N°4 - Les États-Unis, lutter pour l'hégémonie

SOMMAIRE

L’Édito Quentin BENOIT - Cofondateur de Terra Bellum

Un déclin technologique vis-à-vis de la Chine ?

Charles JEANNE - Promethei (INALCO)

Les États-Unis dans la rivalité turco-grecque Artus DE VIVIE

L’intérêt des Etats-Unis pour l’ASEAN dans la rivalité sino-américaine Protasius ISYUDANTO - Promethei (INALCO)

Quelles stratégies face à l’expansionnisme chinois?

Andréa LAQUET

Enjeu oublié de la guerre économique sino-américaine Mat M. HAUSER & Othman EL HADJ SAÏD - Club influence de l’AEGE (EGE)

États-Unis, Chine et l’épreuve écologique Zinedine GAID

États-Unis entre la démocratie et la norme démocratique Oumaima GUIZANI - Comité Interuniversitaire des Nations Unies de Paris (CINUP)

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États-Unis & la culture des gangs Clément COILLE

Le DoJ : L’arme de la politique économique interventionniste Pablo LECHAPELIER - Comité Interuniversitaire des Nations Unies de Paris (CINUP)

Thalassocratie : dominer la terre par la mer Quentin BENOIT

AUKUS face à la Chine : L’alliance anglo-saxonne Quentin BENOIT

SEMPER FI ! Le corps des United States Marines Defense Insider

USA & Taiwan : L’inévitable rapprochement Nicolas MÜLLER - Terra Bellum

Faillite de SVB : Vers un assouplissement monétaire ?

Yannick MEYER - Terra Bellum

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©White House

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ÉDITO

Merci à nos lecteurs Par Quen�n BENOIT - Cofondateur de Terra Bellum Depuis leur indépendance en 1776, les États-Unis ont l’Ins�tut Par été uneTalleyrand puissance poli�que, économique et culturelle majeure dans le monde. De la guerre froide à la mondialisa�on, les États-Unis ont joué un rôle central dans les rela�ons interna�onales et la géopoli�que mondiale. Devenues hyperpuissance à compter de l’éclatement du bloc sovié�que en 1991, les États-Unis ont pour objec�f de maintenir l’ordre interna�onal et de soutenir la Pax Americana.

Cependant, au cours des dernières années, les ÉtatsUnis ont connu des bouleversements poli�ques et sociaux importants qui ont remis en ques�on leur rôle et leur influence dans le monde. Les divisions poli�ques internes ont créé un climat de polarisa�on, avec des conséquences sur la poli�que étrangère des États-Unis.

L'administra�on de l'ancien président Donald Trump a été par�culièrement controversée, marquée par une poli�que isola�onniste centré sur le pré carré historique des Etats-Unis, protec�onniste et un désengagement des affaires interna�onales qui a remis en ques�on le courant néo-conservateur qui domine la poli�que américaine depuis la fin du XXe Siècle. La parenthèse Trump a eu de profondes répercussions sur les rela�ons des États-Unis avec ses alliés tradi�onnels, ses partenaires commerciaux et les Américains eux-mêmes.

Avec l'élec�on du président Joe Biden, les États-Unis semblaient renouer avec l’ère Obama. Le nouveau gouvernement cherche à rétablir les alliances interna�onales et à renouveler son engagement envers les ins�tu�ons mul�latérales. Mais cela ne sera pas facile, car les défis auxquels les États-Unis sont confrontés sont nombreux et son hégémonie est de plus en plus remise en cause à l’échelle interna�onale.

Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis ont été considérés comme la puissance mondiale dominante, mais leur posi�on est aujourd'hui remise en ques�on par une série de défis qui se posent.

L'un des défis les plus importants est la montée en puissance de la Chine, qui est en train de devenir une puissance économique et militaire majeure. Les ÉtatsUnis sont désormais confrontés à la tâche difficile de maintenir leur posi�on de puissance dominante face à la concurrence croissante de la Chine. Malgré la crise en Ukraine, c’est bien le Pacifique qui préoccupe en priorité la géopoli�que américaine, c’est en effet dans le Pacifique, à la fin du XIXe siècle, que l’état américain faisait ses premières armes à l’interna�onal.

Un autre défi important est la proliféra�on des armes nucléaires et des armes de destruc�on massive.

Les États-Unis sont confrontés à la nécessité de 4 - Revue TB N°4

maintenir leur propre arsenal nucléaire tout en travaillant avec d'autres pays pour empêcher la proliféra�on des armes nucléaires. Cet objec�f est mis à mal avec une Russie qui revient sur le devant de la scène en Europe et déploie des armes nucléaires en Biélorussie. En plus de la Russie, l’expansion de l’OTAN et l’adhésion récente de la Finlande ne devraient qu’aggraver la proliféra�on de ce type d’armement en Europe.

La dédolarisa�on du monde est un autre défi auquel doivent répondre les États-Unis. Suite aux sanc�ons occidentales sur la Russie, les pays en développement ont pris conscience de ce que représentait une trop grande dépendance aux systèmes de paiements dominés par les États-Unis. Le dollar est ainsi remplacé progressivement par des ini�a�ves régionales et bilatérales tandis que le monde devient mul�polaire.

Enfin, les États-Unis sont également confrontés à des défis liés aux droits de l'homme et à la démocra�e qui cons�tuent le fer de lance idéologique de l’Oncle Sam. Tandis que la progression vers un monde mul�polaire semble fulgurante depuis un an. Nombreux sont les puissances qui renouent avec des principes plus conservateurs et tradi�onnels.

Dans ce contexte, une compréhension profonde de la géopoli�que des États-Unis est plus importante que jamais. Il est essen�el de comprendre l'histoire, la poli�que et la culture des États-Unis pour saisir les enjeux actuels et futurs de la géopoli�que mondiale.

Notre revue de géopoli�que sur les États-Unis est un espace d'analyse, de réflexion et de débat que nous avons ouvert à une pluralité de chercheurs et spécialistes sur les ques�ons liées à la poli�que étrangère, à la diploma�e, à la sécurité na�onale, à l'économie, à la culture et à l'histoire des États-Unis. Je suis convaincu que notre revue apportera une contribu�on à la compréhension de la géopoli�que des États-Unis et de son rôle dans le monde pour les amateurs de géopoli�que et je vous souhaite une très bonne lecture.

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GÉOPOLITIQUE

États-Unis Un déclin technologique vis-à-vis de la Chine ?

Par Charles JEANNE - Promethei (INALCO)

Ligne d'assemblage à la Ford Motor Compagny à Dearborn, Michigan en 1928. Ge�y Images

Dans le siècle suivant la Seconde Révolu�on industrielle, l’innova�on technologique s’est emballée à une vitesse encore jamais observée à l’âge de l’anthropocène – l’Ère de l’humain. Les États-Unis ont été et en sont toujours l’un des acteurs principaux, si ce n’est l’acteur prépondérant dans ce�e course technologique qui vise à créer toujours plus de produc�vité, de croissance et de confort pour les hommes. Les Etats-Unis, du fait de leur modèle économique, capitaliste libéral faisant du « laissezfaire » le mot d’ordre, ont largement permis l’innova�on effrénée depuis la cons�tu�on de l’État fédéral. On peut également considérer l’accent mis sur la protec�on de la propriété intellectuelle – par le biais du brevet notamment – qui permet aux auteurs de protéger leurs créa�ons, ce qui représente une forte 6 - Revue TB N°4

incita�on à l’innova�on. Dans une infographie du magazine The Atlan�c qui retrace l’ensemble des brevets créés aux États-Unis entre 1792 et 2015, on se rend aisément compte du poten�el des États-Unis en ma�ère d’innova�on. Comme le rapporte ce document, seulement 229 brevets ont été a�ribués entre 1792 et 1800. Aujourd’hui, ce même nombre est a�ribué toutes les 7,2h. On y retrouve des innova�ons dont les contribu�ons sont majeures sur les hommes et l’économie mondiale au quo�dien. C’est ainsi l’exemple du système de géolocalisa�on par satellite, plus connu sous le nom de GPS. En 2011, une étude de GPS Alliance démontrait qu’une perturba�on du système coûterait 92 milliards de dollars américains à la seule économie états-unienne. Si on peine encore à u�liser ces très récents brevets aujourd’hui, comme le

graphène – dont le brevet a été déposé peu avant 2015 mais dont les applica�ons restent très limitées aujourd’hui –, on peut aisément considérer qu’une grande par�e d’entre eux seront à la base de nombreux procédés et de technologies dans un futur à moyen ou long-terme.

Pour les États, il reste essen�el de rester compé��f en perme�ant et en encourageant une innova�on constante. Les États-Unis ont longtemps tenu ce rôle dominant sur la scène interna�onale, celui d’un pays à la tête d’une course technologique effrénée. Selon les chiffres de l’Organisa�on mondiale de la propriété intellectuelle, le pays était le premier a�ributeur de brevet au monde jusqu’en 2014, dont 300 678 ont été créés au cours de ce�e seule année.

Cependant, si l’ambi�on états-unienne en ma�ère de progrès technologique a souvent été imitée sans jamais avoir été égalée, une nouvelle puissance vient rapidement se hisser comme rival de taille. La Chine est désormais la deuxième économie du monde et compte bien s’imposer comme la première, par tous les moyens possibles. Ce processus long est encore en cours aujourd’hui et il serait bien difficile de �rer des conclusions présomptueuses statuant de la réussite ou non de celui-ci. Mais quels sont alors les faits ?

Comment aujourd’hui pouvons-nous observer un déclin des Éats-Unis dans l’innova�on technologique au profit de la République Populaire de Chine ?

LES ÉTATS-UNIS, UNE PUISSANCE D’INNOVATION SÉCULAIRE La force de l’économie américaine a hérité d’un terreau fer�le propice à son développement. Que ce soit la conquête de l’Ouest et la nécessité dès la seconde moi�é du XIXe siècle de créer les infrastructures de transport perme�ant de relier ces vastes régions à l’Est du pays, ou encore les vastes ressources – énergé�ques et en ma�ères premières – nécessaires pour nourrir cet effort, les Etats-Unis ont eu toutes les clefs en main pour détrôner le RoyaumeUni à la tête de l’économie mondiale peu avant le début du XXe siècle. L’applica�on des doctrines économiques libérales a fait que les Etats-Unis ont toujours eu une économie parmi les plus compé��ves au monde. Dans une étude du World Economic Forum parue en 2018, l’économie américaine reprend ce�e même année la première place de ce classement, après que la méthodologie de comparaison entre les 140 pays étudiés ait changé afin de mieux prendre en compte l’impact toujours plus grand des technologies numériques sur l’économie mondiale, comme le rapporte le journal allemand Deutsche Welle.

Ce�e compé��vité éprouvée est le résultat d’un effort d’innova�on conséquent qui ne décroît pas avec le temps. Toujours selon une étude du World Economic Forum, les Etats-Unis possèdent la deuxième économie la plus innovante au monde en 2019, dépassée par l’économie helvète. Encore une fois

grâce à ce�e poli�que économique libérale, l’économie américaine se dis�ngue par le dynamisme de ses entreprises. En effet, la liberté d’entreprendre est érigée comme norme fondamentale dans le paysage économique des Etats-Unis. Ainsi, l’innova�on technologique est le véritable corollaire de ce�e liberté, historiquement promue sous des devises comme celle de l’American Way of Life (pour « mode de vie américain »).

La plupart des technologies et méthodes de produc�on issues des Etats-Unis – tel que le fordisme – ont rapidement été adoptées par l’Europe pendant la Seconde Révolu�on industrielle puis par le reste du monde après la Seconde Guerre mondiale, plus par�culièrement pendant les Trente Glorieuses et la reconstruc�on de l’Europe après-guerre. Cela a entre autres permis d’élever Washington à la place de puissance norma�ve, pouvant ainsi promouvoir ses standards économiques et dans le même temps, favoriser l’essor de son économie et son poten�el d’innova�on.

De nos jours, les Etats-Unis sont pionniers dans de très nombreux domaines technologiques de pointe et peuvent compter sur les cinq acteurs dominants du numérique à l’échelle mondiale, les GAFAM (acronyme désignant les entreprises Google, Apple, Facebook, Amazon et Microso�). Ces dernières dominent complètement les marchés sur lesquels elles s’installent. Les revenus engendrés par leurs ac�vités leur perme�ent d’inves�r des sommes considérables en recherche et développement, ce qui est posi�f pour l’économie américaine. À �tre d’exemple, ce sont 58,2 milliards de dollars que ces entreprises ont inves� dans ce domaine pour la seule année 2016, comme le rapporte le journal Les Echos dans un ar�cle publié en 2017.

LA CHINE ET SON AMBITION FACE À LA DOMINATION TECHNOLOGIQUE AMÉRICAINE Ce�e omnipotence technologique que possèdent les Etats-Unis leur donne un avantage colossal sur les autres pays. D’autant plus que, comme pour tant d’autres, faire plier Washington dans ce domaine n’est même pas dans les cordes de l’UE. La Chine, elle, a cependant ce�e ambi�on tant il lui est cher de devenir la première puissance mondiale. Mais en a-t-elle la possibilité ?

L’ambi�on de Xi Jinping, secrétaire général du Par� communiste chinois, est de faire de la Chine une puissance de premier rang. Pour a�eindre cet objec�f, il est nécessaire pour Pékin de ra�raper le retard qu’il a accumulé vis-à-vis de Washington en ma�ère d’innova�on technologique, ce afin de concurrencer les Etats-Unis sur les marchés sur lesquels ils sont implantés de longue date – Asie du Sud-Est, Eurasie, Afrique, Europe et Amérique la�ne – puis éventuellement les surpasser. Et ce�e compé��on se Revue TB N°4 - 7

joue actuellement dans de très nombreux secteurs technologiques : les véhicules aux énergies nouvelles, les transports en général, l’intelligence ar�ficielle, l’informa�que quan�que, la biotechnologie… Après avoir concentré ses efforts sur la consomma�on, Xi prévoit désormais de relancer la produc�on de biens en technologies de pointe afin d’accroître son indépendance face à un Occident qui est de plus en plus hos�le à la Chine.

Et ce que nous montrent ces quelques dernières années et l’actualité, c’est que Pékin ne lésine pas sur les moyens. Prenons par exemple le secteur de la biologie, on ne retrouve aujourd’hui à sa tête quasiment que des entreprises occidentales. Mais aujourd’hui, la Chine, tout comme nos pays, sait que la recherche en biologie perme�ra d’apporter des réponses à presque tous les grands problèmes que nous rencontrerons au cours du siècle : à la fois technologie et sécurité alimentaire, santé des océans, préven�on des pandémies et même lu�e contre le réchauffement clima�que. La Chine est récemment devenue un pionner dans les technologies biologiques, devenant notamment le second marché pharmaceu�que du monde, possédant une croissance supérieure à celle des Etats-Unis, comme le rapporte Tom Connors, journaliste pour Bloomberg. Pékin pourrait, dans les prochaines années, mener l’innova�on mondiale en ma�ère de biologie de synthèse et en ingénierie biologique. Dans la même dynamique, la Chine est aujourd’hui le premier acteur mondial dans les énergies alterna�ves, ayant largement dépassé les Etats-Unis dans ce domaine.

Même si la consomma�on énergé�que moyenne annuelle d’un Chinois est inférieure de moi�é à celle d’un américain, le pays consomme 35% de plus

d’énergies de plus que les Etats-Unis et reste aujourd’hui le premier éme�eur de gaz à effet de serre, contribuant grandement au changement clima�que. Face à ce�e situa�on, Xi a adopté un plan de transi�on énergé�que ambi�eux pour le pays, qui pour rappel a ra�fié l’accord de Paris sur le climat à l’issue de la COP21 en 2015. Selon la trajectoire souhaitée par le PCC, la Chine ne devra plus éme�re de gaz à effet dans l’atmosphère à par�r de 2060. Les inves�ssements réalisés dans ce domaine sont en conséquence, considérables, et Pékin est aujourd’hui le premier inves�sseur au monde dans les énergies alterna�ves, comprenant le renouvelable mais aussi le nucléaire et l’hydrogène vert – « vert » signifiant créé uniquement grâce à des sources non-carbonées.

UN ÉLAN CHINOIS FATAL AU POTENTIEL D’INNOVATION DES ETATS-UNIS ?

Les États-Unis ont montré une certaine capacité à réagir aux crises, bien plus qu’à les an�ciper d’ailleurs.

On peut ainsi prendre l’exemple du Green New Deal, en référence au plan New Deal de Franklin D. Roosevelt, faisant intervenir l’État fédéral dans l’économie pour perme�re son redressement face à la Grande Dépression, la crise ayant touché les Etats-Unis dans les années 1930. Poli�que économique promue par Biden, il s’agit de toute une série de mesures qui perme�rait aux États-Unis de réduire sa dépendance aux énergies fossiles et donc, accroître sa souveraineté non seulement énergé�que, mais aussi et surtout technologique. La Chine menant la danse en ma�ère d’énergies renouvelables, il est vital que les Etats-Unis ne reprennent la main afin de pouvoir répondre à une

Les technologies biologiques sont un des domaines dans lequel la Chine concurrence les Etats-Unis

demande intérieure grandissante, les énergies renouvelables étant les moins chères aujourd’hui dans presque tout le pays, et de pouvoir concurrencer efficacement Pékin, qui est avantagé sur les marchés interna�onaux.

De façon plus générale, il y a encore de grands défis auxquels la Chine doit trouver des solu�ons si le pays souhaite soutenir ses efforts importants entrepris dans l’innova�on technologique. La rigidifica�on de l’appareil d’Etat chinois, et la mise au pas de certains géants de la « tech » et autres hommes d’affaires, tels que Jack Ma qui avait été porté disparu après avoir cri�qué le régime chinois, ou encore Bao Fan, un banquier chinois disparu dans le courant du mois de février 2023. Dispari�ons auxquelles le PCC serait lié, pourraient effrayer les inves�sseurs étrangers, alors que le Par� s’implique toujours plus dans la vie des entreprises privées sous la direc�on de Xi, mais aussi des entrepreneurs chinois. Ce�e peur, ra�onnelle au vu des événements, pourrait se retourner contre Pékin et ses ambi�ons pour le futur technologique de la Chine.

De son côté, l’économie américaine, même frappée de plein fouet par la crise énergé�que et malgré le risque accru d’un défaut de paiement sur sa de�e, possède encore beaucoup de ressources qui pourraient perme�re au pays de garder l’ascendant sur la Chine pour les décennies à venir. Certes, ce�e dernière ra�rape son retard dans une grande variété de secteurs, mais rien n’est encore joué pour Pékin, même alors que celle-ci émerge et que l’Occident décline dans un monde qui change, où le pivot économique du monde décline de plus en plus vers l’Asie.

Promethei Promethei est l’association des relations internationales à l’Inalco (Institut National des Langues et Civilisations Orientales). Nous menons diverses activités tel que le MUN – pour « Modélisation des Nations Unies », mais aussi des visites d’ambassades à Paris ou encore des conférences en lien avec les RI. Nous avons également un pôle Presse qui publie hebdomadairement des brèves sur l’actualité internationale ainsi que des articles traduit d’une langue étudiée à l’Inalco vers le français. Il est possible de retrouver le résumé de notre vie associative sur nos comptes Instagram et LinkedIn. Nos rédacteurs sont heureux de pouvoir contribuer de leur plume au magazine de Terra Bellum.

Charles JEANNE, Président de Promethei.

« How fast is technology accelera�ng », The Atlan�c.

World Intellectual Property Indicators 2021, World Intellectual Property Organiza�on, 2021.

SULLIVAN, Arthur, « WEF study says US most compe��ve economy », Deutsch Welle, 17/10/2018.

RICHAUD, Nicolas, « Quels sont les 10 chiffres qui illustrent la puissance des GAFAM ? », Les Echos, 24/11/2017. « Xi Jinping’s bold plan for China’s next phase of innova�on », The Economist, 16/04/2022.

Connors, Tom, « How China may soon lead the BioRevolu�on », Bloomberg, 29/03/2022.

JEFFRIES, Alan, « How China plans to win the future of energy », Bloomberg, 15/03/2022.

YANG, William, « Why is China cracking down on prominent business figures ? », Deutsche Welle, 01/03/2023.

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GÉOPOLITIQUE

Les États-Unis Dans la rivalité turco-grecque Par Artus DE VIVIE

Invasion de Chypre par la Turquie en 1974

La Turquie et la Grèce ont une histoire tumultueuse qui resurgit aujourd’hui. Ancien vassal o�oman, Athènes ob�ent son indépendance en 1822. Depuis ce�e date, 4 affrontements majeurs entre les 2 voisins ensanglanteront la région. Alors qu’une réconcilia�on semblait possible en 1952 lorsqu’ils deviennent alliés au sein de l’OTAN, le président Erdogan pousse ses pions dans la Méditerranée orientale. Ankara y revendique la souveraineté sur plusieurs îlots grecs depuis 1970. Or, la tension est montée d’un cran depuis la découverte de gisements de gaz naturels dans les zones disputées. Un bateau de prospec�on turque escorté par des navires militaires a ainsi fait une excursion dans les eaux territoriales grecques, au détriment d’Athènes qui semble bien seule face à son ancien rival. L’espace aérien grec est lui aussi régulièrement violé. L’Union européenne fait la sourde oreille vis-à-vis de l’expansionnisme d’Erdogan. La Turquie jouant le rôle de verrou migratoire, les Européens ont du mal à adopter des déclara�ons communes, d’autant plus que leur regard est tourné 10 - Revue TB N°4

vers l’Ukraine. La Grèce se tourne donc vers son protecteur américain, lui seul ayant la puissance de se ba�re sur plusieurs fronts.

Les États-Unis ont tradi�onnellement défendu la Grèce dans sa rivalité contre Ankara. Dès 1914, Washington vendait des navires de guerre pour sauvegarder la supériorité grecque face à l’Empire o�oman dans la mer Égée. Or, la première démocra�e de l’histoire, considérée comme un pré carré britannique a longtemps été ignoré par le géant américain. Le retrait des Anglais de la région fait craindre une percée des par�s communistes en Grèce et en Turquie, soutenus par la Yougoslavie. En 1947, Truman formalise sa poli�que d’endiguement en accordant 300 millions de dollars de subven�ons militaires à la Grèce et 100 millions de dollars à Ankara.

Ce�e aide sécuritaire a con�nué après leur intégra�on à l’OTAN en 1952. En 1995, la Grèce était la 4e plus grande bénéficiaire de l’aide américaine.

Les rela�ons bilatérales se sont néanmoins refroidies à par�r de 1974, le gouvernement Grecque cri�quant

le manque de sou�en de « l’Oncle Sam » face à l’invasion turque de Chypre qui entraînera la par��on de l’île. En effet, ce�e dernière était divisée entre des communautés grecques et turques, Ankara et Athènes étant les garants de l’équilibre sécuritaire de Chypre.

En réac�on à ce�e passivité américaine, la Grèce qui�e la branche militaire de l’OTAN qu’elle réintègre en 1980. De son côté, la Turquie subit un embargo des armes américaines de 1975 à 1978.

Face à la montée des tensions en Méditerranée orientale, force est de constater que les Américains adoptent une posi�on ambiguë, souhaitant ménager la Turquie tout en contenant ses velléités expansionnistes en Europe. Néanmoins, ils semblent adopter une posi�on de plus en plus ferme vis-à-vis de la situa�on.

DES TENSIONS QUI EMBARRASSENT LES AMÉRICAINS Ankara est un partenaire privilégié de Washington, profitant de la rente stratégique que lui confère son emplacement géographique. Cependant, le pays ne cache pas sa volonté de diversifier ses partenaires et entre�ent de bonnes rela�ons avec la Russie et cordiales avec la Chine. Il souhaite se placer en stabilisateur régional, comme le témoigne son refus d’accueillir des soldats américains en 2003 qui a�aqueraient l’Irak par le nord. Néanmoins, les ÉtatsUnis ont conscience de son immense poten�el et ne souhaitent pas se brouiller avec Erdogan. En effet, la Turquie est la deuxième armée de l’OTAN en effec�fs, et met à disposi�on de l’alliance la base d’Incirlik où sont déployées des armes nucléaires afin de contrôler les détroits de la mer Noire. De plus, elle est le seul membre culturellement musulman de l’OTAN, lui accordant un levier diploma�que sur le Moyen-Orient.

Sa posi�on géographique lui permet d’assurer la défense du flanc sud de l’OTAN, tout en maintenant une capacité de projec�on dans la région gangrénée par de mul�ples affrontements.

En raison de son importance régionale, Washington ménage son allié. En effet, la menace turque n’est jamais explicitement citée lors des exercices militaires navals avec la Grèce. Par conséquent, les États-Unis vont privilégier la voie diploma�que pour régler les conten�eux et apaiser la rivalité turco-grecque.

Plusieurs mécanismes de « déconflic�ons » ont donc été mis en place, avec au total 62 réunions depuis les années 2000, qui n’ont cependant jamais abou� sur des résultats concrets.

Rappelons également qu’aucun pays de l’OTAN n’a été agressé militairement par un autre membre de l’alliance. Les traités de l’alliance reposent sur la chartre des Na�ons Unies qui condamne les agressions militaires. En cas d’a�aque de son rival, la Grèce ou la Turquie pourraient mobiliser l’ar�cle 5, qui s�pule « qu'une a�aque contre un membre de l'Alliance est considérée comme une a�aque dirigée contre tous les

Alliés. Or, l’ar�cle 5 engageant la défense collec�ve ne peut être voté qu’à l’unanimité, le consensus étant le seul fondement de la prise de décision dans l’OTAN. Par conséquent, il serait plus que probable qu’un des deux membres impose son veto en cas de confronta�on militaire directe.

Une hypothèse serait que l’agresseur pourrait être expulsé de l’OTAN après un consensus des autres pays membres (bien qu’il n’y ait encore aucun mécanisme formel pour ce processus). L’ar�cle 5 pourrait ensuite être invoqué. Néanmoins, cet ar�cle s�pule une assistance obligatoire des na�ons, où chacune s’engage à prendre les mesures jugées nécessaires pour répondre à l’a�aque, mais pas nécessairement de réponses militaires. Ainsi, à l’image de la crise de Chypre, les États-Unis pourraient regarder ailleurs et agir par voie diploma�que. Quoi qu’il en soit, l’alliance transatlan�que se retrouverait fortement fragilisée.

Par conséquent, ce�e rivalité n’arrange pas les Américains, en déstabilisant l’OTAN à un moment crucial de son existence. Depuis la guerre en Ukraine et la revitalisa�on de l’OTAN, le président Biden souhaite afficher un front uni de l’alliance atlan�que face à la Russie. Or, les deux pays développent une stratégie de défense axée sur une poten�elle confronta�on dans la Méditerranée et non contre Moscou. De plus, une quan�té significa�ve du matériel militaire occidental à des�na�on des Ukrainiens transite par le port d’Alexandroúpolis avant de rejoindre le front. Il souhaite ainsi régler ce conten�eux par la voie diploma�que, afin d’éviter

Ambassadeur George Tsunis

l’ouverture d’un second front en Europe.

L’ambassadeur américain en Grèce George Tsunis insiste sur la nécessité de déboucher sur un accord diploma�que entre les deux pays, en accord avec les règles interna�onales, tout en soulignant l’importance stratégique des deux membres de l’OTAN. Dans sa réponse à la ques�on de savoir si la Grèce serait seule en cas d’a�aque, ce dernier a rétorqué : « L’armée grecque est capable de protéger sa patrie. Mais en tant qu’ambassadeur des États-Unis, les États-Unis travailleront sans relâche pour la paix ».

UNE AFFIRMATION AMÉRICAINE DE PLUS EN PLUS NETTE Or, les États-Unis ne restent pas stoïques face à l’impérialisme turc en Méditerranée orientale. En effet, la coopéra�on militaire gréco-américaine est très étroite depuis 1980, et s’est renforcée avec la signature de l’accord de coopéra�on de défense mutuelle (MDCA) en 1990. Renouvelé régulièrement, cet accord permet de consolider la présence américaine dans la région, notamment dans le domaine mari�me. Les exercices conjoints en Méditerranée orientale sont fréquents et de nombreuses infrastructures sont mises à la disposi�on de l’allié américain. La base navale de Crète, occupée par l’US Navy, est ainsi la plus importante de la zone. C’est le seul port en eau profonde de la Méditerranée capable d’accueillir les plus grands porte-avions, lui conférant une importance stratégique. Récemment, plusieurs drones MQ-9 Reaper ont été déployés dans la base aérienne de Larissa afin de sécuriser le flanc sud de l’OTAN. Le porte-parole de l’US Air force a assuré que ce�e technologie n’avait pas été installée en réac�on à l’invasion russe de l’Ukraine. Ce déploiement de forces américaines et de matériels sophis�qués perme�rait ainsi de dissuader Erdogan d’agresser son voisin.

De plus, Washington semble prendre de plus en plus ses distances vis-à-vis d’Ankara qui s’aventure toujours plus loin en Méditerranée. Tout d’abord, le département d'État américain a déclaré à la Turquie que la souveraineté des îles grecques n'était pas contestée. Des pourparlers auraient également été entamés afin de déplacer les équipements de la base militaire d’Incirlik en Crète, y compris l’arsenal nucléaire. De plus, les États-Unis viennent de lever un embargo de 35 ans sur les armes à des�na�on de Chypre, décision condamnée par Ankara. En effet, aucun pays ne reconnaît la souveraineté turque sur la par�e nord de l’île, qui semble se militariser. Par conséquent, ces armes devront se retrouver dans les mains de la communauté grecque au sud.

Ce�e affirma�on des Américains au côté de leur allié grec s’incarne à travers les contrats militaires signés ces dernières années. En effet, en juillet 2022, la République hellénique a déclaré avoir envoyé une demande officielle à LockHeed Mar�n pour la l’achat de 20 F-35, tout en envisageant de futures commandes 12 - Revue TB N°4

dans le futur. Bien que la vente n’ait pas encore été officialisée, le Pentagone a envoyé une déléga�on à Athènes pour faire avancer le dossier. Les premières livraisons devraient débuter vers 2027 d’après le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis. Ces avions de combat de dernière généra�on perme�ront à la Grèce de sécuriser son espace aérien, face aux survols réguliers de l’avia�on turque de la mer Égée et de ses îles. De son côté, Erdogan s’est vu refuser ce�e précieuse technologie depuis son évic�on du programme F-35 après l’achat du système an�-aérien russe S-400 en 2019. La Turquie a vu alors son armée de l’air vieillir, sans espoir de rééquilibrage avec son ennemi à court terme. Le régime espère cependant trouver un compromis en achetant des F-16 et des kits de modernisa�on, en échange de la levée de son veto sur l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Or, la Chambre des représentants est hos�le à ce�e mesure, jus�fiant leurs posi�ons par l’a�tude belliqueuse d’Ankara visà-vis d’Athènes et par leurs préoccupa�ons du respect des droits de l’homme. Néanmoins, le Congrès se dit prêt à considérer la demande turque une fois le protocole d’adhésion de la Suède ra�fié par la Turquie.

Ce�e divergence entre les intérêts de la Turquie et ceux des États-Unis et de l’OTAN explique l’éloignement de Washington vis-à-vis d’Erdogan. Audelà de son expansionnisme régional, qui se fait au détriment des principes otaniens de l’engagement à la coopéra�on interna�onale et de la sécurité collec�ve, le président turc a fortement durci son régime, qui dérive de plus en plus vers l’autoritarisme. La liberté de la presse est remise en ques�on et de nombreux opposants poli�ques sont emprisonnés. Le repoussement des élec�ons présiden�elles suite au récent tremblement de terre laisse craindre une manipula�on du scru�n. Ce�e contesta�on de la démocra�e s’accompagne d’une répression sévère de la minorité kurde, pourtant soutenue par les États-Unis en Syrie. Enfin, son développement économique et social est freiné par de graves problèmes de corrup�on, omniprésente dans le secteur public. La proximité ouvertement affichée d’Erdogan avec Pou�ne, qui s’illustre par des achats d’hydrocarbures russes, accentue son image sulfureuse. Or, le critère principal d’adhésion à l’OTAN est l’engagement envers la démocra�e et l’État de droit, notamment en ce qui concerne la protec�on des droits de l’homme et des minorités, la transparence gouvernementale et la lu�e contre la corrup�on. Par conséquent, la Turquie bafoue les principes fondateurs de l’alliance.

Photos de la base navale de la baie de Souda en Crète, seule base navale en eau profonde de la mer Méditerranée

Revue TB N°4 - 13

GÉOPOLITIQUE

L’intérêt des États-Unis Pour l’ASEAN dans la rivalité sino-américaine Par Protasius ISYUDANTO - Promethei (INALCO)

Leaders des dix na�ons de l’ASEAN et le président Joe Biden lors d’un sommet USA-ASEAN, les 12-13 Mai 2022

La concurrence sino-américaine n'est pas une nouveauté. Les rela�ons antagonistes entre les deux pays ont commencé lorsque les États-Unis ont forcé l'empire Qing à ouvrir son port au commerce interna�onal au XIXe siècle.¹ Entre la révolu�on communiste et la mort de Mao Zedong en 1976, la Chine était essen�ellement considérée par les ÉtatsUnis comme une menace communiste en Asie. Ils ont même eu un ton accueillant lorsque la Chine a publié un livre blanc sur une « montée pacifique » en 2005, indiquant la volonté chinoise d'adhérer à l'ordre mondial dirigé par les États-Unis. Cependant, les ÉtatsUnis ont l'habitude de réprimer les puissances montantes et, lorsque la Chine est devenue la deuxième plus grande économie en 2010, elle a rapidement été désignée comme un « concurrent 14 - Revue TB N°4

stratégique ».² Lorsque Xi Jinping a pris le pouvoir en 2012, la Chine a renforcé son iden�té idéologique, soulignant son incompa�bilité avec l'ordre mondial actuel. Les deux plus grandes économies ayant affirmé leurs intérêts contradictoires et leur vision du monde dis�nc�ve (les États-Unis avec leur économie poli�que capitaliste libérale et la Chine avec son complexe Étatsociété³), la rivalité est inévitable.

L'année 2016 a marqué une augmenta�on des tensions avec l'élec�on de Donald Trump à la présidence des États-Unis, qui a endossé une poli�que « America First ». Deux ans plus tard, Trump a imposé des droits de douane sur les produits chinois, ce qui a été perçu comme une volonté d’in�mida�on par la Chine, ainsi que la fin de 18 ans de rela�ons commerciales amicales avec les États-Unis. La Chine a

Les dix na�ons composant l’ASEAN

riposté par l’imposi�on de droits de douane et une guerre commerciale s'en est suivie. Les États-Unis ont concentré leurs efforts pour me�re fin à la dépendance énergé�que, relancer la fabrica�on na�onale et construire un discours mondial contre la Chine.⁴ Mais ils ne peuvent pas nier qu'ils perdent en influence sur la scène mondiale. Sur le plan économique, le Partenariat économique régional global (PERG) a été créé en 2022. Il s'agit d'un accord de libre-échange entre 15 pays d'Asie-Pacifique dirigé par la Chine, dans le but d'étendre l'influence grandissante de la Chine dans la région. Washington reste en tête des inves�ssements dans la région (les inves�ssements américains ont augmenté de 41 % en 2021 pour a�eindre 40 milliards de dollars), mais les inves�ssements de Pékin ont augmenté de 96 % pour a�eindre près de 14 milliards de dollars, selon le rapport 2022 sur les inves�ssements dans l’ASEAN.⁵ Comment les États-Unis peuvent-ils donc ralen�r ou même inverser ce�e tendance pour protéger leur posi�on sur la scène mondiale ?

L’ASEAN : « LE POINT D'APPUI D'UNE STRUCTURE RÉGIONALE EN PLEINE ÉVOLUTION » L'Associa�on des na�ons de l'Asie du Sud-Est (ASEAN en anglais) pourrait être la réponse au dilemme des États-Unis. Elle a été créée en 1967 et regroupe actuellement cinq États fondateurs : l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande ; et six autres États : Brunei, le Cambodge, le Laos, le

Myanmar, le Timor oriental et le Vietnam. La région de l’ASEAN abrite une popula�on d'environ 500 millions d'habitants, une superficie totale de 4,5 millions de kilomètres carrés, un produit intérieur brut combiné de près de 700 milliards de dollars et un commerce total d'environ 850 milliards de dollars.⁶ Le bloc regroupe des pays démocra�ques, une monarchie absolue et des États communistes, salués pour leur capacité à gérer la sécurité régionale. Hillary Clinton a un jour qualifié l’ASEAN de « pivot d'une structure régionale en évolu�on ».⁷ Elle a été fondée lorsque le président Nixon ne plaçait plus l'Asie dans la liste des priorités des États-Unis et lorsque la Chine était loin d'être une superpuissance régionale. Il s'agit donc d'une associa�on non-alignée par excellence, ce qui se manifeste dans ses principes principalement par la clause de non-ingérence. Dans un monde de plus en plus polarisé, le poten�el de l’ASEAN et son nonalignement a�rent progressivement l'a�en�on des superpuissances mondiales.

UN CHAMP DE BATAILLE ENTRE DEUX SUPERPUISSANCES L’a�rait de l’ASEAN ne se limite pas à sa taille et à sa poli�que, mais aussi à sa posi�on. Trois des membres de l'ASEAN sont frontaliers de la Chine, tandis que la mer la relie à l'Australie, à l'Inde, à la Corée du Sud et au Japon. Il s'agit d'un terrain d'entente neutre, ce qui signifie que l'alignement de l'ASEAN pourrait renverser la table poli�que mondiale. Tant la Chine que les États-

Revue TB N°4 - 15

Unis ont alors tenté de nouer des liens avec le groupe par divers moyens.

La Chine a été impliquée dans divers conflits en Asie du Sud-Est pendant la Guerre Froide, ce qui a tendu ses rela�ons avec les pays d'Indochine. Ce n'est qu'en 1991 que la Chine a établi des rela�ons diploma�ques avec tous les membres de l'ASEAN. Depuis lors, la coopéra�on s'est épanouie.

Les échanges commerciaux entre la Chine et l'ASEAN ont a�eint 970 milliards USD en 2022, avec une augmenta�on de 15% chaque année. En 2010, la zone de libre-échange Chine-ASEAN a été établie.⁸ Grâce à son projet « Belt and Road Ini�a�ve » (BRI, aussi appelé « nouvelles routes de la soie »), Pékin a inves� 7,2 milliards USD dans l'ASEAN. Pékin par�cipe aussi volon�ers aux ac�vités de l’ASEAN, accueillant son quatrième forum régional en 2000, coordonnant la créa�on de la réunion des ministres de la défense de l'ASEAN Plus en 2010, et organisant un exercice naval conjoint en 2018.⁹ Les rela�ons sont toutefois compliquées en raison de la ques�on de la mer de Chine méridionale, dans laquelle les revendica�ons de la Chine entrent en compé��on avec celles de cinq pays de l'ASEAN. La Chine a accepté le code de conduite de 2002 mais s'affirme de plus en plus en termes d'énergie et d'ac�vités militaires.¹⁰ De leur côté, les États-Unis ont commencé à s'engager officiellement avec l'ASEAN en 1977. En 2021, les échanges commerciaux entre les États-Unis et l'ASEAN ont a�eint 441 milliards USD.¹¹ Les ÉtatsUnis restent la première source d'inves�ssements directs étrangers de l'ASEAN avec un flux total de 24,5 milliards USD en 2019. Ils disposent principalement de deux plateformes économiques : l'accord-cadre sur le commerce et l'inves�ssement, et l'ini�a�ve d'engagement économique élargi dont les plans sont convenus annuellement entre les deux par�es.¹² Sur le plan poli�que, les États-Unis sont le premier État nonmembre de l'ASEAN à nommer un ambassadeur résident auprès de celles-ci en 2010.¹³ Ils ont également par�cipé au premier sommet de l'Asie de l'Est tout en renforçant les alliances et les partenariats avec les Philippines, l'Indonésie et Singapour.¹⁴ Le principal engagement des États-Unis concerne toutefois la sécurité. L'armée américaine par�cipe à des exercices annuels et bisannuels avec huit membres de l'ASEAN. Elle accroît également les échanges de renseignements militaires avec l'ASEAN. Jusqu'à 70 % des Asia�ques du Sud-Est es�ment que « la région est plus stable et plus sûre avec un engagement ac�f des États-Unis ». Les États-Unis sont néanmoins cri�qués au niveau domes�que pour avoir abandonné l'ASEAN pendant trop longtemps, ne s'intéressant à la région que dans le cadre de la poli�que de « pivot » d'Obama, alors qu'elle est déjà sous forte influence chinoise. Il leur a également été reproché d'être trop axés sur les ques�ons militaires et d'avoir une vision transac�onnelle de la diploma�e.¹⁵

16 - Revue TB N°4

UN ATOUT AMÉRICAIN POSSIBLE EN ASIE-PACIFIQUE Pour la Chine, il est tout à fait naturel de chercher à resserrer les liens avec l'ASEAN. Dans le cadre de la poli�que de « fenfayouwei » (« recherche de la réussite ») de Xi Jinping, la Chine envisage de s'imposer comme une grande puissance. L'ASEAN étant située dans son arrière-cour, c'est la première région à être placée sous son influence. Pour les États-Unis, cependant, c'est un peu plus compliqué. L'intérêt des États-Unis pour la région est ancré dans l'histoire. La guerre du Vietnam a été l'un des plus grands

Caricature illustran

engagements étrangers des États-Unis dans leur histoire. Avec la ques�on de Taïwan, l'Asie du Sud-Est est devenue la véritable ligne de front des États-Unis.

Aujourd'hui, elle revêt la même importance, même s'il s'agit plutôt d'une ligne de front diploma�que. Si les États-Unis souhaitent liquider la montée en puissance de la Chine, l’ASEAN est son point d'appui.

Si (et c'est un gros « si ») les Etats-Unis parviennent à rallier les pays de l’ASEAN, ils en �reront de grands avantages sur plusieurs fronts. Premièrement, ils peuvent en �rer un profit économique. Le rendement moyen des inves�ssements américains à l'étranger en 1993, par exemple, était de 10,3%, mais il était de 34,3% en Indonésie et de 33,7% en Malaisie.

Deuxièmement, cela leur assurerait un levier

stratégique puisque 50% des navires mondiaux passent par la région. Troisièmement, ils pourraient poursuivre et intensifier les opéra�ons an�terroristes, ce qui aurait une grande influence dans la zone sur le plan militaire. Tous ces éléments tendent vers un seul but : porter un coup fatal à l'essor de la Chine. Parmi tous les navires qui passent par le détroit de Malacca, 60 % sont chinois. Si les États-Unis peuvent obtenir la permission de sta�onner des soldats dans le détroit, ils pourraient imposer un embargo pétrolier préjudiciable à la Chine. Le renforcement des rela�ons économiques entre les États-Unis et les pays de l'ASEAN pourrait également réduire la part de la Chine sur le marché de

nt la guerre commerciale contre la Chine, lancée par Donald Trump en 2019

l'ASEAN. Même si la coopéra�on entre les États-Unis et l'ASEAN ne risque pas de faire dérailler les rela�ons Chine-ASEAN, elle pourrait néanmoins ralen�r le développement du commerce et des rela�ons poli�ques entre la Chine et les pays de l'ASEAN. Enfin, les États-Unis pourraient encourager les États de l'ASEAN à créer de temps à autre une crise avec la Chine pour freiner son ascension mondiale.¹⁶

UNE ASEAN TOURNÉE VERS LES ÉTATS-UNIS ?

Il est clair qu'une ASEAN alignée sur les États-Unis peut être très bénéfique pour ces derniers, et même raviver leur importance sur la scène mondiale. S'agit-il

toutefois d'une perspec�ve réaliste ? Même si les États de l'ASEAN sont neutres sur le papier, ils représentent toujours, individuellement, des votes « décisifs » pour la Chine et les États-Unis. S'ils devaient choisir, il est réaliste de penser que le Cambodge, le Myanmar et le Laos sou�endraient la Chine. Les autres pays se rallieraient probablement aux États-Unis. Les Philippines et la Thaïlande sont déjà des alliés des États-Unis, et Singapour accueille une base navale américaine, tandis que l'Indonésie, la Malaisie, le Vietnam et Brunei ont des différends territoriaux mari�mes avec la Chine.¹⁷ Le groupe n'est pas, toutefois, un objet immobile. Ils sont conscients de leur posi�on au milieu d'une rivalité géopoli�que. Les États de l'ASEAN en ont profité et n'ont pas peur de refuser des faveurs. Par exemple, dans les années 1990, lorsque la popula�on des Philippines n'appréciait pas la présence américaine, les États-Unis ont dû fermer leurs bases navales et aériennes dans ce pays. Si la tendance actuelle se main�ent, il est très probable que l'ASEAN restera formellement neutre sur la scène mondiale.

Les États-Unis devraient donc trouver un terrain culturel commun et s'en servir pour diffuser leur so� power dans la région. Des ques�ons telles que les droits de l'homme et l'environnement, par exemple, pourraient être considérées comme du néocolonialisme. Il est nécessaire de posi�onner de telles interven�ons de la manière la plus diploma�que possible, idéalement en suivant l'exemple des partenaires locaux. Les États-Unis devraient également développer leur programme d'aide tout en maintenant leur posi�on de premier inves�sseur direct étranger à l'organisa�on. Ils devraient également a�énuer leur discours contre la Chine afin de réduire les réac�ons néga�ves à chaque fois que les États-Unis me�ent le pied en Asie du Sud-Est. L'ensemble de l'Occident peut être impliqué dans ce�e entreprise. L'Union Européenne est, par exemple, capable d'aider à coordonner la poli�que commerciale. De ce�e façon, elle pourrait poten�ellement assurer une plus grande harmonie dans la région en concentrant ses inves�ssements dans les infrastructures sur la liaison avec les projets de la BRI en Asie centrale, plutôt que d'essayer de concurrencer les inves�ssements chinois en Asie du Sud-Est. En conclusion, si les États-Unis souhaitent exercer une influence durable, ils devraient apprendre à abandonner leur approche « �t-for-tat » et « hard power » (ce qui a été souligné par l’ASEAN elle-même) en faveur d'une diploma�e douce et plus sub�le. ¹DE VIENNE, Marie-Sybille, 2022. Géopoli�que d’Asie du Sud-Est [Cours magistral]. Paris : Ins�tut na�onal des langues et civilisa�ons orientales. ²ZHANG, Biwu, 2015. Chinese Percep�ons of US Return to Southeast Asia and the Prospect of China’s Revue TB N°4 - 17

Peaceful Rise. Journal of Contemporary China. vol. 24, no. 91, p. 176-195. ³DE GRAAFF, Nana, VAN APELDOORN, Bas�aan, 2018. US-China rela�ons and the liberal world order: contending elites, colliding visions?. Interna�onal Affairs. P. 113-131. ⁴BOYLAN, Brandon, MCBEATH, Jerry, WANG, Bo, 2021. US-China Rela�ons: Na�onalism, the Trade War, and COVID-19. Fudan Journal of the Humani�es and Social Sciences. vol. 14, p. 23-40. ⁵SCOTT, Liam, LIM, Peh H., 2022. US-China Rivalry Increases Tension in Southeast Asia [en ligne]. ⁶UE, Union Européenne, 2009. ASEAN Overview [en ligne]. ⁷CABALLERO-ANTHONY, Mely, 2014. Understanding ASEAN’s centrality: bases and prospects in an evolving regional architecture. The Pacific Review. vol. 27, no. 4, p. 563-584. ⁸DE VIENNE, Marie-Sybille, 2022. Géopoli�que d’Asie du Sud-Est [Cours magistral]. Paris : Ins�tut na�onal des langues et civilisa�ons orientales. ⁹DODGSON, Jennifer, 2021. China’s Security and Defence Coopera�on in Southeast Asia. Mul�na�onal Development Policy Dialogue. p. 1-31. ¹⁰HONG, Zhao, 2013. The South China Sea Dispute and China-ASEAN Rela�ons. Asian Affairs. vol. 44, no.

1. P. 27-43. ¹¹USDS, United States Department of State, 2022. The United States-ASEAN Rela�onship. ¹²ASEAN, Associa�on of Southeast Asian Countries, 2023. ASEAN-US Economic Rela�on [en ligne]. ¹³USECI, U.S. Embassy & Consulates in Indonesia, 2023. Fact Sheet: Unprecedented U.S.-ASEAN Rela�ons [en ligne]. ¹⁴PARAMESWARAN, Prashanth, 2013. “The Power of Balance:” Advancing US-ASEAN Rela�ons under the Second Obama Administra�on. The Fletcher Forum of World Affairs. vol. 37, no. 1, p. 123-134. ¹⁵HANG, Nguyen T. T., 2018. The U.S.-ASEAN Rela�ons: An Overview. Slovak Journal of Poli�cal Sciences. vol. 18, no. 1, p. 69-83. ¹⁶ZHANG, Biwu, 2015. Chinese Percep�ons of US Return to Southeast Asia and the Prospect of China’s Peaceful Rise. Journal of Contemporary China. vol. 24, no. 91, p. 176-195. ¹⁷EIU, Economist Intelligence, 2022. ASEAN strives to stay neutral as US-China tension rises [en ligne].

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GÉOPOLITIQUE

USA & Indopacifique Quelles stratégies face à l’expansionnisme chinois?

Par Andréa LAQUET

Taiwan, source de tensions entre les Etats-Unis et la Chine. Illustra�on par Kyoko Nemoto.

"L'océan Pacifique est assez grand pour contenter à la fois la Chine et les États-Unis" Le 13 avril 2013, à Beijing, Xi Jinping prononce ces quelques mots prome�eurs au secrétaire d'État américain John Kerry. Pourtant, il semblerait que la situa�on en zone Indopacifique ne reflète en rien les propos du représentant chinois, notamment au vu de l’accroissement des conflits.

Le 5 mars 2023, la Chine annonce une augmenta�on de son budget militaire de 7,3%, contre un pourcentage légèrement plus modeste en 2022 : 7,2%¹. Restant donc dans la même lignée progressive 20 - Revue TB N°4

de ses armées, la République Populaire de Chine affirme donc plus de 200 milliards d’euros, soit 225 milliards de dollars et plus de 1 553 milliards de yuans alloués à ce secteur militaire. La scène occidentale doit-elle y voir une réelle crainte ou une logique construc�viste du contexte interna�onal actuel ?

De l’autre côté de l’océan Pacifique, leader de la scène interna�onale au niveau militaire, les États-Unis doivent néanmoins s’adapter au contexte mondial de 2023. Force est de constater que le retrait de leurs troupes depuis l’Afghanistan en 2021 marque un premier échec de leur poli�que d’influence des armées dans les États nécessitant de l’aide. Malgré tout, avec un nouveau Président succédant à Donald Trump, l’isola�onnisme moderne reste en constant recul par les nouvelles décisions gouvernementales

sous Joe Biden. Également, dans la même lignée que la Chine, l’État américain alloue lui-aussi un budget considérable à la Défense Na�onale en 2023 avec 858 milliards de dollars. En d’autres termes, la puissance mondiale ne ralen�t pas sur ses ac�ons au sein de la scène interna�onale, mais surtout dans l’océan Indien et l’océan Pacifique. « La défense du territoire na�onal contre la « « menace mul�domaines²» émanant de la Chine » en serait la cause.

Bien que la guerre frappe aux portes de l’Europe, ce n’est pas ici que le leader américain semble a�endu au tournant. Comme sus cité, la région de l’Asie du SudEst, encore une fois, a�re l’a�en�on des anciens gendarmes du monde, en par�culier par une Chine qui, certes, stagne sous un budget militaire sous le seuil des 10% d’augmenta�on, mais qui con�nue d’inquiéter la région avec la surveillance de ses nouvelles routes de la soie ou encore de sa revendica�on territoriale de Taïwan.

Ainsi, depuis le début de l’ère du XXIème siècle, quelles sont les perspec�ves militaires américaines face à l’omniprésence chinoise dans l’Indopacifique ?

En réalité, les tensions sino-américaines semblent réellement s’accroître depuis 2004, malgré l’allocu�on de Xi Jinping sur un océan Pacifique pouvant accueillir les deux géants. Malgré tout, cela n’a pas ralen� le développement de l’influence américaine dans la région, afin de tenter de ralen�r l’expansion chinoise.

Dès lors, les États-Unis se doivent d’asseoir leur posi�on au sein de la région, dans un contexte mul� conflictuel depuis les années 2000.

SÉCURISATION DES ROUTES MARITIMES ET STRATÉGIE DE SURVEILLANCE EN MER : LA MONTÉE DES TENSIONS SINO-AMÉRICAINES DEPUIS 2004 ?

La sécurisa�on des routes, qu’elles soient aériennes, terrestres ou encore mari�mes, reste un enjeu crucial pour les États. Le commerce, au sein du so� power, dans une op�que per�nente d’user « le pouvoir par l’influence plus que par la coerci�on³», nécessite donc une surveillance et une protec�on élaborées afin d’éviter un ralen�ssement de la croissance na�onale du pays et, de facto, une perte progressive de son influence sur la scène interna�onale. Dès lors, l’hégémonie commerciale chinoise sur les mers se doit de suivre ce�e direc�ve. En combinant donc pouvoir mari�me et pouvoir naval, la République Populaire de Chine se dote d’une réelle protec�on de ses routes en mers afin d’établir des échanges stables entre son territoire et ses principaux collaborateurs. C’est pourtant en ce point que les rela�ons sino-américaines semblent se tendre. En imposant des bases portuaires et aériennes sur la trajectoire de ses routes mari�mes principales, qu’elles soient en construc�on temporaire

ou défini�ve, la Chine se dote d’une protec�on de ses repères commerciaux stratégiques.

Malgré tout, il est évident que ces installa�ons demeurent inquiétantes pour l’Inde, qui se retrouve encerclée du côté de l’Océan Indien par des bases chinoises, mais surtout pour les États-Unis en leur qualité de leader de la puissance navale mondiale. En effet, par l’étude parue dans « Energy Futures in Asia⁴» en 2004, l’État américain dénonce un véritable « collier de perles » autour du territoire indien, bien que la Chine se défende par « sa dépendance énergé�que à l’égard de l’étranger et de la vulnérabilité de ses routes commerciales⁵ ». La République Populaire de Chine reconnaît facilement sa faiblesse concernant ce besoin d’importa�on de l’énergie par ces routes mari�mes. En réalité, les États-Unis pointent du doigt une toute autre mo�va�on : renverser la posi�on de force des Américains au profit d’un « nouvel équilibre des puissances en Asie⁶ ». Ainsi, la Chine souhaiterait développer, au fil des ans, un solide arsenal militaire opéra�onnel dans ce�e zone. Washington y voit donc ici, depuis 18 ans, une influence grandissante de la Chine sur cet espace marin, souhaitant elle aussi garan�r une sécurité de l’océan Indien à la chinoise et, probablement, se confronter aux États-Unis en montrant une puissance croissante. De plus, par son stratagème de surveillance de ses routes mari�mes, la République Populaire de Chine garde également un œil sur son adversaire régional en ma�ère d’économie : l’Inde.

Mais en quoi ce�e stratégie commerciale et navale dérange-t-elle tant la puissance américaine ?

« L’émergence chinoise s’est en effet traduite ces dernières années par l’influence grandissante de l’empire du Milieu dans la région et une affirmation politico-militaire de nature à concurrencer le leadership américain⁷. » La réponse apparaît évidente : en se dotant de construc�ons plus ou moins durables ou encore en augmentant son budget des armées, il demeure logique, du moins pour Washington, que la Chine accroît sa force des armées dans un but d’hégémonie sur ces eaux, et gagne du terrain dans la course au hard power avec en tête du podium : les Américains. À l’inverse, les États-Unis cherchent, depuis 2010, à limiter ce�e stratégie expansionniste chinoise dans ce�e par�e de l’océan Indien. Avec un sen�ment de Revue TB N°4 - 21

menace de la part de l’Inde face aux bases navales près de ses côtes, il y a fort à parier que les rela�ons indoaméricaines ne feront que de se renforcer. Cela se confirme d’autant plus avec, la même année du collier de perles, la signature du contrat « Prochaines étapes du partenariat stratégique⁸ » de 2004, à propos de la « vente de technologies nucléaires civiles à l’Inde, l’explora�on commune de l’espace et le commerce de missiles et de hautes technologies de défense ». En d’autres termes, les États-Unis semblent toujours vouloir un coup d’avance sur l’influence chinoise dans la zone de l’Asie du Sud-Est. En revanche, ce simple contrat ne sera pas la seule stratégie américaine concernant sa présence en zone Indopacifique. Les bases militaires déployées dans ce�e région démontrent également une influence forte des ÉtatsUnis auprès de ses alliés, tout autour de la Chine.

L’OMNIPRÉSENCE DES MILITAIRES AMÉRICAINS EN INDOPACIFIQUE : QUELS ENJEUX POUR 2023 ?

Les bases militaires américaines ne sauraient passer inaperçues dans la zone Indopacifique, et ce, plus intensément depuis le mandat de Barack Obama⁹, qui a une volonté de se focaliser plus durement dans la région. Cela a logiquement pour but de marquer un réel posi�onnement sécuritaire en faveur des alliés, mais surtout contre l’expansion chinoise de Xi Jinping.

En effet, la solidarité des puissances indienne et japonaise envers les États-Unis restent une belle opportunité pour le leader militaire mondial de s’affirmer dans ce�e région par l’installa�on de divers points stratégiques. S’implantant militairement parlant au Japon depuis des décennies ou encore en Corée du Sud, ils accèdent également aux ports vietnamiens même sans réelle base construite au sein du pays. Dès lors, leur ingérence est sans appel.

Pour reprendre la carte du Monde diploma�que¹⁰, issue de The United States Department of Defense, il semble incontestable que les États-Unis réussissent une implanta�on forte dans la région. Les zones d’influence américaines restent percutantes : in fine, elles se confrontent directement à leur adversaire chinois, allant même toucher une par�e de Taïwan, un territoire contesté par le géant asia�que. Enfin, la VIIème flo�e militaire américaine demeure non loin également de ce�e zone de conflit, limitant dras�quement les a�aques envers ce�e terre revendiquée. Plus encore, les États-Unis décident de renforcer en 2023 les rela�ons américano-taïwanaises, afin de démontrer une nouvelle fois leur capacité de sécurité collec�ve face à une montée des tensions, notamment avec les récents incidents militaires aux abords de l’île démocra�que ou encore dans la Mer de Chine méridionale.

Pourtant, ce�e présence peut être cri�quée. Après la guerre en Afghanistan de 2001 à 2021 ou encore par la coali�on interna�onale de 2003, les États-Unis ne 22 - Revue TB N°4

L'USS Nim

Nimitz et Theodore Roosevelt lors d'opéra�on

reçoivent pas un sou�en large de leurs ac�ons intraéta�ques dans les pays en ques�on. En revanche, cela ne les limite pas dans l’accès à une nouvelle zone géopoli�que, là où les tensions semblent incontestablement se durcir à cause de la Chine : interven�on au Cachemire face à l’Inde et au Pakistan, avec un conflit dans la région de l’Himalaya pour une tenta�ve de structura�on de fron�ères en faveur du leader asia�que¹¹. Les Américains ont donc tout intérêt à rester dans l’Indopacifique afin de garder un pied-àterre en cas d’escalade des violences. Seront-ils, en revanche, soutenus par les occidentaux alors même que la guerre toque aux portes de l’Europe avec l’annexion de l’Ukraine depuis février 2022 ? En parallèle, il faut également noter une neutralité d’opinion de la Chine à son grand allié, la Russie, bien que certaines entreprises chinoises soient peu à peu suspectées de vouloir envoyer une aide militaire à son voisin. En con�nuant sur ce�e voie, il semble possible que le couple sino-russe s’estompe également, laissant toujours plus de place à la coopéra�on interéta�que provenant des États-Unis.

En conclusion, les États-Unis gardent la même ligne directrice que depuis la poli�que de Barack Obama, soit 2011. Face à une montée des tensions entre Xi Jinping et Taïwan ou encore avec le collier de perles chinois, la puissance militaire américaine ne saurait se re�rer de la zone Indopacifique. Au contraire, elle s’intensifie au profit de ses alliés pour développer davantage une omniprésence étatsunienne et

mitz dirige une forma�on de navires du Groupe de Frappe des portes-avions

ns conjointes en mer de Chine méridionale en février 2021. Photo: US Navy

préserver au maximum leur poids. Pour autant, la déclara�on du Général de l’Armée de l’Air américaine Michael Minihan à propos du rival chinois n’apporte rien de bon : « J'espère me tromper. Mon ins�nct me dit que nous comba�rons en 2025¹² ». Ainsi, malgré une tenta�ve d’encerclement des États-Unis des zones de tensions en zone Indopacifique afin de les surveiller, court-on, au contraire, vers un futur conflit sinoaméricain, alors même que les médias semblent s’alerte de l’incident des ballons chinois de 2023, qui dirige le conflit vers une nouvelle zone : les États-Unismêmes ?

oute.025.0187. URL : h�ps://www.cairn.info/revueoutre-terre1-2010-2-page-187.htm ⁵Ibid. ⁶PERHSON Christopher, String of Pearls, op. cit. et Lawrence Spine�a, « The Malacca Dilemma » Countering China’s “String of Pearls” with Land-Based Airpower, School of Advanced Air and Space Studies, Maxwell Air Force Base, juin 2006 in AMELOT Laurent, « La stratégie chinoise du « collier de perles » », OutreTerre, 2010/2-3 (n° 25-26), p. 187-198. ⁷PAJON Céline, SEAMAN John, « La puissance militaire américaine en Asie-Pacifique. Les défis du rééquilibrage stratégique face à la Chine », dans : Thierry de Montbrial éd., Ramses 2015. Le défi des émergents. Paris, Ins�tut français des rela�ons interna�onales, « Ramses », 2014, p. 156-159. ⁸NSSP, SINGH Jaswant, « Les États-Unis et l'Inde : le poids du passé, les promesses de l'avenir », Poli�que américaine, 2006/2 (N° 5), p. 13-24. ⁹BRUSTLEIN Coren�n, « La nouvelle posture militaire américaine en Asie », Poli�que étrangère, 2013/2 (Eté), p. 53-65. ¹⁰MARIN Cécile et PRIVAT Fanny, « Présence américaine dans le voisinage chinois », in la revue « manière de voir » n°170, avril-mai 2020 ¹¹MATHOU Thierry, « L'Himalaya, « nouvelle fron�ère » de la Chine », Hérodote, 2007/2 (n° 125), p. 28-50. ¹²Auteur inconnu, « Un général américain alerte sur le risque d’une guerre avec la Chine en 2025 », Nouvel Obs, 28 janvier 2023

¹Auteur inconnu, « La Chine augmente son budget militaire pour 2023 », France 24, 5 mars 2023 ²VILBOUX Nicole, « Le budget de défense des EtatsUnis : on augmente, on augmente ! », DEFENSE&Industries n°16, juin 2022 ³MARTEL Frédéric à propos de Joseph Nye, in « Vers un « so� power » à la française », Revue interna�onale et stratégique, 2013/1 (n° 89), p. 67-76. DOI : 10.3917/ ris.089.0067. URL : h�ps://www.cairn.info/revueinterna�onale-et-strategique-2013-1-page-67.htm ⁴Défini comme le « document interne de la société de consultants Booz Allen & Hamilton pour le compte de l’Office of Net Assessment », in AMELOT Laurent, « La stratégie chinoise du « collier de perles » », OutreTerre, 2010/2-3 (n° 25-26), p. 187-198. DOI : 10.3917/

Revue TB N°4 - 23

ÉCONOMIE

Les États-Unis, la Chine Enjeu oublié de la guerre économique sino-américaine Par Mat M. HAUSER & Othman EL HADJ SAÏD - CLUB INFLUENCE DE L’AEGE (EGE)

260 000 m² de bureaux au sein de l'Apple Park (71 ha), inauguré en 2018 à Cuper�no (Silicon Valley)

A l’ère d’une mondialisa�on effrénée, les normes jouent un rôle capital en perme�ant aux acteurs de tenir cap�f des marchés en�ers en profitant de leur avance, sur le plan de l’innova�on notamment. Fort logiquement la normalisa�on, arme de conquête et de domina�on des espaces économiques, est devenue le sujet d’un affrontement entre Pékin et Washington.

Les antagonismes entre les deux empires adverses trouvent ainsi à s’exprimer dans une guerre larvée qui fait rage dans les centres de R&D et dans les comités de normalisa�on, une guerre silencieuse mais terriblement stratégique puisqu’elle définit aujourd’hui les futurs monopoles de demain.

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LA NORMALISATION COMME OUTIL DE DOMINATION DES MARCHÉS ÉCONOMIQUES Si les concepts de management de l’informa�on ou d’intelligence juridique trouvent peu à peu leur chemin dans la pensée géopoli�que et géoéconomique, la normalisa�on reste elle un con�nent vierge, souvent délaissé par les think-tanks et les chercheurs. Pourtant, si comme l’a dit le philosophe Georges Canguilhem « normaliser, c’est imposer une exigence à une existence », alors la normalisa�on, dans un cadre de guerre économique exacerbée, apparaît véritablement comme l’écriture des règles du jeu du marché.

La normalisa�on (“standardiza�on” dans la langue de Shakespeare), peut être définie comme un processus concerté par des acteurs économiques visant à définir des normes et des standards dans un secteur donné ou sur un produit donné. Ces normes ne sont pas adoptées suite à des processus législa�fs : elles sont le fait de travaux conjoints d’acteurs ou d’industriels d’un secteur qui se réunissent dans des comités de normalisa�on, dont les plus embléma�ques sont l’ISO (voca�on interna�onale) et l’ETSI (voca�on européenne).

Si ini�alement ces normes avaient avant tout pour objec�f de protéger le consommateur, de garan�r un niveau de qualité dans les biens et services vendus ou de perme�re une forme d’interopérabilité entre les différentes offres du marché, certains acteurs et Etats ont rapidement saisi l’importance de ce travail de normalisa�on dans la compé��on économique. En effet, à par�r des années 1970, certaines entreprises se sont rendu compte qu’en s’inves�ssant ac�vement dans les comités de normalisa�on, ils pouvaient aider à écrire la future norme sur un produit précis, et donc l’écrire de façon à favoriser leur propre produit, ou à pénaliser celui de leurs concurrents. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : en s'inves�ssant volontairement dans le processus de normalisa�on, un acteur par� à la compé��on économique écrit en réalité les règles du jeu auquel il joue lui-même. Il entre ainsi ensuite dans l’arène concurren�elle en ayant l’arbitrage à son avantage.

Quelques exemples fameux perme�ent de comprendre que les normes, si elles sont méconnues du grand public, structurent en réalité toute la réalité économique et notamment toute l’innova�on. Par exemple, en France, des géants industriels comme Airbus, Schneider Electric, Air Liquide ou même EDF, se sont inves�s dans les comités de normalisa�on dès la fin du XXè siècle, que ce soit pour par�ciper à la rédac�on de normes au sein de comité ou pour établir des normes de facto, c'est à dire en ayant un monopole tel sur un secteur auquel force d'autres acteurs à suivre son propre process pour être interopérable. Le meilleur exemple de succès norma�f français est probablement celui de la norme “GSM” (2G), très favorable à l’époque aux entreprises françaises, et adaptée au niveau mondial pour perme�re l’interopérabilité de la téléphonie mobile.

Il apparaît clairement avec l’exemple de la norme GSM que les normes sont partout, jusque dans nos téléphones portables. Et c’est bien le cas, les normes sont partout. L’extension de fichier .doc ou l’API Win32 (à la base de tout logiciel fonc�onnant sous Windows) sont devenues tellement communes et monopolis�ques que les gens ne les remarquent plus.

De même, écouter une chanson au format MP3 (une norme de compression audio), imprimer un document au format A4 (norme d’imprimerie) ou le stocker sur une clé USB (norme de connec�que informa�que), toutes ces ac�ons impliquent le recours à des

technologies normées, à l’époque, par des acteurs privés, qui en ont �ré une avance concurren�elle certaine et donc des bénéfices importants sur leurs concurrents.

Mais si les citoyens ne pensent pas à ce�e guerre des normes quand ils se connectent en WiFi, les entreprises américaines se rappellent bien que ce drôle d'acronyme, devenu un nom commun, est gravé en le�res d’or sur l’étendard des entreprises de la Silicon Valley. La WiFi est en effet une norme de connexion sans-fil, imposée au niveau mondial par un consor�um d’entreprises américaines face à une norme concurrente, la WaPi, poussée par les sociétés chinoises.

Par une simple norme, les entreprises américaines ont donc pu établir une domina�on de plusieurs années sur leurs concurrentes de l’Empire du Milieu.

Et cela, les entreprises des deux pays ne l’ont pas oublié. A l’heure des singularités technologiques et de la course innova�on des années 2020s (5G/6G, IA, smart ci�es, metaverse, IoT…), les deux na�ons antagonistes inves�ssent pleinement ce champ norma�f, avec des enjeux clairs : les Américains veulent à tout prix rester dominants et freiner l’expansion des entreprises technologiques chinoises, tandis que ces dernières souhaitent bien sûr détrôner leurs adversaires du pays de l’Oncle Sam. Afin d’accomplir ces objec�fs, les deux pays ont mis en place de véritables “stratégies na�onales de normalisa�on”.

UNE STRATÉGIE AMÉRICAINE DÉFENSIVE FONDÉE SUR L’INERTIE D’UNE DOMINATION TECHNOLOGIQUE PASSÉE Ainsi que les exemples précédents l’ont démontré, les Etats-Unis sont, à l’heure actuelle, les gagnants historiques de la normalisa�on sur les enjeux technologiques. Ce�e domina�on sans partage, qui assure une avance et des débouchés conséquents aux entreprises américaines, s’explique tout simplement par la domina�on technologique absolue des américains dans les secteurs innovants, notamment le numérique. Les américains ne dominent pas l’innova�on parce qu’ils dominent les normes, ils dominent les normes parce qu’ils dominaient l’innova�on. Et ils main�ennent désormais ce�e avance par la normalisa�on.

Ce�e domina�on sans partage dans l’innova�on s’explique par l’a�rac�vité sans pareil des Etats-Unis en termes de R&D : les entreprises américaines, en par�culier celles de la Silicon Valley, sont surinnovantes par rapport au reste de la planète. Ils développent ainsi des technologies de pointe proposant des innova�ons de rupture qui, quand elles ne deviennent pas des normes de facto (à l’exemple de Win32 ou de l’extension .doc), sont imposées dans les Revue TB N°4 - 25

comités norma�fs, d’abord au niveau na�onal, puis au niveau interna�onal.

Au niveau na�onal, l’American Standards Ins�tute (ANSI), coordonne ainsi les travaux de normalisa�on na�onaux, pour faire émerger un standard unique aux

Organisa�on Interna�onale de Normalisa�on

Etats-Unis. Ce standard sera ensuite défendu bec-etongles dans les comités interna�onaux par l’intégralité des acteurs américains, avec des entreprises coalisées avec des alliés de circonstances. Par exemple, dans le cadre de la norme WiFi, le projet fait l’objet d’un consensus de toutes les entreprises américaines majeures (Apple, Comcast, Intel, Dell, Cisco, Broadcom, Motorola, Qualcomm, Texas Instruments, Microso� et T-MOBILE), qui fondent ensemble la “WiFi Alliance” afin de porter la norme au niveau interna�onal, cela avec des entreprises partenaires comme les coréens de Samsung ou les finlandais de Nokia.

La stratégie américaine consiste donc essen�ellement à conserver une forte avance dans les innova�ons stratégiques, pour faire émerger des standards internes, qui seront ensuite défendus par tous les acteurs américains au sein des comités interna�onaux comme l’ISO, contre les normes étrangères.

Ce�e stratégie a permis jusqu’à maintenant aux américains de garder de l’avance sur leurs concurrents interna�onaux (moins innovants, plus divisés, incapables même de s’unir entre entreprises na�onales). Mais ce socle de la stratégie américaine, basée sur une domina�on ancienne de la R&D par les américains, pourrait être ébranlé par l’arrivée dans la compé��on interna�onale d’un acteur équivalent en termes d’innova�on.

UNE STRATÉGIE CHINOISE VOLONTARISTE, GLOBALE ET 26 - Revue TB N°4

FONDÉE SUR DES LIENS PUBLICPRIVÉ MASSIFS Pékin a bien compris qu’en réduisant l’écart avec les américains en termes d’innova�on, la Chine pourrait peu à peu miner la force de frappe norma�ve des américains et, à terme, déverrouiller une grande par�e des marchés ou, pire encore, verrouiller une grande par�e des marchés aux entreprises américaines.

Preuve que les cadres du gouvernement chinois ont bien saisi cet enjeu stratégique, dès 2018 l'Administra�on des Normes de Chine (SAC) a lancé l'ini�a�ve "China Standards 2035", une stratégie formalisant l'ambi�on de la Chine de faire de ses normes indigènes la nouvelle langue du marché mondialisé. Ce�e stratégie chinoise peut être ar�culée en trois grands axes.

Le premier axe est facilement iden�fiable puisqu'il s'agit des efforts du PCC pour booster l'innova�on domes�que du pays. Justement conscient que la force de frappe norma�ve des Etats-Unis vient, en par�e, des innova�ons portées par la Silicon Valley, la Chine s’est décidée à inves�r massivement pour a�eindre puis dépasser la R&D américaine. Ainsi, depuis 2018 la Chine consacre chaque année en moyenne 2.4% de son PIB en R&D, un chiffre en constante augmenta�on.

Surtout, les instances du PCC s'assurent d'être les interfaces du dialogue entre toutes les par�es prenantes de la société chinoise, poussant les universités, les entreprises et les industriels du secteur militaire à travailler et inves�r ensemble sur des innova�ons de rupture. Encore et surtout, toujours en copiant la stratégie américaine, les autorités chinoises ont bien compris l'intérêt de définir une norme na�onale faisant consensus entre les entreprises locales concurrentes, cela avant même de se lancer à la conquête des comités de normalisa�on interna�onaux ; concrètement ce�e stratégie du “front commun” apparaît dans le projet du PCC de faire travailler ensemble des géants chinois de l’IA (Sense Time, Xiaomi, Dahua, ZTE…) afin d’établir une norme chinoise qu’ils imposeront à l’interna�onale ensuite.

Le deuxième axe de la stratégie chinoise consiste justement à imposer au niveau interna�onal les standards chinois na�onaux évoqués à l’instant. Pour cela, la Chine a mis en place une tac�que de noyautage des comités norma�fs interna�onaux, notamment au sein de l'ISO et l'IEC, les principaux comités norma�fs interna�onaux. Ainsi, le nombre d'acteurs chinois au sein de l'ISO a doublé en dix ans (2005 à 2015) et a presque doublé depuis 2015. D'ailleurs, à par�r de 2015 la présidence de l'ISO est même assurée par un chinois, M. Xiaogang, tandis que l'IEC était elle dirigée par M. Yinbiao. Une étude de l'US-China Business Council établit par ailleurs qu'entre 2010 et 2020, la place de membres chinois (c'est à dire de représentants d'entreprises chinoises) au sein des comités de normalisa�on a augmenté de 67 à 73%.

Une par�cipa�on accrue mais très bien ciblée, notamment dans le secteur des terres rares, de l'IA, du commerce électronique, du cloud, de la reconnaissance faciale et des ordinateurs quan�ques.

Ce noyautage des comités de normalisa�on permet aux entreprises chinoises d’imposer leurs normes par le haut. Mais la Chine s’est, en plus de cela, donné les moyens d’assurer elle-même la diffusion de ses normes, pour rendre les acteurs économiques dépendant de Pékin.

Le troisième axe correspond ainsi à ce�e volonté de la Chine de diffuser leurs normes au niveau mondial, afin de procéder à une forme d’encerclement norma�f du marché euro-américain par des marchés régionaux

ci�es" : drones, IoT, automa�sa�on par l'IA, tout est fait à la fois pour augmenter les performances de la BRI, mais aussi pour faire de ces centres des vitrines locales de la technologie chinoise, qui a voca�on à être adoptée ensuite dans tout le pays allié. Une étude américaine publiée en 2013 par RWR Advisory es�me ainsi que depuis le début de la BRI, la Chine a signé près de 150 contrats pour transformer des villesétapes étrangères en "smart ci�es" aux standards chinois. Le rapport donne l'exemple du Turkménistan, où la Chine a poussé à l'adop�on d'une centaine de normes chinoises par les autorités locales, une monnaie d'échange contre des inves�ssements chinois massifs dans la région. Dans une autre

GAFAM, NATU et BATX, les géants américains et chinois qui prennent l’Europe entre deux feux.

acquis aux standards chinois. Or les dirigeants chinois disposent d’un ou�l tout trouvé pour ce�e entreprise de diffusion : le projet de Nouvelles routes de la soie (Belt and Roads Ini�a�ve - BRI). Ce projet de diffusion mondiale des normes chinoises dans les nouvelles technologies est souvent surnommé les "nouvelles routes de la soie digitales". Le principe de ce projet est rela�vement simple, créer des sortes de "comptoirs norma�fs" ou de "colonies norma�ves" dans les pays étapes de la BRI, en offrant à des îlots urbains locaux des installa�ons haut-de-gamme sur le plan technologique : que ce soit les installa�ons portuaires, rou�ères, aéroportuaire, logis�ques, les data center ou l'aspect sécuritaire, Pékin déploie dans ces villesétapes tout son arsenal technologique afin de transformer les villes des Etats-partenaires en "smart

perspec�ve, la Chine est parvenue grâce à la China– Laos Coopera�ve Agricultural Science and Technology Demonstra�on Base, à pousser le Laos à adopter totalement les normes chinoises (et à rejeter les normes américaines) dans le secteur de l’agroalimentaire, la promesse de la Chine étant de mener des inves�ssements massifs au Laos si celui-ci se soume�ait à ses standards. Il apparaît ainsi clairement que par ce projet de BRI, la Chine dispose donc d'un moyen concret pour imposer de facto à tous ses partenaires les normes favorables aux entreprises chinoises.

La stratégie chinoise, très rodée, fonc�onne ainsi comme un rouleau compresseur norma�f, tapant tous azimuts (innova�on, comités de normalisa�on, influence de fait) pour détrôner le pays de l’Oncle Sam. Revue TB N°4 - 27

Une stratégie qui devrait con�nuer à voir son efficacité augmenter de manière exponen�elle à mesure que la Chine con�nue à gagner en poids économique et en influence géoéconomique.

DES ACTEURS EUROPÉENS ENTRE DEUX FEUX Face à cet affrontement entre deux géants, les acteurs européen se trouvent dans une situa�on très compliquée. Autrefois terre de précurseurs et d’industriels, l’Europe est depuis le plan Marshall sous une ne�e domina�on économique américaine, pays qui importe en Europe à la fois ses biens, mais aussi ses standards.

Dans certains États européens, qui vivent mal ce�e vassalité aux intérêts économiques américains, des tenta�ves ont existé et existent toujours pour résister au marteau norma�f de la Silicon Valley, parfois avec quelques succès européens, comme dans le cas de la norme GSM précédemment évoquée. Mais ce�e posi�on d’opposi�on aux normes étatsuniennes, si elle restait tenable jusqu’à la fin du XXème siècle, apparaît comme de plus en plus difficile à assumer aujourd’hui face à la montée de la Chine : pour une entreprise européenne, se posi�onner contre les proposi�ons de normes américaines dans un comité norma�f ce serait de facto se faire le défenseur de la contre-proposi�on de norme chinoise, dont les représentants sont toujours en embuscade. Or ces normes chinoises ne sont pas nécessairement plus respectueuses de la souveraineté économique et poli�que des Etats européens (sans même parler du fait que soutenir une norme chinoise exposerait probablement une entreprise à des sanc�ons américaines qui, en u�lisant l'extraterritorialité du droit américain et des probléma�ques de compliance viseraient à faire un exemple contre l’entreprise européenne “traîtresse”).

Face à cet entre-deux et face à ces deux colliers dans lesquels l’Europe peut décider de placer son cou, certains en Europe prétendent impulser une forme de troisième voie norma�ve, visant à faire émerger des standards européens, capable de rétablir l’équilibre dans un monde de l’innova�on �raillé entre les GAFAM américains et les BATX chinois. Mais si ce souhait d’une souveraineté norma�ve européenne est louable, dans la réalité il semble que ce�e ambi�on restera avant tout un voeu pieu : en effet, les entreprises européennes, placées en situa�on d'hyper-concurrence dans une union largement dominée par quelques puissances industrielles, peinent grandement à établir des standards au niveau na�onal et encore moins au niveau communautaire. Il est donc illusoire, à court et moyen terme, de voir réellement émerger des ini�a�ves norma�ves européennes qui auront réussies à faire l’unanimité tant au niveau na�onal que communautaire.

Les pays européens semblent donc condamnés à choisir entre deux maîtres, la seule inconnue de 28 - Revue TB N°4

l’équa�on semble donc plutôt de savoir si les Etats de l’UE auront la liberté d’adopter le système norma�f qu’il préfère, s’ils se verront imposer ce choix par des règlements communautaires, et si cet affrontement norma�f peut être l’accélérateur de la disloca�on déjà en cours de l’union.

Créée en 1997, l'AEGE regroupe les diplômés de l'EGE et les étudiants en cours d'année universitaire.

En dehors de son rôle de fédération des diplômés de l'EGE, elle mène des campagnes de sensibilisation autour de l'intelligence économique.

Par le nombre d'anciens présents dans la sphère IE, elle est aujourd'hui un véritable réseau d'experts des métiers, des pratiques et savoir-faire en intelligence économique.

L’AEGE compte en septembre 2020, 2142 membres issus des formations longues (SIE, RIE et RSIC) et professionnelles en executive (MSIE et MRSIC) de l'EGE. L'AEGE constitue le plus important réseau français sur le domaine de l’intelligence économique.

L'AEGE a pour principal objectif de développer les synergies au sein du réseau des étudiants et des anciens de l’École de Guerre Économique. Les missions que se fixe l'association se déclinent en 3 parties : Accompagner ses adhérents dans les démarches d'insertions professionnelles Mobiliser le réseau des anciens sur des projets professionnels Informer et former. L'association participe donc au rayonnement de l’École de Guerre Économique et de l'Intelligence Economique par l'animation du réseau des anciens étudiants

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ÉCOLOGIE

Les États-Unis, la Chine et l’épreuve écologique Par Zinedine GAID

John Kerry, photographié à Pékin avec le président Xi Jinping, a évoqué l'idée d'un accord bilatéral sur le changement clima�que lors d'une visite en Chine en février 2014. Photographie : Jim Bourg/Reuters

Les Accords de Paris du 12 décembre 2015 virent les représentants de près de 195 pays adopter par consensus un accord reconnaissant officiellement l’urgence clima�que et à prendre des mesures visant à diminuer ou contenir ses émissions de gaz à effet de serre. Un an plus tard, Donald Trump remplace Barak Obama à la tête de la présidence américaine. Son inves�ture donne au climato-scep�cisme un souffle nouveau, mais surtout, voit la rivalité sino-américaine s’accentuer davantage à mesure de déclara�ons interposées sur les différents canaux de communica�on. Ce débat sur le climat, l’environnement et l’écologie en général révèle plusieurs enjeux sous-jacents : proprement clima�que, économique, militaire, poli�que et surtout symbolique. C’est à ce dernier type d’enjeu (symbolique), opposant deux puissances que sont les États-Unis et la Chine, que nous nous concentrerons dans la présente étude.

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RAPPORT DE FORCE INFORMATIONNEL ET « PIÈGE DE THUCYDIDE » Un pas de plus vers la « montée aux extrêmes » ? – La rivalité sino-américaine fait l’objet de nombreux débats au sein des rela�ons interna�onales et de l’opinion publique. Parmi les thèses sur le sujet, l’une d’elles se dis�ngue par�culièrement, celle de politologue Graham Allison – thèse devenue désormais classique dans le champ académique. En effet, dans son ouvrage Vers la guerre, l’auteur explique comment tout un ensemble de facteurs se me�ent en place progressivement entre la Chine et les États-Unis, dessinant les contours et les disposi�ons d’une virtuelle guerre entre les deux puissances. La thèse principale d’Allison étant que : « Quand une puissance ascendante menace de supplanter une puissance établie, quelles que soient ses inten�ons, il en résulte une telle tension structurelle que le conflit violent devient la règle, non l’excep�on. »¹. Ce�e « règle », c’est ce qu’il appelle le « piège de

Thucydide », en tant que l’historien athénien expliquait la guerre du Péloponnèse comme la conséquence du « développement de la puissance d’Athènes qui, inspirant des craintes à Sparte, rendit la guerre inévitable ». En somme, c’est le « rapport de force » naissant entre deux unités-poli�ques qui rend possible tensions voire conflits armés. A ce �tre, les « rapports de force informa�onnels » rentrent de pleins pieds dans ce�e catégorie de facteurs causaux à même de pouvoir par�ciper à la construc�on d’un « climat » de guerre.

Qu’est-ce qu’un « rapport de force informa�onnel » ? – Par « rapport de force informa�onnel », nous entendrons : une mise-enrela�on antagonique de deux protagonistes dans le cadre d’un duel au sens de Clausewitz² – ou, davantage, dans le cadre d’une lu�e plus large –, devenant dès lors adversaires, bataillant pour le monopole de l’informa�on légi�me – qui est l’enjeu spécifique de ce�e lu�e – ; c’est-à-dire, disposant et exerçant un pouvoir communica�onnel (discursif et iconique) de faire-voir et faire-croire, donc, de dire, de montrer et d’imposer la « vérité » qu’ils auront considérés comme telle, sur le réel et sur l’adversaire en ques�on, et ainsi, accroitre davantage sa puissance d’influence. « Lu�e », « bataille », il s’agit donc effec�vement de « guerre » ou plutôt de « conflit », mais s’inscrivant dans le cadre des schèmes de pensée et de sen�r, c’est-à-dire d’une « guerre cogni�ve »³, qui est tout autant une guerre de l’« affect »⁴. Reste à savoir quel est l’objec�f poli�que de ce�e guerre d’influence dans le cadre de la ques�on éco-clima�que ?

Incarner la norme symbolique – En effet, l’enjeu de la lu�e informa�onnelle sur la ques�on du « climat » s’inscrit dans ce�e ambi�on pour la Chine et les États-Unis d’incarner la norme symbolique dans le concert des na�ons. En somme, d’exercer un pouvoir d’influence pour instaurer, légi�mer et empuissanter davantage une sorte de so� power « vert », ou un « pouvoir culturel vert ». A ce �tre, la Chine comme les États-Unis sont parmi les puissances qui dépensent le plus dans la communica�on publique extérieure : 10 milliards de dollars par an pour les Chinois, et 666 millions pour le département américain⁵. Il s’agit donc de faire figure d’exemplarité sur la scène interna�onale, sur un sujet par�culièrement sensible et décisif qu’est la « ques�on clima�que », dans la mesure ou prendre les devants sur ce�e ques�on, c’est à coup sûr « être considéré comme étant du bon côté de l’Histoire. Y souscrire c’est revendiquer une modernité, et se situer au-dessus d’un camp ‘‘réac�onnaire’’ »⁶.

ÉTATS-UNIS : « LE CHANGEMENT CLIMATIQUE A-T-IL EU LIEU ? » Le rapport qu’entre�ennent les États-Unis aux ques�ons clima�que et écologique est plutôt ambivalent, dans la mesure où il est tributaire des alternances poli�ques qui scandent la vie démocra�que américaine, oscillant ainsi entre affirma�on et déni. Les démocrates sont en règle générale beaucoup plus sensibles à ces enjeux que les républicains ; l’étude du Pew Research Center en 2015 montrait en ce sens que 68 % des sympathisants démocrates considéraient le changement clima�que comme un danger réel, contre 20 % seulement pour les républicains⁷. A ce �tre, l’ancien président Donald Trump avec sa décision de se re�rer des accords de Paris en 2017 représente bien le paradoxe états-unien sur ces ques�ons.

Donald Trump, lors de sa présidence à fait disparaître tout document men�onnant l’idée de « réchauffement clima�que »

Le complexe pétro-industriel et la post-vérité – L’opinion trumpiste et climato-scep�que n’est pas un phénomène récent. Elle est le fruit d’un long travail de « propagande » dis�llée dans l’espace public américain par de grands groupes pétro-industriels tels Exxon ou Southern Company. Comme le souligne David Colon, la plupart des discours climatoscep�ques doivent leur paternité au think-tank Global Climate Science Communica�ons Team, créé au lendemain des accords de Kyoto en 1997. Ce Revue TB N°4 - 31

consor�um a pour principale mission de « vendre du doute » et décrédibiliser le discours scien�fique du GIEC⁸. En enrôlant des scien�fiques outsiders et diffusant des thèses alterna�ves, le but était d’invalider par des paralogismes le lien de causalité ou de corréla�on entre différents facteurs (pollu�on/ réchauffement clima�que) ; d’une part⁹. D’autre part, étant donné la persistance de la communauté scien�fique dans ses analyses, il convenait également de proposer une vision alterna�ve au changement clima�que : notamment en expliquant par exemple, comme le fera Donald Trump, que le changement clima�que n’est pas tant dû à l’effet de l’homme et de son ac�vité techno-économique, qu’à un système de cycle probablement résorbable à terme : « Je pense qu’il y a probablement une différence. Mais je ne sais pas si c’est fait par l’homme. (…) Je ne nie pas le changement clima�que. Mais ça pourrait très bien revenir en arrière. On parle de plus de… millions d’années. »¹⁰. Pure expression en ce sens de l’ère de la « post-vérité » où les principes de hiérarchies et de légi�mités intellectuelles sont remis en ques�on.

Trump et la stratégie du conflit – On ne s’étonnera donc pas que Trump ait pu exiger à son administra�on de faire disparaître tout document men�onnant l’idée de « réchauffement clima�que » sur le site Internet de la présidence, tout en interdisant l’usage d’un tel syntagme dans les communica�ons officielles¹¹. Et ce plus encore lorsque l’on sait qu’aux États-Unis, les industriels disposent du droit de pouvoir financer les campagnes poli�ques. Les accointances étroites entre Trump et les lobbies pétroliers¹² ne sont plus à démontrer pour comprendre le pourquoi de telles prises de posi�ons en faveur d’un climato-scep�cisme assumé et offensif. Ce�e posture quasi-belliciste se retrouve jusque dans sa communica�on à l’interna�onal. Déjà en 2012, alors affilié au Par� républicain, il avait qualifié le changement clima�que de « canular », et déclara dans un tweet : « Le concept de réchauffement clima�que a été créé par et pour les Chinois afin de rendre le secteur manufacturier américain non compé��f ».

Ce�e praxis de l’a�aque frontale sera l’une des constantes de la communica�on trumpiste, surfant sur l’infotaitement typiquement américain. On se rappellera également en septembre 2020 lors de l'assemblée générale de l’ONU, en pleine crise du COVID-19, le président américain de déclarer : « Nous avons mené une bataille féroce contre l’ennemi invisible : le virus chinois. Nous devons tenir pour responsable le pays qui a déchaîné ce�e peste sur le monde. » Et d’accuser ensuite la Chine de déverser « des millions et des millions de tonnes » de déchets dans les océans, tout en se livrant à la surpêche et polluant l’atmosphère¹³. Le conflit discursif direct semble donc être l’impéra�f catégorique de la communica�on trumpiste.

Le Pentagone et Hollywood à la rescousse – Cependant, la société américaine reste extrêmement 32 - Revue TB N°4

clivée sur ce�e ques�on éco-clima�que, et ce, même au plus haut sommet de l’État. L’affichage explicitement climato-scep�que de la présidence Trump ne signifie pas que tous les acteurs de la poli�que américaine aient adopté de telles posi�ons.

Et en premier lieu le Département de la Défense, qui dès le début des années 2000, et en par�culier depuis le « choc Katrina », mul�plie, rapports, analyses, notes stratégiques et disposi�fs de défense au sujet du changement clima�que. Comme l’expliquait le général James Ma�s lors de son audi�on en 2017 : « Le changement clima�que impacte la stabilité dans des zones où nos troupes opèrent aujourd’hui. Il est nécessaire que les commandements opéra�onnels

Vue aérienne d'une centrale énergé�que au ch

incorporent les moteurs d’instabilité qui impactent l’environnement sécuritaire à leur planifica�on. (…) Le changement clima�que est un défi qui nécessite une réponse transversale, qui implique tout le gouvernement »¹⁴. Pour impulser une réelle prise de conscience de ces enjeux, le Pentagone peut aussi compter sur les industries culturelles, dont principalement Holywood. Les produc�ons du Jour d’Après, de 2012, d’Avatar ou encore d’Interstellar, sont des illustra�ons parfaites de ce�e tenta�ve de produc�on culturelle prenant en compte les enjeux clima�ques au sérieux, et par�cipant ainsi « à la transforma�on des mentalités en les acculturant aux signaux de l’Anthropocène, entrant ainsi en convergence avec la diploma�e interna�onale sur le changement clima�que »¹⁵. La présidence de Joe

Biden est à ce �tre bien plus proche d’une telle vision, annonçant par exemple son ambi�on d’une produc�on électrique domes�que « zéro carbone » dès 2035.

CHINE : QUAND DIRE, C’EST (NE PAS) FAIRE Vertu et responsabilité chinoise – A ce�e variabilité de l’opinion américaine sur le climat, la posi�on chinoise paraît traduire une constance à toute épreuve ; et surtout, une forme de « mesure » qui contraste dras�quement avec l’épanchement trumpien. A l’invec�ve publique de Trump lors de

harbon chinoise, en périphérie de Zhengzhou.Photo: Donald Chan / Reuters

l’assemblée générale de l’ONU en 2020, le président chinois Xi Jinping appela la communauté interna�onale à éviter la « s�gma�sa�on » et de rétorquer à son adversaire du jour : « Nous devons suivre les enseignements de la science et donner tout son rôle à l’Organisa�on mondiale de la santé (OMS) afin d’apporter une réponse interna�onale commune à la pandémie, a déclaré le président chinois. Toute tenta�ve visant à poli�ser la ques�on ou la s�gma�sa�on doit être rejetée. »¹⁶.

Ce�e ‘‘tempérance’’, tout comme ce�e volonté d’endosser la responsabilité du leadership, semble se transposer également sur la ques�on éco-clima�que. Lors du forum de Coopéra�on économique de l’Asie-Pacifique de 2014, Xi Jinping indiqua à son interlocuteur du jour, Barak Obama, l’inten�on de la Chine de parvenir à son

pic de réduc�on d’émissions de CO2 à l’horizon de 2030 et de faire tous les efforts possibles pour l’a�eindre avant. En janvier 2017 au Forum de Davos, Xi Jinping aver�ssait sur le fait que les pays signataires de l’accord de Paris devaient « coller » à l’accord « plutôt que de s’en détourner ». L’officiel et diplomate Xie Zhenhua, déclara quant à lui que son pays était « capable de prendre le rôle de leadership dans la lu�e contre le changement clima�que ». Lors du 19ème congrès du PCC, Xi Jinping d’un ton prophé�que, a�este : « Si c’est à nous qu’il revient d’accomplir l’édifica�on de la civilisa�on écologique, ses effets bénéfiques profiteront aux généra�ons successives de Chinois durant des siècles. Nous devons ancrer solidement l’idée de la civilisa�on écologique socialiste, créer une nouvelle situa�on de modernisa�on marquée par le développement harmonieux de l’homme et de la nature, et apporter les contribu�ons de notre généra�on à la protec�on de l’écosystème »¹⁷. Toutes ces déclara�ons et prises de posi�ons publiques – à la fois à l’échelle na�onale et interna�onale – témoignent de ce�e volonté poli�que pour le PCC, d’incarner la voie principale – pour ne pas dire exclusive – du salut écologique, et ainsi, cer�fier de la vertu, de la responsabilité et du leadership moral de la Chine. De là, la mul�plica�on et la répé��on des déclara�ons allant en ce sens, de telle sorte à tendanciellement performer la réalité¹⁸ – de la même façon que le PCC s’évertue à répéter ad nauseam l’appartenance « sacrée » du territoire taiwanais à la République populaire de Chine sur la scène interna�onale, et ainsi, faire « comme si » cela était le réel pour tous¹⁹. « Civilisa�on écologique » et économie du charbon – Pour appuyer davantage ce�e poli�que, le PCC �t inscrire en mars 2018, le concept de « civilisa�on écologique » dans sa Cons�tu�on. Ce concept fut développé au milieu des années 2000 sous la plume des dirigeants Pan Yue et Hu Jintao, il renvoie à la fois à ce qui caractériserait en propre la civilisa�on chinoise, tout en étant un Idéal-régulateur à a�eindre.

La civilisa�on chinoise serait par essence, selon Pan Yue, conforme aux exigences et à l’esprit écologique véritable ; cependant, l’influence culturelle occidentale « polluerait spirituellement » cet esprit originaire chinois. L’Occident, et les États-Unis en tête, seraient des machines à polluer, à la fois matériellement, mais aussi spirituellement²⁰. En ce sens, la pollu�on physique et morale est perçue comme un phénomène exogène à l’environnement chinoise. Les différents maux dont souffrirait la popula�on chinoise, tels les « nuages bruns » et autres troubles sanitaires, seraient en par�e la faute de l’Occident, de façon directe ou indirecte. On a là un bel exemple de déni et de stratégie de diversion issu de la propagande du PCC, de telle sorte à s’exonérer de toute mise en défaut. La différence entre les mots (la « civilisa�on écologique ») et les choses (le réel de la Revue TB N°4 - 33

Le cinéma d’Hollywood pousse la prise de conscience des enjeux clima�ques avec des films comme Interstellar.

vie effec�ve) est encore plus grande lorsque l’on regarde la dépendance de l’économie chinoise à l’égard du charbon. Malgré les engagements pris lors des accords de Paris en 2015, la Chine non seulement con�nue d’ouvrir des centrales à charbon, mais, pis encore, ouvre des centrales – dont elle exploitera les richesses de façon exclusive – dans d’autres pays, et notamment en Afrique, là où passent par exemple les « Nouvelles routes de la soie », comme le Kenya²¹ ; de telle sorte à « exporter » sa propre pollu�on hors de son sol.

SOCIOLOGIE DES CONFLITS INFORMATIONNELS EN RELATIONS INTERNATIONALES Le gouvernement de soi avant les autres – Le premier enseignement que l’on peut �rer de ce�e conflictualité informa�onnelle entre les États-Unis et la Chine, c’est que les tenta�ves d’influences, à la fois vis-à-vis de l’adversaire comme des �ers que cons�tuent les autres na�ons, n’ont pas véritablement l’efficace que l’on pourrait croire. Tout au plus renforcent-elles les croyances et les jugements déjà existant chez les protagonistes de la scène interna�onale, de même qu’elle renforce les différentes opinions publiques au sein de ces deux puissances respec�ves. A ce �tre, et afin de parer à toute dissonance où cri�que éventuelle, le PCC a échafaudé un disposi�f de contrôle par�culièrement serré de sa popula�on sur laquelle s’exerce (au final) prioritairement les « Trois guerres » : guerre de l’opinion publique, guerre psychologique, et guerre du droit²². Du côté Américain, l’opinion est laissée au « libre » jeu des lobbies, médias interposés, groupements militants et intellectuels et autres par�s

34 - Revue TB N°4

poli�ques qui rythment la vie démocra�que nordaméricaine.

L’épreuve verte : ou la nouvelle Modernité – Il n’en reste pas moins vrai que la ques�on écoclima�que cons�tue aujourd’hui sur la scène interna�onale, une sorte d’« épreuve » au sens de Bruno Latour²³ ; c’est-à-dire que ce�e ques�on cons�tue le lieu d’un rapport de force entre acteurs où, précisément, l’ordre existant (sa hiérarchie, ses classifica�ons, ses statuts, etc.) est virtuellement et momentanément remis en cause, remis en ques�on, rejoué à neuf, sujet d’une vulnérabilité, du fait d’un enjeu jugé comme crucial – en l’occurrence ici, l’enjeu clima�que. Les épreuves, explique Cyril Lemieux, sont « des occasions pour les acteurs sociaux de reme�re en ques�on certains rapports de force et certaines croyances jusqu’alors ins�tués, de redistribuer entre eux ‘‘grandeurs’’ et posi�ons de pouvoir, et d’inventer de nouveaux disposi�fs organisa�onnels et techniques appelés à contraindre différemment leurs futures rela�ons. »²⁴. En ce sens, l’épreuve éco-clima�que (ou « épreuve verte »), fonc�onne à la fois comme un impéra�f et une interpella�on éthico-poli�que vis-àvis de laquelle les acteurs-éta�ques ne peuvent se détourner en�èrement sous peine de discrédit. Elle cons�tue un point de clivage nécessaire, parce que nouveau « rite de passage » obligé pour les grandes puissances de ce monde, afin de réitérer leur puissance (États-Unis, UE, etc.), ou bien pour les ‘‘outsiders’’, de la révéler au grand jour (Chine, Brésil, etc.). En somme, ce�e « ques�on verte » est un moment inédit perme�ant d’éprouver à nouveau frais la puissance et la modernité d’un État. Or, c’est précisément, cet impéra�f de mise-en-jugement, de remise-en-cause virtuelle et provisoire de l’ordre établi dans lequel les États-Unis avaient la première place, qui insupportent ces derniers. Accepter de réduire ses

émissions de gaz et autres rythmes de produc�on et de consomma�on, c’est reme�re en ques�on les principes mêmes par lesquels les USA sont devenue la première puissance mondiale, c’est épingler en son cœur l’american way of life. C’est enfin, imposer et se soume�re à des règles contraignantes communes, jugées défavorables, alors même que les USA se sont fait les chantres de l’extra-territorialité du droit et de l’imposi�on arbitraire et stratégiques de ses propres règles en vue d’intérêts par�culiers²⁵. De là, entre autres, les résistances vis-à-vis de la ques�on clima�que par les franges les plus conservatrices du personnel poli�que américain et d’un large pan de la popula�on ayant voté Donald Trump en 2017. Le slogan « Make Amercia great again ! » illustre au fond les obstacles psychiques d’un renouvellement du logiciel culturel américain : pour redevenir grande à nouveau, l’Amérique doit répéter les rece�es du passé qui ont fait d’elle une grande na�on : capitalisme, produc�on, industrialisa�on, exporta�on, protec�onnisme, etc. Comment dès lors penser une quelconque place pour une forme de « sobriété » ou d’« écologie » ? A l’inverse, la Chine assume pleinement – ne fût-ce qu’en discours – ce�e épreuve verte – et en appelle même à incarner une « civilisa�on écologique », comme nous l’avons vu plus haut –, précisément parce que, aussi polluante qu’elle puisse être au même �tre que les USA, la Chine n’a aucun problème à jouer à un jeu reme�ant virtuellement en cause l’ordre interna�onal de la puissance, bien au contraire ! Elle s’évertuera à jouer les « premiers de la classe » – et ce plus encore concernant un enjeu assurément stratégique dans un avenir proche, pour ne pas dire immédiat –, qui�e à faire dans l’hypocrisie s’il le faut à l’occasion.

¹⁰Le Monde, 15/10/2018 ¹¹David Colon, opus cité, p.348 ¹²Michel Lachkhar, « Environnement : Trump et le lobby pétrolier veulent défaire la poli�que d'Obama » ¹³Pierre Antoine-Donnet, « Du coronavirus au climat : comment Trump et Xi se sont étrillés à l'ONU » ¹⁴Cité in Jean-Michel Valan�n, Géopoli�que d’une planète dérèglée, Seuil, Paris, 2022, p.65 ¹⁵Jean-Michel Valan�n, L’aigle, le dragon et la crise planétaire, Seuil, Paris, 2020, p.175-76 ¹⁶Pierre Antoine-Donnet, « Du coronavirus au climat : comment Trump et Xi se sont étrillés à l'ONU » ¹⁷Jean-Paul Maréchal, « La realpoli�k clima�que chinoise », Groupes d’études géopoli�ques ¹⁸J.L. Aus�n, Quand dire, c’est faire, Seuil, Paris, 1991 ¹⁹Sophie Boisseau du Rocher, Emmanuel Dubos de Prisque, opus cité, p.101 ²⁰Ibid., p.117 ²¹France 24, « Climat : la Chine est-elle le nouveau leader ? ²²Paul Charon, Jean-Bap�ste Jeangène Vilmer, Les opéra�ons d’influence chinoises. Un moment machiavélien, IRSEM, 2021, p.29 et suivantes. ²³Bruno Latour, La science en ac�on. Introduc�on à la sociologie des sciences, La découverte, Paris, 2005 ²⁴Cyril Lemieux, « A quoi sert l’analyse des controverses ? », Mil Neuf Cent. Revue d’histoire intellectuelle, 2007/1, n.25 ²⁵Ali Laidi, Le droit, nouvelle arme de guerre économique, Babel, Paris, 2020

¹Graham Allison, Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le Piège de Thucydide ?, Odile Jacob, Paris, 2019, p.15 ²Carl Von Clausewitz, De la guerre, Édi�ons de Minuit, Paris, 1995 ³Chris�an Harbulot, « De la légi�mité de la guerre cogni�ve », Revue interna�onale et stratégique, 2004/4 (N.56) ⁴Frédéric Lordon, Les affects de la poli�que, Seuil, Paris, 2018 ⁵Sophie Boisseau du Rocher, Emmanuel Dubos de Prisque, La Chine e(s)t le Monde. Essai sur la sinomondialisa�on, Odile Jacob, Paris, 2019, p.244 ⁶Frédéric Charillon, Guerres d’influence. Les États à la conquête des esprits, Odile Jacob, Paris, 2022, p.40 ⁷Ibid. ⁸Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolu�on du climat. ⁹David Colon, Propagande. La manipula�on de masse dans le monde contemporain, Flammarion, Paris, 2021, p.346 Revue TB N°4 - 35

POLITIQUE

États-Unis Entre la démocratie et la norme démocratique Par Oumaima GUIZANI - Comité Interuniversitaire des Na�ons Unies de Paris (CINUP)

Pères pèlerins embarquant sur le Mayflower pour leur voyage en Amérique. Bernard Gribble (1872 - 1962

Nulle no�on n'est plus au cœur de la poli�que que la no�on de citoyenneté et aucune n'est plus suscep�ble de varier au cours de l'histoire ou d'être contestée dans ses fondements théoriques. Aux Etats-Unis, elle a toujours été associée à l'idée de démocra�e, mais seulement en théorie. Dès l'origine, les revendica�ons les plus radicales en faveur de la liberté et de l'égalité poli�que ont coexisté avec l'accepta�on de l'esclavagisme, forme la plus extrême de servitude dont les effets hantent toujours nos mémoires. Ainsi, l'égalité des droits poli�ques, premier a�ribut de la citoyenneté américaine, fut proclamée en même temps qu'on tolérait sa néga�on absolue. Le deuxième a�ribut, le rejet déclaré des privilèges héréditaires, ne fut pas plus facile à me�re en œuvre car

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contradictoirement on acceptait le statut d'esclave qui se transmet par voie héréditaire.

C’est bien avant la naissance de treize colonies qu’il convient de rechercher les racines des idées et des régimes poli�ques des états unis. L'idée selon laquelle les hommes naissent égaux remonteaux penseurs grecs de l’An�quité aussi bien qu’aux origines du chris�anisme. Platon et Aristote sou�ennent tous deux dans leurs écrits qu’un gouvernement pour être moral, doit obéir à la loi. Ce principe a pris corps à travers les âges dans la doctrine moderne selon laquelle le pouvoir devrait appartenir à la loi et non aux individus.

De longue date, la no�on d’un gouvernement cons�tu�onnel aux pouvoirs limités a dominé la doctrine et la tradi�on anglaises. Elle remonte à un

épisode spectaculaire; la signature de la grande charte en 1215, quand le roi Jean fut contraint d’accepter que son pouvoir fût limité. Ce sont ces idées qui furent transplantées dans le nouveau cadre poli�que américain.

En immigrant dans le nouveau monde, les tout premiers colons obéissaient à des raisons économiques ou religieuses. Parmi ceux qui y furent poussés par leur religion se trouvaient les pères pèlerins débarqués du Mayflower, qui fondèrent la colonie de Plymouth en 1620, et les puritains qui s’installèrent dans la baie du Massachuse�s une dizaine d’années plus tard. Ces deux groupes recherchaient la liberté religieuse pour eux-mêmes mais ils n'entendaient pas accorder à autrui ce�e même liberté de culte. Les puritains, par exemple, expulsèrent Roger Williams de la baie du Massachuse�s parce qu'il défiait l'orthodoxie dominante en déniant à L’État le pouvoir de réglementer la religion, en revendiquant la liberté religieuse et en dénonçant le droit pour les Blancs de s'emparer des terres indiennes. Quand il fonda la colonie de Rhode Island, il s'efforça de me�re ses convic�ons en pra�que, et c'est ainsi que le Rhode Island montra la voie de la démocra�e aux autres colonies. Les puritains eux-mêmes, bien malgré eux, contribuèrent au développement de la démocra�e dans la mesure où leur façon de concevoir l'administra�on du temple abou�ssait à assurer la supréma�e des fidèles et l'affranchissement de la congréga�on vis-à-vis de la hiérarchie ecclésias�que. Il en résulta des conséquences poli�ques qui s'exercèrent bien au-delà des murs de l'Église. Il y avait aussi ceux à qui l'ancienne société n'offrait pas de perspec�ves de progrès social. C'était le cas pour les benjamins des familles de quatre enfants, les aventuriers, les repris de jus�ce et les débiteurs insolvables. Ils affluèrent vers les rivages de l'Amérique où nombre d'entre eux prospérèrent. Des marchands, des négociants, des agriculteurs poussés par l'ambi�on traversèrent également l'Atlan�que pour installer des colonies principalement au nord et au centre du pays; dans le sud, des planteurs créèrent de vastes domaines agricoles où se développa rapidement une concep�on du travail fondée sur l'esclavage. Puis de nombreux cul�vateurs allemands, écossais et irlandais avancèrent vers l'ouest à la conquête de l'arrière-pays, amplifiant encore ce mouvement progressif vers le couchant qui, depuis l'arrivée des premiers Européens, semblait encourager le goût de l'indépendance et de l'individualisme. De tous temps, les Américains ont cherché à défier l'autorité et à promouvoir le profit personnel. Hantés par le souvenir des despo�smes européens, ils avaient conçu leurs nouvelles ins�tu�ons avec le souci de limiter l'exercice du pouvoir poli�que. Un principe fondamental dominait toutes les discussions qui conduisirent, finalement, à la

Révolu�on américaine et à la rupture des liens qui ra�achaient les colonies à l’Angleterre : tous ont le droit de se gouverner eux-mêmes et tout gouvernement émane du consentement des gouvernés. L'auteur de la Déclara�on d'Indépendance, Thomas Jefferson, a traduit l'élan intellectuel vers la révolu�on en des mots qui, même aujourd'hui, nous paraissent teintés d'extrémisme. Dans son document, il affirme que tous les hommes sont poli�quement égaux ; qu'un gouvernement légi�me ne peut tenir son pouvoir que du peuple; et que l'unique raison d'être un gouvernement consiste à assurer au peuple le droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur. Ces opinions s'inscrivaient dans le droit de la tradi�on anglaise �ssée au fil des siècles et avaient plus par�culièrement pris corps dans les écrits du théoricien anglais John Locke. Façonnées par l'expérience américaine pendant plusieurs décennies, agrémentées des théories de Montesquieu sur la sépara�on des pouvoirs, et interprétées par Jefferson, elles devinrent la clef de voûte de la pensée poli�que américaine. Le principe primordial était et demeure que le gouvernement est le serviteur du peuple et non son maître. Dans la pra�que, on observait des contradic�ons choquantes entre la réalité et les principes que les Américains prétendaient suivre. La plus manifeste de ces contradic�ons consistait à refuser par la force l'accès des droits fondamentaux à certaines catégories de personnes, notamment aux esclaves noirs et aux autochtones du con�nent américain, les Indiens. Même à l'intérieur du groupe dominant, la moi�é des individus n'étaient pas en mesure de

John Locke peint par Godfrey Kneller (1697)

La Déclara�on d’indépendance des treize Etats-Unis d’Amériques ©Todd Taulman / Ge�y Images

par�ciper aux ac�vités poli�ques. De plus, toutes les femmes étaient écartées à la fois du droit de vote et de tous les autres aspects de la vie poli�que. Les Fondateurs pouvaient difficilement prévoir l'énorme concentra�on du pouvoir qui allait bientôt accompagner, dans le secteur privé, le développement des grandes sociétés et entreprises dans un État industrialisé.

La démocra�e est donc l'un des concepts les plus insaisissables de l'histoire poli�que américaine. Dans les documents officiels qui ont marqué la naissance de ce�e na�on le mot « démocra�e » n'apparaît pas ; à sa place, les fondateurs ont u�lisé le terme de « république », qui signifie « la chose publique », voire une société gouvernée par l'intérêt public et dans cet intérêt, mais ne désigne pas clairement un gouvernement émanant du peuple. C'est quelques années plus tard que l'on enregistra une explosion du sen�ment démocra�que, au temps d’Andrew Jackson, et depuis lors le terme « démocra�e » est devenu d'un usage courant dans toute rhétorique, en dépit du scep�cisme certain qu'il suscite en privé. Le terme « démocra�e »signifie, li�éralement, « le gouvernement par le peuple » ; les racines grecques du mot introduisent une nuance, celle de « populace ». De toute évidence, le sens originel, de caractère péjora�f, et les circonstances qui l'ont façonné ont peu de rapport avec la réalité d'aujourd'hui.

Définir la démocra�e comme le gouvernement par le peuple ne nous avance guère, sauf si nous avons clairement compris qui est le « 38 - Revue TB N°4

peuple », ou en d'autres termes quels sont les Américains qui ont le droit de par�ciper à la poli�que.

Chaque société exclut certaines personnes de sa vie poli�que (la communauté poli�que). L'étendue de ces exclusions – la raison pour laquelle certaines personnes se trouvent écartées peut affecter la portée de la démocra�e. La cité grecque, archétype de la démocra�e, excluait beaucoup de ses habitants -les esclaves, les femmes, et les hommes libres qui n'en étaient pas citoyens. Même au plus tort du régime démocra�que, seule une faible minorité de résidents était autorisée à prendre part à la vie poli�que, ce qui réduisait sévèrement la portée de l'expression « gouvernement populaire ». Les sta�s�ques anéan�ssent les préten�ons d'autres États qui se qualifient eux-mêmes de démocra�es.

Par exemple, dans la république d'Afrique du Sud, malgré une Cons�tu�on ostensiblement démocra�que, plus de la moi�é de la popula�on adulte (celle qui a des ancêtres noirs) est écartée à �tre permanent de la société poli�que ; les méthodes u�lisées pour faire respecter ce�e exclusion ont amené l'Afrique du Sud au seuil de la dictature et au bord du chaos. La démocra�e se mesure certes, de manière significa�ve, à la propor�on de la société admise à par�ciper à la vie poli�que. Néanmoins, ma concep�on de la démocra�e est une concep�on transcendantale de philosophie poli�que ou même de philosophie morale, le sociologisme et l’économisme n’ont rien à voir. Ma concep�on ne s’intéresse pas à la démocra�e en tant que régime poli�que, le système des par�s, cons�tu�ons, le

système électoral, etc. Dans ce�e concep�on, c’est la norme démocra�que qui m’intéresse car je situe la ques�on très au-dessus dans les cieux et non pas sur terre pour comba�re le rela�visme dans lequel sont tombées justement les théories démocra�ques. Cela veut dire qu’il ya un grand nombre de tendances de philosophies, d’opinions, de prises de posi�ons que ce soient de la part des scien�fiques, notamment ceux des sciences historiques et sociales, ou que ce soient des tendances idéologiques de type radicalisme qui ensemble convergent pour rela�viser la démocra�e, ce que veut dire aussi, pour nous inciter de croire que c’est un mauvais régime, c’est un régime qui est faillible c’est un régime de chaos c’est un régime de tyrannie , de démagogie etc. ce�e rela�vision de la démocra�e vient du camp empiriste qui regarde la démocra�e à travers la lorgne�e de la réalité et effec�vement si on regarde la réalité, la démocra�e ce n’est pas quelque chose de très brillant mais tous ces gens-là ne disent rien de plus que ce qu’a dit déjà Platon. Platon est le plus grand cri�que de la démocra�e et il a dressé le procès de la démocra�e dans la plupart de ses ouvrages pour dire que la démocra�e est le plus mauvais régime que les êtres humains puissent connaitre et il avait donc une concep�on, qui n’est pas la mienne, mais une concep�on également idéaliste du régime poli�que.

J’essaie alors de défendre la démocra�e contre ce rela�visme qui vient soit des idéologies de droite, soit des sciences sociales. Je prends un exemple: Yuvalharari dans son œuvre sapiens, il développe la chose suivante, pour démontrer que les droits de l’homme du régime démocra�que, l’histoire les ignore, la biologie les ignore, la nature les ignore, il nous donne l’exemple de l’oiseau. Que l’oiseau vole nous dit –il non pas parce qu’il a le droit de voler mais parce qu’il a des ailes. On peut dire donc que si l’oiseau a des ailes dans la nature, il a le droit de voler. Parce que si on lui coupe les ailes, on lui imposerait une souffrance qui ne peut pas être tolérée et donc pour démontrer l’universalité de la norme démocra�que, il faut par�r du principe de non-souffrance qui peut nous servir à fonder universellement la norme démocra�que. Pour cela, on peut prendre les trois dimensions de l’homme. L’homme est un être physique, c’est un volume dans l’espace, c’est de la chair, c’est du sang, c’est un mélange vivant dans lequel s’associe la chimie, l’électricité etc. Nous savons tous que nous passons notre vie à éviter la souffrance et la fuir physiquement, un bébé dès qu’il a mal dans son corps, il pleure parce qu’il y a une souffrance quelque part et dès lors qu’il n’y a plus de souffrance, il sourit et c’est ainsi notre vie. En outre, toute entrave à la liberté de penser et de s’exprimer cons�tue aussi une souffrance. L’homme est porté par sa nature et par son expérience à rejeter la souffrance quelle qu’elle soit. Chose lui frayant la voie du bénéfice de ses droits.

Le principe de non-souffrance surplombe le droit, qui encadre les situa�ons de souffrance:

méconnaissance de la liberté par les régimes poli�ques, esclavage, traite des personnes, discrimina�ons religieuses, ethniques, du genre et d’orienta�on sexuelle, inégalité homme-femme, crime de guerre, génocide, viol, torture. Ce sont les tribunaux qui évaluent le degré de souffrance. Ainsi, la norme démocra�que peut se situer au-dessus des spécificités culturelles. Animée tout en�ère par la recherche de la non-souffrance, elle est cons�tu�ve de l’homme. Elle fait par�e de sa nature psychique et corporelle. L’homme, qu’il soit né dans une tribu africaine ou aux Etats-Unis, il reste un être humain qui est né pour devenir démocrate et non, est-on tenté d’ajouter, pour souffrir.

Le CINUP, Comité Interuniversitaire des Nations Unies de Paris est la fédération de 21 associations de Nations Unies franciliennes, issues des hautes institutions estudiantines telles que Sciences Po, HEC, l’ESSEC, Dauphine, la Sorbonne. Le CINUP regroupe 2300 étudiants, et organise des conférences et colloques, visites d’ambassade et d’institutions internationales, un podcast, publie un magazine et de la recherche... Retrouvez les sur les réseaux sociaux, et cinup.fr !

Revue TB N°4 - 39

SOCIÉTÉ

États-Unis La culture des gangs Par Clément COILLE

Line-up de N.W.A. dans le film Straight Ou�a Compton ©Universal

Les États-Unis, terre d’immigra�on et de « L’American Dream », a�re des immigrants du monde en�er. Cet objec�f du rêve américain n’est pas réservé à tout le monde. Avec le racisme, la marginalisa�on et la pauvreté, la culture des gangs s’est pe�t à pe�t installée au sein de la société américaine. Elle pousse les poli�ciens étatsuniens à prendre des mesures pour endiguer ce phénomène qui s’installe de plus en plus dans l’espace public et touche aujourd’hui les plus jeunes comme les plus âgés de la société.

LES PRÉMICES AVEC L’ARRIVÉ DE LA MAFIA ITALO-AMÉRICAINE Au 19ème siècle, après la guerre de Sécession (18611865), les États-Unis entrent dans un âge d’or avec un développement économique, social, démographique, industriel et technologique. Ce�e période coïncide avec un afflux de migrants européens, principalement en provenance du Royaume-Uni, d’Allemagne, de Scandinavie ou encore d’Italie. Ce�e migra�on vers les 40 - Revue TB N°4

États-Unis est de bon augure pour son développement interne, elle engendre des disparités, des marginalisa�ons ou encore, exporte la mafia italienne comme Cosa Nostra. Ce�e dernière donna naissance à la mafia italo-américaine. Le terme « Mafia » désigne une organisa�on criminelle italienne dont les ac�vités, exercées par des clans familiaux, sont soumis à l'omerta, reposent sur une stratégie d'infiltra�on de la société civile et de ses ins�tu�ons. Certains pensent que ce terme est une traduc�on de « vantard », « hardiesse » ou encore « misère ». La mafia-italoaméricaine émerge à New York dans les quar�ers pauvres des immigrants italiens, mais s’installe également dans d’autres villes de la côte Est comme Cleveland, New Orleans, Chicago ou encore Miami.

Ce�e mafia était essen�ellement composée d’italiens originaires de Sicile mais aussi d’irlandais ou encore de juifs.

La période de la prohibi�on, décrétée par Franklin D Roosevelt de 1920 à 1933, permet aux mafias de prendre de l'ampleur grâce à des appuis poli�ques et

la corrup�on des milieux policier, judiciaire et poli�que. Les trafics d’alcool, très lucra�fs pendant ce�e période, offrent un terreau fer�le pour développer les trafics de main d’œuvre ou encore les jeux d’argent.

Salvatore Lucania, dit Lucky Luciano, est l’un d’eux.

Jeune immigré sicilien qui au moment de son arrivé à New York a tenté de s’intégrer : la barrière de la langue fut trop difficile tout comme le fait d’avoir troqué la pauvreté de la Sicile pour celle de New York. Le milieu dans lequel il grandit est pauvre, sans éduca�on et où la majeure par�e des enfants ont arrêté l’école prématurément. Ils rêvent tous d’une chose : vivre dans l’opulence et le luxe. La pauvreté engendre la forma�on de plusieurs bandes de jeunes qui comme�ent des délits, ce sont eux qui seront à l’origine de la créa�on de pe�ts gangs. Lucky Luciano gravit pe�t à pe�t les échelons de la pègre pour se hisser au rang de Parrain des parrains ou « Capo di tu� capi », avec sous ses ordres tous les chefs mafieux du pays. En plus d’être le chef des 5 grandes familles de la Cosa Nostra de New-York, il créé, entre-autre, « L’Unione Siciliana » ce qui lui permet de fédérer les différents gangs et chefs mafieux du pays sous son égide. Malgré la grande dépression de 1929 et la fin de la prohibi�on, les affaires restent plus que prospères, l’organisa�on a diversifié ses ac�vités dans le racket et la pros�tu�on. C'est justement ce�e dernière « ac�vité » qui conduit Lucky Luciano à être condamné et incarcéré pour 50 ans en 1936, tout comme Al Capone fut condamné pour fraude fiscale. Contre toute a�ente, Lucky Luciano réussi à obtenir sa libéra�on en 1946 grâce à un accord trouvé avec le gouvernement en 1941, tandis qu’il menait toutes ses affaires depuis sa cellule. On apprendra plus tard que Lucania contrôlait les quais de New-York et que le sabotage du « SS Normandie », orchestré par son organisa�on, permet une relaxe tandis que le gouvernement américain craignait une opéra�on

allemande sur son sol. Il l’ob�ent sous condi�on de s’exiler défini�vement des Etats-Unis et de retourner en Italie. Il s’installe finalement à Cuba pour administrer ses affaires à proximité des Amériques avant d’être renvoyé en Italie sur pression du gouvernement américain. Il décédera en 1962.

Pour endiguer le phénomène de la mafia sur le territoire américain, les États-Unis de Richard Nixon (1969-1974), décide de promulguer le « RICO Act » (Racketeer Influenced and Corrupt Organizayions act).

Ce�e loi fut promulguée par l’ar�cle 901 de la loi 1970 sur le contrôle du crime organisé et sa codifica�on. Elle fut ini�alement créée pour comba�re le crime organisé et la mafia. La loi RICO prend en compte une liste de 35 crimes (27 crimes fédéraux et 8 crimes d’État) sur une période de 10 ans. Ainsi, par la promulga�on de ce�e loi, les polices d’états ou les fédéraux peuvent inculper n’importe quelle personne impliquée de prêt ou de loin en lien avec les gangs ou la mafia, le travail des autorités dans la lu�e contre le crime organisé est donc simplifié.

La mafia italo-américaine représente les prémisses des gangs d’aujourd’hui qui se forment dans les bas quar�ers des grandes villes et empruntent la voie de l’inégalité pour réaliser l’Américan Dream. Leurs membres souhaitant vivre, ou survivre, être en sécurité et se regroupe en communauté : c’est la naissance des gangs ethniques aux Etats-Unis.

LES GANGS ETHNIQUES Les gangs aux États-Unis ont côtoyé et ont de nombreux points communs avec les mafias des 19ème et 20èmes siècles, mais leur structure n’est pas la même. La mafia est une organisa�on installée de longue date, avec une base patriarcale et composée d'adultes. Le gang a lui une iden�té avant tout ethnique qui cherche à prospérer dans un espace lui aussi défini par ce�e origine et composé à la racine de

Prise d’un alambic et d’alcool clandes�ns lors de la prohibi�on ©Evere� Historical / Shu�erstock

jeunes membres. Ceux-ci n’ont qu’une famille, le gang, et ne reconnaissent qu’une seule loi, celle du gang. À Los Angeles, Detroit, Chicago, New York, Washington ou Philadelphie, l’opinion publique s’est faite de leur ac�vité une image sanglante et réductrice : guerres de graffi�s sur les murs des quar�ers chauds pour délimiter un territoire, affrontements rangés sous les ponts autorou�ers, fusillades à la sor�e des discothèques, règlements de comptes pour la distribu�on de la drogue.

A compter des années 50, les gangs européens disparaissent progressivement pour laisser place aux afro-américains et aux la�no-américains. Le lien entre gangs et économies devient évident, si l’immigra�on fournit la main d’œuvre légale comme illégale, ces regroupements doivent pouvoir financer leur sécurité et s’assurer des revenus tandis que discrimina�on est toujours de rigueur aux Etats-Unis, ne serait-ce que pour trouver un emploi. Les Etats-Unis sont le seul pays riche à avoir autant de gang alors que leurs services de police sont parmi les plus développés du monde.

Ce contexte donne naissance à des gangs de rue généralement affiliés au Bloods ou Crips qui sont les plus célèbres gangs afro-américains aux Etats-Unis. Les Crips (Community Ressources for Independant people), représenté par la couleur bleue, se forment à la fin des années 60 à Los Angelse par Raymond Washington et Stanley Williams. Les Crips souhaitent refléter l’aspira�on sociale du mouvement d’égalité raciale. Ils vont toutefois se quereller avec d’autres bandes rivales de Los Angeles et oublier pe�t à pe�t leur mouvement social. À la suite d’une de ces querelles menées par les Crips sur deux personnes, Vincent Owens et Sylvester Sco�, ces derniers s’unissent à d’autres bandes indépendantes sous une même bannière et donnent naissance aux Bloods en

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1972. Bloods et Crips vont se livrent une guerre fratricide depuis.

A par�r des années 70, les gangs hispaniques s’implantent à Los Angeles, comme la MS-13 (Mara Salvatrucha). Ce gang de rue a pour but de protéger les immigrés salvadoriens des autres gangs de la région californienne. Les groupes d’auto-défense salvadoriens se transforment en ce�e organisa�on criminelle telle que nous la connaissons aujourd’hui pour son extrême violence et sa cruauté.

Les années 70 sont marqués par le trafic de drogue, qui permet aux gangs de se développer dans une Amérique toujours plus riche et développée ou explose les consommateurs mais surtout là ou l’État est le moins présent voire absent. Ce�e généralisa�on du trafic de drogue sera à par�r des années 80 couplée aux réformes libérales de l’administra�on Reagan, qui fracturent de plus en plus la société. Les inégalités sociales plongent une par�e de la popula�on dans une misère absolue, en marge de la société, sans travail, sans alloca�on, sans sécurité sociale ou encore sans éduca�on scolaire, un phénomène touchant par�culièrement les minorités. Celles-ci se retrouvent en marge de la société américaine. Ces espaces vont rapidement être comblés et devenir des territoires de vente et de consomma�ons de drogue mais également de pros�tu�on, de recel de fausse monnaie ou d’objets volés, de vols avec violence, de cambriolages, etc...

L’argent perçu au travers du trafic de drogue permet largement aux gangs de s’équiper en armes et « donne » du travail à tout jeune qui en cherche, sous réserve d’adhérer au gang. Les gangs, parfois associés mais souvent rivaux, suivent les flux économiques et les voies de communica�ons. Grâce à la route 66, les gangs s’établissent dans tout le pays alors qu’ils étaient ini�alement limités aux grandes aggloméra�ons.

En réac�on, le gouvernement américain au début des années 70 créé un arsenal juridique pour frapper

les trafiquants. La Drug Enforcement Administra�on (DEA), fondée en 1973 et consacrée à la lu�e contre la drogue ne semble pourtant pas réellement endiguer le trafic. Celui-ci génère tant d’argent qu’il est très difficile de le frapper là où cela serait le plus efficace.

Arrêter les hauts responsables est difficile avec leurs appuis poli�ques ou privés et geler leurs comptes bancaires ne sert à rien car l’argent transite sur des comptes offshores. Aussi, les gangs, contrairement à la mafia, ne sont pas dans un schéma d’organisa�on pyramidale ou patriarcale. Ils sont composés d’une mul�tude de « sets » équivalents à des filiales. Un set vit de manière autonome sans lien hiérarchique avec un autre set. La mul�plica�on de ces sets engendre une structure tentaculaire où arriver à sa tête est utopique.

Dans les années 90, il devient de plus en plus compliqué voire impossible d’éradiquer les gangs car l’Etat frappe en bas de la hiérarchie : une fois qu’un gang ou un set n’est plus là, un autre reprend sa place automa�quement. A cela, la demande toujours croissante de drogue de la part des consommateurs place les USA comme l’un des plus gros marchés de drogues au monde.

LES GANGS MODERNES

Les années 90 marquent un changement de codes dans les gangs avec l’émergence du Rap et plus par�culièrement du « gangsta rap » qui met en musique leur quo�dien chao�que. Cet art leur permet d’exprimer leur style de vie : dans la rue pour certain, ou pour d’autre de dénoncer les condi�ons de vie très dures, ou encore la violence présente quo�diennement. Ce style musical permet de diffuser culturellement et ar�s�quement une image d'Épinal malgré tout proche de la réalité des gangs.

Mais certains éléments me�ent le feu aux poudres, notamment le tabassage à Los Angeles d’un certain Rodney King par quatre policiers blancs en 1991 et leur acqui�ement un an plus tard. La communauté afroaméricaine est en ébulli�on à la suite de cet acqui�ement, la trève de Wa� en 1992 entre les Bloods et les Crips s’axe contre les violences policières et la discrimina�on raciale, et popularisa la chanson « Fuck Tha Police » de NWA: l’hymne de ces émeutes qui dénonce les violences policières et les discrimina�ons que subit la communauté noire. Cela permet d’obtenir des réformes dans la police de Los Angles mais aussi des réformes à l’échelle régionale comme na�onale. Le lien entre la rue et la musique se fait de plus en plus ressen�r, sans nécessairement faire la promo�on du style de vie de gangster mais davantage en revendiquant son appartenance au gang par le biais d’une couleur dis�ncte (bleu Crips ou rouge

Membres du gang des Bloods, un des plus important d’amérique avec plus de 50000 membres associés ©Ge�y

Bloods) ou par des mots de vocabulaire. Mais le maître-mot pour les véritables gangsters était le silence : moins on parle, moins on a de problèmes, que ce soit dans la vie en générale ou dans l’industrie musicale.

Avec l’émergence d’internet et des réseaux sociaux, les années 2000 permirent aux gangs de prendre un tourant avec une nouvelle généra�on qui casse les codes et promeut ouvertement le style de vie des gangs tout en montrant leurs affilia�ons. L’explosion du style rap permet à la culture gangster de se développer et se démocra�ser.

Depuis les années 2010 et jusqu’à nos jours, le rap a pris de plus en plus d’ampleur. Certains dérivés du rap

numérique rend plus difficile le travail des fédéraux ou de la police d’État. Du fait des « sets », les gangs sont toujours aussi opaques et moins organisés structurellement ce qui ne permet pas aux autorités de remonter suffisamment dans la chaîne de commandement.

Parmi les affaires RICO (en référence à la loi de 1970 liées aux gangs), on peut compter l’affaire du rappeur Tekashi 69 dont le manager, membre des « nine trey bloods », un gang de New-York affilié aux Bloods, a été arrêté par le FBI par affilia�on à son manager en finançant indirectement les ac�vités du gang. Dans ce�e affaire, les paroles du rappeur ont été u�lisées contre lui. Il collabora ensuite avec les

Los Angeles, ville la plus prolifique des Etat-Unis en gangs, devant Chicago ©Joel Mo� / Unsplash

perme�ent de promouvoir la « vraie vie » d’un gangster notamment avec la Drill ou la Trap. Si certains rappeurs s’émancipent de la criminalité ou d’une vie difficile grâce à leur succès musical, d’autres perme�ent, par le biais de la musique, de financer leurs ac�vités ou d’aider le gang. Il n’est pas rare que des ar�stes du rap soient ra�rapés par leur passer ou par les membres du gang et perdent la vie dans un banal « règlement de compte ».

La guerre ouverte de certains gangs à Chicago, qui fut renommée « Chiraq » ou « Chirak » en Français, a fait plus de morts (4265) que les soldats américains tués lors de la guerre en Irak de 2003 à 2011 (4422).

Les réseaux sociaux tels qu’Instagram ou Twi�er sont aussi largement u�lisés par les membres de gang pour relayer leurs actes ce qui relève et banalise encore d’un cran la violence et l’insécurité. L’indépendance des gangs et leurs décentralisa�ons facilité par l’ère 44 - Revue TB N°4

autorités et permis de faire arrêter plusieurs membres de ce gang avant d’obtenir la liberté.

A Atlanta, en Géorgie, 75% des meurtres sont liés aux gangs, en 2022 s’est déclenché, l’affaire Young Thug et YSL (Young Stoner Life pour le label musical mais aussi connu sous le nom Young Slime Life) qui était surveiller par les autorités de l’État depuis 2012.

Le rappeur Young Thug, qui revendique son affilia�on au gang des Bloods, est le Chef de YSL selon les autorités. Comme dans l’affaire précédente, les paroles du rappeur ont été u�lisées contre lui et, à l’heure actuelle, le procès est toujours en cours.

Grâce à loi RICO, certaines personnes arrêtées ont pu passer des « Plea Deal » ou un marché perme�ant d’incriminer encore plus le rappeur qui n’aurait jamais arrêter d’être dans la rue malgré ses revenus grâce à la musique.

La prison n’arrête pas l’expansion des gangs, étant donné la popula�on carcérale majoritairement liée aux gangs, la prison n’est qu’une l’extension de ce mode de vie. Ce qui existe dans les rues existe également dans le milieu carcéral : la fracture raciale et ethnique y est tout aussi présente, le trafic, la violence et seul change l'environnement.

Comme nos sociétés, le crime organisé évolue. La mafia des années 1920 a fait de la prohibi�on ses heures de gloire avant de laisser place aux gangs de rue moins pyramidales, et qui u�lisent aujourd’hui les réseaux sociaux pour promouvoir leur culture. Ce�e culture des gangs, bien présente aux USA, résulte d’une fracture sociale, raciale, économique et poli�que qui pousse les minorités ethniques à se solidariser entre elles. Des groupes d’auto-défense émergent des gangs plus ou moins indépendants. Ces gangs offrent une opportunité pour se sor�r du ghe�o et de la misère. La fin du 20e siècle marque l’avènement de la culture des gangs dans la musique ou le sport malgré peu d'élus qui parviennent à s’extraire de leur situa�on in fine. La violence entre les gangs a augmenté avec l’u�lisa�on des réseaux sociaux tout comme leur exporta�on aussi bien géographique que culturelle. Leur musique est

promue dans la sphère publique et prend une part très importante aux Etats-Unis, ce qui contribue d’autant plus à la difficulté qu’à le gouvernement pour lu�er contre le phénomène des gangs.

Le 2ème amendement qui autorise le port d’armes dans certains états fait également la part belle aux membres des gangs pour régler leur compte et entraver les autorités publiques. En juin 2022, la Cour Suprême des Etats-Unis consacrait le port d’armes hors du domicile, invalidant ainsi une loi de l’Etat de New-York.

Carte des gangs à l’échelle na�onale

GÉOPOLITIQUE

Le Department of Justice L’arme impitoyable de la politique économique interventionniste Par Pablo LECHAPELIER - Comité Interuniversitaire des Na�ons Unies de Paris (CINUP)

The Department of Jus�ce ©Ramin Talaie/Ge�y Images

La BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole, ALSTOM, ALCATEL, TOTAL, Airbus, Technip, SIEMENS, ING, la Royal Bank of Scotland ou encore HSBC… Ces entreprises ont pour point commun de toute être de grosses mul�na�onales, connues dans le monde en�er, dotés de savoir faire historiques et de technologies inimitables, mais un autre point commun les rassemble. Elles ont toutes fait l’objet d’a�aques en jus�ce, parfaitement légales, capables de les me�re en difficulté, de perturber leur ac�vité commerciale, et donc de les amener à prendre des décisions risquées devant les menaces auxquels elles se trouvent exposées.

Ce sont les Etats Unis qui, en 20 ans, ont infligé des dizaines de milliards de $ à de grandes entreprises, en Europe, en Asie et en Amérique du Sud pour ne pas 46 - Revue TB N°4

avoir respecté la législa�on en vigueur. Quelle législa�on ? Celle de la loi américaine, qui présente une pe�te par�cularité ignorée de la majorité. Elle est en par�e extraterritoriale et s’applique donc principalement en dehors du territoire des USA. Elle lui permet de mener une guerre discrète et silencieuse à l’Allemagne, à la France, au Royaume-Uni ou encore au Japon, pourtant tous signataires de traités interna�onaux historiques et membres de l’ONU, de l’OTAN, du G7 ou encore de l’OMC… des pays alliés, peut-être parfois seulement en apparence.

Le DOJ (Department Of Jus�ce) s’est progressivement transformé en ou�l d’espionnage et a commencé à œuvrer pour faciliter des conquêtes commerciales sans équivalant, au service des entreprises américaines, capables d’aba�re les

concurrents les plus solides, ou de s’approprier des quan�tés phénoménales de données sensibles sans s’en voir empêché par les autorités des autres pays.

UNE JUSTICE AMERICAINE A L’IMAGE DE SA PUISSANCE Loin des yeux mais pas loin du cœur, la jus�ce américaine surveille de près ses plus gros expatriés et a trouvé un moyen infaillible de s’assurer que chacun respecte ces lois, qu’il soit américain, ou qu’il ne le soit pas. Pendant la seconde moi�é du XXème siècle, la montée en puissance des USA précédemment évoquée à permis de développer la compétence de sa jus�ce et de lui octroyer des lois un peu spéciales, de portées interna�onales. Au fil du temps, ces lois ont eu tendance à se mul�plier, à tel point que les entreprises du monde en�er s’en inquiètent de plus en plus.

La première de ces lois fut le « Trading with the enemy act » qui interdisait aux entreprises américaines tout commerce avec les pays ennemis comme l’Allemagne à l’époque des grandes guerres.

Ce�e loi existe toujours, et on trouve sur la liste noire des nouveaux « ennemis publiques », Cuba, la Syrie, la Corée du Nord, l’Iran, le Soudan ou la Chine.

60 ans après la première, en 1977, les USA adoptent une deuxième loi majeure de portée interna�onale.

C’est le « Foreing Corrupt Prac�ces Act » qui permet à la jus�ce américaine de poursuivre tout entreprise ou personne qui aurait tenté de corrompre des agents publics à l’étranger dans n’importe quel pays, quelque soient les na�onalités de l’accusé ou de l’agent. En 1998, ce�e loi est renforcée avec la loi interna�onale sur la lute contre la corrup�on et pour la concurrence.

Elle interdit alors à toute personne ou toute entreprises, américaine ou non, de tenter de soudoyer ou de faire pression sur un agent publique, quelque soit le pays concerné, pour obtenir un avantage quelconque, et donc adopter un comportement considéré comme an�-concurren�el.

Il suffit alors qu’un pot de vin soit versé en dollar américain, ou qu’un mail soit échangé sur un serveur américain pour que la jus�ce américaine se déclare compétente, et que les procureurs commencent à enquêter, même si l’entreprise concernée est française et que les faits ont eu lieu de l’autre côté de l’atlan�que, comme au Nigeria

L’ONCLE SAM ET SA JUSTICE OMNISCIENTE DANS LE MONDE C’est donc en 2010, au Nigeria que la société Technip a fait par�e d’une des premières entreprises à faire les frais de ce�e nouvelle loi. L’une de ses filiales, la société pétrolière TSJK, dont elle dé�ent ¼ du capitale, est accusée d’avoir versé près de 180 millions de dollars de dessous de table à des responsables poli�ques nigériens pour obtenir des concession pétrolières, actant alors ce qu’on appelle un « pacte de

corrup�on ». Les Etats Unis, n’ayant rien à voir dans ce�e affaire et n’ayant subi aucun préjudice réel déclarent alors leur jus�ce compétente, les sommes versées s’étant échangées sous forme de dollar américain. Pour me�re un terme aux poursuites, Technip a dû reconnaître les faits et verser 338 millions de $ au département de jus�ce américaine (DOJ).

La même année, c’est au tour d’un des fleurons na�onaux français de payer son dû. Le fabricant de téléphone Alcatel-Lucent est poursuivi pour les mêmes faits de corrup�on qui se seraient ce�e-fois déroulés au Honduras, à Taiwan, et au Costa Rica. Bien que déjà condamné par la jus�ce française, les transac�ons avaient été effectuées en dollar, un argument encore une fois suffisant pour que la jus�ce américaine y applique ses lois. Alcatel écope alors d’une amende de 137 millions de $.

A par�r des épisodes Technip et Alcatel, les poursuites du JOP contre de grosses entreprises interna�onales, dont beaucoup françaises, se sont mul�pliées, et le montant des amendes n’a plus cessé d’augmenter. Voilà alors que Total se voit amendé de 398 millions de $ en 2013, accusé de corrup�on en Iran. En 2014, c’est ALSTOM qui, s’étant rendue coupable de corrup�on en Indonésie, doit déverser 778 millions de $. C’est ensuite au tour de l’Allemand SIMENS de payer 800 millions de $, le suédois Telia perds ensuite 691 millions de $ pour ensuite laisser la place au laboratoire israélien Teva, condamné pour corrup�on, blanchiment et viol d’embargo, qui paiera 519 millions de $.

Selon un rapport parlementaire de 2019 in�tulé « Protéger nos entreprises des lois à portée extraterritoriale », les USA auraient imposé près de 7 milliards de $ d’amende à des entreprises étrangères entre 2008 et 2018, au �tre du fameux « Foreing Corrupt Prac�cies Act ».

LA SOLIDIFICATION DE L’APPAREIL JURIDIQUE AMERICAIN En 1996, les USA se dotent de deux nouvelles lois de portée interna�onal. Le « Helms Burton Act », qui impose un embargo encore plus sévère aux cubains, et la loi « Amato-Kennedy », plus connue sous le nom de la loi « Iran And Libya Sanc�on Act ». Celle-ci interdit ce�e-fois les transac�ons avec l’Iran et la Libye qui sont exclus du système bancaire interna�onal, et avec tout autre pays considéré comme état voyou (« Rogue Country »), officiellement suspecté de soutenir le terrorisme, de chercher à se doter de l’arme nucléaire, ou de vouloir entraver les « processus de paix » au Proche-Orient. La portée de ces deux lois a rapidement été contestée par l’Union Européenne dès la fin de l’année 1996, sans réel succès.

Toujours selon le même rapport parlementaire, plus de 15 milliards de dollars ont été infligés aux entreprises étrangères ayant violé les sanc�ons interna�onales imposées par les lois de 1996 entre Revue TB N°4 - 47

2008 et 2018. En décembre 2012, c’est au tour d’HSBC d’être condamné à payer 1,9 milliard de $ d’amende pour complicité de blanchiment d’argent sale en provenance de cartels mexicains. En 2014, la BNP Paribas enfreint elle aussi les lois américaines et se retrouve contrainte de verser 9 milliards de $ pour avoir facilité des transferts de fonds (près de 190 milliards) avec l’Iran, le Soudan, et Cuba, frappés d’embargos. En 2015, la Commerzbank allemande règle à son tour une facture d’1 milliard de $, toujours pour des transac�ons jugées illégales entre 2002 et 2012, l’Iran étant par�culièrement surveillé par les autorités américaines. Le pays est visé par 5 lois interna�onales qui prévoient toute de lourdes sanc�ons pour les contrevenants, américains ou non.

Les banques chinoises Kunlun et Dangdong, et banques irakiennes Efaf et Islamic Bank le savent bien, ayant été exclues du système bancaire américain.

Quant à la Dalian Global Unity Shipping ou au géant chinois de la téléphonie Huawei, leur droit de commercer avec des partenaires américains leur a été re�ré.

Les années suivantes, d’autres lois sont entrées en vigueur pour compléter l’arsenal américain et renforcer son protec�onnisme commercial. La fiscalité, la concurrence financière, le droit de la concurrence, l’espionnage… le droit américain est celui qui comporte le plus de lois extraterritoriales, et la situa�on n’a cessé de se compliquer depuis qu’il les a transformés en armes économiques de premier choix.

En 2018, avec le « Cloud Act », les Etats Unis se sont arrogés le droit de collecter les données des entreprises ciblées par les ac�ons en jus�ce, ou qu’elles se trouvent, et ce, au mépris des règles établies par la Coopéra�on Judiciaire Interna�onale.

Ce�e nouveauté lui donne le droit de s’adresser aux hébergeurs américains pour obtenir toutes les données stockées sur leur serveur sans passer par une demande d’entraide, et donc sans aucune surveillance des autorités de la société mis en cause. Aujourd’hui, c’est plus de 65% du marché mondial du cloud qui est détenu par des entreprises américaines.

soudainement qu’elle a été vendue pour 12 milliards de dollars après 18 mois de négocia�ons avec le géant américain General Electrics. Face à la grande surprise na�onale, le PDG de l’époque Patrick Kron a du mal à se jus�fier devant la presse : « Je répète que je suis fier de donner un avenir à l’ensemble de nos ac�vités, même si c’est, pour certaines, à l’extérieur du groupe. » expliquera-t-il devant les micros des journalistes. Selon lui, ce�e opéra�on par�culièrement réussie allait perme�re à ALSTOM de se recentrer sur ses ac�vités de transport, son « vrai mé�er », alors que le groupe se débat avec la jus�ce.

En effet 2014 marquait, comme évoqué précédemment, la condamna�on d’ALSTOM par le DOJ

ALSTOM, LE GRAND SCANDALE NATIONAL

pour ses ac�vités de corrup�on en Indonésie, alors contraint de verser 778 millions de dollars d’amende.

Or, d’après les derniers éléments rendus publics, il semblerait qu’il existe un lien entre des menaces de poursuite chez les cadres du groupe, à �tre personnel ce�e fois, et la décision de vendre ce�e branche énergie aux américains. Par soucis de transparence, il est important de préciser qu’il n’existe à ce jour, que des témoignages, parfois anonymes, ainsi que le livre in�tulé « le piège américain », de l’ancien comptable d’ALSTOM, Frederic Pierucci, emprisonné 2 ans au moment de l’affaire.

Les journalistes d’inves�ga�on et plusieurs juristes français soupçonnent donc l’u�lisa�on du « Deal Of Jus�ce », une méthode désormais bien rodée, qui ne serait que l’applica�on d’une poli�que américaine de

A �tre d’exemple, voici une affaire qui illustre parfaitement ce dont les USA se sont rendus capable.

Une affaire érigée en grand scandale na�onal, la vente de la branche énergie d’ALSTOM. Concepteur du TGV, reconnu mondialement pour son savoir-faire, et que tous les inves�sseurs français ont eu à un moment ou à un autre dans leur portefeuille d’inves�ssement, l’entreprise fait par�e des moteurs de l’économie française. Sa branche ALSTOM énergie, rassemble les ac�vités des énergies renouvelables, des énergies thermiques et nucléaires, ainsi qu’une quan�té phénoménale d’informa�ons stratégiques et de brevets français. En 2014, la France apprends 48 - Revue TB N°4

Le géant Alstom paya une

chantage économique moderne opérée en toute légalité par la première puissance mondiale. En 2018, le député français Olivier Marleix a publiquement pointé le rôle du ministère de l’économie de l’époque dans ce�e vente, représenté par le président actuel Emanuel Macron, qui aurait autorisé ce�e opéra�on.

Le député a également demandé l’ouverture d’une enquête qui aurait dû démarrer dès 2014, et qui pourrait apporter un éclairage nouveau sur les raisons de la vente d’ALSTOM et sur les méthodes américaines pour garan�r leur souveraineté économique.

e amende record de 778 millions de dollars et plaida coupable de corrup�on

TOUJOURS PLUS D’INTERVENTIONS AMERICAINES EN FRANCE Plus récemment, l’avionneur Airbus a versé 3,6 milliards de $ pour éviter les poursuites pénales pour corrup�on, dont 530 millions de dollars au trésor américain. La procédure d’enquête américaine a duré 6 ans, pendant lesquels des milliers d’informa�ons sensibles ont été rendues accessibles à une puissance étrangère. Puis en 2020 le fleuron français spécialiste du nucléaire Orano, a lui aussi été visé par une enquête pour un pacte de corrup�on passée avec des élus américains. En conséquence, on parle alors d’une amende record de 24 milliards de dollars. Le groupe à du montrer pa�e blanche et se plier à toute les

demandes d’informa�ons nécessaires à l’enquête.

Une aubaine pour les services de renseignement américains qui ont pu obtenir un accès privilégié à toute ces données stratégiques.

L’IMPERATIF DE MODERNISATIN DE LA JUSTICE FRANÇAISE Avec des lois d’une telle portée, aucune transac�on n’est en réalité véritablement protégée des ac�ons de la jus�ce américaine. Les USA se voient aujourd’hui reprochées de transformer des combats éthiques comme la lu�e contre la corrup�on ou le financement du terrorisme, en prétexte opportuniste facilitant l’espionnage ou l’a�aque de grosses sociétés étrangères, au service des sociétés américaines. En France par�culièrement, il est très facile pour le DOJ d’intervenir au vu de la mauvaise protec�on législa�ve des entreprises françaises. La loi du 26 juillet 1968, connue sous le nom de « loi de blocage », rela�ve à la communica�on de documents, de renseignements commerciaux, stratégiques ou technologiques, est le seul ou�l juridique, périmé au vu des enjeux contemporains, dont les entreprises françaises peuvent de servir pour faire face au géant américain.

Obsolète et facilement contournable, elle doit impéra�vement être modernisée en incluant une obliga�on de déclara�on et un suivit de dossier par les autorités françaises. Une extension du règlement général pour la protec�on des données (RGPD) devrait être sérieusement étudiée selon plusieurs juristes spécialistes de la ques�on. Le RGPD devrait donc assurer une réelle protec�on des personnes morales quant à l’u�lisa�on des données et à leur transfert sans contrôle à des puissances étrangères. Pour fixer les fron�ères du droit interna�onal en ma�ère d’extraterritorialité, il est envisagé de saisir la Cour interna�onale de jus�ce.

UNE STRATEGIE QUI S’IMBRIQUE DANS LA POLTITIQUE INTERVENTIONISTE AMERICAINE Malgré le sen�ment d’injus�ce que peuvent révéler l’étude des procédures peu orthodoxes du DOJ, il est important de se rappeler que ces amendes punissent des crimes qui n’avaient pas lieu d’être. Quelle différence entre l’ingérence des Etats Unis dans l’Affaire Airbus, et leur interven�on militaire au Vietnam ou en Serbie ? Dorénavant informé des agissements répréhensibles du DOJ, il reste bon de remarquer que ce�e interven�onniste correspond au fil rouge américain qui, malgré quelques épisodes isola�onnistes, semble avoir fait vœu de s’ériger en gendarme du monde, sur le plan poli�que, militaire, mais aussi économique. Ils imposent alors parfois leur vision de la jus�ce et de ce qu’est un bon régime, y compris concernant le financement et les échanges économiques entre d’autres pays. Malgré l’argument Revue TB N°4 - 49

judiciaire brandi par l’Oncle Sam pour jus�fier ses interven�ons autour de tout ce qui touche au dollar américain, de près ou de loin, il reste injuste que la somme des amendes leur revienne au lieu d’être versées aux acteurs vic�mes du dommage en ques�on.

VERS UNE LEGISLATION INTERNATIONALE ? « L’union fait la force ». C’est peut-être dans l’op�que de suivre ce mantra proclamé par Vonck lors des premières indépendances de 1790, que la France souhaite proposer un projet de loi commune au sein des pays de l’OCDE et de l’Union Européenne, l’objec�f étant de rétablir la souveraineté na�onale en ma�ère de jus�ce et de protéger les ac�vités et la santé des entreprises et de leurs ac�onnaires. Mais avant l’adop�on et la mise en œuvre de ces mesures, les opéra�ons con�nuent. Il est difficile d’imaginer les Etats-Unis en maître chanteur interna�onal, pourtant le pays de la bourse, des milliardaires du pétrole et des technologies modernes ne s’encombre pas d’une poli�que par�culière pour entretenir de bons rapports avec ses voisins, quand le jeu en vaut autant la chandelle. Les entreprises françaises a�endaient beaucoup de la visite du président français à la Maison Blanche le 30 novembre dernier. Ayant promis de s’entretenir avec Joe Biden au sujet de toute ces mesures protec�onnistes, de la limita�on de l’accès américain aux entreprises françaises, et de l’impact des décisions de la jus�ce sur leur produc�vité, Emanuel Macron s’est trouvé face à un Joe Biden à l’écoute, mais dont la réponse fut claire : « Vous n’avez qu’à faire pareil ».

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CONCEPT

La Thalassocratie Dominer la terre par la mer Par Quen�n BENOIT

Échan�llon des forces de projec�on de l’US Navy lors des exercices majeurs Valiant Shield 2020 en mer des Philippines ©US NAVY

Au Ve siècle avant J-C, Athènes domine le monde grec et plusieurs centaines de cités, ceci alors qu’elle ne compte que 300 000 habitants. Le Royaume-Uni, à sa pleine expansion à la fin du XIXe siècle, domine un empire de huit fois plus d’habitants et 90 fois plus grand que les îles britanniques. Le Portugal, la Hollande ou encore Venise, se taillent une puissance considérable dans l’histoire grâce au contrôle de la mer malgré leur pe�te taille comparée à des puissances plus fortes démographiquement et pesant d’avantage en termes de puissance militaire brute.

Toutes ces puissances historiques ont en commun le fait de se reposer sur la mer pour mul�plier leur puissance et dominer un espace géographique propor�onnellement plus important que leur propre territoire. La mer serait donc un mul�plicateur de puissance, un véritable levier et par conséquent un vecteur posi�f pour qui ambi�onne d’accéder au panthéon des grandes puissances.

Une Thalassocra�e est une puissance qui fonde sa puissance sur une domina�on de l’espace mari�me, 52 - Revue TB N°4

ce�e réalité géopoli�que a conduit les théoriciens, poli�ciens et juriste à jus�fier l’appropria�on des mers & océans.

La bulle papale Inter caetera en 1493 était publiée à la suite du premier voyage transatlan�que de Christophe Colon en 1492. Elle délimitait le territoire a�ribué à la couronne de Cas�lle (actuelle Espagne), 12 ans plus tôt, la bulle Aeterni regis faisait de même pour le royaume du Portugal en lui autorisant un monopole de naviga�on le long des côtes africaine.

Ces deux bulles abou�ssent au Traité de Tordesillas en 1494, un véritable partage de l’Amérique entre les deux puissances navigatrices. Par la seule force de la voile, les deux royaumes ont en un temps record mul�plié leur territoire et ouvert la porte sur deux siècles de prospérités. Le siècle d’or de l’Espagne est couramment admis de 1492 à la fin du XVIIe siècle. Le XVIIIe siècle amorcera une la transi�on vers un nouveau siècle d’or, celui d’une autre puissance, le Royaume-Uni. Au XXe siècle, les Etats-Unis s’imposent

au monde, grâce à la mer, qui leur a permis de vaincre leur rival Japonais et de s’imposer en Europe.

LA THALASSOCRATIE THÉORISÉE PAR L’AMÉRIQUE Le père moderne de la géopoli�que des espaces mari�mes n’est autre que l’Américain Alfred Mahan avec la no�on de Sea Power, évoquée dans son principal ouvrage, The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783. Alfred Mahan conclu que de nombreuses na�ons fondent, depuis l’An�quité, leur puissance sur la mer. Ce�e volonté manifeste dans l’histoire les a mené à devenir une puissance majeure.

La domina�on des espaces mari�mes permet donc de mul�plier la puissance de ces na�ons.

Cependant, si une na�on terrestre n’a pas besoin de la mer pour exister, une thalassocra�e, forcément avec une base terrestre, est dépendante de l’espace mari�me. Développer une marine requiert des installa�ons portuaires, nécessite des moyens et n’est donc pas à la portée de n’importe quelle puissance.

C’est donc qu’il faut bien être une puissance terrestre pour pouvoir se lancer sur les espaces mari�mes, l’Espagne, le Royaume-Uni puis les Etats-Unis ont structuré leur espace terrestre avant de se tourner vers les espaces mari�mes pour décupler leur puissance.

La mer comme espace à contrôler est donc totalement dépendante de la terre, l’inverse n’étant

Alfred Mahan (1840-1914)

pas vrai. Il faut voir le rapport terre-mer comme une complémentarité, la mer est certes un mul�plicateur de puissance mais il faut quelque chose à mul�plier.

Une thalassocra�e n’est donc pas une puissante en force brute en comparaison à une véritable puissance terrestre, mais elle dispose de meilleurs moyens de projec�on tout autant u�le si bien u�lisés. Il faut cependant retenir qu’une puissance terrestre peut très bien à son tour se doter d’une puissance mari�me et donc l’emporter, un exemple ici avec Sparte qui défait Athènes lors de la guerre du Péloponnèse après s’être doté d’une flo�e ou encore Rome développant sa marine de guerre lors des guerres puniques contre Carthage.

LA THALASSOCRATIE AU SERVICE DE LA GÉOPOLITIQUE Le modèle britannique d’une puissance fortement délocalisée par rapport à son cœur territorial s’est effondré au XXe siècle au profit du modèle de l’EtatCon�nent, incarné par les Etats-Unis ou l’URSS au XXe siècle en y ajoutant aujourd’hui l’Inde et la Chine.

L’époque contemporaine a ainsi vu l’émergence de la superpuissance américaine, une puissance géopoli�que terrestre et mari�me.

« L’espace maritime évolue en devenant un espace de plus en plus contrôlé mais il est avant tout une voie de communication » C’est un cas de figure similaire qui se présente aujourd’hui avec la Chine, puissance con�nentale, 2e flo�e de guerre en tonnage dernière les Etats-Unis, première en nombre de bâ�ments militaires. Pour autant, il semble de moins en moins nécessaire d’être un Etat-Con�nent pour entretenir et jus�fier de l’intérêt géopoli�que des espaces mari�mes. Les avancées technologiques en ma�ère de systèmes de missiles ou de détec�on, font que l’image de la marine de guerre évolue constamment et sa puissance n’est plus nécessairement propor�onnelle à son tonnage.

Une marine peut rapidement se transformer en gouffre financier, non opéra�onnel la moi�é de l’année si l’on compte les périodes de maintenances.

L’espace mari�me évolue en devenant un espace de plus en plus contrôlé mais il est avant tout une voie de communica�on. Le poten�el de ce�e voie de communica�on a déjà théorisé dès l’an�quité par des penseurs comme Xénophon, les moyens et technologies de l’époque étaient alors le seul frein aux ambi�ons des puissances. C’est avec l’époque moderne, dès le XVIe siècle, que l’espace mari�me a Revue TB N°4 - 53

moderne, dès le XVIe siècle, que l’espace mari�me a gagné en importance, une importance qui s’est alors concré�sée par la domina�on et le partage du monde par les puissances occidentales jusqu’au XXe siècle.

Ce�e voie de communica�on est plus rapide mais aussi plus rentable que la communica�on terrestre ou même aérienne, actuellement plus de 80% des échanges se font par voie mari�me. Le réseau d’Océans et de mers interconnectées représente à lui seul 70% de la surface navigable et permet une liberté de mouvement considérable. Le navire possède aussi une capacité d’emport importante, mesurée en tonnage, et bien supérieure à tout transport, aérien ou terrestre.

La mer est aussi un théâtre militaire. Posséder une force navale, c’est disposer d’une force de projec�on, comme pour le commerce, bénéficiant d’une forte capacité d’emport et d’une vaste liberté de mouvement. La mer offre aussi une certaine flexibilité tac�que, choisir le point d’a�aque et réembarquer si besoin est. Son autonomie et sa flexibilité n’est pas à négliger. C’est parce que les Britanniques possédaient la mer en début du XIXe siècle qu’ils pouvaient, avec quelques dizaines de milliers d’hommes, monopoliser 10x plus d’effec�fs de l’armée napoléonienne. La mer permet aussi d’agir directement sur les flux des importa�ons ou des exporta�ons des pays en menant un blocus, un rôle déjà important auparavant mais encore plus compte tenu de la mondialisa�on et l’interdépendance des pays. Cela nous mène à un premier constat qui sera largement en faveur des par�sans d’une marine fortes et structurées. En partant du principe que les voies de la communica�on sont vitales pour un pays, une puissance ac�ve, soucieuse de son rang, devra dominer ses voies de communica�ons voir être en mesure d’agir sur celles

des autres tandis qu’une puissance passive devra se contenter d’obéir à celui qui les contrôles. Les véritables théoriciens de la stratégie à grande échelle permise par la mer remontent aux XVI et XVIIe siècles.

L’anglais Walter Raleigh, explorateur, officier de marine de l’ère élisabéthaine déclare dans une cita�on célèbre « Qui �ent la mer �ent le commerce du monde ; qui �ent le commerce �ent la richesse ; qui �ent la richesse du monde �ent le monde lui-même », voilà ici la seule chose à retenir s’il en est dans cet épisode. On prédisait, au XIXe siècle, la fin de l’espace mari�me comme principale voie de communica�on et d’échange grâce au chemin de fer notamment et l’évolu�on des transports terrestres. Paradoxalement, c’est le britannique Mackinder qui réintroduit la nécessité d’un contrôle terrestre avec sa théorie du hearthland, l’île mondiale, sorte de con�nent eurasia�que dont le cœur se situe à cheval entre l’actuelle Ukraine et la Russie. Reprenant la cita�on du XVIe siècle de Walter Raleigh, il l’adapte à sa théorie « qui �ent l’Europe orientale �ent le heartland, qui �ent le heartland domine l’île mondiale, qui domine l’île mondiale domine le monde ».

DES ETATS-UNIS À LA NOUVELLE « LIGUE DE DÉLOS » La marine cons�tue le bras long de la poli�que étrangère des Etats-Unis, isolé du monde sur leur « état-con�nent ». La géopoli�que contemporaine de Washington implique de grandes responsabilités qui exigent donc une grande puissance mari�me. Seule une marine hauturière, c’est-à-dire capable d'exécuter une stratégie offensive sur des distances transocéaniques peut convenir à ses ambi�ons. Le risque principal pour les Etats-Unis est de fixer des

Au delà de la marine de guerre, la force de la Thalassocra�e réside dans le commerce interna�onal ©Unsplash

54 - Revue TB N°4

Comment les États-Unis controlent la majorité du monde

objec�fs ambi�eux en négligeant de se donner les moyens de les a�eindre.

La Doctrine Monroe à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle interdit toute ingérence européenne dans les affaires des Amériques et plus largement dans l’hémisphère occidental. L’applica�on de ce�e doctrine n’a été possible que grâce à la Royal Navy britannique qui partageait des intérêts convergents.

Lors de la course à l’armement à par�r du début du XXe siècle et du retrait de la Royal vers ses eaux territoriale, les Etats-Unis n’ont eu d’autres choix que d’assumer eux-mêmes leur poli�que et donc inves�r dans une marine américaine conséquente pour dissuader les puissances européennes.

L’exemple historique de ce�e crainte est en 1943 quand le commentateur poli�que Walter Lippmann reprochait aux anciennes administra�ons présiden�elles d'avoir pris de vastes engagements dans l'océan Pacifique après la guerre hispanoaméricaine à la fin du XIXe siècle mais de ne pas avoir construit une marine suffisamment puissante pour les défendre face au Japon qui c’était imposé dans la région.

Si aujourd’hui l’US Navy peut être considérée comme la 1ère marine du monde, une chose sur laquelle Washington a conclu est que la marine américaine a besoin d'aide étrangère non seulement pour le combat, mais aussi et surtout pour la police de la mer en temps de paix. Par conséquent, la thalassocra�e américaine adopte une forme tentaculaire qui doit s’imposer et s’appuyer sur des marines « alliées ». Les Etats-Unis ne doivent donc pas seulement fonder mais aussi diriger l'effort de police.

C’est ce que l’on retrouve dans la revue stratégique de 2007 et 2015 « Une stratégie coopéra�ve pour la puissance mari�me du 21ème siècle justement pour ponctuer son caractère mul�na�onal ».

Si l’OTAN est, dans l’Atlan�que et la Méditerranéen, la parfaite émana�on de ce�e « stratégie coopéra�ve », les Etats-Unis mul�plient également les accords et la coopéra�on bilatérale avec les principales marines et puissances li�orales du monde, de la France à l’Inde en passant par le Japon ou les Philippines. Les États-Unis contrôlent environ 750 bases dans au moins 80 pays du monde et dépensaient plus pour leur armée que les 10 pays suivants réunis en 2021. Le �ssu de bases américaines permet non seulement de quadriller le monde mais d’avoir la capacité de réaliser des exercices et du partage de renseignements avec ces pays. Il ne s’agit ici que des installa�ons américaines, auxquelles il faut y ajouter les accords bilatéraux ainsi que les structures et alliances diverses. Quid donc de la résistance de ce�e Thalassocra�e si ses alliés venaient à faire défec�on ?

Enfin, il ne faut pas négliger toutes les face�es de ce�e Thalassocra�e qui ne se limite pas aux moyens militaires. Ce�e no�on d’empire Thalassocra�que comme l’explique Mahan est un ensemble, militaire avec une forte dominance de la marine, logis�que mais aussi voir avant tout économique, le but est tantôt de s’assurer un contrôle sur le commerce des ma�ères premières, tantôt de se cons�tuer et d’inves�r un marché de consomma�on interne (EtatsUnis) puis externe (Europe).

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MARITIME

AUKUS face à la Chine L’alliance anglo-saxonne Par Quen�n BENOIT

Mee�ng trillatéral entre les trois puissances de l’alliance AUKUS, mai 2023, San Diego (Californie) ©Reuters

Malgré l’éclatement de la crise ukrainienne en Europe suite à l’interven�on russe de février 2022, le pivot de l’ac�vité Géopoli�que mondiale demeure et poursuit son déplacement vers la zone Indo-Pacifique.

Les grands enjeux du 21e siècle se joueront dans ce�e région du monde avec principalement la Chine émergente après la parenthèse COVID face aux ÉtatsUnis qui dominent la région du Pacifique à la suite de la victoire sur son rival japonais en 1945. L’Inde, l’Indonésie, les Philippines, le Vietnam, sont autant de puissances non-alignées qui souhaitent �rer le meilleur par� (principalement économique) de ce�e rivalité sino-américaine. Le Japon, cherche à proposer un nouveau modèle de gouvernance du Pacifique, c’est ce qu’à confirmer la visite du 1er ministre japonais Kishida en Inde en mars 2023, ou il a annoncé un plan visant à promouvoir la vision japonaise d'un « Indo-Pacifique libre et ouvert ». Bien qu’allié et soutenu par les Etats-Unis, le Japon fait toujours courir le risque de devenir un électron libre ou à minima autonome qui pourrait me�re à mal les intérêts 56 - Revue TB N°4

américains dans la région sur le long terme. L’Inde est une puissante émergente qui prend sa revanche sur un ordre post-1945 qui ne l’inclus pas comme membre permanent du Conseil de sécurité malgré la place croissante du pays dans les rela�ons interna�onales et son statut de puissance majeure. L’Inde est aussi le principal obstacle au développement du dialogue du QUAD, une ini�a�ve lancée en 2007, pour un an puis réouverte en 2017 sous l’égide du président américain Donald Trump.

« C’est par la mer, suivant les préceptes d’Alfred Mahan et du Sea Power que ce bloc anglo-saxon compte bien dominer la Chine »

Ce dialogue devait ini�alement se concentrer autour de la collabora�on en ma�ère de sécurité et de défense dans la zone indopacifique entre les EtatsUnis, l’Australie, le Japon et l’Inde. Finalement, l’Inde, pour ne pas froisser la Chine mais aussi pour ne pas s’aligner sur une alliance stricte avec les Etats-Unis (la cri�que principale de la Chine étant que le QUAD serait l’OTAN du Pacifique) limite la portée du dialogue à des ac�ons et une coopéra�on économico-commerciale et humanitaire, bien plus que des exercices militaires et des rela�ons interarmées qui étaient ini�alement prévus.

Il manquait donc aux Etats-unis une véritable structure, un bloc militaire sur lequel pouvoir compter, tantôt face à la Chine, tantôt pour assurer des débouchés commerciaux à son complexe militaroindustriel. C’est pourquoi AUKUS est donc une alliance anglo-saxonne et c’est par la mer, suivant les préceptes d’Alfred Mahan et du Sea Power que ce bloc anglosaxon compte bien dominer la Chine, avec l’alliance AUKUS.

AUKUS, UN PARTENARIAT CENTRÉ AUTOUR DE L’AUSTRALIE Le 15 septembre 2021, les États-Unis, le RoyaumeUni et l’Australie ont annoncé la forma�on d’AUKUS. L’alliance des trois démocra�es mari�mes anglosaxonnes dans un partenariat de défense mutuel à plusieurs niveaux, axé principalement sur l’Indopacifique et, bien que non explicitement déclaré, contre la Chine. L’Australie est la pièce centrale d’AUKUS dans le Pacifique qui doit le plus bénéficier de ce partenariat de défense. Malgré un récent apaisement récent de la rela�on sino-australienne, ’influence chinoise a�eint le pré-carré australien que cons�tue les na�ons insulaires du Pacifique, les îles Kiriba�, Vanuatu, Papouasie, îles Salomon. L’alliance AUKUS se matérialise principalement par des plans d'inves�ssement et d'infrastructure, mais de nombreux experts présument des inten�ons militaires à terme. L’armée étant le garant des intérêts des états, si ses inves�ssements étaient menacés, c’est bien son armée qui viendrait les protéger.

L’atout militaire du Pacifique étant la domina�on mari�me, les sous-marins à propulsion nucléaire en sont un éléments clef. L’Australie ne possède pas d'industrie nucléaire civile, rejeté sur fond d’écologisme par le premier ministre australien en 2008. Par ruissellement, l’Australie a un accès très restreint au domaine du nucléaire militaire. C’est dans ce cadre, qu’AUKUS a lancé un programme visant à accélérer l’acquisi�on par l’Australie de sous-marins à propulsion nucléaire. Ce�e première résolu�on a fait du bruit en France puisque l’Australie a rompu dans le même temps son contrat de 56 milliards d'euros avec Naval Group qui devait lui livrer des sous-marins diesel-électriques.

« Avec AUKUS, les États-Unis affinent leur stratégie, ils accordent maintenant à l’Australie l’accès à des technologies auparavant partagées uniquement avec le Royaume-Uni. » Washington affirme que l'objec�f du plan est de procurer des sous-marins nucléaires d'a�aque (SNA) à l'Australie "le plus tôt possible" ainsi que de fournir la capacité de produire, d'exploiter et d'entretenir sa propre flo�e de SNA afin de "promouvoir un IndoPacifique libre et ouvert". Ces SNA perme�ront aux Etats-Unis de répar�r entre leurs partenaires de l'alliance le fardeau du main�en d'une "présence sousmarine collec�ve" dans l'Indopacifique, qui vise notamment à dissuader une invasion chinoise de Taïwan et restreindre la présence chinoise à la « 1ère barrière d’îles ». AUKUS implique également une coopéra�on technologique plus large, y compris dans les cybercapacités et les missiles hypersoniques ainsi que le partage de renseignements.

Avec AUKUS, les États-Unis affinent leur stratégie, ils accordent maintenant à l’Australie l’accès à des technologies auparavant partagées uniquement avec le Royaume-Uni. La sous-marinade américaine réalisera également de nombreuses visites dans les ports australiens tout au long des prochaines années.

Le choix de l'Australie comme pivot centrale de l’alliance n’est pas anodin, le pays a été partenaire de tous les engagements américains majeurs durant le siècle passé, de la seconde guerre mondiale à la guerre de Corée, en passant par le Vietnam, l’Afghanistan et l’Irak. Les livres blancs de la défense australiennes ont toujours reflété le besoin d'entretenir un corps expédi�onnaire à cet effet, celui de soutenir les étatsunis.

AUKUS signe historiquement l’engagement des Etats-Unis dans le pacifique contemporain, il donne aussi une plus grande clarté à l’idée d’une GrandeBretagne qui aurait renoué avec ses ambi�ons mondiales et engage l’Australie à jouer un rôle proac�f en ma�ère de sécurité dans le Pacifique.

Compte tenu de l’accent ini�al mis sur la technologie de propulsion nucléaire, qui est stratégique et secrète, il est peu probable que l’AUKUS soit le noyau d’un groupe plus large et que d’autres pays s’y joindraient.

C’est en fait une ini�a�ve trilatérale anglo-saxonne qui permet une plus grande collabora�on et une plus grande orienta�on stratégique sans les complexités des grandes coali�ons qui sont souvent vic�mes de priorités et d’intérêts divergents comme l’OTAN qui compte de nombreux membres ou encore le mirage Revue TB N°4 - 57

des grandes coali�ons qui sont souvent vic�mes de priorités et d’intérêts divergents comme l’OTAN qui compte de nombreux membres ou encore le mirage de la Défense Européenne.

Mais AUKUS n’est pas le seul partenariat qui vise à contrebalancer la Chine dans le Pacifique et à servir les desseins américains.

UNE ALLIANCE ANGLO-CENTRÉ La Nouvelle-Zélande est la grande absente de ce partenariat anglo-saxon dans le Pacifique. Cela s’explique par les tensions poli�que avec les EtatsUnis. Le traité ANZUS (Australie, Nouvelle-Zélande et USA) signé en 1951 est depuis tombé en désuétude en raison de changements dans la vision stratégiques de la Nouvelle-Zélande. Le partenariat Five-Eyes centré autour du renseignement existe depuis 1943 et a également été plombé par des tensions entre les deux pays. AUKUS reflète la rela�on tendue entre les deux pays et exclu volontairement la Nouvelle-Zélande de l’équa�on.

« AUKUS est la réponse à cette réticence, elle incarne ce rôle de sécurité des intérêts anglo-saxons dans le Pacifique » AUKUS est donc une ini�a�ve beaucoup plus ciblée et très anglo-centrée. Une réponse à la diminu�on du rôle du QUAD et représente un changement d’orienta�on d’une géopoli�que américaine plus anglo-centrée sur le long terme, pour le moment nul ne le sait. Dans tous les cas, les états-unis auront aussi besoin de perme�re à davantage de puissances régionales de par�ciper à la lu�e face à la Chine.

La plupart des pays de la région sont ré�cents à choisir leur camp, ils craignent une nouvelle forme de guerre froide avec une structure régionale binaire, pour le moment Washington a essayé de les rassurer en disant que ce n’était pas nécessaire, et la Chine très pragma�que dans sa poli�que externe, ne cherche pas non plus à forger son propre bloc d’alliances. AUKUS est la réponse à ce�e ré�cence, elle incarne ce rôle de sécurité des intérêts anglo-saxons dans le Pacifique, il est peu probable que les états-unis chercheront à a�rer dans l’alliance de nouveaux pays asia�ques.

L’orienta�on militaire stratégique claire de ce�e ini�a�ve pourrait conduire à de plus grandes fric�ons entre les États-Unis et la Chine, et donc intensifier les efforts chinois pour forcer les pays à s’éloigner de la coopéra�on avec Washington.

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UNE MONTÉE DES TENSIONS DANS LE PACIFIQUE ?

En créant un partenariat militaire entre trois pays anglo-saxons, la Chine a interprété ce partenariat comme un défi non seulement au rôle régional de la Chine comme puissance, mais aussi comme allant à l’encontre de sa propre idéologie poli�que. Pour le moment la Chine se contente de contrer ces ini�a�ves stratégiques ou de défense avec des ou�ls économiques en contrôlant sa produc�on, ses importa�ons et exporta�ons. Elle développe des partenariats avec les puissances du Pacifique et est retourné, après plusieurs années d’une poli�que étrangères incisive, à une poli�que de séduc�on avec un changement de direc�on au sein de son ministère des affaires étrangères en février 2023.

La Chine ne peut pas non plus se passer du fer australien dont les importa�ons a�eignent des chiffres records, en 2022, 60% de son fer provient de l’Australie et 20% du Brésil. Tant que la Chine n’aura pas trouver de nouveaux fournisseurs, par exemple en Guinée et dans le reste du con�nent africain, elle ne pourra pas contrebalancer ce�e dépendance à l’Australie.

Le rôle d’AUKUS est donc de montrer les muscles et d’apporter une façade militaire à l’alliance anglosaxonne plus concrète que pour le QUAD. Dans les faits, les liens économiques restent encore importants, trop sans doute pour faire craindre réellement une guerre chaude, si ces liens persistent.

Le SNA est un bâ�ment clef pour couvrir l’immensité du Pacifique, sa capacité de parcourir de longues distances rela�vement rapidement tout en restant indétecté est primordial pour les Etats-Unis et ses alliés. C’est un besoin militaire vital pour les intérêts de l’Australie qui en est dépourvue. Mais AUKUS ne devrait pas fournir de SNA a l’Australie avant 2030. Une ques�on en suspens est donc, comment AUKUS pourra-t-il accroître sa présence dans les confins du Pacifique entre-temps ?

Pour le moment, l’alliance semble s’en tenir à un rôle restreint et lointain, la communica�on américaine dans le Pacifique compte encore sur les alliances locales comme le QUAD ou la poli�que d’apaisement avec la Chine qui est ini�ée dans les deux sens. Le sommet du QUAD de 2021 et la pression de l’Inde redéfinissait la stratégie de l’organisa�on pour élargir son champ d'ac�on et y inclure des no�ons économiques ou humanitaire, de développement régional, des ini�a�ves de santé, la lu�e contre le changement clima�que et une coopéra�on mari�me.

Le QUAD pourrait ainsi devenir une forme d’alliance so� pour a�rer les puissances régionales là ou AUKUS, plus anglo-centré aurait les priorités militaires et technologiques.

Revue TB N°4 - 59 Le sous-marin à propulsion nucléaire est la pièce maitresse pour la domina�on du Pacifique ©US NAVY

MILITAIRE

SEMPER FI !

Le corps des United States Marines Par Defense Insider

U.S Marines, Ba�le Color Detachment à Washington D.C. ©USMC

Un des corps d’armée les plus célèbre de la planète, une existence aussi vieille que la na�on qu’il sert et présent dans tous les conflits impliquant les USA depuis leur créa�on. Se basant sur le précepte que chacun de ses membres est un fusilier à part en�ère.

Ce�e ins�tu�on se prépare à un tournant de son histoire face à la menace que l’Amérique appréhende.

Pour ce numéro de la revue Terra Bellum, la nouvelle voie des US Marines.

LE VIRAGE DOCTRINAL Ce�e année, l’état-major de l’USMC a officialisé une nouvelle vision stratégique. Durant les deux dernières décennies, le corps s’est concentré sur la guerre d’infanterie via les déploiements en Afghanistan et en 60 - Revue TB N°4

Irak. Leurs adversaires assimilés à des “terroristes”, au mieux à des “insurgés” n’employaient pas de moyens de haute intensité. La présidence de Barack Obama depuis 2011 et l’annonce de la stratégie du pivot asia�que fut l’évènement ini�ateur du débat capacitaire des différents corps d’armée américain. Le contexte d’un affrontement sino-américain a poussé les marines vers un recentrage vers les capacités expédi�onnaires et le combat li�oral.

Pour preuve, le détachement permanent en Norvège est abandonné simultanément à l’annonce du renforcement de la base à Darwin en Australie. Ce mouvement de reflux d’Europe vers l’Océanie et l’Asie du Sud-est n’en est qu’à son amorçage, ce qui pose des ques�ons de crédibilité des capacités européennes et

françaises de défense mais ceci est un autre débat que nous ne traiterons pas aujourd’hui.

Ce qu’il faut appréhender en observant les dynamiques militaires mondiales avec les yeux d’un officiel américain, c’est bien le main�en de la présence américaine mais en sortant des logiques qui ont mené les grandes interven�ons en début de siècle. En clair ce qu’il va être généralisé c’est le déploiement de pe�ts con�ngents sur les unités de la Navy en mesure de les recevoir mais aussi par la redistribu�on des troupes via le réseau de bases américaines à travers le monde. Le but étant bien sûr de diminuer le temps de réac�on des forces américaines.

Ce�e volonté va se traduire logis�quement par la mise en place du principe de “seabasing” li�éralement “être basé en mer”. Les exemples sont l’affecta�on permanente de l’USS Hershel Woody Williams à la base de Souda Bay. Bâ�ment classé comme une “expedi�onnary sea base”, son sister ship Le Lewis Puller est basé dans le Golfe Arabo persique. L’USS Williams a réalisé un tour complet d’Afrique en 2021 pour marquer l’applica�on de ce�e présence permanente des forces d’interven�on américaines dans les zones de tensions. D’autres bâ�ments plus pe�ts comme les catamarans classe SpearHead servent d’éclaireur en profitant de leur capacité de transit rapide avec un détachement limité.

Si nous appliquons cela au théâtre plus largement indo-pacifique donc fortement orienté vers une confronta�on poten�elle avec des éléments chinois, nous pouvons assimiler cela à la stratégie de la seconde guerre mondiale de sauts de puce d’île en île qui a l’avantage d’imposer un tempo rapide à l’adversaire, une véritable bataille de l’ini�a�ve et de la célérité décisionnelle.

service au nombre de tout de même douze. Enfin, que nous avons précédemment nommé, douze catamarans classe Spearhead.

Passons maintenant aux évolu�ons structurelles qui modifieront la doctrine de combat des marines. Tout d’abord la mesure phare déjà largement média�sée par les médias américains. Les trois bataillons de chars Abrams ainsi que toutes les compagnies de pontonnier sont purement et simplement dissoutes.

C’est donc plus de 400 véhicules qui sont par�s vers les dépôts de l’US Army ou vers des ventes via des procédures FMS. Ensuite sur la structure de l’infanterie, trois des vingt-quatre bataillons sont dissous. Ce�e dispari�on doit être compensée par le passage du groupe de combat de 12 à 15 personnels. Les compagnies d’assaut subissent le même sort en passant de six à quatre. Le blindé à roues LAV-25 est conservé et le nombre de véhicules logis�que est revu à la hausse.

La baisse capacitaire concerne aussi la troisième dimension avec une énième baisse de commande pour votre créa�on favorite : le F-35. Passant de 314 à 260 appareils il ne sera pas seul dans sa chute car trois escadrons d’hélicoptères sont aussi dissous.

Pour finir sur 21 ba�eries d’obusier M-777 seulement 5 survivront. Les pièces tractées étant considérées comme un boulet au pied de la nouvelle doctrine entrainant une perte de mobilité des pe�ts détachements. Ce�e dernière décision nous permet de vous emmener vers le chapitre final de ce�e transforma�on, dresser une par�e du visage d’une expédi�on future.

UN ENGAGEMENT LARGE, DES FORCES CONTRAINTES L’USMC se prépare donc à mener une myriade d’opéra�ons tac�que mais avec un niveau de réflexion et d’engagements matériels qui relève d’une dimension stratégique. Le Pentagone à un nouveau nom pour cela : EABO (Expedi�onnary Advanced Base Opera�ons).

Pour effectuer de telles opéra�ons les marines disposent de l’impressionnante flo�e de transport du Military Seali� Command mais ce qui est cœur de l’ac�on c’est bien les bâ�ments pouvant déployer des forces dans le cadre d’opéra�ons amphibie.

Tout d’abord les deux nouveaux porte-aéronefs d’assaut amphibie de la classe America suivi de sept autres plus anciens de la classe Wasp. De quoi cons�tuer plusieurs escadres suivant les disponibilités de ces navires noyau de leur disposi�f. A cela s’adjoint douze classe San Antonio assimilable à des transport de chalands de débarquement. Ces navires sont la relève de l’ancienne généra�on de TCD américain classe Harpers Ferry et Whidbey Island qui restent en

U.S Marine en OPEX ©USMC

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Simula�on d’un assaut amphibie pendant « Ssand Young 23 » ©USMC

THE FEW, THE PROUD Comme pour tout concept l’imagina�on fait par�e de l’essence de sa genèse, appliqué professionnellement cela devient de la prospec�ve.

Alors projetons-nous.

Phase 1 Nous sommes en 2030, quelque part en zone indopacifique à une dizaine de mille nau�que d’une île menacée d’invasion par une na�on en expansion de la région. Pour contrer ce débarquement, une opéra�on amphibie est montée en moins de 48 heures.

Certaines des trente unités du programme LAW (light amphibious warship) dispersées entre l’Afrique et Hawaï ont rallié en urgence la zone d’opéra�ons. A bord de chacune, 75 marines avec leurs véhicules et des éléments de génie pour établir les premières posi�ons. Leur mission n’est qu’une avant-garde, la mise en place des porteurs de ba�erie HIMARS (high mobility ar�llery rocket system). Les dernières informa�ons du drone envoyé depuis une Arleigh Burke flight III annonce l’arrivée des navires ennemis le lendemain. Les HIMARS sont maintenant dotés de missiles an�-navires d’une portée de 500 kilomètres, �rer en nombre suffisant et s’appuyant sur leur vélocité les marines espère me�re hors combat une par�e des forces adverses. Ils calculent mentalement, “91 secondes pour 85 kilomètres au dernier entraînement, cela nous laisse 7 minutes trente pour se redéployer vers une autre posi�on de �r”.

Phase 2 Quelques jours au pas de course depuis Yokosuka, Diego Garcia ou Darwin ont permis d’amener un régiment d’ac�on li�orale et ses 2000 premiers 62 - Revue TB N°4

marines. Les Li�oral combat team (LCT) se dirige vers les plages. L’USS Tripoli de classe America déploie son groupe aérien modèle 2025, soit 6 F-35 équipés de JSM (joint strike missile), 4 AH-1Z Viper, 12 MV-22B Osprey, 4 CH-53K King Stallion et 4 UH-1Y Venom.

Dans le ciel, les traînés des premiers Tomahawk �ré par le PACSAG (Pacific surface ac�on group) de trois Arleigh Burke zèbre l’azur. Quelques vieux Hornet ont lancé la veille une salve de AGM-84D Harpoon dans l’espoir d’augmenter l’a�ri�on de l’adversaire. Les premières pertes américaines ont été aussi annoncés, c’est la rapidité décisionnelle qui prime dans ce�e dynamique de saut de puce, une fois lancé impossible de se retrancher. Se mouvoir sans cesse grâce au Li�oral Logis�c Ba�alion et tenir jusqu’à l’arrivée de plus de forces.

Phase 3 Deux carriers strike group sont à pied d’œuvre pour contenir les mouvements navals adverses, les sousmarins des deux camps sont en embuscade. Une destruc�on mutuelle conven�onnelle garan�e... A ce stade-là, la poli�que doit prendre le pas sinon les simula�ons de combat de haute intensité vont trouver leur raison d’être.

CONCLUSION Ce scénario décrit une vision très limitée auquel vous devez ajouter des facteurs que vous soupçonnez bien : cybera�aques majeures, guerre des mines, u�lisa�on d’engins balis�ques hypersoniques, condi�ons météo exécrables lors de la saison des cyclones, niveau d’entraînement de chaque unité au moment de l’escalade, cadre juridique de l’interven�on, etc. Des

dizaines d’autres éléments découlant des premiers s’imbriquant pour former un contexte.

Voilà pourquoi l’évolu�on de l’USMC est un sujet déchaînant les débats outre-Atlan�que. Ils seront les premiers au contact, ils devront s’emparer de l’ini�a�ve, à plusieurs milliers de kilomètres du territoire américain et poten�ellement sans sou�en extérieur.

Les Jarheads seront encore une fois la digue des USA sur toutes les côtes du globe. Les premiers hommes pour l’ouverture d’un affrontement dont l’esprit moyen voie déjà l’inéluctabilité.

SEMPER FI !!

Recrues en forma�on, au Marine Corps Air Ground Combat Center, Californie ©USMC

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GÉOPOLITIQUE

USA & Taiwan L’inévitable rapprochement Par Nicolas MÜLLER - Terra Bellum

Nancy Pelosi (Démocrate) & Tsai Ing-wen (Président de Taiwan)©Office of the President/Ge�y images

Alors que la réponse de la Chine à une rencontre entre des responsables américains et taïwanais de haut rang a été rela�vement modeste, la trajectoire des rela�ons sino-américaines et sino-taïwanaises reste l’escalade. Cela perpétuera le risque d'incidents à travers le détroit, cons�tuera une menace omniprésente de coerci�on militaire chinoise contre Taïwan et augmentera les contraintes sur les rela�ons commerciales américano-chinoises. Le 5 avril, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a rencontré le président de la Chambre des États-Unis, Kevin McCarthy, à la bibliothèque Ronald Reagan de la ville californienne de Simi Valley, marquant la première fois qu'un président taïwanais en exercice rencontre le chef de la Chambre des représentants des États-Unis le Sol américain depuis 1979. Tsai et McCarthy ont été 64 - Revue TB N°4

rejoints par 17 autres législateurs américains, dont 10 membres du House Select Commi�ee sur le Par� communiste chinois. Dans une déclara�on conjointe publiée après la réunion, McCarthy a réitéré la nécessité pour les États-Unis de livrer les armes vendues à Taïwan "en temps voulu" et de renforcer la coopéra�on commerciale et technologique, tandis que Tsai a fait l'éloge du partenariat américain. Les deux par�es ont également souligné la nécessité de préserver la liberté et la démocra�e des menaces extérieures, bien qu'aucun des deux dirigeants n'ait explicitement nommé la Chine. En réponse à la réunion McCarthy, la Chine a mené des ac�vités militaires limitées autour de Taïwan, notamment une patrouille dans le détroit de Taïwan et un voyage naval à l'est de Taïwan.

Le récent voyage de Tsai en Californie était poten�ellement la visite la plus média�sée d'un président taïwanais aux États-Unis depuis que le président de l'île, Lee Teng-hui, a prononcé un discours d'ouverture à l'Université Cornell en 1995, qui a déclenché la troisième crise du détroit de Taiwan. Ce n'était également que la troisième fois qu'un président taïwanais s'asseyait avec un président de la Chambre des États-Unis (quel que soit le lieu), la deuxième étant la rencontre de Tsai avec le prédécesseur de McCarthy, Nancy Pelosi, à Taipei il y a à peine huit mois.

Le 6 avril, l'Administra�on de la sécurité mari�me (MSA) de la province chinoise du Fujian (qui se trouve juste en face du détroit de Taïwan) a annoncé sur sa page WeChat qu'elle procéderait à des ''inspec�ons sur place'' des cargos et des navires de construc�on lors des patrouilles. des par�es centrale et nord du détroit de Taiwan, avec le plus gros navire de la MSA, le Haixun 06, à la tête des opéra�ons. L'armée taïwanaise suit le Haixun 06 et a conseillé aux navires dans le détroit d'ignorer toute demande de la Chine d'embarquer sur leurs navires et d'informer les gardecôtes taïwanais s'ils reçoivent de telles demandes.

Le 5 avril, la Chine a fait naviguer son porte-avions Shandong à 200 milles à l'est de la pointe sud de Taïwan, accompagnée d'une frégate et d'un navire de sou�en. Le porte-avions USS Nimitz est également dans la région, naviguant à 400 milles à l'est de Taïwan selon le ministre de la Défense de l'île, bien que l'armée américaine n'ait pas encore associé sa présence à celle du Shandong.

Il y a eu peu de mises à jour des autorités taïwanaises ou chinoises suite à l'engagement du 2 avril du

Commandement du théâtre oriental de l'Armée populaire de libéra�on (PLA ETC) d'organiser des exercices de �r réel dans la mer de Chine orientale, qui impliquaient deux destroyers et une frégate.

La réponse militaire de la Chine au Tsai-McCarthy a été modeste en raison d'une combinaison de calculs poli�ques, diploma�ques et économiques. En réponse à la réunion Pelosi-Tsai d'août 2022, Pékin s'est engagé à mener des exercices militaires à �r réel dès l'arrivée de Pelosi à Taipei, puis a rempli cet engagement après son départ, marquant les plus grands exercices à �r réel autour de Taïwan depuis près de 30 ans. Avant l'arrivée de Pelosi à Taïwan, Pékin avait également communiqué par des voies de communica�on à Washington qu'il pourrait imposer une zone d'exclusion aérienne autour de Taïwan pour arrêter la visite, bien que cela ne se soit pas produit. Jusqu'à présent, la réponse de la Chine à la réunion de McCarthy a été beaucoup plus modérée, Pékin n'ayant fait aucune promesse explicite d'ac�on militaire, bien que les menaces génériques concernant les "conséquences graves" aient abondé. Ce�e réponse plus discrète est probablement le résultat de plusieurs considéra�ons de la part de la Chine, notamment : La menace symbolique réduite posée à la souveraineté chinoise. Pékin considère qu'un haut responsable étranger en visite à Taïwan (comme Pelosi l'a fait au cours de l'été) comme un affront beaucoup plus grand à la souveraineté de la Chine - et donc plus digne d'une plus grande réponse - par rapport au président taïwanais voyageant à l'étranger pour rencontrer un tel responsable (comme Tsai a récemment fait pour s'asseoir avec McCarthy). C'est

Porte-avions CNS Shandong (CV-17), le nouvel étandard chinois dans le Pacifique ©Chinamil.com

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aussi pourquoi il est plus courant que les gouvernements étrangers accueillent des déléga�ons taïwanaises, ce qui est moins suscep�ble de déclencher des représailles chinoises que l'inverse.

Tsai, par exemple, a visité les États-Unis sept fois (y compris le dernier voyage en Californie) depuis sa prise de fonc�on en 2016.

Un risque de tendre les rela�ons Chine-UE En outre, la réunion McCarthy-Tsai a coïncidé avec les visites en Chine du président français Emmanuel Macron et de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Pékin mène une campagne pour réparer ses rela�ons diploma�ques avec l'Europe depuis au moins six mois afin d'empêcher le camp de confinement américain de gagner des par�cipants, et une riposte militaire agressive contre Taïwan lors des visites des dirigeants français et européens aurait risqué de salir ces efforts.

Cependant, cela augmente également le poten�el de la Chine à apporter une réponse plus forte dans les prochains jours maintenant que Macron et von der Leyen sont par�s.

Le poten�el de réac�on poli�que à Taiwan Une réac�on militaire agressive à la rencontre McCarthy-Tsai menacerait également les intérêts poli�ques de la Chine à Taïwan en prolongeant poten�ellement le règne du Par� progressiste démocrate (DPP) plus scep�que vis-à-vis de la Chine.

Taïwan organisera des élec�ons présiden�elles et législa�ves en janvier 2024, où Pékin espère une victoire du par� d'opposi�on (et compara�vement plus favorable à la Chine) du Kuomintang. Mais toute ac�on qui renforce la percep�on de la menace de l'électorat taïwanais à l'égard de la Chine avant ce�e date pourrait influencer le vote en faveur du DPP - un phénomène dont la Chine a déjà été témoin de première main, avec sa répression brutale contre les manifestants de Hong Kong en 2019, largement considérée comme ayant contribué à la réélec�on de Tsai en janvier 2020.

Malgré la prudence de Pékin concernant la rencontre Tsai-McCarthy, les stratégies de la Chine et des ÉtatsUnis envers Taïwan resteront de nature escalade, présentant de fréquentes crises poli�ques dans les rela�ons inter-détroit, des risques d'incidents mari�mes et des obstacles à l'améliora�on des rela�ons économiques américano-chinoises. dans un avenir prévisible. Depuis l'arrivée au pouvoir de Tsai en 2016, la stratégie de la Chine envers Taïwan a progressivement évolué de la coerci�on économique à la coerci�on militaire. Les États-Unis, pour leur part, ont également tenté de changer le statu quo en poursuivant des rela�ons diploma�ques non officielles avec Taiwan. Ensemble, leurs ac�ons conduiront à l'évolu�on de la sécurité dans l'Indo-Pacifique et des rela�ons économiques sino-américaines dans les années à venir. La dernière campagne d'inspec�on de la Chine contre les navires commerciaux transitant par le détroit de Taiwan - combinée aux incursions 66 - Revue TB N°4

aériennes de l'armée chinoise à travers la ligne médiane du détroit (qui pendant des décennies a servi de fron�ère mari�me de facto séparant les eaux taïwanaises et chinoises) - augmente le risque d'une collision et affrontements militaires ultérieurs. De tels incidents pourraient provoquer des crises poli�ques, chaque par�e exigeant une myriade de formes de répara�on, mais il est peu probable qu'ils dégénèrent en un conflit militaire plus important étant donné l'hésita�on de Taïwan et de la Chine à invoquer inu�lement les coûts économiques et humains élevés de la guerre. Des réunions de haut niveau entre des responsables américains et taïwanais présenteront régulièrement des obstacles aux rela�ons économiques américano-chinoises, chaque visite approfondissant la méfiance mutuelle dans les rela�ons sino-américaines dans les mois précédant et suivant l'événement, tout en renforçant la percep�on à long terme que les ques�ons non économiques ne peuvent être traitées séparément de la rela�on plus large entre les États-Unis et la Chine. La coerci�on militaire de Pékin sur Taïwan renforcera également la percep�on de la menace de l'Europe vis-à-vis de la Chine, en par�culier en ce qui concerne la paix dans l'Indo-Pacifique et la stabilité de la chaîne d'approvisionnement pour les biens cri�ques tels que les puces semi-conductrices de classe mondiale de Taïwan. Cela augmentera la probabilité de toujours plus de restric�ons commerciales européennes à

l'encontre de la Chine, similaires à la récente interdic�on d'exporta�on imposée par les Pays-Bas sur les équipements de fabrica�on de semi-conducteurs avancés. Mais de nouveaux accords commerciaux entre la Chine et les pays européens, comme les accords récemment signés par le président français Macron sur l'aérospa�ale et l'énergie nucléaire à Pékin, seront toujours possibles. Et les rela�ons de la Chine avec l'Union européenne, en par�culier, resteront probablement profondément nuancées et parfois contradictoires, car le bloc se compose de 27 États membres et de mul�ples ins�tu�ons suprana�onales ayant des stratégies et des intérêts différents concernant Pékin.

La stratégie de la Chine envers Taiwan depuis l'élec�on de Tsai en 2016 a été d'exercer la coerci�on pour obtenir des concessions poli�ques à Taipei. De 2016 à 2019, Pékin a déployé des ou�ls économiques, tels que des restric�ons à l'importa�on et des barrières non tarifaires, contre des secteurs poli�quement liés de l'économie taïwanaise (par exemple l'agriculture), dans le but d'éroder le sou�en électoral de Tsai et du DPP. Mais depuis la réélec�on de Tsai en janvier 2020, Pékin est passé à une stratégie de coerci�on militaire – qui a inclus des incursions aériennes croissantes dans la zone d'iden�fica�on de la défense aérienne de Taïwan, davantage de déploiements navals au large des côtes sud-est et nord-est de Taïwan et les exercices de �r réel en août.

2022. De telles ac�ons visent à démontrer la volonté de la Chine de défendre militairement ses vues sur la souveraineté sur Taïwan dans l'espoir de convaincre Taipei et les capitales occidentales que soutenir la souveraineté taïwanaise ne vaut pas la peine de risquer une guerre avec la Chine.

Les États-Unis, quant à eux, ont lentement tenté de changer le statu quo dans leurs rela�ons avec Taiwan au cours des deux dernières années. Entre octobre 2021 et septembre 2022, le président américain Joe Biden a affirmé au moins trois fois que les États-Unis défendraient Taïwan en cas d'invasion chinoise – une posi�on non étayée par des documents qui codifient les liens non officiels de Washington avec Taipei, comme le 1979 Loi sur les rela�ons avec Taiwan. Et les récentes rencontres de McCarthy et de son prédécesseur Pelosi avec Tsai montrent que, dans l'environnement poli�que américain actuel d'opposi�on bipar�te à la Chine, les dirigeants de courte durée de la Chambre des représentants se contentent d'u�liser les visites diploma�ques pour obtenir un sou�en électoral, malgré les réserves de la Maison Blanche sur la nature progressive de ces visites.

Alors que la Chine pourrait temporairement assouplir sa posi�on sur Taïwan si le KMT remporte la présidence, Pékin con�nuera de s'impa�enter face à l'absence de progrès dans la réunifica�on inter-détroit et pourrait encore recourir à la coerci�on militaire. Le recours con�nu de la Chine à la coerci�on militaire sou�endra la domina�on du DPP dans la poli�que taïwanaise, quel que soit le résultat des élec�ons de 2024. Cela rend peu probables les perspec�ves d'améliora�on des rela�ons inter-détroit, d'autant plus que la posi�on du président chinois Xi Jinping sur la ques�on devient de plus en plus intolérante. Si le KMT remporte les élec�ons, les représentants américains pourraient devoir se contenter d'un rythme plus lent des réunions américano-taïwanaises, et la Chine pourrait temporairement assouplir sa stratégie militaire coerci�ve contre Taïwan. Mais même dans ce cas, le KMT devrait trouver un équilibre entre l'améliora�on des rela�ons commerciales avec Pékin et la représenta�on des opinions de citoyens taïwanais de plus en plus soucieux de leur souveraineté. Ainsi, une présidence du KMT pourrait ressembler davantage au second mandat de l'ancien président Ma Yingjeou ( 2012-2016), au cours duquel les rela�ons inter-détroit ont été en proie à des impasses poli�ques et Pékin s'est de plus en plus impa�enté devant l'absence de progrès en ma�ère de réunifica�on pacifique. avec Taïwan. Étant donné la volonté accrue de Pékin d'u�liser la coerci�on militaire depuis 2020, une telle impasse pourrait éventuellement voir Pékin u�liser à nouveau l'armée contre un KMT non engagé, même si cela se produirait dans un délai moins accéléré que si le DPP restait au pouvoir.

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ÉCONOMIE

Faillite de SVB Vers un assouplissement monétaire ?

Par Yannick MEYER - Terra Bellum

Silicon Valley Bank, nouvelle icone d’un système à bout de souffle ©Ge�y images

L'interven�on gouvernementale aux États-Unis et en Suisse a contribué à limiter le risque d'une crise bancaire systémique imminente, mais le sen�ment des inves�sseurs reste fragile et les risques du secteur financier subsistent, ce qui obligera probablement les banques centrales à assouplir, voire dans certains cas à inverser, les poli�ques monétaires de resserrement.

Au cours des trois dernières semaines, les autorités américaines et suisses sont intervenues dans leurs systèmes bancaires respec�fs avec suffisamment de force et de rapidité pour prévenir le risque immédiat d'instabilité financière systémique. Aux États-Unis, la Federal Deposit Insurance Corpora�on (FDIC) a repris les 12 et 20 mars deux banques de taille moyenne, Silicon Valley Bank (SVB) et Signature Bank, et a garan� l'ensemble de leurs dépôts. La Réserve fédérale 68 - Revue TB N°4

américaine a également mis en place un nouveau programme de prêt qui offre aux banques à liquidité limitée un accès plus favorable au financement.

Pendant ce temps, en Suisse, les autorités ont organisé le 19 mars le rachat par UBS du Credit Suisse, une ins�tu�on financière mondiale d'importance systémique qui faisait face à un effondrement imminent en raison d'une perte de confiance. Pour conclure l'accord, les autorités suisses ont offert des incita�ons financières à UBS et ont anéan� de manière ina�endue toute une classe de détenteurs d'obliga�ons – soulignant à quel point elles tenaient à empêcher le Credit Suisse de sombrer de peur de déclencher une crise financière suisse (et peut-être mondiale)...

Les autorités américaines ont invoqué une soi-disant excep�on de risque systémique pour garan�r tous les dépôts auprès de SVB et de Signature Bank, y compris les dépôts non assurés dépassant le plafond d'assurance de 250 000 $ de la FDIC (qui représentait l'essen�el du financement des dépôts des deux banques). Le nouveau programme de prêt mis en place par la Fed permet aux banques d'emprunter sur la valeur nominale des garan�es éligibles plutôt que d'exiger des décotes sur la valeur de la garan�e.

La fusion UBS-Credit Suisse a imposé des pertes de 16 milliards de francs suisses (environ 17 milliards de dollars) à certains détenteurs du capital de niveau 1 du Credit Suisse. Dans le cadre de la fusion, les autorités suisses ont également fourni 108 milliards de dollars de financement à UBS et une garan�e de perte de 9,7 milliards de dollars, qui n'entrera en vigueur qu'après qu'UBS aura absorbé les premiers 5,4 milliards de dollars de pertes.

Dans le contexte d'un resserrement monétaire mondial important, la mauvaise ges�on des risques de SVB et de Signature Bank, la faible rentabilité et les pertes financières du Credit Suisse ont conduit à l'effondrement de la confiance des inves�sseurs dans les trois cas. Chez SVB et Signature Bank, une grande par�e des dépôts non assurés et poten�ellement instables a été inves�e dans des obliga�ons à long terme et à taux fixe. Les hausses de taux d'intérêt de la Fed ont augmenté les coûts de financement des banques et, face à l'accéléra�on des sor�es de dépôts, les ont forcées à vendre leurs ac�fs à long terme à des valeurs dépréciées. Cela a entraîné des pertes importantes et, finalement, une ruée sur les dépôts de SVB et de Signature Bank. Bien que les ac�fs de SVB aient été très bien notés ( c'est-à -dire qu'ils avaient un risque de crédit très faible), les pertes de valeur de marché imposées aux deux banques de taille moyenne par les sor�es de dépôts ont conduit à leur faillite. En Suisse, le Credit Suisse avait subi plusieurs scandales financiers et des années de faible rentabilité et de pertes financières, une accéléra�on des sor�es et la perte du sou�en du principal inves�sseur stratégique.

En ce sens, les facteurs d'instabilité des secteurs bancaires américain et suisse diffèrent. Aux États-Unis, l'effondrement des banques de taille moyenne et la possibilité d'une ruée plus large sur les dépôts bancaires ont contraint les autorités à intervenir. En Suisse, c'est l'effondrement imminent d'une ins�tu�on financière d'importance systémique mondiale qui a forcé les autorités à intervenir non seulement pour éviter un effondrement, mais aussi pour trouver un acheteur pour le Credit Suisse. A en juger par le cours de l'ac�on UBS après l'annonce de la fusion, les marchés semblent convaincus que le sauvetage du Credit Suisse a résolu les risques immédiats d'instabilité financière. Certaines par�es du système bancaire américain restent cependant sous pression suite à l'effondrement de SVB et de Signature Bank.

Le cours de l'ac�on UBS est passé de 18,2 dollars le 17 mars (juste avant l'annonce de la fusion UBS) à 21,1 dollars le 20 mars (le lendemain de l'annonce de l'accord ), et est depuis tombé à 20,1 dollars le 29 mars.

Aux États-Unis, les pe�tes et moyennes banques ayant une structure de bilan similaire à SVB restent les plus exposées au risque d'instabilité financière. La First Republic Bank, basée en Californie, reste sous pression, le cours de son ac�on ayant chuté de près de 90 % depuis début mars, malgré la fourniture de 30 milliards de dollars de dépôts par les grandes banques américaines.

Selon le Financial Times, les fonds du marché monétaire américain ont enregistré 286 milliards de dollars d'entrées depuis début mars, tandis que les pe�tes et moyennes banques américaines ont subi d'importantes sor�es. Les sor�es des pe�tes et moyennes banques se sont élevées à 100 milliards de dollars du 8 au 15 mars seulement, selon la Réserve fédérale, tandis que les grandes banques américaines ont en fait enregistré un afflux de dépôts.

Le risque d'une ruée vers les dépôts sur les grandes banques américaines d'importance systémique reste faible, mais les contraintes sur des interven�ons gouvernementales plus agressives et de nouvelles faillites de banques de taille moyenne pourraient s'avérer déstabilisantes si elles conduisent à une ruée

Le géant suisse dans la tourmente ©Keystone / Urs Flueeler

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plus large sur les banques de deuxième et troisième rangs. Pour éviter les paniques bancaires autoréalisatrices, les autorités américaines con�nueront d'intervenir de manière préven�ve pour empêcher l'effondrement incontrôlé des ins�tu�ons financières.

Le gouvernement américain voudra faire tout ce qu'il faut pour empêcher une crise bancaire systémique, notamment parce qu'une telle crise pourrait faire des ravages dans d'autres par�es du système financier américain (y compris le très important marché du Trésor), ce qui se répercuterait sur l'ensemble du système économique et financier. Cependant, les régulateurs financiers américains doivent soigneusement équilibrer leurs paroles et leurs ac�ons pour rassurer les marchés sur le fait que la crise reste sous contrôle, sans aller jusqu'à fournir une garan�e globale risquée. Le Trésor américain et même la Fed sont confrontés à des contraintes juridiques, stratégiques, poli�ques et budgétaires quant à la mesure dans laquelle ils peuvent fournir des garan�es pour une ac�on plus énergique. Brûlées par le contrecoup poli�que qui a suivi la crise bancaire de 2008-2009, les autorités répugnent à être perçues comme u�lisant l'argent des contribuables pour renflouer les banques. Et, en fonc�on des mesures de sauvetage nécessaires pour prévenir l'instabilité systémique, la Fed et le Trésor peuvent parfois exiger des législateurs du Congrès qu'ils autorisent une interven�on, en fonc�on de son ampleur, du budget supplémentaire nécessaire.

Dans le sillage de l'effondrement de la SVB, aucune grande banque américaine n'a jusqu'à présent subi de pression financière significa�ve reflétée dans ses coûts de financement ou le cours de ses ac�ons. En fait, les banques américaines d'importance systémique (telles que JPMorgan, Chase et Bank of America) ont enregistré des afflux de dépôts depuis début mars. Ces banques d'importance systémique représentent environ les deux �ers des ac�fs du secteur bancaire américain. La fragilité financière est concentrée dans le �ers restant, à savoir dans les pe�tes et surtout moyennes banques (comme SVB).

Le système financier américain (et, à son tour, mondial) dépend de manière cri�que du bon fonc�onnement du marché du Trésor américain, qui vaut 22 000 milliards de dollars. À mesure que l'instabilité du secteur bancaire s'est accrue, les échanges ont fortement augmenté. Bien qu'il y ait eu quelques problèmes, le marché a con�nué à mieux fonc�onner que lors de l'instabilité induite par le COVID en mars 2020, car de nombreux pays se sont bloqués.

Fin 2022, la FDIC disposait de suffisamment de fonds pour couvrir 1,3 % (ou 130 milliards de dollars) des dépôts assurés, qui représentaient à l'époque 43 % de tous les dépôts du système bancaire américain. La FDIC a vendu une grande par�e de SVB et de Signature Bank à First Ci�zens et à la New York Community Bank, et s'a�end à subir des pertes de 20 milliards de dollars et 70 - Revue TB N°4

Le Federal Depo

2,5 milliards de dollars, respec�vement, en conséquence. La perte associée au sauvetage de la SVB est la plus importante de l'histoire de la FDIC. L'extension de l'assurance-dépôts à tous les dépôts nécessiterait une ac�on du Congrès. Mais les autorités américaines peuvent étendre la garan�e aux dépôts non assurés en invoquant une excep�on pour risque systémique, comme elles l'ont fait à la suite de la récente faillite de SVB et de Signature Bank.

Les inquiétudes persistantes concernant l'instabilité du secteur bancaire pèseront sur les prêts bancaires, les perspec�ves économiques et le resserrement monétaire de la banque centrale, ce qui pourrait conduire la Réserve fédérale à réduire les taux d'intérêt avant la fin de l'année compte tenu du ralen�ssement de la croissance et des inquiétudes concernant la fragilité du secteur bancaire. Pour l'instant, le secteur bancaire européen apparemment plus solide donne à la Banque centrale européenne une plus grande marge de manœuvre pour resserrer sa poli�que monétaire, même si elle a signalé qu'elle garderait un œil sur la stabilité financière avant de décider des taux d'intérêt le 4 mai. L'instabilité du secteur bancaire aura une incidence néga�ve sur le crédit et pourrait peser sur la confiance des consommateurs, réduire la demande, la croissance économique et les pressions infla�onnistes. Les 20 à 25 plus grandes banques, qui subissent beaucoup moins de pression financière que les pe�tes banques,

divergents des économistes et des marchés indiquent une incer�tude accrue.

Dans son dernier résumé des projec�ons économiques, la Réserve fédérale a abaissé sa prévision de croissance du PIB réel ce�e année à 0,4 %. La Commission européenne prévoit une croissance de la zone euro de 0,9 % ce�e année. Récession ou pas, les risques pesant sur la croissance économique sont pondérés à la baisse pendant le reste de 2023.

osit Insurance Corpora�on, actuel pillier de la stabilité bancaire américaine

représentent les deux �ers de l'ensemble du crédit bancaire. Mais les pe�tes et moyennes banques sont les principaux fournisseurs de crédit aux économies locales, et en par�culier aux pe�tes et moyennes entreprises ainsi qu'aux ménages, y compris les prêts hypothécaires commerciaux. La Réserve fédérale a revu à la baisse ses prévisions de croissance économique et les sondages des principaux économistes indiquent une récession aux États-Unis plus tard ce�e année, indiquant la possibilité que la Fed puisse baisser les taux d'intérêt avant la fin de 2023.

Au 27 mars, les marchés financiers indiquent que les taux directeurs des banques centrales aux États-Unis et en Europe ont a�eint un sommet. Dans le cas de la Réserve fédérale, les marchés s'a�endent même à des baisses de taux avant la fin de l'année. Même les marchés à terme américains a�achent une probabilité des deux �ers que la Fed n'augmentera pas les taux lors de sa prochaine réunion le 3 mai.

Selon un sondage d'éminents économistes universitaires, l'Ini�a�ve sur les marchés mondiaux de la Booth School of Business de l'Université de Chicago, menée du 15 au 17 mars, 49 % des économistes interrogés s'a�endent à ce que le taux des fonds fédéraux a�eigne 5,5 à 6,0 % de 4,5 à 4,75. %. Tout aussi important, 70% ne s'a�endent plus à ce que la Fed réduise ses taux avant 2024. Les points de vue très

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