ont ainsi �ré le signal d’alarme quand a émergé la perspec�ve de la ges�on du port de Haïfa, fréquemment u�lisé par

Ronen Bar, (à droite) directeur du shabak, veille au grain ©GPO

En 2007, le Shahab-3 iranien et ses variantes ont été les premiers missiles balis�ques à moyenne portée à pouvoir a�eindre et menacer Israel

la sixième flo�e de l’US Navy, par un groupe chinois.

Dès la fin des années 1990, certains transferts technologiques et militaires israéliens vers la Chine inquiètent déjà les Etats-Unis, forçant par exemple Israël à rétropédaler sur un contrat prévoyant la vente à la Chine de systèmes de détec�on et de commandement aéroportés de type Phalcon¹⁰, au grand dam de Beijing. Dans le cas de l’Ukraine et de la Russie, le posi�onnement de Jérusalem n’a pas toujours été bien compris, amenant d’abord le Président Zelenski à faire un discours assez dur contre la poli�que israélienne¹¹ et suscitant des interroga�ons de la part de certains alliés.¹² La stratégie de realpoli�k diploma�que israélienne peut ainsi se heurter à une difficulté supplémentaire: un périlleux exercice d'équilibre à trouver entre des partenaires aux intérêts divergents, voire opposés.

Mais ces impacts d’une posture diploma�que parfois trop ambi�euse restent mineurs par rapport à la menace iranienne, largement perçue comme existen�elle. Outre les aspects militaires de ce�e menace, conven�onnels comme non-conven�onnels, l’Iran développe de son côté une stratégie diploma�que double visant d’une part à coaliser ses forces dans la région, et d’autre part à améliorer ses propres rela�ons diploma�ques, profitant du désintérêt grandissant des occidentaux pour le Moyen-Orient. De plus, des tendances de fond globales, comme le désengagement américain du Moyen-Orient fragilisent la posi�on diploma�que d'Israël en favorisant l'arrivée de puissances comme la Russie ou la Chine, qui, nous l’avons vu, peuvent à la fois partager des intérêts spécifiques, mais aussi porter des intérêts divergents. Surtout, ce désengagement américain laisse les coudées franches à l'Iran.¹³ A la jonc�on de ces deux probléma�ques, nous pouvons évoquer le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite sous les auspices chinois en début d'année, après des années de confronta�on idéologique et géopoli�que. Israël se voulant de plus en plus aligné

avec le camp sunnite depuis la signature des Accords d’Abraham, et l'idée de normalisa�on avec l’Arabie Saoudite ayant même été évoquée publiquement, il sera intéressant de voir quel impact le rapprochement irano-saoudien aura sur les velléités de Jérusalem avec le bloc sunnite.

« Le positionnement de Jérusalem n’a pas toujours été bien compris, amenant d’abord le Président Zelenski à faire un discours assez dur contre la politique israélienne » La normalisa�on avec les pays arabes permise par les Accords d’Abraham est quant à elle soumise à deux difficultés, liées dans une certaine mesure: d’une part l’opinion publique de ces pays reste plutôt hos�le à Israël et la ques�on d’un changement significa�f dans ce domaine ne se pose qu'à un horizon lointain.¹⁴ D’autre part, la ques�on pales�nienne, bien que l'intérêt que lui portent certains pays arabes semble s'éroder, reste centrale. Ainsi, malgré la normalisa�on des rela�ons dans le cadre des Accords d’Abraham, tous les signataires arabes ont voté pour une résolu�on in�tulée “Pra�ques israéliennes affectant les droits humains du peuple pales�nien dans le Territoire pales�nien occupé, y compris JérusalemEst” en décembre 2022, par laquelle l’Assemblée générale des Na�ons Unies demande à la Cour Interna�onale de Jus�ce un avis consulta�f.¹⁵ Plus inquiétant pour la diploma�e israélienne, car ayant trait au bilatéral et non au mul�latéral, les Émirats arabes unis auraient envisagé de réduire le niveau de leur représenta�on diploma�que en Israël après des déclara�ons polémiques du ministre des Finances Revue TB N°4 - 33

israélien Betsalel Smotrich sur les pales�niens en mars, des propos préalablement condamnés par les émira�s.¹⁶ En janvier 2023, le chef de la diploma�e saoudienne Fayçal ben Farhan réitérait quant à lui à Davos qu’une “vraie normalisa�on et une vrai stabilité avec Israël” n’interviendraient pas sans État pales�nien.¹⁷ Enfin, les défis internes à Israël peuvent menacer son désenclavement diploma�que. D’abord la composi�on de l’actuel gouvernement de Benyamin Netanyahou a�re les cri�ques du monde arabe en raison de son orienta�on idéologique et poli�que, menaçant l'approfondissement des Accords d’Abraham et leur élargissement à d'autres pays arabes, en par�culier l’Arabie Saoudite. Surtout, les tensions en cours en Israël autour de la ques�on de la réforme judiciaire vont bien plus loin qu’une simple réforme locale et menacent la stabilité de l’architecture diploma�que israélienne dans son ensemble. Elles comprome�ent une par�e du sou�en de la diaspora juive, en par�culier aux Etats-Unis, et risquent d'éloigner Israël de ses alliés “naturels” occidentaux, alors que les rela�ons d’Israël avec ceux-ci sont basées d’abord et avant tout sur un socle norma�f commun.

Or, nous l’avons vu, si des rela�ons bilatérales souples peuvent être développées ad hoc avec des partenaires dont la ligne poli�que générale est défavorable, celles-ci ne peuvent structurellement pas a�eindre un niveau d'intégra�on op�mal et il reste essen�el de conserver un noyau d'alliés solides, partageant le même terreau norma�f et une vision convergente de la scène interna�onale.

1. Assemblée générale des nations unies, Résolution 3379, “Élimination de toutes les formes de discrimination raciale”, 10 Novembre 1975, A/RES/3379 2. B. Molnár, “Israël and the Visegrád (V4) Group: Challenges and Opportunities”, Israël Journal of Foreign Affairs, 2019, 13:1, 3-21 3. B. Ravid, “Israël offers to host warring Sudanese generals for talks”, Axios, 24 Avril 2023 4. “Sudan denies voting for Israel at the UN”, Middle East Monitor, 26 Novembre 2020 5. Assemblée Générale des Nations Unies, “L’entrepreneuriat au service du développement durable”, 3 Novembre 2020, A/C.2/75/L.28/ 6. “Zelenskiy suggests Israël as good place to hold talks with Russia”, Reuters, 21 Mars 2022, 7. The Observatory of Economic Complexity, consulté le 10 Juin 2023. Disponible en ligne : https://oec.world/en 8. B. Wu, “China and New Middle East”, Journal of Balkan and Near Eastern Studies, 2021, 23, 443-457 9. “Chinese investments in Israel could pose security threat, Shin Bet chief warns”, Haaretz, 9 Janvier 2021 10. O. Kessler, “Shalom Beijing”, Foreign Policy, 13 Mars 2012

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11. O. Oshin, “Zelensky criticizes Israel’s response to Russian war in speech to lawmakers”, The Hill, 20 Mars 2022 12. L. Berman, “Foreign Ministry: US patience with Israel’s Russia stance may be wearing thin,” Times of Israel, 23 Novembre 2022 13. E. Inbar, “Implications of US Disengagement from the Middle East”, Begin-Sadat Center for Strategic Studies, 2016 14. M. Robins, “Arab Public Feelings about Normalization of Arab Countries with Israel”, Mediterranean Yearbook, 2022 15. Assemblée Générale des Nations Unies, Résolution 77/247, “Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est”, 30 Décembre 2022, A/RES/77/247 16. “UAE condemns statements by Israeli Minister of Finance denying existence of Palestinian people”, Ministère des Affaires Étrangères des Émirats Arabes Unis, 21 Mars 2023 17. “Saudi Arabia Says a Palestinian State Is Key to Ties With Israel”, Bloomberg, 19 Janvier 2023

Tel Aviv, Israël ©unsplash

Dubaï, EAU ©unsplash

DIPLOMATIE

Téhéran - Caracas fraternité politique et échanges informels Par Alexandre PAMART - Intitut Talleyrand

Le président vénézuélien (Nicolás Maduro) et son homologue iranien (Ebrahim Raisi) à Téhéran en juin 2022 ©Ge�yImage

Le Venezuela endure une crise sociale et économique sans précédent depuis les sanc�ons de 2017 visant à affaiblir le régime du président Maduro.

Le disposi�f s’était élargi en 2019 en ciblant le secteur pétrolier, isolant le pays sur la sphère interna�onale.

L’économie du pays était déjà fragile depuis 2013 avec la chute des cours du pétrole. Diverses carences frappèrent la société (nourritures, produits de première nécessité, médicaments…) en plus d’une infla�on considérable : 234% en 2022, 686.4% en 2021. Les embargos nourissent des animosités poli�ques et enjoignent certains pays à affirmer des alliances contre des ennemis communs.

La tournée du président iranien au Venezuela, au Nicaragua et à Cuba confirme le renforcement des rela�ons entre Téhéran et ses alliés. Il faut comprendre 36 - Revue TB N°4

les raisons qui rapprochent Téhéran de Caracas, l’histoire de la diaspora libanaise et enfin les échanges économiques afin d’essayer d’appréhender le rôle poten�el du Hezbollah. Le mouvement ayant de nombreux opposants, toute informa�on trouvé sur internet est à prendre avec précau�on quant à la source et aux preuves fournies. Le présent ar�cle tente d’apporter quelques éléments de réponse, se basant sur une étude de sources ouvertes, avec des nuances.

UN ALLIÉ STRATÉGIQUE ET FIDÈLE DE TÉHÉRAN La rela�on entre l’Iran et le Venezuela est fondée sur la solidarité et la fraternité au cours des décennies. Les deux pays sont des « amis en des temps difficiles » et

sont visés par des sanc�ons. Ils auraient « des ennemis communs » selon les termes du président iranien le 12 juin 2023 à Caracas. Ce�e tournée fait suite à la viste de Maduro à Téhéran en juin 2022, abou�ssant à la signature d’un accord de coopéra�on d’une durée de vingt ans, englobant divers domaines : poli�que, économique, tourisme, pétrole ou pétrochimie.

Maduro annonça à l’époque l’inaugura�on d’un vol régulier de passagers entre Téhéran et Caracas, opéra�onnel depuis Juillet 2022. Lors de ce�e récente rencontre en juin 2023, 25 accords de coopéra�on furent signés (économie, commerce, technologie, sciences). Maduro exprima un besoin de sou�en technologique et scien�fique. Les ressources énergé�ques du Venezuela sont certes très importantes, le pays est membre de l’OPEP, les infrastructures deviennent toutefois vétustes. En 2020, l’Iran a envoyé 1.5 millions de barils pour soutenir son allié dans le nécessité face aux sanc�ons et à une situa�on économique chao�que.

Le voyage du président Raïssi s’est poursuivi le 13 juin au Nicaragua. Les mêmes phrases d’opposi�on à l’hégémonie reten�rent. Des accords furent signés traduisant des poli�ques communes, mais aussi des ambi�ons de paternariat commercial ou énérgé�que.

La proximité entre l’Iran et le Nicaragua est renforcée par la rela�on entre le président Daniel Ortega et Mohsen Rezai (ancien commandant de la Garde Révolu�onnaire, vice-président en charge de l’économie depuis 2021, il figure aussi sur liste d’Interpol). Les deux poli�ciens se sont rencontrés lors de l’inves�ture d’Ortega début janvier 2022. Les discussions de l’époque tournèrent autour de la coopéra�on générale entre les deux pays et notamment dans le secteur pétrolier. Téhéran et Managua partagent la priorité de sor�r du contexte économique défavorable, impulsé par Washington, et se concré�sant par des sanc�ons ou des gels des avoirs.

UNE AMITIÉ INCONTESTABLE AU FIL DES MANDATS L’année 2019 symbolise le renforcement des sanc�ons interna�onales contre le Venezuela, isolant toujours plus le pays et le rapprochant de l’Iran.

L’approfondissement des échanges commerciaux se concré�sa par des exporta�ons d’or ou de produits basiques vers Téhéran contre des importa�ens iraniennes de pétrole, combus�les ou produits alimentaires. Des pétroliers iraniens furent mis à disposi�on de Caracas pour procéder à des exporta�ons interna�onales de pétrole. Ainsi, en Septembre 2020 un tanker iranien chargé de produits pétroliers (2.1 millions de barils de condensat) fut envoyé vers le Venezuela. Le condensat a ensuite été mélangé à du pétrole local (pétrole extra lourd vénézuelien, non conven�onnel) pour être ensuite exporté de Caracas comme du pétrole brut. En octobre, ce tanker est revenu en Iran chargé de pétrole extra lourd vénézuelien à des�na�on de la société na�onale iranienne du pétrole. La base de données de l’entreprise pétrolière na�onale, Petróleos de Venezuela SA (PDVSA), a enregistré un nom inexact concernant l’arrivée et le départ du tanker iranien. Ce même pétrolier, Horse, fut arrêté en janvier 2021 dans les eaux indonésiennes et relâché fin mai 2021 : l’AIS avait été coupé, le drapeau caché et aucune réponse n’avait été donnée aux signaux radios. Les autorités suspectèrent un échange de machandises avec un autre pétrolier panaméen ayant effectué les mêmes manoeuvres. L’une des techniques u�lisées par l’Iran serait de brouiller les systèmes de suivi sur les navires pour exporter son pétrole ou effectuer des transac�ons en mer.

« Les exportations iraniennes de pétrole en 2023 atteignent des niveaux records en dépit des sanctions, avec 1.5 millions de barils en mai 2023 » Le 15 juin 2023 Ebrahim Raïssi s’est rendu à Cuba pour signer des accords dans le domaine poli�que, des douanes ou des télécommunica�ons. Téhéran a répété la liste de ses alliés : le Venezuela, le Nicaragua et Cuba, tous contre « l’hégémonie et l’unilatéralisme ».

Des visites dans ces trois états furent effectuées en avril, par le ministre russe Sergueï Lavrov. Ce dernier avait affirmé que « le Venezuela, Cuba et le Nicaragua sont des pays qui choisissent leur propre voie ».

2007, rencontre entre les présidents Chavez et Ahmadinejad ©UPI

Arrivée d’un pétrolier iranien au Vénézuéla en 2020 ©Ge�yImage

Les exporta�ons iraniennes de pétrole en 2023 a�eignent des niveaux records en dépit des sanc�ons, avec 1.5 millions de barils en mai 2023. Le Venezuela est un des�nataire du pétrole de Téhéran, mais le principal bénéficiaire reste Pékin. Le pétrole entre officiellement « en provenance d’un autre pays ». Par ce�e méthode, l’Iran évite d’a�ser la colère de Washington dans un contexte tendu en Asie de l’Est. En décembre 2022 les importa�ons vers Pékin seraient es�mées chaque jour à 1.2 million de barils.

« Le Hezbollah est souvent soupçonné de transporter du cash entre les continents. Ce rôle semble transparaître dans un réseau de blanchiment du narcotrafic d’un cartel colombien » Au-delà du commerce et du secteur pétrolier, la rela�on entre le Venezuela et l’Iran se développe dans le domaine financier. Les dialogues entre Hugo Chavez et Ahmadinejad se concré�sèrent 2 janvier 2008 par la créa�on d’une banque : Banco Internacional de Desarrollo C.A (appelé aussi BID). Il s’agit d’une filiale autonome de l’Export Development Bank of Iran (sous sanc�on de l’OFAC). La banque offre des produits d’épargne mais aussi du financement à l’exporta�on.

L’ins�tu�on ne comporte qu’un site internet très sommaire et apparemment une seule adresse physique. Une autre banque fut établie en 2010 à Téhéran, la banque bi-na�onale Iran-Venezuela, qui serait fermée depuis quelques années. La chute de l’économie au Venezuela a rendu difficile la prise de décision dans ce�e banque localisée à Téhéran. La quan�té minimale d’informa�on sur ces structures et 38 - Revue TB N°4

le rôle affiché pour soutenir les rela�ons bilatérales engendrent des ques�ons quant à un rôle de blanchiment ou de financement de certains mouvements. En théorie toutes les ins�tu�ons financières peuvent être exposées à des risques de sanc�ons ou financement du terrorisme, cependant ces structures échappent au contrôle interna�onal.

L’Export Development Bank est dirigé par le gouvernement iranien de fait les flux seront illicites au regard du régime de sanc�ons. Toutefois, les deux économies étant sous sanc�on ce�e approche semble légi�me, voire nécessaire pour soutenir certains échanges commerciaux vitaux pour Caracas et Téhéran.

LE HEZBOLLAH TROISIÈME PIÈCE DU PUZZLE DANS LES RELATIONS ENTRE TÉHÉRAN ET CARACAS La rela�on de l’Iran avec ses trois principaux alliés d’Amérique la�ne repose sur des messages aussi simples que tranchés, laissant place à des suspicions quant au rôle du Hezbollah. Si l’Iran a la légi�mité d’un état souverain pour mener des discussions ou signer des accords officiels, le Hezbollah apparaît comme un acteur dans l’ombre de Téhéran. La première raison expliquant sa présence loin du Liban est l’importance historique de la diaspora libanaise, surtout au Venezuela. Ce�e diaspora s’es�merait à environ 350 000 vénézueliens d’origine libanaise, arrivés principalement depuis l’époque O�omane jusqu’après la fin de la Première Guerre Mondiale. Une vague de migrants fut ensuite observée durant les tragiques années de guerre civile au Liban entre 1975 et 1990.

Le Hezbollah est souvent soupçonné de transporter du cash entre les con�nents. Ce rôle semble transparaître dans un réseau de blanchiment du narcotrafic d’un cartel colombien (cartel de Norte del Valle). Trois coupable, parmi une centaine d’arresta�ons en 2008, furent supposément en lien avec le Hezbollah. L’argent de la drogue était envoyé à

l’étranger via des sociétés écrans. Le Hezbollah serait aussi ac�f sur les routes du cash entre le Venezuela, le Panama, le Guatemala, vers le Moyen Orient ou l’Europe. Il a été reporté dans la presse en septembre 2022 que le Hezbollah serait impliqué par son système de transporteurs / compensa�on dans le blanchiment de la vente de cocaïne en Europe En février 2020, le Hezbollah fut désigné par les autorités colombiennes comme mouvement terroriste. Le président colombien, alors Ivan Duque, est en bonne rela�on avec Israël puisqu’ayant annoncé en 2020 la mise en place d’un accord de libre-échange Colombie-Israël. Ce dernier affirmait sa détermina�on à focaliser les efforts de la Colombie autour de la collecte des informa�ons, de la préven�on du transit de cellules au sein du territoire na�onal, ou encore de la lu�e contre le financement du terrorisme. b) Tareck El Aissami ancien vice-président et figure majeur de la sphère poli�que, économique et sociale Tareck El Aissami, d’origine libano-syrienne, est monté au poste de vice-président (2017-2018) avant d’occuper la fonc�on de Ministre du pétrole (2020-2023). Depuis 2017 El Aissami est visé par des sanc�ons de l’OFAC (Trésor Américain) en tant que « narcotrafiquant spécialement désigné », Specially Designated Narco�cs Trafficker. Selon Wahs�ngton il jouerait un rôle significa�f dans le trafic interna�onal.

Les États-Unis le soupçonnent d’avoir protégé des trafiquants colombiens.

L’ancien vice-président aurait notamment facilité des livraisons de drogue contre paiement par Walid Makled Garcia. Ce dernier, surnommé « le turc » ou « l’arabe » aurait payé 45 millions de dollars une

société liée au frère de El Assaimi. Ces ac�vités présumées de trafic et de blanchiment ne surprenèrent que peu les experts de la région. En effet, le nom du vice-président fut visible dans des sujets de trafic et celui-ci exerçait un contrôle sur une base aérienne et des ports. Walid Makled Garcia, arrêté en 2010 en Colombie, a également confirmé avoir transféré des fonds au frère d’El Assaimi en vue d’inves�r dans le secteur pétrolier. Le traficant, allié aux FARC à qui il fournit des armes contre de la cocaïne, confirma que le Hezbollah est ac�f en Amérique la�ne.

L’ancien vice-président aurait opéré par prête nom (un certain Samark Jose Lopez Bello) et via un vaste réseau de treize sociétés (Venezuela, Grande Bretagne, îles Vierges et Floride). Ce prête nom est aussi men�onné et visé comme homme de paille dans la communica�on de l’OFAC sur EL Aissami (13 février 2017).

Bello a nié toutes les accusa�ons de blanchiment mais n’a pas nié avoir une proximité avec El Aissami. Son nom est associée depuis les deux dernières décennies à des sujet de corrup�on, des achats de sociétés, des contrats publics impliquant des sociétés dans des paradis fiscaux. La plupart des entreprises reliées à Samark Jose Lopez Bello avaient aussi des rela�ons contractuelles avec la compagnie pétrolière Petróleos de Venezuela SA (PDVSA) appartenant au gouvernement. Certaines sociétés du poten�el réseau de blanchiment menaient une ac�vité réelle dans des secteurs comme l’ingénierie, la télécommunica�on ou encore la distribu�on.

LE TOURNANT DE L’ANNÉE 2019 : RENFORCEMENTS DES SANCTIONS ET DE LA DÉTRESSE SOCIALE La connexion avec le Proche-Orient et le Hezbollah résonna de manière alarmante dans le nord du con�nent. En mai 2019, le New York Times accusa El Aissami de faire rentrer des membres du Hezbollah au Venezuela pour développer dans la région des réseaux de trafic de drogue et collecter des renseignements.

Des rumeurs circulaient aussi concernant le rôle de El Assaimi, comme facilitateur pour l’octroi de passeports vénézueliens à des citoyens libanais ou iraniens Toujours en 2019, un ancien chef du renseignement Hugo Carvajal (arrêté à Madrid et lui aussi impliqué d’après Washington dans le trafic de drogues) précise que lors d’une visite à Téhéran en 2009 El Assaimi aurait demandé à rencontrer le Hezbollah en Syrie.

Ce�e discussion fut organisée en Syrie et tournait autour des visites du Hezbollah en Amérique la�ne.

Ghazi Nasr Al-Din, chargé d’affaires à l’ambassade vénézuelienne en Syrie aurait aussi joué un rôle lors de ce�e réunion. Al-Din était déjà signalé comme sympathisant du Hezbollah par Washington. Les accusa�ons portent sur son rôle dans la mise en place des déplacements de membres du Hezbollah du

Le Hezbollah libanais, un passeur dans la rela�on Iran-Vénézuéla ©AP

Proche-Orient vers le Venezuela, mais également sa par�cipa�on à des collectes ou levées de fonds pour ce mouvement. L’ancien diplomate aurait donné des numéros de comptes bancaires mais également offert son exper�se en ma�ère de levée de fonds.

En février 2019 Mike Pompéo, alors secrétaire d’Etat américain sous Donald Trump affirme que le Venezuela est une base arrière du Hezbollah, tant pour blanchir de l’argent que pour entreprendre des trafics de drogue. Juin 2019 Cristopher Figuera, un ancien chef des services de renseignements de Caracas s’étant tourné vers l’opposi�on, confirma que le Hezbollah levait des fonds dans plusieurs régions du Venezuela.

Ces accusa�ons donnent suite à une enquête de CNN en 2017, avec des documents liant El Aissami à l’octroi de 173 passesports vénézueliens à des personnes du Moyen-Orient entre 2008 et 2012, qui pour certaines avaient des connexions avec le Hezbollah.

Tant El Aissami que Maduro rejetèrent les accusa�ons et s’indignèrent d’une propagande américaine. En mars 2023 El Aissami démissiona de son poste pour accompagner pleinement les enquêtes de corrup�on. En Avril 2023 Courrier Interna�onal parle de purge an�corrup�on (à l’encontre des suspects dans le détournement de la rentre pétrolière, notamment via des cryptomonnaies, le montant détourné serait de preès de 3 milliards). Ce�e enquête ciblant la compagnie pétrolière appartenant à l’état, Petróleos de Venezuela SA (PDVSA), est dirigée par le procureur général Tarek Saab.

RÉALITÉ OU PROPAGANDE : TRAFIC D’OR ?

Plus récemment, une informa�on a été révélé en octobre 2022, par de très nombreux médias israéliens et par Paris Match, sur la base d’une alerte qui proviendrait de l’assurance Lloyds Marine (Londres). La compagnie aérienne Mahan Air est sous sanc�on américaine depuis 2011 et souvent décriée comme livrant des armes en Syrie ou ailleurs pour le compte de Téhéran. Des avions de ce�e compagnie aurait transféré de l’or du Venezuela (contre du pétrole iranien) vers l’Iran, le tout organisé supposément par la Force Al-Qods et le Hezbollah. Cet or serait ensuite amené en Turquie pour y être vendu et recueillir du cash. Une par�e des liquidités seraient apportées au Hezbollah et une autre serait transférée dans divers pays depuis la Turquie via des hommes de pailles dans des bureaux de change. Ces alléga�ons sur le trafic d’or sont aussi beaucoup reprises par Israël dans de très nombreux ar�cles, sans communiquer de preuves matérielles solides. Techniquement, ce type de circuit semble réalisable et répondre à des intérêts économiques pour sor�r des sanc�ons ou financer le mouvement. Toutefois, la réalisabilité tant en termes de logis�que, d’intérêts mutuels que de blanchiment des rece�es ne suffit pas a�ester l’existence d’un tel type de circuit.

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« La compagnie aérienne Mahan Air est sous sanction américaine depuis 2011 et souvent décriée comme livrant des armes en Syrie ou ailleurs pour le compte de Téhéran » Les réseaux décrits dans cet ar�cle gravitent autour des rencontres entre l’Iran et les pays d’Amérique la�ne, notamment le Venezuela. Le rôle de ces réseaux, notamment le Hezbollah, est surtout men�onné ou supposé par les oppposants aux deux régimes. Par défini�on la contrebande s’opère dans la discré�on... Les nombreux témoignages confirment que le Hezbollah opère en Amérique du Sud. Le but depuis la décennie 2010 serait de générer du cash ou encore de blanchir des fonds. Le réseau est iden�fié comme terroriste par des pays de la région qui le considère comme un facteur d’instabilité, voire une menace poten�elle à la sécurité par des alliances avec des groupes locaux.

Le régime de sanc�ons visant le Venezuela apparaît comme une arme économique u�lisée par Washington. Ce programme de sanc�ons a provoqué une souffrance importante au sein de la popula�on vénézuelienne. Le contexte tendu enjoint certains acteurs à se regrouper ou évoquer des ennemis.

Washington qui semble guidé par des intérêts économiques a communiqué sa volonté au Venezuela de reprendre le dialogue après le début de la guerre en Ukraine. « L’Institut Talleyrand œuvre pour le développement du secteur international dans la quête d’une stimulation intellectuelle collective.

Pour ce faire l'Institut met à votre disposition une source de productions qualitatives et quantitatives afin de nourrir votre curiosité et satisfaire votre désir de connaissance. Je puis d’ores et déjà vous assurer de notre motivation et notre détermination sans faille »

Beyrouth, Liban ©Unsplash

DIPLOMATIE

Les enjeux Du traité de réconciliation Irano-Saoudien Par Gabriel GINIOUX, Ambre BARRIA, Erwan GESREL - CLUB INFLUENCE DE L’AEGE

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L’Iran et l’Arabie-Saoudite ont annoncé officiellement la réouverture de leurs rela�ons diploma�ques en mars 2023, ce qui marque la fin de plusieurs années de tension entre les puissances.

SOURCES STRUCTURELLES DES RIVALITÉS ENTRE L’IRAN ET L’ARABIE SAOUDITE Les désirs de domina�on économique et poli�que iraniens et saoudiens au Moyen-Orient ont été accentués depuis la chute du régime de Saddam Hussein en Irak (2003), qui faisait office de "contrepoids" à l'Iran en tant que bouclier sunnite face à la volonté iranienne d’expansion post révolu�on.

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Par un habile jeu d'influence, les groupes chiites ont dominé la nouvelle structure gouvernementale après la chute du régime et ont amené un alignement, voire une soumission, aussi bien poli�que qu’économique dans le pays.

Les changements de gouvernement en Tunisie et en Égypte et les crises en Irak, au Yémen et en Syrie liés au Printemps Arabe ont fait dégénérer les structures hiérarchiques du Moyen-Orient, et ont entraîné un vide de pouvoir immédiatement exploité par l’Iran et l’Arabie-Saoudite pour renforcer leurs influences.

Cela est par�culièrement visible au Yémen, en Syrie et à Bahreïn, où les deux puissances ont mené une guerre interposée en soutenant tour à tour gouvernements centraux et rebelles selon les alliances.

Alors que l’Iran et son programme nucléaire ont été perçus comme une menace directe pour la sécurité et les intérêts saoudiens au Moyen-Orient, l’ArabieSaoudite a fait face à une géopoli�que moyenorientale défavorable dans les quinze dernières années. La perte de certains de ses alliés en raison du printemps arabe et des interven�ons iraniennes, ainsi que la signature du plan d’ac�on global conjoint (JCPOA) avec l’Iran par les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Na�ons Unies, ont désenclavé ce dernier diploma�quement et ont relâché la pression des sanc�ons économiques qui pesait sur lui.

« Les changements de gouvernement ont fait dégénérer les structures hiérarchiques et ont entraîné un vide de pouvoir exploité par l’Iran et l’Arabie-Saoudite » Les membres du Conseil de Coopéra�on des Pays du Golfe (CCG) n’ayant pas été associés aux négocia�ons, un point d’irrita�on s’est cons�tué, incitant certains États arabes à adopter une approche inédite et à prendre des décisions poli�ques qui n'auraient pas été possibles jusqu’alors, comme notamment un rapprochement avec Israël, dont les accords d’Abraham en 2020 en sont l’exemple.

Depuis la chute de Saddam Hussein, les Saoudiens n’ont de cesse que de tenter de contrebalancer le poids de l’Iran dans la région. Le régime des mollahs, pour sa part, considère l'Arabie-Saoudite comme un mandataire américain et un obstacle à ses ambi�ons

régionales pour revenir à une domina�on régionale qui lui semble être légi�me et ancestrale.

LE TRAITÉ DE PAIX IRANOSAOUDIEN : NOUVELLE ARCHITECTURE SÉCURITAIRE Le 10 mars dernier, l'Arabie-Saoudite, l'Iran et la Chine ont publié une déclara�on commune annonçant un accord sur la reprise des rela�ons diploma�ques entre Riyad et Téhéran. Après sept ans d'hos�lité militaire et diploma�que, les deux puissances du Golfe ont accepté de travailler à la résolu�on de leurs désaccords sur la base d'un ensemble de règles interna�onales et de deux accords bilatéraux signés en 1998 et 2001. L'accord de ce�e année a été conclu après cinq jours de négocia�ons approfondies et intenses à Pékin et deux ans de pourparlers à huis clos entre l'Arabie saoudite et l'Iran en Irak et à Oman.

Ce�e désescalade s'inscrit dans le cadre d'une poli�que étrangère saoudienne plus large visant à soutenir son plan de développement socioéconomique, connu sous le nom de Vision 2030. Le royaume inves�t des milliards de dollars dans la mise en œuvre de ce plan, et une escalade avec l'Iran menacerait le financement du projet, ce qui découragerait les inves�ssements étrangers indispensables et réduirait à néant le rêves de devenir une plaque tournante régionale et mondiale, notamment pour l'informa�que dématérialisée, la logis�que, le commerce, l'industrie et le tourisme.

La média�on de la Chine est intervenue à un moment où l'équilibre des forces diploma�ques et économiques régionales penche en faveur de l'Arabie saoudite. Les prix élevés du pétrole perme�ent au royaume de faire avancer ses plans de développement économique et de redoubler d'efforts dans le cadre de sa diploma�e financière, "Saudi first", afin de regagner de l'influence au niveau régional et interna�onal. Les

Le pétrole saoudien et la sécurité de son transit est vital pour l’avenir de la Chine©Ge�y Image

dirigeants saoudiens se sont efforcés de consolider la posi�on interna�onale du pays depuis quelques années en réorganisant son processus d'élabora�on de la poli�que étrangère, en me�ant fin aux confronta�ons diploma�ques et en améliorant le récit interna�onal sur le rôle de l'Arabie-Saoudite dans la guerre au Yémen. Les États-Unis ont soutenu la défense de l'Arabie-Saoudite face à l'Iran et ses relais ; quand Israël, partenaire de sécurité de facto des ÉtatsUnis, a montré des volontés de normalisa�on des rela�ons avec l'Arabie-Saoudite ce qui cons�tue une menace pour l'Iran¹.

De l'autre côté du Golfe, l'Iran subit la pression des protesta�ons na�onales, des sanc�ons économiques unilatérales américaines et de l'isolement diploma�que. Ces facteurs augmentent le besoin de sou�en économique de l'Iran, non seulement de la part de la Chine, mais aussi de ses riches voisins, au premier rang desquels l'Arabie-Saoudite. Bien que ce�e situa�on puisse sembler idéale pour Riyad, elle ne l'est pas : L'Iran a l'habitude de s'en prendre à ses voisins lorsque la stabilité du régime est en jeu. Les a�aques de la tour de Khubar en 1996 et celles de 2019 contre les infrastructures pétrolières d'Abqaiq et de Khurais en sont des exemples. En outre, l'accord conclu par la Russie pour vendre à l'Iran des équipements militaires de pointe et des capacités de cyberguerre en échange de drones iraniens, qu'elle a u�lisés en Ukraine, cons�tue une menace directe pour la sécurité de l'Arabie-Saoudite.

CONSÉQUENCES SUR L’ESPACE RÉGIONAL ET SES ACTEURS. L’incidence de cet accord sur l’organisa�on régionale du Moyen-Orient est considérable, mais il faut rester précau�onneux dans la mesure de ses retombées géopoli�ques compte-tenu de sa récente signature, comme le dit régulièrement le géopolitologue Didier Billion (directeur adjoint de l’Ins�tut des rela�ons interna�onales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient).

Pour mieux appréhender les effets poten�els de l’accord, les États dont les intérêts géopoli�ques et stratégiques sont poten�ellement impactés ont été divisés en différentes catégories ci-dessous².

Conséquences sur les États du Golfe Yémen : La première conséquence de cet accord pourrait être la favorisa�on de la résolu�on du conflit yéménite, où l’Iran et l’Arabie-Saoudite sou�ennent les camps antagonistes du conflit. Des échanges de prisonniers, ainsi que la rencontre entre une déléga�on menée par l’ambassadeur saoudien au Yémen Mohammed al-Jaber et le chef poli�que des rebelles houthis Mehdi Machat se sont produits près d’un mois après l’accord de réconcilia�on, en avril 2023.

44 - Revue TB N°4

Si l’Iran se détache de son image de « rogue state » il reste encore à for

Israël : La signature de cet accord met l’État hébreu dans une situa�on difficile. Après le succès poli�que des Accords d’Abraham en 2020, signé entre Israël, Bahreïn et les Émirats Arabes Unis d’abord, puis rejoints par le Soudan et le Maroc, qui isolait l’Iran et accentuait la rupture entre les États sunnites et chiites, cet accord marque un échec de la poli�que extérieure israélienne. L’Arabie-Saoudite, qui avait à l’époque refusé d’y par�ciper, prend désormais une voie en totale contradic�on avec les volontés israéliennes, ce qui met à mal la stratégie israélienne envers l’Iran et ralen�t poten�ellement le processus de normalisa�on des rela�ons avec l’Arabie-Saoudite souhaité par Israël.

Turquie : Empêtrée dans des difficultés de poli�que intérieure ainsi que ses élec�ons législa�ves et présiden�elles de mai 2023, la Turquie n’a pas pu saisir l’opportunité diploma�que d’être par�e prenante de la signature de cet accord. La réconcilia�on de l’Iran et de l’Arabie-Saoudite, les deux autres grandes puissances concurrentes de la Turquie dans la région, induira des négocia�ons et compromis sur les dossiers de tensions qui pourraient être défavorables à l’État turc. Émirats-Arabe-Unis : Alors qu’ils ont accueilli posi�vement l’annonce de cet accord de réconcilia�on à travers leur ministre des Affaires Étrangères, la reprise de rela�on diploma�que entre l’allié iranien et le rival saoudien pourrait être préjudiciable à la fédéra�on dans le futur d’un point de vue économique.

rmaliser les retombées économiques concrètes de ces accords ©Ge�y Image

Bénéficiaires opportunistes Syrie et Irak : Au centre des jeux d’influences entre l’Iran et de l’Arabie-Saoudite, ces puissances peuvent être considérées comme des bénéficiaires de cet accord de réconcilia�on. Les lu�es se jouant sur ces territoires seront sans aucun doute suje�es à discussion et à compromission, ce qui induira poten�ellement un renforcement de leur stabilité.

Liban : facteur de rivalité entre l’Iran et l’ArabieSaoudite, le Liban bénéficiera de ce�e détente qui favorisera sa stabilité poli�que. Les ambassadeurs iranien (Mojtaba Amani) et saoudien (Walid Boukhari) au Liban se sont montrés très proches lors d’un dîner diploma�que ce 22 juin 2023. Le représentant saoudien a affirmé que les deux États partagent une responsabilité commune pour préserver la stabilité du Liban ainsi que le respect de sa souveraineté.

CONSÉQUENCES SUR LES AUTRES ACTEURS POLITIQUE DE LA ZONE MOYEN-ORIENT Chine : L’État chinois passe d’une posi�on de partenaire commercial à acteur poli�que grâce à la signature de cet accord. Cela marque un écart par rapport à la stratégie tradi�onnellement purement économique, commerciale et de non-ingérence dans les affaires na�onales d’autres pays. La singularité de cet accord est que la Chine n’est pas uniquement

médiateur mais « sponsor » de ce�e réconcilia�on et y engage sa crédibilité en ayant réussi à faire venir des hauts responsables de la sécurité iranienne (et pas seulement des diplomates), marqueur bien plus engageant du point de vue saoudien sur la tenue des promesses iraniennes. L’Empire du Milieu a frappé d’un grand coup géopoli�que la région du MoyenOrient en s’emparant de son premier dossier géopoli�que dans ce�e zone, à laquelle s’est ajouté la volonté de faciliter la paix dans le conflit israélopales�nien ce 12 juin dernier avec l’invita�on de Mahmoud Abbas à Pékin. États-Unis : Les Américains ne semblent plus être en posi�on de s’imposer aux États du Moyen-Orient.

L’accord Russie/Arabie-Saoudite sur les hydrocarbures, la récente baisse de la produc�on du pétrole saoudien ce 5 juin 2023 (qui va à l’encontre de la demande de Joe Biden promulguée au cours de sa dernière visite à Riyad en juillet 2022 et qui s’était soldée par une réponse sans concession), ainsi que cet accord de réconcilia�on démontrent un manque de leviers et une importante perte d’influence américaine envers l’Arabie-Saoudite. Ce�e réconcilia�on entre l’allié saoudien et l’ennemi stratégique iranien est un grand revers géostratégique.

Russie : La poli�que extérieure russe est dans une situa�on extrêmement difficile depuis le début de la guerre en Ukraine. De plus, contrairement à la Chine, la Russie est historiquement présente dans la région, et donc ne jouit pas du même “bénéfice du doute” que ce�e dernière dans un rôle de médiateur. Cet accord souligne donc une perte d’influence dans la région, bien que la réconcilia�on entre ces deux partenaires stratégiques pourrait lui bénéficier à l’avenir.

Union européenne : Les commentaires posi�fs de la part de l’UE ne compensent pas le fait qu’elle n’ait joué aucun rôle dans ce�e réconcilia�on, démontrant une fois de plus la perte d’influence et le manque d’ac�on de la diploma�e européenne sur les dossiers épineux du Moyen-Orient.

UNE VICTOIRE IRANIENNE ?

Les rencontres entre homologues iraniens et saoudiens se mul�plient, c’est pour l’Iran la réalisa�on d’un projet ancien. En 2019 l’ini�a�ve HOPE fut rejetée par le GCC. Néanmoins le Qatar, les Émirats Arabes Unis et le Koweït loin de rejeter l’Iran lui assurait leur neutralité en cas de conflit régional et entretenaient des rela�ons diploma�ques et des discussions de haut rang régulières. Dans ce contexte, le fait que l’Arabie Saoudite reprenne voix avec l’Iran est le symbole de la victoire iranienne et de sa poli�que régionale des deux dernières décennies.

On peut néanmoins s’interroger sur les gains réels pour l’Iran. La coopéra�on économique est largement mise en avant, mais comment assurer des retombées réelles malgré les sanc�ons unilatérales américaines qui asphyxient l’économie iranienne depuis 2018 ?

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d’Israël et des États-Unis et accepte la domina�on iranienne sur la Syrie, l’Irak et le Liban³.

• L’Iran pousse les houthis à conclure la paix avec l’Arabie Saoudite et s’engage à ne pas perturber les efforts de diversifica�on économique de GCC. Il a probablement aussi donné des gages de bonnes volontés sur la ques�on nucléaire au chinois Dès lors, l’Iran peut revenir à la table des négocia�ons du JCPOA avec le sou�en de la Chine, la Russie et les états européens, mais surtout en excluant les ques�ons de poli�que régionale que voulait inclure les États-Unis à ce dernier sous pression d’Israël, mais aussi du GCC. Entre libéra�ons de fonds coréens, d’otages belges, ou de restric�ons de l’OMPI en France et Albanie les signaux se mul�plient en ce sens.

1. L’Arabie Saoudite a récemment douché les espoirs israéliens en affirmant qu’elle ne négociait pas et ne cherche pas à normaliser ses relations avec Israël.

2. D’après les échanges entre Didier Billion (Vice-président de l’IRIS) et Quentin Delarue (Chercheur associé à l’IPSE) https://www.youtube.com/watch?v=eZ5JdjVvHI&ab_channel=CentreFranco-Iranien 3. Malgré des déclarations communes de vouloir arriver à une solution sur ce sujet, les dernières élections présidentielles n’ont toujours pas abouti.

La Syrie, véritable grand gagnant de ces accords ? ©EPA

Pour les contourner on pourrait imaginer différents scénarios : un financement saoudien de la reconstruc�on irakienne, syrienne et libanaise avec des fonds saoudiens au profit de l’Iran ; une meilleure coopéra�on financière similaire aux pra�ques dubaïotes afin de gérer des rela�ons directes avec l’Iran ; ou d’autres instruments détournés. Mais cela ne saurait jamais remplacer de réels inves�ssements directs dont a désespérément besoin l’Iran, dans le secteur gazier par exemple.

« La coopération économique est largement mise en avant, mais comment assurer des retombées réelles malgré les sanctions unilatérales américaines » Pour cela l’Iran a besoin d’un retour au JCPOA, ou au moins d’un assouplissement dras�que des sanc�ons américaines, et c’est probablement là le point majeur de cet accord : • L’Arabie Saoudite cède à toutes tenta�ves d’endiguement de l’Iran avec le concours du CCG,

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« Créée en 1997, l'AEGE regroupe les diplômés de l'EGE et les étudiants en cours d'année universitaire.

En dehors de son rôle de fédération des diplômés de l'EGE, elle mène des campagnes de sensibilisation autour de l'intelligence économique. »

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DIPLOMATIE

La Chine Nouvel acteur dans la médiation des conflits ?

Par Eric GUIOCHON – Président du CINUP

Le doux commerce de Xi Jiping ©Ge�y Image

La rivalité stratégique entre l'impérialisme chinois contemporain et la Chine impériale tradi�onnelle soulève des défis majeurs pour la gouvernance mondiale et la coopéra�on interna�onale. Alors que la Chine s'affirme comme une puissance mondiale en termes économiques et militaires, sa poli�que étrangère agressive et expansionniste crée des tensions avec les États-Unis et l'Occident, menaçant la stabilité régionale et mondiale.

Un défi majeur réside dans les risques de conflits régionaux. La Chine revendique la souveraineté sur des territoires contestés en mer de Chine méridionale, provoquant des tensions avec les pays voisins tels que le Vietnam, les Philippines et le Japon. Les ac�ons de la Chine, notamment la militarisa�on des îles ar�ficielles et les revendica�ons territoriales excessives, ont 48 - Revue TB N°3 4

alimenté les inquiétudes quant à une escalade des conflits. Les risques de confronta�on militaire dans la région sont réels, et une erreur de calcul ou une provoca�on malheureuse pourrait déclencher une crise aux conséquences poten�ellement désastreuses pour la sécurité mondiale¹ ².

En outre, la poli�que étrangère chinoise remet en ques�on les principes fondamentaux de la coopéra�on interna�onale. Alors que la Chine se posi�onne comme un acteur mondial influent, elle cherche à remodeler les ins�tu�ons et les normes interna�onales pour mieux servir ses intérêts. Cela se manifeste par des ini�a�ves telles que la Belt and Road Ini�a�ve (BRI), qui vise à étendre l'influence économique et poli�que de la Chine à travers des inves�ssements massifs dans les infrastructures à

travers le monde. Bien que cela puisse offrir des opportunités de développement pour certains pays, cela soulève également des préoccupa�ons concernant l'ende�ement excessif, la dépendance économique et les impacts environnementaux à long terme³ ⁴.

« Alors que la Chine se positionne comme un acteur mondial influent, elle cherche à remodeler les institutions et les normes internationales pour mieux servir ses intérêts » Les défis pour la gouvernance mondiale et la coopéra�on interna�onale sont également liés à la poli�que de sécurité de la Chine. En renforçant sa présence militaire dans la région indopacifique et en modernisant ses forces armées, la Chine cherche à protéger ses intérêts géopoli�ques et à étendre son influence. Cependant, cela crée une course aux armements et une instabilité régionale, alimentant les préoccupa�ons quant à une possible crise de sécurité mondiale. La militarisa�on de la mer de Chine méridionale et le développement de capacités militaires avancées, comme les missiles balis�ques et les technologies spa�ales, posent des défis pour la stabilité et la sécurité mondiales⁵ ⁶.

Pour faire face à ces défis, une approche équilibrée et coopéra�ve est essen�elle. Il est crucial d'encourager le dialogue et la diploma�e pour résoudre les différends territoriaux et promouvoir la confiance mutuelle entre les acteurs régionaux. Les ins�tu�ons interna�onales, telles que les Na�ons unies et l'Organisa�on mondiale du commerce, doivent jouer un rôle central dans la promo�on de la coopéra�on et du respect des règles interna�onales.

La recherche de solu�ons mul�latérales et basées sur le droit est essen�elle pour prévenir les conflits régionaux et maintenir la sécurité mondiale⁷ ⁸.

En cela, la tension entre l'impérialisme chinois contemporain et la Chine impériale tradi�onnelle soulève des défis significa�fs pour la gouvernance mondiale et la coopéra�on interna�onale. Les risques de conflits régionaux et de crise de sécurité mondiale nécessitent une approche prudente et collabora�ve.

En encourageant le dialogue, en renforçant la coopéra�on interna�onale et en respectant les règles et les normes interna�onales, il est possible de construire un ordre mondial plus stable et équilibré, répondant aux défis actuels et à venir.

Ce�e tension entre l’idée d’impérialisme chinois contemporain et de Chine impériale tradi�onnelle présente également des défis pour la gouvernance

mondiale et la coopéra�on interna�onale en ce qui concerne la cybersécurité. La Chine est devenue un acteur clé dans le domaine de la cyber stratégie, u�lisant ses compétences technologiques avancées pour promouvoir ses intérêts na�onaux et étendre son influence. Des préoccupa�ons croissantes ont été exprimées concernant les ac�vités de cyber espionnage et de cybera�aques a�ribuées à la Chine, qui entraînent des répercussions sur la sécurité des États, les infrastructures cri�ques et les entreprises interna�onales. Ces actes de cyber-agression augmentent les risques de conflits et de crises de sécurité à l'échelle mondiale⁹ ¹⁰.

Un autre défi important est le contexte économique mondial. La montée en puissance de l'impérialisme chinois et les poli�ques économiques agressives de la Chine peuvent perturber l'ordre économique mondial et créer des déséquilibres. La Chine u�lise des pra�ques commerciales contestables, telles que le dumping, les subven�ons massives aux industries na�onales et les transferts forcés de technologie, pour soutenir sa croissance économique et favoriser la domina�on de ses entreprises sur la scène interna�onale. Ces pra�ques créent des tensions commerciales et peuvent conduire à des conflits économiques entre la Chine et d'autres pays, me�ant en péril la stabilité économique mondiale¹¹ ¹².

De plus, la rivalité entre l'impérialisme chinois et la Chine impériale tradi�onnelle a des implica�ons pour les droits de l'homme et les valeurs universelles. La Chine est souvent cri�quée pour ses viola�ons des

Xi Jinping au sommet Chine-États arabes en 2022 ©fmprc

L’Iran un territoire clef qui relie l’Asie à l’Europe et une nouvelle route commerciale qui gagne en importance depuis 2022 ©AP

droits de l'homme, notamment en ce qui concerne les minorités ethniques, les libertés poli�ques et la liberté d'expression. Alors que la Chine cherche à promouvoir son modèle autoritaire sur la scène interna�onale, cela remet en ques�on les principes fondamentaux de la démocra�e, des droits de l'homme et de l'État de droit. Les tensions entre les valeurs universelles et les aspira�ons impérialistes de la Chine peuvent créer des divisions et des conflits idéologiques qui peuvent avoir un impact sur la coopéra�on interna�onale et la gouvernance mondiale�� ��.

« La Chine a entrepris des actions de médiation et de promotion de la paix à l'échelle mondiale, dans le but de renforcer son rôle en tant qu'acteur responsable et de préserver la stabilité régionale et internationale » Enfin, la compé��on entre l'impérialisme chinois et la Chine impériale tradi�onnelle peut entraîner une fragmenta�on du système interna�onal. Alors que la Chine cherche à étendre son influence et à promouvoir son propre modèle de gouvernance, cela peut conduire à une polarisa�on entre les États qui sou�ennent la Chine et ceux qui cherchent à maintenir l'ordre interna�onal existant. Ce�e polarisa�on peut rendre plus difficile la recherche de consensus et la coopéra�on entre les acteurs interna�onaux, fragilisant ainsi la gouvernance mondiale et les mécanismes de résolu�on des conflits¹⁵ ¹⁶.

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Face à ces défis, il est essen�el de promouvoir le dialogue, l'engagement et la coopéra�on entre tous les acteurs interna�onaux. Il est nécessaire de renforcer les mécanismes de gouvernance mondiale existants et de promouvoir la coopéra�on mul�latérale pour faire face aux tensions et aux conflits éventuels. La recherche d'un équilibre entre les intérêts na�onaux et les valeurs universelles est essen�elle pour préserver la paix, la sécurité et la prospérité à l'échelle mondiale.

La Chine a entrepris des ac�ons de média�on et de promo�on de la paix à l'échelle mondiale, dans le but de renforcer son rôle en tant qu'acteur responsable et de préserver la stabilité régionale et interna�onale. En tant que membre des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), de l'OCS (Organisa�on de coopéra�on de Shanghai) et en par�cipant ac�vement à des ini�a�ves mul�latérales telles que l'UEE (Union économique eurasia�que), la Chine cherche à promouvoir le dialogue, à faciliter les négocia�ons et à résoudre les conflits.

L'une des ini�a�ves majeures de média�on de la Chine a été son rôle dans les pourparlers sur le programme nucléaire de la Corée du Nord. La Chine, en tant que principal allié et partenaire économique de la Corée du Nord, a joué un rôle crucial dans la promo�on du dialogue et de la dénucléarisa�on de la péninsule coréenne. Elle a organisé des pourparlers à six (Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, États-Unis, Russie et Japon) et a facilité les négocia�ons entre les par�es concernées¹⁷. Bien que les résultats concrets n'aient pas encore été pleinement réalisés, l'implica�on de la Chine dans la résolu�on de ce conflit complexe démontre sa volonté de jouer un rôle construc�f dans la promo�on de la paix et de la stabilité régionale.

La Chine a également été ac�ve dans le domaine des opéra�ons de main�en de la paix des Na�ons Unies.

Elle est devenue l'un des principaux contributeurs de troupes aux opéra�ons de main�en de la paix, avec plus de 2 500 casques bleus déployés dans différentes

missions à travers le monde¹⁸. Cela témoigne de l'engagement de la Chine en faveur de la paix et de la sécurité interna�onales.

En outre, la Chine a mis en place des mécanismes régionaux de coopéra�on et de sécurité tels que l'OCS, qui joue un rôle important dans la préven�on des conflits et la lu�e contre le terrorisme dans la région de l'Asie centrale. L'OCS, dont la Chine est l'un des membres fondateurs, œuvre pour promouvoir la sécurité et la stabilité régionales, en encourageant la coopéra�on entre les États membres dans divers domaines tels que la lu�e contre le terrorisme, le sépara�sme et l'extrémisme violent. La Chine joue un rôle ac�f au sein de ce�e organisa�on en contribuant à des ini�a�ves conjointes et en coordonnant les efforts régionaux de lu�e contre les menaces communes.

Il est également important de noter que la Chine a promu la coopéra�on économique en tant que moyen de prévenir les conflits. Son ini�a�ve "la Ceinture et la Route" vise à renforcer les liens économiques et commerciaux entre la Chine et les pays par�cipants, favorisant ainsi la stabilité régionale et la prospérité mutuelle. La Chine inves�t massivement dans les infrastructures des pays par�cipants, facilitant les échanges commerciaux et renforçant les liens économiques²⁰. Cela contribue à créer un environnement favorable à la coopéra�on et à la compréhension mutuelle entre les na�ons.

La Chine a également entrepris des ac�ons de média�on et de promo�on de la paix au Moyen-Orient et en Afrique, démontrant ainsi son engagement

envers la résolu�on pacifique des conflits et la stabilité régionale.

Au Moyen-Orient, la Chine s'est posi�onnée comme un acteur clé dans la recherche de solu�ons aux conflits complexes de la région. Elle a proposé sa média�on dans des situa�ons telles que le conflit israélo-pales�nien, offrant ses bons offices pour faciliter les pourparlers et promouvoir la réconcilia�on²¹. La Chine a également joué un rôle de médiateur dans les tensions entre l'Iran et l'Arabie saoudite, deux acteurs majeurs de la région du Moyen-Orient. Elle a facilité la réconcilia�on entre les deux pays et a contribué à rétablir leurs rela�ons diploma�ques²². Ce�e média�on chinoise a permis de réduire les tensions régionales et de créer un environnement propice au dialogue et à la coopéra�on. Cela sert cependant ses intérêts, un éclatement des accords d’Abraham serait largement bénéfique à la Chine, tant ceux-ci retardent ses ini�a�ves de percée géoéconomiques au MoyenOrient.

« Il est également important de noter que la Chine a promu la coopération économique en tant que moyen de prévenir les conflits. » En ce qui concerne l'Afrique, la Chine a également cherché à jouer un rôle de médiateur et de promoteur de la paix. Elle a été impliquée dans la média�on des conflits en Afrique, notamment en soutenant les pourparlers de paix au Soudan du Sud et en encourageant les par�es à trouver des solu�ons poli�ques durables²³. La Chine a également joué un rôle clé dans la stabilisa�on de la situa�on en République démocra�que du Congo en fournissant une assistance économique et en favorisant le dialogue poli�que²⁴. Ces efforts témoignent de l'engagement de la Chine envers la paix et la stabilité en Afrique.

Il est important de souligner que les ac�ons de média�on de la Chine au Moyen-Orient et en Afrique ne sont pas isolées, mais font par�e d'une approche plus large de la diploma�e chinoise. La Chine cherche à renforcer sa posi�on en tant qu'acteur mondial responsable et à promouvoir la résolu�on pacifique des conflits. Ses ambi�ons de média�on interna�onale ne sont pas nouvelles, comme en témoigne son intérêt pour la média�on entre l'Afghanistan et le Pakistan dès 2018²⁵. La Chine u�lise sa posi�on de puissance économique et poli�que pour favoriser le dialogue, la coopéra�on et la stabilité régionale.

En 2021 la Chine importait $ 130 milliards depuis le Moyen-Orient les Etats-Unis $ 34 Milliards

Il est limpide que la Chine a entrepris des ac�ons de média�on et de promo�on de la paix à l'échelle mondiale, tant au niveau bilatéral que dans le cadre de mécanismes mul�latéraux. Sa par�cipa�on ac�ve dans les BRICS, l'OCS et l'UEE, ainsi que son engagement dans les opéra�ons de main�en de la paix des Na�ons Unies, démontrent son désir de jouer un rôle construc�f dans la résolu�on des conflits et la préserva�on de la paix. Ses ini�a�ves de média�on dans des zones sensibles témoignent de son rôle croissant en tant qu'acteur mondial et de sa volonté de jouer un rôle construc�f dans la promo�on de la paix et de la sécurité interna�onales. La promo�on du dialogue, de l'engagement et de la coopéra�on entre tous les acteurs interna�onaux lui apparait comme essen�elle pour relever les défis mondiaux et préserver la stabilité et la prospérité à l'échelle mondiale.

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15. Kupchan, C. A. (2018). The future of the liberal world order. International Affairs, 94(1), 83-96.

16. Waltz, K. N. (2018). The emerging bipolar world: Multipolarity and the future of global order. International Relations, 32(2), 121-138.

17. Organisation des Nations Unies, « Questions nucléaires de la République populaire démocratique de Corée », consulté en mai 2023.

18. Ministère des Affaires étrangères de la République populaire de Chine, « Maintien de la paix des Nations Unies », consulté en mai 2023.

19. Organisation de coopération de Shanghai, « Mission et tâches », consulté en mai 2023 20. Ministère des Affaires étrangères de la République populaire de Chine, « Ceinture et Route », consulté en mai 2023.

21. Franceinfo, "Guerre en Ukraine : la Chine peut-elle jouer le rôle de médiateur malgré ses attaches avec la Russie?", consulté en mai 2023.

22. Le Monde, "La Chine s'est insérée dans le jeu moyenoriental profitant du retrait relatif des États-Unis", consulté en mai 2023.

23 Le Devoir, "Le Kremlin exclut une médiation de la Chine pour arrêter les combats en Ukraine", consulté en mai 2023.

24. Le Monde, "La Chine décidée à jouer les médiateurs", consulté en mai 2023.

25. RFI, "La Chine veut accroître sa médiation entre l'Afghanistan et le Pakistan", consulté en mai 2023.

« Le CINUP, Comité Interuniversitaire des Nations Unies de Paris est la fédération de 21 associations de Nations Unies franciliennes, issues des hautes institutions estudiantines telles que Sciences Po, HEC, l’ESSEC, Dauphine, la Sorbonne. Le CINUP regroupe 2300 étudiants, et organise des conférences et colloques, visites d’ambassade et d’institutions internationales, un podcast, publie un magazine et de la recherche... Retrouvez les sur les réseaux sociaux, et cinup.fr ! »

Le Caire, Egypte ©unsplash

POLITIQUE

Sultanat d’Oman L’autoritarisme éclairé ?

Par Grégoire ROQUETTE - Professeur d’économie & rédacteur géopoli�que

Le sultanat d'Oman une puissance indépendante depuis le XVIIIe siècle, un régime autoridaire mais aussi le plus démocra�que de la région

Le 1er avril 2023, la Finlande rejoint officiellement l’OTAN, renonçant à une posi�on historique d’état « tampon » entre les deux blocs pendant la guerre froide. La « finlandisa�on » imposée par la menace sovié�que s’est caractérisée par une neutralité ac�ve, un dialogue permanent avec des voisins parfois hos�les entre eux, et un rôle occasionnel de médiateur.

Au Moyen-Orient où l’expression « guerre froide » est parfois u�lisée pour décrire la rivalité entre puissances sunnites et chiites, marquée par des guerres par procura�on localisées comme au Yémen et en Syrie, un pays de superficie et popula�on comparables à la Finlande, �ent un rôle similaire. Situé au sud-est de la péninsule arabique, le Sultanat d’Oman, d’environ 300.000 km² pour environ 5 millions d’habitants, occupe une posi�on stratégique tant d’un point de vue géographique que diploma�que. Dans une région traversée par des tensions récurrentes, souvent à caractère confessionnel, le Sultanat n’est pas seulement îlot de 54 - Revue TB N°4

stabilité et de tolérance religieuse. Il est aussi un acteur clé du dialogue interéta�que et de la résolu�on des conflits. À l’heure où le Moyen-Orient semble en train de se pacifier avec la normalisa�on des rela�ons iranosaoudiennes, la fin de la guerre civile au Yémen, et la réintégra�on de la Syrie dans la Ligue arabe, focus sur un état œuvrant discrètement, mais efficacement, comme faiseur de paix.

UNE HISTOIRE SINGULIÈRE ET TUMULTUEUSE Dans la deuxième moi�é du 20ème siècle, le monde arabe est traversé par des mouvements de décolonisa�on, et une guerre d’influence entre les blocs occidental et sovié�que (illustrée par le succès du « socialisme arabe »), sur fond de guerre froide. Le Sultanat d’Oman, lui se �ent à l’écart de ces tendances en restant proche de son ancienne puissance coloniale, la Grande Bretagne, et à l’excep�on de ce�e

interac�on, fermé au monde extérieur. Alors que la poli�que isola�onniste et conservatrice du sultan Saïd ibn Taïmour main�ent le pays dans un état extrême de sous-développement, elle ne le préserve pas pour autant des affrontements idéologiques qui secouent une par�e du �ers-monde. En 1964, une rébellion d’inspira�on marxiste éclate au Dhofar, région frontalière du Yémen, dont le sud fait sécession en 1967 et instaure un régime communiste. Ce soulèvement est difficilement réprimé au bout de plus d’une guerre de plus de dix ans grâce à des aides militaires de la Grande-Bretagne, de la Jordanie et de l’Iran, qui est alors encore gouvernée par une monarchie pro-occidentale. Cherchant à me�re fin au conflit, le général britannique John Graham renverse du sultan Saïd ibn Taimour et le remplace par son fils Qabus ibn Saïd en 1970. Durant son règne de près de 50 ans, ce dernier, décédé en janvier 2020, prend le contre-pied de son père, et lance son pays dans un vaste programme de modernisa�on et d’intégra�on interna�onale.

Le nouveau sultan bénéficie, seulement trois ans après son accession au pouvoir, du premier choc pétrolier qui lui permet d'augmenter les rece�es de ses exporta�ons d'hydrocarbures, et de financer ses ambi�ons économiques. Celles-ci incluent la construc�on d’infrastructures énergé�ques, de transport et d’eau courante, et la mise en place d’un état providence au travers d’un système éduca�f et de santé performant. Le résultat de ce�e poli�que sur le long terme est spectaculaire : selon un rapport du Programme des Na�ons unies pour le développement, Oman est le pays au monde dont l’indice de développement humain a le plus progressé entre 1970 et 2010.

accord sur le nucléaire iranien, ou encore blocus contre le Qatar en 2017), ce dernier s’implique aussi dans les guerres civiles en proposant d’être un lieu de rencontre et de négocia�on entre les belligérants.

Principalement dans le conflit yéménite, et dans une moindre mesure dans les conflits libyen et syrien, le gouvernement omanais réussit à se présenter comme un interlocuteur inspirant la confiance de tous. Cela lui permet également d’obtenir la libéra�on d’otages étrangers au Yémen et en Iran, qu’il accueille sur son sol après leurs libéra�ons, avant leur rapatriement dans leurs pays d’origine. À son accession au pouvoir en janvier 2020, le nouveau sultan Haitham bin Tariq s’engage, dans son premier discours, à con�nuer de « favoriser des solu�ons pacifiques » aux crises régionales et mondiales. Si ce dernier et son nouveau ministre des Affaires étrangères Badr Ben Hamad Al-Boussaïdi héritent de dossiers dans lesquels étaient déjà impliqués leurs prédécesseurs, quelques avancées notables sont à me�re à leurs crédits. En tant que médiateur, c’est sous la gouvernance d’Haitham bin Tariq que le Sultanat parvient à faire progresser le processus de paix au Yémen, où les affrontements baissent considérablement en 2022 et 2023. Oman étant le seul membre du Conseil de coopéra�on du Golfe à ne pas prendre part à la campagne de bombardements contre les rebelles yéménites houthis

UNE DIPLOMATIE CONCILIANTE, MAIS PRO-ACTIVE Dans le même temps, la région est secouée par les guerres israélo-arabes (le premier choc pétrolier étant une conséquence de la guerre du Kippour), lors desquelles la famille régnante omanaise, après s’en être tenu à l’écart, sou�ent les accords de paix de Camp David en 1978, et d’Oslo en 1993. Une posi�on de « neutralité bienveillante » que le Sultanat �ent de nouveau lors de la guerre Iran-Irak, tout en musclant peu à peu sa diploma�e sous la direc�on de son ministre des Affaires étrangères, Youssef al-Alawi Abdullah. La longévité de ce dernier à son poste qu’il occupe pendant presque quarante ans (1983-2020) est à l’image de son empreinte dans l’histoire du pays.

Au début du 21ème siècle, avec une capitale, Mascate qui accueille une cinquantaine d’ambassades, et un ministère des Affaires étrangères comptant plus d’un millier de fonc�onnaires, Oman fait désormais de sa diploma�e un ou�l essen�el de son so� power.

Médiateur dans la plupart des conflits impactant la région du Moyen-Orient (guerres israélo-arabes,

Le sultan Haïtham ben Tariq au pouvoir depuis 2020

Revue TB N°4 - 55

Oman a un rôle important dans l’engrenage diploma�que des pays du Golfe mais aussi du Moyen-Orient ©MFA

lancée par l’Arabie saoudite en 2015. Le Sultanat, qui est aussi l’un des rares pays arabes à avoir maintenu ses rela�ons diploma�ques avec le régime syrien depuis le début de la guerre civile, accueille Bachar elAssad en visite officielle en février 2023. Alors que l’ambi�on assumée du président syrien à travers ce déplacement est d’accélérer la normalisa�on de ses rela�ons diploma�ques avec les autres pays arabes du Golfe, celui-ci ob�ent deux mois plus tard, la réintégra�on de Damas dans la Ligue arabe. Entre temps, plus surprenant, Oman aurait, selon deux diplomates arabes souhaitant garder l’anonymat, accueilli des pourparlers entre les gouvernements syrien et américain, pourtant farouche opposant à toute normalisa�on avec la Syrie de Bachar el-Assad.

Ces derniers porteraient sur la libéra�on du journaliste Aus�n Tice disparu en Syrie en 2012, et pourraient selon Washington, amorcer des négocia�ons syroaméricaines plus larges.

Enfin, fait plus discret, mais notable sur ce�e même période : Mascate établit en février 2023 des rela�ons diploma�ques officielles avec le Va�can. Alors que l’islam ibadite y est la religion officielle – un atout dans son rôle de médiateur, qui le �ent à l’écart des rivalités entre sunnites et chiites –, Oman assume une popula�on mul�confessionnelle comptant selon le Saint-Siège, 140.000 chré�ens.

UNE POSITION STRATÉGIQUE ET UNE OUVERTURE AU BÉNÉFICE DE L’ÉCONOMIE Si ses ressources pétrolières ont permis le développement d’Oman ces cinquante dernières années, la taille rela�vement faible de ses réserves (5,15 milliards de barils, contre 268 milliards pour 56 - Revue TB N°4

l’Arabie saoudite) incite le gouvernement d’Haitham bin Tariq à accélérer sa diversifica�on économique.

Son prédécesseur et cousin Qabous ibn Saïd avait, un an avant son décès, lancé le plan « Vision 2040 » dont l’objec�f est de rendre l’économie omanaise moins dépendante des hydrocarbures. À l’instar de son voisin les Émirats arabes unis, le Sultanat ambi�onne de faire de sa posi�on géographique li�orale un atout majeur en devenant une étape clé du commerce interna�onal, et dans une moindre mesure, en profitant de l’essor du tourisme.

Au cœur de ce�e stratégie de diversifica�on, la construc�on des nouveaux ports de Salâlah (1998) et de Sohâr (2002), et l’agrandissement du port de Duqm.

Ces trois derniers, situés sur les rives de l’Océan indien, pourraient perme�re aux pays exportateurs de pétrole de la région d’échanger leurs hydrocarbures en contournant le détroit d’Ormuz, stratégique, mais risqué car bordé par l’Iran.

Toujours à l’instar de son voisin émira�, la Sultanat compte sur son a�rac�vité aux inves�ssements étrangers pour son développement. Dans un MoyenOrient en train de rééquilibrer sa poli�que étrangère entre puissances occidentales et asia�ques, Mascate peut, grâce à sa tradi�onnelle neutralité, se targuer d’une diploma�e avant-gardiste. Accueillant de longue date des compagnies occidentales, notamment des majors pétrolières, Oman est désormais intégré, grâce à ses infrastructures portuaires, aux nouvelles routes de la soie, dévoilées en 2013 par le président chinois Xi Jinping. Il est aussi des�nataire d’inves�ssements croissants en provenance du Koweït, de Corée du Sud, et bien-sûr d’Arabie saoudite, tout en ayant des échanges commerciaux en forte hausse avec l’Iran (mul�pliés par trois entre 2021 et 2022). Dans le secteur touris�que, le pays, riche de paysages naturels

d’une grande diversité (plages, montagnes, déserts), s’oriente vers un tourisme haut de gamme plutôt qu’un tourisme de masse, avec l’objec�f d’a�eindre 10 % du PIB en 2027.

Enfin, Oman n’ambi�onne pas seulement de se diversifier sur le plan économique ; il ambi�onne aussi de diversifier sa produc�on énergé�que, notamment en se tournant vers l’hydrogène « vert » produit dans une usine fonc�onnant à l’énergie solaire et éolienne.

Le gouvernement omanais a également récemment lancé l’ini�a�ve « photovoltaïque résiden�el » visant à encourager l’installa�on et l'u�lisa�on de panneaux photovoltaïques sur les logements.

UNE POSITION AVANT-GARDISTE, MAIS AMBIVALENTE SUR LES DROITS HUMAINS Malgré les mérites évidents du Sultanat comme faiseur de paix et de liens entre états, sa realpoli�k, comme partout, a un coût : un réalisme basé sur les intérêts et rapports de forces, au détriment des idéaux. C’est ainsi que Mascate, dans sa volonté de dialogue permanent, a maintenu des liens avec des états répressifs, voire criminels, et reçu leurs représentants. Les cas de la Syrie pendant la guerre civile ou de l’Iran pendant les manifesta�ons de 2022-2023 sont média�sés, car ils concernent son environnement proche. Mais on peut y ajouter le sou�en diploma�que apporté par le Sultanat à la Chine lorsque ce�e dernière a instauré en 2020 une loi durcissant son contrôle sur Hong Kong.

Sur le plan intérieur, Oman est gouverné par une famille régnante dynas�que, avec des lois inspirées de la charia. Mais son applica�on est rela�vement souple et libérale par rapport à son voisin wahhabite : la liberté de culte est garan�e, tous les citoyens sont égaux quel que soient leurs genres et leurs religions, et l’éduca�on est assurée y compris pour les filles. La

liberté d’expression est toutefois encadrée, dès lors que seule la presse loyale à la famille régnante a le droit d’exercer, et les cri�ques contre ce�e dernière sont interdites. Si ces condi�ons valent au Sultanat une 155ème place au classement de Reporters sans fron�ères de 2023, l’ONG précise toutefois qu’aucun journaliste n’y est détenu lors de la paru�on de ce classement, contrairement à ses voisins, les Émirats arabes unis (deux journalistes en déten�on en 2023), l’Arabie saoudite (vingt-quatre) et l’Iran (vingt-cinq).

Dirigé par une élite poli�que à la fois autoritaire et progressiste, sous pression, à l’instar de ses voisins du Golfe, d’une par�e conservatrice de son clergé, Oman semble, sur les volets diploma�ques comme sociétaux, opter pour la poli�que des « pe�ts pas » (selon l’expression d’Henry Kissinger). Des objec�fs ambi�eux, mais par étapes et de long terme, afin que le Sultanat préserve sa réputa�on « d’ilot de stabilité ». Dernière réforme notable en date : en avril 2023, le sultan Haitham ben Tarek autorise officiellement les mariages entre Omanais et étrangers, qui représentent près de 40 % de la popula�on du pays.

Muscat, capitale d’Oman, un joyaux face au Golfe Persique ©unsplash

GÉOGRAPHIE

L’eau en Mésopotamie Jardins fertiles ou désert bellique ?

Par ������� LOMBARDOT

Le Croissant fer�le est depuis des millénaires au centre des enjeux de puissance

Tel un héritage millénaire, l’Euphrate et le Tigre parcourent le Moyen-Orient, portant en eux les histoires épiques des civilisa�ons anciennes. Les jardins de Babylone, symboles de splendeur et d'abondance, sont le reflet de la richesse de la civilisa�on et de la culture au Moyen-Orient. Toutefois, les traces de la quatrième merveille du monde semblent incarner l’évanescence des ressources en eau de ce�e région rocailleuse.

La civilisa�on mésopotamienne s’est en grande par�e établie autour de ces deux fleuves favorisant l’essor de l’agriculture et des sociétés urbaines.

Aujourd’hui encore, le Tigre et l’Euphrate sont les principales artères socio-économiques de la région. Ils structurent profondément les ac�vités anthropiques

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autour de l'approvisionnement en eau, de l'irriga�on, de la produc�on hydroélectrique et du transport.

Toutefois, ces artères de vie sont au cœur d’enjeux poli�ques, environnementaux et socio-économiques majeurs ; créent des défis complexes pour les pays riverains et suscitent des débats passionnés sur la coopéra�on, les droits d'u�lisa�on et la ges�on durable des ressources en eaux. Les jardins fer�les du passé rencontrent donc les réalités complexes du présent. Les eaux tumultueuses du Tigre et de l’Euphrate reflètent des perspec�ves beaucoup plus sombres alliant rivalités modernes, enjeux de pouvoir et défis environnementaux.

LE CONTRÔLE DE L’OR BLEU, UNE RESSOURCE STRUCTURANTE POUR LA RÉGION Le Tigre et l’Euphrate prennent source dans les hauteurs des monts Taurus, en Turquie, et se rejoignent en Irak pour former le delta de Cha� elArab. Trois pays se partagent les eaux du Tigre et de l’Euphrate : la Turquie, la Syrie et l’Irak. Toutefois, ce partage est très inégal.

L’Euphrate, à l’ouest de la région, s'étend sur une longueur de 2 315 km et draine un bassin versant de 440 000 km² (35% de ce bassin situé en Turquie, 20% en Syrie et 45% en Irak). Cependant, 88% du débit du fleuve provient des eaux turques, tandis que 12% provient des eaux syriennes et que l'Irak ne contribue pas au débit de l'Euphrate.

Le Tigre, est situé à l'est de la région. Il s’écoule sur 1 900 km et draine un bassin de 258 000 km² : 12% en Turquie, 2% en Syrie, 53% en Irak et 33% en Iran. En termes de contribu�on au débit du fleuve, l'Irak joue le rôle le plus important, par�cipant à hauteur de 51%. La Turquie contribue à 40%, l'Iran à 9% [1].

A en lire les chiffres, la Turquie est véritablement le château d’eau de la Mésopotamie. Et elle a su profiter de cet avantage pour affirmer son autorité dans la région. Et ce�e dynamique ne s’est que renforcée ces dernières années car l’eau est une ressource d’autant plus précieuse que la pression démographique s'accroît (+300 % en Syrie et +500 % en Irak depuis 1960 ) [2].

L’eau répond donc à trois besoins essen�els pour la prospérité d’une économie : la salubrité, l’alimenta�on et l’énergie. Ce triptyque a très clairement été mis en exergue ces dernières décennies par les vastes projets infrastructurels pour favoriser l’essor économique de la région.

Dans les années 80, la Turquie a entrepris un vaste plan d’inves�ssement dans les infrastructures hydrauliques (le GAP pour Güneygogu Anadolou Projesi) sur le modèle la Tennessee Valley Authority. Le projet a permis la construc�on de 19 barrages perme�ant à la Turquie de contrôler et de détourner les eaux du Tigre et de l’Euphrate pour irriguer plus de 1,8 M d’hectares. Addi�onnellement, la construc�on des barrages permet une forte hausse de la produc�on d’hydroélectricité (7476 MW)³.

Le barrage Atatürk, le plus imposant de tous, a une capacité de réserve de 48,7 km3, tandis que le débit de l’Euphrate est de 15 à 45 km3 par an. Ce qui signifie que la Turquie a la possibilité de me�re à sec la Syrie pendant plus d’un an. Toutefois, la Turquie s’est engagée moralement en 1987 à laisser un débit minimum de 500 m3 seconde à la Syrie. Mais dans les faits, ce sont plutôt 200 m3 par seconde qui s’écoulent en Syrie⁴.

La Syrie et l’Irak ont également aménagé des infrastructures hydrauliques afin de maîtriser le débit des fleuves pour développer l’agriculture. En Syrie

comme en Irak, l’agriculture représente environ un cinquième du PIB. L’eau est essen�elle pour ces pays car sur les 9,6M d’hectares mis en culture en Syrie, 74% des surfaces irriguées l'étaient par l’Euphrate. La Syrie est donc extrêmement dépendante du débit imposé par la Turquie⁵. La dépendance de l’économie iraquienne est comparable à celle de la Syrie. Sur les 7,7 M d’hectares mis à la culture, 64 % des terres irriguées l'étaient grâce aux eaux du Tigre et de l’Euphrate⁶.

L’eau est donc une ressource essen�elle pour l’économie mésopotamienne. La Turquie, forte de sa posi�on en amont sur les eaux dispose d’une réelle emprise sur la région. Elle a la capacité de déstabiliser poli�quement et économique l’ensemble de la région en coupant le robinet.

L’EAU, UNE RESSOURCE VITALE POUR L’INSTRUMENTALISATION D’AUTRES CONFLITS RÉGIONAUX ?

L’or bleu est u�lisé comme une vraie arme poli�que et renforce les tensions entre les pays. Si on superpose les bassins versants du Tigre et de l’Euphrate et les territoires revendiqués par les Kurdes (Kurdistan), on remarque très ne�ement que ces espaces se recoupent. En effet, les Kurdes sont les popula�ons majoritaires dans les régions du Taurus. La ques�on de la ges�on de l’eau s’élève d’un degré de complexité lorsqu’on y intègre la ques�on kurde.

En outre, la Turquie a certes la capacité de déstabiliser la région en régulant le débit des fleuves, mais la Syrie et l’Irak ont la capacité de faire pression sur la Turquie en instrumentalisant la ques�on kurde.

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Un rapport de force très sub�le s’immisce donc entre la Turquie d’une part et la Syrie et l’Irak d’autre part.

La popula�on kurde est principalement répar�e entre 4 pays. En Turquie, il y a environ 20 millions de Kurdes (20% de la popula�on totale). En Iran, on es�me qu'il y a environ 10 millions de Kurdes (13% de la popula�on) et 8 millions en Irak, (25% de la popula�on). Enfin, en Syrie, on es�me qu'il y a environ 2 millions de Kurdes (12,5% de la popula�on)⁷. Les Kurdes sont principalement implantés en Mésopotamie et y représentent une large par�e de la popula�on.

Souvent écartés des ins�tu�ons poli�ques, les popula�ons kurdes sont fréquemment u�lisées à des fins poli�ques et s’intègrent dans les différends régionaux pour faire pression sur les gouvernements des pays respec�fs. L’influence des Kurdes dans la région fait l’objet de jeux de pouvoir, de pressions et de conflits internes et externes.

En effet, les inves�ssements turcs dans le cadre du plan GAD avaient pour objec�f de développer économiquement les régions à forte densité kurde afin de limiter les revendica�ons indépendan�stes (notamment incarnées par le PKK). Ankara souhaitait désenclaver le Kurdistan turc et déloger les popula�ons kurdes afin de mieux les contrôler Mais les résultats de ce�e poli�que furent très contrastés. En effet, la créa�on de réservoirs a nécessité la destruc�on de nombreux villages dans les vallées, ce qui a renforcé le sen�ment de rejet à l’égard du gouvernement turc.

Ensuite, les occidentaux n’ont pas hésité à u�liser les Kurdes à des fins poli�ques lors de leur interven�ons armées en Irak et en Syrie. En 2003, la coali�on interna�onale avait soutenu le par� indépendan�ste kurde (PDK) pour défaire le régime de Saddam Hussein⁸. En 2005, la nouvelle cons�tu�on irakienne reconnaît la créa�on d’un état région autonome kurde.

Ce�e autonomie rela�ve des popula�ons kurde sonne comme un séisme dans la région et laisse entrevoir la possibilité de la créa�on de régions kurdes indépendantes dans les pays frontaliers, déstabilisant d’autant la Turquie⁹.

La ques�on kurde est aussi au cœur du conflit syrien.

Même si le débit s’estompe au fil des kilomètres, les enjeux géostratégiques pour le contrôle n’en deviennent pas plus faibles. En Syrie, la prise de contrôle des infrastructures hydrauliques a fait l’objet d’une longue lu�e armée entre Daech et la Coali�on alliée. Avant 2014, Daech contrôlait quasiment l’ensemble des ressources hydriques de la Mésopotamie du Sud. Depuis 2017, les forces kurdes, avec le sou�en de la coali�on, ont repris le contrôle des principales infrastructures hydrauliques¹⁰. Le contrôle des ressources par les kurdes renforce d’autant leur influence dans la région que l’Euphrate alimente directement 5,4M de personnes¹¹. Mais en contrepar�e, la Turquie peut réduire le débit pour déstabiliser les Kurdes syriens.

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Enfin, une bataille, pas des plus éclaboussantes, certes, se passe sur le terrain du droit. Faire reconnaître le statut interna�onal du Tigre et de l’Euphrate obligerait la Turquie à partager ses ressources. La Turquie joue sur le fait que les fleuves ne sont pas des fron�ères naturelles pour les pays : ils sont transna�onaux et non interna�onaux. Le régime de droit interna�onal ne s’appliquerait pas en l’espèce.

A contrario, la Syrie et l’Irak plaident pour une reconnaissance de ses fleuves comme fleuves interna�onaux. Dans les faits, le flou juridique demeure, et personne n’est parvenu à s’entendre sur une qualifica�on¹².

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE, RÉÉQUILIBRAGE DES PUISSANCES OU CATASTROPHE POUR LA RÉGION ?

Enfin, un enjeu exogène et qui risque de déstabiliser poli�quement, démographiquement et économiquement la région est le changement clima�que. L’ONU classe le Moyen-Orient comme une des régions les plus vulnérables face au changement clima�que.

La diminu�on des précipita�ons s’est déjà faite sen�r dans la région. En effet, depuis la fin des années 1970, la région connaît une baisse moyenne de 15% des précipita�ons. Par ailleurs, les températures ont augmenté de plus d’un degré¹³. La convergence de ces deux facteurs conduit à une baisse considérable du débit de l’Euphrate et du Tigre. Par exemple, le barrage Atatürk en Turquie, a vu son niveau baisser de manière significa�ve en raison de la diminu�on des apports en eau du Tigre et de l'Euphrate.

Ces phénomènes risquent de se renforcer dans le futur car l’ONU prévoit une hausse de 4,8°c des températures, une baisse de 8 à 10 mm des précipita�ons annuelles et une augmenta�on de risque de sécheresses de 150% d’ici la fin du siècle¹⁴.

De plus, la fonte accélérée des glaciers dans les montagnes de l'Est de la Turquie, qui cons�tuent une importante source d'eau pour le Tigre et l'Euphrate, aggrave encore la situa�on. Les glaciers turcs ont reculé de 56% depuis 1975¹⁵ et leur volume pourrait être réduit de 80% d’ici 2100. Ceci entraînerait une diminu�on supplémentaire des débits des fleuves pendant les mois d'été, période pendant laquelle l’agriculture en a le plus besoin.

Ces changements clima�ques vont avoir des conséquences socio-économiques importantes : la FAO prévoit une diminu�on de 6 à 14 % du PIB d’ici 2050. L’agriculture ne va pas être épargnée : les rendements agricoles dans la région devraient diminuer de 21% d’ici 2080¹⁶. Certains phénomènes sont déjà percep�bles. En Syrie, la sécheresse a sévi entre 2006 et 2010 et a conduit à la perte de près de 60% du bétail et à la destruc�on de nombreuses

fermes. Ce�e crise agricole a notamment contribué aux revendica�ons socio-poli�ques qui ont précédées le conflit civil en Syrie¹⁷. En 2022, la Syrie a encore été frappée par un épisode de sécheresse prolongée divisant par 4 les rendements de blé par rapport à 2010¹⁸.

La complexité du système de ges�on de l’eau en Mésopotamie augmente de manière irréfutable. La ques�on de l’or bleu est aussi à me�re en perspec�ve avec celle de l’or noir. Tous deux sont indispensables au développement économique de la région. Une raréfac�on des ressources pourraient intensifier les conflits et déstabiliser l’ensemble du Moyen-Orient, malgré la dynamique actuelle d’apaisement dans la région. Ces conflits pourraient être exportés par une hausse du baril de pétrole (comme cela s’est déjà produit par le passé) ou par des épisodes migratoires qui ne feraient que raviver les conflits ethniques ou religieux.

1. L’eau, cause ou prétexte pour les conflits ?

L’exemple du Tigre et de l’Euphrate, les clés du Moyen-Orient, Hervé Amiot, mai 2020, lien 2. Data Commons, consulta�on juin 2023, lien 3. What’s GAP ?, Minestery of Industry and Technology, consulta�on juin 2023, lien 4. Sécheresse et géopoli�que menacent les riverains syriens de l’Euphrate, L’orient du jour, Delil SOULEIMAN, 31 août 2021 , lien 5. Syria, World Bank, consulta�on juin 2023, lien 6. Iraq, World Bank, consulta�on juin 2023, lien 7. La popula�on kurde, Ins�tut kurde de Paris, consulta�on juin 2023, lien 8. Les Kurdes d’Irak et l’arrivée inespérée de l’Amérique, pages 241-244, Halkawt Hakem, avril 2003, lien 9. Consolider l'autonomie du Kurdistan irakien, pages 119-128, Kendal Nezan, 2004, lien 10. L'eau, nouvelle arme de l'Etat islamique, Le Nouvel Obs, 3 juin 2015, lien 11. La sécheresse menace le nord-est syrien de catastrophe humanitaire, Stanislas Poyet, Le Figaro, mai 2021, lien 12. The Water of Euphrates and Trigris : An Interna�onal Perspec�ve Law, page 351, Adele J.Kirschner & Katrin Tiroch, 2012, lien 13. Uncertainty in Future Projec�ons of Precipita�on Decline over Mesopotamia, Yeon-Woo Choi & Elfa�h A.B. Eltahir, février 2023, lien 14. Priori�es for food and agriculture in the Near East And North Africa Région 2020-2030, page 7, FAO, Février 2020 16. Change in the glacier extent in Turkey during the Landsat Era, pages 32-41, Doğukan Doğu Yavaşlı, Juin 2015, lien 17. Priori�es for food and agriculture in the Near East And North Africa Région 2020-2030, page 8, FAO, Février 2020

18. Le conflit syrien et le changement clima�que : les médias ont-ils tout bien compris ? , ALEX RANDALL, Climate Migra�on and Coali�on, consulta�on juin 2023, lien 19. La Syrie en état de choc clima�que, Kamal Chahine, Orient XXI, novembre 2022, lien Quelques chiffre sconcernant l'agriculture dans ces pays : Syrie : Selon la FAO, l'agriculture représente une part importante de l'économie syrienne, contribuant à environ 21% du PIB en 2018.

En 2016, la superficie totale des terres agricoles en Syrie était d'environ 9,6 millions d'hectares.

Le secteur agricole syrien dépend largement de l'irriga�on pour la produc�on agricole. Environ 74% des terres agricoles sont irriguées, dont une grande par�e est alimentée par les eaux du Tigre et de l'Euphrate.

Le gouvernorat d'Al-Raqqa en Syrie, traversé par l'Euphrate, est l'une des principales régions agricoles du pays, cul�vant notamment des céréales, des légumes et des fruits.

Irak : L'agriculture est un secteur économique vital en Irak, employant une part importante de la popula�on rurale et contribuant à la sécurité alimentaire du pays.

Selon la FAO, en 2018, l'agriculture représentait environ 20% du PIB de l'Irak.

La superficie totale des terres agricoles en Irak était d'environ 7,7 millions d'hectares en 2016.

Les cultures principales en Irak incluent le blé, l'orge, le riz, les légumes et les fruits.

L'irriga�on joue un rôle essen�el dans l'agriculture irakienne. Environ 68% des terres agricoles sont irriguées, principalement par les eaux du Tigre et de l'Euphrate.

Revue TB N°4 - 61

ÉCONOMIE

Le port de Fujaïrah Une alternative émirati au détroit d’Ormuz ?

Par Ambroise GODARD - Étudiant en Relations Internationales et Sciences Politiques à l’ILERI

Contourner Ormuz c’est aussi contourner les tensions sur le détroit avec l’Iran

Absolument essen�el au commerce mondial d’hydrocarbures et de gaz naturel, le détroit d’Ormuz, porte du Golfe Persique, est fréquemment considéré comme le passage le plus dangereux au monde. La sécurité de ces 155 km de longueur avec un minimum de largeur de 55 km par lesquelles transit 30% du pétrole mondial revêt une importance capitale dans ce�e région sous tension.

Pour pallier à cela des alterna�ves émergent pour offrir des solu�ons viables dans l’hypothèse d’un détournement d’Ormuz, c’est le cas du port émira� de Fujaïrah.

70 millions de barils, c’est la capacité de stockage du hub pétrolier de Fujaïrah, ce port émira� ayant la préten�on de devenir l'alterna�ve numéro une au 62 - Revue TB N°4

détroit d’Ormuz. Le port de Fujaïrah est situé dans le Golfe d’Oman, dans les eaux territoriales des Émirats Arabes Unis. En effet, sur les sept émirats formant la fédéra�on des Émirats Arabes Unis, Fujaïrah est le seul donnant sur le Golfe d’Oman. Avec son territoire montagneux de 1 166 km2 il est séparé par l’enclave omanaise de Madha. Situé à 70 milles nau�ques du détroit d’Ormuz et 80 milles nau�ques du port iranien de Jask présent de l’autre côté du golfe, le port de Fujaïrah dé�ent ainsi une posi�on stratégique majeure. Enfin, autre atout du port émira�: L'oléoduc long de 406 km établissant un lien direct entre Fujaïrah et la capitale Abou Dhabi détenu par la société Abu Dhabi Crude Oil Pipeline CO possède la capacité de transporter 600 000 barils de pétrole brut par jour

pouvant être portée à 1,6 million de barils par jour en cas de besoin.

Grâce à ses eaux profondes, le port s’est dans un premier temps spécialisé dans le ravitaillement de navires en carburant de propulsion (le soutage), jusqu’à occuper aujourd’hui la deuxième place mondiale dans ce domaine, derrière Singapour et devant Ro�erdam. Depuis la fin des années 1990, Fujaïrah s’est aussi développé dans le stockage de pétrole brut en augmentant peu à peu ses capacités dans ce domaine. Le premier terminal pétrolier a commencé à fonc�onner en janvier 2006 tandis que le deuxième terminal pétrolier a commencé à fonc�onner en juin 2010. Enfin, en ce qui concerne les infrastructures, on trouve dans la zone portuaire de Fujaïrah deux terminaux de chargement capables d'accueillir des supertankers, ainsi qu'une usine pétrochimique, une usine de dessalement et une zone franche qui font de Fujaïrah une place forte du commerce d’hydrocarbure. Le port est muni de deux chargeurs en vrac des�nés aux exporta�ons, le premier chargeur est capable de charger 2 000 tonnes par heure tandis que le deuxième chargeur, plus conséquent, est capable d’en charger le double dans le même temps. Fujaïrah est protégé par deux briselames situés au nord et au sud des installa�ons portuaires dont le rôle est de s'opposer à l'énergie de la houle et diminuer l'agita�on du plan d'eau à la côte.

Le quai du brise-lames sud est des�né à la répara�on des navires et dispose d'une installa�on de relevage de voyage pour l'entre�en des bateaux tandis que le poste de brise-lames nord abrite les deux terminaux pétroliers. La zone industrialo-portuaire est reliée au train E�had assurant un accès direct à la ville industrielle de Ruwais dans la région occidentale des Émirats Arabes Unis et à la ville de Ghuwaifat près de la fron�ère saoudienne. Les marchandises qui y sont transportées sont principalement des conteneurs en vrac et du pétrole. Les récurrents projets d'extension, que ce soit du terminal de conteneur, du quai ou la construc�on d’une nouvelle zone industrielle font de cet hub pétrolier une plateforme en constante évolu�on.

instable, géopoli�quement complexe, aux tensions poli�ques et aux conflits armés répétés. Les rivalités entre États, les sanc�ons interna�onales, la présence de mines sous-marines ainsi que la menace terroriste contribuent à créer des risques pour la sécurité mari�me du détroit d’Ormuz.

« Les ambitions du port émirati sont claires: offrir une alternative dans l’éventualité d’un contournement du détroit d’Ormuz. » D’un point de vue purement géopoli�que, c’est le bras de fer constant entre les États-Unis et l’Iran qui tend à me�re le plus en péril le passage d’Ormuz.

Depuis le renforcement de la présence militaire américaine déjà importante en mer d’Arabie et dans le golfe arabo-persique ini�ée sous Donald Trump, la République Islamique menace de bloquer le détroit en cas d’agression. C’est dans une volonté de gérer les affaires entre États de la région que le chef d’état-

Les ambi�ons du port émira� sont claires: offrir une alterna�ve dans l’éventualité d’un contournement du détroit d’Ormuz. Les incidents mari�mes sont fréquents à Ormuz notamment en raison des condi�ons météorologiques difficiles à l’image des tempêtes de sable, pouvant rendre la naviga�on turbulente et augmenter le risque d'accidents mari�mes, comme les collisions entre navires ou les échouements. À cela s’ajoute la piraterie, très présente dans les eaux du détroit d’Ormuz: des groupes criminels armés sont suscep�bles d’a�aquer les navires pour y voler des marchandises ou prendre en otage l’équipage, dans ce�e région où les navires volés sont réu�lisés dans les ac�vités de contrebande. Enfin bien sûr, le détroit d’Ormuz est situé dans une région

Vue satellite de certaines installa�ons portuaires

major des forces armées iraniennes, Mohammad Bagheri a déclaré en mai dernier : "La République islamique d'Iran et les pays du sud du Golfe persique sont capables de coopérer pour assurer la sécurité”.

Ce�e déclara�on du militaire membre du Corps des Gardiens de la révolu�on islamique n’a rien d’un hasard car elle intervient quelques jours seulement après que le commandant de la 5ème flo�e américaine, basée à Bahreïn, et ses homologues britanniques et français se soient déplacés à bord de l’USS Paul Hamilton dans le détroit d’Ormuz pour démontrer leur "vigilance". Auparavant, l'Iran avait saisi des navires commerciaux dans la zone, dont fin avril un pétrolier ba�ant pavillon des Îles Marshall et à des�na�on des États-Unis. De son côté, l’oncle Sam souhaite garder une forte présence militaire sur place, bien conscient que le passage d’Ormuz est indispensable pour connecter les États pétroliers du Golfe aux marchés mondiaux. En réalité, à travers ces mul�ples provoca�ons envers les Etats-Unis, l’Iran désir démontrer qu’il est capable de briser les sanc�ons américaines autour de la ques�on nucléaire, sujet par�culièrement sensible en vue du regain de tension actuel entre Israël et les autres pays de la région. Ces récentes déclara�ons associées au retour d’un ambassadeur iranien aux Émirats Arabes Unis après 8 années de vide diploma�que sont un faisceau d’indices menant à l’hypothèse d’une baisse d’intensité des rivalités religieuses entre l’Iran et les pays arabes du golf au profit d’un renforcement de la lu�e contre l’impérialisme américain. Cependant, l’ombre de la fracture millénaire entre le chiisme des uns et le sunnisme des autres plane toujours, comme une menace constante de déstabilisa�on de la géopoli�que régionale du détroit d’Ormuz dont la capacité à ressurgir semble inéluctable.

« la concurrence au port de Fujaïrah est féroce parmi les alternatives au détroit d’Ormuz » Forte de ses atouts, l’alterna�ve émira�e de Fujaïrah est cependant contestée. Premièrement le choix de Fujaïrah se veut être une op�on sécurisée au détroit d'Ormuz. Pourtant le 12 mai 2019 a lieu une a�aque contre deux tankers saoudiens, un pétrolier norvégien et un pétrolier émira� proche du port de Fujaïrah dans un contexte de vives tensions suite aux sanc�ons sur les exporta�ons d’hydrocarbures décidées à l’encontre de l’Iran. Dans un premier temps, une chaîne d'informa�on pro-Hezbollah, Al Mayadeen, a rapporté que sept pétroliers avaient été impliqués dans une explosion dans le port de Fujairah. Le reportage a été rapidement repris par le média Presse TV et les autres organes de presse iraniens. Les Émirats Arabes Unis ont nié toute explosion dans le port et ont déclaré que le port con�nue de fonc�onner normalement. Suite à une enquête commandée par le gouvernement émira�e aux États-Unis, la responsabilité de l’Iran dans ce�e a�aque a été pointée du doigt par les médias arabes du Golfe. De leur côté, les autorités émira�es sont restées prudentes, préférant parler de “sabotage” afin d’éviter que l’Organisa�on Mari�me Interna�onale ne classe leurs côtes en zones de guerre. Une telle classifica�on amènerait les compagnies d’assurance à augmenter leurs primes pour les navires circulant dans le Golfe d’Oman ce qui revêt d'enjeux économiques très importants pour les émirats. D’autant plus que le port de Fujaïrah est à portée de �r de l’Iran. Aujourd'hui il est très simple

Vue sur le port de Fujairah ©fujairahport

d’a�eindre une cible grâce aux drones qui se sont ne�ement répandus dans les équipements militaires des États du Moyen-Orient et ceux bien avant leur u�lisa�on courante en Ukraine. L’Iran dispose depuis 2020 du HESA Shahed 136, un modèle de drone kamikaze d’une portée évaluée entre 1000 et 2500 km, amplement suffisant pour parcourir les 130 km qui séparent Fujaïrah des côtes iraniennes.

De plus, la concurrence au port de Fujaïrah est féroce parmi les alterna�ves au détroit d’Ormuz. Le port de Sohar, 100 km au sud de Fujaïrah, appartenant au sultanat d’Oman ainsi que les ports de Duqm et de Salalah plus au sud, pourraient perme�re de livrer une par�e des hydrocarbures émira�s et saoudiens directement vers l’Océan Indien. Quant à l’Iran, le pays développe le port de Chabahar donnant sur le Golfe d’Oman à l'aide d'inves�ssements indiens conséquents.

En dernier lieu Fujaïrah prend du retard en ce qui concerne sa capacité à se préparer au futur de l’industrie mari�me: les carburants alterna�fs. Afin d’a�eindre l’objec�f de réduc�on des émissions de carbone déterminé par l’Organisa�on mari�me interna�onale des Na�ons unies, le secteur doit se tourner vers le gaz naturel liquéfié, les biocarburants et le méthanol. Seulement, à en croire les mots de Law Say Huat, directeur général de la société Vopak Horizon Fujaïrah Terminals Ltd, tenus lors du Fujaïrah Bunkering and Fuel Oil Forum (FUJCON) 2023, il s'agit d’un effort qui reste à fournir : “Il y a beaucoup de développement en ma�ère de nouvelles énergies, en ma�ère de décarbonisa�on dans d'autres hubs. Nous ne devrions pas être perdants à cet égard”.

Ainsi le port émira� de Fujaïrah apparaît comme une solu�on crédible dans l’hypothèse d’un détournement du détroit d’Ormuz et ce d’autant plus depuis l’apaisement des tensions entre l’Iran et les Émirats au début de l’année 2023. Caractérisé par une posi�on stratégique et des infrastructures compé��ves, le port a enregistré en 2022 un record en termes de volumes de pétrole manuten�onné et il con�nue sur ce�e lancée en 2023. Fujaïrah est amplement soutenu par les Émirats Arabes Unis qui ne sont pas insensibles à l’avantage stratégique et aux importantes retombées économiques poten�elles qu'apporterait ce nouvel i�néraire. Bien que le pays tente de rassurer les grandes compagnies de transport sur le volet sécuritaire ainsi que sur la capacité de ses infrastructures, le port de Fujaïrah ne reste pour le moment qu’un port d’appoint au passage d’Ormuz.

1. Ce qui se manifeste à travers des conflits indirects dans des pays comme la Syrie, le Liban ou le Yémen.

2. « Géopolitique de l’Espace, à la recherche d’une sécurité spatiale », Florence Gaillard-Sborowsky, Le Cavalier Bleu, mai 2023.

3. Des ambassades seront ainsi de nouveau ouvertes à la suite de cette normalisation entre les deux pays : https://

SPM Opera�on du pétrolier CSK Endeavour ©fujairahport

DOSSIER ÉCONOMIQUE

Dubaï Au cœur des trafics et flux illicites Par Alexandre PAMART, Dorian PAIRE-COCHIN - Intitut Talleyrand

Dubai et son allure de Miami Vice pourrait être plus vrai que nature ©unsplah

Du pe�t village de pêcheurs à la fin du 19ème siècle, jusqu’à la construc�on de l’embléma�que gra�e-ciel Burj Khalifa ouvert en 2010, l’histoire de Dubaï est fascinante et excep�onnelle. L’émirat suscite toutes les a�en�ons tant pour le tourisme, que pour les opportunités de travail. Dubaï a �ré profit de sa situa�on géographique ainsi que d’une culture de tolérance et d’accueil. C’est en 1894, que les prémices de la future grandeur de l’émirat furent tracées : lorsque le Sheikh décida de procéder à des exonéra�ons fiscales afin de s�muler le commerce extérieur. Contrairement aux autres émirats et états de la région, les ressources en pétrole y sont très limitées.

L’émirat a du diversifier son économie pour apparaître à la fois comme un hub légi�me du commerce interna�onal et un centre financier majeur.

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Aujourd’hui, son rôle fondamental dans le commerce interna�onal en fait inévitablement une des�na�on privilégiée pour les trafiquants. Sa posi�on comme centre financier à l’échelle mondiale a�rent les convoi�ses des blanchisseurs d’argent (notamment des réseaux de trafic d’or ou de trafic de cocaïne), mais aussi des financiers de réseaux paramilitaires, ou encore des individus visés par des sanc�ons (comme les oligarches russes).

En 2022-2023, les routes du trafic et du blanchiment de trois con�nents (Europe, Afrique, Asie/MoyenOrient) mènent à Dubaï.

Cet ar�cle vise à comprendre les causes, l’interconnexion entre ces trafics, notamment le rôle « pivot de l’or » et me�re en valeur les ac�ons menées par Dubaï pour remédier à la situa�on. En conclusion

nous évoquerons aussi la fonc�on de Dubaï comme point d’ancrage de la stratégie d’expansion vers le Moyen-Orient et l’Afrique de Pékin.

Dubaï : le point de rencontre des trafics et des trafiquants Une première histoire en or : la gold mafia (2023) En Mars-Avril 2023, Al Jazeera sur la base de plusieurs inves�ga�ons sous couverture à révélé l’existence d’un réseau criminel transna�onal qualifié de gold mafia (mafia de l’or). Le crédo d’un dirigeant de ce�e mafia ressemblerait à un slogan d’une agence de voyage : « it’s all Dubai, Dubai, Dubai, Dubai (c’est tout à Dubaï) ». Le mode opératoire exploite toute les opportunités offertes par l’émirat : société-écrans, secteur de l’or développé, zones franches, coutume de ne pas trop poser de ques�ons, forte exporta�on d’or en Suisse…pas étonnant que ce présumé cercle criminel d’origine du Zimbabwé et d’Afrique du Sud ait trouvé son eldorado.

« En 2022-2023, les routes du trafic et du blanchiment de trois continents mènent à Dubaï. » Le Zimbabwé possède des mines d’or. Même si le secteur de l’or n’est pas visé par des sanc�ons, de nombreuses compagnies interna�onales sont ré�centes à développer des affaires avec ce pays et acheter son or. L’économie du Zimbabwé a un besoin important de devises fortes comme le dollar, en raison des difficultés commerciales à exporter. D’autre part, les contrebandiers locaux et surtout de l’Afrique du Sud ont une grosse quan�té de cash en dollars à intégrer dans le système bancaire (autrement dit à blanchir, afin de pouvoir jouir librement par la suite de cet argent sale). Cet argent sale peut provenir de

diverses contrebandes en Afrique du Sud, notamment celui de cigare�es. Le système est simple : 1.

Les contrebandiers donnent du cash au gouvernement du Zimbabwé et récupèrent de l’or.

L’opéra�on n’est pas légale puisque le cash servant à acheter cet or provient de trafics illégaux.

Officiellement ce�e transac�on est la seule par�e illégale du circuit et le gouvernement ne dira pas qu’il a vendu de l’or, mais juste chargé les contrebandiers de la vendre à Dubaï par tout moyen.

2.

Les contrebandiers vont se charger de transporter de l’or depuis le Zimbabwé vers Dubaï, avec l’autorisa�on du gouvernement et des documents pour le transport 3.

Les contrebandiers vendent l’or à Dubaï, et le produit de la vente de l’or zimbabwéenne est virée sur les comptes à Dubaï des contrebandiers (souvent sur des sociétés-écrans pour faire disparaître à travers plusieurs virements l’origine des fonds).

4.

Les contrebandiers de la gold mafia peuvent aussi choisir de rafiner l’or localement dans l’émirat pour l’exporter, par exemple en Suisse.

5.

Le gouvernement et la Banque Centrale prétendent que le cash illicite (car reçus de la part des contrebandiers lorsqu’ils ont acheté de l’or) provient de la vente de l’or (et non des diverses trafics opérés par les contrebandiers voulant blanchir ce cash).

Il s’agit d’un exemple récent ou Dubaï a joué le rôle de plaque tournante perme�ant de blanchir de l’argent sale du trafic de cigare�e ou autres via l’achat au gouvernement du Zimbabwé de son or (via du cash sale) et la vente de cet or à Dubaï. L’argent sale est blanchi car le gouvernement prétend que le cash vient de la vente d’or, et l’argent de la vente d’or disparaît dans le réseau de sociétés-écrans de l’émirat ou vers la Suisse sur le compte des contrebandiers.

Indépendamment de ce�e inves�ga�on, le secteur de l’or est crucial pour l’économie de Dubaï. En effet, l’or est un produit stratégique pour le commerce extérieur de l’émirat et représenterait 28.8 milliards de dollars en 2020. Ce secteur cons�tue aussi un centre névralgique de plusieurs trafics.

Dubaï excelle dans son rôle de plaque tournante, facilement accessible et idéalement située entre trois con�nents ©DubaiPolice

Les raffineries à Dubaï perme�ent de produire de l’or « made in Dubai », alors que l’origine de l’or serait parfois douteuse. Les refontes de l’or peuvent mener jusqu’au cœur de l’Europe, puisque Dubaï exporte près d’un quart de son or vers la Suisse. De l’or « d’origine douteuse » peut être raffiné à Dubaï, puis envoyé en Suisse (sous la forme made in Dubai), re-rafiné localement chez les helvètes puis revê�r la plus belle parure. Le label produit en Suisse permet d’ôter tout doute sur l’origine de l’or. 95% de l’or d’Afrique de l’Est et du Centre est exporté vers Dubaï. De plus, des mines d’or de taille moyenne exportent toujours plus vers Dubaï, y compris depuis l’Afrique de l’Ouest.

LA TRAGIQUE HISTOIRE DU CONFLIT ACTUEL AU SOUDAN Plus récemment, il fut démontré que l’or en provenance de Russie n’est plus envoyé vers Londres en raison des sanc�ons. En effet, la London Bullion Market Associa�on (le marché des lingots d’or à Londres), a interdit dès le 7 Mars 2022 les lingots russes. Par la suite, en Août 2022, la plupart des pays européenns firent de même. Les Emirats arabes unis sont devenus la nouvelle des�na�on prisée de l’or russe. En 2022, 75.7 tonnes d’or russe furent importés dans les Emirats, contre seulement 1.3 tonne en 2021.

Les autres des�na�ons de cet or étant la Chine et la Turquie.

Tel que relaté en mai 2023, l’or serait « le carburant » du tragique conflit actuel au Soudan. Khartoum se tourne vers l’exploita�on de l’or, dans la mesure où 75% des ressources en pétrole de la région sont localisées au Soudan du Sud. Les exploita�ons d’or sont pour la plupart situées au Darfour. Dubaï a joué le rôle de plaque tournante pour recevoir l’or soudanais et Heme� (à la tête des Forces de Sou�en Rapide, RSF) a pu en �rer une manne financière conséquente.

Dubaï assure la fonc�on d’intermédiaire entre le système financier interna�onal et des régions peu connectées en raison de conflits.

« Les Emirats arabes unis sont devenus la nouvelle destination prisée de l’or russe. » Le groupe Wagner aurait aussi �ré profit du trafic d’or dans le pays et des concessions aurifères pour financer le déploiement du groupe sur le con�nent.Wagner est suspecté de fournir des armes et du carburant aux troupes de Heme�. Un autre leader en bonne entente avec le Kremlin serait impliqué dans les trafics entre le Soudan et la Libye: le maréchal Ha�ar. Les intérêts de la contrebande relierait également Ha�ar et Heme� de manière plus discrète.

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L’or de toutes les convoi�ses ©StefanoBrivio

Ha�ar règnerait sur la contrebande dans la région de Koufra (ce�e ville du Sud Est Libyen est également un point de transit de la cocaïne). Des chercheurs américains ont aussi observé que l’augmenta�on des flux de cocaïne vers Kufra, observée depuis quelques années, envenime les tensions locales dans ce�e région sensible.

« LA COSTA DEL CRIME » : UNE HISTOIRE « D’OR BLANCHE » ET DE BLANCHIME DE COKE L’argent sale provenant de la vente du cannabis sur le marché européeen a fut fréquemment échangée pour de l’or en Europe, puis exportée vers Dubaï, généralement par des mules. Une fois à Dubaï, l’or est revendue localement et les fonds sont déposés sur des comptes de société-écrans puis revirés en Europe ou ailleurs. Une par�e de l’or provenant de l’argent de la drogue fut même réduite en poudre et mélanger à du café pour envoi en Inde depuis Dubaï.

Il y a une dizaine d’années, une compagnie a importé massivement de l’or (recouverte d’argent) depuis le Maroc vers Dubaï : si l’exporta�on fut déclarée comme de l’argent aux autorités marocaines, elle fut déclarée légalement comme de l’or à Dubaï (en évoquant aussi simplement une volonté de contourner les restric�ons des exporta�ons de l’or depuis le Maroc). Il est évoqué également que ce�e stratégie est employée, à l’occasion, pour l’or en provenance du Soudan…et le paragraphe précédent a men�onné le triste rôle de l’or comme moteur des affrontements au Soudan.

Fin novembre 2022, le supercartel de la cocaïne, responsable de 1/3 de l’exporta�on de cocaïne en Europe a été démantelé lors de l’opéra�on Desert light (Lumière du désert). 6 cibles de grandes valeurs furent interpellées à Dubaï (parmi un total de 49 arresta�ons, le reste étant en Belgique, aux Pays-Bas, en France)…

Les narcotrafiquants, ayant pour certains inves�s également dans l’immobilier à Dubaï, coordonnaient les opéra�ons de livraison de cocaïne en Europe (Belgique, Pays-Bas, Espagne…), sous le soleil de l’émirat, avec des applica�ons cryptées come EncroChat ou Sky ECC. Des leaders de la cocaïne de la Costa del Sol relocalisèrent à Dubaï certains segments (blanchiment, intégra�on de l’argent sale, inves�ssement…). Le surnom de « Costa del Crime » a été donné à Dubaï, notamment en rela�on avec cet exode.

Au-delà du trafic d’or et « d’or blanche : trafic de migrants, d’animaux, d’espèces végétales, d’armes, d’opium afghan…

Dubaï est l’un des centres financiers du trafic d’armes depuis le Yémen vers la Somalie, du trafic de migrants éthiopiens/somaliens vers le Golfe, ou encore du trafic d’opium depuis l’Afghanistan vers l’Europe.

D’autres crimes se poursuivent dans l’émirat, notamment les trafics d’animaux comme le guépard pour le pres�ge local, ou les faucons par tradi�on etc.

Le trafic concerne aussi des par�es d’animaux, en transit pour l’Asie (écailles de pangolin, cornes de rhinocéros, ivoire…). Une contrebande d’espèce végétale s’opère au travers de Dubaï, comme certaines espèces de bois de rose, bois de santal…et aussi d’êtres humains via le travail domes�que dans des condi�ons qui suscitèrent des cri�ques comme dans d’autres pays du Golfe.

Le trafic d’animaux exo�ques, vivants comme morts a été la grande mode des émirats, ce n’est que depuis 2018 que la possession d’animaux sauvages est interdite ©AP

Les réformes et lois contre le trafic d’être humains peinent à réformer en profondeur le système du kafala. Ce système impose au travailleur (souvent un migrant) de trouver un sponsor résident et idéalement citoyen) des Emirats arabes unis. Ce sponsor est souvent le bénéficiaire de la société au sein de laquelle le travailleur occupera le poste. Dès lors, la capacité du travailleur de changer librement de travail, de négocier son évolu�on ou de se défendre face à des abus est très limitée.

Un point alarmant serait le développement du trafic d’armes pour le compte du Kremlin via des sociétésécrans basées à Dubaï (notamment dans des zones franches ou la supervision est très limitée et laxiste).

LCI rapporte ce�e suspicion se basant sur un ar�cle du The New York Times, daté du 1er décembre 2022. La journaliste précise que les services occidentaux évoquent de forts soupçons de trafic d’armes via des sociétés-écrans établies par des oligarches en fuite qui seraient eux-mêmes sous pression de Moscou, (bien qu’ils soient à Dubaï pour protéger leur argent ou éviter une restructura�on de la société russe en leur défaveur).

HAVRE DE PAIX POUR LES ENTITÉS ET INDIVIDUS SOUS SANCTIONS Au côté du charme des plages, de l’immensité des centre commerciaux, de la grandeur des gra�e-ciels, la présence de certains VIP bien par�culiers se manifeste Dubaï. Le sujet ce�e fois ne porte pas sur les influenceurs/euses qu’on croise dans les coins huppés de la ville. Depuis fin février 2022 a Dubaï défilent des yachts et des jets privés en provenance de Russie.

Certains yachts sont bien iden�fiés, comme celui appartenant à Andreï Skoch (oligarche russe et député, sous sanc�ons interna�onales), visible à quai à Port Rachid (non loin du souk de l’or). Les oligarches russes ou magnats des ressources naturelles inves�ssent partout : immobilier de luxe, yacht, or, bijouterie, restaurants, clubs…. Les paiements peuvent même s’opérer en cash ou en cryptos. Il a été reporté que près de 4 000 millionaires russes furent accueillis à Dubaï rien qu’en 2022. LCI dans un podocast es�me que les russes s’orientent vers Dubaï dans la mesure ou les inves�ssements immobiliers dans les anciennes des�na�ons prisées (Hong Kong, Londres, New York, voire Monaco, Côte d’Azur) peuvent être complexes.

Ces inves�ssements peuvent aussi entraîner des difficultés de liquidité, ou de change de devises, aussi en raison des sanc�ons. Les russes sont aujourd’hui les premiers acheteurs de biens immobiliers à Dubaï, tant pour s’expatrier au soleil et démarrer des ac�vités (notamment dans le secteur du conseil financier, des technologies financiières) que pour protéger l’argent dans la pierre à Dubaï. Une centaine de russes à Dubaï seraient visés par des sanc�ons interna�onales.

D’après LCI, certais seraient des proches du pouvoir, d’autres du crime organisé... Les sociétés russes à

Dubaï sont aussi visées par des sanc�ons, comme par exemple Sun Ship Management dont les avoirs sont gelés au sein de l’Union Européenne et les banques ont ordre de ne pas entretenir de rela�on avec ce�e entreprise. Il s’agit d’une filiale de la compagnie publique russe de transport d’hydrocarbures (Sovcomflot).

« Il a été reporté que près de 4 000 millionaires russes furent accueillis à Dubaï rien qu’en 2022 » Dubaï est une des�na�on facilitatrice pour le financement de mouvements qualifiés de terroristes.

Des sociétés à Dubaï ac�ves dans les diamants auraient assisté un grand financier du Hezbollah, tel que communiqué en Avril 2023 par les autorités américaines. Cet individu occupe un poste essen�el pour le développement des trafics et des opéra�ons menées par le Hezbollah. Il est lui-même désigné comme un individu sous sanc�on par l’OFAC (Office Of Foreign Assets Control, qui établit les listes de sanc�ons et fait par�e du Département du Trésor Américain). Le Hezbollah est reconnu pour son rôle de leader dans le trafic du captagon au Liban (une drogue de synthèse) et du haschish (de la plaine du Bekaa). Le mouvement serait aussi impliqué à divers noeuds du trafic de cocaïne vers l’Europe et le Moyen-Orient. Des soupçons sont même exprimés sur sa présence ac�ve jusqu’au Vénézuela. Le mouvement est connu pour son réseau de collecteurs (sorte de convoyeurs de fonds) perme�ant de récupérer une par�e du cash provenant de la vente de la cocaïne. Le mouvement oeuvrerait supposément en partenariat avec les réseaux de la Costa del Sol (eux aussi relocalisés par la suite à Dubaï).

L’émirat s’est ouvert au monde sous le prisme de la tolérance et de l’accueil des inves�sseurs et des capitaux. La culture locale des affaires a longtemps été de ne pas trop poser ou de ne pas poser de ques�ons.

Aussi, le développement s’est basé sur la proximité entre le poli�que et l’économique, avec des entreprises détenues par l’état ou des zones franches largement tributaires des dirigeants de l’émirat.

L’émirat s’est donc désenclavé par la construc�on de zones franches (portuaires et aéroportuaires), le développement de groupes détenus par l’état (The Emirates Group, siège social à Dubaï), ou encore un réseau de hubs portuaires DP world (troisième exploitant portuaire au monde).

FACTEURS CLÉS DE L’EXPANSION DES TRAFICS ET MESURES POUR LUTTER CONTRE LE CRIME ORGANISÉ ET LE BLANCHIMENT

HUB COMMERCIAL : CONTRÔLE DES FLUX D’AUTANT PLUS COMPLEXE QUE LE VOLUME EST IMPORTANT

En comparaison à ses voisins comme Abou Dhabi, les ressources en pétrole à Dubaï sont rela�vement faible.

L’émirat ne pouvait construire une stratégie de développement de long terme sur la simple exploita�on du pétrole. Le levier du développement de Dubaï, d’antan un pe�t port de pêche et aujourd’hui un centre financier interna�onal, se base sur les condi�ons fiscales et économiques offertes par l’émirat. De plus, sa posi�on géographique, entre l’Afrique, l’Europe et l’Asie en font un lieu idéal pour assurer une dynamique de hub au Moyen-Orient.

L’importance des flux au travers de Dubaï, comme pour tout autre hub, empêche un contrôle de toute la marchandise. Seule une pe�te frac�on des marchandises en transit sont vérifiées afin de ne pas freiner l’économie interna�onale. Par ailleurs, la vérifica�on ne va pas nécessairement assez dans les détails. Certains contrôleurs se limitent à une simple demande de provenance, voire de des�na�on du bateau (et non de toutes les par�es de la cargaison).

Concernant les trafics d’espèces animales ou végétales, seulement 2% du trafic illégal serait saisi. La charge de la vérifica�on est souvent laissée aux pays source et/ou au pays des�nataires lorsque les

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plus du climat favorable et ensoleillé, a�rant les inves�ssements en hôtellerie, immobilier, et les influenceurs/euses.

UN VOLONTARISME MARQUÉ QUI CONTRASTE UNE IMAGE DE REFUGE À CRIMINELS

Depuis 1995, la popula�on de Dubai a été mul�pliée par cinq et compte aujourd’hui 3,5 millions d’habitants ©unsplash

marchandises sont en transit via les zones franches.

L’émirat offre 30 zones franches par lesquelles transitent majoritairement des flux licites, mais aussi les flux illicites. En sus des trafics illicites, ces zones franches sont des lieux privilégiés par les blanchisseurs, qui u�lisent le commerce comme un moyen de blanchir l’argent sale. Les blanchisseurs ont diverses op�ons à leur disposi�on : surfactura�on, sous-factura�on, faux é�quetage, remise de cash sur la zone franche…

« L’émirat offre 30 zones franches par lesquelles transitent majoritairement des flux licites, mais aussi les flux illicites » Ce�e posi�on géographique, couplée à une taxa�on très favorable (voire inexistante), peu de ques�ons ou peu de zêle sur l’origne des fonds comme des marchandises, ainsi qu’une culture « du cash » a�re les inves�sseurs et les flux d’argent de toutes provenances. C’est l’or et les produits de luxe (diamants, bijoux…) qui ont aussi accompagné le succès de Dubaï, ce alors même que Dubaï ne possède aucune mine d’or ! Le pays est en mesure de rivaliser avec des places européennes ayant une longue tradi�on dans ce secteur. L’inves�ssement dans la bijouterie a contribué à donner une image de luxe, en

Les volontés poli�ques sont présentes et des mesures sont prises pour lu�er contre le blanchiment, le trafic et le financement du terrorisme. A l’échelle des Emirats arabes unies, les dirigeants insistent pour que les zones franches partagent des informa�ons avec les unités d’inves�ga�on financière du pays. Afin de limiter le blanchiment, les Emirats arabes unies imposent de déclarer le cash lorsqu’un individu pénètre avec 60 000 AED (environ 15 000 EUR).

Encore une fois, la volonté est présente mais la ques�on de l’efficience des contrôles se posent puisque de nombreux blanchisseurs amènent du cash des crimes commis à l’étranger par des mules vers Dubaï (transport dans des valides via l’aéroport). Les limites journalières de dépôt de cash affichées par des banques locales sont importantes : près de 25 000 EUR pour un invidivu et 125 000 pour une entreprise (il existe de nombreuses société-écrans). En pra�que, dans l’Union Européenne le seuil de 10 000 EUR (voire 8 000 EUR) de retrait par mois entraîne une demande rigoureuse de jus�fica�on, une alerte, voire une inves�ga�on ou un blocage du compte.

Les transac�ons immobilières payées en cash, ou par cryptos, pour au moins 15 000 USD avec l’une de ces méthodes de paiement à risque, doivent aussi désormais être déclarées aux autorités à des fins de lu�e contre le blanchiment. En 2021, La Banque Centrale des Emirats Arabes unis a imposé des standards plus rigoureux en termes de suivi des transac�ons pour éviter le blanchiment d’argent. De nombreuses amendes furent imposées à des banques ou ins�tu�ons financières ayant des carences dans leurs pra�ques ou poli�ques de conformité. Ces mécanismes traduisent un volontarisme appréciable, la réalité quo�dienne en revanche est marquée par une abondance du cash et de ne pas poser de ques�ons. Ces pra�ques pourraient freiner la mise en place systéma�que de telles mesures, ou limiter la suite donnée au niveau de l’inves�ga�on, ou de la jus�ce…

CENTRE ET RELAIS FINANCIER VITAL POUR UNE PARTIE DE LA POPULATION SUR TERRE Dubaï est au cœur des trafics illégaux mais c’est aussi un centre financier relais vital pour une par�e de la popula�on sur terre, notamment au Pakistan, en Afghanistan, ou dans l’Est de l’Afrique…En effet, une par�e importante de la popula�on de ces pays dépend de l’aide envoyée depuis la diaspora en Europe, (EtatsRevue TB N°4 - 71

La facilité d’accès et l’emplacement géographique des Emirats a�rent le monde en�er et ses trafics ©unsplash

Unis, Moyen-Orient ou Asie)…Les envois se font ini�alement depuis l’Europe via le système bancaire interna�onal. Toutefois, les pe�tes structures dans ces pays n’ont souvent pas accès à SWIFT (qui interconnecte les ins�tu�ons financières). Lorsque des fonds sont envoyés depuis la diaspora vers un agent de change local (en Somalie, ou en Afghanistan), les fonds arrivent de l’Europe à Dubaï dans un premier temps.

L’agent de change local en Somalie va être aver� que l’argent a bien été reçu à Dubaï. Ce commerçant somalien va me�re dès lors les fonds à disposi�on du bénéficiaire en Somalie lorsqu’il se présente pour demander les fonds avec son iden�té et un mot de passe défini avec son contact de la diaspora en Europe.

Pour compenser ce�e sor�e d’argent du commerçant, des transporteurs vont récupérer l’argent à Dubaï et reme�re le solde au commerçant en Somalie (sur la base d’un très grand nombre d’opéra�ons). Une alterna�ve est que le commerçant somalien va recevoir des biens équivalent au prix de l’argent donné en cash en Somalie, vendre ces biens et se rembourser par le produit de la vente. Cela s’appelle la compensa�on des opéra�ons et ce système le hawala.

Le commerçant est qualifié de hawaladar Une commission est prélevée à chaque étape du circuit.

DUBAÏ : CHAMBRE DE COMPENSATION DES HAWALAS Ce système de hawala est très très prisé à Dubaï qui est « la chambre de compensa�on » des hawalas d’Afrique de l’Est, du Moyen-Orient et du souscon�nent Indien (voire même de l’Asie du Sud Est via certaines diasporas). Le hawala est essen�el pour perme�re à des régions d’accéder au système bancaire (via Dubaï). Cependant, ce système a déjà été détourné par plusieurs trafics et mouvements terroristes. Le premier est celui du trafic des migrants 72 - Revue TB N°4

éthiopiens vers le Golfe, où à chaque étape du parcours depuis Addis-Abeba un check est fait par les hawaladars pour s’assurer que la famille dans le Golfe a bien payé la par�e du trajet…ce système a parfois dérivé vers de l’extorsion et capture de migrants avec demande de rançons à la famille.

Le deuxième est le trafic de l’opium afghan : les flux proviennent d’Europe et sont virés vers Dubaï avant de finir dans des régions comme le Baloutchistan, le Khyber Pakhtunkhwa au Pakistan, ou en Afghanistan.

Le troisième est celui des flux d’armes depuis des stocks du Yémen vers la Somalie. Heureusement, les Emirats arabes unis (comme le Royaume-Uni) ont mis en place des règles visant à assurer un certain contrôle et conserver une traçabilité des opéra�ons (ce système repose ini�alement sur la promesse orale et la réputa�on des acteurs). Comme tout système économique, il est a prévoir que des acteurs opéreront de manière informel des hawalas ou autre système impliquant un transfert de fonds physique, un échange commercial, une opéra�on sous/surfacturé pour compenser une remise de cash ou de drogue…des gangster des balkans ont même mis en place un système ad hoc pour transporter du cash depuis l’Europe vers l’Equateur (afin de payer les producteurs de cocaïne), ou d’autres pour transporter le cash vers Dubaï pour l’inves�r.

De même, une bonne par�e des rece�es de cocaïne de la Costa del Sol fut transportée vers Dubaï via des hawala, transporteurs ou par virements depuis des sociétés-écrans. Ce système de hawala est vital pour la survie d’une par�e de la popula�on et les régula�ons doivent être prudentes et progressives pour ne pas me�re en danger des popula�ons en zones sensibles.

Les Emirats arabes unis ont une expérience à partager sur ce sujet et des méthodes pour s’assurer de ne pas couper une par�e de la popula�on, souvent en détresse, de l’aide de leurs proches.

DU SOFT POWER VERS UN HARD POWER RÉGIONAL ET UN RELAI MAJEUR POUR L’INITIATIVE CEINTURE ET ROUT DE PÉKIN ? « Le sponsoring » des Emirats arabes unis dans des secteurs prisés par le grand public confère un so� power important (football). Certains inves�ssements des émirats peuvent aussi s’avérer militaires ou stratégiques : exemple de la marine du Puntland formée et armée par les Emirats pour comba�re la piraterie somalienne (DP World a une zone franche en territoire somalien, à Berbera dans la region du Somaliland autoproclamée indépendante). Un autre exemple furent les ambi�ons des émirats sur certaines zones du Sud du Yémen avec un sou�en pour des milices armées au sein d’un conflit violent. Ces exemples géostratégiques exposent les ambi�ons Indo-Pacifiques des Emirats arabes unis. Dubaï s’inscrit aussi dans la stratégie Ini�a�ve Ceinture et Route de la Chine comme un pivot fondamental. Les zones franches sont des acteurs stratégiques pour Pékin, puisqu’essen�elles au commerce interna�onal. Le 8 juin 2023, la zone DMCC (Dubaï Mul� Commodi�es Centre, où se négocie l’or dans le quar�er des Jumeirah Lake Towers) a signé un accord de commerce avec la zone franche de l’aéroport de Pékin-Daxing. Les deux zones vont travailler de pair et tenter d’ établir un corpus de bonnes pra�ques pour devenir un modèle de coopéra�on entre zones franches. La Chine est déjà le premier partenaire des Emirats arabes unis, avec près de 12% du commerce des Emirats hors pétrole. Le directeur de DMCC men�onne que le commerce augmente de manière stable et rapide entre les deux pays. La Chine se réjouit car la zone franche DMCC cons�tue une rampe de lancement de l’Ini�a�ve Ceinture et Route. « L’institut Talleyrand œuvre pour le développement du secteur international dans la quête d’une stimulation intellectuelle collective.

Pour ce faire l'Institut met à votre disposition une source de productions qualitatives et quantitatives afin de nourrir votre curiosité et satisfaire votre désir de connaissance. Je puis d’ores et déjà vous assurer de notre motivation et notre détermination sans faille »

Dubaï, EAU ©unsplah

DÉFENSE

Dans l’ombre de l’Iran La force Al-Qods : Mythes et réalité d’un corps militaire unique Par Loïk MANACH - CINUP

Le corps des gardiens de la révolu�onn, un vivier d’hommes pour soutenir les intérêts iraniens ©MoD

La force Al-Qods fut créé en 1990, peut après la fin de la guerre entre l'Iran et l'Irak. Ce�e force est directement issue du corps des gardiens de la Révolu�on Islamique. Elle est aujourd’hui es�mée à environ 15 000 hommes, et est présente dans de nombreux pays. Mais, avant la Force Al-Qods, on trouvait dès 1982 l'existence d'un corps Qods. Qods en arabe, cela signifie Jérusalem.

L'objec�f de ce corps Qods était de mener les premières opéra�ons extérieures de l'Iran, et de soutenir les alliés naissants de la révolu�on Islamique.

Le premier commandant de la Force al Qods, et actuel ministre de l'Intérieur iranien, Ahmed Vahidi, servit au sein de ce corps Qods au Liban. Le corps Qods par�cipa à l'entrainement du Hezbollah, et aida directement les mouvements de la coali�on an�-israélienne jusqu'au 74 - Revue TB N°4

départ des Israéliens du Sud Liban en 2000. En 1990 donc, ce Corps Qods devient force al Qods, et sous l'influence des stratèges iraniens, notamment Quassem Soleimani, ce�e force va considérablement étendre ses ac�vités. On les trouve en Afghanistan, au côté de la minorité chiite Hazaras. Ils sou�ennent alors le par� Chiite Hezb e Wahdat contre les talibans, et appuieront directement les Américains lors du soulèvement an�-taliban d’Hérat. On trouve aussi la force Al-Qods dans la guerre de Bosnie, au côté du régime Bosniaque de Alija Izetbegovic. Durant ce�e période, la force Qods a suscité l'ire des occidentaux pour ses opéra�ons au Liban, mais elle n'a pas encore vu comme une menace interna�onale.

Mais, cela va rapidement changer après les événements du 11 septembre 2001. La force Qods va

considérablement inves�r en Irak et en Syrie, et elle va s'implanter solidement au sein des régions chiites irakiennes, peu après l'invasion du pays par les Américains.

« L'objectif de ce corps Qods était de mener les premières opérations extérieures de l'Iran, et de soutenir les alliés naissants de la révolution Islamique » La force Al-Qods va rapidement fédérer autour d'elle un réseau de milices chiites, comme les Asa'ib Ahl alHaq (ancienne milice de l'armée du Mahdi) ou le mouvement Badr, organisa�on composée d'Irakiens chiites qui s'étaient exilés en Iran pour fuir le régime de Saddam Hussein. La force Al-Qods va rapidement mener des ac�ons contre les troupes américaines en Irak, mais également contre les ennemis de l'Iran. On peut notamment citer la Bataille de Bassora, ou la force al Qods et ses alliés vont appuyer le gouvernement irakien contre les milices Sadristes qui tenaient solidement la ville. La force al Qods se déploie aussi en Syrie dès le début de la guerre civile, afin d'appuyer le régime de Bashar al Assad et de réduire les différents soulèvements dans le pays. L'aide militaire apporté par la force Al-Qods a permis de créer de nouvelles milices, renforcer une armée qui était en débandade, et a sans doute été plus impactant sur le terrain que l'aide russe.

Sur les fronts annexes, on trouve aussi la force AlQods au côté du mouvement Hou�s au Yémen, contre le gouvernement reconnu par l'ONU. On trouve aussi des traces de la force Al-Qods au côté du Jihad Islamique pales�nien et du Hamas en Pales�ne. Mais, la force Al-Qods n'est pas seulement un corps militaire et c'est bien cela son principal avantage. La force AlQods a su fédérer autour d'elle un réseau important de milices chiite locales avec lesquelles elle collabore ac�vement. Ce�e stratégie, mise en place par Quassem Soleimani, a consisté à �sser d'importantes alliances avec des tribus, par�s ou milices locales. La force Al-Qods se charge ensuite de l'entrainement poli�que et militaire desdites milices. On peut citer entre autres la « force de défense na�onale » en Syrie et les « forces de mobilisa�ons populaires » en Irak.

L’idée derrière ce�e stratégie est de disposer de forces comba�antes qui pourront, à terme, exercer aussi un contrôle poli�que sur les territoires occupés et ne seront pas vues comme des forces d'occupa�on.

On peut notamment le voir avec l'implanta�on au Parlement irakien du mouvement Badr et des sou�ens de la FMP. Ce�e stratégie se confond avec celle de l'axe de la résistance, ou axe de la ré�vité, promu par le

Le général Soleimani, ancien commandant de la force Al-Qods éliminé en 2020 par l’US Air Force ©StefanoBrivio

gouvernement iranien. Quassem Soleimani a été un élément clé de ce�e stratégie, car il a réussi à inclure tous les mouvements chiites sous son contrôle dans une mission transna�onale. Si l'on reprend le cas syrien, on a pu voir des milices irakiennes (Kataeb Hezbollah) et libanaise (Hezbollah) rentrer en Syrie pour fournir un appui aux troupes gouvernementales.

On a aussi vu des divisions composées de chiites afghans (Liwa Fateymyoun) et pakistanais (Liwa Zyneybyoun) être déployées dans les zones de combats en Syrie afin de fournir un appui dans les combats. On voit donc ici que la force Al-Qods a réussi à créer une Interna�onale du chiisme. Cela se retrouve aussi dans l'usage des diasporas chiites par la force AlQods. Si l'on reprend le cas d'Ahmed Vahidi, celui-ci a notamment u�lisé la diaspora libanaise chiite en argen�ne afin de mener les a�entats de Buenos aires, et s'installer dans la zone des trois fron�ères en Amérique du Sud. La force al Qods est donc au cœur de la stratégie d'axe de la résistance prônée par le gouvernement iranien, et elle en a été un des promoteurs les plus ac�fs. Mais, il faut dis�nguer la force Al-Qods du reste des gardiens de la révolu�on, et bien comprendre que la force Al-Qods est rela�vement autonome. La force al Qods a une influence non négligeable sur la diploma�e iranienne.

En effet, les ambassadeurs de l'Iran en Irak, Syrie, Afghanistan et Liban sont choisis par la force al Qods, et souvent sont directement des membres de la force Al-Qods. Cela avait notamment été confirmé par le général Petraeus, qui, lors d'une discussion avec le général Quassem Soleimani, s'était vu dire que « rien Revue TB N°4 - 75

à Bagdad ne se faisait sans son consentement ». Ce�e poli�que du règne dans l'ombre con�nue aujourd'hui sous la direc�on de Esmaeel Quaani. Celui-ci a longtemps été le numéro deux de Quassem Soleimani, et a été responsable de la poli�que de la force Al-Qods en Afghanistan et au Pakistan. C'est notamment lui qui a développé l'idée de créer des milices chiites Hazaras pour appuyer l'effort iranien en Syrie. Quaani, contrairement aux autres généraux des gardiens de la révolu�on, n'est pas une figure très média�que. Là où Hossein Salami, commandant des gardiens, mul�plie les sor�es média�ques pour tour à tour menacer Israël ou glorifier l'ac�on des gardiens, Quaani reste dans l'ombre.

Pourtant, son rôle dans la région est incontournable.

Lors de la crise poli�que irakienne, c'est notamment Esmaeel Quaani qui est intervenue auprès des différentes fac�ons poli�ques irakiennes afin de calmer la situa�on. Il a d'abord renforcé les alliances entre les mouvements chiites issus de la FMP, le mouvement Badr ainsi que le par� Dawa. Il a ensuite rencontré les différentes fac�ons kurdes afin de les séparer du mouvement Sadriste irakien. Enfin, il a fait en sorte que des leaders du mouvement Sadriste, comme l’ayatollah Sayyid Kazem Al-Hairi change de camps, facilitant ainsi la fin des tensions avec les Sadristes. Grâce à son jeu poli�que habile, les Sadristes ont dû abandonner leur protesta�on, et un leader issu du par� pro iranien Dawa Mohammed chia Ali Soudani.

Ce nouveau gouvernement a d’ailleurs accepté immédiatement certaines demandes iraniennes, comme le remboursement des factures énergé�ques dues à l'Iran. Cela concerne aussi des probléma�ques irakiennes, on a notamment vu le gouvernement de 76 - Revue TB N°4

monsieur Ali Soudani renoncer au désarmement des milices chiites irakiennes, demande répétée de l'opposi�on ainsi que du mouvement Sadriste. La force Al-Qods n'est donc pas seulement capable de mener des opéra�ons militaires, mais elle est aussi capable d'influer la vie poli�que de certains pays grâce à des alliances, son réseau de diplomates, et ses déploiements stratégiques.

Aujourd’hui, les déploiements de la force Al-Qods sont toujours plus nombreux. Outre les pays de l'arc chiite (Syrie, Irak, Liban), on trouve la force Al-Qods en Pales�ne, renforçant l'opposi�on à Israël. Cela implique notamment un sou�en au Jihad islamique pales�nien, avec des équipements modernes, notamment dans le domaine balis�que. La force Al-Qods pourrait aussi réac�ver le mouvement al Saberin, mouvement chiite pales�nien, dont la loyauté envers l'Iran a été prouvée.

Mais, la force Al-Qods ne se limitera pas à ce�e zone éternellement. Les mesures prises en Azerbaïdjan pour restreindre les influences étrangères sont un signe clair que le régime d’Aliev craint une infiltra�on de la part de la force Al-Qods : lu�e contre le clergé chiite, fermeture de médias jugés proche de l'Iran, etc.

Déjà, la force al Qods peut s'appuyer sur un réseau d'exilés azéris, Hüseynçilər, mouvement chiite dont certains comba�ants ont servi au côté des troupes de la force Al-Qods en Syrie. Alors que l'influence iranienne sur le croissant chiite se renforce, et que l'Azerbaïdjan se rapproche d’Israël, il ne serait pas surprenant que la force al Qods tente d'infiltrer l'Azerbaïdjan.

« Son rôle dans la région est incontournable. Lors de la crise politique irakienne, c'est Esmaeel Quaani qui est intervenue auprès des différentes factions irakiennes pour calmer la situation » On peut aussi imaginer qu'avec le renforcement des tensions entre l'Iran et l'Afghanistan, la force al Qods puisse sur le long terme s'impliquer au sein du pays.

On sait notamment que la minorité Hazaras souffre de mauvais traitements de la part des talibans , et il est probable que les gardiens essayent d'appuyer ce mouvement, que ce soit au travers des divisions chiites afghanes, qui pourraient revenir en Afghanistan, ou en u�lisant l'influence du Hezb e Wahdat. En conclusion, la force Al-Qods est responsable de la majorité des coups d'éclats a�ribués aux gardiens de la révolu�on.

Mais, elle n'est pas seulement une force militaire, et sait aussi devenir une force poli�que et diploma�que quand cela est nécessaire.

« Le CINUP, Comité Interuniversitaire des Nations Unies de Paris est la fédération de 21 associations de Nations Unies franciliennes, issues des hautes institutions estudiantines telles que Sciences Po, HEC, l’ESSEC, Dauphine, la Sorbonne. Le CINUP regroupe 2300 étudiants, et organise des conférences et colloques, visites d’ambassade et d’institutions internationales, un podcast, publie un magazine et de la recherche... Retrouvez les sur les réseaux sociaux, et cinup.fr ! »

Parade militaire en commémora�on de la guerre Iran-Irak ©AP

DÉFENSE

Egypte Des sous-marins pour la Méditerranée Par Défense Insider - La première chaine Youtube française de Défense

Le président égyp�enAbdel Fa�ah al-Sisi lors d’exercices mari�mes en méditerranée ©Egypt’s Government

La marine égyp�enne fut équipée majoritairement dans la deuxième moi�é du ving�ème siècle par l’URSS puis par des navires de seconde main des marines otaniennes après l’effondrement de leur principal partenaire. Les sous-marins n’y ont pas fait excep�on avec plusieurs classe Romeo désormais re�rés du service. Le degré actuel d’implica�on de l’Egypte dans la géopoli�que méditerranéenne pousse à l’achat de matériel rapidement disponible tout en restant dans un cadre financier acceptable pour des forces armées qui ont déjà lourdement inves�es dans leur modernisa�on. Défense des intérêts énergé�ques, contrôle du canal de Suez et crédibilité face à ses compé�teurs stratégiques, les sous-mariniers égyp�ens seront sur tous les fronts. Nous tenterons de vous fournir un maximum d’élément de contexte et 78 - Revue TB N°4

d’explica�ons sur l’u�lisa�on de l’arme sous-marine pour que vous puissiez appréhender au mieux les performances des unités égyp�ennes.

LA DOTATION Les forces sous-marines égyp�ennes viennent de terminer une phase de renouvellement capacitaire de leurs unités s’étalant sur une décennie. Ce�e séquence s’inscrit aussi dans une réorienta�on globale des fournisseurs et ce pour les forces armées égyp�ennes en général. L’inventaire est désormais composé de huit sous-marins à propulsion classique. Nous entendons par là le couple entre des moteurs diesels et des ba�eries pouvant chacun propulser le navire et alimenter son réseau force. Quatre bâ�ments dans

chaque classe avec des capacités n’étant pas du tout dans les mêmes catégories. A savoir quatre classe Romeo mod issues des chan�ers navals chinois, aussi nommé le type 033G ES5B, et quatre type 209/1400 de la célèbre firme allemande ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS).

Les type 033G (numéro de coque 849,852,855 et 858) ont été livrés entre 1982 et 1984 durant la période d’arrivée au pouvoir du l’ancien président Hosni Moubarak qui même s'il réprime les mouvements communistes dans son pays main�ent la coopéra�on sur ce projet avec Pékin. L’évolu�on de la géopoli�que égyp�enne amènera en 1993 les type 033 à être modernisés par les Américains via l’entreprise Tacoma Boatyard (Washington) leur perme�ant d’u�liser des missiles an�navires et de renouveler certains équipements embarqués (suite sonars). En 2023, la marine égyp�enne et nordcoréenne sont les dernières opératrices de sousversions de la classe Romeo.

Le grand bond en avant qualita�f vient de la commande en 2011 de deux type 209/1400 (version la plus récente) avec une op�on d’achat pour deux autres qui sera rendue effec�ve en 2015. Fabriqués par le prolifique chan�er naval de Kiel proche de la fron�ère avec le Danemark sur les rives de la Bal�que. Les noms de baptêmes des sous-marins sont rus�quement S41, S42, S43 et S44. Construits avec un temps moyen de 57 mois, les livraisons seront maintenues dans les temps pour les deux derniers malgré la pandémie de Covid-19. Elles se sont échelonnées pour une récep�on par les marins égyp�ens respec�vement en avril et août 2017 (S41/42) puis avril 2020 et juillet 2021 (S43/44). Ce�e mise service et la cérémonie officielle se faisant à Kiel même, les navires n’étaient réellement opéra�onnels qu’après un transit de 4200

milles nau�ques (7800 km) jusqu’à leur port d’affecta�on d’Alexandrie. L’avantage des achats sur étagères est bien évidemment pour le Caire une réduc�on des coûts. Lissé sur l’intégralité de la période de commande et de construc�on, le prix des quatre sous-marins avoisinent les 1.5 milliards d’euros. Les forces sous-marines égyp�ennes prévoient ainsi un contrat opéra�onnel perme�ant d’avoir une unité en période d’entre�en, une en entraînement, une à la mer et la dernière parée à répondre à une urgence de défense na�onale.

La relève des type 033 se posent de manière assez pressante et ce marché a�re les plus folles rumeurs tout comme la prépara�on de la BITD (base industrielle et technologique de défense) française à répondre en me�ant en avant le Shor�in Barracuda.

Version à propulsion classique des types Suffren évincés par l’Australie, l’Egypte reste un débouché poten�el tout en répondant à ses défis de sécurité mari�me méditerranéenne.

LES CAPACITÉS DU TYPE 209/1400 Le type 209/1400 est un navire compact de 62 mètres pour un poids en plongée de 1810 tonnes. Sa coque lui permet une immersion opéra�onnelle de 250 mètres, ce qui est suffisant pour le domaine d’emploi qui lui est dédié. Le degré d’automa�sa�on rela�vement avancé permet un équipage théorique de 30 marins. Sa mobilité est assurée par quatre moteurs diesels MTU V12 perme�ant de charger quatre ba�eries. Elles sont répar�es à l’avant et à l’arrière du massif afin de limiter un maximum la différence entre centre de gravité et centre de carène.

Réserves vitales pour la conduite du bâ�ment leur poids concours pour 25% dans le devis de poids. La

Sous-marin Type 209/1400 ©Egyp�an Navy

chaîne cinéma�que entraîne un propulseur à sept pales en lames de sabre qui se termine par un diffuseur limitant la cavita�on comprimée.

L’endurance de 50 jours à la mer est largement suffisante pour le domaine d’emploi égyp�en tout en étant associé à une autonomie de 15 milles kilomètres en marche au schnorchel à une vitesse de 10 nœuds.

Bien sûr ces chiffres perme�ent de définir une enveloppe et ne sont pas représenta�f du comportement du sous-marin. La charge ba�erie à l’immersion périscopique n’étant pas un mode de transit viable, l’autonomie sur de longues distances dépend du couple consomma�on de gazole et état de santé des accumulateurs qui au fur et à mesure vont voir leur coefficient de récupéra�on diminuer. Plus intéressante à appréhender, l’autonomie en immersion profonde sur propulsion électrique seule est évaluée à 700 kilomètres pour 4 nœuds. Ceci permet une certaine marge de manœuvre en lu�e an�-sous-marine que l’on ne retrouvera pas en lu�e an�navire. En effet les type 209/1400 privilégieront l’embuscade à la poursuite, idéale lorsque que l’on doit défendre ses eaux territoriales ou garder le canal de Suez côté Mer Rouge. La vitesse maximale donné pour 21 nœuds est donc une informa�on rela�ve et n’est intéressante que dans le cadre de manœuvre de dérobement.

Ses capteurs au vu de la jeunesse des bâ�ments peuvent être considérés comme excellents, tout comme le niveau de discré�on acous�que. Le porteur étant connu depuis plus de trente ans, TKMS a eu tout loisir pour le rétrofité avec les dernières innova�ons notamment d’Atlas Electronik et Saab Grintek Avionics.

De plus, l’entraînement se faisant pour moi�é en Allemagne, le savoir-faire des équipages égyp�ens connait une vraie montée en gamme. Côté armement, un couple classique torpilles lourdes et missiles an�navires à changement de milieu mise en œuvre via 8 tubes de 533 millimètres. L’UGM-84 Harpoon Block II lui confère une capacité d’engagement à distance de sécurité (environ 60 nau�ques en fonc�on des condi�ons environnementales) mais qui est d’une indiscré�on extrême. Néanmoins le �r d’une salve de

Harpoon sur une force de surface va à court terme la désorganiser le temps qu’elle me�e en œuvre ses moyens d’autodéfense et qu’elle reprenne sa forma�on à l’issue. Cela peut perme�re à un second sous-marin par exemple de pénétrer le disposi�f adverse pour frapper manière véritablement létale avec une torpille lourde. La charge militaire étant tout de même de 221 kilogrammes pénétrant à Mach 0.85, les dégâts sur les superstructures diminueront grandement les capacités de combat de la cible. L’idéal étant de toucher la HVU (high value unit) afin de ne pas perdre le temps de recharge des tubes et de subir la contre-a�aque des escorteurs. L’arme reine restant la torpille Sea Hake Mod4 (version export de la DM2A4 allemande). Développé par Atlas Elektronik, elle u�lise une propulsion électrique et est bien sûr filoguidable avec une phase terminale autonome à l’aide d’un sonar ac�f interne à la torpille. Ce�e version est le modèle le plus avancé de la firme allemande notamment avec des capteurs acous�ques panoramiques possèdent des angles de détec�on très prononcés (+/- 100° horizontal, +/- 24° ver�cal). Ses quatre ba�eries au zinc/argent lui confèrent une portée de plus de 50 kilomètres (27 nau�ques) et une vitesse de plus de 50 nœuds (environ 90 kilomètres/ heure). La charge militaire composée de 260 kilogrammes de PBX (explosif en poudre polymérisé) équivalent à 460 kilogrammes de TNT, une puissance suffisante pour déchirer n’importe quelle coque épaisse actuellement en service.

Mis en œuvre par un équipage éprouvé et formé selon les normes otaniennes, les types 209/1400 égyp�ens sont de redoutables chasseurs détenant un rapport qualité/prix pour la na�on égyp�enne quasiimba�able.

LES CAPACITÉS DES TYPE 033G Le constat est clair, ces bâ�ments sont obsolètes dans tous les domaines. La marine égyp�enne s’efforce de les cantonner dans des missions d’entraînement ou de patrouille limitée. Néanmoins, dans le cadre d’un conflit peuvent-ils encore avoir un

Les sous-marin Type 033G ont été vendus par la Chine dans les années 80, ils sont aujourd’hui obsolètes ©Egyp�an Navy

effet opéra�onnel ? Très proche en termes de poids en plongée des type 209, leur longueur de 77 mètres est le témoin d’un design ancien. Assez éloigné d’un profil albacore, leur vitesse en plongée ne dépasse pas les 13 nœuds, les rendant inapte à la lu�e contre des frégates modernes propulsés par des turbines à gaz. La modernisa�on de 1993 par les Américains mais aussi les Allemands a permis d’améliorer la suite sonar et l’armement. Le sonar Snoop Plate (DBQS-21F) possède des performances limitées qui même bien exploitées ne perme�ent la mise en œuvre que de torpilles NT-37F (dernière version des anciennes Mark-37 américaines), une arme lente et peu manœuvrante. Le vrai progrès est la modifica�on des tubes lancetorpilles pour perme�re l’u�lisa�on des UGM-84 Harpoon. Les vieux successeurs des Romeo se retrouvent alors propulsés dans un domaine d’emploi où l’embuscade de navires peu ou pas escortés est possible. U�lisés en protec�on des ports ou des entrées/sor�es du Canal de Suez, les type 033 auraient encore leur mot à dire. La faiblesse de leurs capteurs nécessitant sans doute des navires ou des aéronefs en éclairage.

LES MISSIONS Comme nous l’avons vu précédemment les deux types de sous-marins en service possèdent un écart certain en termes de performances et seront donc affectés de manière différenciée sur les théâtres d'opéra�ons. Tout d’abord, les missions essen�elles sont la défense territoriale notamment en lien avec les gisements exploités dans la ZEE égyp�enne. Les interac�ons avec les marines voisines restent limitées mais se sont normalisées. La probabilité de conflit avec Israël s’étant largement réduite c’est vers des zones plus lointaines que les déploiements vont s’opérer.

Première zone de patrouille en vue la Libye. On a pu voir des type 033G avec des caissons sur la plage arrière dénotant la pra�que d’inser�on de nageurs de combat, les type 209/1400 pouvant aussi insérer des forces spéciales par d’autres modes (aucun Dry Deck Shelter n’étant prévu ini�alement) comme l’approche en surface ou l’u�lisa�on à faible immersion des tubes lance-torpilles. Le sou�en des forces du Maréchal Ha�ar ainsi que des missions ISR pourraient être l’un des volets du sou�en égyp�en aux forces de Tobrouk.

L’objec�f pourrait être double en rentrant en compé��on avec le rival stratégique turque en méditerranée orientale. En effet, la présence de la marine turque en sou�en du gouvernement de Tripoli met de facto les navires d’Ankara au contact de la zone d’influence cairote.

Seconde zone de patrouille toujours dans la même dynamique de recueil de renseignements et de présence navale, le nord de la Medor et son ac�vité russe autour de la Syrie provoque un engagement constant de marines du monde en�er, les sousmariniers ne pouvant décemment pas se tenir à l’écart

de ce grand ballet et des coopéra�ons ouvertes avec des navires de l’OTAN. En effet, l’expérience au contact de marines professionnelles performantes manque, les exercices interna�onaux étant l’occasion de conserver le savoir-faire de base tout autant que de perfec�onner voire créer une doctrine égyp�enne de l’u�lisa�on du sous-marin classique en haute mer.

La troisième zone d’intérêt serait l’intégralité de la mer Rouge. Bien sûr afin de sécuriser la route conduisant ou venant du détroit du Bab-el-Mandeb mais aussi afin de se préparer à de poten�els conflits régionaux. Surveillance des côtes soudanaises dans une période d’évolu�on poli�que incertaine, main�en d’une veille vis-à-vis du Yémen ou plus hypothé�quement blocus volontaire du corridor vers Suez pour les navires commerciaux ou militaires hos�le à l’Egypte.

L'AVENIR Le remplacement des type 033G se posant déjà, de nombreuses na�ons occidentales pra�quent un lobbying intensif pour ne pas être doubler sur ce futur juteux contrat. La France pourrait se posi�onner avantageusement grâce à sa BITD sous-marine dynamique et reconnue mondialement. TKMS reste bien sûr une candidate sérieuse, notamment avec les dernières itéra�ons du type 214.

En interne les marins égyp�ens doivent accomplir le délicat virage de la transforma�on de leur équipage sur ce nouveau porteur tout en préparant la généra�on suivante pour la classe remplaçante des 033. Le niveau global devrait s’aligner pe�t à pe�t sur les standards occidentaux mais pour cela il faudra répondre à plusieurs défis. Tout d’abord celui du taux de disponibilité dans une arme navale dispersée sur de nombreux types de bâ�ments et faisant appel à une exper�se extérieure importante. Ensuite de la fidélisa�on de son personnel peu rompu au combat naval, d’une moyenne d’âge basse dans un pays à la démographie dynamique et en proie à une certaine instabilité poli�que. Le développement d’une arme sous-marine moderne nécessite une certaine abnéga�on couplée à une bonne dose d’adaptabilité.

La na�on égyp�enne s’est procuré de formidables machines, elle va devoir prouver qu’elles ne sont pas que le nouveau �gre de papier de l'échiquier méditerranéen.

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DÉFENSE

Le drone, un marché en quête d’autonomisation Par J. GUÉRIN � Comité Moyen-Orient et monde arabe �J����� IHEDN�

L’Iran s’est démarquée avec la Turquie en tant que puissance régionnale capable de développer et u�liser des drones ©IAF « La demande en drones (UCAVs en anglais) augmente rapidement dans les pays en développement, au Moyen-Orient, en Extrême-Orient et en Afrique. Le Golfe est essen�el dans tout cela ».

Ces mots sont ceux de Sello Ntsihlele, directeur exécu�f chez Denel Dynamics, principale firme sudafricaine de défense. Ils ont été prononcés en marge de la 16ème édi�on de l’Interna�onal Defence Exhibi�on and Conference (IDEX), en février 2023 à Abu Dhabi. Si le marché régional des systèmes aériens sans pilote¹ est encore ne�ement dominé par les entreprises étrangères, des industries d'armement de « second rang » se dis�nguent déjà dans la région.

Symbole de l’évolu�on du warfare, le drone a en effet connu ces dernières années un véritable boom industriel au Moyen-Orient².

L’exemple généreusement documenté du drone turc MALE (medium-al�tude long-endurance) Bayraktar TB2, produit par la société Bayrak Makina, aura donné corps à une abondante li�érature sur le sujet. Aussi, face aux industries israéliennes et turques, les plus 82 - Revue TB N°4

embléma�ques de la région, des États comme les Émirats Arabes Unis (ADCOM Systems, FED), l’Arabie Saoudite (Saudi Arabian Military Industries, General Authority for Military Industries) ou l’Égypte cherchent également à renforcer leur produc�on locale. Ce foisonnement industriel aura inspiré de nombreux ar�cles, tous plus enthousiastes les uns que les autres.

Enfin, il ressort qu’à travers ce�e compé��on industrielle, c’est avant tout un leadership régional que les États se disputent³.

UNE DEMANDE CROISSANTE SUR UN MARCHÉ RÉGIONAL LARGEMENT DÉSERTÉ PAR LES ÉTATS-UNIS La gourmandise du Moyen-Orient en importa�ons d’armement est bien connue. Pendant la période 2013-2017, ces dernières s’élevaient à 90% de ses dépenses militaires, d’après les chiffres du Stockholm Peace Research Ins�tute (SIPRI). Le marché du drone civil et militaire n’échappe pas à ce�e tendance.

D’après un rapport du cabinet de conseil Mordor Intelligence, le marché des drones, civils comme militaires, au Moyen-Orient et en Afrique devrait enregistrer un TCAC⁴ de plus de 8 % au cours de la période de prévision 2020-2025⁵. Ces pronos�cs s’expliquent par une forte demande en UCAVs⁶, principalement localisée en Afrique et au MoyenOrient.

Le drone voit ses usages se diversifier. En Afrique et au Moyen-Orient, la persistance de conflits asymétriques et de menaces sécuritaires, éparses et mouvantes, rendent par ailleurs nécessaire la provision en UCAVs. L’empreinte des États-Unis dans ce domaine est beaucoup plus faible du fait des restric�ons dans la vente de drones aux pays du Golfe.

Le vacuum laissé par les États-Unis fait la part belle aux industriels sud-africains, chinois et plus tardivement turcs pour lesquels les terrains africains et moyenorientaux représentent un marché par�culièrement a�rac�f. Pieter Wezeman, chercheur associé au SIPRI, a néanmoins rappelé la poten�alité d’une coopéra�on approfondie entre Abou Dhabi, Washington et Tel Aviv, grâce à la signature des accords d'Abraham en 2019 et à la normalisa�on des rela�ons entre les EAU et Israël.

A �tre d’exemple, les sociétés émira� Edge et israélienne IAI seraient parvenues à me�re en place une collabora�on pour un système de contre-UAV autonome. En février 2023, un premier contrat d’armement avait été conclu entre les États-Unis et les EAU. Thomas Kelly, sous-secrétaire adjoint principal au Bureau des affaires poli�co-militaires du département d'État américain, avait ajouté qu’il était peu probable que l’accord s’étende à d’autres États de la région.

que plus tardivement leur intérêt pour la ques�on. Les industries émira�es et saoudiennes, présentées comme prome�euses, s’appuient pour le moment essen�ellement sur les sou�ens étrangers, principalement sud-africains, chinois et turcs.

AUX ORIGINES DE LA PRODUCTION LOCALE D’UCAVS, LA VOLONTÉ D’AUTONOMIE STRATÉGIQUE Pour Jean-Loup Samaan, chercheur associé à l’IFRI, le marché régional du drone militaire s’est intensifié depuis une dizaine d’années⁷. L’indigénisa�on des industries de défense a suivi une trajectoire différenciée. Les États de la région, conscients de leur extrême dépendance aux matériels militaires occidentaux, cherchent à s’en extraire en développant leur propre base industrielle et technologique de défense (BITD). Pour la Turquie, la prise de conscience s’est faite avec l’embargo des États-Unis sur les armes, à la suite de l’invasion puis l’occupa�on de Chypre en 1974. Plus récemment, la crise turco-israélienne de 2010 sur la flo�lle du Mavi Marmara puis le refus du Congrès américain en 2016 d’exporter des MQ-9 Reaper ont catalysé un processus d’autonomisa�on stratégique en cours depuis une quarantaine d’années.

Déjà bien engagée dans ce�e course à l’autonomisa�on, Ankara cherche désormais à favoriser, dans ses propres drones, le remplacement des nombreux composants étrangers par des éléments locaux⁸.

« Le marché des drones, civils comme militaires, au MoyenOrient et en Afrique devrait enregistrer un TCAC⁴ de plus de 8 % au cours de la période de prévision 2020-2025 » Les ar�cles de presse vantant les mérites des industries « indigènes » ne tarissent pas d’éloges sur la qualité et la fulgurance avec laquelle les États de la région parviendraient à assurer la produc�on locale d’UAVs. Les principaux pays constructeurs de drones au Moyen-Orient, en volume d’exporta�on, sont sans conteste Israël et la Turquie, qui comptent de grands noms (IAI, Elbit Systems pour Israël, Baykar Makina, STM, TAI, Vestel/Lentatek pour la Turquie).

Pour l’heure, seuls la Turquie, l’Iran et Israël seraient parvenus à « indigéniser » leur produc�on d’UAVs. Des États comme les EAU, l’Arabie Saoudite, l’Égypte, ou dans une moindre mesure le Qatar, n’ont manifesté

L’Arabie Saoudite c’était vu refuser l’obten�on de drones américains, elle développe depuis peu en collabora�on avec la Chine un drone pour le royaume ©USAF

L’Iran, autosuffisant en armement, mature depuis les années 70 un programme industriel dans le but d’assurer sa défense dans un environnement régional hos�le⁹. Forte d’une industrie militaire en plein essor, la République islamique conçoit ses propres drones (Shahed, Mohajer 6, Ababil-3, Kaman-12). Dans une stratégie souvent qualifiée de « dissuasive » et de « défensive », Téhéran en avait longtemps limité les exporta�ons à ses mandataires régionaux, principalement en Syrie et en Irak (milices chiites, branches du Hezbollah), avant d’en exporter à des États « alliés » (Venezuela) ou intéressés (Éthiopie).

Plus récemment, l’envoi d’UCAVs à Moscou, alliée de circonstance, avait suscité les craintes de Washington.

Aussi, dans un contexte diploma�que globalement plus favorable à Téhéran, on peut légi�mement s’interroger sur les poten�alités du drone iranien comme ou�l d’influence, en Afrique du Nord (Algérie), de l’Est (Kenya) et en Amérique La�ne notamment.

Les États du Golfe, dépendants des importa�ons étrangères, accusent un retard dans le développement de leur BITD, compara�vement aux Turcs et aux Iraniens. La proliféra�on des drones et missiles iraniens, dans le contexte de l’interven�on au Yémen puis l’absence de sou�en de la part de l’administra�on Trump en 2019 ont mo�vé les États du CCG à renforcer leur arsenal en UAVs. Si ces États con�nuent d’avoir recours aux importa�ons d’armes, les Émirats et l’Arabie Saoudite (le Qatar et Oman, dans une bien moindre mesure) se dis�nguent néanmoins par une prise de conscience qui s’illustre notamment par le très ambi�eux (et irréaliste) Plan Vision 2030, présenté par Mohammed ben Salmane en 2016 et qui prévoit notamment une augmenta�on de +50% du budget

alloué aux entreprises locales. Ce plan, des�né à sor�r le Royaume de sa dépendance à la rente pétrolière, porte au pinacle l’industrie du drone, que Riyad affirme considérer comme l’avenir de l’industrie militaire. Cet intérêt pour l’engin volant répond aussi à des enjeux réputa�onnels, la Royal Saudi Air Force souhaitant augmenter son pres�ge régional.

LE DRONE COMME INSTRUMENT D’INFLUENCE DIPLOMATIQUE : L’EXEMPLE DU BAYRAKTAR TB2 L’absence de l’acteur américain dans le marché moyen-oriental et la perte d’influence de l’industrie militaire russe depuis le début du conflit ukrainien sont deux éléments qui ont permis à des acteurs régionaux de renforcer leur rayonnement dans l’industrie du drone. Le drone Bayraktar TB2, de classe MALE en est sans doute le symbole le plus éloquent. Celui-ci, d’un coût unitaire inférieur à cinq millions de dollars, se veut le concurrent du MQ-9 Reaper américain, performant mais plus coûteux. Il cons�tue une alterna�ve efficace au drone Wing-Loong chinois, très populaire en Afrique, mais dont la réputa�on d’engin « low cost » lui colle à la peau. La volonté d’États aux ressources limitées d’acquérir un arsenal dense, peu coûteux mais de qualité suffisante explique aussi la demande croissante pour un matériel militaire « bon marché ». Ainsi, le TB2 pourrait durablement rafler la mise aux drones chinois. Le commerce de drones permet à Ankara de renforcer ses liens économiques avec de précieux partenaires commerciaux, dans le cadre d’une « diploma�e transac�onnelle ». La Turquie a enfin renforcé son poids en tant que leader régional

Le TB3, sucesseur du TB2, ici dévoilé au Teknofest à Istanbul en 2023 ©IHA

auprès des États du Golfe qui ont fait montre d’intérêt pour renforcer leur coopéra�on avec Ankara. Quant à ces derniers, évidemment intéressés pour bénéficier de l’exper�se turque, ils sont tout à fait conscients des limites de ce�e coopéra�on, qui �ent avant tout de la convergence d’intérêts.

« L’absence de l’acteur américain dans le marché moyen-oriental et la perte d’influence de l’industrie militaire russe depuis le début du conflit ukrainien sont deux éléments qui ont permis à des acteurs régionaux de renforcer leur rayonnement » Selon Léo Péria-Peigné, chercheur associé à l’IFRI, les guerres en Libye, au Haut-Karabagh et plus récemment en Ukraine ont contribué à renforcer son pres�ge¹⁰. Le « pe�t drone turc », en faisant ses preuves sur le terrain, a acquis le statut d’équipement « combat proven ». Très conscient de la « success story » incarnée par le Bayraktar TB2 (« porte-étendard » en turc)¹¹, le gouvernement turc incite financièrement les entreprises à inves�r dans la produc�on d’UAVs. Pour Émile Bouvier, chercheur indépendant spécialisé sur la Turquie, le Bayraktar TB2 est comparable à un « ou�l de hard power au service du so� power turc »¹². Le drone est un instrument qui permet à Ankara d’opérer une stratégie d’influence qui répond à la poli�que pragma�que d’Erdoğan¹³, poli�que rendue nécessaire par un environnement régional instable. Le drone sert également de levier à la présence militaire turque en dehors de ses fron�ères na�onales, en par�culier sur le terrain africain, un terrain vierge pour la Turquie¹⁴.

La Turquie voit dans la demande croissante en drones bon marché, principalement localisée en Afrique, une fenêtre d’opportunité qui lui permet de renforcer sa diploma�e locale, de « fluidifier » ou de « réparer des rela�ons » avec tout un éventail d’États. Enfin, dans son environnement régional, en par�culier dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Turquie u�lise le commerce de drone pour conserver sa posi�on équilibrée, la fourniture de drone étant un sou�en militaire plus discret et moins significa�f que les exporta�ons d’armes lourdes. Ce�e stratégie s’inscrit dans la con�nuité de la doctrine dite « zéro-ennemi », dessinée sous le ministère de Davutoğlu et qui avait permis à la Turquie de me�re en œuvre une poli�que de puissance sans abîmer ses rela�ons étrangères.

Salon mondial de la défense d’Arabie Saoudite ©AFP

LA DIVERSIFICATION PARTENARIALE AU COEUR DES STRATÉGIES ÉMIRATIES ET SAOUDIENNES Jusqu’à récemment, l’intérêt des États du Golfe pour les UAVs était resté très discret. Des 6 États du CCG, seuls l’Arabie Saoudite et les EAU auraient, pour l’heure, significa�vement développé leur BITD. Leurs programmes respec�fs répondent avant tout à une quête d’autonomie stratégique, et ont aussi certainement été inspirés par la « success story » turque. Si l'industrie saoudienne du drone aurait débuté dans les années 2000, d'après Khaled alHossan, c’est avec le drone MALE Saqr 1 qu’elle a commencé à faire parler d’elle. Ce drone, développé par le King Abdulaziz City for Science and Technology (KACST) à par�r du design de l’UAV sud-africain Bateleur MALE par Denel Dynamics, avait été présenté en 2017 au Dubaï Airshow.

Il s’est notamment illustré sur le terrain yéménite, qui lui a vraisemblablement servi de laboratoire. Avant l’Arabie Saoudite, ce sont surtout les EAU qui sont parvenus à s’illustrer dans ce�e industrie, dans le cadre de leur « Project of the 50s ». Forts de leur rayonnement interna�onal, ils se sont appuyés sur leur statut de hub technologique en vue de développer des systèmes d’UAV commerciaux puis militaires.

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Aussi, afin de ne pas dépendre uniquement de Pékin, « De nombreux contrats l’Arabie saoudite développe plusieurs autres projets d’armements ont été passés d’UCAVs en coopéra�on avec d’autres sociétés, comme le sud-africain Denel ou le turc Turkish entre Pékin et Riyad, Aerospace Industrie (TAI). Enfin, Riyad et Abu Dhabi eu recours à la créa�on de co-entreprises, par notamment dans le domaine du ont lesquelles elles entendent bénéficier de l’exper�se interna�onale. On peut à ce �tre men�onner drone » Les plans d’autonomisa�on de ces deux acteurs reposent sur une diversifica�on et une mul�plica�on de partenariats qui font la part belle à Ankara, mais surtout à Pékin. La diversifica�on partenariale répond au départ aux restric�ons imposées par les États-Unis concernant la vente d’UCAVs aux pays du Golfe, puis par la volonté de sécuriser leurs approvisionnements en cas d'embargo sur les armes¹⁵. De nombreux contrats d’armements ont été passés entre Pékin et Riyad, notamment dans le domaine du drone. Un accord a été conclu en 2017 concernant la construc�on en Arabie Saoudite d’une usine à drones CH-4 Caihong (« Rainbow »)¹⁶, prévoyant le développement local par la société d'État chinoise Chengdu Aircra� Industry Group (CAIG) de jusqu’à 300 Wing Loong et, poten�ellement, de nouveaux drones armés lourds CH-5. Plus récemment, un accord passé entre les sociétés saoudienne Advanced Communica�ons and Electronics Systems Company (ACES) et chinoise China Electronics Technology Group Corpora�on (CETC) visait également à favoriser le développement local d’UAVs. Le « regard vers l’est » saoudien s’explique autant par la fiabilité du partenaire chinois, que par sa non-ingérence dans les affaires intérieures et par la compa�bilité entre les agendas chinois (Belt and Road Ini�a�ve) et saoudien (Vision 2030). On notera également que Pékin est le premier partenaire commercial des États du CCG.

l’exemple de la coentreprise turco-saoudienne SADEC fondée en 2016 avec la société Aselsan, ou encore le conglomérat saoudien-coréen SAMI Hanwha Group-JV fondé en 2019.

QUELLE COOPÉRATION POSSIBLE ENTRE LES PAYS ARABES ?

Les différentes « visions » qui ont vu le jour dans la région semblent avant tout s’apparenter à un effet d’annonce en raison d’ambi�ons irréalistes et souffrent de limites en ce qui concerne la produc�on locale d’armement. L’origine étrangère des composantes et la dépendance aux terres rares sont des obstacles importants aux objec�fs fixés, malgré la volonté de certains acteurs, comme l’Arabie Saoudite d’exploiter ces précieux matériaux. Florence Gaub et Zoe Stanley Lockman, chercheuses à l’Ins�tut d’études de sécurité de l’Union européenne, ont jugé qu’il était « pra�quement impossible » que les États arabes a�eignent leurs objec�fs déclarés en termes de produc�on d’armes¹⁷, et ces objec�fs auraient donc été progressivement réévalués à la baisse. Si, au Moyen-Orient, le marché du drone reste marqué par la concurrence, des signes de coopéra�on ont déjà été entrevus. Les EAU et l’Arabie Saoudite auraient des projets communs dans l’industrie spa�ale. On peut aussi men�onner le drone EJune-30, produit par la société égyp�enne Industrial Complex Engineering

Drone chinois CH-4 qui ont été livré à l’Arabie Saoudite et u�lisé au Yémen

Robots, avec l’aide des Émirats.

Enfin, l’interdépendance des États, les nombreuses perspec�ves de développement associées à l’UAV, la nécessité d’en encadrer les usages et d’en limiter la proliféra�on¹⁸ sont autant d’éléments qui pourraient ouvrir la voie à une mutualisa�on des efforts et de la recherche. La structure du CCG en tant qu’espace d’intégra�on régionale devrait aussi favoriser ce�e coopéra�on rendue nécessaire dans un marché qui, en pleine expansion, n’obéit pour l’heure à aucune loi.

1. Plus connus sous leur acronyme d’UAV (Unmanned Aerial Vehicle) 2. L’expression de Moyen-Orient se réfère ici à une zone s’étendant de l’Afrique du Nord jusqu’au Golfe Persique. Le présent article s’intéresse également à la Turquie (Asie occidentale) et à l’Iran (Asie centrale) 3. Joanna Frew, ‘Drone Wars: The Next Generation’, Drone Wars UK, May 2018, pp. 19–20 ; Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), ‘SIPRI Arms Transfers Database’ 4. TCAC : taux de croissance annuel composé 5. Middle-East and Africa drones market size & share analysis - growth trends & forecasts (2023 - 2028), mordointelligence.com 6. Unmanned Aerial Combat Vehicles 7. A new chapter in the drone race in the middle east, iemed.com 8. American Parts on Turkish Bayraktar Drones: U.S. Congressmen Urge Biden Administration to Examine the Evidence, SARUKHANYAN Vahe, 2021 9. Drones kamikazes, missiles balistiques… L’Iran à la rescousse des forces russes en Ukraine, BOUVIER Émile, Les clés du Moyen-Orient, 2022 10. TB2 BAYRAKTAR : Grande stratégie d'un petit drone, PÉRIA-PEIGNÉ Léo, Briefing de l’IFRI, avril 2023 11. Ankara aime à rappeler que le Bayraktar TB2 est devenu le symbole de la résistance ukrainienne 12. La « diplomatie du drone » : un instrument de hardpower au service du soft-power turc (2/2). L’usage du drone en politique intérieure et étrangère turque, BOUVIER Émile, 2021, Les clés du Moyen-Orient 13. Sümbül Kaya, La stratégie multisectorielle turque en Libye : Porte d’entrée en Méditerranée orientale et en Afrique, Étude 100, IRSEM, novembre 2022 14. Ibid 15. Will Saudi Arabia buy Baraktar drones, oryxpioenkop.com 16. China’s Investments in Security Cooperation in the Middle East, NEAR-Center for Strategic Studies, ELVEREN Ibrahim, 2022 17. Defence Industries in Arab States: Players and Strategies, Volume 141 of Chaillot papers, GAUB Florence, STANLEY-LOCKMAN Zoe, 2017 18. Regulating and Limiting the Proliferation of Armed Drones: Norms and Challenges, Geneva Paper 25/20 Cholpon Orozobekova, Bulan Institute for Peace Innovations and Marc Finaud, Geneva Centre for Security Policy, 2020 Les Jeunes es

« Les Jeunes IHEDN sont la première association européenne et générationnelle sur les questions d’engagement, de défense et de sécurité. Elle est placée sous le double parrainage du ministre des Armées monsieur Sébastien Lecornu et du chef d’étatmajor des armées le général d’armée Thierry Burkhard. » « L’association regroupe, depuis 1996, les auditeurs jeunes formés par l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et s’ouvre à l’ensemble de la jeunesse. Plateforme d’engagement et réservoir de réflexions, l’association offre, en France et à l’international, différents moyens de s’investir au profit des grands enjeux d’avenir qui animent notre pays. »

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DÉFENSE

Turquie Un complexe militaroindustriel souverain ?

Par Ismaël RICARD - Étudiant arabisant, diplômé de l'INALCO en turc et rela�ons interna�onales

Exposi�on du matériel turc en 2022 à Izmir en Turquie ©IDA

"Notre objec�f est une Turquie totalement indépendante à travers son industrie de défense" déclarait le Président turc Recep Tayyip Erdogan en janvier 2022 lors de la cérémonie d'entrée en service de la corve�e TCG Ufuk, fruit du programme de développement d'un navire na�onal sous totale propriété intellectuelle turque. Avant d'ajouter "[que] les évènements des dix dernières années nous ont encore montré que les na�ons sans industrie de défense souveraine ne pouvaient pas aborder le futur avec confiance".

En dénoncant ce spectre de la dépendance, c'est en réalité une probléma�que vieille de plus de deux siècles qui est ravivée. Dés l'expédi�on d'Egypte de Napoléon Ier (1798-1801) l'Egypte puis l'Empire o�oman prennent conscience de leur retard 88 - Revue TB N°4

technologique, poli�que et culturel, c'est le début de la Nahda¹ dans le monde arabe, et l’annoncia�on des Tanzimat². Des réformes, dont l’un des aspects clés est la modernisa�on de l’armée. Les revers militaires face à l’Égypte (1831-1833) ont cons�tué un immense choc pour les élites o�omanes et c’est toute l’intégrité territoriale de l’Empire qui est menacée, on y répond par une européanisa�on de l’organisa�on, du matériel, et des doctrines qui transforme l’armée o�omane en une armée moderne.

Ces réformes ont pourtant un prix pour l’Empire, sa souveraineté ; économique d’abord (banqueroute en 1875 et prise du contrôle des revenus o�omans par ses créanciers occidentaux), puis poli�que avec l’émie�ement de ses provinces (Tunisie en 1881, Égypte en 1882). C’est ce spectre de la dépendance qui

mo�ve les troupes de Mustafa Kemal à la sor�e de la Grande Guerre, et qui cent ans plus tard résonne toujours dans les oreilles des turcs qui se souviennent de ce conflit comme de la « Guerre de Libéra�on³ [du contrôle occidental] », marquant le roman na�onal de ce�e quête de souveraineté.

« Une armée qui aspire à s’équiper localement à toutes les échelles pour répondre aux enjeux et aux ambitions de cette République qui fête en 2023 son centième anniversaire » Une souveraineté qui passe par une armée forte, ins�tu�on centrale marquante dans la société et l’Histoire contemporaine de la Turquie, mais aussi depuis plusieurs décennies par une armée qui aspire à s’équiper localement à toutes les échelles pour répondre aux enjeux et aux ambi�ons de ce�e République qui fête en 2023 son cen�ème anniversaire et agit depuis vingt ans à tailler sa propre part dans le concert des puissants de ce monde.

Bayraktar TB2, missiles MAM-L, ou pistolet CANIK… des noms qui sonnent de plus en plus familiers même au sein du grand public ; un écho qui témoigne indirectement de l’émergence d’un vaste complexe militaro-industriel dynamique. Un complexe qui produit mais aussi qui exporte et sert la poli�que interna�onale turque. Mais qu’en est-il vraiment ?

Comment et pourquoi une telle évolu�on pour un pays membre de l’OTAN qui pourrait se reposer sur son allié américain pour sa défense à l’instar des États esteuropéens ? Et quel(s) rôle(s) pour cet ou�l dans les objec�fs géopoli�ques turcs alors qu’Erdogan est reconduit en juin pour un nouveau mandat ? C’est à ces ques�ons que nous vous proposons de répondre avec cet ar�cle, en vous proposant une revue historique de la construc�on de l’industrie de défense turque et de ses objec�fs.

des années de direc�ves éta�ques et entre dans une ère de prospérité économique rela�ve grâce aux prêts du FMI et au plan Marshall. Les priorités économiques évoluent à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, qui réduit la nécessité des inves�ssement militaires. Au même moment les États-Unis reconnaissent l’importance géostratégique de la Turquie à travers la doctrine Truman: en tant qu’État frontalier de l’URSS l’État turc craint que Staline n’agisse pour s’emparer des provinces orientales de Kars et Ardahan⁴ ainsi que des précieux détroits dont le contrôle est crucial pour les deux blocs. La Turquie intègre donc l’OTAN en 1952 mais son économie n’est pas capable de supporter les dépenses militaires subséquentes à la défense de sa posi�on stratégique. Les États-Unis livrent à la Turquie du matériel américain, lui accordent des prêts financiers, et lui apportent son sou�en au sein des organisa�ons interna�onales comme le FMI et la CEE. Au total c’est plus de 7,3 milliards de dollars d’aides versées par les États-Unis dont 4,5 milliards en aides militaires entre 1948 et 1973, avec 148 millions uniquement pour l’année 1973 soit plus d’un milliard de dollars actuels.

Le 20 juillet 1974 la Turquie invoque l’ar�cle 4 du Traité de Garan�e⁵ et lance l’opéra�on A�la qui mène à l’occupa�on de 38 % de l’île de Chypre et à la par��on de celle-ci. L’année suivante en 1975, les États-Unis invoquent l’u�lisa�on illégale d’armes américaines pour sanc�onner la Turquie et la placer sous embargo économique. En effet, selon l’accord d’assistance entre les deux pays il était s�pulé que le

SANCTION, RÉACTION. LE TOURNANT DE L’EMBARGO AMÉRICAIN DE 1975 Au lendemain de la Grande Guerre l’économie turque est exsangue, et malgré une forte croissance de l’industrie, l’agriculture reste la source principale de revenues. De 1923 à 1945 l’économie se développe et on assiste à un balbu�ement d’industrie de défense avec l’ouverture d’une usine d’aéronefs à Kayseri et à Eskisehir. L’après-guerre voit l’ouverture de l’économie turque au marché mondial, le pays se libéralise après

La Turquie a compris que sa poli�que n’était pas compa�ble Avec l’armement américain et a donc encouragé l’industrie na�onale ©TDF

Visite du forum ASELSAN par le premier ministre albanais en 2021 à Ankara, Turquie ©TDF

matériel livré, bien qu’u�lisé par les forces turques, demeurait propriété du gouvernement américain et que son usage nécessitait l’accord de ce dernier.

L’opéra�on militaire, déjà très consommatrice en ressources matérielles et financières, affecte lourdement le budget de la Défense turque d’autant qu’elle se retrouve privée de l’aide américaine (on es�me que 80 à 90 % du matériel u�lisé provenait du programme d’assistance militaire américain).

Dés 1964, les fournisseurs d’armes de la Turquie s’opposaient à l’u�lisa�on de leurs produits dans le cadre des tensions inter-ethniques chypriotes si la Turquie était amenée à intervenir, il devient dés lors crucial pour les élites poli�ques turques de se doter d’infrastructures pour une industrie de défense autosuffisante. En 1965 la Société Navale Turque est établie avec pour slogan « Construisez votre propre navire » et dont le programme MILGEM⁶ actuel est l’hériter direct. Dans le même temps la Fonda�on de Sou�en à l’Armée de l’Air turque est fondée en 1970 afin de développer l’industrie aéronau�que. En 1974 peu après l’embargo c’est la pendante terrestre, la Fonda�on de Sou�en des Forces Terrestres turques qui est établie.

« L’opération militaire sur Chypre affecte lourdement le budget de la Défense turque d’autant qu’elle se retrouve privée de l’aide américaine » La popula�on turque alors persuadée du bien-fondé de l’interven�on sur l’île de Chypre voit l’embargo américain et les pénuries dont souffrent ses soldats comme une a�einte à son honneur na�onal et apporte au gouvernement turque le sou�en populaire qui lui 90 - Revue TB N°4

manquait pour faire les sacrifices nécessaires à la créa�on d’une industrie de défense na�onale. Cet élan populaire est canalisé dans une campagne massive de dona�on aux nouvelles fonda�ons de sou�en aux forces armées et rencontre un grand succès auprès du grand public qui donne de sa poche pour soutenir son armée ; citons des cas de dons de gains obtenues à la loterie na�onale, ou des villages envoyant une par�e de leur récolte aux forces armées. Des usines commencent ainsi à apparaître grâce aux inves�ssements gouvernementaux et aux fonds des fonda�ons de sou�en dont les réserves financières dépassent 600 millions de dollars en 1986, une somme significa�ve pour l’économie turque à l’époque.

L'ÉMERGENCE D'UN SOCLE INDUSTRIEL VERS L'AUTONOMIE Disposant de moyens financiers pour inves�r, d’aides fiscales pour s�muler le marché locale, et du sou�en de la classe poli�que marquée par l’embargo américain, on assiste à la naissance des entreprises qui cons�tuent le socle de l’industrie de défense turque actuelle, parmi lesquelles 3 se trouvent dans le top 100 mondial : En 1973 est créée la Turkish Aircra� Industries Corpora�on qui devient en 1984 Turkish Aerospaces Industries afin d’inciter à la produc�on locale de la flo�e aérienne turque majoritairement composée de F-16. La firme est le fer de lance de toute l’industrie aéronau�que et aérospa�ale turque, elle produit les satellites d’observa�on et de télécommunica�on Göktürk et Türksat, et développe un projet d’avion de chasse de cinquième généra�on mul�rôle, le TF-X Kaan. Notons que c’est l’évic�on de la Turquie du programme F-35 en 2019 qui donne à ce projet les crédits dont il nécessitait à sa concep�on, et qu’il a été appuyé par les difficultés à obtenir du Congrès américain la modernisa�on de ses F-16 jusqu’à récemment. ASELSAN est créée en 1975 pour

répondre aux besoins en communica�on et est l’acteur turc majeur des systèmes de défense électronique.

Citons également ISBIR (1978), ASPILSAN (1981), et HAVELSAN (1982) pour des systèmes de ba�eries, de simulateurs et d’équipements électroniques. Enfin ROKETSAN est créée en 1988 pour concevoir, développer et produire les missiles u�lisés par les forces armées aériennes et navales. La TAFF supervise au total 15 sociétés dont les 6 ci-dessus qui sont des filiales, auxquelles s’ajoutent 9 sociétés affiliées qui englobent des concepteurs de moteurs (TEI), des transporteurs d’hydrocarbures (DITAS), et de la télécommunica�on (NETAS), toutes créées entre la fin des années 60 et les années 80.

Malgré des moyens limitées, ce socle industriel se développe peu en peu par le biais de partenariats avec des entreprises étrangères. L’objec�f est de commencer par de la produc�on locale de matériel étranger, puis de la produc�on sous licence, et enfin le développement de matériel local grâce à l’expérience et aux connaissances apportées par les firmes étrangères. L’un des plus gros partenariats de la sorte fut entre l’américain General Electrics et TAI pour la produc�on conjointe des F-16. En 1984 une usine est ouverte à Ankara pour produire certaines pièces de l’appareil, en 1995 c’est 70 % de l’aéronef qui est produit localement, pour une produc�on totale en 2000 de 278 avions, dont 46 ont été exportées à l’Égypte.

Poli�quement, le développement d’un industrie de défense est classé comme une priorité na�onale dans les années 80 par le premier ministre Turgut ÖZAL qui libéralise le secteur en l’ouvrant aux entreprises civiles sans pour autant détacher l’État de sa direc�on. En 1985 l’Agence de l’Industrie de Défense (SSB) est créée avec pour objec�f le pilotage des projets militaroindustriels et de l’ensemble des entreprises privées de la défense. En 1987 les fonda�ons de sou�en sont fusionnées au sein d’une seule en�té, la Fonda�on des Forces Armées Turques (TAFF, Turkish Armed Forces Founda�on) par la loi 3388 qui accorde aux entreprises concernées des avantages fiscaux mul�ples. Et en 2018 l’Agence de l’Industrie de Défense est placé sous le contrôle direct de la Présidence turque dont elle nomme le directeur.

Aujourd’hui on compte plus de 800 projets de défense (66 en 2002), des efforts fournis dans la recherche et développement de ce�e industrie na�onale qui n’auraient pas montré les résultats que nous connaissons sans un sou�en au plus haut niveau poli�que.

C’est le président Erdogan lui-même qui annonce en février 2023 les objec�fs pour l’année et celles à venir.

Pour l’armée de terre ont été annoncés la livraison de blindés et d’obusiers de concep�on et produc�on na�onale ainsi que la produc�on en série de char de combat ALTAY par BMC⁷ d’ici 2025. Côté marine on assiste à l’annonce de l’entrée en service d’un nouveau

T-155 Fır�na, variante turc du canon automoteur coréen K9 Thunder ©TDF

modèle de frégate (Classe Istanbul) conçu et produit localement, ainsi que l’intégra�on du porte-aéronef TCG Anadolu (classe Juan Carlos I) fraîchement sor� des chan�ers navals stambouliotes, en tant que vaisseau amiral de la marine turque. En ma�ère d’aérien c’est l’annonce du premier vol du TF-X qui marque, l’avion de combat na�onal, ainsi que la modernisa�on d’une par�e des F-16 du parc aérien.

Bien qu’ambi�euses, ces annonces démontrent l’importance que la classe poli�que turque accorde à son industrie de défense alors que la réalité pragma�que de la situa�on économique ou diploma�que contraint durablement les ambi�ons militaro-industrielles du pays. Non seulement l’armée turque s’équipe (67 % de produc�on locale totale en 2017 contre seulement 24 % en 2002) mais elle exporte (4,4 milliards de dollars de revenues à l’exporta�on en 2022) et use de ses capacités industrielles pour ses ambi�ons géopoli�ques, avec le cas des drones Bayraktar de la firme Baykar (dont le cofondateur est le gendre du président Erdogan) qui ont démontré leur efficacité dans le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie et dans une moindre mesure lors des premières semaines de l’interven�on russe en Ukraine.

1. De l’arabe, «l’essor», mouvement transversal de renaissance et modernisation culturelle, politique, et sociétale.

2. Du turc ottoman, «réorganisation», mouvement ambitieux de réformes au sein de l’Empire ottoman de 1839 à 1878.

3. Turc: Kurtuluş savaşı 4. Ex-oblast russe de Kars (1878-1918) 5. Signé en 1960 entre la Turquie, la Grèce et le RoyaumeUni, il marque l’indépendance de l’île et accorde un droit d’intervention militaire aux puissances garantes en cas d’atteinte aux intérêts d’une des deux communautés de l’île.

6. Du turc Milli Gemi (Navire national), programme de conception et de production nationale de navires de toutes classes et qui donnera les classes Ada (corvette), Istanbul (frégate), et TF2000 (destroyer).

7. Fruit d’un partenariat turco-britannique en 1964, aujourd’hui l’un des plus gros producteurs automobile turc, possédé à 51% par un conglomérat proche du Président Erdogan et à 49% par les Forces Armées Qataries. efficacité dans le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie et dans une moindre mesure lors despremières semaines de l’intervention russe en Ukraine.

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