N°1 - La Russie au Tournant de l'Histoire ?

SOMMAIRE

L'Assemblée Nationale se mobilise sur la guerre en Ukraine Par Thomas Gassilloud

Russie & Ukraine, retour sur le conflit en quelques dates clefs Par l’Institut Talleyrand - Ecole des Hautes Etudes Politiques

Conflit & Justice, la CPI face aux crimes commis en Ukraine Par l’Institut Talleyrand - Ecole des Hautes Etudes Politiques

Russie & Europe, entre sanctions et coopération Par l’Institut Talleyrand - Ecole des Hautes Etudes Politiques

La guerre en Ukraine, un tournant pour Vladimir Poutine ?

Par Victor Gomariz, Promethei, association des relations internationales de l’Inalco

Russie & Ukraine, la communication au cœur du Conflit Par l’Institut Talleyrand - Ecole des Hautes Etudes Politiques

Conflit en Ukraine, l'existence ou non d'un monde Atlantico-centré Par Karine Béchet-Golovko

Industrie Russe, état des lieux de l'industrie automobile Par Philippe Grienenberger

Industrie aéronautique, face aux sanctions occidentales 2022-2031 Par Pierre Bouthemy

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Le logiciel impérial russe, l’approche géohistorique de la politique russe Par Jean Robert Raviot

Sur les cendres de l'URSS, la renaissance de l'impérialisme russe Par Alexandre Jeandat, Ecole de Guerre Economique,

La fin de la Biélorussie : un futur « Oblast » Russe ?

Par Tristant Nicod-Rouaud, EURASIA

L'Arctique Russe, une frontière ouverte Par Quentin Benoit

La Russie de la mer Noire au Levant Par Quentin Benoit

Vers le "sharp power", l’émergence de la nouvelle doctrine politico-militaire russe Par Mat M. Hauser, Ecole de Guerre Economique

OTAN, son élargisement et le retour d’une place initiale ?

Par Charles Jeanne, Promethei, association des relations internationales de l’Inalco

Russie & Biélorussie, vers une coopération militaire intégrée ?

Par Vladimir Stranitsov

L’Église othodoxe russe, héritière d’une vision impériale ?

Par Raphaël Bléré

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REUTERS

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TRIBUNE PARLEMENTAIRE

L’Assemblée Nationale se mobilise sur la guerre en Ukraine Par Thomas GASSILLOUD, membre de la commission de la Défense na�onale et des Forces armées

Dès le 24 février, l’Assemblée Na�onale s’est mise au diapason de la Guerre en Ukraine, mobilisée comme l’ensemble du pays, de l’Europe et bientôt du monde, par ce conflit aux portes de l’Europe. Alors que l’Assemblée Na�onale s’apprêtait à entamer une période de 4 mois de suspension en raison des élec�ons présiden�elles et législa�ves, l’offensive russe en Ukraine bouscule l’agenda poli�que na�onal.

Les députés sont aussitôt prévenus que le lendemain serait lu par le Président de l’Assemblée Na�onale dans l’hémicycle, simultanément avec le Sénat, un message du Président de la République selon la procédure permise par l’Ar�cle 18 de la Cons�tu�on.

Alors que beaucoup avaient déjà pris le chemin de leurs circonscrip�ons, une énorme majorité choisit de revenir assister à ce�e lecture aussi rare que

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symbolique, caractérisant à l’extrême la sépara�on des pouvoirs et surtout l’interdic�on faite au Président de la République de pénétrer dans les bâ�ments de l’Assemblée Na�onale, même en temps de guerre.

Dans ce message, le Président prit le temps de rappeler le triple devoir de la France en ne cédant rien sur les principes fondamentaux de la paix et de la sécurité collec�ve, en sanc�onnant fermement leur viola�on et enfin en agissant en solidarité et en sou�en au peuple et aux autorités ukrainiennes.

Comme il le dira plus loin, la guerre en Ukraine marque un tournant géopoli�que et historique majeur du XXIème siècle, et fait courir le risque d’un retour des empires et des conflits de fron�ères. Ce�e crise majeure aura des conséquences sur nos vies, notre

économie et notre sécurité. La solennité du moment fut à la mesure du bouleversement géopoli�que en cours.

Dans la foulée, aux vues de la gravité de la situa�on, le mardi suivant le Gouvernement, ce�e fois, convoqua de nouveau le Parlement pour la lecture d’une déclara�on suivie d’un débat sans vote selon l’ar�cle 50-1 de la Cons�tu�on, introduit par la réforme cons�tu�onnelle du 23 juillet 2008. Alors que les premières craintes sur les approvisionnements agricoles commencèrent à poindre, d’emblée le Premier Ministre Jean Castex, ouvrant les débats promis d’accompagner les Français et les entreprises touchées par la crise à travers « un plan de résilience ».

Ce terme que les Français ont redécouvert dans le contexte de la crise sanitaire liée à la Covid-19, j’en avait fait la promo�on en tant que Rapporteur d’une mission d’informa�on parlementaire (composée de 22 députés) rela�ve à « la Résilience Na�onale », dont le rapport fut présenté publiquement à la mi-février.

Ainsi de juillet 2021 à janvier 2022, la mission parlementaire a pu entendre plus de 120 personnes au cours des 63 audi�ons parmi lesquels les représentants de tous les services, direc�ons et opérateurs de l’État et des armées par�cipant à la prévision, à la préven�on et à la ges�on des crises, procédant par secteurs : alimenta�on, eau, énergie, transports, avec une a�en�on par�culière concernant le numérique (câbles op�ques sous-marins, satellites, systèmes d’informa�on de l’État, des collec�vités et des entreprises).

après l’invasion russe de l’Ukraine, et comme il le fera devant le parlement britannique, canadien, le Congrès américain, le Bundestag allemand et le Parlement israélien, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, s’exprima via un message vidéo en direct devant l’Assemblée Na�onale et le Sénat, poursuivant ainsi sa stratégie visant à presser les parlementaires occidentaux d’arrêter ce�e guerre et de soutenir militairement l’Ukraine.

Dans une configura�on totalement inédite, bousculant le protocole entre l’Assemblée Na�onale et le Sénat, et avant que le Président Volodymyr Zelensky, ne prenne la parole, le président du Sénat Gérard Larcher, rappela en introduc�on que ce�e interven�on dans l’hémicycle français d’un président en fonc�on dans un pays en guerre était une première.

Le chef d’État ukrainien profita de la tribune qui lui était offerte pour demander le sou�en et l’aide de la France afin de me�re un terme au conflit avec la Russie.

Comme il le fit devant chaque Parlement, le président Volodymyr Zelensky se prêta au jeu de la comparaison avec les heures douloureuses de l’histoire de chacun des pays. Concernant la France, son choix se porta sur Verdun. Évoquant longuement la situa�on à Marioupol, il décrit “une ville paisible du sud de l’Ukraine prise dans un siège brutal comme au Moyen-Âge”, avant de comparer la cité portuaire d’Ukraine avec Verdun.

Afin d’être la plus exhaus�ve qui soit, elle a également audi�onné des élus et des collec�vités territoriales, des acteurs du monde associa�f ainsi que les réserves, que je considère comme les piliers de la résilience na�onale. En analysant les mul�ples facteurs psychologiques, culturels, sociaux et poli�ques qui entrent en jeu dans ce�e stratégie de renforcement de la résilience na�onale, j’en conclut par l’impérieuse nécessité d’en faire un véritable projet poli�que supposant un basculement de logiciel poli�que, en responsabilisant davantage le citoyen dans un pays où la culture éta�que et centralisatrice possède des racines profondes.

Le Premier ministre évoqua par ailleurs, lors de sa déclara�on, la « solidarité » vis-à-vis de l'Ukraine avec l'aide financière mais aussi militaire via des livraisons de carburant et de matériel militaire et humanitaire, à des�na�on des réfugiés, saluant la force de la réponse de l'Europe au moment où la France préside le Conseil de l’Union européenne. Globalement, ce fut effec�vement une représenta�on na�onale unanime, qui à travers les présidents de groupe s’exprima, en faveur des sanc�ons contre la Russie et de la solidarité à l'égard de l'Ukraine. Plus tard, plus de trois semaines

Thomas Gassilloud

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Ces différentes prises de paroles dans l’hémicycle, auxquelles on peut y adjoindre différentes audi�ons publiques ou à huis clos, tenues dans les différentes commissions, ont mis à jour le rôle éminent que pouvait jouer le Parlement dans les affaires interna�onales.

Tradi�onnellement dévolue au Chef de l’État et exécutée par le Quai d’Orsay, la diploma�e peut également être l’affaire des parlementaires, dont on notera une implica�on croissante dans le domaine interna�onal à travers une diversifica�on de ses modes d’ac�on en la ma�ère. Au-delà de ses missions tradi�onnelles d’examen et de contrôle de la poli�que étrangère menée par le Gouvernement, le Sénat et l’Assemblée na�onale se sont engagés dans plusieurs voies nouvelles, tel le développement de la coopéra�on juridique et ins�tu�onnelle, l’accueil de personnalités étrangères, l’ac�vité des groupes d’ami�é ou encore la par�cipa�on à de nombreuses missions d’informa�on à l’étranger. À �tre d’exemple, le mercredi 6 avril, le Commission des affaires étrangères et la Commission des Affaires européennes se réunirent conjointement pour un échange de vues avec les commissions de la Verkhovna Rada sur l’intégra�on de l’Ukraine dans l’UE et sur la poli�que étrangère et la coopéra�on interparlementaire.

Le Parlement est en effet engagé par son « ac�on législa�ve diploma�que » dans l’intégra�on des conven�ons interna�onales dans le droit posi�f mais est également engagé dans le « contrôle diploma�que » par l’autorisa�on budgétaire, le contrôle a posteriori, les déclara�ons gouvernementales ou encore les divers types de ques�ons diploma�ques qui peuvent l’objet de missions parlementaires.

successivement la Ministre des Armées, son directeur de cabinet et le Chef d’État Major des Armées (CEMA), à huis clos, sur la situa�on militaire ukrainienne et le sou�en français. Alors que ces audi�ons détaillaient à la représenta�on na�onale la situa�on tac�que, les plans de renforcement de l’OTAN sur le flanc est, et les livraisons d’équipements aux forces ukrainiennes ainsi que leurs modalités de transport, l’enjeu fut de trouver l’équilibre entre le contrôle parlementaire de l’ac�on du gouvernement et la protec�on des informa�ons sensibles.

On le voit, l’Assemblée Na�onale, loin d’être en retrait du fait du long tunnel électoral en cours, à travers ses différentes expressions n’est pas restée éloignée des affaires, alors que se profile un « nouvel ordre mondial » dont les répercussions géopoli�ques, économiques et culturelles risquent de bouleverser durablement les sociétés occidentales et leurs représentants.

Thomas GASSILLOUD www.gassilloud.fr

Thomas Gassilloud, né le 21 mai 1981, à SaintSymphorien-sur-Coise (Rhône), est un homme politique français, élu député de la 10e circonscription du Rhône, le 18 juin 2017. Membre de la commission de la défense nationale et des forces armées, il y assure le rôle de coordinateur du groupe Agir Ensemble.

Ainsi, concernant toujours la ques�on ukrainienne, un Bureau excep�onnel de l’Assemblée Parlementaire Franco-Allemande s’est tenu à Berlin le 15 mars dernier, conclut par une déclara�on commune condamnant « L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une menace pour la stabilité mondiale et plus par�culièrement pour la stabilité européenne ».

On peut également men�onner le concours effec�f du Parlement français à la démocra�sa�on de la scène interna�onale par sa par�cipa�on aux assemblées parlementaires d’organisa�ons interna�onales existantes comme le Conseil de l’Europe, l’Union de l’Europe occidentale (UEO), l’Organisa�on pour la sécurité et la coopéra�on en Europe (OSCE), l’Organisa�on du traité de l’Atlan�que Nord (OTAN) et l’Assemblée parlementaire de la coopéra�on économique de la mer Noire (Apcemn).

Enfin, la commission de la défense na�onale et des forces armées s’est également prêtée à un exercice par�culièrement sensible : c’est-à-dire audi�onner

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LE CONFLIT IMAGÉ

Paula Bronstein

AP - Valeria Ferraro

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AP - Felipe Dana

CONFLIT UKRAINIEN

Russie & Ukraine Retour sur le conflit en quelques dates clés Par l’Ins�tut Talleyrand, École des Hautes Études Interna�onales et Poli�ques Depuis l’annexion de la Péninsule ukrainienne de la Crimée par la Russie en 2014, les tensions entre les deux pays ne cessent de croître. Elle s’est suivie d’une guerre dans l’Est de l’Ukraine avec des sépara�stes prorusses dont le Kremlin est considéré, malgré ses dénéga�ons, comme un parrain militaire.

L’Ukraine remarque des mouvements de troupes "inhabituels" à sa fron�ère, nourrissant les premières craintes d'une invasion, restées sans lendemain.

Vladimir Pou�ne accuse en retour les Occidentaux d'exacerber les tensions en menant des exercices militaires provocants en mer Noire et le long de la fron�ère.

L'Ukraine a assuré que la Russie a massé près de 92 000 soldats à ses fron�ères pour une offensive début 2022. Moscou dément. Les autorités russes ont accusé à leur tour l'Ukraine de masser des troupes dans l'Est du pays.

Joe Biden a menacé le président russe de fortes sanc�ons économiques en cas d'invasion de l'Ukraine.

Vladimir Pou�ne exige quant à lui des garan�es juridiques sûres qui empêcheraient l'Ukraine de rejoindre l'Otan.

Joe Biden se dit prêt à engager un dialogue diploma�que avec Vladimir Pou�ne mais juge inacceptable certaines de ses exigences : • Son souhait de bannir tout élargissement de l’Otan • L’établissement de bases militaires américaines dans les pays de l’ex-espace sovié�que Le 10 janvier 2022, après un accord de pourparlers sur la sécurité en Europe, Russes et Américains engagent des négocia�ons tendues à Genève. C'est la première étape d'une séquence diploma�que. À l'issue d'un Conseil Otan-Russie à Bruxelles, de profondes divergences émergent.

Plusieurs sites gouvernementaux ukrainiens sont ciblés par une cybera�aque massive. L'Ukraine affirme

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avoir des preuves de l'implica�on de la Russie.

Washington accuse Moscou de mener des opéra�ons de sabotage afin de créer un prétexte pour une invasion.

Le 18 janvier 2022, des déploiements massifs de soldats biélorusses à la fron�ère ukrainienne mais aussi européenne sont constatés. Washington s'inquiète du possible déploiement d'armes nucléaires russes au Bélarus. Il pense que Moscou peut a�aquer l'Ukraine à "tout moment".

Moscou souhaite des réponses occidentales à ses revendica�ons. Anthony Blinken (Chef de la diploma�e américaine) est arrivé à Kiev avec un sou�en supplémentaire de 200 millions de dollars pour assurer la sécurité du pays et afficher son sou�en à l'Ukraine.

Le 20 janvier 2022, la Russie lance plusieurs opéra�ons navales en Pacifique, Atlan�que et Méditerranée. Ces opéra�ons comptent 140 navires de guerre et plus de 10 000 hommes.

L’Institut Talleyrand www.instituttalleyrand.com

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Etat des lieux de la guerre en Ukraine du 24 février au 31 mai 2022 - Viewsridge

Alexander Ermochenko/Reuters

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CONFLIT UKRAINIEN

Conflit & Justice La CPI face aux crimes commis en Ukraine Par l’Ins�tut Talleyrand, École des Hautes Études Interna�onales et Poli�ques

Quelques explications : Par principe, la CPI est compétente pour enquêter et juger les crimes interna�onaux visés par son Statut¹ lorsqu'ils ont été commis sur le territoire d'un Etat par�e et/ou par un ressor�ssant d'un Etat par�e.

Il existe une autre possibilité, le cas ou le Procureur aurait été saisi par le Conseil de sécurité des Na�ons Unies.

Dans un premier temps au regard des Etats par�s au Statut de Rome la CPI n’est, a priori, pas compétente simplement parce que la Russie et l’Ukraine ne sont pas par�es au Statut de Rome.

Vincent van Zeijst - Cour Pénale Internationale

À la suite des trop nombreux crimes de guerres réalisés en Ukraine l’inac�on, immédiate, de la CPI laisse les citoyens du monde perplexe sur son efficacité. Face à ce�e incompréhension, nous essayerons d’apporter clarté et pédagogie.

La CPI est elle compétente concernant les différents crimes interna�onaux commis en Ukraine ?

Oui, s’agissant des crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou génocide qui seraient commis par tous les belligérants.

Non, s’agissant du crime d’agression qui aurait pu être commis par la Russie.

Cependant, le 9 avril 2014 et le 8 septembre 2015, l'Ukraine a adopté deux déclara�ons par lesquelles elle a reconnu la compétence de la Cour pour enquêter sur les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et crimes de génocide commis sur son territoire à par�r du 21 novembre 2013 et du 20 février 2014. A l’époque l’Ukraine agit de la sorte pour face a la répression de la révolu�on de Maidan et l'annexion de la Crimée. Avec ce mécanisme « à la carte » l'Ukraine a pu reconnaitre la compétence de la CPI sans adhérer au Statut de Rome. En outre, n’est pas concerné le crime d’agression puisqu’en l’occurrence la compétence de la CPI est limitée aux faits commis par un Etat par�e. Ce qui n'est pas le cas de la Russie.

Actuellement, la difficulté est une difficulté du terrain. Concrètement suivre l’évolu�on du conflit, qui évolue très (trop) rapidement, et recenser les crimes interna�onaux commis par les forces en présence se révèle estre un véritable défit par les services na�onaux ou interna�onaux compétent. Afin de pouvoir traduire en jus�ce les responsables il est cependant nécéssaire d’ouvrir une instruc�on.

La difficulté d’identifier un crime de guerre : En temps de guerre, toutes les morts civiles et toutes les frappes sur des bâ�ments civils ne sont pas illicites.

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Sont illicites : -Les interven�ons qui violent, inten�onnellement, les traités interna�onaux sur les conflits armés : Les Conven�ons de La Haye de 1899 et 1907, qui visent notamment à interdire certaines armes et méthodes de guerre. Les Conven�ons de Genève de 1949 et leurs protocoles addi�onnels de 1977 qui viennent protéger les personnes ne par�cipant pas ou plus aux hos�lités, par exemple : les soldats blessés, malades ou naufragés, les prisonniers de guerre, les civils. Et d'autres traités plus spécifiques comme la Conven�on de l'UNESCO de 1954 sur la protec�on des biens culturels, la Conven�on d'O�awa de 1997 sur l'interdic�on des mines an�personnel, etc. qui n'engagent que les Etats qui les ont ra�fiés.

-Les interven�ons qui violent les principes fondamentaux du droit de la guerre : Le principe de nécessité. Il impose que tout acte de guerre soit guidé par un impéra�f militaire.

Le principe de dis�nc�on. Il prévoit de toujours faire la différence entre civils et comba�ants et entre biens civils et objec�fs militaires.

Le principe de propor�onnalité. Il requiert de toujours éviter de provoquer des souffrances, pertes civiles ou dommages aux biens civils excessifs par rapport à l’avantage militaire a�endu.

Le terme crime de guerre peut être évoqué dans des situa�ons comme évoqués ci-dessus.

Plus concrètement c’est le fait de : diriger des a�aques contre la popula�on civile ou contre des civils ne par�cipant pas aux hos�lités. Mais encore de soume�re des prisonniers de guerre à des traitements inhumains ou dégradants, ou de les forcer à comba�re. Également D'u�liser des armes chimiques, biologiques ou nucléaires.

Cependant, est considéré comme licite, le fait de : de détruire un pont emprunté par l'armée ennemie, même s'il sert aussi au transport de denrées alimentaires. de diriger des a�aques contre des hôpitaux ou des écoles a condi�on que ces derniers ne remplissent plus leurs fonc�ons ini�ales mais servent à stocker des équipements militaires. de cibler un poste de commandement ennemi, y compris lorsque des civils pourraient également être touchés.

Crimes internationaux et instruction quelles procédures ?

Conformément à l’ar�cle 13 du Statut de Rome, la Cour peut exercer sa compétence de trois manières différentes lorsque des crimes relevant de sa compétence paraissent avoir été commis :

1.Tout État par�e au Statut de Rome peut demander au Procureur de mener une enquête. Ce fut le cas pour la République démocra�que du Congo, l’Ouganda, la République centrafricaine à deux reprises, et le Mali ; 2.Le Conseil de sécurité de l’Organisa�on des Na�ons Unies peut également déférer une situa�on au Procureur. À ce jour, ce�e possibilité a été exploitée en ce qui concerne les situa�ons au Darfour et en Libye. Les renvois du Conseil de sécurité peuvent également perme�re à la Cour d’exercer sa compétence à l’égard d’États non par�es au Statut de Rome ; 3.Enfin, le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre ini�a�ve après avoir obtenu l’autorisa�on des juges ; ce fut le cas pour le Kenya, Côte d’Ivoire, Géorgie et le Bangladesh/Myanmar. Le Procureur ne peut pas, de sa propre ini�a�ve, ouvrir des enquêtes concernant un État non-par�e au Statut de Rome, sauf si les ressor�ssants d’États par�es sont soupçonnés d’avoir commis des crimes visés par le Statut de Rome sur le territoire de l’État non par�e concerné.

4.Excep�onnellement, un État peut accepter la compétence de la Cour pour une affaire donnée, en déposant une déclara�on conformément à l’ar�cle 12 3 du Statut de Rome.

Tout individu, groupe ou État peut envoyer des informa�ons au Bureau du Procureur concernant des crimes présumés relevant de la compétence de la Cour. À ce jour, le Bureau a reçu plus de 12 000 communica�ons à ce �tre, lesquelles peuvent servir de fondement aux examens préliminaires du Bureau.

Le Bureau procède à un examen préliminaire pour déterminer s’il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête.

Dans le cadre de cet examen, le Bureau est tenu d’évaluer et de vérifier un certain nombre de critères juridiques, notamment les suivants : vérifier que les crimes ont été commis après le 1er juillet 2002, date d’entrée en vigueur du Statut de Rome, traité fondateur de la Cour ; déterminer si les crimes ont été commis sur le territoire d’un État par�e ou par un ressor�ssant d’un État par�e (sauf si la situa�on a été déférée par le Conseil de sécurité) ; s’il s’agit de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou d’un génocide ; évaluer la gravité des crimes ; vérifier qu’il n’y a pas d’enquête ou de poursuites en cours pour les mêmes crimes à l’échelle na�onale ; et examiner s’il y a des raisons de penser que l’ouverture d’une enquête ne servirait pas les intérêts de la jus�ce et des vic�mes.

Il incombe en premier lieu aux autorités na�onales d’enquêter et de poursuivre les principaux responsables de la commission de crimes de masse.

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Conformément aux critères juridiques énoncés dans le Statut de Rome, la Cour n’ouvrira d’enquête que si les autorités na�onales n’ont pas assumé ce�e responsabilité première et en l’absence de véritables poursuites à l’échelle na�onale.

Le Statut de Rome ne prévoit pas de délai pour me�re un terme à un examen préliminaire. Selon les faits et les circonstances de chaque situa�on, le Procureur peut décider de : i) ne pas ouvrir d’enquête ; ii) con�nuer de recueillir des informa�ons sur les crimes et les poursuites menées au niveau na�onal en vue de prendre une décision ; ou iii) d’ouvrir une enquête, sous réserve d’une autorisa�on des juges.

Les examens préliminaires perme�ent également au Bureau d’encourager les autorités na�onales à assumer leur responsabilité première, à savoir mener elles-mêmes des enquêtes ou des poursuites.

Conformément aux critères établis par le Statut de Rome, si le Bureau es�me qu’il doit ouvrir une enquête, il le fera sans hésiter. Les considéra�ons poli�ques n’interviennent jamais dans la prise de décision du Bureau.

Afin de mener ses enquêtes, le Bureau procède le plus souvent comme suit : il envoie des missions — généralement composées d’enquêteurs, de conseillers en coopéra�on et, le cas échéant, de procureurs — dans les pays concernés, il recueille et examine les différents éléments de preuve, et interroge un éventail de personnes allant des individus faisant l’objet de l’enquête aux vic�mes et témoins. Lorsqu’il entreprend ces ac�vités, le Bureau compte sur l’aide et la coopéra�on des États par�es, des organisa�ons interna�onales et régionales, ainsi que de la société civile.

Afin de réunir des preuves, le Bureau détermine les incidents les plus graves et iden�fie les principaux responsables de ces crimes. Le Bureau est tenu de réunir des éléments de preuve tant à charge qu’à décharge pour établir la vérité sur une situa�on donnée. Les informa�ons à décharge seront communiquées aux équipes de la Défense dans le cadre de la procédure.

Lorsque le Bureau es�me qu’il dispose de suffisamment d’éléments de preuve pour établir devant les juges qu’un individu est responsable d’un crime relevant de la compétence de la Cour, il demande aux juges de délivrer un mandat d’arrêt ou une cita�on à comparaître.

En se fondant sur les éléments de preuve recueillis pendant l’enquête, le Bureau peut présenter une requête aux juges de la CPI, leur demandant de délivrer un mandat d’arrêt ou une cita�on à comparaître.

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Si les juges es�ment qu’il existe des mo�fs raisonnables de croire qu’une personne a commis un crime relevant de la compétence de la Cour, ils délivreront un mandat d’arrêt pour garan�r que la personne comparaîtra, qu’elle ne fera pas obstacle à l’enquête ou à la procédure devant la Cour, ni n’en comprome�ra le déroulement, ou qu’elle ne poursuivra pas l’exécu�on du crime concerné.

Une fois délivrés et même si les arresta�ons sont retardées, les mandats d’arrêt sont valables à vie. Une fois arrêtés, les suspects sont détenus au quar�er péniten�aire de la Cour.

Les juges peuvent également délivrer des cita�ons à comparaître, lorsqu’il y a des mo�fs raisonnables de croire qu’une cita�on est suffisante pour garan�r la comparu�on de la personne concernée. Les accusés visés par une cita�on à comparaître se présentent volontairement devant la Cour et ne sont ni arrêtés ni détenus par la Cour.

Une fois que la personne visée par un mandat d’arrêt ou une cita�on à comparaître est détenue par la Cour ou décide de se présenter volontairement devant la Cour, le Bureau devra d’abord convaincre les juges, durant la phase préliminaire, qu’il possède suffisamment d’éléments de preuve pour renvoyer l’affaire en jugement. Les juges devront alors décider s’il convient de confirmer, de rejeter ou de réexaminer les charges portées par le Bureau du Procureur à l’encontre de l’accusé.

Si les juges confirment les charges, l’affaire est renvoyée en jugement. Au procès, le Bureau est le premier à présenter sa cause et il lui incombe de démontrer que l’accusé est coupable au delà de tout doute raisonnable.

Le Bureau peut présenter les éléments de preuve sous forme de documents, d’autres objets ou de témoignages ; les témoins à charge sont également interrogés par la Défense, et inversement.

Dans le cadre de la procédure, le Bureau communique à la Défense les informa�ons tant à charge qu’à décharge. Le Bureau est tenu de rassembler ces deux catégories d’informa�ons pendant son enquête, pour établir la vérité sur une situa�on donnée.

Une fois que le Bureau a présenté tous ses éléments de preuve, c’est au tour de l’accusé, avec l’aide de son conseil, de présenter sa défense. Une fois le procès terminé et le jugement rendu, les vic�mes peuvent faire appel aux fonds au profit des vic�mes. Bien que dis�nct de la Cour, le Fonds au profit des vic�mes a été créé en 2004 par l'Assemblée des États par�es, conformément à l'ar�cle 79 du Statut de Rome. Sa

Alliées pendant le conflit, les deux puissances entrent rapidement dans une logique d'affrontement.

Il s'agit désormais, dans ce nouvel ordre mondial qui se fait jour, d'imposer son système poli�que et économique dans une guerre froide. Les deux pays se veulent deux modèles qui s'opposent, dans un monde désormais bipolaire. Un monde où l’Union européenne n’a pu réellement s’étendre qu’après la libéra�on des pays du communisme. L’Europe, divisée pendant 45 ans à cause de ce�e dualité fait face à une Russie qui a toujours suscité l’incrédulité voire l’effarement de nombreux Européens.

Vysotsky - Cour pénale internationale de la Haye

mission consiste à appuyer et me�re en œuvre des programmes qui prennent en charge les préjudices découlant du crime de génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et d’agression. À ce�e fin, le Fonds au profit des vic�mes est chargé d'un double mandat : i) me�re en œuvre les ordonnances de répara�on rendues par la Cour et ii) fournir aux vic�mes et à leurs familles un appui physique, psychologique et matériel. En aidant les vic�mes à retrouver une vie digne et à prendre part à la vie de leur communauté, le Fonds au profit des vic�mes contribue à l'instaura�on d'une paix durable à long terme en favorisant la jus�ce réparatrice et la réconcilia�on.

Et avant c’était comment ?

Le temps d’un instant l’Ins�tut Talleyrand remonte le temps, et vous propose un état des lieux des rela�on UE-Russie avant le conflit. [Mai 2021] Lorsque Pierre Ier, tsar de Russie puis empereur de toutes les Russies a entrepris son voyage en Europe, il a été chaleureusement accueilli par toutes les cours d’Europe excepté par Louis XIV. Reçu à Versailles avec dédain puisque Louis XIV méprisait la Russie, la considérant comme un pays d’arriérés, n’a pas empêché Pierre le Grand d’entreprendre des réformes qui transformeraient la Russie et en feraient une grande puissance européenne, une fenêtre ouverte sur l'Occident notamment en créant Saint-Pétersbourg qu’il nommera capitale, pour arracher son pays de la pesanteur de ce qu'il appelait la « barbarie asia�que ».

L’importance poli�que de la Russie s’accroît au XIXème et au XXème siècle, faisant par�e des deux grandes puissances sortent triomphantes de la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis et l'URSS, bénéficient du pres�ge de leur victoire sur le nazisme.

Les rela�ons bilatérales entre l’Union et la Russie débutent par l’accord de partenariat et de coopéra�on (APC) fixant les principaux objec�fs communs, signés en juin 1994 et ini�alement prévus pour une période de dix ans, mais renouvelée automa�quement annuellement.

En juillet 2008, des négocia�ons ont été entamées en vue d’un nouvel accord UE-Russie qui devait comporter des « engagements contraignants du point de vue juridique » dans des domaines tels que le dialogue poli�que, la jus�ce, la liberté, la sécurité, la coopéra�on économique, la recherche, l’éduca�on, la culture, le commerce, les inves�ssements et l’énergie.

De même, qu’un « partenariat pour la modernisa�on » a été lancé en 2010.

Subséquemment, l’Union et la Russie ont renforcé en 2013 leur coopéra�on en créant quatre « espaces communs » : avec un espace économique, un espace de liberté, sécurité et jus�ce, un espace de sécurité extérieure et un espace de recherche, d’éduca�on et de culture. De plus, des négocia�ons rela�ves à un accord visant à faciliter la délivrance des visas ont été conclues en 2011.

Néanmoins, l’interven�on de la Russie en Crimée a entraîné la suspension de l’ensemble de ces pourparlers et de ces opéra�ons. En effet, en 2014, le Conseil européen a suspendu la coopéra�on avec la Russie ainsi que tout nouveau financement européen des�né au pays à travers les ins�tu�ons financières interna�onales.

¹ Chapitre II du Statut de Rome de la Cour Pénale Interna�onale de 2002.

Rédacteurs : Nolwenn VOITURIER – Pôle Actualité Agatha CHAKHNOVSKI – Pôle Rédac�on Dorian PAIRE�COCHIN – Président

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CONFLIT UKRAINIEN

Russie & Europe Entre sanctions & coopération Par l’Ins�tut Talleyrand, École des Hautes Études Interna�onales et Poli�ques

En quoi les rela�ons entre l’Union européenne et la Russie sont marquées par la volonté de ses deux puissances d’étendre leurs sphères d’influence sur un même territoire ?

L’Union, depuis mars 2014, a progressivement imposé un ensemble de mesures restric�ves à l’encontre de la Russie en réac�on à l’annexion illégale en droit interna�onal public de la Crimée et à la déstabilisa�on de l’Ukraine. De même, qu’elle a renforcé ses sanc�ons après que le vol MH17 ait été aba�u le 17 juin 2015 sur un territoire contrôlé par les rebelles soutenus par la Russie dans l’est de l’Ukraine.

Ces sanc�ons sont régulièrement mises à jour et prolongées, mais concernent aussi différents domaines.

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En effet, les mesures diploma�ques consistent à exclure la Russie du G8, à arrêter le processus d’adhésion de la Russie à l’OCDE, à l’Agence interna�onale de l’énergie et à suspendre les sommets bilatéraux tradi�onnels UE-Russie.

De plus, les sanc�ons économiques ciblent les échanges avec la Russie dans des secteurs économiques spécifiques notamment en limitant l’accès aux marchés primaires et secondaires des capitaux de l’Union pour certaines banques et entreprises russes ainsi qu’en interdisant l’exporta�on et l’importa�on sur le commerce d’armes.

De même que des restric�ons à l’accès de certains services et technologies sensibles pouvant être u�lisés

pour la produc�on et l’explora�on pétrolières ont été imposées.

avec la Russie ; la nécessité de nouer des contacts interpersonnels et de soutenir la société civile russe.

Enfin, des mesures en ma�ère de coopéra�on économique comprennent la suspension de nouvelles opéra�ons de financement par la Banque européenne d’inves�ssement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruc�on et le développement (BERD) en Russie.

D’une dépendance commerciale vers une diversification.

Des mesures restric�ves individuelles ont aussi été appliquées sur des personnes et des en�tés faisant l’objet d’un gel des avoirs et d’une interdic�on de voyager, notamment les présidents des deux chambres de l’Assemblée fédérale ainsi que le président de la déléga�on russe à la commission de coopéra�on parlementaire UE-Russie.

La Russie, en représailles, riposte depuis août 2014 aux sanc�ons imposées par l’Union par des contresanc�ons frappant les produits agricoles, les ma�ères premières, les produits alimentaires ainsi que des individus.

Vladimir Pou�ne, réélu pour son 4ème mandat présiden�el en 2018 à près de 77% des voix, mène une poli�que qui cible l’opposi�on et la société civile. En effet, des centaines d’ONG ont été é�quetées comme « agents étrangers » ou « organisa�ons indésirables », les autorités ont renforcé le contrôle des médias et de l’u�lisa�on de l’internet. De même que la situa�on de l’état de droit s’est dégradée graduellement, notamment par la corrup�on, l’empoisonnement de l’opposant Alexeï Navalny, la réforme cons�tu�onnelle de 2020, la grande fermeté de la répression des manifesta�ons ainsi que les nombreuses a�eintes aux droits de l’Homme et la volonté d’un clivage des mentalités de la part des autorités, contre l’Occident semble se creuser.

La Russie, en par�cipant en 2015 aux ini�a�ves du groupe de pays E3+3, a abou� à la conclusion d’un accord sur le dossier nucléaire avec l’Iran, allant vers une ini�a�ve d’une plus grande concerta�on au niveau mondial. Toutefois, l’interven�on russe dans la guerre de Syrie en 2015 notamment en soutenant Bachar ElAssad, en menant une campagne de désinforma�on massive à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie, a provoqué des tensions supplémentaires avec l’Occident.

Néanmoins, le Conseil des affaires étrangères de 2016 s’est accordé sur cinq principes directeurs devant guider les rela�ons de l’Union avec la Russie : la mise en œuvre de l’accord de Minsk ; des rela�ons renforcées avec les partenaires orientaux et d’autres voisins de l’Union, y compris l’Asie centrale ; le renforcement de la résilience de l’Union (Par exemple : la sécurité énergé�que) ; une coopéra�on sélec�ve

Malgré les sanc�ons, l’Union reste le principal partenaire commercial de la Russie, et la Russie le quatrième partenaire commercial de l’Union. En effet, la Russie restera un grand exportateur de ma�ères premières puisque le marché mondial ne peut pas se passer de l’apport russe en pétrole, sauf à voir flamber les cours.

Cependant, une muta�on s’effectue sur le marché du gaz puisqu’on assiste à une mul�plica�on des usines de gaz naturel liquéfié (GNL) ce qui entraînera une autonomie d’approvisionnement pour l’Union, mais aussi pour la Russie qui pourra diversifier sa clientèle notamment vers les marchés asia�ques, plus rémunérateurs.

En 2017, l’économie russe est donc sor�e de la récession de 2014-2016 et de la crise dans le secteur bancaire, bénéficiant de revenus croissants grâce aux exporta�ons de pétrole et de ma�ères premières. Par conséquent, Moscou a profité des sanc�ons pour adopter une stratégie de subs�tu�on afin d’inciter à

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une produc�on na�onale, faible précédemment notamment le secteur de l’agro-alimentaire.

Les sanc�ons ont démontré à la Russie que dans aucun domaine stratégique, elle ne peut dépendre de pays suscep�bles de la frapper d’embargo. Des priorités na�onales de recherche ont donc été décrétées afin d’acquérir plus d’indépendance. Les sanc�ons, en fermant les marchés financiers occidentaux, ont nui gravement aux entreprises russes, qui ne peuvent plus s’y financer, mais là encore, le bloc euro-atlan�que n’est plus en situa�on de monopole. Depuis 2014, la coopéra�on avec la Chine, hésitante auparavant, est devenue une alterna�ve de grande ampleur. En effet, les deux pays ont échangé dans différents domaines, notamment spa�al, aérien, ferroviaire et commercial.

Dans les transports, l’abondance des crédits chinois, dans le cadre des « routes de la Soie » ainsi que dans les hydrocarbures, mais aussi indiens, se placent de manière exponen�elle sur le marché russe.

Malgré cela, la croissance économique est fortement ralen�e en 2019 et 2020 due au climat d’inves�ssement incertain dans le pays et a ses performances économiques qui demeurent tributaires du prix du pétrole et du gaz. Le système économique est concentré dans un pe�t nombre de secteurs qui manquent d’inves�ssements, de transforma�on, d’infrastructures tandis que de grandes entreprises proches de l’État ont la mainmise sur le marché.

La poli�que de subs�tu�on aux technologies occidentales a cependant des limites puisque le Kremlin ne souhaite naturellement pas tomber d’une dépendance à l’Occident à une dépendance à la Chine.

Toutefois, l'instrumentalisa�on de ces sanc�ons permet aussi de diffuser une mauvaise image de l'Union, pouvant être perçue par la popula�on comme un ennemi de la modernisa�on de la Russie, de même qu’un ennemi des valeurs prônées (Par exemple : droits des LGBTQIA2+).

Des influences variées et cependant non divergentes : entre espoirs et déceptions.

Une expansion vers l’est divisée.

L’accroissement des tensions prend racine dans la crainte de Moscou de voir l'OTAN se rapprocher des expays sovié�ques à sa fron�ère. Une grande par�e de sa poli�que étrangère tente donc de la prémunir contre ce�e avancée, vécue comme une menace de l'Occident et la guerre en Ukraine représentant le paroxysme de ce�e opposi�on.

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Cependant, Russie et l’Europe con�nuent à entretenir des rela�ons poussées puisque les jeunes russes font des études en Europe, les échanges commerciaux restent importants et les Russes sont toujours les premiers demandeurs de visas pour l'espace Schengen.

Le Kremlin n'est pas opposé par principe à l'élargissement de l'Union européenne, mais craint la dépendance de la poli�que étrangère européenne visà-vis des Etats-Unis et de l'OTAN. L'Union exporte également ses valeurs, en condi�onnant par exemple l'ouverture de rela�ons avec les pays �ers à l'accepta�on de normes, ce que reje�e totalement la Russie.

Parallèlement, la Russie pra�que également une poli�que de "so� power" pour influencer les gouvernements et les popula�ons européennes sans u�liser de moyens militaires notamment avec la promo�on de sa langue, de sa culture, avec des antennes média�ques comme RT France ou des agences d’informa�on comme Spoutnik ou bien même avec des événements spor�fs mondiaux qui ont pour but de promouvoir la Russie sur la scène interna�onale en tentant de redorer leur blason.

Toujours est-il que les Etats membres de l’Union ne sont pas unis d’une seule voix en ce qui concerne les rela�ons avec la Russie. En effet, les vingt-sept sont clivés pour définir une approche commune puisque certains pays comme l’Allemagne, la France ou l’Italie sont par�sans d’un renforcement des rela�ons tandis que la Pologne, la République Tchèque ou les pays baltes, en raison de leur passé, sont plus méfiants à une telle poli�que.

Toutefois, la Russie �re consciemment profit de ce�e division, en privilégiant les rela�ons bilatérales avec les pays les plus développés tout en jouant sur ce clivage au sein des Etats membres. Il est donc indispensable que l’Union parle d’une seule voix notamment dans les domaines ou les Etats membres ont transféré une par�e de leurs compétences à l’Union. La Russie semble maîtriser l’ensemble des cartes en ma�ère de négocia�on, face à des pays européens qui essayent d’avancer de manière dispersée et non coordonnée.

Une conquête permanentes.

territoriale

sous

tensions

Si les pays européens frontaliers de la Russie s'inquiètent de voir la Russie se renforcer à leurs portes, la menace d'invasion que pourrait représenter la Russie reste minime. En effet, depuis la guerre de Géorgie en 2008, le pays a entamé une remilitarisa�on des posi�ons russes en Biélorussie. L'inves�ssement dans l'armée est une priorité pour le gouvernement, représentant 5,3% de son PIB.

Troupes russes en Crimée (19 mars 2014) / AP - Vadim Ghirda

Néanmoins, ces démonstra�ons de force n'iront probablement pas jusqu'à toucher des pays comme la Pologne ou les Etats baltes, qui ne sont pas seulement membres de l'Union européenne, mais également de l'OTAN. La Pologne reste un pays avec une bonne armée professionnelle, entrainée, de même que l’Ukraine s’est considérablement renforcée notamment avec l’aide matériel militaire des EtatsUnis et l’entraînement des forces armées par l’OTAN. Cependant, la Russie pourrait essayer d’u�liser d’autres armes de déstabilisa�ons sur ses voisins comme son influence sur les communautés russophones ou la dépendance au gaz et au pétrole.

Malgré cela, le pays ne peut pas se perme�re de les u�liser régulièrement puisque l’énergie reste sa principale ressource (environ 40% des rece�es du budget fédéral) et les pays européens ses plus gros clients.

confirment une rela�on toujours conflictuelle avec Moscou.

En conclusion, l’horizon des rela�ons serait pour l’Union et la Russie de travailler à iden�fier des dossiers communs pouvant abou�r à une entente en ma�ère de développement économique et de dialogue poli�que plutôt que de poursuivre une lu�e d’influence régionale qui risquerait d’entraîner des conséquences encore plus sérieuses dans l’avenir. Plus globalement, la Russie, tout comme l’UE, aura à se reposi�onner dans un futur proche sur la confronta�on américano-chinoise.

Même si les événements en Biélorussie n’ont pas débouché sur un conflit frontal comme en Ukraine il y a 6 ans, les pressions se mul�plient en dessinant une ligne de fracture au gré de l’élargissement européen notamment entre l’Union, la Russie, la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie…

La poli�que d’une extension toujours plus à l’est de l’Union, a conduit à de nombreux conflits diploma�ques, puisque ce�e lu�e d’influence en pointe les limite notamment récemment dans la ges�on du conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie qui

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CONFLIT UKRAINIEN

La guerre en Ukraine Un tournant pour Vladimir Poutine ?

Par Victor GOMARIZ, Promethei, associa�on des rela�ons interna�onales de l’Inalco

« Je voudrais répéter encore une fois que l’Ukraine, ce n’est pas seulement notre voisin, mais c’est également une par�e de notre Histoire, […] c’est aussi notre famille ». C’est avec ces mots que Vladimir Pou�ne annonce le lancement de l’« opéra�on militaire spéciale » en Ukraine, le 24 février 2022. Ces paroles révèlent l’importance de l’Ukraine aux yeux du président russe. Mais en 2008 déjà, la guerre russogéorgienne marque un changement de la poli�que de Vladimir Pou�ne et de la Russie vis-à-vis de son « étranger proche ». La Russie entend bien conserver ces territoires dans sa sphère d’influence. Dès son arrivée à Moscou en 1996, Vladimir Pou�ne élabore un projet poli�que. Ses idées se développent selon les besoins de la situa�on dans laquelle la Russie évolue, et sont

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empreintes d’un pragma�sme à toute épreuve. Le conflit actuel n’est pas une excep�on.

La matrice de Vladimir Poutine Boris Eltsine est président de la Fédéra�on de Russie lorsque Vladimir Pou�ne intègre l’administra�on présiden�elle. Depuis 1991, Eltsine a successivement précipité la fin de l’URSS, défait une tenta�ve de putsch, la tenta�ve de coup d’Etat de 1993 et mis en œuvre la « thérapie de choc » économique en Russie.

Sous Boris Eltsine, le pays se transforme poli�quement et économiquement mais Eltsine gouverne comme un sovié�que, s’appuyant sur des apparatchiks et facilitant la corrup�on. Ses poli�ques économiques le rendent impopulaire. La Première Guerre de

Tchétchénie est une défaite pour le gouvernement fédéral. En 1996, les élec�ons présiden�elles se profilent et le candidat communiste est donné vainqueur. Les oligarques font tout pour propulser Eltsine à la tête de l’État afin de conserver leurs ac�fs acquis durant les vagues de priva�sa�ons.

C’est dans ce contexte que Vladimir Pou�ne est nommé chef-adjoint de la Direc�on des affaires présiden�elles en 1996. Le jeune fonc�onnaire de la mairie de Saint-Pétersbourg, ancien agent du KGB, arrive à Moscou avec ses proches poli�ques, «le clan pétersbourgeois». Sa carrière est fulgurante : en 1998, il est promu au poste de directeur du FSB. Puis, le 31 décembre 1999, alors que l’état de santé d’Eltsine se dégrade, Vladimir Pou�ne est nommé président par intérim de la Fédéra�on Russie. Il est alors inconnu de la popula�on russe. Celle-ci lui préfère un souverainiste capable de faire face aux oligarques et aux occidentaux, le Ministre des Affaires Etrangères Evgueni Primakov. Ce�e nomina�on est un compromis qui conforte les fac�ons dirigeantes. Les oligarques pensent avoir affaire à un homme manipulable. Le président par intérim est approuvé par seulement 1 % de la popula�on. En 1999, suite à la nomina�on de Vladimir Pou�ne, des a�entats à la bombe touchent Moscou. Vladimir Pou�ne accuse les Tchétchènes et s’impose comme le représentant de l'ordre. Pou�ne inspire aussi confiance aux oligarques en tant qu’arbitre des lu�es intes�nes entre clans économicopoli�ques. Le 26 mars 2000, Vladimir Pou�ne est élu avec 53 % des voix.

Le Renouveau Une fois élu président, Vladimir Pou�ne réunit les oligarques. Il garan�t l’irréversibilité des achats effectués au cours des priva�sa�ons sous Eltsine mais leur demande de prioriser les intérêts de l’État russe et de ne pas entraver la volonté de ce dernier. Vladimir Pou�ne acquiert la confiance des oligarques et fixe les règles du nouveau rapport de force. Ceux qui brisent ces nouvelles règles en subissent les conséquences.

L’exemple le plus marquant est celui de l’affaire Ioukos en 2003. L’oligarque Mikhaïl Khodorkovski est emprisonné. Loukos, son entreprise, est na�onalisée.

Il est accusé de malversa�ons financières. En réalité, Khodorkovski est puni pour avoir essayé de négocier un contrat de rachat de Ioukos par des entreprises américaines. L’Etat russe fait de ce�e affaire un cas d’école contre l’insubordina�on au pouvoir exécu�f.

Par ailleurs, la na�onalisa�on de Ioukos s’inscrit pleinement dans la créa�on d’un conglomérat public dans l’énergie qui puisse faire concurrence à d’autres géants interna�onaux.

Vladimir Pou�ne nomme ses fidèles, le « clan pétersbourgeois », aux postes clefs. Igor Setchine prend la tête de Rosne�, deuxième plus grande

entreprise pétrolière de Russie. Plus flagrant encore, la manœuvre de passe-passe opérée par Vladimir Pou�ne et Dmitri Medvedev. Contraint par la Cons�tu�on, Vladimir Pou�ne ne peut pas briguer de troisième mandat consécu�f en 2008. Son proche Dmitri Medvedev prend la présidence de la Fédéra�on de Russie, Pou�ne est son premier ministre. Ils inversent les rôles en 2012.

Une transition inachevée En 2012, lorsque Vladimir Pou�ne est réélu, sa popularité est mise à mal. Une par�e de ses sou�ens désapprouve le jeu de chaises musicales auquel il s’est livré avec Medvedev. Les manifesta�ons de 2011 démontrent la fragilité sur laquelle repose le pouvoir russe. Le par� au pouvoir, Russie Unie, pointé du doigt par la corrup�on de ses élus, ne convainc plus. Il est surnommé le par� des voyous et des voleurs, par�ya joulikov i vorov. Un think-tank est créé, le Centre de la Poli�que Sociale-Conservatrice, Centr Social’noKonserva�vnoj Poli�ki, afin d’élaborer une idéologie : le «modernisme conservateur».

Le par� développe ses réflexions, sou�ent le pouvoir exécu�f en plaçant la Russie et son gouvernement comme moteurs d’une nouvelle forme de gouvernance mondiale. Celle-ci se veut respectueuse de la souveraineté na�onale en cri�quant violemment l’interven�onnisme axiologique (comme celui de la France en Afrique par exemple). Conforté par un fort sen�ment patrio�que au sein de la société résultant de l’annexion de la Crimée, et plus récemment par la réforme cons�tu�onnelle de 2020, Vladimir Pou�ne s’appuie sur les valeurs na�onalistes (mul�plica�on de l’expression « le peuple russe », russkij narod, au sein des communiqués du président) et religieuses afin de renforcer le sou�en de la popula�on à son administra�on. Son argumentaire est agrémenté de références à l’Histoire de la Russie ancienne et tsariste, ainsi qu’à l’idéologie eurasiste. La Russie est présentée comme protectrice des valeurs européennes tradi�onnelles mais aussi comme le seul pays capable d’assumer ce rôle en Europe. Ce renouveau idéologique n’empêche pas la contesta�on. Russie Unie perd 19 sièges aux élec�ons législa�ves de 2021.

Un rapport à l’Occident complexe En 1997, la rédac�on de l’acte fondateur OTANRussie marque un renouveau dans les rela�ons interna�onales. Jusqu’en 2007, Vladimir Pou�ne mul�plie les efforts diploma�ques en faveur du mul�latéralisme. Il est le premier chef d’État à condamner l’a�aque du 11 septembre. La Russie met à disposi�on des Américains ses infrastructures militaires en Asie centrale pour assister leur interven�on en Afghanistan et des renseignements.

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En 2007, à la conférence de Munich sur la sécurité, Vladimir Pou�ne cri�que violemment l’hégémonie états-unienne et appelle à la promo�on d’un monde mul�polaire.

La Russie a été déçue par les bombardements de la Yougoslavie en 1999 et l’élargissement successif de l’OTAN. Le sommet de l’OTAN en avril 2008, achève toute possibilité de coopéra�on entre la Russie et l’Occident. Le communiqué final de ce sommet indique : « nous [l’OTAN] avons décidé que ces pays [l’Ukraine et la Géorgie] deviendraient membres de l’OTAN ». En septembre 2008, la Russie intervient militairement en Géorgie. C’est l’affirma�on de la poli�que russe vis-àvis de son « étranger proche ». Les républiques d’exURSS sont dans la zone d’influence russe et la Russie de Vladimir Pou�ne es�me bénéficier d’un droit de regard sur ces régions. En 2009, la Fédéra�on voit d’un mauvais œil la mise en place du Partenariat Oriental de l’Union Européenne qui permet le rapprochement des États du Caucase, de la Moldavie, de la Biélorussie et de l’Ukraine avec l’Europe et qui exclut la Russie.

L'Euromaidan, soulèvement européiste à Kiev, précipite l’annexion de la Crimée. Les affirma�ons de la puissance russe se mul�plient. En 2020, la Russie assure le rôle de médiateur dans le conflit du HautKarabagh. En 2022 la Russie est en guerre contre l’Ukraine.

Cependant, la Russie exporte plus de la moi�é de ses hydrocarbures vers l’Europe, créant un lien d’interdépendance entre pays membres de l’OTAN et la Russie. Vladimir Pou�ne est contraint de maintenir un certain niveau de coopéra�on et de dialogue avec

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les occidentaux, essen�el pour la stabilité de l’économie russe.

Le conflit actuel, un tournant en trompe l’œil La réforme cons�tu�onnelle de 2020 a renforcé les ins�tu�ons russes mais permet surtout à Vladimir Pou�ne de se représenter en 2024 pour deux mandats supplémentaires. Par ailleurs, les prochaines élec�ons législa�ves auront lieu en 2025. Il est apparent que « l’opéra�on militaire spéciale » en Ukraine, ne suit aucun objec�f électoral. Économiquement, les mines de houille des républiques sécessionnistes d’Ukraine sont vieilles peu rentables selon les standards de pays développés.

Le conflit s’inscrit dans un contexte de réorganisa�on des forces américaines dans le Pacifique. Il s’agit d’une volonté certaine de résoudre défini�vement, le conflit qui oppose Kiev, soutenue par les Américains, aux sépara�stes. Ce�e guerre suit une logique froide et clausewitzienne et s’inscrit comme une con�nuité de la poli�que, là où la diploma�e n’a pas fonc�onné. Ce�e guerre traduit la volonté de Vladimir Pou�ne de clôturer le dossier ukrainien une fois pour toutes. Le président russe, marqué par son pragma�sme, démontre la place de la Russie parmi les grandes puissances.

Ce conflit illustre également l’importance croissante de l’espace eurasia�que comme un acteur majeur de la géopoli�que mondiale.

Alors que les scénarios de résolu�on de la crise ukrainienne demeurent pour l’instant difficiles à prédire, la Russie a démontré une fois de plus sa capacité à faire usage du hard power pour a�eindre ses objec�fs. Ainsi, le conflit entérine la doctrine diploma�que russe basée sur les rapports de forces entre États. Néanmoins, ce�e guerre ne semble pas faire l’unanimité au sein des cercles proches de Vladimir Pou�ne. Certaines prises de paroles le transparaissent. Très marquant pour la jeunesse urbanisée russe, la fille du secrétaire de presse du Kremlin, Dmitri Peskov s’est par exemple opposée à la guerre sur Instagram, avant de supprimer son message.

Institut Promethei www.associationpromethei.com

Depuis 1986, l'association Promethei est l'association des relations internationales de l'Inalco. Promethei regroupe les étudiants des différents départements d'études de l'Inalco, passionnés par les relations internationales.

L'association forme ses membres aux métiers des relations internationales au travers de revues et traduction de presse, simulations des nations unies, conférences et rencontres professionnelles.

Bien qu’une reconfigura�on poli�que ne semble pas à l'ordre du jour au Kremlin, il sera impéra�f de suivre les effets des sanc�ons sur le rapport de la popula�on russe à Vladimir Pou�ne, qui peut lui être favorable comme défavorable.

¹RAVIOT, Jean-Robert. Démocra�e à la russe. Pouvoir et contre-pouvoir en Russie, Elipse, Paris, 2008, 157p. ²BESSONNET, Romain, Vladimir Pou�ne par luimême. La conquête du pouvoir, discours et inten�ons 1991-2000, Jean-Cyrille Godefroy, Paris, 2021, 303p. ³THOM Françoise. Comprendre le pou�nisme, Desclée de Brouwer, Paris, 2018, 232p. ⁴NOUGAYRÈDE Natalie. « Les oligarques et le pouvoir : la redistribu�on des cartes », in Pouvoirs. 2005, N°112, 141-152p. ⁵Banque Mondiale : h�ps:// donnees.banquemondiale.org/indicateur/ NY.GDP.MKTP.CD?end=2020&loca�ons=RU&start=198 8&view=chart ⁶Vladimir Pou�ne à propos des traîtres le 16/03/2022 : h�ps://www.rbc.ru/poli�cs/ 16/03/2022/6231ed089a79477338478812 ⁷DE GLINIASTY, Jean, Pe�te Histoire des rela�ons franco-russes, entre géopoli�que et idéologie, Paris, 2021, 124p. ⁸FAUCONNIER Clémen�ne. « À quoi sert Russie unie ?

Conserva�sme et modernisa�on dans les discours de légi�ma�on du par� du pouvoir », Cri�que interna�onale, vol. 53, no. 4, 2011, pp. 145-165. ⁹Jean Radvanyi dans l’émission « Pas content avec Tabibian » le 03/03/2022 : h�ps://youtu.be/ 2SxmKrz6JQM

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CONFLIT UKRAINIEN

Russie & Ukraine La communication au cœur du conflit Par l’Ins�tut Talleyrand, École des Hautes Études Interna�onales et Poli�ques

Avant-propos Ils sont de ces temps où chacun doit savoir comprendre. De ces temps où les discussions en cours s’arrêtent, où les regards se détournent, et où les pensées se confondent. Nous vivons un moment historique, empreint d’une gravité que personne ne saurait ignorer.

Nos premiers mots et nos solidaires pensées vont au peuple ukrainien, ainsi qu’à tout individu directement ou indirectement lié à l’État souverain et républicain qu’est l’Ukraine. À l’occasion d’un jeu de rôle, nous, étudiants, devions incarner les gouverneurs de la Banque

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Centrale Européenne réunis pour décider d’une poli�que monétaire en conséquence du déploiement des troupes russes sur le sol ukrainien. À l’exercice de la conférence de presse, nous devions collec�vement produire un communiqué consensuel. Il fut ques�on de caractériser la situa�on. À la surprise générale – mais défini�vement pas unanime – la men�on des termes « conflit », « guerre » et « invasion » fut déba�ue et de vifs échanges s’engagèrent.

Sous couvert d’une interpréta�on hardie des rôles qui nous avait été a�ribués, certains « gouverneurs » ont, semble-t-il, cru bon de jus�fier l’opéra�on spéciale russe au regard des ambi�ons extensionistes de l’OTAN, d’avancer un discours pro-Kremlin de dénazifica�on de l’Ukraine, tout en réfutant la

caractérisa�on de l’invasion. Leur ardeur a payé et ces mots n’ont pu apparaître sur la déclara�on officielle de la prétendue ins�tu�on européenne, faute de consensus. Pourtant, ils sont bel et bien men�onnés au sein du communiqué de presse officiel de la BCE¹.

Ce moment n’était révélateur que d’une seule chose : les différences d’analyses, lorsque ces dernières sont scien�fiquement infondées pour une par�e au débat, ne peuvent fatalement que mener l’issue de la ques�on du mauvais côté de la scène interna�onale.

L’invasion de l’Ukraine, telle qu’ordonnée par le président russe Vladimir Pou�ne est une indéniable viola�on du droit interna�onal. N’en déplaise à ceux qui jus�fient et valident la poli�que extérieure de Moscou au �tre de la réaffirma�on de la puissance russe contre le gendarmisme transfrontalier américain post-Guerre Froide, la Russie a réuni près de 200 000 hommes pour envahir l’Ukraine et en a perdu 20 % en trois semaines². Le Kremlin, lui, parle d’un gros millier de décès. Ici encore, chaque informa�on chiffrée reste à considérer avec précau�on, considérant par exemple le simple fait que l’armée russe se plaît à privilégier la publica�on des pertes de ses officiers, minimisant ainsi le nombre total de morts à déplorer. Sans transi�on, les deux par�es au conflit russo-ukrainien concèdent des pertes considérables. État-na�on, souverain et indépendant depuis 1991, l’Ukraine est dotée d’une langue, d’un territoire, d’un peuple et d’un gouvernement qui lui sont propres. Son invasion ne peut être considérée autrement.

Autrefois membre de l’URSS, le pays a obtenu son indépendance à la suite de l’effondrement du bloc sovié�que. Si selon Vladimir Pou�ne la dispari�on du bloc de l’Est a été « la pire catastrophe géopoli�que du XXe siècle », l’indépendance ukrainienne cons�tue tout par�culièrement une « tragédie », un dépouillement et une injus�ce faits à la Russie. Cet a�achement du Kremlin pour l’Ukraine réside en un historique civilisa�onnel simple : l’Ukraine est le berceau de la Rus’ de Kiev³ et, depuis la signature du traité de Pereïslav en 1654, les territoires russe et ukrainien n’ont jamais été dissociés jusqu’à 1991. Pour Moscou, encore aujourd’hui, les deux pays ne forment en fait qu’un seul peuple du fait d’une langue, d’une Histoire et d’une culture communes.

En revanche, côté ukrainien, si l’actuel président Volodymyr Zelensky reconnaît les liens historiques civilisa�onnels qui unissent l’Ukraine à la Russie, il a toujours radicalement rejeté l’idée selon laquelle les deux États ne formeraient qu’une na�on.

Ce sen�ment d’appartenance à une Ukraine indépendante a toujours été dénié par la Russie, en

témoigne le sou�en que ce�e dernière apporte aux régimes sépara�stes pro-russes ac�vement en lu�e dans la région du Donbass contre l’instaura�on de la démocra�e suivant la chute de l’ancien président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovytch en 2014.

Ce�e des�tu�on intervient suite à l’émergence du mouvement Euromaïdan, qui s’est traduite par des manifesta�ons pro-européennes en Ukraine à par�r de la fin de l’année 2013, suite à la décision du gouvernement ukrainien de signer un accord avec la Russie au détriment d’un accord d’associa�on avec l’Union Européenne. Depuis, treize mille pertes sont à déplorer dans le Donbass. Région synonyme d’épicentre du néonazisme ukrainien selon Vladimir Pou�ne, ce dernier a déjà poussé la comparaison jusqu’à accuser Kyiv d’y être à l’origine d’un « génocide » . C’est sur ce�e rhétorique que Vladimir Pou�ne se plaît à se baser, se plaçant ainsi en héri�er de la grandeur sovié�que. Et si Moscou espérait maintenir une étroite mais permanente emprise sur l’ancien satellite sovié�que au travers de son implica�on dans la guerre civile, la des�tu�on du dernier président pro-russe a révélé la solidité du patrio�sme ukrainien.

Fraîchement élu, l’actuel président de l’Ukraine Volodymyr Zelensky déclarait qu’il était « possible d’occuper temporairement un territoire, mais [qu’il était] impossible d’occuper le cœur des Ukrainiens et leur amour pour l’Ukraine ». Depuis 2014, l’Ukraine est en proie à des penchants occidentaux de plus en plus probléma�ques pour Moscou, plus que jamais déterminée à maintenir une sphère d’influence russe en Europe orientale. Aussi, sceau de son divorce sous toutes ses coutures avec la Russie, la majorité des ukrainiens est aujourd’hui désireuse de rejoindre l’OTAN, en plus de sa volonté de longue date d’adhérer à l’Union Européenne.

La stratégie de communication Le déploiement militaire tel qu’ordonné par Vladimir Pou�ne en Ukraine découle de deux obsessions intrinsèques au Kremlin : d’abord, la nécessité absolue de conserver son hégémonie en Europe orientale, face aux États-Unis d’un côté et à la Chine de l’autre ; ensuite, la crainte palpable d’une progression démocra�que dans la région. En cause, l’élec�on de Volodymyr Zelensky à la présidence de l’Ukraine en 2019 a ini�é une grande stratégie de lu�e contre la corrup�on ainsi que l’effacement total de toute forme d’autoritarisme poli�que dans le pays. Sylvie Kauffmann, journaliste au Monde et spécialiste des ques�ons diploma�ques es�me qu’au regard des similitudes socio-culturelles et – anciennement – poli�ques qui existent entre l’Ukraine et la Russie, il y a fort à parier que le président russe eut craint une répé��on du scenario ukrainien dans son propre pays.

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De plus, l’agressivité russe répond au culte de la « Grande guerre patrio�que », dynamique mémorielle liée à la Seconde guerre mondiale par laquelle la Russie de Vladimir Pou�ne réhabilite le rôle du « pe�t père du peuple » Staline, mais pas seulement. Est également glorifiée la défaite du nazisme, soit le plus grand mal du XXe siècle, infligée par une Union Sovié�que au climax de son triomphe.

C’est ainsi que, début janvier 2022, sur demande du Kremlin, des pourparlers sont engagés entre la Russie, les États-Unis et l’OTAN. À ce�e occasion, la Russie présente à signature trois traités visant explicitement l’absten�on de tout nouvel élargissement de l’organisa�on, et en par�culier le main�en de l’Ukraine en dehors de celle-ci. En outre, ces accords conviendraient d’une exclusion totale de toute ac�vité militaire sur le territoire de l’Ukraine ainsi que d’autres États d’Europe orientale, du Caucase du Sud et d’Asie centrale. Coutumier des ul�matums, le président russe a, en parallèle, posi�onné 100,000 soldats russes aux fron�ères russo-ukrainiennes. Fort de la conjoncture géopoli�que mondiale, Vladimir Pou�ne a su �rer par� de la fragilité américaine suite au retrait des troupes américaines d’Afghanistan, de la transi�on poli�que générée par la fin du mandat de la chancelière allemande Angela Merkel et de l’élec�on présiden�elle française. Ajoutons à ce cocktail le levier énergé�que, par lequel la moi�é de l’Union Européenne dépend de la Russie pour se fournir en gaz, et nous obtenons une mise sous pression de l’Europe, à un degré jamais expérimenté depuis la fin de la Guerre Froide.

Aussi, au lendemain d’une réunion du Conseil de Sécurité de la Fédéra�on de Russie tenue au Kremlin le 21 février 2022, le président russe a officiellement reconnu l’indépendance des deux républiques sécessionnistes du Donbass : Donetsk et Louhansk. Par ladite opéra�on spéciale visant à « libérer le peuple ukrainien de l’idéologie néo-nazie », Vladimir Pou�ne va, sans s’en douter, déclencher l’embourbement de la Russie dans un conflit qui va l’opposer à un État finalement plus résistant et résilient qu’escompté.

Alimentée d’une part par des discours diffamatoires sur un nazisme prétendument diffus à tout le pays, l’opéra�on revêt un aspect libérateur, démonstrateur de la puissance russe qui renforce ses intérêts géostratégiques par la « protec�on des communautés apparentées vulnérables ». Les troupes russes ont ainsi traversé les républiques nouvellement déclarées indépendantes et, appuyées par les traités de reconnaissance, se sont militairement implantées sur le territoire ukrainien. À travers la prise de villes géographiquement stratégiques, le Kremlin vise à terme la chute de Kyiv. Mais au-delà de la capitale ukrainienne et du gouvernement qu’elle abrite, c’est bien la souveraineté – voire l’existence même – de

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l’Ukraine en tant qu’État-na�on qui est dans le viseur russe aujourd’hui.

Poursuivant aveuglément la théorie unificatrice avancée dans son essai « De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens »⁶, Vladimir Pou�ne tente aujourd’hui de maintenir le couvercle sur une marmite chaque jour un peu plus au bord du débordement, en ce que la résilience de l’armée et du peuple ukrainien a vraisemblablement été largement sous-es�mée par Moscou.

Opéra�on spéciale de dénazifica�on d’un territoire qui ne devait « durer que deux jours » selon les agents officiels du Kremlin, l’invasion russe prend une dimension que d’aucuns qualifieraient de suicidaire. La guerre dure maintenant depuis près de cinquante jours au moment de la rédac�on et, faute d’avoir pu prendre Kyiv, les troupes russes sont aujourd’hui repoussées vers l’est du pays.

Pour autant, ce repli n’est pas synonyme d’abandon.

Bien au contraire, il semble que le combat militaire ne soit désormais plus le seul levier ac�onné par l’armée russe à l’égard de la popula�on ukrainienne.

Massacres de civils, viols collec�fs sur femmes, hommes et enfants de tous âges, torture… les témoignages et les preuves s’accumulent dans le sillon des mercenaires russes. Pourtant, malgré les preuves accablantes, Vladimir Pou�ne con�nue de mener ce qu’il considère comme « une simple opéra�on de dénazifica�on » tout en terrorisant sa popula�on avec des peines d’emprisonnement pour les opposants et des milliers de roubles d’amende pour quiconque prononcerait le mot « guerre » pour caractériser le conflit russo-ukrainien.

En l’occurrence, de ce�e tragédie humaine et géopoli�que ressort un constat stratégique : le façonnement de l’Ukraine en pays martyr est un réel contributeur de l’embourbement russe et du sou�en qu’elle reçoit de la communauté interna�onale.

Mais si la dynamique de l’invasion permet aisément de caractériser l’agresseur et l’agressé, l’héroïsme de son président lui vaut de s’ériger en pays figure de la résistance contemporaine à la barbarie de l’armée russe.

Propulsé sur le devant de la scène interna�onale par le bien triste tableau qui se dessine en Europe orientale, le président d’Ukraine Volodymyr Zelensky se dis�ngue par son courage depuis le début du conflit.

Ini�alement humoriste et comédien, Volodymyr Zelensky est élu président d’Ukraine en mai 2019. Loin d’être des�né à la poli�que, son ambi�on présiden�elle est née du succès na�onal rencontré par la série satyrique « Serviteur du peuple », dans laquelle il interprétait un président qui refusait la

corrup�on dans son administra�on. Faisant de la transparence démocra�que son étendard, il devint l’ins�gateur du rela�f ne�oyage de l’Ukraine en ce que bon nombre d’oligarques russes et d’administrateurs corrompus furent démis de leur fonc�ons. Lors de son discours inaugural, il déclare que « tout le monde est égal devant la loi et les règles du jeu sont honnêtes et transparentes et sont les mêmes pour tous. Et pour que cela se produise, les personnes qui veulent servir la na�on doivent en prendre acte. » Néanmoins, le rela�visme reste de mise s’agissant de l’assainissement éthique de l’élite poli�que et média�que ukrainienne : à son échelle, Volodymyr Zelensky a notamment été épinglé pour l’ouverture de comptes offshores et, à l’échelle na�onale, aucune profonde transforma�on structurelle de l’Ukraine ne saurait être réellement constatée.

Mais le total dévouement de Volodymyr Zelensky à la protec�on de son pays et de son peuple a su fédérer les ukrainiens et susciter l’admira�on du monde en�er. À la veille de l’invasion, il tente une dernière fois de dissuader le président russe par ces mots : « quand vous nous a�aquerez, vous verrez nos visages, pas nos dos ». Dès le lancement de l’offensive, il troque son apparat présiden�el pour un habit kaki, se mure dans le palais Mariinsky et y entame sa résistance.

Issu du monde du diver�ssement, Volodymyr Zelensky se dis�ngue par son maniement de la communica�on guerrière de Kyiv et par la cohérence qui lie sa rhétorique à ses ac�ons. Appuyé par son ministre du numérique, lequel était également son directeur de campagne présiden�elle, il alimente une propagande an�russe et alerte la communauté interna�onale avec des vidéos sensa�onnelles où l’on peut voir Paris ou Berlin se faire bombarder. Le message est clair : si cela arrive à l’Ukraine, cela peut arriver à n’importe quel autre État européen.

considéré comme un moyen personnellement Vladimir Pou�ne.

d’affaiblir

Si l’issue du conflit est incertaine, le courage du président ukrainien aura eu pour effet de faire grandement évoluer la rela�on de l’Ukraine avec l’Union Européenne. Désireuse depuis le début du XXIe siècle d’intégrer l’organisa�on régionale – Volodymyr Zelensky fus�geait encore très récemment ce refus de longue date, l’Ukraine est aujourd’hui massivement soutenue par Bruxelles. Des équipements militaires ont été acheminés sur place, des couloirs humanitaires ont été négociés avec Moscou et des canaux diploma�ques sont alimentés par plusieurs chefs d’États européens. Point d’orgue de ce sou�en : la Présidente de la Commission Européenne Ursula Von Der Leyen s’est rendue à Kyiv dimanche 20 avril 2022 afin d’officiellement annoncer à Volodymyr Zelensky l’engagement du processus d’intégra�on de l’Ukraine à l’Union européenne.

Equipe de rédac�on : Nolwenn VOITURIER – Pôle Actualité Agatha CHAKHNOVSKI – Pôle Rédac�on Philippine BENMAYOR - Rédactrice en chef Dorian PAIRE�COCHIN – Président Notes ¹ Décision de poli�que monétaire, Banque Centrale Européenne, 10 mars 2022 ² Général Dominique Trinquand, 8 avril 2022, France Info ³ La Rusʹ est la plus ancienne en�té poli�que commune à l'histoire des trois États slaves orientaux modernes : Biélorussie, Russie et Ukraine. ⁴ Mahaut Landaz, L’Obs, 12 avril 2022 ⁵ Organe composé des plus hauts responsables de l’Etat russe ⁶ « De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens » Vladimir Pou�ne sur le site officiel du Kremlin, juillet 2021

Avec un usage quasi-permanent de Twi�er, Facebook et Telegram, le président ukrainien �ent au courant son peuple et le reste du monde de la situa�on sur le terrain. Entouré des hommes de son gouvernement, s’étant eux aussi dévoués à la résistance, il encourage son peuple à lu�er contre l’envahisseur en s’abstenant de demander quoi que ce soit aux citoyens ukrainiens qu’il n’était pas déterminé à faire lui-même. L’in�mida�on est également de mise, puisque les officiels ukrainiens n’hésitent désormais plus à afficher publiquement les prisonniers russes lorsque ceux-ci sont capturés. La dernière prise en date, Viktor Medvedtchouk, oligarque ukrainien et député pro-russe fait prisonnier par l’armée ukrainienne, a été u�lisée pour négocier le retour des prisonniers ukrainiens retenus en Russie. L’homme a ainsi été largement affiché sur les réseaux sociaux et la communica�on autour de son arresta�on est

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CONFLIT UKRAINIEN

Conflit en Ukraine L’existence ou non d’un monde atlantico-centré Par Karine BÉCHET�GOLOVKO, professeur invité à l’Université d’Etat de Moscou, Blog Russie Poli�cs

Le conflit, qui se développe en Ukraine n’a pas commencé en février 2022, il a commencé bien avant cela, à la chute de l’Union sovié�que, car avant d’être militaire, ce conflit est géopoli�que, bien qu’il se traduise de différentes manières, notamment militaire. Il entre aujourd’hui dans sa phase décisive.

La chute de l’URSS a remis en cause l’équilibre des forces interna�onales et le monde bipolaire, assis autour de deux pôles de pouvoir (et de gouvernance), à savoir les États-Unis et la Russie, chacun avec leurs pays satellites. Soudainement devenu unipolaire, les appé�ts de ce monde se sont réveillés, face à tant de territoires et d’hommes à conquérir, que ce soit économiquement ou idéologiquement. L’URSS dépecée, c’est la Russie historique qui s’effondre et

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tout a été mis en œuvre pour que, ce�e fois-ci, elle ne puisse se recons�tuer, comme ce fut le cas après la chute de l’Empire. Les na�onalismes locaux ont été poussés à leur paroxysme, sauf le na�onalisme russe puisque la Russie « officielle », elle, devait être faible, et il est devenu impensable et interdit pour les nouvelles élites russes « démocra�ques » d’imaginer regrouper les territoires historiques, désormais éparpillés et tombés sous gérance globalisée, au nom d’une concep�on de la démocra�e entretenue par les différents organes de gouvernance, que sont à leur niveau, par exemple l’OSCE, l’OCDE, le FMI, la Banque mondiale, le Conseil de l’Europe ou l’American Bar Associa�on. Toutes ces ins�tu�ons, qui ont ac�vement par�cipé à la cons�tu�on de nouvelles en�tés formellement éta�ques sur le territoire de l’URSS, ont

également encadré les nouvelles élites dirigeantes et intellectuelles et donc par�cipé à cons�tu�on de leur nouvelle vision du monde, qui fondamentalement ne remet pas en cause la globalisa�on, mais cherche à s’y inscrire.

Et ce�e première phase de la conquête globaliste a été largement remportée par les forces atlan�stes.

Lorsque les popula�ons de l’espace « post-sovié�que » ont eu la tenta�on de revenir à une simple normalisa�on des rela�ons avec la Russie, des révolu�ons, dites de couleur, ont été alors déployées, comme nous avons pu le voir en Géorgie, en Arménie, en Asie centrale et plus par�culièrement en Ukraine.

Le monde global ne peut être qu’un, avec un seul centre de décision poli�que, un seul État ayant in fine le privilège de la souveraineté, donc la possibilité de déterminer quels sont les intérêts qui doivent être défendus et quels conflits peuvent être déclenchés pour défendre ces intérêts « légi�mes ».

Le cas de l’Ukraine est ici par�culier, car il est le cœur historique de la Russie, le territoire ukrainien a fait par�e de l’État russe un bon millénaire, avant de bénéficier d’une trentaine d’années d’indépendance, ou plutôt de mise sous protectorat atlan�ste. Très concrètement, la première fracture, après la rupture du cordon ombilical, a été organisée en 2004 avec la « Révolu�on orange ». La situa�on est parfaitement manichéenne. Le vainqueur final de la course électorale, Viktor Yanokovitch, malgré un empoisonnement aux effets aussi spectaculaires qu’inoffensifs de son opposant, était considéré comme trop modéré, trop « pro-russe ». Un troisième tour a donc été organisé par l’OSCE et le « bon » candidat, Viktor Iouchtchenko, l’a remporté. Mais pas pour longtemps, puisqu’aux élec�ons présiden�elles suivantes en 2010, le « mauvais » candidat l’a à nouveau remporté. Il a fallu frapper fort, avec violence, avec une telle violence que la société implose et qu’elle ne réalise même pas son passage sous gouvernance étrangère. Le Maîdan en 2014 a joué ce rôle. L’on rappellera pour illustrer ce�e prise en main, la présence de ministres étrangers dans le premier gouvernement, notamment une Américaine aux finances, les réformes faites en contre-par�e des financements interna�onaux devant maintenir le budget na�onal en état de survie, le développement des programmes de l’OTAN. Le combat militaire lancé alors contre l’Est du pays, contre ces popula�ons russophones et Russes en grande par�e, laissant sousentendre que si le territoire était important, les popula�ons, elles, devaient être ne�oyées, fut le principal élément destructeur de la société ukrainienne. L’Ukraine est ainsi devenue le terrain de combat entre les États-Unis, à la tête du clan globaliste, et la Russie qui, sans avoir longtemps remis en cause la globalisa�on, étrangement (et peut être

naïvement) y revendiquait sa place, mais refuse de se laisser digérer.

Pendant 8 ans, le conflit en Ukraine est resté gelé, ne pouvant être résolu, puisqu’il est un conflit secondaire du conflit primaire de vision du monde et de réorganisa�on des rapports interna�onaux issus de la Seconde Guerre mondiale. Déjà en 2015, avec les Accords de Minsk, qui prévoyaient en contre-par�e de certaines garan�es cons�tu�onnelles pour les territoires de l’Est leur appartenance à l'Ukraine, la Russie, alors garante de ces Accords au même �tre que la France et l’Allemagne, avait montré son absence de volonté de récupérer les territoires ukrainiens. La réintégra�on de la Crimée avait été un signal devant sonner la fin des Révolu�ons de couleurs, puisque désormais pouvant avoir des conséquences territoriales pour le pays concerné, mais la Russie voulait u�liser ce�e conquête pour négocier sa place sur l’échiquier mondial... et global, non pas pour le reme�re en cause ou pour restaurer la Russie dans ses fron�ères historiques.

Entrainement de soldats de l'OTAN en Estonie - US Army

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Huit années, où la Russie a joué selon des règles qu’elle ne maîtrise pas, la dimension militaire a été réac�vée, par l’Ukraine tout d’abord, car le clan Atlan�ste pensait la Russie prête à renoncer, suite à deux années d’alignement covidiste et du renforcement de la gouvernance globaliste à l’intérieur du pays. En hiver 2021-2022, l’Ukraine ramène de plus en plus d’ar�llerie vers la ligne de front et l’intensité des combats augmente sensiblement. Quelques jours avant l’annonce par la Russie du lancement de ses forces armées, le territoire frontalier russe est plusieurs fois touché par l’armée ukrainienne. Dès lors, l’Occident lance le discours poli�co-média�que de « l’agression russe » et la posi�on officielle américaine est de plus en plus guerrière, allant jusqu’à revendiquer la volonté finale (réelle) de faire tomber la Russie, de « l’affaiblir ». C'est en fait le Secrétaire américain à la Défense, Llyod Aus�n, qui a déclaré

depuis la Pologne : "Nous voulons voir la Russie affaiblie à un point tel, qu'elle ne puisse pas faire le genre de choses qu'elle a faites en envahissant l'Ukraine". La Russie ne doit donc pas, à l'avenir, avoir le droit de réagir lorsqu'un conflit militaire est entretenu par les États-Unis à sa fron�ère. La Russie ne doit donc plus être en état, à l'avenir, de réagir si une a�aque militaire est dirigée contre elle. Autrement dit la Russie, comme État, doit ainsi disparaître, puisqu’un État qui ne maîtrise pas son intérêt na�onal et ne peut défendre son territoire n’existe pas.

Si l’enjeu principal de ce conflit est la ques�on de l’existence incontestée d’une globalisa�on atlan�ste ou de sa remise en cause avec l’affirma�on du droit à l’intérêt na�onal propre (et différent des intérêts atlan�stes), autant que de sa défense, il est déjà possible de faire quelques remarques.

La globalisa�on, en tant que telle, est déjà contestée.

En forçant les pays à adopter des sanc�ons contre la Russie, en forçant les pays à rompre leurs rela�ons (commerciales, culturelles, scien�fiques, etc.) avec la Russie, les États-Unis ont commis une erreur : ils ont ouvert la voie à la restaura�on du mouvement des non-alignés, car il est simple de donner un signal dissonant dans ce concert des na�ons globalisées, il suffit en fait de con�nuer à mener la même poli�que.

Et l’illusion du monde global vient de s’effondrer. Selon The Economist, dans sa publica�on du 4 avril 2022, si 131 pays sont contre la Russie, ils ne cons�tuent que 36 % de la popula�on mondiale. Donc près de 70 % de la popula�on vit dans des pays amis ou neutres à l’égard de la Russie.

Ensuite, la Russie se déglobalise, or le monde ne peut être global sans la Russie. Si certains peuvent déplorer le départ de compagnies étrangères du territoire russe, cela est une très bonne chose à long terme, car le Gouvernement va être obligé de revenir dans la réalité et de s’occuper non pas de « numérisa�on de tout le pays », mais de la produc�on des produits nécessaires à la vie courante. Ainsi, l’on voit se développer des programmes éta�ques de relance et de sou�en pour les différents secteurs de l’économie réelle. Autre élément très intéressant, le paiement du gaz. Désormais, le gaz se paie non seulement en roubles, mais surtout en Russie. La Russie sort enfin de la phase de « colonisa�on énergé�que » dans laquelle elle s’était enferrée depuis la chute de l’URSS. Le gaz était payé sur des comptes russes, mais en Occident, comptes aujourd’hui bloqués. Autrement dit, en vendant du gaz à l’étranger, la Russie finançait l’économie de ces pays et une par�e seulement revenait dans l’économie na�onale russe.

La déglobalisa�on de la Russie est aussi ins�tu�onnelle : elle sort pe�t à pe�t des instances de gouvernance globale, pour l’instant sans trop d’assurance car les élites globalites intérieures russes

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sont toujours en poste (à l’excep�on de Anatoly Tchubaïs, qui est par� du pays), mais le mouvement est lancé. Qui aurait pu penser que la Russie puisse sérieusement sor�r des griffes du Conseil de l’Europe, quand elle avait digéré toutes les humilia�ons suite au ra�achement de la Crimée ?

Toutefois, la victoire finale de l’une au l’autre des par�es passe par une victoire militaire en Ukraine et en cela Borrell a parfaitement raison. Mais la ques�on reste de savoir jusqu’où ira ce champ de bataille, si cher aux ins�tu�ons européennes. Va-t-il déborder l’Ukraine pour toucher l’Europe ou bien, comme l’espère doucement Blinken, va-t-il déborder vers la Russie ? Si la victoire militaire en Ukraine insuffisante pour épuiser ce conflit mul�dimensionnel entre le monde Atlan�ste et la Russie, elle est indispensable pour asseoir le combat sur les autres phases de ce conflit et ensuite redessiner un nouvel ordre mondial, adapté à la réalité du nouveau rapport de force entre les puissances en jeu. De manière annexe, c’est aussi la survie géopoli�que des pays européens, actuellement totalement dilués dans la puissance atlan�ste, qui se joue et qui va avoir un impact important sur la carte du nouveau monde.

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ECONOMIE

Industrie russe Etat des lieux de l’industrie automobile Par Philippe GRIENENBERGER, Dirigeant de l’amicale des étudiants français, MGIMO

Les derniers paquets de sanc�ons adoptés par l’Union Européenne ont fait l’effet d’une bombe dans l’industrie automobile russe. Elle se retrouve maintenant dans une situa�on extrêmement compliquée et les défis à relever seront immenses pour les prochaines années. Avant de voir quels sont les impacts des sanc�ons sur l’automobile russe, il est important de voir brièvement quelle a été son évolu�on au cours des années, de l’URSS à nos jours.

autres machines lourdes sont produites pour contribuer à l’effort d’industrialisa�on du pays. C’est à ce�e époque que naissent par exemple les tracteurs Fordson-Pu�lovets (copies de tracteurs Fordson entre 1924 et 1932) ou la marque de voitures ZIS en 1931 (plus tard renommée ZIL). Ce�e expérience perme�ra au pays de produire quelques premières voitures et des tanks et autres véhicules militaires lourds pour son armée.

Petit historique de l’automobile russe

Si le pays sait depuis un moment produire des blindés, l’URSS ne sait pas produire de voitures pour la popula�on civile. Avec une popula�on et une économie de plus en plus prospère dans le contexte de l’apogée de la puissance sovié�que, la demande pour une voiture populaire commence à se faire sen�r et

Le début de l’industrie automobile russe (ou sovié�que) prend ses racines avec la construc�on de tracteurs lors des plans quinquennaux d’industrialisa�on du pays. Des milliers de tracteurs et

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outre quelques modèles réservés à l’élite et construits en bien trop pe�tes séries (ZIL par exemple), il n’y avait rien pour sa�sfaire ce�e demande.

Avtovaz commence alors à sor�r peu à peu la tête de l’eau et, de surcroît, profite du boom de l’automobile russe des années 2000.

C’est un appel d'offre remporté par FIAT pour la construc�on d’une usine et la produc�on de voitures sous licence qui débouchera sur la créa�on de la société Avtovaz en 1966 qui produira les fameuses Zhiguli, Niva ou Samara. C’est le début de la produc�on en très grande série de voitures en URSS. Grand succès à l’époque, ces voitures seront produites à plusieurs millions d’exemplaires et marqueront le début de l’industrie automobile de masse en Russie.

En 2008, le groupe Renault rentre au capital d’Avtovaz en achetant 25 % des parts pour 1 Milliard de dollars. Rostec (conglomérat d’entreprises de défense na�onalisé) détenait alors les 75 % restants.

Outre le fait que l’Unions Sovié�que ait réussi a en par�e combler la demande intérieure (le temps d’a�ente pour recevoir sa voiture était tout de même élevé), ce�e usine de Toglia� (nommée d’après le fameux communiste Italien Palmiro Toglia�) était considérée comme une des usines automobiles les plus modernes au monde. Elle est un brillant succès de coopéra�on interna�onale avec du transfert de technologies de produc�ons de pointe pour l’époque, étant même décrite par le magazine américain Chicago Tribune dans un ar�cle de 1973 comme « ultramoderne ». Les Russes allant même jusqu’à acheter aux japonais des robots de soudures dans les années 70.

Finalement en décembre 2012, Renault-Nissan acquiert 51,01 % du capital d’Avtovaz devenant ainsi ac�onnaire majoritaire et, en 2014, le groupe finit par racheter 74,5 % des ac�ons lui donnant le plein contrôle sur l’entreprise.

Avec l’aide de Renault, Avtovaz (Lada) abandonne progressivement ses anciens modèles Riva et Nova à par�r de 2011 pour lancer la Lada Granta en 2011, puis la Largus en 2012.

Après des années difficiles sur fond de sanc�ons après le ra�achement de la Crimée à la Russie et de ventes faibles malgré de grands inves�ssements et le lancement de la Lada Vesta, l’ac�vité russe de Renault finit par être rentable courant 2020-2021.

En revanche, après un grand succès ini�al lors de la première décennie de la société, le manque d’inves�ssement et d’innova�ons de l’état dans l’automobile vont créer un énorme retard technologique par rapport aux concurrents occidentaux. Alors que les Japonais, Européens et Américains intègrent de plus en plus de nouvelles technologies comme l’ABS, les airbags, etc.… Les modèles russes restaient presque totalement inchangés depuis les années 1970.

En 1991 avec la chute de l’URSS et la priva�sa�on, les voitures produites, ne pouvaient absolument pas rivaliser avec les concurrents occidentaux arrivant sur le marché Russe. Ils représentent toutefois une op�on à faible prix et très robuste pour les classes moyennes et modestes. Avtovaz et sa marque Lada réussissent à conserver leur place de leader sur le marché Russe mais vont s’ende�er massivement.

Mais avec l’enrichissement de la classe moyenne au début des années 2000, la demande pour des produits plus abou�s et la compé��on des constructeurs étrangers, la part de marché d’Avtovaz est passée sous les 50 % en 2002. La de�e de l’entreprise, ses problèmes de qualité et son manque de compé��vité au début des années 2000 vont faire que l’état Russe rena�onalise Avtovaz pour y me�re l’ordre. Des inves�ssements sont faits, de nouveaux modèles sont lancés et la qualité remise à niveau.

Minsvyaz.ru - Complexe industriel AvtoVAZ

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Conséquence des sanctions Au début de 2022, l’industrie automobile commençait à se reme�re doucement de l’impact de la crise du COVID qui avait provoqué des fermetures d’usines et des pertes financières considérables pour les constructeurs. L’infla�on boostait l’achat de véhicules neufs malgré les difficultés de produc�on liées à la crise logis�que mondiale et celle des semiconducteurs limitant la produc�on.

L’opéra�on militaire spéciale en Ukraine en février 2022 va, en revanche, totalement bouleverser la donne.

Les sanc�ons vont alors se succéder et vont toucher presque tous les secteurs de l’économie. L’embargo sur les exporta�ons en Russie d’un grand nombre de produits, la rupture des chaînes logis�ques avec le retrait de sociétés de livraison européennes, la fermeture des fron�ères et les sanc�ons financières ont forcé l’arrêt des usines en Russie.

En effet, même si le secteur automobile n’est pas explicitement visé par les sanc�ons, la variété extraordinaire de produits sous embargo (on y retrouve même les rhododendrons ou les roses par exemple) impacte directement les opéra�ons des constructeurs. Les voitures étant devenues tellement complexes au cours des dernières années et intégrant tellement de composants importés (surtout l’électronique), les sanc�ons ont fatalement touché

ce�e industrie déjà fragilisée par la pénurie de semiconducteurs.

Par manque de composants, et de livraisons de leurs fournisseurs, les constructeurs ont dû arrêter leurs lignes de produc�on et, à l’heure où j’écris cet ar�cle, elles n’ont toujours pas redémarré.

Ces arrêts de produc�on coûtent extrêmement cher à toute la filière. Comme l’a dit le PDG de Renault Luca de Meo : « Dans l’automobile quand tu ne produis pas, tu brûles du cash à la vitesse de la lumière ».

Les constructeurs occidentaux commencent alors à annoncer suspendre ou cesser leurs ac�vités en Russie du fait de l’impossibilité de produire et pour stopper l’hémorragie de cash. Nous avons par exemple Volkswagen qui a arrêté ses usines de Kaluga et Nizhny-Novgorod ou Toyota qui a suspendu la produc�on des très populaires Camry et RAV4 de leur usine de Saint-Pétersbourg dès le 4 mars. Les autres qui ne produisent pas localement annoncent l’arrêt des livraisons de voitures à cause de l’embargo.

Mais dans les faits, aucun n’a annoncé se re�rer défini�vement du marché Russe. Que ce soit du fait des énormes inves�ssements réalisés dans le pays ces dernières années ou du fait de la nouvelle loi Russe sur la na�onalisa�on des capitaux d’entreprises qui désertent le pays, les constructeurs préfèrent temporiser le problème en annonçant une cessa�on temporaire de leurs ac�vités. A voir combien seront-ils

Russian Gov - Ligne AvtoVAZ

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à reprendre leurs ac�vités après la crise.

La situa�on de Renault est beaucoup plus compliquée en revanche. Jusqu’à récemment, le groupe n’avait pas communiqué par rapport à sa posi�on sur la Russie qui est leur deuxième plus gros marché et représente plus de 2 Milliards d’euros d’inves�ssements. Leur retrait sous la pression de l’opinion publique entraînerait une perte significa�ve de leurs ac�fs (à noter qu’ils l’avaient déjà provisionné assez tôt dans la crise).

Mais le 24 mars, Renault annonce finalement suspendre ses ac�vités dans un communiqué de presse après une réunion du conseil d’administra�on, sous pression, après avoir été explicitement cités par le président ukrainien Zelenski. La par�e russe annonce alors que Renault ferme et vend son usine de Moscou pour un rouble symbolique à la mairie de Moscou et transfert son ac�vité au centre de recherche automobile Nami. Ce�e vente, qui n’était pas une grande surprise depuis la provision de leur ac�vité russe dans leur rapport, nuit fortement aux intérêts économiques français mais cacherait en réalité une volonté de la part du groupe d’éviter la tempête média�que et de limiter la casse financière. En vendant ses ac�vités et sa par�cipa�on dans Avtovaz a des structures ins�tu�onnelles et non à une entreprise, Renault se réserve l’op�on de revenir à tout moment sur le marché Russe.

Sur le long terme en revanche, la situa�on s’annonce très compliquée.

Du fait de l’absence d’inves�ssements, la produc�on sera de moins en moins efficace et se dis�ngue des standards interna�onaux (manque de machines, d’électronique, etc.…). L’industrie automobile Russe risque de se retrouver finalement dans la même situa�on que dans les années 1990 avec des produits de qualité inférieure et de technologies antérieures. Elle accumulera un retard qui lui sera fatal lorsque le marché se rouvrira en�èrement.

Point posi�f et non des moindres, aucun des constructeurs chinois ne s’est re�ré de Russie (les principaux étant Geely et Great Wall Motors). Lors d’une interview au Global Times le 2 mars, GWM a déclaré que leurs ac�vités n’étaient pas affectées par la situa�on actuelle. Les entreprises chinoises voient donc en la Russie une grande opportunité et nous pourrions envisager alors une collabora�on plus étroite dans ce domaine dans le futur pour remplacer les produits et technologies occidentales.

Philippe Grienenberger Etudiant français à l’Ins�tut d’Etat Moscovite des Rela�ons Interna�onales (MGIMO) / dirigeant de l’amicale des étudiants français du MGIMO. Spécialisé dans les inves�ssements étrangers en Russie et dans la logis�que interna�onale. A vécu et étudié en France, aux Etats-Unis et maintenant en Russie.

Sur le court terme donc, Avtovaz se retrouve seul à gérer ce�e crise sans précédent et les défis à relever pour sauver l’industrie sont tout simplement �tanesques.

Avtovaz et ses fournisseurs devront en premier lieu trouver de nouvelles solu�ons logis�ques pour acheminer des composants essen�els. Ces nouvelles chaînes logis�ques passeront sans doute par la Chine ou l’Asie centrale par voie terrestre.

Ils devront également trouver des solu�ons de remplacement par rapport aux produits sous embargo et notamment l’électronique. Une par�e pourra être à terme produite en Russie mais pas les semiconducteurs par exemple qui requièrent des technologies hors de portée pour la Russie.

De leur propre es�ma�on, les usines Lada redémarreront dans le courant de l’été en produisant des voitures basiques avec peu d’électronique embarquée (qui pourra être rajoutée ultérieurement lors d’un passage chez un garagiste lors de jours meilleurs).

Sur le moyen terme, certains constructeurs occidentaux pourraient revenir mais en rebrandant leurs modèles pour le marché Russe.

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ECONOMIE

Aéronautique civile Face aux sanctions occidentales 2022-2031 Par Pierre BOUTHEMY, remerciements à la rédac�on du blog Red Samovar

Katsuhiko Tokunaga - Sukhoi Superjet 100

Dès les premiers jours du conflit en Ukraine, les occidentaux ont pris dans le domaine aéronau�que une double décision : • Tout d’abord l’interdic�on de la vente de tout équipement aéronau�que à la Russie, que cela soit des pièces détachées ou des nouveaux avions.

• D’autre part les entreprises qui louaient aux compagnies aériennes russes des avions occidentaux ont reçu l’ordre de récupérer ces avions sans a�endre le terme de leurs contrats.

L’objec�f des occidentaux était clair : priver la Russie de ses avions loués et clouer au sol ceux dont elle est propriétaire. Il s’agissait du pan aéronau�que de

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l’objec�f énoncé par la président Biden : renvoyer la Russie au 19eme siècle.

Ce�e stratégie d’étouffement de l’avia�on civile russe peut souffrir de deux objec�ons ; l’une est que l’Iran pays de niveau industriel et technologique bien plus faible que la Russie réussi malgré des décennies de sanc�ons à maintenir une flo�e d’avions commerciaux opéra�onnelle. La seconde qui sera l’objet de notre vidéo est que la Russie est l’un des très rares pays à disposer d’une industrie aéronau�que civile complète. En effet jusqu’à la fin des années 1980 les usines sovié�ques produisaient des centaines d’avions aux noms bien connu : Tupolev, Iliouchine, Yakovlev, cela sans coopéra�on industrielle avec l’occident.

Nous allons donc traiter de l’industrie aéronau�que civile russe dans ce nouveau contexte pour la décennie 2022-2031. Son objec�f étant à la fois simple et colossal : fournir la Russie autant que nécessaire en avions commerciaux performants et sures.

Pour préciser le terme du sujet nous allons donc étudier l’industrie aéronau�que civile russe et plus précisément les programmes industriels de ce�e industrie, c’est-à-dire la concep�on et la fabrica�on d’avions commerciaux. Nous n’étudierons donc pas l’industrie des compagnies aériennes qui relève elle de l’u�lisa�on et de l’exploita�on des avions, nous n’étudierons pas non plus l’industrie aéronau�que militaire (chasse, bombardier, transport).

Un peu d’histoire Durant la guerre froide l’industrie aéronau�que civile sovié�que produisait des centaines d’avions par an, ces avions étaient des�nés au marché sovié�que ainsi qu’aux pays autres pays socialistes. Si les modèles produits durant les années 50 et 60 ne souffraient pas vraiment de la comparaison avec leurs homologues occidentaux c’est durant les années 1970 que le retard pris par l’innova�on sovié�que commença à être visible. L’absence de libre concurrence anéan�ssait la compé��on et par voie de conséquence : la course à l’innova�on. Alors que l’occident produisait les premiers B747, Douglas DC-10 et Airbus A300 qui révolu�onnaient le marché, les avions sovié�ques eux étaient rela�vement pe�ts, bruyant, peu confortable, consommait beaucoup de carburant et avait une fiabilité insuffisante pour une exploita�on commerciale sur un marché concurren�el.

Le premier avion sovié�que qui tenta de rivaliser avec ses homologues occidentaux fut l’Iliouchine 86, sa carrière débuta en 1979. S’il ra�rapait certains retards il faudra cependant a�endre son successeur l’Iliouchine 96 et le Tupolev 204 pour voir l’Union Sovié�que présenter deux avions modernes à la fin des années 1980.

Bien que prome�eurs, ces deux avions subirent de plein fouet l’effondrement de l’Union Sovié�que. Les marchés aériens des anciennes républiques sovié�ques s’effondrèrent, en 1990 la Russie voyait 90 millions de passagers emprunter ses aéroports, pour seulement 18 millions 9 an plus tard.

Les compagnies aériennes russes disposaient donc de flo�es surdimensionnées par rapport à la demande, le besoin de nouveaux appareils resta très faible. Les rares achats d’appareils occidentaux furent effectués dans le but d’a�rer la clientèle occidentale sur leurs lignes. Ce n’est qu’avec l’essor économique russe du début des années 2000 que le trafic repar� à la hausse pour culminer à 108 millions de passagers en 2019.

Durant les deux décennies 2000 et 2010 les compagnies russes ont progressivement abandonné les appareils de construc�ons sovié�ques pour se tourner vers des appareils occidentaux de type Airbus et Boeing, au point de disposer en 2020 de flo�es en�èrement renouvelées et parmi les plus modernes de la planète.

Le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine le 24 février 2022 sonna la fin des rela�ons Russie-occident telles que connues depuis la chute de l’Union Sovié�que. Dès les premiers jours de conflit l’UE et les États-Unis annoncèrent un embargo sur l’export de nouveaux avions, de pièces détachées ainsi que de tout service d’exploita�on et de maintenance des appareils exploitées par des compagnies aériennes russes. Cela couplé à l’injonc�on de rendre l’ensemble des avions loués par les compagnies aériennes devait abou�r à paralyser le transport aérien russe. Bien que la Russie dispose d’un réseau de chemin de fer en bon état, les transports de personnes en 2022 dans un pays ou les distances entre les villes se comptent souvent en milliers de kilomètres sont indissociables de l’u�lisa�on de l’avion.

Le Sukhoi Superjet Nous sommes ici en présence d’un avion capable d’emporter 98 passagers sur des distances allant de 3000 à 4500 kilomètres selon les versions. Le Superjet est le programme qui a retenu le plus d’a�en�on depuis la fin de l’Union Sovié�que, il s’agissait ici du premier avion conçu et développé par la Russie postsovié�que. L’objec�f avec ce programme était de commencer à ramener l’industrie aéronau�que russe sur le marché mondial en proposant un appareil aux performances équivalentes aux meilleures produc�on occidentales.

L’épopée du projet commence au début des années 2000. Les entreprises occidentales vont massivement par�ciper au programme à commencer par Boeing, Thales, Safran ou encore Honeywell. L’avion dépendra beaucoup des technologies occidentales mais cela sera également l’occasion pour les entreprises russes de travailler avec leurs homologues occidentales et de découvrir leurs savoir-faire. Le premier vol fut réalisé en 2008 et le début des ac�vités commerciales en 2011. Depuis l’appareil a été fabriqué à plus de 220 exemplaires et a été vendu à plus 15 clients dont quelques compagnies occidentales. En novembre 2021 l’appareil a enregistré un total de plus de 2,000,000 d’heures de vol.

On peut considérer qu’un chapitre de la vie du programme Superjet s’est terminé le 24 février avec le déclenchement du conflit avec l’Ukraine. En effet les entreprises occidentales ont cessé du jour au lendemain tout sou�en technique et exporta�on

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d’équipement vers les usines et compagnies russes.

Cela signifie qu’à l’horizon de la fin de l’année 2022 de grands défis a�endent les équipes techniques des industriels et compagnies russes pour maintenir la produc�on et l’exploita�on des avions.

pas imprudent de dire que ce programme qui a pu sembler être financièrement et commercialement un échec sera durant les prochaines années d’une grande u�lité à la Russie pour assurer les liaisons à travers son territoire et vers l’étranger proche.

La décision de russifier au maximum le Superjet pour s’émanciper de la dépendance aux entreprises occidentales avait été prise dès l’année 2017. L’un des exemples le plus frappant de ce�e démarche est le développement du nouveau moteur PD-8 par les motoristes russes. Le Superjet était jusqu’à présent propulsé par le SaM 146, fruit de la coopéra�on entre le motoriste français Safran et l’entreprise russe NPO Saturn. Le nouveau moteur était déjà en développement depuis plusieurs années au moment de la rupture de coopéra�on, il est aujourd’hui à un stade avancé des tests de performance. Les responsables russes espèrent disposer du nouveau moteur dès le printemps 2023. Il en ira de même pour l’ensemble des composants occidentaux de l’avion, ils seront intégralement subs�tués par des composants russes. L’avion ainsi profondément transformé sera quasiment totalement made in Russie, il devrait prendre son envol commercial en 2024.

Il est également à noter que les iraniens ont fait part d’un grand intérêt pour le Superjet russifié, il serait en effet le seul avion de ligne moderne à être totalement dépourvu de systèmes américains, faisant de lui une op�on exportable à des�na�on de l’Iran. Une le�re d’inten�on portant sur l’achat de 40 appareils a été signée en 2018 en ce sens. La Russie devrait être en mesure de produire environ 20 Superjets russifiés par an d’ici la fin de la décennie. Il s’agit d’un nombre rela�vement modeste, il n’est pas impossible qu’une par�e des capacités de l’usine soit employée à conver�r les Superjets actuels en Superjets russifiés au fur et à mesure que le besoin de remplacer les composants non-autochtones apparaîtra.

Le Superjet est assemblé dans l’usine Soukhoi de Komsomolsk-sur-l'Amour, non loin de la fron�ère Russo-Chinoise. Les moteurs franco-russes étaient assemblés à Rybinsk à 250 kilomètres au nord de Moscou, il semblerait que les nouveaux moteurs 100 % russes seront eux assemblés à Perm non loin de l’Oural.

Le programme Superjet a fait couler beaucoup d’encre, ses performances commerciales en dehors de la Russie ont été faibles, cependant d’un point de vue industriel ce programme est venu propulser l’industrie aéronau�que russe dans le 21eme siècle. Il ne serait

Le MS-21-300 Il s’agit là du programme le plus ambi�eux lancé par la Russie depuis la fin des années 1980. Un avion de ligne capable d’emporter 170 passagers sur 6000 kilomètres. Des�né à concurrencer les best-sellers d’Airbus et de Boeing que sont les A320 et les B737, il se veut l’incarna�on du renouveau aéronau�que russe.

Genèse du programme : le programme MS-21 fut lancé en 2007 par le bureau d’étude Yakovlev, le premier exemplaire fut présenté à la presse en 2016 par le premier ministre de l’époque Dimitri Medvedev, l’avion effectua son premier vol en 2017. Le programme devait débuter son exploita�on commerciale à par�r de septembre 2022 mais les sanc�ons occidentales sont venues repousser ce�e

Denis Fedorko - MS-21

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Dmitry Terkhov - Ilyushin Il-96-400VVIP

échéance. Tout d’abord dès l’année 2018 l’administra�on Trump décida l’interdic�on de l’exporta�on de matériaux composites à des�na�on de la Russie. L’industrie russe releva le défi en réussissant à établir une filière locale de matériaux composites. Puis le conflit en Ukraine est venu forcer les industriels russes à remplacer l’ensemble des composants d’origine occidentale. Dans sa version ini�ale les équipemen�ers occidentaux devaient fournir : une par�e de l’électronique, les systèmes de naviga�on et de communica�on, le générateur de puissance auxiliaire ainsi que le système de ven�la�on et de pressurisa�on de la cabine. La complète subs�tu�on des composants importés est annoncée comme devant prendre environ 2 ans à l’industrie russe. À terme, les cadences de produc�on sont annoncées comme très importantes. On évoque plus de 6 avions par mois soit plus de 70 par an à par�r de 2026. À voir si les fournisseurs et les équipes d’assemblages pourront tenir une telle montée en puissance. On comprend la volonté des autorités russes de disposer d’ici à la fin de la décennie de plusieurs centaines d’appareils de ce type. Il s’agit en effet du modèle d’avion dont va avoir principalement besoin la Russie pour son avia�on civile, et pour maintenir une bonne desserte des territoires éloignés de la par�e européenne de la Russie.

Tout comme le Superjet russifié, le MS-21-300 disposera de réacteurs dernier cri de concep�on et fabrica�on russe : les PD-14. Nous avons déjà évoqué

le PD-8 pour la propulsion du Superjet, le PD-14 propulsera le MS-21, d’autres moteurs de la même famille à savoir les PD-18 et PD-35 sont également en développement. Le numéro étant une référence à la poussé maximale du moteur au décollage exprimée en dizaine de milliers de Newton : le PD-8 fourni 80 000 Newton de poussé, le PD-14 environ 140 000 Newton, le PD-35 aux alentours de 350 000 Newton. Ce�e famille de moteur est assemblée à l’usine de moteur d’avion de Perm.

L’assemblage finale du MS-21-300 sera effectué à Irkoutsk, l’usine locale a bénéficié d’une très importante modernisa�on, ses installa�ons vont en effet devoir délivrer plusieurs centaines de MS-21 durant les prochaines années.

L’Iliouchine 96 Cet avion a déjà connu une longue épopée.

L’appareil faisait par�e des programmes sovié�ques visant à ra�raper le retard pris par l’avia�on civile sovié�que face aux produc�ons occidentales. Mais la chute de l’Union Sovié�que et des défauts rédhibitoires dans la logique d’exploita�on de l’appareil (équipage de 3 pilotes, moteurs encore assez gourmands…) l’ont empêché de connaitre la carrière qui aurait pu être la sienne.

L’Il-96 pris son envol en 1988 avant d’être cer�fié en 1992, l’avion ne fut produit qu’à 30 exemplaires,

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principalement pour 3 clients ; Aeroflot, Cubana (la compagnie na�onale cubaine) et le gouvernement russe qui s’en sert pour le transport des membres du gouvernement lors de leurs missions à l’étranger. Dans sa version la plus courante, c’est-à-dire l’Il-96-300, l’appareil est capable d’emporter jusqu’à 300 passagers sur 9,000 kilomètres.

Depuis 2016 la décision d’offrir une modernisa�on à l’avion et de maintenir sa produc�on a été prise. Cela doit abou�r à un tout nouveau standard : l’Il-96-400M, c’est-à-dire un grand appareil quadrimoteurs capable de transporter 370 passagers sur 9000 kilomètres.

Ce�e nouvelle version viendra apporter de nombreuses améliora�ons et modernisa�ons, le fuselage de l’appareil sera allongé d’environ 10 mètres par rapport à l’Il-96-300, l’électronique et le système de pilotage seront revues et la motorisa�on devrait évoluer. Concernant la motorisa�on il semblerait que les premiers exemplaires qui doivent être livrés à par�r du milieu de la décennie seront équipés de réacteurs PS-90A3, une version modernisée de la motorisa�on d’origine. À terme une complète remotorisa�on est envisagée, deux solu�ons peuvent être imaginées : d’une part 4 réacteurs de nouvelle généra�on de poussée moyenne (PD-18 par exemple) ou 2 réacteurs de forte poussée PD-35. À voir si ces projets se concré�sent, car le coût de ce�e remotorisa�on sera très important et il n’est pas certain que les volumes de produc�on perme�ent de rentabiliser un tel inves�ssement.

En effet la produc�on de cet avion risque de peiner à monter en puissance, la raison principale étant que l’usine en charge de l’assemblage de l’avion est l’usine VASO de Voronej à environ 500 kilomètres au sud de Moscou. Ce�e usine ne dispose d’aucune installa�on moderne et manque de personnel qualifié. En l’état des choses une produc�on annuelle de 2 appareils par an sera le maximum envisageable à moins de consen�r à d’importants inves�ssements financiers et humains.

Le regain d’a�en�on des décideurs pour ce�e usine perme�ra peut-être de débloquer la situa�on.

Moteur PD-14

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Réflexion générale La Russie est aujourd’hui engagée dans une course contre la montre, les avions qui parcourent son ciel, qui relient ses grandes villes et qui la connectent au reste du monde (non-occidental) vont progressivement voir leur disponibilité s’affaiblir jusqu’à ne plus être exploitables. Si des solu�ons existent pour les maintenir plusieurs années en état de vol le besoin de solu�ons pérennes sera indépassable.

La Russie dispose donc de quelques années pour subs�tuer les 1000 avions occidentaux en service dans ses compagnies aériennes par des avions de fabrica�on locale. Le défi est colossal, pour le relever il va falloir que l’ensemble de l’industrie aéronau�que se réorganise et se modernise. Cela devra concerner la totalité des acteurs du secteur en partant des lointains sous-traitants jusqu’aux usines d’assemblage en passant par les fournisseurs, les bureaux d’études, les écoles d’ingénieurs et ins�tuts de recherche. Au-delà de ces aspects purement matériels il va falloir que les équipes développent une culture de la qualité et de la performance opéra�onnelle avec une plus grande place apportée à l’agilité organisa�onnelle, à la souplesse dans la prise des décisions et à l’an�cipa�on des contraintes futures. Cela sera probablement le point le plus complexe pour l’industrie russe qui est restée habituée à un fonc�onnement planifié et rigide.

Si cet électrochoc culturel ne se produit pas les produc�ons russes malgré leurs qualités indéniables risquent de ne demeurer que des alterna�ves moins compé��ves que les produc�ons qu’elles remplaceront. Le contexte de sanc�ons très fortes sera également à surveiller car il pèsera sur la capacité de la Russie à moderniser rapidement son ou�l industriel ou à disposer de certaines technologies. À l’inverse si ces modernisa�ons des usines et des mentalités réussissent, alors la Russie pourra se targuer dès le milieu de la prochaine décennie d’être l’unique pôle d’excellence aéronau�que non-occidental de la planète. Il faut cependant souligner que les perspec�ves d’exporta�on sur la décennie 2022-2031 sont très faibles. L’ou�l industriel russe ne perme�ra pas de produire plus d’une pe�te centaine d’avions de plus de 60 sièges par an jusqu’au début de la décennie 2030. Pour rappel Airbus a�eint des volumes de produc�on de l’ordre de 800 appareils par an. Ce�e produc�on ira prioritairement aux compagnies russes qui en auront grand besoin. La subs�tu�on s’étalera jusqu’au milieu de la décennie 2030, c’est seulement à par�r de 2035 que les premières capacités industrielles pourront être orientées vers l’export.

Assemblage d’un MS-21

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RELATIONS INTERNATIONALES

Le logiciel impérial Une approche géohistorique de la politique russe Par Jean Robert RAVIOT, professeur en études russes contemporaines, Université Paris Nanterre

Victoire de Poltava (1709), Alexandre von Kotzebue, Ermitage

En lançant, le 24 février 2022, une opéra�on militaire de grande ampleur contre l’Ukraine voisine, le président russe a replacé au cœur du grand échiquier mondial un pays qui cons�tue un pivot géopoli�que majeur de toute configura�on d’équilibre entre les grandes puissances. Dans Le Grand Echiquier, un livre écrit pendant la présidence Clinton (1992-2000), qui marque l’apogée du néo-conserva�sme du « Siècle américain »¹ – que John Mearsheimer² a qualifié de « moment unipolaire » de l’ordre mondial – Zbigniew Brzezinski³ soulignait que l’accession de l’Ukraine à l’indépendance serait un défi considérable pour la Russie, qui se voyait désormais contrainte de renoncer à sa dimension impériale, sommée de se réinventer à l’aune du modèle poli�que européen libéral et démocra�que. Or, il n’en a rien été. La guerre en

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Ukraine démontre aujourd’hui que le logiciel impérial, loin d’avoir été épuisé par les expériences de l’Empire russe et de l’URSS, est toujours opéra�onnel.

L’Empire ou l’Europe ?

En réalité, l’Ukraine est un pivot géopoli�que de la poli�que européenne depuis plusieurs siècles, au moins depuis les premières heures de l’existence de l’Etat russe dans sa configura�on actuelle, qui s’est formée entre la fin du XVe siècle et le milieu du XVIIe siècle. La sor�e du « Temps des Troubles »⁴, puis la signature du traité de Pereïaslav en 1654, qui a placé l’Etat cosaque de Bohdan Khmelnytsky sous le contrôle de la Russie moscovite, a considérablement et durablement renforcé ce�e dernière au détriment du

grand rival polonais. Ce�e avancée vers l’ouest de la puissance moscovite, incluant toute l’Ukraine de la rive gauche du Dniepr, Kiev incluse, rebap�sée « Pe�te Russie », cons�tue le premier jalon d’une véritable poussée russe vers l’Europe, qui se poursuit tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, avec la prise de contrôle de la Crimée et des rives de la Mer Noire jusqu’à Odessa, une région rebap�sée « Nouvelle Russie ». Ce�e poussée russe vers l’Europe se verra consacrée par le Congrès de Vienne : en 1815, l’Empire russe est devenu une puissance européenne à part en�ère.

La Russie peut-elle encore être une puissance européenne au XXIe siècle ? Pour entrer de plein droit dans l’espace européen d’aujourd’hui, dans une configura�on euro-atlan�que élargie que l’offensive russe contre l’Ukraine a encore renforcée, la Russie est invitée à revoir totalement les termes de sa puissance, ainsi que les axes et les vecteurs de sa projec�on. En a�este la force, sans précédent dans l’histoire des rela�ons interna�onales, de la contre-offensive occidentale à l’invasion de l’Ukraine sur le terrain des sanc�ons et de la guerre économique et financière. Or, tout le discours officiel russe, celui de Vladimir Pou�ne comme celui de la diploma�e russe, est profondément imprégné dans l’idée que la puissance russe est d’abord, et de manière primordiale, européenne. Or, pour con�nuer à peser en Europe, la Russie se voit contrainte d’accepter l’architecture euro-atlan�que de l’Europe, s’y adapter, renoncer à ses exigences de garan�es de sécurité qu’on lui renvoie comme infondées, obsolètes, renoncer à employer la contrainte contre ses voisins, renoncer à la neutralisa�on militaro-stratégique des territoires occidentaux qui lui sont adjacents. La Russie ne peut donc désormais appartenir à l’Europe qu’en abandonnant toute préten�on stratégique à modeler l’architecture poli�que et sécuritaire de l’Europe, ainsi que de son immédiat voisinage européen. En d’autres termes, pour rester en Europe, la Russie doit abandonner son logiciel impérial, à moins de pivoter vers la Chine et l’Asie et d’amorcer un redéploiement géopoli�que totalement inédit dans son histoire.

s’arrimer à l’ensemble euro-atlan�que – récemment rebap�sé « Occident collec�f » par la rhétorique officielle –, à désamorcer les conflits, à abandonner le fardeau de la puissance, à se défaire des derniers oripeaux de l’Empire, à se libérer d’obsessions sécuritaires d’un autre âge qui amplifient la menace occidentale.

La dialec�que entre puissance géopoli�que et développement économique est au cœur de la poli�que de l’Etat russe. Depuis le début du XIXe siècle au moins⁵, les dirigeants russes et sovié�ques sont confrontés à un dilemme : faut-il renforcer la puissance géopoli�que de l’Etat au détriment de sa puissance économique ? Dans quelles propor�ons opérer un arbitrage ? Le choix de la puissance est

La puissance ou le développement ?

Nombreux sont ceux qui, en Occident, et même certaines voix en Russie, souhaitent que les dirigeants russes abandonnent le logiciel impérial. L’argument revient en boucle. Après la chute de l’URSS, la Russie aurait dû reconfigurer sa puissance pour la redimensionner, l’ajuster au vrai poids mondial du pays, superpuissance nucléaire et géant géopoli�que, mais aussi, compara�vement, nain économique. Ce réajustement aurait permis de s’occuper des vraies priorités : la modernisa�on du pays, le développement du territoire et le mieux-être socio-économique de la société russe. La Russie aurait tout à gagner, sinon à

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généralement présenté comme un impéra�f de sécurité, voire de survie de l’Etat russe. Seule la puissance serait donc suscep�ble de garan�r l’indépendance de la Russie – et la puissance se construit en priorité autour d’un axe sécuritaire, militaire et stratégique, au détriment de la puissance économique. Le récit historique russe est riche en événements qui convoquent l’impéra�f de la puissance, invoquent la nécessité de renforcer l’Etat russe contre les puissances étrangères qui veulent la soume�re, appellent la popula�on à faire bloc autour de l’Etat et à accepter les sacrifices. Dans son discours télévisé du 24 février dernier, au soir de l’entrée des troupes russes sur le territoire de l’Ukraine, Vladimir Pou�ne rappelait longuement les précédents de 1812 et de 1941, jus�fiant l’a�aque russe par la nécessité d’agir préven�vement contre une Ukraine et un Occident hos�les qui, tôt ou tard, s’en seraient pris à la Russie.

Le kremlinocentrisme Loin de rompre avec le logiciel impérial, le pou�nisme a clairement priorisé l’impéra�f de puissance. Loin d’être réduc�ble à une volonté de restaurer l’URSS, ce choix de rétablir une puissance géopoli�que russe s’inscrit dans le temps long de l’histoire russe. Mais loin de relever d’une sorte de « des�née impériale » – essen�alisa�on culturaliste

fréquente mais tout à fait impropre – ce choix reflète une dynamique poli�que que nous avons choisi de nommer kremlinocentrisme.⁶ Le kremlinocentrisme est la dynamique matricielle de l’Etat russe moderne.

Ce�e dynamique s’enclenche à la fin du XVe siècle pour ne plus cesser, jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, le logiciel impérial russe est, à proprement parler, kremlinocentrique.

Le kremlinocentrisme est en réalité un phénomène géohistorique. Il peut être défini comme la réaffirma�on constante d’une dynamique du pouvoir avec pour centre le Kremlin de Moscou, siège du pouvoir poli�que et idéologique (religieux) depuis le règne du Grand-Prince Ivan III. Une dynamique centralisatrice qui suscite la mobilisa�on des ressources militaires, poli�ques, économiques et administra�ves pour assurer la survie de l’EtatKremlin, ces deux no�ons étant étroitement et indissolublement confondues. Le kremlinocentrisme mobilise et réactualise sans cesse le répertoire impérial d’ac�on, à savoir la poli�que d’expansion territoriale et de sécurisa�on des acquis territoriaux et territoires adjacents, la centralisa�on du pouvoir poli�que et des ressources économiques. Le kremlinocentrisme est légi�mé par sa double réussite : l’expansion territoriale d’un Etat qui, en quatre siècles, s’est étendu des limites de la principauté moscovite à la superficie du plus vaste Empire con�nental de

Défilé de la victoire du 9 mai 1945, tournant majeur de l'impérialisme soviétique

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l’histoire du monde, ainsi que la capacité de cet Etat à assurer son indépendance vis-à-vis des puissances tutélaires (en premier lieu vis-à-vis de la Horde d’Or, à la fin du XVe siècle) et à résister aux invasions massives venues de l’Occident (1812, 1941-1945).

Le pou�nisme a fait ressor�r trois dimensions cons�tu�ves du kremlinocentrisme. Tout d’abord, il s’agit d’une entreprise de centralisa�on des ressources poli�ques et administra�ves dans le strict périmètre intérieur russe (reprise en main de la poli�que intérieure et fédérale). Dans un second temps, le kremlinocentrisme reconfigure les rapports entre l’Etat et les secteurs stratégiques de l’économie (énergie et ma�ères premières, technologies, complexe militaro-industriel), contrôlés par le Kremlin, dans une op�que patrimonialiste, pour ins�tuer un capitalisme d’Etat « kremlinocentré ». Enfin, dans la période plus récente, le kremlinocentrisme déborde des fron�ères de la Fédéra�on de Russie, puisqu’une poli�que protéiforme de reconquête d’une capacité d’influence de la Russie est à l’œuvre dans le proche voisinage comme dans l’étranger plus lointain (MoyenOrient et Afrique). Dans ce�e logique, la conquête et/ou la reconquête de territoires adjacents et périphériques dont le contrôle est défini comme vital, a for�ori la mobilisa�on dans une guerre contre l’ennemi extérieur sont des moyens pour, toujours et encore, consolider le pouvoir du Kremlin, qui doit toujours garder, plutôt que le monopole, au minimum la priorité au niveau de l’alloca�on des ressources administra�ves et économiques.

Cercle vertueux ou cercle vicieux ?

Le kremlinocentrisme est un phénomène à la fois géopoli�que et poli�que. En d’autres termes, le tropisme centralisateur du pouvoir russe résulte d’une tension fondamentale entre la contrainte géopoli�que de con�nentalité et l’impéra�f poli�que d’unité. Pour les dirigeants russes, exercer une pleine souveraineté sur l’ensemble d’un territoire doublement con�nental – par son immensité et par ses caractéris�ques géoclima�ques – relève d’une gageure si souvent commentée qu’elle en est devenue un lieu commun. Si la con�nentalité n’est pas uniquement source de contraintes – elle comporte de réels atouts géostratégiques (hinterland, importance et variété des ressources naturelles) et géoéconomiques (le territoire russe, de par sa vas�tude, est devenu un vecteur de connec�vité logis�que, énergé�que et numérique) – elle est un défi permanent à l’exercice de la souveraineté éta�que et ce défi est encore amplifié par les effets centrifuges de la mondialisa�on de l’économie et des échanges.

aussi à une métaphore pour signifier l’iden�té de la Russie, dans sa projec�on vers l’extérieur comme à usage interne, vis-à-vis des citoyens, qui sont incités à se mobiliser pour défendre « leur forteresse ». Par conséquent, le logiciel impérial n’est pas une simple idéologie, un simple discours, un répertoire de légi�mité relevant de l’arsenal des dirigeants ou d’une élite poli�que auquel un autre répertoire pourrait, à terme, se subs�tuer. Le logiciel impérial est inscrit dans le « code géné�que » de l’Etat russe. Qu’il entraîne des effets vertueux ou vicieux, il est si consubstan�el à l’Etat russe que toute entreprise de réforme poli�que en Russie doit impéra�vement non pas le comba�re, mais le dompter.

¹ The Project for the New American Century, Rebuilding America's Defenses : Strategy, Forces and Resources For a New Century, 2000. ² John J. Mearsheimer, The Great Delusion: Liberal Dreams and Interna�onal Reali�es, Yale University Press, 2018. ³ Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde, Bayard, 1997. ⁴ Le « Temps des Troubles » (Smoutnoïe vremia) désigne une période historique allant de la fin du règne du dernier des Riourikides en 1598 à l’élec�on de Michel Romanov sur le trône de la Russie en 1613.

Ce�e période est marquée par un déchaînement d’intrigues et de rivalités pour le trône, suscitant les convoi�ses et les opéra�ons de déstabilisa�on étrangères, en par�culier polonaises, me�ant en péril l'existence même de l'État russe. ⁵ Georges Sokoloff, La puissance pauvre. Une histoire de la Russie de 1815 à nos jours, Fayard, 1993. ⁶ Jean-Robert Raviot, Qui dirige la Russie ? Lignes de Repères, 2007.

Le Kremlin est ici non seulement le centre ins�tu�onnel du pouvoir poli�que, mais aussi son centre symbolique, l’image de la forteresse servant

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RELATIONS INTERNATIONALES RELATIONS INTERNATIONALES

Sur les cendres de l’URSS

La renaissance de l’impérialisme russe Par Alexandre JEANDAT, École de Guerre Économique

Démantelement de la statue de Georgiy Zhukov à Kharkiv - AP

En avril 2022, la mairie de Kiev ordonnait le démantèlement de la statue de l’ami�é entre les peuples, édifiée quarante ans plus tôt pour célébrer les rela�ons entre la Russie et l’Ukraine. Façon de couper symboliquement les liens avec le voisin russe, et de �rer un trait sur le passé. Car en Europe de l’Est, peutêtre plus qu’ailleurs, le poids de l’histoire est palpable, une histoire marquée par l’URSS. Proclamée en 1922, l’Union des Républiques Socialistes Sovié�ques fut l’un des acteurs majeurs des rela�ons interna�onales tout au long de son existence, englobant progressivement les Etats voisins au sein d’une union visant à réaliser l’idéal communiste. L’URSS a impacté de façon déterminante les affaires du monde à travers sa confronta�on avec l’Allemagne nazie, puis avec les Etats-Unis. Véritable géant poli�que et militaire, ce�e

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en�té, qui n’hésitait pas à user de la force pour se maintenir, semblait appelée à durer.

Pourtant, le 25 décembre 1991, l’URSS s’effondrait sous le poids de ses échecs militaires, de son économie vacillante et de ses crises poli�ques internes. De sa dissolu�on émergeaient quinze États indépendants, recouvrant leur souveraineté après des décennies de domina�on sovié�que. De la Bal�que au Caucase, l’émancipa�on fut célébrée en grande pompe.

Néanmoins, le passé a laissé des traces. Aujourd'hui encore, de l'Estonie à la Géorgie, en passant par la Moldavie et le Turkménistan, l'héritage de l'Empire déchu est ne�ement visible. Il a le visage des ensembles urbains bétonnés, des usines colossales tombées à l'abandon, des statues à la gloire du

communisme ayant échappé au déboulonnage, mais aussi des millions de personnes qui oscillent entre nostalgie et rejet d’une période faite d’ombre et d’éclat.

Cependant, des ruines de l'empire, il subsiste également des briques que l'on ne saurait ranger aux musées d'histoire, tant elles ont un rôle déterminant dans la géopoli�que actuelle. Ces briques, ce sont les liens d'interdépendance, et souvent de domina�on, hérités du ving�ème siècle, qui perdurent et que la Russie entre�ent encore aujourd’hui avec les Etats de sa sphère d’influence. L'URSS n'est plus, mais le pouvoir russe peut toujours compter sur ses ves�ges pour accroître sa stratégie de puissance et maintenir une emprise sur des voisins désormais tournés vers l'Ouest. Stratège géopoli�que, Vladimir Pou�ne a montré sa capacité à exploiter, depuis près de vingt ans, ces reliquats de l'ère sovié�que, comme autant de leviers lui perme�ant de rétablir une forme d'hégémonie.

Les minorités russophones, cheval de Troie de Moscou ?

Le premier de ces leviers n’est autre que la présence de minorités russophones éparpillées dans les pays de l’ex bloc de l’Est, que la Russie appelle les “compatriotes de l’étranger”. Il s’agit aussi bien des descendants de fonctionnaires russes partis s’installer dans les régions périphériques de l’empire tsariste au XVIIIe siècle, que de populations déplacées pour procéder à une russification de la population dans les années 1930-1950. A cela, il faut ajouter une immigration continue d’individus en provenance de la Russie vers les autres républiques socialistes pour fournir la main d'œuvre aux usines bâties par le pouvoir soviétique. En 1989, date du dernier recensement effectué par l’URSS, ces “Russes ethniques” vivant en dehors des frontières de la Russie étaient au nombre de 25 millions. A la chute de l’Union soviétique, ces derniers sont passés, du jour au lendemain, d’un statut de majorité au sein d’une superpuissance planétaire, à celui de minorité dans État ayant gagné son indépendance. Ce basculement fut largement vécu comme un choc, s’accompagnant du sentiment d’être devenu un citoyen de second rang ainsi que d’une profonde incertitude quant à l’avenir.

Aujourd’hui, ces communautés représentent un poids important dans de nombreux pays d’Europe de l’Est, a�eignant par exemple les propor�ons de 26,5 % de la popula�on en Estonie et 26 % en Le�onie. Or, ces Russes de l’étranger sont désormais un élément important de la poli�que extérieure menée par Moscou. Par�culièrement récep�fs aux informa�ons diffusées par la Russie, ils sont une cible de choix dans les opéra�ons de guerre de l’informa�on dont elle est passée maîtresse. Aussi a t-on pu noter, lors de la

pandémie de Covid 19, la mise en place d’intenses campagnes de désinforma�on visant à discréditer les vaccins approuvés par l’Union Européenne, ciblant principalement ces minorités russophones.

Manoeuvres d’autant plus efficaces qu’une part d'entre elles ne maîtrise pas la langue na�onale de leur pays d’appartenance, et dépend des sources en langues russes pour s’informer.

De plus, ces communautés cons�tuent parfois un facteur de déstabilisa�on dont Moscou sait �rer profit.

Dès 1991, la minorité russophone de Moldavie, soutenue par le pouvoir russe, déclarait son indépendance et proclamait la République moldave du Dniestr (Transnistrie). En 2008, l’agita�on menée par les mouvements pro-russes en Géorgie débouchait sur le détachement de l'Ossé�e du Sud, réclamant également le ra�achement à la na�on russe. Depuis 2014, les territoires du Donbass ukrainien sont revendiqués par des sépara�stes favorables à la Russie qui livrent la guerre à l'armée ukrainienne. Les minorités russes, vic�mes des tourments géopoli�ques du ving�ème siècle et qui demeurent bien souvent a�achée à leur patrie d’origine, nourrissent pour certaines une tenta�on sépara�ste que le Kremlin ne manque pas d’a�ser afin de fragiliser les Etats d'Europe de l'Est qui les abritent.

Phénomène classique et régulièrement observé dans l'histoire, la présence de ces minorités fournit également à la Russie un prétexte pour des interven�ons armées, réalisées au nom de la protec�on de ces Russes de l'étranger, comme ce fut le cas en 2014 pour l’annexion de la Crimée. Ainsi voiton, au travers des exemples cités, les conséquences à long terme des poli�ques démographiques menées depuis trois siècles.

L'énergie, une géopolitique

arme

de

guerre

« Le communisme, ce sont les soviets plus l’électricité ». La phrase de Lénine résume bien la place centrale de l’énergie dans la stratégie de puissance sovié�que. La Russie d’aujourd’hui s’inscrit dans la droite lignée de l’URSS, pour laquelle le secteur de l’énergie cons�tuait un formidable levier d’influence et un moyen de pression redoutable. Illustra�on récente de ce�e con�nuité, la mise en service en 2020 de la centrale nucléaire biélorusse d’Astravets, construite par l’entreprise russe d’état Rosatom, est venue alimenter les craintes concernant la sécurité et la dépendance énergé�que vis-à-vis de l’électricité biélorusse au sein des pays voisins.

Aujourd’hui encore, les liens d'interdépendances qui subsistent entre la Russie et les États de l’ex-bloc de l’Est ne se voient nul mieux que dans le domaine de l’énergie. Les chiffres sont probants : jusqu’en 2022, des pays comme l’Estonie et la Le�onie achetaient

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russe. Inquiets face à l'agressivité affichée par Moscou, les Etats voisins tendent également à accélérer leur déconnexion du réseau électrique russe afin de se raccorder au réseau européen, ce qui devrait être réalisé d’ici 2025. Dans le cas de l’Ukraine, ce raccordement s’est effectué de manière éclair en mars 2022, précipité par l’invasion des forces russes. Malgré tout, la rupture ne se fait pas sans heurt, et le Kremlin peut toujours s’appuyer sur le legs de la poli�que sovié�que en ma�ère d’énergie pour maintenir et étendre son influence.

Des liens économiques douteux

entre 90 % et 100 % de leur gaz à la Russie. Quant au pétrole russe, il représente 75 % des importa�ons extra-européennes de la Finlande, la Slovaquie, la Hongrie ou encore la Bulgarie. Enfin, nombre d'États sont toujours raccordés au système d'alimenta�on électrique interconnecté russe, et notamment au réseau BRELL mis en place à l’époque sovié�que. Ce�e situa�on est la résultante de la proximité géographique, mais aussi de facteurs poli�ques, les décennies d’appartenance à un même bloc ayant naturellement favorisé de fortes interdépendances.

Aujourd’hui, ce�e ques�on fait planer un véritable péril sur les pays d’Europe de l’Est. Dépendre de la Russie, c’est prendre le risque de se voir priver de tout approvisionnement en hydrocarbures et en électricité en cas de tensions géopoli�ques. Aussi note t-on un véritable effort de la part de ces pays pour couper ces liens encombrants. Figure de proue de ce mouvement, la Lituanie a consen� à d’importants inves�ssements pour se doter d’un terminal de gaz naturel, au nom éloquent d’Independance, lui perme�ant de diversifier ses fournisseurs et de se passer du gaz

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Enfin, l’héritage de l’URSS subsiste dans les rela�ons poli�co-économiques, parfois troubles, qui unissent toujours la Russie et ses voisins. L’effondrement de l’URSS fut brutal, mais des décennies d’échanges ne se défont pas du jour au lendemain. Cela est d’autant plus vrai que l’Union sovié�que fut une en�té vivante en quasi-autarcie sur le plan commercial, l’immense majorité des échanges s’effectuant entre les pays membres. Ainsi, l’imbrica�on reste flagrante entre les infrastructures de transport, les industries de défense, mais aussi les marchés commerciaux et financiers. Cela est notamment dû aux organisa�ons interéta�ques mises en place après la dissolu�on de l’URSS. Dès 1991, la Russie créait la Communauté des Etats Indépendants (CEI) dans le but de sauvegarder les liens avec ses anciens vassaux, à la manière du Commonwealth britannique, regroupant aujourd’hui neuf des quinze ex-républiques socialistes sovié�ques.

Dans ce�e même logique, fut mise en place, en 2014, l’Union Économique Eurasia�que, zone de libreéchange incluant la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l’Arménie et le Kirghizistan. Si certains pays comme les Etats baltes, la Géorgie ou la Moldavie se sont rapidement tournés vers l’Ouest après l’indépendance, les républiques d’Asie centrale, quant à elles, demeurent fortement arrimées à la Russie, qui reste leur partenaire commercial majeur.

Derrière les chiffres officiels, l’une des permanences les plus probléma�ques de ces liens entre la Russie et les pays d’Europe de l’Est n’est autre que les trafics illicites. Après 1991, la région balte, avec la Le�onie en par�culier, est rapidement devenue une véritable plaque tournante pour les trafics illégaux, ainsi qu’un espace offshore perme�ant le blanchiment d’argent en masse en provenance de Russie. Phénomène amplifié par l’émergence, suite aux poli�ques de libéralisa�on menées dans les années 90, de la fameuse figure de l’oligarque russe. Ce�e nouvelle élite économique, évoluant régulièrement dans les eaux fangeuses de l’économie grise, a contribué à faire prospérer la corrup�on et la circula�on de capitaux d’origines douteuses au sein de l’espace postsovié�que. Comme une réminiscence symbolique de l’époque où la Nomenklatura communiste venait

passer ses vacances sur les côtes de la Bal�que ou de la Mer noire, les oligarques russes actuels ont longtemps perçu les pays voisins comme un terrain de jeu pour leurs ac�vités opaques.

L’empire tsariste aussi bien que l’URSS se sont vus balayer par l’histoire, et la na�on russe née sur leurs cendres porte en elle la douloureuse cicatrice d'une grandeur déchue. Si les ves�ges laissés par les empires-con�nents qui l’ont précédé lui servent à reconquérir une part de son influence, l'entreprise est périlleuse, comme cela est cruellement démontré par l'actualité récente. « On ne fait pas d’omele�es sans casser les œufs », aimait à dire Lénine. Aujourd’hui, la poule est ukrainienne.

¹ Robert SERVICE. Staline, 2013 ² Nicolas WERTH. Histoire de l’URSS, 2020 ³ Emmanuel MATTHIAS. Dix ans d'indépendance balte, d'une Union à l'autre ?, Centre d'études et de recherches interna�onales Sciences Po, 2001 ⁴ Marc FERRO. Colonialisme russe-sovié�que et colonialismes occidentaux : une brève comparaison, 1995 ⁵ Alexandra GOUZEVA, Gueorgui MANAÏEV. « Pourquoi Staline a-t-il déporté de force des peuples au sein de l'URSS? », Russia Beyond, 2020 ⁶ Irène COMMEAU-RUFFIN. « L'énergie en URSS », Poli�que étrangère, n°3, 1986 ⁷ Thomas GOMART. « Quelle influence russe dans l'espace post-sovié�que ? », Le Courrier des pays de l'Est, 2006/3 (n° 1055), p. 4-13. ⁸ Andrey KINYAKIN. « Les oligarques dans la Russie contemporaine : de la « capture » de l'État à leur mise sous tutelle », Revue interna�onale de poli�que comparée, vol. 20, no. 3, 2013, pp. 115-131. ⁹ « Les trois pays baltes plus proches de la connexion au réseau électrique européen », AFP, 13.05.2021 ¹⁰ Arman MAZHIKEYEV, Huw EDWARDS. « Postcolonial trade between Russia and former Soviet republics: back to big brother? », Econ Change Restruct 54, 877–918, 2021 ¹¹ Jérémy BIEDERMANN. « Le problème du blanchiment d’argent au sein de l’Union Européenne », Eyes on Europe, 09/09/2019

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RELATIONS INTERNATIONALES

La fin de la Biélorussie Un futur « oblast » russe ?

Par Tristan NICOD�ROUAUD, blog EURASIA

Mikhail Metzel - TASS

Le système Loukachenko S’il est un personnage indissociable de la Biélorussie postsovié�que, il s’agit bien d’Alexandre Loukachenko, qui occupe sans partage la scène poli�que na�onale depuis les années 90. En 1994, il remporte les élec�ons présiden�elles avec plus de 80 % des suffrages et devient le premier président de la jeune république biélorusse. La Biélorussie avait alors suivi une voie analogue aux autres pays postsovié�ques avec un ensemble de réformes économiques de libéralisa�on des marchés. Elle prend cependant un tournant singulier en 1994, A. Loukachenko met en place un ensemble de mesures dans le but de « stabiliser l’économie ». Il fait abroger les réformes économiques qui ont été menées jusqu’alors, il double le salaire minimum et introduit un contrôle des prix. La Biélorussie renoue donc en par�e avec les principes de gouvernance s’inscrivant dans la doxa sovié�que.

L’État biélorusse prend donc en charge une économie

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administrée et na�onalisée à 70 %, et conserve un système de planifica�on quinquennal¹.

Le régime Loukachenko se construit alors autour d’un modèle très « ver�cal » avec un pouvoir présiden�el fort. Dès son premier mandat, les réformes entreprises montrent une volonté d’installer un pouvoir personnel conçu pour durer. La mise en place de L’OuDP, véritable organe exécuteur du projet présiden�el, créé en août 1994 et placé sous l’autorité directe du chef de l’État en est l’armature principale. La Direc�on des affaires du Président (OuDP) est ini�alement chargée de dresser l’inventaire du patrimoine public lié à la Présidence et d’en assurer la ges�on. Pour ce faire, elle administre l’ensemble des biens et avantages (Palais, résidences, voiture de fonc�on, etc.) dont le chef de l’état bénéficie durant son mandat². Très rapidement, ce�e mission de ges�on du domaine présiden�el va évoluer en devenant un véritable organe exécu�f directement placé sous l’autorité du président. L’OuDP a ainsi permis de soume�re à la juridic�on

présiden�elle l’ensemble des réserves naturelles du pays, dont la préserva�on et l’exploita�on lui ont été confiées par « oukase »³. Une grande par�e des complexes touris�ques et spor�fs du pays ainsi que du parc immobilier du centre de Minsk, bâ�ments administra�fs, hôtels, centres d’affaires et de loisirs lui ont été également confiés.

Alexandre Loukachenko ar�cule son système autour d’une logique clientéliste qui lui permet de cons�tuer et d’alimenter un solide réseau d’allégeance notamment auprès des responsables régionaux à travers l’octroi de budget spécifique. Ce système se démul�plie à toutes les échelles de l’administra�on.

Tout en étant intégrés dans le réseau présiden�el, la plupart des fonc�onnaires disposent individuellement de leurs propres réseaux de rela�ons interpersonnelles. Ainsi, les agents du pouvoir peuvent agir tour à tour en tant que patron, en offrant leurs protec�ons, ou en me�ant leurs influences au service d’une �erce personne grâce à l’autorité que leur confèrent leurs posi�ons, ou alors comme client, en offrant loyauté et sou�en. Ces mul�ples réseaux d’allégeances, s’ar�culant autour de la personne de A. Loukachenko, cons�tuent un système pyramidal agrégé autour du système de redistribu�on socioéconomique qui devient alors un enjeu de pouvoir au sein des ins�tu�ons favorisant ainsi la corrup�on⁴.

Cependant, les réformes économiques de Loukachenko font preuve d’une certaine efficacité dans un premier temps, ainsi, les lourds inves�ssements réalisés par l’état notamment dans l’agro-industrie ont permis de conserver une performance élevée de ce secteur durant les décennies 1990, 2000 et 2010. De manière générale, l’économie biélorusse a mieux traversé ce�e période par rapport aux autres pays postsovié�ques. Ainsi d’après la banque mondiale la Biélorussie affiche un taux de croissance de 11 % en 1997 contre 1,4 % pour la Russie et -3 % pour l’Ukraine⁵. En 2000, la Biélorussie occupe la 56e place sur 173 pays, alors que la Russie briguait le 60e rang mondial et l’Ukraine le 80e, consacrant l’expression de « miracle économique biélorusse ». C’est sur ce succès économique et social que Loukachenko construit l’essen�el de son capital poli�que dans les années 90-2000. En conséquence, le socle électoral de Loukachenko a longtemps cons�tué par les personnes économiquement dépendantes de lui, c’est-à-dire les fonc�onnaires, les ouvriers des usines d’État et les retraités et les salariés du secteur agricole étendu longtemps prépondérant dans l’économie biélorusse.

Le système de A.Loukachenko a pourtant ses limites, vic�me de son iner�e, il peine à s’adapter aux nécessités d’une économie biélorusse en pleine muta�on. Ainsi, les inves�ssements dans le secteur agricole s’avèrent inefficaces alors que ceux réalisés

dans l’industrie sont insuffisants. L’économie biélorusse perd en performance durant les décennies 2000 ce qui renforce sa dépendance aux inves�ssements russes, et étrangers dans une moindre mesure. Or le système de redistribu�on des richesses qui garan�t la légi�mité du pouvoir et la paix sociale dépend directement des rentes de l’état. La baisse des revenus de l’État contraint Alexandre Loukachenko à revenir de nombreuses fois sur les acquis sociaux de la société biélorusse. Il peine alors à juguler les fortes contesta�ons lors des élec�ons de 2020. Celle-ci témoigne d’un réel mécontentement de ceux qui cons�tuaient avant son socle électoral par�culièrement au sein de l’électorat ouvrier. Les nombreuses grèves menées dans les usines d’état ce qui n’était jamais arrivé jusqu’alors dans une telle propor�on témoigne de ce changement récent d’opinion à l’égard de l’actuel président biélorusse.

Les relations complexes avec la Russie Au-delà des apparences, les rela�ons du régime Loukachenko avec la Russie ont toujours été complexes. En effet, la Biélorussie est complètement dépendante du gaz et de l’électricité produite par la Russie et payée à des tarifs préféren�els. L’économie biélorusse est en réalité largement subven�onnée par la Russie, inversement la Biélorussie est un allié clef pour la Russie dans un contexte de tensions croissantes avec l’UE et de renforcement de l’OTAN en Europe de l’Est. L’absence de moyens financiers pour payer les importa�ons russes rend la coopéra�on économique avec la Russie essen�elle pour la survie de l’économie na�onale. Le dossier gazier est par�culièrement cri�que pour la Biélorussie. En effet, les transferts de gaz à un tarif préféren�el en provenance de Russie devaient avoir pour contrepar�e le rachat d’une par�e des ac�fs de la société na�onale de transit gazier Beltransgaz. Or, la par�e biélorusse n’a jamais souhaité la transforma�on en société par ac�ons de Beltransgaz, qui cons�tue une source conséquente de revenu pour le gouvernement Loukachenko. Ainsi, le 31 octobre 2002, le géant russe Gazprom a pris la décision de réduire de 50 % ses livraisons de gaz à la Biélorussie, et en 2004, il met fin aux tarifs préféren�els impactant fortement le secteur des hydrocarbures biélorusse⁶. Loukachenko se retrouve donc de plus en plus isolé au début des années 2000, de plus les tensions avec la Russie ont des conséquences sur une économie biélorusse déjà bien plus fragile qu’elle ne le parait.

Le 30 mars 2006, le PDG de Gazprom, Alexeï Miller, annonce à Minsk que les prix du gaz russe s’aligneraient sur les tarifs européens à par�r de 2007.

En défini�ve au terme d’un bras de fer entre les deux états qui perdure jusqu’au 31 décembre 2006, la veille

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de l’échéance de l’accord, un nouveau texte est signé sur les fournitures et le transit de gaz pour les cinq ans à venir. Le nouvel accord prévoit des tarifs bien plus élevés sur les livraisons de gaz et le transite de celui-ci.

Gazprom ob�ent finalement 50 % de la société Beltransgaz pour 5 milliards de dollars. Enfin, le tarif du transit du gaz russe vers l’Europe passant par la Biélorussie a été relevé de 0,75 à 1,45 dollar⁷. Cet accord est donc un sévère camouflet pour Loukachenko et témoigne de la dégrada�on des rela�ons russo-biélorusse qui se poursuit déjà depuis un moment. Le nouvel accord sur le gaz n’apaise pas les tensions, de même l’élec�on de Dimitri Medvedev à la présidence de la Russie en 2008 ne change pas la nature des rela�ons avec Loukachenko. La Russie entreprend la construc�on de gazoducs évitant la Biélorussie. En effet, la Russie au travers des projets BPS 2 (Bal�c Pipeline System) et Nord-Stream prévoient de contourner la Biélorussie et l’Ukraine pour approvisionner l’Europe directement. Ce�e situa�on oblige la Biélorussie à chercher de nouveaux fournisseurs d’hydrocarbure. De plus, la Russie se montre ré�cente à l’achat des produits biélorusses, notamment du secteur agricole, ce qui affaiblit encore l’économie na�onale. Signe de la con�nua�on des tensions, la Biélorussie ne reconnaît pas l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossé�e du Sud au terme de la guerre russo-géorgienne de 2008.

Au cours de l’année 2007, Loukachenko fit un certain nombre de déclara�ons en faveur d’un rapprochement avec les ins�tu�ons européennes qui sont plutôt bien accueillies à l’ouest. Le 18 janvier 2007, le président de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, René Van der Linden, en visite à Minsk, exprime-lui aussi, le souhait de voir la Biélorussie me�re fin à son isolement et rejoindre le Conseil de l’Europe⁸. De son côté, le président biélorusse restreint quelque peu la répression poli�que dans le pays. Il autorise également les inves�sseurs européens à par�ciper à la priva�sa�on des compagnies biélorusses. Le gouvernement renforçant dans le même temps le discours sur l’iden�té na�onale. Il rompt ainsi avec l’insistance précédente sur l’héritage slave commun à la Russie et à la Biélorussie pour souligner désormais la spécificité historique et culturelle du pays.

En 2010, la Russie taxe la masse de ses exporta�ons de brut à des�na�on de la Biélorussie. Elle prive ainsi son voisin des bénéfices très lucra�fs du business de réexporta�on du pétrole brut acheté à bas prix, raffiné localement pour un rapport très avantageux lors de sa vente en Europe occidentale. Une manne qui contribuait largement au budget du pays et comptait beaucoup dans les programmes à orienta�on sociale qui avaient jusqu’ici garan� la stabilité interne. Le PIB biélorusse se contracte donc de 5 % en 2010 compara�vement à l’année précédente. De plus, la Russie impose des taxes sur les produits dérivés de

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l’industrie pétrochimique livrés à la Biélorussie, contraignant ce�e dernière à annuler à terme ses propres taxes pétrolières. Enfin, l’incapacité de Minsk à négocier un rabais supplémentaire sur le gaz, cumulé à la décision russe d’exclure tous les produits énergé�ques du régime tarifaire préféren�el, achève de placer la Biélorussie dans une situa�on très précaire au cours de l’année 2010⁹.

Le président biélorusse apparaît face à une réalité nouvelle, l’idée que la Russie ne peut faire autrement que d’aider le pe�t frère semble révolue. La Russie est en posi�on de force et Dimitri Medvdev le sait, la dépendance de la Biélorussie à la Russie est trop forte.

Loukachenko se trouve alors dans une impasse, car il ne peut alimenter son système clientélaire sans les avantages de sa rela�on économique privilégiés avec Moscou. Alors que la Russie a développé des alterna�ves à ses liens économiques avec la Biélorussie, ce�e dernière isolée est plus dépendante que jamais. En effet, dans la structure des échanges extérieurs de la Biélorussie, la Russie demeure durant la période 2011-2015 son premier partenaire commercial. Sur les 60 % du volume des échanges de la Biélorussie au sein de la CEI près de 80% le sont avec la Russie sur ce laps de temps. L’UE, son deuxième partenaire commercial, ne représente que 30 % du volume global des exporta�ons biélorusses et 25 % du total de ses importa�ons¹⁰.

Alors que la crise économique s’accentue en Biélorussie en 2011, avec une infla�on de près de 108 %, le président Loukachenko est contraint par la situa�on d’accepter de vendre les 50 % d’ac�fs restants de Beltranzgaz pour 2,5 milliards de dollars en échange de tarifs préféren�els, sur le gaz (165,60 dollars les 1 000 mètres cubes)¹¹. Néanmoins si la dépendance économique et l’intégra�on progressive par absorp�on de l’économie biélorusse à l’économie russe ne font aucun doute, la Biélorussie n’en demeure pas moins un élément essen�el dans le disposi�f stratégique de la Russie dans un contexte de montée des tensions avec l’occident. La crise ukrainienne qui débute en 2013 ne manque pas de rappeler cet aspect de la géopoli�que régionale aux deux par�es.

La crise ukrainienne génère en effet de nouvelles craintes dans le camp du président biélorusse, néanmoins il semble que ce dernier a surtout su l’exploiter dans son propre intérêt. En effet si l’intransigeance de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine rappelle à Loukachenko que son voisin est près au conflit armé pour préserver sa sphère d’influence, le basculement du pouvoir ukrainien dans le camp occidental a fait de la Biélorussie le dernier allié de Russie sur sa façade européenne. Un Allier qu’il convient donc de ménager, ce qui donne alors à Loukachenko une marge supplémentaire pour étendre

Manifestation été 2020 à Minsk

le spectre de ses rela�ons avec l’Union européenne.

Celle-ci cherche alors à isoler la Russie qui�e à me�re de côté ses appréhensions quant à traiter avec le régime de Biélorusse. La Biélorussie parvient ainsi à obtenir une aide économique de l’UE sans que la Russie lance de nouvelles poli�ques de sanc�on déguiser comme par le passé. De plus, l’UE est visiblement moins encline à soutenir l’opposi�on biélorusse comme cela a pu être le cas avec durant le mouvement du Maidan. Sur le plan intérieur, le scénario ukrainien a généré une remise en ques�on chez l’opposi�on biélorusse qui s’est traduite par une ne�e diminu�on de son ac�vité. Cependant, cet état de fait ne résout pas ; d’un côté, les tensions existantes et accrues entre V. Pou�ne et A. Loukachenko de l’autre une dégrada�on progressive des condi�ons de vie de la popula�on biélorusse facteur d’un mécontentement toujours croissant, mais certes tacite, entre 2014 et 2017¹². C’est bel et bien la mobilisa�on populaire contre Loukachenko lors des élec�ons de 2020 qui met un terme à l’ambiguïté de la Biélorussie. Loukachenko acculé craignant une reproduc�on du scénario Maidan à son encontre ne peut compter que sur le sou�en russe, un sou�en poli�que, mais surtout économique afin d’alimenter son système de redistribu�on défaillant.

Le projet d’intégration et la crise politique de 2020 et ses conséquences Le projet d’intégra�on et de fusion des ins�tu�ons biélorusses et russes émerge à la chute de l’Union sovié�que. Il concerne une intégra�on du système judiciaire, monétaire et une uniformisa�on des normes économique. Or si Loukachenko peut espérer faire valoir ses résultats socio-économiques face à Boris Eltsine toujours plus cri�qués au sein de la société russe, et donc, à terme, prendre le contrôle de ce�e union, l’avènement de Vladimir pou�ne en 2000, et les réformes entreprises renverse la balance.

Progressivement, le niveau de vie en Russie ra�rape celui de la Biélorussie puis le dépasse. À par�r du moment où il parait clair que Loukachenko ne pourra pas occuper une place prépondérante au sein de l’union Russo-Biélorusse ce dernier se montre de plus en plus hos�le à tout progrès dans ce domaine. Ainsi en 2002, le projet d’Acte cons�tu�onnel d’Union entre les deux pays échoue. L’année 2003 est également marquée par de nouveaux échecs concernant l’un des dossiers majeurs de l’Union Russie Biélorussie. Le projet d’union monétaire autour du rouble russe est compromis. En effet, Minsk se refuse à ce que le centre d’émission monétaire se trouve exclusivement

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la Russie déploie désormais ailleurs ses installa�ons radars. De même, l’état russe a considérablement inves� pour développer les routes et les moyens de transit contournant la Biélorussie à travers la Finlande, la Le�onie et l’Ukraine. Le transit pétrolier et gazier qui fonde pour l’essen�el la dépendance de la Biélorussie n’est plus un souci de la Russie en 2011-2012 alors que les gazoducs le BTS-2 et Nord-Stream sont lancés¹³.

Dans le cadre de la crise ukrainienne, la Russie souhaite soudainement renforcer l’aspect militaire du projet d’intégra�on entre les deux états. Il s’agit notamment du renforcement du disposi�f militaire russe en Biélorussie dans le cadre de la mise en place d’un espace de sécurité commun¹⁴. Face à la ré�cence de la direc�on biélorusse, les médias russes annoncent le déploiement effec�f des chasseurs russes en Biélorussie à compter du 1er janvier 2016. Cela alors que Minsk espérait obtenir, par le biais d’une série de concessions, une levée par�elle des sanc�ons de l’UE à son égard. Le président Loukachenko apporte alors un démen�, en prétendant même ne pas avoir été tenu au courant de l’affaire. De plus, on notera que la Biélorussie ne reconnaît pas l’annexion de la Crimée et se montre très cri�que de la poli�que russe en Ukraine¹⁵.

en Russie. Globalement, le projet d’union avancé entre les ins�tu�ons biélorusses et russes représente une perte ne�e des préroga�ves économiques et poli�ques que Loukachenko s’est arrogée durant son premier mandat, et par conséquent ne correspond pas à ses objec�fs de poli�que intérieure.

L’arrivée à la tête de l’état russe de Dimitri Medvedev en 2008 semble marquer un tournant en Russie dans la manière d’aborder ses rela�ons avec la Biélorussie en faveur d’un cours plus pragma�que, orienté sur des rela�ons de business, et rompant avec le précédent modèle d’intégra�on. Une des raisons de ce changement, c’est que le Kremlin est profondément mécontent par les constants revirements d’Alexandre Loukachenko sur de nombreuses promesses. IL s’agit notamment de l’ouverture à la priva�sa�on des biens de l’État biélorusse aux capitaux russes, ou bien de l’avancement de l’unifica�on des deux pays. Ces contrepar�es devaient jus�fier en échange un approvisionnement con�nu en énergie bon marché et un accès privilégié au marché russe.Or, Moscou ne voit plus dans Minsk un allié, ce qui l’a poussé à se lancer dans une stratégie des�née à diminuer sa dépendance stratégique à son voisin. Dans le secteur de la défense,

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Loukachenko, conscient de l’ambivalence de sa rela�on avec Moscou à prendre une série de mesures visant à limiter l’influence russe très présente en Biélorussie, par�culièrement dans la sphère informa�onnelle et média�que. En effet, le viceadjoint du chef de l’administra�on présiden�elle évalue en 2016 à près de 65 % les contenus russes diffusés dans les médias biélorusses. Il a qualifié ce chiffre à la fois de « posi�f du point de vue de l’intégra�on des cultures et de la coopéra�on, mais aussi d’inquiétant du point de vue de la culture na�onale et de la sécurité de l’informa�on »¹⁶. En connaissance de cause, le président biélorusse a alors recours au levier na�onaliste.

Mais en 2020, les choses vont radicalement basculer, la Biélorussie connaît alors un nouveau cycle électoral, le sixième de la carrière présiden�elle d’Alexandre Loukachenko. L’opposi�on biélorusse semble ce�e fois si bien plus structurée malgré l’évic�on ou l’emprisonnement des principaux candidats d’opposi�on. L’opposi�on parvient à se rassembler derrière Svetlana Guéorguievna Tikhanovskaïa. Les revendica�ons de l’opposi�on témoignent alors d’une inflexion poli�que qui peut être imputée l’intégra�on en son sein de large pont de la popula�on qui soutenait encore récemment le président biélorusse.

Le discours poli�que est, en effet, davantage axé sur les revendica�ons économiques et sociales que sur les principes démocra�ques et l’influence de Moscou tradi�onnellement dénoncé par l’opposi�on biélorusse. La candidate précise d’ailleurs à plusieurs

reprises que la Russie demeurera une partenaire fondamentale pour la Biélorussie. Cependant à la suite des élec�ons du 9 août, la Commission électorale centrale a annoncé 80,1% de suffrages en sou�en au président en exercice. C’est un résultat entaché de lourd soupçon de fraude.

Des manifesta�ons de masse dans l’ensemble du pays ont lieu le 16 septembre rassemblant chaque fois plus de 100 000 personnes à Minsk, selon le décompte de l’opposi�on. Le reste du temps, des ac�ons de protesta�on de certains groupes de la popula�on ont eu lieu¹⁷ : grèves dans les usines d’État, manifesta�ons d’étudiants, de travailleurs culturels, médecins, marches de retraités, etc. Contrairement au précédent mouvement de contesta�on mener par l’opposi�on suite aux résultats des différentes élec�ons présiden�elles celui-ci s’inscrit dans la durée et gagne en ampleur. Il convient alors d’analyser que la Russie reste dans un premier temps mu�que sur les événements, et cela malgré les appels réguliers de Loukachenko dénonçant une tenta�ve de coup d’État fomenté depuis l’occident.

Cependant, au cours de l’année 2021, les lignes bougent et Moscou sou�ent publiquement le régime de Loukachenko contre l’opposi�on. La machine média�que russophone prépondérante dans la sphère informa�onnelle biélorusse se met en marche au service du discours présiden�el. C’est dans ce contexte que le 9 septembre 2021, les présidents Loukachenko et Pou�ne se sont rencontrés à Moscou et ont annoncé l’approba�on de 28 nouveaux programmes d’intégra�on économique et budgétaire. Mais aussi la créa�on d’une « sphère de défense commune » présentée comme une nouvelle étape vers la fusion des forces armées biélorusses et russes et vers un éventuel déploiement permanent de troupes russes en Biélorussie. Alexandre Loukachenko annonce son inten�on d’acquérir pour 1 milliard USD d’armes auprès de la Russie d’ici 2025, notamment des systèmes de missiles S-400¹⁸. Enfin, les deux présidents ont également convenu de me�re en place un marché pétrolier et gazier unifié. Il apparait alors qu’en échange du sou�en russe, Loukachenko, conscient de l’impossibilité de garder le contrôle du pays sans le sou�en poli�que, mais surtout économique et financier de la Russie a cédé sur l’ensemble des points qui pourrait perme�re à terme une intégra�on complète de la Biélorussie dans la sphère russe.

En effet, le contenu des accords laisse entendre que la Biélorussie s’en remet complètement à la Russie concernant la défense du territoire et l’intégra�on de ses forces armées ainsi que la ges�on de ses besoins énergé�ques. Il s’agissait là des principaux points d’achoppement du mécanisme d’Union, leur résolu�on témoigne de l’abandon par Loukachenko d’un certain nombre de préroga�ves régaliennes qu’il

avait jusqu’alors refusé de délégué. Le fait que Loukachenko a accepté de faire autant de concessions peut être dû à plusieurs facteurs. Il est possible que grâce à ses services de renseignement intérieur le président biélorusse ait constaté une réelle désolidarisa�on de la société vis-à-vis de sa personne, en effet, si le résultat réel des élec�ons est difficile à déterminer d’un point de vue extérieur le pouvoir biélorusse en a certainement une idée plus précise.

Enfin, dans le cas d’un scénario Maidan en Biélorussie Loukachenko est bien conscient que ses rela�ons houleuses avec le pouvoir russe ne lui perme�raient pas de se voir défendu ou extrait par la Russie à l’instar de Viktor Ianoukovitch.

L’opéra�on militaire russe contre l’Ukraine qui débute le 24 février 2022 confirme ce tournant majeur de l’ère Loukachenko. Lui qui n’avait pas reconnu le ra�achement de la Crimée en 2014, l’indépendance des républiques sépara�stes du Donbass ou encore celle de l’Abkhazie et de l’Ossé�e du Sud en Géorgie, voit son pays servir de base arrière et de point d’entrée en Ukraine pour l’armée russe. Qui plus est, la Biélorussie s’est désormais alignée sur la Russie en ce qui concerne la reconnaissance de la Crimée et des autres états de facto men�onnée plus haut.

Enfin, quelles sont donc les perspec�ves à plus long terme pour la Biélorussie ? Au vu des événements récents, le nouvel accord entre l’état russe et biélorusse représente un réel tournant dans l’histoire du pays. La poli�que biélorusse, sur le plan na�onal (économie, société) et interna�onal, s’était avérée jusque-là rela�vement indépendante de la poli�que russe, il semble peu probable que cela redevienne le cas dans un avenir proche. Cependant, il convient de nuancer l’absorp�on de la Biélorussie dans la sphère russe à commencer depuis longtemps déjà notamment sur le plan économique. À ce �tre, l’accord de 2021 ne fait que sanc�onner un état de fait, le secteur de l’énergie biélorusse est déjà par la Russie, de plus les entreprises ou l’état russe sont déjà présents aux capitaux des principales entreprises biélorusses. De même pour les ques�ons rela�ves aux domaines militaires, cela fait longtemps que les deux complexes militaro-industriels sont complètement imbriqués. C’est le sen�ment de la société biélorusse qui pose le plus ques�on, la Russie fait un pari risqué en misant sur le sou�en au système Loukachenko visiblement très affaibli sur le plan dans son capital poli�que. La société biélorusse pourrait considérer d’un mauvais œil ce�e alliance, sauf si la Russie impose des réformes économiques et sociales en mesure de sa�sfaire les a�entes de la société biélorusse tout en con�nuant d’alimenter les disposi�fs de redistribu�on de l’état biélorusse. Sur le plan culturel, si les deux sociétés diffèrent, mais elle partage un fort héritage commun et sont fortement imbriquées. Contrairement à l’Ukraine, la Biélorussie

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n’est pas autant divisée sur la ques�on européenne. La percep�on très cri�que des événements rela�fs au Maidan et à l’événement ukrainien de manière générale révèle d’une orienta�on panslave de la société plus marquée. À cela, s’ajoute la dominance totale de la Russie dans la sphère média�que y compris face aux médias na�onaux. La Biélorussie pourrait donc bien se retrouver à terme dans l’espace russe avec un statut de république fédérée aux préroga�ves élargies dans certains domaines.

¹¹Idem

¹LE « SOCIALISME DE MARCHÉ » DANS LA BIÉLORUSSIE DE LOUKACHENKO : ÉGALITARISME, NÉOPATRIMONIALISME ET DÉPENDANCE EXTÉRIEURE Ronan Hervouet de Boeck supérieur, « Revue interna�onale de poli�que comparée » 2013/3 Vol. 20, pages 11 à 97

¹⁴Idem

²LA BIÉLORUSSIE : STRATÉGIES PRÉSIDENTIELLES DE DOMINATION PERSONNELLE, Ioulia Shukan, presses de Sciences Po, « Cri�que interna�onale » ³(en russe : указ, oukaz) Selon la Cons�tu�on biélorusse, un oukase est un décret présiden�el, ayant force de loi ⁴LA BIÉLORUSSIE : STRATÉGIES PRÉSIDENTIELLES DE DOMINATION PERSONNELLE Ioulia Shukan, Presses de Sciences Po, ‘Cri�que interna�onale’ 2005/3 n°28, pages 37 à 45 ⁵Source des données : Banque mondiale ; h�ps:// www.google.com/publicdata/ explore?ds=d5bncppjof8f9_&met_y=ny_gdp_mktp_kd_zg& idim=country:BLR:UKR:RUS&hl=fr&dl=fr

⁶« Union Russie-Biélorussie : de l’eau dans le gaz », Perspec�ves biélorussiennes, Jean-Charles Lallemand, Ioulia Shukan, n° 27-28, septembre-décembre 2002. ⁷BIÉLORUSSIE 2006 un pays sous pression Céline Bayou La Documenta�on française, « Le Courrier des pays de l’Est » 2007 ⁸Idem ⁹Courrier interna�onal : Biélorussie. Le Kremlin va-t-il lâcher Loukachenko ? ; h�ps:// www.courrierinterna�onal.com/ar�cle/ 2010/09/09/le-kremlin-va-t-il-lacher-loukachenko ¹⁰LA BIÉLORUSSIE APRÈS LA CRISE UKRAINIENNE : UNE PRUDENTE NEUTRALITÉ ENTRE LA RUSSIE ET L’UNION EUROPÉENNE ? Ioulia SHUKAN, 2017 — Étude de l’Ins�tut de recherche stratégique de l’École militaire, n°50

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¹²LES RÉSULTATS LES PLUS IMPORTANTS DE L’ENQUÊTE D’OPINION EN JUIN 2016, IISEPS Independent Ins�tute of Socio-Economic and Poli�cal Studies : h�p://www.iiseps.org/?p=4699&lang=en ¹³LA BIÉLORUSSIE APRÈS LA CRISE UKRAINIENNE : UNE PRUDENTE NEUTRALITÉ ENTRE LA RUSSIE ET L’UNION EUROPÉENNE ? Ioulia SHUKAN, 2017 — Étude de l’Ins�tut de recherche stratégique de l’École militaire – n°50

¹⁵Les forces armées russe, réforme et enjeux, service de recherche du Parlement européen, Mar�n Russel, 2015 ; h�ps://www.europarl.europa.eu/RegData/ etudes/IDAN/2015/554213/EPRS_IDA (2015) 554213_FR.pdf ¹⁶LA BIÉLORUSSIE APRÈS LA CRISE UKRAINIENNE : UNE PRUDENTE NEUTRALITÉ ENTRE LA RUSSIE ET L’UNION EUROPÉENNE ? Étude de l’IRSEM, Ioulia SHUKAN, 2017. ¹⁷CRISE POLITIQUE EN BIÉLORUSSIE SUITE AUX ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES, Aleksandr Stepanov IRENEE/Université de Lorraine, « Civitas Europa » 2020/2 N° 45, pages 431 à 436 ¹⁸Journal officiel de l’Union européenne C 132/196 P9_TA (2021) 0420 « Situa�on en Biélorussie après une année de manifesta�ons violemment réprimées » Résolu�on du Parlement européen du 7 octobre 2021

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RELATIONS INTERNATIONALES

L’Arctique Russe Une frontière ouverte Par Quen�n BENOIT, cofondateur de Terra Bellum

Le développement de l'arctique russe est freiné mais demeure une priorité

L’Arc�que est une région dont le rôle n’a cessé de se renforcer depuis plusieurs années. Les pays qui pourront contrôler et mener une poli�que arc�que auront énormément à gagner, que ce soit dans le commerce interna�onal qui pourra emprunter ce�e route, mais aussi l’extrac�on de ressources fossile ou encore de ressources halieu�ques. Nous allons le voir, la Russie se veut avant-gardiste et pionnière dans l’exploita�on et dans l’u�lisa�on de l’Arc�que qui est sa seule véritable fron�ère ouverte avec le Pacifique.

Le conflit en Ukraine et l’intégra�on prochaine de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN ont renforcé l’importance de l’Arc�que. Toutes les na�ons arc�ques, à l’excep�on de la Russie seront donc dans l’alliance militaire de l’OTAN. Cependant, l’Arc�que est une zone rela�vement calme bien qu’il porte en lui ce�e rivalité OTAN-Russie. Le territoire est encadré par un droit interna�onal et un Conseil de l’Arc�que, un forum intergouvernemental qui promeut la coopéra�on dans l’Arc�que et qui se compose des pays

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du cercle arc�que polaire, mais aussi des peuples autochtones et 38 observateurs dont la France. Les principales batailles sont juridiques, principalement pour délimiter les fron�ères mari�mes revendiquées, notamment grâce à la Commission des limites du plateau con�nental. Cependant, le conflit en Ukraine pourrait bien me�re en difficulté les projets de développement de la Russie dans l’Arc�que.

L’importance de l’Arctique dans la politique de la Russie C’est à la fin de la deuxième guerre mondiale et avec l’amorce de la Guerre Froide que l’Arc�que va gagner une importance stratégique concrète. La bombe nucléaire est alors l’arme stratégique par excellence pour les puissances majeures. L’URSS développe dans les années 50 le bombardier stratégique Tupolev Tu-95 à long rayon d’ac�on. L’Arc�que est alors le chemin le plus direct par les airs pour délivrer une bombe nucléaire sur le territoire nord-américain. En

conséquence de quoi, le Canada et les États-Unis installent un réseau de radars et des bases le long de la fron�ère arc�que. Le front polaire était né.

Dans les années 60, les évolu�ons balis�ques rendent secondaires les bombardiers stratégiques au profit des missiles intercon�nentaux, contenus dans les silos ou transportés par les unités mobiles et les sous-marins lanceurs d’engins. L’Arc�que est toujours le trajet le plus direct pour frapper le rival américain et son importance ne fait que croître en conséquence.

C’est ainsi que l’URSS va concentrer son système de dissuasion nucléaire dans l’Arc�que. Une doctrine militaire nommée « Bas�on » est mise en place. Elle consiste en une vaste zone mari�me protégée, au sein de laquelle les sous-marins lanceurs d’engins peuvent opérer en toute sécurité. Le « Bas�on » exige des moyens de défense terre-air-mer, c’est une défense de couches allant du li�oral jusqu’à l’Océan qui doit garder l’ennemi à distance et empêcher toute intrusion dans son espace afin de préserver le poten�el stratégique nucléaire. La dispari�on de l’URSS et le démantèlement de la moi�é de ses forces armées, suivi des crises poli�ques et économiques internes des années 1990 vont marquer la perte d’intérêt pour l’Arc�que.

La région va regagner ses le�res de noblesse dans la Russie contemporaine avec le président Vladimir Pou�ne. En 2007, ce dernier officialise la remise en état des bombardiers stratégiques désaffectés depuis les années 90, quelques semaines seulement après le lancement de l’expédi�on russe Ark�ka 2007. Ce�e expédi�on était alors chargée de prospecter les territoires de l’océan Arc�que revendiqués par la Russie. Dès 2008, le gouvernement russe publie un document devant poser « les fondements de la poli�que de la Fédéra�on de Russie dans l’Arc�que jusqu’en 2020 et au-delà ». Document fondateur par lequel la Russie définit l’Arc�que comme « sphère de sécurité militaire » mais aussi une « région de coopéra�on pacifique à maintenir ». Elle renoue officiellement avec sa poli�que polaire, son cadre et ses moyens ont été adaptés et modernisés pour répondre à de nouveaux objec�fs tournés vers les exigences du présent et les ambi�ons du futur. En mars 2020, la Russie a approuvé une nouvelle stratégie pour l'Arc�que sur 15 ans qui confirme son évalua�on précédente, la région sera sa principale base de ressources pour la croissance économique future et décrit plus explicitement ses implica�ons de sécurité perçues d'un réchauffement clima�que ou militaire de l'Arc�que. On dis�ngue donc trois pôles principaux de la poli�que russe arc�que : militaire, économique et énergé�que.

Défense En 2014, la Russie forme un nouveau district militaire, le commandement unifié stratégique « Flo�e du Nord » (abrégé OSK Nord) qui a autorité sur la zone arc�que et dont le QG est basé à Severomorsk.

Dirigé par un Amiral et réunissant les moyens militaires interarmées, son rôle est de préserver l’intégralité territoriale de la Russie et de sanctuariser ses eaux dans un cadre opéra�onnel s’étendant de la mer de Barents aux îles Wrangel. Le programme fait directement écho à la doctrine du « Bas�on », héritage direct de la doctrine de défense mari�me sovié�que.

Comme sous l’URSS, le « Bas�on » Arc�que est aujourd’hui le cœur de la dissuasion nucléaire russe.

La flo�e du nord, ne con�ent en effet pas moins d’une dizaine de sous-marins nucléaire lanceurs d’engins.

Les plus anciens, les classes Dolfin, datent des années 1980 et sont progressivement renforcé par les nouveaux classes Boreï. L’une des spécificités de l’OSK Nord est l’importance accordée à sa dimension mari�me. La Russie n’a pas voca�on, étant donné sa géographique, à être une puissance mari�me majeure. Cela s’explique par le fait que l’Arc�que est, avec le Pacifique, la seule façade mari�me réellement ouverte qui permet une projec�on de puissance sans passer par des détroits non contrôlés. Il n’est d’ailleurs pas impossible, sur le long terme, de voir l’unifica�on des commandements de la flo�e du nord et du Pacifique. Avec le développement de l’Arc�que, la Russie mise sur sa fron�ère polaire comme une fenêtre ouverte sur le monde là où sa fron�ère ouest est devenue quasi-hermé�que compte tenu des tensions avec l’Occident et du conflit en Ukraine. La flo�e du nord basée en Arc�que se dis�ngue d’ailleurs par ses bâ�ments capables de naviguer en hautes mers et de réaliser des projec�ons par�elles. On y retrouve les bâ�ments les plus importants de la marine russe comme le porte-aéronefs Kuznetsov (qui devrait terminer sa révision et sa mise à niveau en 2023) ou le croiseur nucléaire Pierre le Grand. La flo�e du nord est aussi prioritaire sur la modernisa�on des unités et l’arrivé des nouveaux navires, au détriment des autres façades mari�mes. Pour en finir sur l’aspect militaire, l’OSK Nord compte aussi deux brigades autonomes d’infanterie motorisées arc�que, équipées en conséquence et spécialisées dans le combat en condi�on polaire. Ainsi que des services de gardecôtes assurés par le FSB.

Economie & énergie L’aspect militaire s’accompagne également d’infrastructures ainsi que de moyens Search and Rescue (SAR), nécessaires pour prévenir les risques dans un environnement largement hos�le à la naviga�on. Développement militaire et civil sont liés

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et vont de pair avec une mul�plica�on des infrastructures de communica�ons, d’aides à la naviga�on et de secours quadrillant la zone. Quatre satellites russes à usage militaire et civil sont dédiés à l’Arc�que. Un réseau de câbles dont la construc�on a débuté en 2021 doit relier par la fibre op�que la ville de Murmansk dans la mer de Barents à Vladivostok dans le Pacifique, il desservira les principales villes portuaires arc�ques sur une distance de 12 650 km1, le projet nommé « Polar Express » devrait être achevé en 2026. On peut aussi citer Atomflot, la flo�e des brise-glaces nucléaires, uniques au monde du groupe nucléaire Rosatom. La Russie se posi�onne à l’avantgarde dans la cons�tu�on des futurs voies de naviga�ons mari�me arc�ques en fournissant une qualité de naviga�on et une couverture devant assurer la confiance des inves�sseurs étrangers dont elle dépend. La route mari�me du nord-est s’inscrit aussi dans différents projets avec la Chine. Le projet économique chinois, la nouvelle route de la soie, doit être étendue à un cadre arc�que avec une route de la soie polaire. Il faut aussi prendre en compter l’effet de zone de la route du nord-est qui perme�rait de développer les infrastructures terrestres en amont sur le con�nent et d’accroître l’a�rac�vité des ports pour le moment localisé dans la région d’Arkhangelsk.

La force de la Russie dans l’Arc�que réside dans sa géographie, la route mari�me du nord-est, qui longe les eaux territoriales au nord de la Russie perme�ra de contourner les limites de tonnages et de taille des navires qui empruntent le Canal de Suez, tout en raccourcissant la distance de l’Atlan�que à l’Asie du Nord-Est de 40% par rapport à l’actuel passage via l’océan Indien. La Russie veut faire des 4 000 km reliant le détroit de Béring à la mer de Kara un axe commercial majeur entre l’Europe et l’Asie.

Ces

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arguments impressionnants sont cependant à nuancer, la route n’est délivrée des glaces que durant une saison de 5 à 6 mois dans l’année. En cela, le nombre de transits sur la route est encore très faible, une trentaine de navires par saison, soit à peine le volume quo�dien emprunté par le canal de Suez.

Comme explica�on, les condi�ons polaires, qui jus�fient un coût de construc�on trop élevé des navires habilités à traverser la zone et gonfle le prix des assurances. Autre obstacle au développement et la promo�on de la route du nord-est, les préoccupa�ons environnementales, si l'armateur danois Maersk et le chinois Cosco empruntent déjà la route, CMA-CGM s’est engagé en août 2019 à ne pas l’emprunter afin de préserver l’écosystème vulnérable de ce�e région du globe. Aussi, le conflit en Ukraine pourrait me�re en péril le développement de ce�e route avec le boyco� général des principaux armateurs occidentaux.

Maersk, qui possède un conteneur sur trois en Russie, s’est re�ré complètement du pays en raison des sanc�ons imposées.

L’Arc�que doit aussi fournir des ressources énergé�ques avec les importants gisements en gaz et en pétrole. La Russie disposerait de 70 % des ressources d’hydrocarbure de l’Arc�que. Les géants gaziers et pétroliers russes comme Gazprom, Rosne� ou Novatek se reposent néanmoins sur la coopéra�on et technologie avec les sociétés énergé�ques étrangère. La Russie ne dispose pas en effet de tout l'équipement nécessaire pour exploiter les gisements spécifiques à ce�e région. Cela pose un problème dans le cadre du conflit en Ukraine qui met en péril les projets et la maintenance des principaux sites arc�ques. Dans le cinquième paquet de sanc�ons, l'Union Européenne a interdit la fourniture d'équipements de liquéfac�on de gaz à la Russie,

me�ant ainsi en péril de futurs projets dans ce domaine comme Arc�c LNG 2. Les sanc�ons compliquent également la bonne maintenance de l’exploita�on gazière de la Russie. Dans un ar�cle du Kommersant en avril 2022, Andrey Nikipelov le CEO d’Atomenergomash (qui fait par�e de Rosatom) s’est voulu rassurant sur les capacités de la Russie à concevoir et produire de l’équipement comme des pompes cryogéniques ou des échangeurs spiralés mais le processus prendra plusieurs années pour des équipements plus complexes.

Le directeur de Novatek, le plus grand producteur indépendant de gaz naturel en Russie, Leonid Mikhelson, a également déclaré que les sanc�ons causent de grandes difficultés dans l’achèvement des lignes du projet Arc�c LNG 2 (le deuxième grand projet d’exporta�on gazière de Novatek après Yamal LNG). La dépendance cri�que de la Russie à l'égard des équipements occidentaux était évidente dès 2014.

Depuis lors, des tenta�ves ont été faites pour me�re en place une subs�tu�on des importa�ons, mais avec un succès limité. Jusqu'à présent, le seul exemple d’une ligne de gaz naturel liquéfié (GNL) en�èrement basée sur de l’équipement russe est la quatrième ligne du Yamal LNG de Novatek.

Aussi, TotalEnergies, le géant français (ac�onnaire à 19,4 % de Novatek et dé�ent une par�cipa�on de 20 % dans le champ gazier Yamal LNG) a annoncé des difficultés sur la capacité d'exécu�on du projet Arc�c LNG 2 (dont il dé�ent 10 %) dans le contexte actuel des sanc�ons et a annoncé une déprécia�on de 4,1 milliards de dollars d'ac�fs dans le projet.

Une vision à long terme Pour autant il convient de nuancer l’ensemble de ces probléma�ques. Si elles sont un frein important au développement de l’Arc�que russe. Ceux-ci ne re�rent en rien ni l’importance de l’Arc�que pour la Russie ni l’exploita�on de ses ressources sur le long terme.

La Russie s’est ac�vement employée à assurer une domina�on et une maîtrise de l’environnement arc�que, tant civil que militaire. Son objec�f à long terme est de maintenir un écart de puissance et de maîtrise suffisant afin d’assurer et de légi�mer sa place comme grande puissance arc�que.

Pour autant, le conflit en Ukraine freine les ambi�ons de la Russie qui doit revoir ses prévisions à la baisse et trouver de nouveaux inves�sseurs au-delà du monde occidental en comptant sur l’Inde ou la Chine qui possèdent une poli�que arc�que, mais aussi et surtout les inves�ssements nécessaires à son développement. Aussi, le Conseil de l’Arc�que est aujourd’hui au point mort, la Norvège, la Finlande, la Suède, le Danemark, l’Islande, le Canada et les EtatsUnis ont annulé leur par�cipa�on aux futures réunions. L’Arc�que a réussi le pari d’avoir des rela�ons inter-états basées sur le droit et la confiance qui ont fonc�onné jusque-là, mais une trop forte considéra�on du conflit en Ukraine ou l’implica�on ac�ve d’acteurs étrangers comme la Chine pourraient me�re ce processus en péril.

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RELATIONS INTERNATIONALES

MEDOR La Russie de la mer Noire au Levant Par Quen�n BENOIT, cofondateur de Terra Bellum

La base aérienne de Hmeimim (Syrie) opère en tandem avec la base navale de Tartous (Syrie)

La mer Noire est un espace géographique unique, un carrefour de 436 000 km² entre plusieurs mondes, civilisa�ons et religions. Une mer dans laquelle se déverse les fleuves du Danube, du Don, du Dniepr ou le Dniestr, autant de voie fluviale qui ajoute de l’importance à ce�e Mer. Elle communique avec la Méditerranée orientale. Quand on parle de Russie en Méditerranée orientale, l’exemple qui nous vient, c’est l’interven�on russe en Syrie à l’automne 2015 qui a surpris le monde occidental. Personne ne pensait possible que la Russie oserait y défendre par les armes ses intérêts et s’opposer à la tendance globale d’évincer Bashar al-Assad de Syrie. Sept ans après, le pouvoir syrien est toujours en place, il se relève progressivement d’une guerre civile qui dure depuis 2011, l’opposi�on a été brisée et la marge de pouvoir

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de l’Etat Islamiste restreinte. Il faut voir dans les enjeux d’hier ceux d’aujourd’hui. Protecteurs des chré�ens d’Orient et des Balkans hier, dans tout le Moyen-Orient aujourd’hui, la Russie a livré plus de douze guerres à l’Empire o�oman et à ses vassaux, entre le XVIe et le XXe siècle. Un intérêt historique de la Russie pour l’accès aux mers chaudes qui se concré�se encore aujourd’hui avec le conflit en Ukraine et les gains territoriaux russes sur le li�oral de la mer Noire.

Un mouvement Constantinople

historique

vers

La Russie s’est impliquée progressivement dans l’espace méditerranéen. Entre les 9e et 13e siècles, la Rus’ de Kiev se cons�tue en contrôlant les voies

fluviales et mari�mes qui conduisent de la Bal�que à Constan�nople. C’est au bord de la mer Noire que Vladimir Ier reçoit le baptême chré�en en 988, à Chersonèse, l’actuelle Sébastopol, avant de conver�r la Rus' de Kiev. S’ensuit une parenthèse historique qui voit le joug tataro-mongol puis l’émergence de la Moscovie qui deviendra la Russie.

Puis les Russes prennent le port d’Azov aux o�omans à la toute fin du XVIIe siècle sous Pierre le Grand. À par�r de ce�e campagne victorieuse, la Russie va progressivement prendre le contrôle des principaux ports de la mer Noire en évinçant les o�omans et leurs alliés turco-mongols tout au long du XVIII siècle. La Russie impériale a toujours considéré que l’espace pon�que (mer Noire) et l’espace Méditerranée formaient un seul ensemble. On peut me�re ce�e vision avec le parallèle du monde des cités et colonies grecques pendant l’An�quité qui s’étendaient sur ce�e zone, par la suite l’Empire Byzan�n et l’orthodoxie à cheval sur le détroit du Bosphore. Avec la chute de l’Empire Byzan�n en 1453, la Moscovie (Russie) s’iden�fie comme une troisième Rome se plaçant dans le sillage de l’héritage Byzan�n grâce auquel e la Russie légi�me sa place jusqu’à Constan�nople qui sera l’objec�f poli�que et religieux ul�me des souverains russes.

révolu�onnaires sur le con�nent, vaincre l’Empire O�oman, libérer les Balkans et s’emparer de Constan�nople. Toujours, la Russie va devoir freiner ses ambi�ons avec les pressions du Royaume-Uni, parfois soutenu par la France comme lors de la guerre de Crimée (1853-1856). Le traité de Paris en 1856 marquera un coup d’arrêt aux ambi�ons russes, mais la Russie impériale cherchera toujours à prendre Constan�nople, rallier la mer méditerranéenne et le Levant. Elle par�cipe à la conven�on de Constan�nople (1888) qui régit la liberté de circula�on dans le canal de Suez.

Une sanctuarisation de la mer Noire Aujourd’hui, les enjeux russes en Méditerranée ont changé, le commerce s’est déplacé majoritairement dans la Bal�que via les ports adjacents à SaintPétersbourg, l’Arc�que est devenu ce�e nouvelle fron�ère ouverte à exploiter. La mer Noire ne cons�tue plus, pour la Russie, une route commerciale d’importance stratégique, même si son poids pourrait évoluer suivant l’issue du conflit en Ukraine.

La Russie a toujours souhaité disposer d’un accès aux mers libres des glaces et au grand commerce interna�onal. Lors de la guerre russo-turque de 1698 à 1700, la Russie s’empare de la ville portuaire d’Azov qui via la mer du même nom offre à la Russie un port vers la mer Noire. La grande guerre du Nord (1700-1721) contre la Suède ouvre la mer Bal�que à la Russie. Le règne de Catherine II (1762-1796) marque une vaste période d’extension de l’empire et ouvre la mer Noire avec l’obten�on de la Crimée et du sud de l’actuelle Ukraine, dont le li�oral contrôlé par la Russie va jusqu’à l’ouest Odessa. C’est à par�r de ce moment que la Russie va s’inves�r vers la Méditerranée orientale (MEDOR) et inquiéter les grandes puissances méditerranéennes, principalement l’Empire O�oman.

La géopoli�que de Catherine II incarnée dans le « projet grec » vise à expulser l’Empire O�oman en Asie et former des royaumes satellites dans les Balkans. À la suite des guerres napoléoniennes, la Russie qui devient le gendarme de l’Europe est du côté des monarchies conservatrices. Elle garde en ligne de mire ses projets balkaniques et se heurte ainsi aux ambi�ons britanniques et françaises en Méditerranée orientale.

C’est à compter de ce moment que Londres va nuancer son dialogue vis-à-vis de la Russie, la route des Indes est sacrée. Le XIXe siècle pour la Russie est marqué par un objec�f très simple, maintenir les monarchies européennes et renverser les tendances

Tir de missiles kalibr par un bâtiment russe en mer Noire lors du conflit en Ukraine

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La Russie a su saisir les bouleversements poli�ques de la région. D’abord en 1992-1994 lors de la sécession de l’Abkhazie, la Russie a de fait récupéré ce�e por�on de territoire cô�er puis en 2014 dans le contexte de guerre civile en Ukraine ou la Russie prend la Crimée.

En 2022, la Russie a pour ambi�on de récupérer le li�oral ukrainien et ainsi retrouver son li�oral d’avant la révolu�on bolchevique.

L’annexion de la Crimée en 2014 a permis à la Russie de revenir en force en mer Noire et de tenir les forces de l’OTAN à distance de son li�oral sud. Reste à voir les gains territoriaux de la Russie après le conflit en Ukraine, même si les autres ports ne sont pas aussi importants que la Crimée. La Crimée pour la marine, ce sont bien sûr les infrastructures de Sébastopol, mais aussi les bases et les chan�ers navals d’Eupatoria, Feodossiia et de Kertch. Avant son annexion, la Russie ne disposait que la base de Novorossiïsk en Mer Noire.

Depuis 2014, la Russie creuse le rapport de force en sa faveur et s’est imposée comme la flo�e la plus puissante de la mer Noire avec cinq frégates, quatre corve�es, sept sous-marins Kilo, dont six de dernière généra�on.

De nombreux bâ�ments reçoivent les missiles 3M54 et 3M14-Kalibr dans la logique de la doctrine de la flo�e de mous�que (barder de missiles des navires de pe�ts tonnages), c’est une doctrine qu’on retrouve dans de nombreuses marines qui n’ont pas de voca�on hauturière. La perte récente du croiseur Moskva en avril 2022 peut encourager une restructura�on de la flo�e de la mer Noire en ce sens. A la marine il faut y

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ajouter les systèmes de défense cô�ères Bas�on-P an�navires qui sont basés à terre avec une portée de 300 km. Il y a aussi les système an�aérien S-400 basés en Crimée qui commencent à être équipés de missiles 40N6 qui portent à 400 km, c’est-à-dire la distance suffisante depuis Sébastopol pour a�eindre le Bosphore. S’y adjoignent les S-300 des bases de Goudaouta (en Abkhazie), de Gyumri (Arménie) et les S-400 de Hmeimim (Syrie), qui perme�ent de couvrir la mer Noire et la majeure par�e de l’espace aérien turc, membre de l’OTAN. L’avia�on basée en Crimée et au Kouban, équipés de missiles analogues.

La Russie opère donc une stratégie bien connue de sanctuarisa�on de ses eaux et de son li�oral dans une logique défensive. Avec le conflit en Ukraine, nous avons pu constater la modularité du disposi�f également apte à mener des opéra�ons offensives.

Une ambition au Levant Au-delà de la mer Noire, la Méditerranée orientale a�re les ambi�ons russes depuis des siècles. Ces dernières sont cependant contenues par la Turquie, 2e puissance majeure en mer Noire et surtout gendarme du détroit du Bosphore dont la circula�on est régie par la Conven�on de Montreux.

La flo�e russe ne dispose en Méditerranée que du point d’appui de Tartous en Syrie, offert à la Russie en 1971 par Hafez el-Assad. Son rôle était alors principalement d’offrir un avant-poste en ravitaillement et en mouillage à la flo�e de la mer

Noire. La base permet aussi à la Russie de naviguer vers les mers chaudes, c’est-à-dire principalement l’océan Indien ou transit la majorité du commerce interna�onal. La chute de l’URSS marque le quasiabandon de la base jusqu’à sa réhabilita�on et sa modernisa�on à compter de 2008. La base va gagner en importance lors de l’interven�on russe dans la guerre civile syrienne. Depuis 2015, la base navale de Tartous opère en tandem avec la base aérienne de Hmeimim (Syrie) à quelques kilomètres au nord de Tartous.

tandis que la guerre civile syrienne se conclut, le développement de la route arc�que, le tournant russe vers l’Asie et l’importance croissante de la Sibérie orientale pourraient bien reme�re en ques�on le main�en d’une telle base.

Deux éléments peuvent guider les objec�fs russes en MEDOR, le terrorisme et l’OTAN. Il existe aussi un contexte ambigu avec la Turquie et des divergences d’intérêts. La fron�ère syrienne n’est qu’à 800 km du Caucase. La Tchétchénie, sa capitale Grozny ou le Daghestan demeurent de poten�els viviers pour l’islamisme. C’est pourquoi les frappes russes de l’automne 2015 visaient prioritairement les forces d’AlNosra qui contenaient eux même des islamistes originaires de l’espace postsovié�que. Le sou�en de la Russie à la Syrie vise principalement à détruire l’adversaire islamiste à distance du territoire na�onal avant qu’il ne revienne. C’est ainsi une façon d’empêcher l’instabilité syrienne de s’étendre à toute la région et bien sûr de contrer les intérêts américains et occidentaux.

² Théo BRUYÈRE�ISNARD, Le retour de la Russie en Méditerranée orientale, Revue Défense Na�onale 2021/HS3 (N° Hors-série)

¹ cIgor DELANOË, La puissance par la coerci�on. Le hard power russe à l’épreuve du Moyen-Orient, Hérodote 2017/3-4 (N° 166-167)

³ Dmitri TRENIN, Russie/OTAN : maîtriser la confronta�on, Poli�que étrangère 2016/4 (Hiver)

Des bruits de couloirs s’entendaient sur la forma�on d’une base russe en Libye, mais le maréchal A�ar en difficulté et l’implica�on de la Turquie dans le pays semble avoir mis fin à ce projet, sans même parler du véritable défi que cela aurait représenter au niveau logis�que et matériel.

La Russie n’est en effet ni une puissance mari�me aux ambi�ons hauturière, ni une puissance avec des capacités de projec�on. L’unique base russe de Tartous n’est d’ailleurs aucunement comparable à n’importe quelle base de l’OTAN, la présence russe en MEDOR demeure donc largement contenable. D’autant, plus dans le contexte actuel ou la Russie concentre son disposi�f autour de l’Ukraine.

L’intérêt stratégique pour Moscou en MEDOR est donc à voir dans une logique d’avant-poste. La base a joué un rôle important dans l’interven�on russe en Syrie. Elle permet surtout de maintenir une présence constante en MEDOR, une façon de porter la menace et d'occuper les forces otaniennes loin des li�oraux russes. Mais plus que militaire, le rôle de Tartous peut aussi être poli�que, la base offre une fenêtre sur le Moyen-Orient, l’Afrique et l’océan Indien ou la Russie dispose de bonnes rela�ons avec l’Egypte, l’Algérie sans oublier la Syrie mais aussi l’Iran ou encore l’Inde.

Reste cependant à es�mer l’importance de Tartous à l’avenir, la réduc�on probable des effec�fs russes

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DÉFENSE

Vers le “Sharp Power” Émergence de la nouvelle doctrine politico-militaire russe Par Mat. M. Hauser, École de Guerre Économique

Introduction Officier le plus gradé de l’armée de la Fédéra�on de Russie, le général Valeri Gerasimov, est l’homme clé de la guerre menée par la Russie à l’Ukraine. En tant que Chef d’Etat Major des Armées, il rend directement compte au Président Pou�ne et ac�onne pour lui le disposi�f militaire russe dans le Donbass et sur le territoire ukrainien. Mais si ce général discret est entré dans la lumière depuis le 24 Février, date du début des opéra�ons russes en Ukraine, son rôle stratégique est en réalité décisif depuis plus d’une décennie.

Et pour cause : le Général Gerasimov est l’ar�san de la refonte totale de la doctrine militaire russe au

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tourant de 2014 : c’est lui, sur demande du Président Pou�ne, qui a été chargé de réformer totalement la vision russe de la guerre, pour sor�r enfin de l’héritage sovié�que et aller vers un appareil poli�co-militaire adapté aux conflits modernes. L’ambi�on de Gerasimov dans sa grande réforme de 2014 - réforme qu’il met en pra�que en 2022 en Ukraine - était de perme�re à la Russie de faire face aux “guerres hybrides” qui agitent le monde. Y faire face tant sur le plan offensif, que défensif, tant par des mesures passives qu’ac�ves, tant par des moyens militaires que poli�co-économiques. Avec la “doctrine Gerasimov”, c’est une véritable vision holis�que de la guerre qui se déploie, une vision où l’ac�on militaire et la force occupent une place finalement réduite.

Cet ensemble de moyens militaires et non-militaires u�lisé par la Russie pour remplir ces objec�fs poli�ques et diploma�ques, a été bap�sé du terme de “sharp power” par les chercheurs américains du NED. Le “sharp power”, c’est ce�e capacité qu’a un Etat à se situer à la croisée du so� et du hard power pour influencer la poli�que de ses adversaires ou de ses alliés par une série de mesures qui appar�ennent le plus souvent à la grey zone (au sens du CSIS), c’est à dire à des moyens d’ac�on machiavéliques, qui u�lisent la duplicité, la tromperie, la désinforma�on et l’influence.

Le conflit ukrainien offre ainsi une terrible mais très révélatrice fenêtre sur le cœur de ce�e nouvelle doctrine russe, une doctrine qui ne fait que répondre à un type de guerres nouvelle, mais un type de guerre qui caractérisera probablement une grande par�e des futurs conflits de ce siècle, qu’ils impliquent ou non la Russie

Du Kosovo aux révolutions de couleur : une nécessité russe de repenser l’essence de la guerre Pendant presque toute l’ère sovié�que, la doctrine militaire russe s’est centrée presque exclusivement sur la dissuasion nucléaire et sur l’u�lisa�on brute de la force, cela avec en sus toute une réflexion sur le versant paramilitaire, l’URSS fournissant des conseillers militaires à un nombre important de pays et de mouvements révolu�onnaires. Mais pendant la période sovié�que, la Russie ne perçoit pas la possibilité de sor�r du pur fait militaire pour mener la guerre. L’échec en Afghanistan enclenchera un premier mouvement de réforme, mais le caractère très ver�cal, bureaucra�que et finalement conservateur de l’armée rouge empêchera toute réelle révolu�on dans la façon de penser la guerre.

C’est l’éclatement de l’URSS et les évènements qui s’en suivront qui pousseront la Russie à faire évoluer profondément sa doctrine. Après une première période de grâce de quelques années post-1991, on observe dès 1999 que l’OTAN et la Russie main�endront des rela�ons tendues malgré la fin du bloc sovié�que. Cela apparaît très clairement aux Russes, lorsque le gouvernement Primakov de Boris Eltsine analyse avec effroi l’ac�on américaine dans les Balkans : sans déployer de troupes au sol, l’Amérique a été capable de me�re à genoux la Serbie, puissance alliée de la Russie.

Ce constat est véritablement effrayant pour l’élite poli�co-militaire russe, qui comprend à ce moment que le bloc occidental est capable, de mener une “guerre sans contact”, sans affrontement direct, par la simple u�lisa�on d’armes à distance, mais aussi par

l’u�lisa�on de techniques informa�onnelles et la mobilisa�on de réseaux protestataires comme Otpor...

De surcroit, ce�e observa�on russe arrive au moment même où les services de renseignement russes alertent d’une recrudescence ac�viste dans le Caucase, soit de façon endogène (Tchétchènie) soit sous l’impulsion d’acteurs étrangers pro-américains (Géorgie). La Fédéra�on de Russie comprend ainsi très vite qu’elle fait face à une guerre d’un type nouveau, où la force brute est finalement marginalisée, n’étant plus qu’un moyen d’une stratégie plus grande où le combat informa�onnel est presque plus important.

Ce�e nouvelle façon de comba�re perme�ant aux américains de cibler, à distance, tous les pays de la zone d’influence russe voire, poten�ellement, de semer le trouble au sein même de la Russie Pour mener la réflexion sur ces guerres hybrides, sur la façon de s’en prémunir et de contre-a�aquer et pour faire évoluer la doctrine russe, le Gouvernement Primakov nommera un ancien du KGB... Vladimir Pou�ne, alors Secrétaire du Conseil de Sécurité de la Russie. Pou�ne nourrit très vite la cer�tude que ces “guerres hybrides” ne sont pas un épiphénomène de l’interegnum post-1991, mais qu’elles vont devenir le mode de résolu�on des conflits privilégiés par les grandes puissances. Ce�e intui�on sera confirmée très vite par les importantes “révolu�ons de couleur” pro-occidentales qui agitent tout “l’étranger proche”, la zone d’influence russe, où le bloc occidental u�lise des campagnes informa�onnelles et l’astroturfing pour faire chuter plusieurs gouvernements pro-russes.

Véritable bête noir des élites russes, ces révolu�ons colorées hantent l’esprit du Président Pou�ne, qui cherchent dès le début des années 2000 un moyen de rivaliser sur ce terrain, à la fois sur le plan défensif mais aussi sur le plan offensif. La chute de Khadafi et les Printemps Arabes, en par�e exploités et soutenus par le bloc occidental, convainquent le Président Pou�ne d’accélérer le travail sur ce sujet et il charge ainsi l’Etat Major russe de mener une réflexion profonde sur ce sujet, pour donner naissance à une nouvelle doctrine militaire, prenant en compte ce�e dimension informa�onnelle. C’est ce qui donnera naissance à la Doctrine Gerasimov, du nom du général précité, qui en est à l’origine.

Sur le plan purement militaire, ce�e doctrine insiste sur la nécessité de protéger le territoire na�onal russe en développant des armes stratégiques rééquilibrant le rapport de force avec l’Amérique, en restaurant pleinement le principe de “destruc�on mutuelle assurée”. Grâce à un effort technologique important, la Russie parvient ainsi, avec le Sarmat, le Kinjal, le Poseidon ou Avangard, à ra�raper le retard qu’avait la Fédéra�on vis-à-vis du pays de l’Oncle Sam. Ces armes assurent à la Russie de rester un sanctuaire inviolable

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qu’aucun pays ne voudra a�aquer directement sans risquer une riposte et une escalade immédiate, rendue possible par ces armes hypersoniques capables de percer les défenses an�-missiles de tous les pays du globe.

Mais cet aspect purement militaire qui vise à créer un glacis autour du territoire russe, fait finalement pâle figure face aux aspects non militaires de la doctrine : la Doctrine Gerasimov met en effet l'accent sur la nécessité d’u�liser des mesures non-militaires tout au long des conflits, à la fois avant et après la déclara�on de guerre. En Mars 2019, le Général Gerasimov disait ainsi de façon très claire que “bien que le rôle décisif dans les conflits soit toujours joué par la force militaire, le rôle des méthodes nonmilitaires dans la réalisa�on des objec�fs poli�ques et stratégiques est amené à augmenter de façon exponen�elle”.

Au nombre de ces “méthodes non-militaires" devant servir à gagner la guerre, on trouve ce que la doctrine nomme la “défense ac�ve”, un concept qui implique la “neutralisa�on préven�ve des menaces pour la sécurité de l'État [par l’u�lisa�on de] mesures préven�ves [preven�vnymi] qui perme�ent de capturer et de conserver l'ini�a�ve stratégique”. L’idée général de ces “mesures préven�ves” est de mener une forme de guerre cogni�ve à l’adversaire, en désorganisant sa puissance décisionnelle en interférant dans le cœur névralgique de son disposi�f, sa par�e Command & Control. Et le premier moyen d’y parvenir est bien sûr l’u�lisa�on de la guerre de l’informa�on, qui change la percep�on du champ de bataille pour l’adversaire et donc qui fausse son évalua�on de la situa�on, sapant sa volonté comba�ve avant même le début de la guerre.

Car c’est l’idée même de ces “mesures préven�ves”, être prises très en amont de tout conflit, directement dès que la situa�on poli�que ou géopoli�que d’un pays le jus�fie, sans nécessité de déclarer de guerre ou de se montrer ouvertement hos�le. L'idée générale étant en effet de manipuler le calcul coûts/bénéfices que fait l’adversaire, pour le forcer à éviter l’escalade.

C’est en cela que ces mesures sont “préven�ves”, elles doivent perme�re de gagner la guerre sans opéra�ons militaires, les buts de guerre étant a�eints par ces moyens informa�onnels et poli�ques. Le meilleur exemple d’applica�on de ces mesures est probablement la longue période qui précèdent et suivent les évènements de l’Euromaidan en Ukraine (2013 à 2016, environ), période durant laquelle la Russie a u�lisé ces ou�ls informa�onnels pour tenter de conserver l’Ukraine dans son giron sans nécessairement aller à l’escalade. Contrairement aux opéra�ons informa�onnelles du siècle passé, ces “méthodes non militaires” ne sont pas u�lisées en support d’opéra�ons militaires, durant la guerre ; elles

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sont u�lisées en temps de paix, avant même que la guerre n’éclate ou ne soit même envisagé.

Il faut bien noter que dans l’esprit du Général Gerasimov, ce�e nouvelle doctrine n’est pas une inven�on russe, mais une tenta�ve de russifier une pra�que déjà u�lisée par les occidentaux lors des Révolu�ons de Couleur ou des Printemps Arabes. Les russes veulent ainsi en quelques sortes lu�er contre le feu par le feu, en opposant à la doctrine informa�onnelle américaine, ces fameuses “mesures préven�ves” russes. La Doctrine Gerasimov apparaît ainsi comme la réponse russe à l’émergence de ces guerres hybrides complexes, où les acteurs éta�ques et paraéta�ques se mul�plient et interagissent entre eux de façon souvent très imbriquée, en sous couvert d’une certaine discre�on.

Pour autant, ce�e façon nouvelle de faire la guerre ne doit pas laisser croire que le fait militaire a totalement disparu : comme le fait remarquer Alain Bauer, la doctrine Gerasimov “ne diminue pas l'importance de la puissance militaire, elle reconnaît plutôt l'importance accrue des ou�ls non-ciné�ques et asymétriques”. Le fait militaire reste présent, mais il obéit en quelque sorte désormais à un principe de

De gauc

subsidiarité : tout ce qui peut être réglé par des moyens non-militaires, sera réglé par des moyens nonmilitaires.

En effet, la Russie est réaliste sur la portée de son appareil militaire : si les “armes stratégiques” précédemment évoqués perme�ent de sanctuariser le territoire de la Fédéra�on de Russie, le poten�el ciné�que de la Russie reste trop faible pour perme�re au pays de se projeter et de ba�re l’OTAN dans une guerre conven�onnelle. C’est la raison pour laquelle la Russie inves�t totalement ce champ nouveau de la guerre hybride, qui mêle u�lisa�on d’acteurs paramilitaires (Groupe Wagner, Bataillon Somali), cybera�aques, campagnes d’influence, maillage média�que, désinforma�on... L’ensemble de ces moyens perme�ant de frapper le cœur du pays adverse, la société civile, qui fera pression sur son gouvernement pour me�re fin à la guerre.

Mais si le cadre stratégique de la Doctrine Gerasimov paraît rela�vement clair, il faut aussi étudier avec plus de précision l’applica�on de ce�e doctrine sur le plan opéra�onnel, c’est à dire les techniques concrètes u�lisées par la Russie dans ses “moyens préven�fs”.

Ces moyens sont regroupés dans ce que l’on appelle “le tripod”, véritable cheval de troie de la vision de Gerasimov.

che à droite : Valery Gerasimov, Vladimire Poutine, Sergei Choigu

Le tripod : L’arme de guerre politique et économique de la Russie Les campagnes d’influence et de déstabilisa�on sont souvent perçues trop simplement comme de la désinforma�on en ligne et la proliféra�on de fake news. Cependant, ceci ne représente qu’un pan des processus mis en œuvre dans le combat informa�onnel russe, les ac�ons menées par Moscou s’ar�culent autour de 3 axes majeurs, surnommé le “tripod russe”.

La désinforma�on et le cyber : qui couvrent les ac�vités dans le monde digital (mais pas seulement).

Ceci inclus l’implanta�on et la propaga�on d’éléments de désinforma�on qui visent à démoraliser et obscurcir le jugement des cibles. Les faisceaux d’ac�on peuvent-être le hacking, l’abus d’informa�ons personnelles ou les botnets entre autres et sont souvent u�lisés en combinaisons pour maximiser les effets. Les ac�ons dans le domaine cyber ont l’inconvénient d’être traçables d’autant plus quand elles sont opérées depuis des bases importantes comme l’Internet Research Agency (IRA) à St Pétersbourg. Cependant, l’appareil militaire russe a conscience de ce�e faiblesse, il ne serait donc pas surprenant de voir une réorganisa�on géographique et opéra�onnelle basée sur un modèle décentralisé avec des cellules basées dans les pays cibles ou limitrophes qui rendraient le traçage plus compliqué.

Une réorganisa�on en ce sens perme�rait aussi de maximiser l’efficacité des recrutements sur le territoire ciblé et transformerait une menace cyber en une menace pour le contre-espionnage en cumulant deux axes du tripod.

Les financements : la mise en place de campagnes d’influence à grande échelle nécessite d’importantes ressources financières. Et puisque ces ac�vités se doivent par nature d’être discrètes, les origines des financements de ces opéra�ons doivent être camouflées. Similairement aux techniques de blanchiment d’argent u�lisées pour couvrir des ac�vités criminelles, la Russie u�lise un système d’écrans pour dissimuler son lien avec les opéra�ons qu’elle engage. L’u�lisa�on de diamants ou d’autres produits difficiles à tracer ainsi que des campagnes de financement couvertes ne sont pas exclues, notamment pour le paiement d’agents, d’intermédiaires ou bien même pour me�re sur pied des organisa�ons qui serviront de façades. (think tank, médias,…)

Il est es�mé qu’une par�e des fonds qui financent la guerre de l’informa�on provient directement d’entreprises Russes. Lorsque des oligarques ou des entreprises effectuent des transferts importants vers l’étranger, il est entendu qu’une par�e de ces derniers sera réservée à « l’effort patrio�que » pour que le

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transfert soit approuvé. Un point intéressant qui montre la profondeur des interac�ons entre les services de renseignements et les agents économiques de la Russie.

Allemande, et une véritable agita�on au sein de la popula�on figée dans un climat d’insécurité qui s’exprime sur les banderoles des manifestants « Nos enfants sont en danger ».

L’humain : le renseignement humain est au cœur de la mise en place du sharp power Russe. Les avancées technologiques qui ont suivies la fin de la guerre froide ont ouvertent de nouvelles opportunités et la Russie a toujours pour ambi�on de recruter des agents étrangers pour lui perme�re d’a�eindre ses objec�fs.

Les agents sont souvent des citoyens riches et bien connectés d’anciens pays membre de l’union sovié�que ou des personnes ayant été recrutées dans les pays cibles. La par�cularité des services russes dans ce domaine est la pa�ence et la vision à long terme pour la mise en place de leurs opéra�ons qui est souvent sous-es�mée. Dans la lignée des « 5 de Cambridge », il semblerait que les réseaux d’influence �ssés par ces agents aient pour but de créer des condi�ons socio-poli�que favorables au Kremlin.

Composé d’académiques, de journalistes ou de poli�ques, le but de ces agents n’est pas de pénétrer les organisa�ons de renseignement adverse mais de faire basculer l’opinion publique par des éléments de subversion.

Cet événement a permis de décrypter une par�e du mode opératoire russe dans le domaine informa�onnel. Ce dernier se base sur un réseau d’officiels, de journalistes, de commentateurs sympathisants et parfois de trolls sur internet afin de créer des cercles d’individus mo�vés par des idéologies communes qui par la suite, injectent le message du Kremlin dans la langue du pays cible pour les faire apparaitre comme des probléma�ques locales et qui visent à démoraliser les popula�ons.

Application du sharp power Russe sur les médias et universités européennes Dès 2014, l’applica�on de la « Doctrine Gerasimov » a permis à la Russie de remporter des succès significa�fs dans une Crimée fraichement annexée. Et les conclusions qui ont pu en être �rées ont été riches d’enseignements pour les campagnes de guerre de l’informa�on que la Russie a menée par la suite.

Citons à �tre d’exemple “l’Affaire Lisa” en 2016 en Allemagne. Dans ce�e affaire, la version allemande de RT et Sputnik relayent en masse l’histoire de Lisa, une jeune fille germano-russe de 13 ans, qui , une jeune fille Germano-Russe de 13 ans, en 2016, en Allemagne, lorsque RT, Deutsch et Spoutnik ont relayé l’histoire de Lisa, jeune fille Germano-Russe de 13 ans qui aurait été enlevée et violée par des migrants alors qu’elle se rendait à l’école. Rapidement, des groupes d’extrême droite s’emparent de l’informa�on sur les réseaux sociaux et la tension monte, l’échec de la police Allemande dans la résolu�on du cas enflamme l’opinion publique et donne lieu à une série de manifesta�ons à travers le pays.

Plus tard on se rendra compte que l’histoire de Lisa est fausse, montée de toute pièce par la Russie afin d’exploiter le fossé social créé par la récente décision d’Angela Merkel d’accepter 1.2 millions de migrants Syriens alors que Moscou est en guerre avec Damas.

Les répercussions ont entrainé une véritable déstabilisa�on du statut des forces de l’ordre

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Suite à cet épisode, les cas d’influence hos�le mené par la Russie et ses alliés ont été largement relayés par le publique et certains poli�ques occidentaux. Et il a été prouvé que le Kremlin inves� de façon importante dans des opéra�ons informa�onnelles concentrées sur les médias. Le budget fédérale Russe pour 2020 a révélé des dépenses à hauteur de 1.3 milliards d’euros dans les médias, dont 234 millions au bénéfice d’RT. La chaine est l’ou�l principal de propaga�on de désinforma�on dans les pays occidentaux. Ces ac�ons sur le cyberespace, les financements et l’humain sont la signature du « tripod ».

On retrouve aussi des éléments similaires dans le monde académique, par�culièrement au niveau des financements et du renseignement humain. Le Russkiy Mir Fond créé en 2007 est un des ou�ls que le Kremlin u�lise pour étendre son influence. À l’instar du Bri�sh Council qu’il prétend imiter, le fond à pour but de disséminer des idées qui vont à l’encontre des tradi�ons du monde occidental et ses ac�vités sont coordonnés par des individus proches du Kremlin.

Ainsi, entre 2010 et 2017, l’université d’Edinburgh a reçu près de 254 000 Pounds de la part du fond pour la créa�on du Princess Dashkova Russian Center. Un autre centre similaire à celui-ci était établi à Oxford jusqu’en 2014 et selon le Bri�sh Council, le nombre de centre de ce type en Europe est passé de 28 à 58 entre 2013 et 2018. L’axe humain du tripod est aussi employé à travers des ac�vités académiques pour acquérir des renseignements. Certains professeurs d’universités Londonienne ont été vu inviter des diplomates russes sous couvert de la légi�mité que la présence de diplomate dans leurs cours aurait pu y apporter. A posteriori, il a été es�mé que ces invita�ons avaient pour but de perme�re aux agents russes de repérer des étudiants qui pourraient devenir des recrues poten�elles plus tard dans leurs carrières.

Un cas similaire avait déjà été mis en exergue en 2012 lorsque Timo Kivimaki, enseignant affilié à l’université de Bath fut arrêté et poursuivi en jus�ce

pour les raisons men�onnées ci-dessus alors qu’il enseignait à l’université de Copenhague. Encore une fois, on observe dans ces exemples des éléments du « tripod » de Gerasimov visant à déstabiliser les adversaires de la Russie par l’applica�on de techniques de guerre informa�onnelle et d’influence.

Conclusion D’une certaine façon, le développement de la Doctrine Gerasimov par la Russie n’est pas une surprise, elle marque l’évolu�on de la stratégie militaire liée à l’appari�on d’un nouveau champ de conflictualité, l’infosphère-le cyberespace, qui horizontalise grandement le rapport de force et permet de toucher directement la popula�on civile adverse, ou en l’occurrence ses représenta�ons et donc sa capacité à poursuivre ou non le combat. Les américains et les britanniques ont été les premiers à recourir à ces techniques de guerre psychologique, informa�onnelle et technologique. Ce que les analystes américains ont appelés le “sharp power” n’est finalement que l’adapta�on russe de ces méthodes bien connues. En quelque sorte, l’émergence de ces méthodes ne pouvaient a été poussée par le contexte de mondialisa�on des échanges et l’omniprésence des réseaux de communica�on. Pour autant, il est surprenant de voir avec quelle vitesse ce nouveau champ de conflictualité a gagné en importance face aux méthodes plus ciné�ques et plus létales.

C’est là le véritable point d’observa�on : la guerre informa�onnelle est-elle dans un mouvement expansionniste qui la verra s’imposer comme la norme, face à des moyens ciné�ques qui deviendraient une excep�on ? Pour l’instant, la réponse semble rester très largement néga�ve, la guerre actuelle en Ukraine étant la preuve que, ul�mement, le fait militaire et la voie des armes, reste la solu�on privilégiée pour régler un différend, même si dans le cadre de ce conflit les opéra�ons informa�onnelles sont exploitées à leur plein poten�el, mais dans une configura�on plus similaire à celles du XXe siècle, c’est à dire en sou�en des opéra�ons militaires classiques.

¹ CLAESSEN Erik A., La pensée militaire russe : « Guerre sans contact, guerre sans victoire », Revue Défense Na�onale 2016/5 (N° 790), pages 103 à 107 : //www.cairn.info/revue-defense-na�onale-2016-5page-103.htm?contenu=resume ² ANDREW FOXALL & DR JOHN HEMMINGS, THE ART OF DECEIT: HOW CHINA AND RUSSIA USE SHARP POWER TO SUBVERT THE WEST : h�ps:// henryjacksonsociety.org/wp-content/uploads/ 2019/12/HJS-Sharp-Power-Report-FINAL.pdf ³ DAWISHA K., Pu�n’s Kleptocracy, (New York: Simon & Schuster, 2014). ⁴ Mat. M. Hauser : h�ps://www.linkedin.com/in/matm-hauser/

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Après les victoires qu’a remporté la Russie dans le champ informa�onnel en 2014 en Crimée, il est légi�me de penser que les mêmes mesures pourraient être employés dans les régions occupées de l’Ukraine et plus par�culièrement le Donbass. L’enjeux pour Kyev sera donc de réussir à déstabiliser le tripod notamment dans le domaine du cyber et de la désinforma�on pour se protéger de la machine de guerre russe.

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DÉFENSE

L’OTAN Son elargisement et le retour d’une place initiale ?

Par Charles JEANNE, Promethei, associa�on des rela�ons interna�onales de l’Inalco

Le 9 novembre 1989, le mur qui sépare Berlin en deux depuis 1961 s’effondre et l’Allemagne est sur le point de se réunifier. L'événement marque le début de la chute du bloc communiste en Europe centrale et orientale. L’URSS, exsangue, clôt ce�e série de bouleversements majeurs en 1991 en s’effondrant.

Après plus de quarante années de Guerre Froide, les Etats-Unis et leurs alliés ressortent victorieux de leur lu�e contre le communisme. L’ennemi naturel de l’Organisa�on du Traité Atlan�que Nord n’est plus, mais celle-ci ne disparaît pas pour autant. Elle se pérennise notamment sous l’impulsion des Etats-Unis.

L’après Guerre Froide immédiat, la réorganisa�on de l’Alliance

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Dès 1989, l’administra�on du président Bush aurait garan� à Mikhaïl Gorbatchev que jamais, l’OTAN ne s’étendra à l’Est de l’Allemagne. Dans un premier temps, l’Alliance se réorganise suite à la chute de l’Union Sovié�que, son rôle évolue. Fondée en 1949 par les Etats-Unis et ses alliés d’Europe occidentale, elle visait à l’origine à prémunir les démocra�es libérales européennes d’une invasion de l’URSS. L’ennemi de l’OTAN disparaît en 1991 ainsi que son influence sur les anciennes Républiques socialistes en Europe. L’Alliance se retrouve donc face à un important vide géopoli�que. Ce�e réorganisa�on est très rapidement mise à l’épreuve avec l’effondrement de la Yougoslavie. En 1995, l’OTAN lance l’opéra�on Deliberate Force, une campagne de bombardement sur la Bosnie-Herzégovine approuvée par l’ONU. Il

s’agit de la première campagne militaire de l’Alliance, quinze États y par�cipent. L’OTAN con�nue d’intervenir dans les guerres de Yougoslavie, ce jusqu’en 1999. Année durant laquelle elle mène une campagne de bombardement non autorisée par l’ONU en Serbie. L’opéra�on reste, à ce jour, vivement cri�quée par la Russie. L’Alliance est également à l’ini�a�ve de la KFOR, ou Force pour le Kosovo. Les Guerres de Yougoslavie et l’interven�on de l’OTAN montrent la volonté des Etats européens de poursuivre leur partenariat militaire et poli�que avec les EtatsUnis. En effet, pour les Etats d’Europe occidentale, faire par�e de l’OTAN est très avantageux. Cela leur permet de diminuer leurs dépenses dans leur défense na�onale tout en restant assurés de la protec�on de la première puissance mondiale. Mais ces guerres renforcent leur volonté, car elles montrent que les pays européens sont incapables de mener des conflits sans l’aide des Etats-Unis.

La première vague d’expansion de l’OTAN et l’opposi�on de Moscou Dès 1991, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie se réunissent et fondent le groupe de Visegrad, qui deviendra le V4 (Visegrad 4) après la par��on de la Tchéquie et de la Slovaquie, afin de notamment de favoriser leur intégra�on à l’OTAN. C’est en 1999, année durant laquelle l’Alliance atlan�que fête ses cinquante ans, que la Pologne, la Tchéquie ainsi que la Hongrie l’intègrent. Encore une fois, cet élargissement démontre la capacité dont ont fait preuve les dirigeants occidentaux pour faire survivre leur alliance militaire même après la victoire acquise à la chute de l’URSS. Mais pour la Fédéra�on de Russie, l’expansion de l’OTAN est vécue comme une véritable trahison. Le président américain Georges H. W. Bush aurait pourtant garan� à son homologue sovié�que que jamais, l’Organisa�on ne s’ouvrirait aux anciens pays du bloc de l’Est. La Russie voit donc l’avancement des fron�ères orientales de l’OTAN non seulement comme une trahison, mais en plus comme une menace. En rejoignant l’Alliance, ces trois pays donnent la possibilité aux Etats-Unis de rapprocher ses forces armées des fron�ères occidentales de la Russie.

Cela symbolise la perte du glacis protecteur de la Russie que garan�ssait le Pacte de Varsovie, l’alliance militaire des pays communistes européens pendant la Guerre Froide. Les pays du V4 montrent par la même occasion leur volonté de s’ancrer pleinement dans le monde libéral mené par Washington.

Bulgarie, qui possèdent une façade mari�me donnant sur la Mer Noire, ainsi que les trois pays baltes : Estonie, Le�onie, Lituanie. C’est une première pour les Etats-Unis qui, grâce à l’OTAN, peuvent avoir au besoin un pied-à-terre dans l’étranger proche de la Russie.

Tous les autres pays ayant adhéré depuis 1999 étaient des anciennes républiques socialistes, satellites du Par� communiste de l’Union Sovié�que. Quant aux Etats baltes, ce sont d'anciennes Républiques Socialistes Sovié�ques qui ont fait par�e intégrante de l’URSS. Mais ils s’agissaient aussi d’anciens territoires de l’Empire Russe, dont le contrôle était nécessaire pour garan�r la sécurité de la capitale impériale, SaintPétersbourg.

Pour le pouvoir russe, il est alors vital de sécuriser son étranger proche au risque de voir d’autres Etats en faisant par�e adhérer à l’OTAN. On retrouve ce�e volonté du Kremlin dans le conflit de 2008 qui oppose le pays à la Géorgie. L’arrivée au pouvoir d’une élite bien plus favorable à l'intégra�on du pays au monde occidental ainsi qu’à l’OTAN, pousse Moscou à intervenir sur fond de tension entre Tbilissi et la région sépara�ste d’Ossé�e du Sud, soutenue par le pouvoir russe. Après la dispari�on de l’ancienne élite poli�que issue de la période sovié�que, un rapprochement

La con�nua�on de la poli�que d’élargissement et la deuxième guerre d’Ossé�e du Sud Le cinquième élargissement de l’Alliance en 2004 voit l’intégra�on de sept pays, c’est de plus loin la plus grande vague d’adhésion de nouveaux pays à l’OTAN. On compte notamment parmi eux la Roumanie et la Soldats italiens lors de l'exercice Trident Juncture en Norvège - NATO

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mutuel s’opérait effec�vement entre l’Occident et la Géorgie, surtout au niveau de l’OTAN et de l’UE. Rapprochement inacceptable pour Moscou.

La Guerre de 2008 qui oppose la Géorgie à la Russie est rapidement remportée par Moscou. Mais la victoire vient bien au-delà de celle remportée sur le champ de bataille. La Géorgie ne rejoint finalement jamais l’OTAN, perme�ant à la Russie d’éviter l’encerclement géographique par l’Alliance atlan�que.

Qu’est-ce que l’OTAN après la chute de l’URSS L’OTAN au XXIe siècle Nous l’avons vu, l’Alliance est un modèle de réussite sur plusieurs plans. En termes de durabilité d’abord, avec une Organisa�on qui fonc�onne depuis maintenant plus de soixante-dix ans. Mais aussi en termes de moyens et de taille, ce sont trente Etats qui en sont membres. L’OTAN se place comme une alliance vitale pour les Etats qui la composent, c’est un moyen pour eux de parvenir à leurs objec�fs là où leurs intérêts convergent. L’Alliance a également son rôle à jouer au-delà de son rôle militaire défensif. Car elle est également la première ligne de défense de la civilisa�on occidentale qui est basée sur les valeurs de démocra�e ou des libertés individuelles. Civilisa�on qui fait face à des États et des « Blocs » menés par des régimes plus autoritaires et façonnés selon des idéaux en opposi�on à ceux défendus par les Etats-Unis et leurs alliés. Depuis 2001, sous couvert de la Guerre contre le terrorisme, l’OTAN tente d’exporter ce modèle civilisa�onnel dans les pays où elle est militairement impliquée.

Un modèle de réussite, pourtant en proie à des difficultés Si l’OTAN perdure, ce n’est pas sans difficultés. Et ce n’est pas ce qui a manqué récemment. L’administra�on du président américain Donald Trump avait vivement cri�qué la plupart des Etats européens pour leur manque d’engagement dans leur propre sécurité. En effet, seuls quatre des vingt-neuf membres de l’alliance, à savoir les Etats-Unis, la Grèce, le RoyaumeUni et l’Estonie dépensent plus de 2 % de leur PIB dans leur défense en 2017. Ce qui revient pour les EtatsUnis à assurer la sécurité de la plupart des États d’Europe. Pour Washington, à l’heure de l’émergence de la puissance militaire chinoise dans le Pacifique, il est vital d’inciter les membres européens de l’OTAN à dépenser au moins 2 % de leur PIB dans leur défense.

Un élément essen�el dans la nouvelle stratégie américaine, celle du « Pivot vers le Pacifique », men�onné pour la première fois sous l’administra�on Obama. Cela perme�rait à terme de diminuer les

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forces américaines en Europe pour les rediriger vers des régions où apparaissent de nouveaux conten�eux.

L’OTAN fait également face à des difficultés à cause d’intérêts divergents entre plusieurs Etats. Cela a été par exemple le cas avec le regain de tensions entre la Grèce et la Turquie, dont ce�e dernière a violé la zone économique exclusive hellénique en 2020. Ce�e même année, les tensions se sont accrues entre la France et la Turquie, notamment autour du cas libyen.

C’est dans un entre�en accordé au The Economist que le président français Emmanuel Macron avait par ailleurs décrit l’OTAN en état de « mort cérébrale ».

Il est peu probable que l’exacerba�on des tensions bilatérales entre certains membres de l’OTAN ait un impact sur l’ensemble de l’alliance. Il demeure néanmoins révélateur des dysfonc�onnements qui peuvent s’opérer entre des Etats membres de ce�e même alliance. Les Etats-Unis n’interviennent que rarement dans ces querelles, car il n’est pas dans leur intérêt de voir l’organisa�on se morceler.

L’OTAN a-t-elle retrouvé son rôle initial ?

Le rôle contemporain de l’OTAN s’ancre dans ce�e vision idéologique qui prend forme dès le début de la Guerre Froide et qui perdure encore aujourd’hui.

L’OTAN n’est pas seulement un ou�l strictement militaire dressé face à l’Union Sovié�que. Pourtant, c’est ce pourquoi elle a été fondée à l’origine, à une période de l’histoire ou Est et Ouest pouvaient à tout moment s’entre-détruire.

Quel impact de la guerre en Ukraine pour l’OTAN ?

Suite à l’épisode du Maïdan en 2014, l’Ukraine est en proie à la Guerre Civile. Les Républiques sépara�stes de Lougansk et de Donetsk se sont formées à l’Est du pays dans des régions à majorité russophone. La Crimée a été annexée par la Russie à la suite d’un référendum dénoncé par l’Occident. L’implica�on et les moyens déployés par Moscou font peser une menace pour les membres de l’OTAN en Europe centrale et orientale. C’est notamment le cas en Pologne, en Lituanie, en Le�onie ainsi qu’en Estonie.

Pour les Etats-Unis et ses alliés, il est vital de renforcer la posture dissuasive de l’Alliance en Europe de l’Est. Si très vite, les preuves comme quoi Moscou soutenait les républiques sépara�stes se sont accumulées, la Russie est restée un acteur discret dans ce conflit, mais bel et bien présent.

L’interven�on russe dans le Guerre en Ukraine En février 2022, le conflit à l’Est de l’Ukraine s’est enlisé depuis huit années. Pourtant, les tensions se

Exercice Cold Response - NATO

sont exacerbées entre l’Occident et la Russie, faisant craindre une invasion imminente de l’Ukraine par ce�e dernière. Dans la foulée, les Etats-Unis ont décidé de déployer plus de soldats en Pologne afin de renforcer une nouvelle fois leur posture en Europe. Le Kremlin dénonça publiquement une offensive ukrainienne à venir sur les républiques sépara�stes du Donbass et affirma que l’Ukraine allait demander à rejoindre l’OTAN, u�lisant une rhétorique similaire sur ce point à celle employée contre la Géorgie en 2008. Le président russe Vladimir Pou�ne reconnaît les républiques sépara�stes du Donbass dans une interven�on retransmise en direct à la télévision. Le 24 février, c’est le début de l’invasion, la rupture du dialogue diploma�que par une u�lisa�on décomplexée de la force.

Si les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN sou�ennent logis�quement l’Ukraine et dénoncent l’invasion russe, ils ne prennent pas part directement au conflit.

L’Alliance connaît comme un second souffle et un regain d’intérêt auprès de ses membres, notamment européens. Les pays tels que la Pologne et les pays baltes craignent de plus en plus pour leur sécurité à mesure que la Russie se montre plus agressive et s’adonne à une u�lisa�on aussi directe de ses forces armées.

pour renforcer sa stratégie militaire et ses posi�ons face à un pays qui ne partage ni ses intérêts, ni ses valeurs.

Face à la récente démonstra�on de force russe en Ukraine, l’OTAN retrouve ce rôle qu’elle avait perdu en 1991 lors de l’effondrement de l’Union Sovié�que.

Une nouvelle fois, il est du ressort des Etats-Unis, en coordina�on avec les membres de l’Alliance, de défendre le modèle occidental et les Etats d’Europe face à la Russie. Ce pays qui ne partage pas les mêmes valeurs que l’Occident, qui peut paraître plus froid, bien moins idéaliste que nous le sommes. Ce pays qui est prêt à user d’une force militaire offensive pour arriver à ses fins.

Dans ce combat idéologique digne des événements les plus durs de la Guerre Froide, il sera logique pour l’OTAN de renforcer ses forces et ses moyens en Europe pour dissuader la Russie d’aller encore plus loin. Du moins, si telle est sa stratégie.

L’agression militaire délibérée de l’Ukraine par la Russie a pour effet de donner à l’OTAN une jus�fica�on

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DÉFENSE

Russie & Biélorussie Vers une coopération militaire intégrée ?

Par Vladimir STRANITSOV, consultant sur les enjeux de défense en Europe de l’est

Vladimir Poutine & Alexandre Loukachenko à Sochi - AP

Le 5 novembre 2021, au lendemain du jour de l’unité na�onale en Russie, les présidents Vladimir Pou�ne et Alexandre Loukachenko ont signé le décret d’intégra�on de l’État-Union Russie-Biélorussie entérinant ainsi la nouvelle doctrine militaire conjointe des deux pays. Au-delà de la dimension économique matérialisée par 28 programmes sectoriels, la signature de la nouvelle doctrine militaire cons�tue un élément d’a�en�on majeure. En réalité, l’intégra�on militaire entre les deux pays n’est pas nouvelle et découle d’un processus ini�é en 2001.

Dans le cadre de la réunion entre les deux dirigeants, le décret du Conseil suprême de l’État-Union « portant sur les grandes orienta�ons pour la mise en œuvre des disposi�ons du traité portant créa�on de l'État-Union

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pour 2021-2023 » a été signé. Ce document couvre 28 programmes sectoriels visant à poursuivre une stratégie macroéconomique coordonnée, à introduire des principes uniformes de taxa�on, à me�re en œuvre une poli�que commune dans les domaines financiers et bancaires, dans l'industrie et l'agriculture, pour la régula�on coordonnée des marchés unis du pétrole, du gaz, de l'électricité et des services de transport. En plus de ce décret, la doctrine militaire et le concept de poli�que migratoire de l'État-Union ont été approuvés. En outre, les résultats de la coopéra�on commerciale et économique entre la Russie et la Biélorussie pour l’année 2020 et le premier semestre 2021 ont été examinés.

Au-delà de l’aspect économique de ce traité, l’adop�on de la nouvelle doctrine militaire a pris une dimension par�culière suite aux tensions provoquées par la crise des migrants aux fron�ères entre la Pologne et la Biélorussie et plus encore à l’aune de l’invasion militaire menée par la Russie en Ukraine avec le sou�en de la Biélorussie. Négociée pendant plusieurs années, ce�e doctrine avait plusieurs fois échoué à obtenir la signature des deux États. Or, les ré�cences de la Biélorussie se sont dissipées après la fragilisa�on du régime de Loukachenko lors des élec�ons présiden�elles très cri�quées de 2020.

Depuis, et notamment grâce au sou�en de Pou�ne, Minsk se rapproche de plus en plus de Moscou.

Aujourd’hui, si le contenu exact de ce�e doctrine militaire reste secret, l’intégra�on entre les deux armées de ces pays est de plus en plus visible.

de maintenir la stabilité et la paix interna�onale.

L’u�lisa�on de ces armes serait possible seulement dans une logique défensive ou dans le cas où la situa�on serait considérée comme cri�que pour la sécurité d’un des deux pays. Ainsi, il est possible d’interpréter ce�e doctrine militaire comme la confirma�on écrite de la garan�e de protec�on de la Biélorussie par les armes nucléaires russes, validé par le référendum biélorusse du 27 février 2022. Selon la presse russe, la doctrine men�onne également les modalités concrètes de l’entrée en économie de guerre de l’ensemble de l’État-Union si l’un des deux pays est a�aqué. Le déclenchement de frappes préven�ves ou l’instaura�on de sanc�ons économiques et/ou de blocus en sont des exemples.

La protection de la souveraineté territoriale biélorusse par les forces armées russes

La coopéra�on dans le domaine de la sécurité et de la défense entre la Russie et la Biélorussie n’est pas un phénomène nouveau et trouve son origine à la fin des années 1990. Si ce�e coopéra�on a tracé la voie à l’intégra�on militaire que l’on observe aujourd’hui, elle a cependant souffert du jeu d’équilibriste d’Alexandre Loukachenko. En effet, la Biélorussie a longtemps refusé de signer des documents rela�fs à une intégra�on plus forte avec la Russie, souhaitant garder une part d’indépendance pour �rer par� à la fois de son rapprochement avec la Russie et du dialogue avec l’Union européenne.

Selon le ministre russe de la défense Sergueï Shoïgou, la nouvelle doctrine militaire conjointe répond à l’augmenta�on des pressions poli�ques et économiques de la part des pays occidentaux. Ainsi, la Russie et la Biélorussie seraient contraintes de prendre des mesures pour renforcer leur défense. Leur coopéra�on militaire se base sur un programme de partenariat stratégique d’une période de cinq ans. Son but est d’augmenter le niveau de cohérence de la poli�que de défense entre les deux pays et de déterminer et répar�r les tâches entre les deux ministères de la Défense en fonc�on de l’évolu�on de la situa�on poli�co-militaire dans la région. La doctrine définira le concept de sécurité de l’Union RussieBiélorussie et perme�ra une lecture commune de l’environnement et des menaces afin d’établir des lignes directrices communes.

L’aboutissement d’un long processus

Qui plus est, face au déploiement d’armes nucléaires américaines en Allemagne, en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas et en Turquie, la Russie entame une démarche qu’elle considère en « miroir » pour répondre aux occidentaux. La Russie a donc procédé au déploiement de systèmes de missiles tac�ques russes Iskander sur le territoire biélorusse, garan�ssant ainsi une réponse immédiate et un moyen de dissuasion face à des « voisins européens agressifs ». La nouvelle doctrine militaire men�onnerait très concrètement les circonstances autorisant l’u�lisa�on des armes nucléaires russes. Ainsi, la clause 1.4 de la doctrine établit un véritable pacte de solidarité : si l’un des pays est agressé, c’est l’ensemble de l’État-Union qui est concerné. Les armes nucléaires de la Russie seraient définies comme moyen de dissuader une agression à grande échelle contre les États membres, et perme�raient donc d’assurer la sécurité militaire,

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En 1999, la signature d’une quarantaine d’accords bilatéraux en ma�ère de sécurité et de défense pose les bases de la collabora�on étroite entre la Russie et la Biélorussie. Ces accords prévoient notamment la coordina�on des forces armées et des moyens an�aériens, des poli�ques d’armement, de la forma�on du personnel, du renseignement militaire et de l’usage conjoint d’infrastructures militaires. En 2000, les deux états se dotent d’un système unifié de réac�on rapide : le « Groupement Régional de Forces », et en 2001 une première doctrine militaire commune est signée.

De plus, des exercices conjoints sont organisés tous les deux ans afin d’accroître l’interopérabilité des forces des deux pays. Ce�e interopérabilité est aussi renforcée dans un cadre mul�latéral puisque le Groupement Régional de Forces est intégré en 2009 aux forces collec�ves de réac�on rapide de l’OTSC. La même année, un accord intergouvernemental prévoyant « le renforcement de la composante militaire de l’Union » est signé.

En 2012, un commandement conjoint est répar� entre Minsk et Moscou : il est confié à un officier biélorusse en temps de paix et à un État-major russe en cas de conflit. Si la Biélorussie a pour l’instant refusé, contrairement à d’autres pays de l’OTSC, d’installer une base russe sur son territoire, elle a offert un accès à certaines de ses infrastructures militaires (centre d’entraînement commun créé sur la base aérienne de Baranovitchi, sta�on radar de Gantsavitchy, éme�eur VLF de Vileyka) ainsi qu’un droit de passage sur son territoire dans le cadre de l’invasion de l’Ukraine. Dans le domaine de la défense aérienne et an�aérienne, la coopéra�on entre les deux pays s’est fortement développée depuis que la Russie et la Biélorussie ont signé un accord pour la créa�on d’un système commun de défense an�aérienne en 2012.

La fin du jeu d'équilibriste biélorusse?

Cependant, si Vladimir Pou�ne a souhaité poursuivre l’intégra�on entre la Russie et la Biélorussie, Alexandre Loukachenko a su, par un jeu d’équilibriste, freiner les ambi�ons de Moscou et conserver une part de sa souveraineté pour négocier avec Bruxelles. D’une part, le président biélorusse a su �rer par� de la coopéra�on étroite avec les Russes.

D’une part, la division du travail pour la produc�on d’équipements militaires a par exemple permis d’alimenter l’économie biélorusse et de développer le savoir-faire dans des domaines stratégiques.

Loukachenko a également réussi à obtenir des subven�ons importantes de la Russie pour la modernisa�on de ses forces de défense aérienne, qui ont pu a�eindre jusqu’à 15 % du PIB biélorusse

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certaines années. D’autre part, la Biélorussie est parvenue à conserver une marge de manœuvre pour négocier avec l’Union européenne en cas de tensions avec Moscou.

Malgré des rela�ons compliquées en raison du régime autoritaire de Loukachenko et de la viola�on régulière des droits de l’Homme, la Biélorussie est parvenue à apaiser la situa�on par des gestes poli�ques (libéra�on de prisonniers poli�ques en 2015 qui a contribué en par�e à la levée par�elle des sanc�ons européennes en 2016) et à obtenir des financements, notamment auprès de la Banque européenne d’inves�ssement (en 2018 un prêt de 160 millions d’euros a par exemple été accordé à Minsk).

La coopéra�on russo-biélorusse a cependant été marquée par plusieurs crises poli�ques qui ont démontré la volonté de Loukachenko de limiter l’intégra�on avec la Russie pour conserver la souveraineté de la Biélorussie. Ce mouvement s’est notamment renforcé à par�r de 2014 avec l’annexion de la Crimée.

En 2009, Minsk a par exemple refusé de signer l’accord établissant la force commune de réac�on rapide de l’OTSC sur fond de conflit commercial avec Moscou. En 2015, la Biélorussie a préféré prendre ses distances. Elle a ainsi signé un accord de partenariat stratégique avec la Chine et a consen� à libérer plusieurs opposants poli�ques afin de reprendre les négocia�ons avec Bruxelles pour le sou�en de son développement économique. En 2020, en pleine campagne présiden�elle, la succession de déclara�ons d’Alexandre Loukachenko contre la Russie, qu’il accuse de pressions et de vouloir vassaliser la Biélorussie a ravivé les tensions.

Cet épisode a été suivi par l’arresta�on de trentedeux citoyens russes appartenant à la désormais célèbre société militaire privée Wagner, accusés de préparer une tenta�ve de coup d’État contre Loukachenko. Ainsi, malgré un équilibre des forces asymétrique entre la Russie et la Biélorussie, engendrant de facto une dépendance de Minsk à Moscou tant en termes économiques que militaires, cela n’a pas empêché Alexandre Loukachenko de jouer sa par��on. Par un jeu d’équilibre, sa poli�que a consisté à dialoguer avec toutes les par�es, russes et occidentales, afin de �rer par� de ces différentes coopéra�ons, tout en évitant de dépendre totalement d’un des acteurs.

Cependant, les élec�ons de 2020 ont représenté un tournant majeur, tant elles ont prouvé la fragilité du président biélorusse et le sou�en vital de Moscou pour sa survie poli�que et cela s’est traduit par l’assistance biélorusse apportée à Moscou dans le cadre de l’invasion de l’Ukraine débutée en février 2022.

Conclusion Depuis 2020, la coopéra�on russo-biélorusse se transforme de plus en plus en système intégré. Ainsi, l’intégra�on militaire entre les deux pays, qui a pris corps avec la signature d’une nouvelle doctrine militaire commune, est le fruit d’un long processus débuté en 2001.

Si Minsk a montré qu’il pouvait être un allié indocile, s’opposant parfois ouvertement à la Russie, l’année électorale de 2020 a cons�tué un tournant majeur. En effet, conscient de sa fragilité poli�que et de sa dépendance à Moscou pour rester au pouvoir, Loukachenko s'est récemment montré plus conciliant.

Cela s’illustre notamment par l’alignement des posi�ons russes et biélorusses sur la scène interna�onale depuis 2020 et par l’approfondissement de l’intégra�on entre les deux pays. Au-delà de l’intégra�on formelle et bien sûr cons�tu�onnelle des forces armées russes et biélorusses, entérinée par décrets, leur rapprochement opéra�onnel semble s’être intensifié depuis l’été 2021. Le point d’orgue de ce�e coopéra�on a probablement été l’organisa�on des exercices conjoints Zapad-2021 à l’automne 2021.

De plus, cet exercice a prouvé le niveau élevé d’interopérabilité entre les deux armées dans tous les domaines, au-delà de ce qui avait pu être observé jusque-là.

Or, ce�e intégra�on opéra�onnelle des armées se poursuit. Les exercices de combat des forces aéroportées des deux pays à proximité de la fron�ère entre la Pologne et la Biélorussie et l’envoie de quatre bombardiers à capacité nucléaire Tu-22M3 Backfire et Tu-160 Blackjack à la mi-novembre 2021 en sont un exemple. Dans le contexte actuel de crise, ces manœuvres ont non seulement servi d’aver�ssement préalable. Mais surtout le dernier exercice conjoint en date « Soyuznaya-Reshimost 2022 » a servi de couverture pour les prépara�fs de l’invasion en cours de l’Ukraine avec la complicité de la Biélorussie.

Loukachenko semble donc désormais s’être résigné au fait que la survie de son régime passe par une perte au moins par�elle de la souveraineté de son pays au profit de la Russie.

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SOCIÉTÉ

L’Église othodoxe russe Héritière d’une vision impériale ?

Par Raphaël BLÉRÉ, consultant en intelligence économique, blog Alpha Omega Orthodoxie

Le conflit russo ukrainien est aujourd’hui le catalyseur d’une crise géopoli�que globale mais aussi spirituelle. En parallèle d’une situa�on poli�que extrêmement tendue entre le monde occidental et le monde russe, la crise que traverse l'Église orthodoxe avec les dernières déclara�ons du Patriarche Cyrille de Moscou montre à quel point certaines théma�ques théologico-poli�ques sont difficiles à aborder.

Pour rappel, l’Eglise orthodoxe compte environ 300 millions de fidèles dans le monde dont un peu moins de la moi�é en Russie. Le poids de l’Eglise russe est donc extrêmement important aujourd’hui, mais la rivalité entre Moscou et Constan�nople perdure depuis longtemps. Globalement, c’est une opposi�on entre la par�e hellénique et la par�e slave de

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l’Orthodoxie, comme deux frères capables à la fois de s’aimer et de se ba�re. L’organisa�on de l’Eglise orthodoxe se divise en patriarcats autonomes: Alexandrie, An�oche, Jérusalem, Moscou, Constan�nople, patriarcat de Serbie, de Roumanie, de Bulgarie et de Géorgie. En théorie, chacun de ces patriarcats est égal à tous les autres et les grandes décisions sont prises lors de conciles oecuméniques dont seul Constan�nople peut convoquer la tenue.

C’est sa préroga�ve en tant que siège historique de l’ancien empire chré�en romain d’Orient (Empire Byzan�n). A noter que Rome faisait par�e de la liste des patriarcats avant le schisme de 1054.

Depuis la chute de l’empire en 1453 et la dispari�on d’une autorité impériale chré�enne, l'Église orthodoxe

fut morcelée en Églises locales, affiliées à des pays et des cultures bien dis�nctes. L’influence de Constan�nople (aujourd’hui Istanbul) a été considérablement amoindrie à cause de la domina�on turque datant de ce�e époque.

Jouissant d’un renouveau religieux depuis la fin du communisme, le patriarcat de Moscou compte bien aujourd’hui retrouver sa place dans le concert des Églises orthodoxes. Comme vu plus haut, seul un concile pan orthodoxe peut régler les problèmes de juridic�on entre patriarcats ou répondre à des ques�ons théologiques fondamentales.

Pour l'Ukraine c’est un enjeu majeur car plusieurs juridic�ons se proclament être les seules représentantes canoniques (légales): l'Église orthodoxe ukrainienne sous tutelle de Moscou depuis le XVIIème siècle et dirigée par le Métropolite Onuphre et l'Église orthodoxe d'Ukraine créée en 2018 de façon unilatérale par Constan�nople avec à sa tête le Métropolite Epiphane.

dans un discours qu’il prononça entre 335 et 336. Mais il était arien (hérésie arianiste), niant la part de divinité du Christ, et cela engendra une prépondérance du rôle temporel sur le spirituel aussi appelé “césaro papisme”, que l’on retrouve notamment sous Charlemagne. Par la suite l’Occident, malgré ses “Rois Très Chré�ens”, et en conflit quasi permanent avec le Pape de Rome et des fron�ères morcelées, n'adopta pas de modèle similaire.

C’est l’empereur Jus�nien qui, en 535 dans sa “novelle 6”, théorise ce que deviendra par la suite la symphonie byzan�ne.

Leur pouvoir découlant d’un seul principe (archè), Dieu, c’est donc d’une union dont il est ques�on.

On y voit apparaître une no�on de partage, les deux par�es pourvoyant aux besoins de l’autre créant une harmonie favorable au peuple de l’empire. L’empereur en tant que protecteur des chré�ens (orthodoxes) s’occupera d'édifier une cité à l’imita�on de la Jérusalem Céleste, jusqu’à la deuxième venue du

Selon les canons (règles juridiques), le patriarcat de Constan�nople est en droit d’accorder seul l’autocéphalie (autonomie) à une Église sur un territoire donné ; dernier ves�ge d’un pouvoir impérial perdu. Ce�e créa�on d’une nouvelle Église en Ukraine fut considérée comme illégi�me et injus�fiée par Moscou car divisant le peuple ukrainien. En réponse, un exarchat patriarcal russe fut créé en Afrique le 29 décembre 2022, au détriment du plurimillénaire patriarcat grec orthodoxe d’Alexandrie et de toute l’Afrique.

Ce�e rivalité prend ses racines dans la théorie de la troisième Rome, affirmant de façon simpliste que Moscou serait l’héri�ère de l’empire romain qui avait comme capitale Rome, que ce siège se serait déplacé à Constan�nople avec l’arrivée au pouvoir de Constan�n le Grand et serait arrivé dans la capitale russe actuelle.

Moscou serait donc en mesure de convoquer des conciles et de jouer le rôle de Constan�nople au sein de l’Eglise. Le but étant d’adosser un pouvoir spirituel bienveillant à un pouvoir civil protecteur de tous les chré�ens - la fameuse symphonie byzan�ne - ayant été plus fantasmée que réelle à travers l’histoire.

Très tôt, l’Eglise entretenait une rela�on par�culière avec le pouvoir temporel, la cessa�on des persécu�ons en 313 avec l'édit de Milan et l’avènement d’un empire favorable au chris�anisme fut perçu comme une chance de pouvoir enfin vivre en paix et répandre l’évangile.

On donne souvent à Eusèbe de Césarée (265-339) la primauté de ce�e idée d’imbrica�on entre le pouvoir temporel et spirituel, entre le patriarche et l’empereur,

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Christ. C’est dans ce�e vision eschatologique que le pacte entre l’empereur, le patriarche et le peuple doit être compris.

Un troisième texte vint plus tard compléter la défini�on de Jus�nien, celui du patriarche Pho�us en 867.

Il présente un contre modèle au “césaro papisme”, puisque ce n’est plus l’empereur qui est à l’image du Christ mais le patriarche. Pho�us implante la no�on d’autorité légi�me (ennomos épistasia), le pouvoir temporel devant se soume�re à l’autorité divine, aux commandements du Christ et donc aux lois divines.

L’empereur devient légi�me dans l’exercice de ses fonc�ons puisqu’il est un modèle de piété. Tout au long de l’histoire de l’empire, le partage du pouvoir entre les deux dimensions spirituelles et terrestres demeurera une variable d’ajustement poli�que.

Jusqu’à nos jours, l'Eglise orthodoxe est héri�ère de ce�e tradi�on. A �tre d’exemple, au Mont Athos, dernier État “byzan�n” officiellement reconnu, on retrouve dans les textes liturgiques des références au passé impérial.

Ici, dans le livre de prière du prêtre, “Hiera�kon”, publié en 2017 par le monastère de Simonos Petra. « Pour nos Rois (βασιλέων) très-pieux et protégés de Dieu (θεοφυλάκτων), tout le gouvernement du Palais (παλατίου) et leur armée, prions le Seigneur! » « Pour qu'ils l'emportent [à la guerre] et écrasent sous leurs pieds tout ennemi et adversaire, prions le Seigneur! » Le choix de lecture de ces prières reste cependant à la discré�on de chaque monastère ou du chef spirituel local.

Lorsque l'opéra�on en Syrie fut lancée en 2015 pour défendre les intérêts géopoli�ques russes, une vieille habitude ressurgit des profondeurs de l’histoire: le Patriarche Cyrille venait d’u�liser les mots de “guerre sainte” et fut tout de suite fus�gé pour ce�e prise de posi�on. Principalement parce que c’est un concept trouvant ses sources chez Bernard de Clairvaux pour jus�fier la deuxième Croisade (1146) et complètement incompa�ble avec la foi chré�enne. Le temporel demandait au spirituel de légi�mer sa guerre.

Dans l’histoire byzan�ne, on retrouve de tels appels comme en 1208 dans la le�re du patriarche Michel Autoreianos aux soldats et sujets de Théodore Ier, juste après la prise de Constan�nople par les Croisés en 1204. La reprise de la capitale de l’empire était vitale. En temps de guerre le pouvoir temporel dispose

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de la supréma�e sur un pouvoir spirituel qui se doit d’être un sou�en indéfec�ble.

Un exemple récent a�este encore de la réalité de ce�e tradi�on. Le Patriarche Bartholomée Ier de Constan�nople, en 2018, soutenait ainsi l’opéra�on “Rameaux d’olivier” lancée par le président d’obédience musulmane Recep Tayyip Erdoğan dans la par�e est de la Turquie.

Au regard de l'histoire, le sou�en de l’Eglise au pouvoir temporel n’est pas surprenant. L’Eglise a toujours prié pour les âmes des comba�ants des différents camps, leur sort dans leur vie terrestre étant en�èrement remis à Dieu.

C’est en par�e pour ce�e raison que le Patriarche Cyrille a soutenu l’invasion en Ukraine début février 2022 avec comme alibi moral de protéger les popula�ons russophones du Donbass.

L’Eglise russe ne fait pas excep�on et c’est pourquoi l’Occident a beaucoup de difficultés à envisager une rela�on entre le patriarcat de Moscou et le Kremlin calquée sur un modèle byzan�n. Avec toutes les nuances que l’on pourrait apporter dues au passé sovie�que de la Russie. En effet, même si les atrocités bolchéviques ont été condamnées par Vladimir Pou�ne et le Patriarche Cyrille le 30 octobre 2017, il n’en demeure pas moins que la très rela�ve illusion de stabilité économique sous l’URSS, reste toujours un idéal poli�que à a�eindre pour la Fédéra�on de Russie. Rappelons que le par� communiste en Russie représente officiellement presque 20 % des électeurs avec des es�ma�ons allant jusqu’à 30 %.

L’empire russe du XIXème siècle, devenu communiste jusqu’à sa chute en 1991, a toujours défendu le concept de “monde russe”, le “panslavisme” de Dostoïevski, regroupant les popula�ons slaves au sens large. La Fédéra�on de Russie n’est pas si éloignée de ce�e vision pluriséculaire. Elle se revendique elle-même d’une mul�culturalité fonc�onnelle, l'eurasisme d’Alexandre Douguine, en raison de la forte présence démographique de popula�ons d’Asie centrale, d’obédience musulmane et bouddhiste. A savoir que la part de l’ethnie russe est passée de 81,5 % de la popula�on totale en 1989 à 77,7 % aujourd’hui.

L’Occident sécularisé, l’Europe principalement, ne comprend pas que le spirituel puisse être un acteur du monde poli�que et géopoli�que. Aujourd’hui l’Eglise orthodoxe se plie aux lois des États, chré�ens et non chré�ens, dans lesquels elle est implantée. Après la chute de l'empire, certaines monarchies d’inspira�on byzan�ne ont vu le jour comme en Serbie. Mais la vision impériale ne pouvait en aucun cas s’appliquer à l’intérieur de fron�ères limitées. Chaque “pays

orthodoxe” ne pouvant à lui seul s’autoproclamer centre de l’empire, ils étaient donc condamnés à ne recréer qu’un ersatz de symphonie byzan�ne.

La Russie reste marquée par son iden�té orthodoxe séculaire et son passé tsariste dont le pouvoir poli�que était in�mement lié au pouvoir eclésias�que. A savoir qu’entre 63 % et 69 % des russes s’iden�fient comme orthodoxes (pour 13 % d’athés) mais seulement 13 % d’entre eux sont réellement “impliqués” dans la vie de l’église. Ce renouveau religieux (surtout après 80 ans de communisme) est moins visible dans les grandes métropoles telles que Moscou ou Saint-Pétersbourg mais touche des régions en�ères comme l’Oural. Le Patriarche Cyrille est souvent considéré comme le numéro deux du pouvoir, son passé comme agent du KGB faisant toujours l’objet de vives cri�ques, il n’en demeure pas moins qu’il inspire aujourd’hui la poli�que sociale actuelle de Vladimir Pou�ne. Ce conserva�sme religieux se heurte cependant aux idéologies plus libérales des grandes villes, la remise en cause de certaines lois comme celle sur le droit à l’avortement reste alors difficile.

Ainsi, on assiste aujourd’hui au réveil d’un idéal impérial étrange, la vision ethnique d’une Russie blanche orthodoxe s’estompant pe�t à pe�t pour laisser place à un pluralisme de peuples et de religions.

Si les cicatrices de la guerre civile de 1917 ne sont pas encore totalement refermées, le peuple russe semble s’unifier, à tort ou à raison, autour de la figure de Vladimir Pou�ne, qui rappelons-le, n’est ni Tsar ni

Empereur. Ce dernier ayant su en par�e (les débats autour de ce�e ques�on font toujours rage), réconcilier le passé bolchévique et tsariste. Si la ques�on iden�taire est au cœur des débats en Europe depuis plusieurs années, elle l’est aussi en Russie et ce sera l’un de ses enjeux intérieurs pour les prochaines décennies.

¹ https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-cesermon-du-patriarche-kirill-qui-trahit-la-guerre-sainte-devladimir-poutine-20220309 ³ https://www.levada.ru/2022/03/30/odobrenie-institutovrejtingi-partij-i-politikov/?fbclid=IwAR0CfYyTIjm92iqv4iazhnENZMLrnuDBT6jP6lWWX1lFSILJCBEGUAl3-Q ⁴ https://religiondispatches.org/the-russian-patriarch-justgave-his-most-dangerous-speech-yet-and-almost-no-one-inthe-west-has-noticed/ ?fbclid=IwAR36DIKY0uOhbXoeWu3UCT8_sJncqTwq30Xod5lxSxsYCi_MBMj1LcF2uM ⁵ https://droitromain.univ-grenoble-alpes.fr/Anglica/ N6_Scott.htm https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/l-autocephalie-de-leglise-orthodoxe-ukrainienne-et-ses-consequencespolitiques#:~:text=Cr%C3%A9%C3%A9e%20en%201990 %2C%20l'Eglise,r%C3%A9seau%20de%205%20300%20p aroisses. ⁶ https://www.herodote.net/ Une_petite_Russie_en_quete_d_identite-synthese-605.php

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