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Chapitre 5 : Confinement
from "Une cuisine à soi" : Quand le discours architectural se confronte aux codes de représentation.
by Salila Sihou
À la fin du XIXème siècle, pendant que l’idée d’appliquer le taylorisme aux tâches ménagères montait en puissance aux États-Unis, des sortes de « contre-projet » émergeaient parallèlement. Dans un article publié en 1978, Dolores Hayden retrace l’histoire de ces projets communautaires socialistes en mettant en évidence la façon dont certaines féministes ont contribué à leurs fondements [222]. Malgré les différences de gestion, de disposition et d’échelle, l’approche qui revenait dans la majorité de ces propositions était l’élimination de la cuisine dans le foyer : les kitchenless houses. Si vers 1850 des dispositifs coopératifs étaient déjà mis en place dans quelques villes et banlieues occidentales, les plans de villes entièrement organisées selon ces préceptes ont pris un sens déterminant le siècle d’après, lors des mouvements sociaux des années 70. Peu développés, voire non réalisés, ces projets ont été considérés comme des utopies socialistes et féministes, reflétant les prémisses du féminisme matérialiste.
Entre temps, c’est le fameux Pavillon de banlieue du travailleur blanc qui s’était établi depuis l’entre-deux guerres comme le modèle majoritaire des familles de classes moyennes vivant en banlieue américaine (Cf. infra chapitre 2). Néanmoins, dès les années 1950, face à un contexte américain socialement conservateur et un climat géopolitique marqué par la menace nucléaire, ce modèle avait été ouvertement remis en question dans le débat féministe, mais aussi, parallèlement, à travers les pages d’un magazine expressément « masculin » fondé par Hugh Hefner : le magazine Playboy. À nouveau, l’idée de concevoir une habitation sans cuisine a été introduite par une vision utopique ; en revanche, tel que le philosophe Paul Preciado l’a théorisé dans un ouvrage [223], il s’agissait d’une utopie érotique de masse. Déterminante dans l’imaginaire architectural occidental de la deuxième moitié du XXème siècle, il la qualifie plus précisément de Pornotopie [224].
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Dans une publication de septembre 1956, Hefner introduit ce qu’il nomme la kitchenless kitchen : une « cuisine sans cuisine » créée spécialement pour son penthouse.
« “Mais où se trouvent les choses ?”, vous demanderez-vous peut-être. Tout est à sa place, comme vous pourrez le voir, mais soigneusement rangé et conçu pour obtenir la meilleure efficacité avec un minimum d’agitation et d’effort de la hausfrau. Souvenez-vous que nous sommes dans la cuisine d’un célibataire, et à moins que vous ne soyez du genre bizarre, vous aimez cuisiner de bons petits plats avec la même intensité que vous détestez faire la vaisselle, les courses et ranger. ».
Hefner désigne une incompatibilité entre ces tâches et la masculinité ; laissant supposer qu’à moins d’être un homme non hétérosexuel – « du genre bizarre » –, aucun homme n’est censé aimer effectuer des tâches aliénantes. C’est pourquoi, en admettant que c’est la cuisine traditionnelle qui impliquerait cette aliénation, il aurait choisi de la techniciser à son maximum afin de redéfinir l’acte de cuisiner en un acte de loisir. En réalité, la cuisine traditionnelle contre laquelle il s’insurge n’est autre qu’un modèle de cuisine moderne, c’est à dire, une pièce optimisée et rationnelle : la « pièce de travail » de l’habitat selon le Neufert [225]. Alors que ces notions étaient justement brandies par le discours Moderne en tant que moyen de contribuer à l’émancipation féminine, on peut constater dans la première partie de ce mémoire que les modèles de cuisine moderne introduits dans les années 1920 sont finalement devenus l’incarnation du stéréotype du « rôle féminin ». Ils n’auraient donc pas leur place dans la Pornotopie de Hefner : pour lui, intégrer une cuisine c’était malheureusement intégrer la hausfrau comprise dans le modèle.
Proposées avant et après la normalisation des cuisines modernes, ces différentes approches utopiques tentent toutes deux de concevoir des habitations où l’on ne cuisine pas. Toutefois, pour les féministes du début du siècle, il s’agissait d’affranchir les femmes de leur rôle de « femme d’intérieur » ; tandis que pour Hefner, dans les années 1950, il s’agissait de devenir un « homme d’intérieur » sans ébranler sa masculinité. En considérant que l’acte de cuisiner au sein du foyer est passé d’un enjeu féministe à un enjeu masculiniste, ce passage témoignerait de l’expansion de l’Architecture Moderne dans le monde occidental le long du XXème siècle. La kitchenless kitchen de Hefner n’est-elle pas, en réalité, un manifeste de modernité ?

« Playboy’s Penthouse Apartment », Playboy, Modern Living, 3, n o . 9 septembre 1956, p. 58‐59.
Cuisines coopératives, cuisines technicisées : méthodes de déconfinement
En 1887, Edward Bellamy dépeignait dans son utopie Looking Backward une ville composée d'appartements sans cuisines et de cuisines gérées collectivement en l'an 2000 [226]. De par la notoriété qu’il a connu, son roman aurait, dans une certaine mesure, popularisé l’idée d’habitations sans cuisine par le biais de l’utopie. D’après Dolores Hayden, son récit résultait, en réalité, d’une continuité de mouvements réformistes qui s’étendaient dans le monde occidental depuis 1850, auxquels certaines femmes participaient activement. Bien que les modes de vie alternatifs projetés ne reposaient pas entièrement sur des revendications féministes, leur stratégie visant à modifier des concepts traditionnels de pouvoir et de propriété dans le ménage privé offraient un potentiel d’émancipation pour les femmes. En France, dès 1859, le Familistère de Guise conçu par Jean-Baptiste Godin s’articulait en plusieurs bâtiments, des garderies et une cantine pour quelques 350 ouvriers de fonderie et leurs familles. Fondé sur les principes du fouriérisme [227], ce modèle reconnu internationalement s’est facilement exporté aux États-Unis, où quelques installations coopératives commençaient à émerger dans les villes et les banlieues. Inspirée par ce modèle, et après avoir vécu une année à Guise, Marie Stevens Howland publiait en 1874 un roman décrivant la création d’un Palais Social basé sur des préceptes fouriéristes radicaux [228]. Dans la même année, elle fut engagée pour concevoir un projet de colonie coopérative à Topolobampo, au Mexique. La tradition fouriériste n'insistant pas sur l'abolition immédiate des classes sociales, dans les plans de Howland, l’accès et la diversité des équipements différaient selon trois types de logement : les hôtels résidentiels et les blocs de maisons en rangée offraient l’accès à de grandes salles publiques – le salon, la bibliothèque, la cuisine, la salle à manger et la buanderie – ; tandis que les cottages indépendants partageaient l'accès à une cuisine coopérative, une buanderie et une boulangerie, et possédaient chacun des dortoirs pour les domestiques [229].
Si les dispositifs coopératifs de Howland ne semblaient pas impliquer de détermination genrée des tâches, certaines sources affirment qu'après réalisation du projet, ce sont bien les femmes qui se retrouvaient quand même à cuisiner pour la communauté [230]. Pour autant, en passant d’un établissement tel que le familistère à une ville, les plans de Howland ont indéniablement marqué une transition entre les projets communautaires socialistes du début et de la fin du XIXème siècle. Ainsi, c’est à partir de cette échelle urbaine qu’ont pu s’articuler d’autres récits et projets utopiques par la suite.

Howland, Owen, et Derry, plans pour bloc de 1é maisons en rangée de la Pacific Colony, 1885.

Howland, Owen, et Derry, plans pour bloc de 4 cottages indépendants de la Pacific Colony, 1885.
Proche de Bellamy, Charlotte Perkins Gilman démontrait dès 1888 [231] la nécessité de centraliser les tâches ménagères dans les villes afin de concevoir uniquement des logements sans cuisine. À travers ses fictions utopiques, elle dépeignait une société où la livraison de plats cuisinés, la garde d'enfants et les services de nettoyage sont établis sur une « base commerciale » gérée par des femmes entrepreneures ; laissant l’opportunité à celles qui le souhaitent de choisir d’autres vocations. Appuyées par des arguments économiques, elle déplorait le fait que les femmes ne tiraient pas leur subsistance de leur travail mais de leur mari – comparant cette relation à une forme de prostitution [232]. Sa position radicale l’éloignait de l’approche paternaliste et essentialiste que pouvaient adopter les mouvements socialistes existants ; certains affirmaient la nécessité de socialiser et professionnaliser les tâches ménagères, tout en tenant à maintenir une limite dans les possibilités d’emploi des femmes pour des raisons de compétences « naturelles ». En fait, même au sein des projets dits féministes, l’attribution des tâches ménagères au rôle féminin restait difficilement questionable à cette époque.
L’influence des idées radicales de Gilman se retrouve, néanmoins, vingt ans plus tard, dans le projet Llano del Rio conçu en Californie par l’architecte Alice Constance Austin. Certes, la réalisation s'est arrêtée en 1917, mais les traces retrouvées de cette cité laissent penser que les rôles professionnels n’étaient pas genrés [233]. Sans cuisine dans le foyer, toute l’organisation de la ville s’articulait autour de la circulation de biens depuis chaque maison jusqu’aux cuisines centrales. Par le biais d’un réseau souterrain, des wagons transportaient les plats cuisinés, la lessive et autres livraisons aux points de connexion [234]. Contrairement aux dispositifs coopératifs existants, Austin ne souhaitait pas seulement collectiviser les tâches ménagères, mais surtout, de les éliminer autant que possible [235]. Bien que différentes, les approches de Austin et Gilman passent par la technicisation pour abolir ce qu’elles désignaient comme des formes d’exploitation.
La femme d’intérieur : une invention capitaliste
Cette volonté de déplacer les cuisines en dehors du foyer témoignait d’une transgression des normes de genre déjà en marche à cette époque aux États Unis. Auparavant, on distinguait clairement la sphère privée-féminine de la sphère publique-masculine ; Virginia Woolf le résume parfaitement : « L’homme illustre, pensai-je, ouvrait la porte du salon ou de la chambre d’enfants et “la” trouvait peut-être au milieu de ses enfants, ou avec quelque ouvrage de broderie posé sur ses genoux – en tout cas au centre d’un ordre différent du sien et d’un système de vie différent du sien, et le contraste entre ces deux mondes – le sien pouvant être la Cour de justice ou la Chambre des communes – lui donnait immédiatement repos et regain de vigueur » [236]. Or, cette disparité était déjà ébranlée à l’aube du 20ème par l’implication croissante des femmes dans la vie économique et sociale [237]. Les écrits de Gilman avaient radicalement encouragé ce renversement. Elle déplorait ce fossé entre l’économie familiale privée et l’économie industrielle publique : selon ses termes, le progrès humain étant extérieur, la vie domestique ne permettrait pas aux femmes d’exprimer leur humanité. D’ailleurs, en son sens, l’expression « travail domestique » était, pour elle, questionable : « elle ne s’applique pas à un certain type de travail, mais à un degré nectaire d’évolution et de développement. Toutes les industries ont été un jour “domestiques” : toutes les techniques ont été appliquées à la maison et dans l’intérêt de la famille » [238]. En effet, dans la société américaine pré-industrielle, les femmes s‘acquittaient du travail domestique – tisserande, couturière, boulangère, crémière, droguiste – et l’idée de tâches ménagères quotidiennes des femmes n’existaient pas réellement, on parlait plutôt de « nettoyage de printemps » [239].
Rejoignant sur certains points la pensée de Gilman, le livre Femmes, Race et Classe publié en 1983 par Angela Davis retrace l’histoire des femmes américaines depuis l’abolition de l’esclavage, en mettant en lumière l’intersection des dynamiques de genre, des catégories raciales héritées de l’esclavage et des classes sociales. Dans un chapitre dédié au travail domestique, elle évoque le déplacement des lieux de production provoqué par le développement des usines : « Au fur et à mesure que l’industrie progressait et déplaçait la vie économique de la maison à l’usine, l’importance du travail domestique des femmes diminua de manière systématique. Les femmes étaient deux fois perdantes : leurs activités traditionnelles leur étaient volées par les usines de plus en plus nombreuses et toute l’économie basculait à l’extérieur de la maison, les privant très souvent d’un véritable rôle économique » [240]. Selon les logiques capitalistes émergeantes, le travail effectué au sein du foyer devenait alors improductif et inférieur au travail salarié car il ne produisait aucune plus-value. Alors que l’idée d’une « femme d’intérieur » se développait comme modèle universel de féminité [241], elle venait simultanément dévaloriser le travail des femmes salariées. Dès lors, à la fin du 19ème, les femmes de classes ouvrières portaient leur rôle de genre au sein du foyer, tout en travaillant à l’extérieur pour un salaire moindre que celui des hommes. De plus, les femmes noires, qui avaient travaillé hors du foyer tout le long de la période esclavagiste, échappaient rarement au rôle de domestique après l’abolition [242]. En revanche, ces dernières n’étaient pas vraiment associées à l’image de « femme d’intérieur » qui s’érigeait au début du siècle car ce modèle de féminité hégémonique s’ancrait ouvertement dans une idéologie raciale, renforcée par l’essor de l’eugénisme à cette période. Certaines théories féministes, comme celles de Gilman, appuyaient également l’idée d’une supériorité raciale pour, à l’inverse, faire valoir leur droits en tant que femmes blanches [243]. En fait, l’élan de projets utopiques féministes et socialistes reflétaient également la prospérité économique des classes aisées en expansion depuis un siècle aux États-Unis [244] : en partant de la condition d’une femme blanche de classe aisée, le « déconfinement » paraissait, effectivement, garantir une émancipation.
Déconfinement bourgeois
Tel que Dolores Hayden le précise, avant le XXème siècle les communautés qui avaient assez de ressources pour réaliser leurs projets utopiques étaient les plus conservatrices vis-à-vis des normes de genre et de classe. C’est pourquoi, la collectivisation des tâches domestiques à une plus petit échelle restait la solution privilégiée par certaines féministes pour réduire le fardeau des tâches domestiques des femmes. La société américaine Cooperative Housekeeping fondée en 1869 par Melusina Fay Peirce [245] a inspiré certaines réformes de logements dans le monde occidental au début du siècle, comme le mouvement des cités-jardins en Angleterre, mais aussi, le concept de Einküchehaus – « bâtiment à une cuisine » – en Europe. Ce dernier modèle, introduit par Lily Braun dès 1901, préconisait un type d'immeuble comprenant des unités d'habitation sans cuisine, ou avec un minimum de cuisine. Il y avait alors une pièce commune au sous-sol, ou au rez-de-chaussée, où se situait tous les équipements ménagers – ou selon les termes de Braun : « toutes les machines modernes qui économisent le travail » [246]. Envoyés dans chaque appartement privé par un monte-plat, les plats cuisinés étaient consommés dans le foyer individuel ou dans une salle à manger commune. Selon elle, ces tâches devaient être effectuées sous la direction d'une gérante rémunérée, assistée d'une ou de deux servantes.

Dessin du Heimhof Einküchenhaus à Vienne, 1923, selon les plans de l’architecte Otto Polak-Hellwig.

Image de la cuisine centrale de la Service House, Copenhague, 1907.

Plan de la cuisine centrale du Heimhof Einküchenhaus à Vienne, 1923.
Dans son essai, Braun affirmait que ce modèle pouvait être également une solution aux problèmes de logements ouvriers ; pourtant, cette centralisation des tâches domestiques bénéficiait avant tout aux familles citadines bourgeoises qui souhaitaient « économiser sur les coûts des domestiques tout en conservant leur style de vie » [247]. C’est pourquoi, sa position de femme bourgeoise lui valait la critique à la fois des femmes membres du partie social-démocrate – qui ont rapidement démontré que ces logements seraient financièrement inaccessibles pour les femmes qui tiraient leur subsistance de leur vie professionnelle –, mais aussi, d’une certaine partie des militantes féministes bourgeoises. D’une part, certaines appuyaient la vision de Lily Braun : libérer les épouses des tâches ménagères leur permettrait d’avoir une indépendance économique, tout en se consacrant à leur tâche de mère. D’autre part, certaines affirmaient l’idée que les tâches ménagères effectuées par les épouses au sein du foyer seraient un travail productif et socialement nécessaire qui mériteraitune reconnaissance économique, juridique et sociale, ainsi qu'une rémunération [248]. Malgré certaines réticences, ce modèle a été testé sous différentes formes dans plusieurs grandes villes européennes jusque dans les années 1950. Après l’échelle de la ville, l’échelle du « bâtiment à une cuisine » semble marquer une sorte de resserrement se rapprochant à la fois des idéaux fouriéristes et des modèles d’appartements bourgeois du XIXème siècle en France (Cf supra chapitre 6). Au final, même dans des projets reconnus comme féministes dans plusieurs pays occidentaux, la collectivisation et la centralisation des tâches ménagères venaient fréquemment se superposer aux inégalités de classes sociales. L’émancipation des femmes de classes aisées reposaient sur le travail domestique des femmes de classes précaires. Le rôle de genre n’était pas remis en question : qu’elle soit épouse, employée ou servante, les tâches ménagères restaient attribuées à un rôle féminin. Tel que le résume Angela Davis : « En fin de compte, aux termes de l’idéologie bourgeoise, la femme est tout simplement l’éternelle servante de son mari » [249].
La cuisine comme lieu de travail : un confinement moderne
La réaction mitigée des féministes allemandes bourgeoises témoignent du choix qui s’articulaient plus globalement dans le débat féministe occidental avant la Première Guerre mondiale : en bref, soit rémunérer les épouses, soit créer des dispositifs coopératifs. Dans les deux cas, il s’agissait d’offrir la possibilité d’une indépendance économique pour les femmes qui ne travaillaient pas. Même si le modèle de Lily Braun était rejeté par la majorité d’entre elles, certaines voyaient dans ce nouvel équipement ménager le progrès technique qui permettrait d’atteindre la reconnaissance économique du travail ménager [250]. Tel qu’on le voit dans le second chapitre, ce manque de technicisation était justement au coeur des théories modernes qui émergeaient à l’entre-deux guerre en Europe ; ouvrant la voie à la « taylorisation » du foyer.
Le concept de Lily Braun s’étant exporté en Autriche, Margarete Schütte-Lihotzky avait pris connaissance du Heimhof Einküchenhaus, soit le seul modèle de « bâtiment à une cuisine » réalisé en 1923 à Vienne. Comme la majorité des militantes socialistes allemandes, elle reprochait son inaccessibilité pour les masses de la classe ouvrière et le maintien d’un rapport de classe oppressif [251]. Pour elle, il fallait privilégier l’amélioration des cuisines individuelles. C’est pourquoi, quand elle a intégré l’équipe de Ernst May pour l’opération des logements à Francfort, la conception des cuisines s’est rapidement résumée à faire un choix entre « the living kitchen » (une cuisine-salon) et « the cooking cupboard » (une cuisine-placard) : « En clair, les cuisines sont-elles faites pour qu’on y travaille ou pour qu’on y mange ? » [252].
D’après Schütte-Lihotzky, comme peu de logements disposaient de hottes d’aspiration électrique à cette époque, la living kitchen ne pouvait être hygiénique qu’en rajoutant de la surface [253). Or, cela augmenterait aussi considérablement le loyer de l’habitation [254]. Ayant un peu plus de moyens financiers, certains logements de la classe ouvrière allemande possédaient déjà une pièce distincte aux côtés de la cuisine : la Best Room. Même s’il s’agissait d’un espace pour manger, cette pièce était chauffée uniquement pour des occasions spéciales, telle une exposition pour impressionner les personnes conviées. Pour son « groupe d’architectes progressistes » [255], cette disposition apparaîssait comme une formalité frigide à combattre. Pourtant, en mettant totalement la living kitchen de côté, c’est bien cette « copie maladroite des maisons de riches » [256] qui a ouvert la voie au développement d’une « cuisine-placard » – qui deviendra « cuisine-laboratoire », ou encore, « cuisine-wagon » – : un espace où l’on travaille. Dans un sens, le choix entre « the living kitchen » et « the cooking cupboard » s’est avéré être marquant pour le fondement des théories modernes qui souhaitaient démontrer qu’une pièce ne peut accueillir qu’une seule fonction. Lorsque Schütte-Lihotzky en fait le récit, elle évoque l’influence de la culture domestique britannique sur la conception des cuisines modernes : il était impératif distinguer « s’assoir pour manger » et « s’assoir pour se reposer » pendant son temps libre – un postulat qui avait été repris dans les travaux d’Adolf Loos. Dès lors, pour la modernité, il ne s’agissait plus de distinguer uniquement « manger » et « se reposer », mais d’établir les trois fonctions de l’habitat moderne : cuisiner, manger et vivre – des fonctions dites incompatibles dans la même pièce. En plaçant la living kitchen comme une contradiction de la modernité, le discours moderne introduisait également une opposition entre deux fonctions : on ne peut pas vivre et cuisiner dans la même pièce ; ou plutôt, on ne peut pas vivre et travailler dans la même pièce, car désormais, la cuisine était désignée comme la « pièce de travail » de l’habitat.
L’introduction de la notion de travail dans les modèles de cuisine moderne venaient appuyer un discours d’émancipation féminine sans pour autant garantir la reconnaissance économique de ce travail. Contrairement aux propositions utopiques de Austin ou de Gilman, les théories tayloristes américaines sur lesquelles les architectes modernes s’appuyaient n’étendaient pas la technicisation au-delà des pièces de l’habitat. Elles venaient affirmer un modèle d’habitation consumériste établi sur le confinement de la ménagère et sur sa dépendance économique. Schütte-Lihotzky clamait que c’est en optimisant le temps de la femme au foyer qu’elle pourrait être indépendante économiquement et finirait pas se « déconfiner » de l’espace domestique, mais, en conservant le rôle genré normatif de ces tâches, cette volonté venait aussi banaliser la double journée de travail des femmes [257]. D’autre part, bien que l’architecte autrichienne ait initialement exposé trois types de Cuisine de Francfort, seul le premier modèle – « sans servantes » – a été acclamé et retenu [258] : la cuisine séparée n’allait pas être réservée aux classes aisées, elle allait devenir une norme. En fait, en introduisant au sein du foyer une pièce spécifique aux tâches ménagères, d’autres pièces pouvaient s’en décharger et ainsi intégrer la notion de « vivre » dans l’habitat. L’opposition sphère féminine/ sphère masculine n’allait pas être abolie, elle allait simplement se déplacer à l’intérieur de l’espace domestique : il y aurait des pièces où les femmes travaillent, et des pièces où les hommes vivent.
L’habitat-plaisir ou le confinement masculin
Cette disparité s’accordait avec les postulats modernes émergeants à l’entre-deux guerres, qui, face à une libération des normes de genre et une crise de la natalité, tentaient de promouvoir le retour à un schéma familial traditionnel (Cf infra chapitre 2). En approchant la question de la natalité en France, Le Corbusier évoquait la responsabilité des divorces dans la destruction des liens familiaux, et par extension, de la procréation. D’après lui, cela résultait du refus de rester chez soi, autant pour les hommes que pour les femmes [259]. En s’appliquant radicalement à toute la ville, certaines de ses propositions urbaines organisaient, ainsi, une sorte de confinement général, toutes classes socialesconfondues, pour « donner des enfants à la France » [260]. Le lien entre pollution et stérilité était utilisé pour appuyer la nécessité d’une restriction de la ville [261] : appliquée à Paris, la configuration du Plan Voisin [262] permettrait de ne pas consommer d’alcool, d’apporter un schéma familial stable, et finalement, d’encourager le sexe dans un cadre hétéronormatif. Son projet utopique – ou dystopique– laisse supposer que les femmes étaient de simples outils de reproduction qui allaient servir la nation. Celles qui avaient les moyens relègueraient leurs tâches ménagères à la « bonne » [263] ; les autres les effectueraient elles-mêmes – leur cuisine semi-ouverte « sur le living » [264] favoriserait la convivialité tout « en laissant à la ménagère la gentillesse de communiquer avec ses amis, avec sa famille » [265]. Mais, dans tous les cas, leur place était dans le foyer car « La femme sera heureuse si son mari est heureux. Le sourire des femmes est un don des dieux. Et une cuisine bien faite vaut la paix du foyer » [266].

Plan Voisin, Paris, France, 1925 © FLC/ADAGP [consultable sur le site officiel de la Fondation Le Corbusier].

Cuisines 1950. Cité Radieuse, Marseille / 1930. CUBEX, Bruxelles © FLC\ADAGP

Plan du Rez-de-chaussée de la Maison « Citrohan », extrait de Le Corbusier, Vers une architecture, 1923.
Contrairement aux modèles d’habitation « traditionnels » ancrés dans le siècle précédent, l’espace domestique n’était plus un espace exclusivement dédié aux tâches ménagères et maternelles – d’ailleurs, les enfants existent très rarement dans ses projets, comme s’il présumait qu’ils seraient envoyés à la garderie. Au final, en affirmant que l’habitat pouvait (devait) être synonyme de plaisir, Le Corbusier démontrait que désormais, les hommes avaient toute leur place dans l’espace domestique car l’habitat moderne s’assurerait que, pour toute classe sociale, il y aurait des pièces de vie où règnent « ce dont l’homme d’aujourd’hui a le plus besoin : le silence et la paix » [267] – distinctes des pièces où la ménagère et/ou la bonne travaillent.
Dans son essai Pornotopie, Preciado propose de considérer Hefner comme un architecte pop et l’empire Playboy comme un authentique cabinet de production architecturale multimédia [268]. Il rejoint les recherches de l’historienne et théoricienne de l’architecture Beatriz Colomina qui, dès 1994, consacrait un livre à la relation entre les médias et l’Architecture Moderne [269] ; pour elle, « ce qui rend moderne l’architecture moderne, ce n’est ni le fonctionnalisme ni l’utilisation des matériaux, mais son rapport aux médias » [270]. Ces lectures permettent de mettre en lumière un lien entre le travail de Hefner et le travail de Le Corbusier. Sorti trente ans avant le magazine de Hefner, le Manuel de l’habitation de Le Corbusier, établissait déjà des règles de vie pour introduire une nouvelle manière d’habiter. En réalité, plus implicitement que Hefner, il s’adressait particulièrement à un public masculin, l’incitant à « exiger » [271] les dispositions de l’espace domestique pour se l’approprier. Dépourvue de cuisine, ou de tout autre Pièces de service, La Maison du Jeune Homme – ou « Le nid d’un jeune homme qui épouserait son époque » [272] selon Perriand – serait symboliquement une sorte de prémisse du penthouse Playboy ; on y retrouve, sur la quasi totalité de la surface, un solarium, une salle d’étude, une salle de repos et une salle de gymnastique. La Pornotopie de Hefner s’inscrit alors dans cette vision Moderne : le confinement masculin serait synonyme de plaisir tandis que le confinement féminin serait synonyme de travail. Toutefois, à l’époque où le millionaire s’insurge contre l’ennui du Pavillon de banlieue américain, la tâche de faire-la-cuisine [273] pouvait être presque entièrement technicisée, jusqu’à effacer la ménagère. De plus, bien que les intentions de Hefner s’éloignaient des idées pro-natalistes de Le Corbusier, dans ce territoire exclusivement masculin, les femmes avaient à nouveau une simple fonction sexuelle.

Photographie de La Maison du Jeune Homme à l’exposition universelle de Bruxelles, 1935. Tirage d’époque. © C. Vanderberghe / Archives Charlotte Perriand.
[222] Dolores Hayden, « Two Utopian Feminists and Their Campaigns for Kitchenless Houses ». Signs 4, n o 2, 1978, p. 274-290.
[223] Beatriz Preciado, Pornotopie : Playboy et l’invention de la sexualité multimédia. Climats, 2011.
[224] Ibid. p. 116. L’auteur définit le terme « pornotopie » ainsi : « un “espace plastique”, un fantasme à la fois “familier et inavouable” qui se situe quelque part “derrière les yeux, à l’intérieur du crâne”, mais qui ne peut pas être localisé dans l’espace physique ».
[225] Dans toutes les éditions, la cuisine est explicitée à travers un schéma en forme de triangle appelé dans les éditions internationales « Work triangle » et dans les éditions françaises « la cuisine comme espace de travail ». C’est la seule pièce de l’habitat où apparait la notion de travail. Elle « fonctionne » avec 3 « postes de travail » – associés à des abréviations dans les premiers ouvrages en anglais : cook (ck), frigo (frig) et sink (sk).
[226] Edward Bellamy, Looking Backward, 1887.
[227] Doctrine fondée par Charles Fourier dans le courant du XIXème siècle, « critiquant, notamment, la structuration de l’économie autour du commerce et la structuration de la vie sociale autour du mariage ». Il « doit sa notoriété aux phalanstères qu’il souhaite créer, ces collectivités de production et de consommation cogérées par des copropriétaires. ». voir Julien Damon, « La pensée de… - Charles Fourier (1772-1837) », Informations sociales, vol. 125, no. 5, 2005.
[228] Marie Stevens Howland, Papa’s Own Girl. New York: J. P. Jewett, 1874.
[229] On suppose ici que les domestiques étaient des personnes habitant déjà la région. Les américains et américaines qui allaient au Mexique se vantaient de la rentabilité des services des domestiques du pays, considérés comme abordables pour n’importe qui. De plus, la dimension colonisatrice de ce projet avait déjà été relevée par certains membres de leur groupe de socialistes qui refusaient d’y participer ; même si l’intention du projet était d’implanter une société plus juste, il s’agissait quand même d’exploiter les ressources d’un autre pays. voir Emily Rose Kinney, « American Emigrants: Confederate, Socialist and Mormon Colonies in Mexico ». The University of Texas at Austin, 2016.
[230] En effet, les idées féministes de Howland n'étaient pas entièrement partagées par les hommes de la communauté. D’ailleurs, elle y a vécu quelques années mais l’échec qu’elle avait ressenti l’aurait poussé à s’en aller. voir Macarena Iribarne, « Utopian dreams in the new world and for the new woman: the influence of utopian socialism in first wave feminism. The case of Marie Howland and Topolobambo’s Community », Hispania Nova, 18, 2020.
[231] « Entre 1888, date à laquelle elle commence à publier, et sa mort en 1935, Gilman a publié huit romans, 171 nouvelles, 473 poèmes, des essais et d’innombrables articles. ». voir Catherine Durieux, « Charlotte Perkins Gilman : utopiste féministe radicale ? » Cercles 7 (2003), p. 45.
[232] « Il est le marché, la demande. Elle est l’offre. ». extrait de Charlotte Perkins Gilman, Women and Economics: A Study of the Economic Relation Between Men and Women as a Factor in Social Evolution, édité par Carl N. Dealer (New York : Harper & Row, 1966) [cité par Catherine Durieux, ibid. p. 53.]
[233] Julia Wieger, « Kitchen Politics ». In Spaces of commoning: artistic research and the utopia of the everyday. Publication series of the Academy of Fine Arts Vienna, volume 18. Berlin: Sternberg Press, 2016, p. 164-166. « Pour devenir membre de la colonie, chaque habitant devait déclarer ses compétences et son domaine d'activité préféré, sans distinction de sexe ». Certaines images montrent des femmes transgresser les normes existantes des rôles professionnels genrés. On peut cependant noter que ce projet excluait ouvertement une partie de la population selon des critères raciaux – un procédé qui restait plutôt commun aux États Unis à cette époque – : à Llano del Rio, « Seuls les Caucasiens sont admis. ».
[234] Dolores Hayden, op. cit., p. 286. À partir de ces « hubs », de petites voitures électriques pouvaient être envoyées au sous-sol de chaque maison et ainsi, des repas chauds, contenus dans des récipients spéciaux, arrivaient des cuisines centrales. Après avoir mangé dans le patio, la vaisselle pouvait retourner dans les cuisines centrales via ces mêmes tunnels, dans lesquels circulaient également toutes les lignes de gaz, d'eau, d'électricité et de téléphone.
[235] Ibid. Pour Austin, les maisons traditionnelles avec cuisine représentaient une perte de temps, de force et d’argent, car cuisiner serait une corvée « horriblement monotone » qui se résumeraient à préparer 1095 repas par an et nettoyer après chacun d’eux.
[236] Virginia Woolf, Une Chambre à soi, 1929. Traduit par Clara Malraux, éd. 10/18, 2001, p. 130.
[237] « soit par des mouvements comme la tempérance, soit par des métiers qui leur permettent d’incarner les vertus domestiques dans un rôle public (enseignante, infirmière, travailleuse sociale). ». voir Catherine Durieux, op. cit., p. 53.
[238] Charlotte Perkins Gilman, The Home; Its work and Its Influence (Urbana, Chicago, Londres : Universiyt of Illinois Près 1972. Réédition de l’édition de 1903), p. 30-31.
[239] Angela Davis, Femmes, race et classe. Des femmes-Antoinette Fouque, 1983, p. 158.76
[240] Ibid. p. 159.
[241] Ibid. p. 160.
[242] Ibid. p. 65-68. En 1899, 91% des femmes noires effectuaient du « service domestique ». Le statut de « domestique noire » était ouvertement définit comme tautologie, voire comme un destin. « En fait, on avait appelé l’esclavage “institution domestique” par euphémisme, et les esclaves étaient désignés par le mot bénin de “domestiques“. Pour les anciens propriétaires, le “service domestique” n’était qu’un terme poli pour caractériser une activité méprisable, à peine différente de l’esclavage. ».
[243] Louise Michel Newman, White Women’s Rights. Oxford University Press, 1999, p. 132-128. Au début du XXème siècle, les hommes utilisaient les préceptes eugénistes pour ne pas accorder de droits égaux aux femmes, soutenant que, en tant que « protectrices » de la race – la race blanche –, elle seraient faites uniquement pour la reproduction et non pour la politique. En réponse, Charlotte Perkins Gilman, et d’autres féministes, brandissaient la différence biologique des femmes blanches comme une une preuve qu’elles partagent la même supériorité que les hommes blancs, contrairement aux races « sexuellement ambiguës » et inférieures.
[244] Angela Davis, op. cit., p. 160.
[245] Dolores Hayden, op. cit., p. 276. La Cooperative Housekeeping Society (Massachusetts) a organisé un magasin coopératif, une blanchisserie et une boulangerie près de Harvard Square à partir de 1869. Par la suite, « Peirce a plaidé pour l'inclusion de telles installations coopératives dans les maisons d'appartements alors conçus pour les Bostoniens de la classe moyenne, mais son expérience pratique a duré moins de deux ans ».
[246] Lily Braun, Travail des femmes et économie domestique, 1901, p. 21.78
[247] Julia Wieger, op. cit., p. 159.
[248] Hiltraud Schmidt-Waldherr, « Emanzipation durch Küchenreform? Einküchenhaus versus Küchenlabor », L’Homme. Zeitschrift für feministische Geschichtswissenschaft, n o 1, 1999, p. 57-56.
[249] Angela Davis, op. cit., p. 157.
[250] Heuss-Knapp, Elly. « Die Reform der Hauswirtschaft », dans Gertrud Bäumer, Der Deutsche Frauenkongreß 1912 in Berlin. Sämtliche Vorträge, 1912
[251] Julia Wieger, op. cit., p. 159-160.
[252] Margarete Schütte-Lihotzky et Juliet Kinchin, op. cit. MSL : « before we even made any decisions about the basic questions of where to live, where to eat, or where to cook—it all came down to the question of either the "living kitchen" (living room cum kitchen), or the cooking cupboard. Basically, were kitchens for working in, or eating in? »
[253] Ibid. p. 145-151. Comme exemple de cuisine non hygiénique elle évoque les logements citadins en Autriche avant les années 20. Comme au début du siècle en Europe, le seul moyen de chauffer une pièce était encore la combustion de bois ou de charbon dans un poêle ou un four, il était commun dans ces petits logements que les membres de la famille mangeaient et vivaient dans l’espace unique où se trouvait la cheminée. Entourée de tabourets ou de bancs d’angles, une seule grande table était disposée dans le logement.
[254] Ibid. p. 127-130. Elle s’était intéressée à un modèle de cuisine suédois populaire à cette époque qui n’était pas séparée de l’espace de vie mais qui nécessitait de rajouter 7 ou 8m2 autour de la table à manger pour ne pas que les odeurs venant de la cuisine soient gênantes lors du repas.
[255] Ibid. p. 145-151.
[256] Ibid.
[257] Cette expression, encore utilisée aujourd’hui, a émergé au sein des théories féministes de la seconde vague, pour dénoncer la répartition inégale du travail domestique au sein des foyers hétérosexuels. Après que l’accès à une activité professionnelle se facilitait pour elles, des études faisaient le constat que leur journée de travail se cumulaient au travail domestique en rentrant. voir Ann Chadeau, Annie Fouquet et Claude Thélot, « Peut-on mesurer le travail domestique ? », Économie et statistique, vol. 136, 1981, p. 29-42.
[258] « one kitchen for households without servants, one for homes with a housemaid, and one for homes with two maids ». voir Susanne Schmid, A History of Collective Living: Forms of Shared Housing. Edition Wohnen, 2019, p. 84.
[259] Le Corbusier, Vers une architecture, Editions G. Crès et Cie (réédition de 1923), 1929, p. 94. « L’homme moderne s’ennuie chez lui à mourir; alors il sort au cercle. La femme moderne s’ennuie hors de son boudoir; elle va au five o’clock. L’homme et la femme moderne s’ennuient chez eux; ils vont au dancing. ».
[260] Jean Epstein, Les Bâtisseurs, 1938. Dans un film documentaire syndical, le réalisateur Jean Epstein retrace « De la cathédrale de Chartres à l'Exposition Universelle de 1937, l'histoire du bâtiment présentée par la C.G.T. » (voir Bâtisseurs (Les) dans la rubrique Les Films de ciné-archives : Fonds audiovisuels du PCF Mouvement ouvrier et démocratique). Quelques minutes sont consacrées à l’explication de Le Corbusier sur sa vision de l’habitat moderne, enchaînant juste après par les statistiques officielles de mortalité infantile à Paris par quartier : « le taudis tue les touts petits. 131 enfants sur 1000 meurent avant 1 an à Belleville, contre 58 aux Champs Elysées. Ce quartier privilégié ne donne cependant à la France que 11 enfants sur 1000 habitants, tandis que Montparnasse en donne 22. ».
[261] Mary McLeod, op. cit.
[262] Le Plan Voisin est « le plan d’une ville contemporaine de trois millions d’habitants », tel que l’introduisait Le Corbusier. Il s’agissait selon lui de créer « des principes fondamentaux d’urbanisme moderne » pour les appliquer aux grandes capitales, à commencer par Paris. Ce projet a été exposé une première fois en 1922 au Salon d’Automne à Paris, puis redeveloppé jusqu’à son exposition au Salon des Arts Décoratifs en 1925. voir « Une ville contemporaine », L’Esprit Nouveau, n o 28, 1925. Numérisé sur le site de la bibliothèque de la Cité de l’architecture et du patrimoine, image n°59.
[263] Mary McLeod, op. cit. Avant l’exposition Die Wohnung à Stuttgart, Le Corbusier intégrait une « Chambre de Bonne » dans la plupart de ses projets de logements, qu’il s’agisse de villas ou de logements de masse.
[264] Texte introductif de l’exposition Cuisines réalisée à l’occasion du cinquantième anniversaire de la disparition de Le Corbusier. voir site officiel de la Fondation Le Corbusier.
[265] Ibid.
[266] Le Corbusier, Poser la question de l’habitat moderne c’est poser le problème de l’art de vivre aujourd’hui. Document préparatoire au CIAM 9 d’Aix en Provence, destiné à présenter l’Unité d’habitation de Marseille, écrit à Chandigarh en mai 1953. [cité par Catherine Clarisse dans Cuisine: Recettes d’architecture, Les éditions de l’imprimeur, 2004, p.18]
[267] Le Corbusier. « Une maison est une machine à habiter. La maison doit être l’écrin de la vie, la machine à bonheur. J’ai travaillé pour ce dont l’homme d’aujourd’hui a le plus besoin : le silence et la paix ».
[268] Beatriz Preciado, op. cit. p. 15.
[269] Beatriz Colomina, Privacy and Publicity: Modern Architecture As Mass Media. MIT Press, 1994.
[270] « Un exotisme des plus domestiques. Entretien avec Beatriz Colomina » Iván López Minera, Arte y Parte, n°80, 2009. [cité par Preciado, op. cit. p. 14.]
[271] Le Corbusier, Vers une architecture, op. cit., p. 96. « Exigez une salle de toilette en plein soleil » ; « Exigez une grande salle à la place de tous les salons. » ; « Exigez des murs nus dans votre chambre à coucher ». Sur la page Manuel de l’habitation, le mot « Exigez » est répété sept fois, entre « Réclamez », « Enseignez », « Mettez », etc.
[272] « La Maison du jeune homme » est un projet de logement pour étudiant conçu en 1935 par Charlotte Perriand en collaboration avec Le Corbusier et des décorateurs René Herbst et Louis Sognot. Abritant des oeuvres de collection (notamment celles du peintre Fernand Léger), ce studio de 63 mètres carrés était vendu comme « Le nid d’un jeune homme qui épouserait son époque » dans lequel il pourrait « cultiver à la fois la tête et les jambes ». voir Christian Simenc, « La modernité selon Charlotte Perriand ». AD Magazine, 19 décembre 2019.
[273] Luce Girard, « Faire-la-cuisine ». Partie 2 de L’invention du quotidien, Vol. 2 Habiter, cuisiner. Collection Folio Essais (n°238) Gallimard, 2006 (réédition de 1994), p. 213-359.