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Chapitre 4 : Aliénation

L’année 1955, Jacques Perret, professeur de Lettres, a apporté son aide à François Girard, son ancien élève et responsable du service publicité de IBM France [170] à cette époque, pour caractériser le mieux possible ce que l’on appelait vulgairement un calculateur – traduction littérale du mot anglais « computer ». Si c’est bien le mot ordinateur qui a été choisi, la finalité de la lettre du professeur laissait pourtant en suspend le choix du genre de ce mot : « En relisant les brochures que vous m’avez données, je vois que plusieurs de vos appareils sont désignés par des noms d’agent féminin (trieuse, tabulatrice). Ordinatrice serait parfaitement possible et aurait même l’avantage de séparer plus encore votre machine du vocabulaire de la théologie. […] Il me semble que je pencherais pour ordinatrice électronique » [171]. Comme il le précise, les autres machines avaient des terminaisons féminines ; en effet, elles avaient remplacé les Human computers – ou « Calculatrices humaines » –, ces groupes de mathématiciennes qui étaient employées par des hommes et qui allaient être occultées de l’histoire dès lors que naissait l’ordinateur. Bien que le choix du genre de ce mot ait l’air plutôt anodin, il soulève l’enjeu de l’attribution binaire de genre à des tâches. Ici, on parle littéralement de tâches exécutées par un programme informatique. Pour autant, on retrouve cette même dynamique dans le foyer, et en particulier dans la cuisine : on parle des « tâches domestiques » ou des « tâches ménagères ». Comme les calculs, elles seraient répétitives, prévisibles, et maintiendraient un certain ordre. Jacques Perret évoque, d’ailleurs, le lien entre cette dernière fonction et l’ordinateur : cette machine « met de l’ordre », tout comme « Dieu qui met de l’ordre dans le monde ». C’est donc lorsqu’il est genré au masculin que ce terme aurait directement une dimension théologique : comme Dieu, l’ordinateur dirigerait ; un pouvoir qu’apparemment le mot ordinatrice ne renvoyait pas. Même s’il s’agit des mêmes fonctions, lorsqu’elles sont attribuées à un genre, il semble qu’elles n’aient plus la même valeur. Dans le foyer, les « ordinatrices » calculent, anticipent, exécutent, combinent, sélectionnent, elles « mettent de l’ordre ». Pourtant, ces tâches quotidiennes ne sont visibles que lorsqu’elles ne sont pas faites [172].

Résonnant particulièrement avec ce récit, le long métrage Jeanne Dielman [173] nous plonge pendant plus de plus de 3 heures dans une fiction révélatrice de l’invisibilisation de ces tâches. Produite en 1975, l’oeuvre propose de s’immiscer dans trois jours de la vie du personnage éponyme : une femme au foyer juive, veuve, qui vit seule avec son fils, à Bruxelles, en 1975. Sorti au moment où la seconde vague du féminisme s’était étendue dans de nombreux pays occidentaux, le film a été désigné en tant que film féministe et a connu une renommée internationale. Chantal Akerman, la réalisatrice, est une cinéaste belge considérée comme « enfant de la Nouvelle Vague et figure emblématique de la modernité cinématographique » [174]. Sur les plateaux, aux côtés de l’actrice Delphine Seyrig qui joue Jeanne, elle expliquait qu’elle a simplement enregistré ce qu’elle a toujours vu toute son enfance : « des femmes de dos, penchées, portant des paquets » [175]. La réalisatrice a filmé des scènes qui n’apparaissaient pas jusque-là dans le cinéma [176]. Et surtout, elle les a filmé dans leur entièreté. D’ailleurs, les hommes sur les plateaux disaient découvrir ce qu’il se passait réellement quand ils partaient travailler – bien que certains n’y croyaient pas. Si d’autres ont trouvé le film ennuyeux, la réalisatrice n’en dément pas : elle souhaitait que l’on ressente le temps passer [177]. Avant elle, d’autres écrivaines ont révélé la monotonie de la vie de femme au foyer, telles que Virginia Woolf [178] et Simone de Beauvoir [179]. Depuis leurs expériences de vie domestique, l’idée qui revient dans la majorité des récits est l’aliénation que provoquerait les tâches ménagères quotidiennes et la non reconnaissance de ces tâches en tant que travail. Aux États- Unis, Betty Friedan évoquait l’insatisfaction indescriptible que ressentent les femmes au foyer : « the problem that has no name » [180]. Dans un sens, c’est exactement ce que Chantal Akerman affirme vouloir mettre en lumière à travers son travail : ce rien [181].

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Dans son célèbre essai A Room of One's Own, Virginia Woolf appuie la nécessité pour une femme de posséder un lieu à soi [182] si elle veut écrire un roman. Au-delà d’une spatialité, elle manifeste une volonté d’accéder à une conscience de soi et de son corps. Partant de cette lecture, une cuisine peut-elle être un lieu à soi ?

La scène de l’épluchage des pommes de terre. dans Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, réalisé par Chantal Akerman, 1975.

Corps aliénés, corps programmés

Lors d’un des épisodes de l’émission Le Masque et la Plume consacré au long-métrage Jeanne Dielman, une personne intervient depuis le public, juste avant que le journaliste ne révèle qu’il s’agit de de la réalisatrice elle-même :

« Ce que je voudrais dire c’est que dans ce film il y a un suspense qui est introduit parce qu’il y a une pomme de terre qui brûle, et c’est peut être la première fois que ça arrive dans l’histoire du cinéma. » [183]

Dans son oeuvre, quasiment toutes les séquences se déroulent chez Jeanne, filmées par des plans fixes, de pièce en pièce, comme une caméra de surveillance. Cette pomme de terre qui brûle dans la cuisine devient alors un élément de suspense. Jusque là, tout semblait si prévisible. En effet, elle effectue quotidiennement les mêmes répétitions de gestes : elle se réveille, s’habille, ouvre la fenêtre, fait sa toilette, choisit la tenue du jour de son fils, fait chauffer de l’eau, cire les chaussures de son fils, moud le café, prépare le petit-déjeuner pour son fils, réveille son fils, attend que son fils parte, range la chambre de son fils, nettoie la vaisselle, range la cuisine, fait son lit, va à la banque, va chez le cordonnier, discute rapidement avec une amie qu’elle croise, va faire les courses, vérifie son courrier, range les courses, fait ses comptes, garde un enfant pour sa voisine, discute rapidement avec sa voisine, mange seule quelques tartines, se maquille, se coiffe, va acheter du tissu, prend un café seule dans un restaurant, revérifie son courrier, commence à préparer le diner, reçoit un client, couche avec le client, range son argent, refait son lit, se douche, nettoie la baignoire, finit de préparer le diner, met la table, sert son fils, mange avec son fils, débarrasse la table, lit son courrier, aide son fils à faire ses devoirs, coud un vêtement pour son fils, prépare le lit de son fils, se coiffe, met le chauffage en route, va dormir. Cette chorégraphie métronomique dégage un effet de mécanisation de son corps, la rendant presque inhumaine. Cependant, lorsqu’elle se lève le jour suivant, elle répète les mêmes actions, mais, en légèrement décalé par rapport à ses horaires fixes de la veille [184]. La pomme de terre qui brûle, juste avant le dîner, est introduite comme un véritable bug dans un programme.

La dimension programmatique de la routine de Jeanne ouvre la porte à une réflexion sur la notion de valeur du temps de travail. Dans un livre publié en 2019, Isabelle Collet retrace le rôle qu’ont eu les femmes dans le secteur des sciences numériques et des technologies afin de mettre en relation genre et informatique [185]. En fait, en occultant presque totalement leur travail, le récit historique laisse l’impression que si les hommes dominent le monde numérique d’aujourd’hui, c’est parce que ces professions exigeraient des qualités naturellement « masculines ». En revenant sur la genèse de ce discours, l’autrice met à nu les mécanismes sociétaux qui ont volontairement mené à cette déduction dans l’inconscient collectif.

Le rapport du genre dans la programmation découlerait tout droit de l’action de calculer ; une action qui était perçue dès le XVIIème siècle comme une perte de temps : « Il est indigne d’hommes éminents de perdre des heures comme esclaves dans le travail de calcul qui pourrait sûrement être confié à n’importe qui, si des machines étaient utilisées » déclarait Leibnitz à propos de la Pascaline, une machine inventée par Pascal en 1642 pour aider son père à faire les comptes du royaume. Pourtant, ce « travail d’esclave » a bien été effectué par la suite par certaines personnes – des femmes. À la fin du XIXème siècle, les « Harvard computers » sont employées à l’Observatoire de Harvard pour classifier et décrire toutes les étoiles connues ; un travail qui demande des compétences astronomiques et mathématiques. Or, c’est la patience et la minutie qu’il requiert qui étaient mises en avant : des capacités qui seraient naturellement féminines, et qui donc, ne nécessiterait pas une « grande intelligence ». En réalité, le manque de moyen de l’Institut ne lui permettait pas d’embaucher des hommes pour effectuer ces calculs importants, alors que les femmes pouvaient les faire tout en étant payées comme une « main-d’oeuvre non qualifiée » – c’est-à-dire, moins qu’un employé de bureau. Laborieux et répétitif, le travail de ces « Calculatrices humaines », qui était pourtant indispensable dans plusieurs domaines scientifiques, a perdu « ses caractéristiques scientifiques pour n’être plus considéré que comme un travail mécanique d’opératrices » [186] – on parle d’ailleurs de girl-year en tant qu’unité de mesure du temps de calcul et de kilo-girls en tant qu’unité de puissance de calcul [187].

Groupe de femmes travaillant pendant la Seconde Guerre Mondiale (Shorpy) © Computer History Museum

La dimension temporelle des calculs, en tant que tâches, a déterminé les qualités genrées qui allaient être assignées à des compétences. Par ailleurs, les arguments qui étaient véhiculés pour pousser les femmes à prendre ces emplois étaient la « similitude » des compétences requises avec celles qu’elles effectuent quotidiennement dans leur cuisine : programmer ce serait du langage, comme programmer un dîner. Sans diplômes – car les études leur étaient interdites –, ces femmes autodidactes étaient prêtes à être mal payées pour travailler car on ne leur proposait pas d’autres emplois. Les qualités dites naturellement féminines qui ont été utilisées pour sous-payer les « Calculatrices humaines » se sont appuyées sur les mêmes qualités qui ont modelé le stéréotype de la femme au foyer et relèvent, d’ailleurs, d’un même enjeu économique : le temps des femmes n’aurait pas la même valeur que celui des hommes.

Dans une démarche qui fait émerger le même présupposé, la philosophe Manon Garcia s’est intéressée au rapport de soumission entre hommes et femmes [188] dans la société en partant des oeuvres de Simone de Beauvoir. Pour celle-ci, les tâches ménagères n’ont aucune vertu émancipatrice, elles soumettent les femmes au foyer à des rites qui font de leur quotidien « un éternel présent inutile et sans espoir » [189]. Son idée d’un travail en dehors du foyer – et donc, rémunéré – rejoignait une perspective émancipatrice du travail déjà abordée par des philosophes reconnus, tels que Hegel ou Sartre. Toutefois, pour Manon Garcia, la dimension émancipatrice du travail ne se résumerait pas à sa rémunération car, même dans le cas où il serait professionnalisé, le travail ménager reste, selon ses termes, un travail négatif : une « lutte contre la négativité de la saleté, du désordre, de la destruction [qui] ne permet pas à la femme de prendre conscience d’elle-même mais, au contraire, la prend au piège d’une immanence, d’une répétition qui n’est jamais création et qui empêche de s’inscrire dans une temporalité libre » [190]. Si, d’après l’autrice, toute forme d’oppression passe par un processus d’aliénation – la transformation de celui qu’on opprime en un autre, irréductiblement différent de soi [191] – , la « répétition déshumanisante du geste domestique » [192] de Jeanne Dielman soulève le coeur du stéréotype de genre qu’incarne la femme au foyer : les tâches ménagères sont volontairement assignées à des qualités féminines car il s’agirait de tâches aliénantes.

L’ordinaire : une condition objective ?

Dans la boutique où Jeanne achète ses pommes de terre, le plan reste fixe quelques secondes après qu’elle soit partie. On y voit la vendeuse qui repart dans sa cuisine à l’arrière du magasin. Elle s’assoit seule, le regard vide. Au même moment, Jeanne arrive chez elle et entame la longue tâche d’épluchure des pommes de terre, à laquelle on assiste entièrement. Leurs vies se sont croisées le temps d’un achat, avant de regagner respectivement leur cuisine. D’ailleurs, ce n’est pas la seule femme qui a croisé son chemin dans la journée. Sa voisine qui venait déposer son enfant quelques heures avait insisté pour discuter avec elle, comme si c’était sa seule interaction sociale de la journée. Elle évoquait la pénible tâche de devoir choisir quotidiennement des repas qui satisferont ses enfants et son mari ; et Jeanne affirmait que c’était soulageant pour elle que son fils mange à la cantine. Leur conversation tournait autour de leurs vies relativement identiques : la vie ordinaire des femmes au foyer. D’après Manon Garcia, la difficulté de parler de l’ordinaire serait liée à sa médiocrité [193] : dire que l’ordinaire est médiocre irait de soi car, l’ordinaire, c’est précisément ce qu’on ne pense pas. En filmant le quotidien ritualisé de Jeanne, Chantal Akerman, tel qu’elle l’affirme, « fait de l’art avec une femme qui fait de la vaisselle » [194]. Pourtant, pour le cinéma classique, elle avait filmé ce qui n’était pas filmable [195]. Finalement, pourquoi des actions prévisibles seraient-elles intéressantes à regarder ?

La façon dont Akerman parvient à filmer l’ordinaire peut être abordée par l’étude d’une autre discipline, fondée spécifiquement depuis cette notion : la Peinture de genre. Dans un essai qu’il consacre à la peinture hollandaise du XVIIème siècle, l’historien Tzvetan Todorov évoque la marginalité de la Peinture de genre [196]. Initialement désignée comme une catégorie mineure au sein de la hiérarchie des genres, ces représentations de scènes de la vie domestique – dites, aussi, « Scènes de genre » – ont été regroupées en une catégorie spécifique parce qu’elles étaient, justement, inclassables. D’après l’historien, l’épanouissement de cette peinture résiderait dans l’absence de sujet. Cette affirmation rejoint les définitions plus tardives qui attribuent aux Scènes de genre des connotations du concept de Réalisme [197] : les peintres de genre seraient parvenus à représenter une « réalité observée » [198].

Femme pelant une pomme, peint vers 1660 par Gerard ter Borch (Vienne, Kunsthistorisches Museum).

Or, certaines études historiques ont démontré que les représentations de la « sérénité domestique » venaient illustrer l’accomplissement des devoirs féminin pour appuyer une certaine vision de la moralité ; ce qui distinguerait, au final, la Peinture de genre de la Peinture d’histoire [199]. En effet, à cette époque aux Pays-Bas, une véritable volonté de « moraliser » les moeurs se répandait parmi les artistes [200]. Sans surprise, il s’agissait d’affirmer que les femmes avaient trois tâches majeures : nettoyer la maison, préparer les repas, porter et élever ses enfants. Revenant régulièrement parmi les peintures de genre, la scène de l’épouillage, dont les femmes étaient également chargées, soutenait l’idée que « propreté physique évoque pureté morale » [201]. D’intentions esthétiques à représentation de la réalité, l’ambivalence des discours concernant la Peinture de genre montre que le point de vue épidictique que pouvaient adopter les peintres concernés se serait élevé dans le récit au rang de point de vue neutre, niant toute subjectivité.

Qu’il s’agisse de Jeanne Dielman épluchant des pommes de terre ou d’une Femme pelant une pomme sous le regard d’un enfant, on y voit une femme dans un lieu clos, effectuant une tâche domestique. Néanmoins, la place de leur corps dans la représentation se distingue. Cette distinction peut alors être appréhendée depuis la lecture de Manon Garcia. Selon cette dernière, le point commun des différentes formes d’oppression étant le processus l’aliénation, dans le cas de la domination masculine, c’est par le biais de l’objectification qu’il s’appliquerait spécifiquement aux femmes. Dès lors, « la domination masculine permet à cette objectification de passer inaperçue et de faire apparaître la soumission des femmes non pas comme le résultat de la domination des hommes mais comme leur condition objective ». Elle rejoint, finalement, la théorie de Laura Mulvey sur le male gaze (Cf. infra chapitre 2) qui démontre l’existence dans le cinéma d’un point de vue masculin objectifiant les femmes ; un point de vue pourtant érigé comme un regard neutre.

On comprend ainsi que la Femme pelant une pomme est une femme anonyme car tout l’esthétisme de la toile réside dans son action. Son identité importe peu. Il s’agissait de montrer la beauté d’une femme qui effectue une tâche ménagère pour appuyer un discours épidictique. Le regard masculin impose « l’image silencieuse de la femme encore et toujours enferrée dans sa place de porteuse de sens, et non de créatrice de sens » [202] : elle est objectifiée. Au 20ème siècle, une représentation qui pourrait se rapprocher de la Peinture de genre, en terme d’objectification et de discours, est la collection de livres Martine [203]. Ces ouvrages illustrent les activités qui devraient normalement composer la vie ordinaire d’une petite fille, l’assignant dès l’enfance à son leur rôle de genre : toute Martine est censée devenir une Jeanne.

Couverture de « Martine fait la cuisine », collection Martine, n°24, 4 mai 1993.

Cette vision, relatant presque du conte merveilleux, n’apparaît pas dans le film de Chantal Akerman. Les tâches que Jeanne effectue semblent être montrées telles quelles, troublant la dimension fictionnelle du long-métrage : on éprouve [204] l’épluchage des pommes de terre comme si on le faisait nous-mêmes. On voit le temps passer dans le plan, mais aussi, en tant que spectateur·rice lorsque l’on attend le plan suivant. D’autre part, si sa vie se déroule presque exclusivement dans l’espace domestique, celui-ci n’est pas placé comme un simple décor où se déroule l’intrigue. Les pièces sont filmées avant et après que Jeanne soit là, créant des petits moments de latence où elle n’est pas dans le champ visuel ; on attend Jeanne, on entend par le bruit de ses talons qu’elle arrive, on l’entend repartir, on l’attend dans l’autre pièce, et au final, on oublierait presque qu’elle est passée. Jeanne semble hanter l’espace domestique [205]. La distance spatiale et temporelle à laquelle filme Chantal Akerman vient poser un autre regard sur la vie de femme au foyer : la réalisatrice place l’ordinaire comme le sujet. Ainsi, à cette distance, on ne voit plus la « ménagère » épanouie que dépeignaient de nombreuses représentations à cette époque (Cf. supra chapitre 7). Son ennui, son angoisse et son obsession de la mort se font sentir à travers son regard, comme si ses souvenirs douloureux s’immisçaient dans sa vie domestique au fil des jours. Alors que son fils et elle ne dialoguent que très rarement, lorsqu’il lui demande comment elle a rencontré son père elle entame un monologue sur leur rencontre laissant apparaître les circonstances de la guerre qui ont dessiné sa vie, notamment avec la mort de ses parents – elle laisse sous-entendre l’horreur des camps, bien qu’elle le ne dise pas clairement, comme pour préserver son fils de son angoisse. En orchestrant ce quotidien à horaires fixes, elle tentait elle-même d’y échapper, de ne surtout pas « laisser de trou » [206].

En représentant la vie d’une « mère, ménagère, prostituée » [207] Chantal Akerman embrasse l’ordinaire et le trouble à la fois : même s’il s’agit de scènes que l’on reconnaît [208], ce sont en réalité des scènes que l’on a jamais vraiment regardé ; « Tout le monde a déjà vu une femme dans une cuisine, à force de la voir, on l’oublie, on oublie de la regarder. Quand on montre quelque chose que tout le monde a déjà vu, c’est peut être à ce moment-là qu’on voit pour la première fois. Une femme de dos qui épluche des pommes de terre. Delphine, ma mère, la vôtre, vous-même. » [209]. Ce regard qu’elle nous invite à adopter pourrait être qualifié de « regard féminin », tel que Iris Brey le théorise : un regard qui « ne définit pas une essence féminine mais analyse, grâce à une approche phénoménologique et féministe, une spécificité qui renvoie à l’expérience du corps féminin. Une approche cruciale et urgente puisque les personnages féminins dont on ressentira l’existence et qui sortiront du statut d’objet ont été jusqu’ici absents, effacés, minimisés et avant tout discriminés de nos écrans et de notre culture. Le female gaze peut nous aider à voir et à regarder en dehors du modèle dominant. » [210]. Depuis les écrits de Garcia et de Mulvey, on peut considérer que, si Jeanne continue a effectuer aussi rigoureusement les tâches ménagères alors que personne ne l’y oblige, c’est parce qu’en ayant été objectifiée par les hommes toute sa vie, elle se serait elle-même conçue comme un objet. Or, en filmant à cette distance, Akerman fait le choix de ne pas objectifier Jeanne. Ainsi, c’est toute l’illusion d’une condition objective féminine qui se défait.

La binarité de genre : un ordre économique

Lorsque Chantal Akerman parle de son film « Jeanne Dielman », elle évoque la scène finale de meurtre comme seul geste qui viendrait de Jeanne. Jusque là, elle tenait à maintenir un « ordre » qui n’était pas le sien : « Donc si vous voulez, un trop grand ordre conduit au désordre, et c’est ce qui est un peu montré dans le film » [211]. Même si la réalisatrice ne mentionnait pas le terme de « genre » à cette époque, elle affirmait qu’ « il n’y a pas obligatoirement la nécessité d’un homme pour que l’on joue son rôle, l’ordre symbolique est tellement fort » [212]. Ici, le « on » qu’elle emploie ne généralise pas l’expérience des femmes, mais évoque, plutôt, la façon dont les normes sociales s’appliquent à leur comportement : « Certes, ce qu’elle décrit correspond aussi à la façon dont en moyenne les femmes se comportent mais c’est précisément parce que toute norme sociale, si elle fonctionne comme norme au sens prescriptif, finit par décrire ce qu’il y a de statistiquement normal » [213]. En s’intéressant à ses oeuvres aujourd’hui, on constate que finalement, le stéréotype de genre est au coeur de son travail.

Image extraite du court-métrage Saute ma ville, réalisé par Chantal Akerman, 1968.

Son premier court-métrage « Saute ma ville », réalisé en 1968, se déroule exclusivement dans une cuisine. L’unique personnage est une jeune femme, jouée par elle-même. En fredonnant des airs joyeux, elle se fait des pâtes, elle nourrit son chat, elle met du scotch sur sa porte, elle mange, elle renverse de la nourriture, elle nettoie la vaisselle sur le sol, elle danse, elle se regarde dans le miroir, puis, elle allume le gaz. Elle ne met pas de l’ordre : elle met du désordre. La réalisatrice affirmera plus tard que ce premier film pourrait être considéré comme les dessous du film « Jeanne Dielman » [214]. Au final, qu’est ce qu’une femme qui ne met pas de l’ordre dans une cuisine ? Elle explose. L’ordre serait le genre, ou du moins, les normes de genre, qui lui imposent d’effectuer des gestes spécifiques dans une cuisine pour se définir en tant que femme.

Les tâches ménagères seraient aliénantes car elles s’inscrivent dans un ensemble d’injonctions qui les placent comme un devoir féminin, et non comme un travail, qui, comme les autres, nécessite des compétences et utilise la force de travail d’un corps. Aujourd’hui encore, dans les pays occidentaux, le travail domestique effectué par une femme dans le cadre de son foyer est toujours synonyme d’« inactivité » [215]. Quand bien même il serait rémunéré, les qualités genrées qui lui sont attribuées maintiennent sa dévalorisation vis-à-vis des autres métiers prétendus plus « masculins ». D’autre part, l’histoire des Calculatrices humaines laisse comprendre que ces qualités ne seraient pas fixes. Elles pourraient s’intervertir pour toujours faire en sorte que les qualités dites « masculines » soient plus valorisées. En effet, à partir de la Seconde Guerre mondiale, les premiers ordinateurs se sont mis à fonctionner et des programmeuses étaient demandées pour pourvoir certains postes laissés par les hommes. Le travail des ENIAC Girls – nom particulièrement infantilisant – était même reconnu par les ingénieurs comme indispensable pendant la guerre ; mais, en réalité, il s’agissait surtout de vanter leur « habilité naturelle » pour conserver leur rôle aux tâches subalternes que les hommes ne voulaient pas faire. Il y avait les métiers des hommes et les métiers des femmes, distingués dans le vocabulaire par hardware (le matériel) et software (le logiciel) : concevoir le matériel était un travail d’homme – donc « dur » –, alors que programmer du logiciel était un travail de femme – donc « doux ». Pourtant, lorsque le potentiel du logiciel a été reconnu comme une affaire lucrative, l’activité s'est professionnalisée dans les années 70 et a écarté les femmes mathématiciennes de ces emplois. En fait, plus le code prenait de la valeur, plus il devenait masculin. Les arguments qui étaient initialement brandis pour recruter les femmes dans le secteur – notamment le rapprochement avec les compétences de « ménagères » – se sont transformés en des exigences de logique et de technique que seul l’ « esprit masculin » pouvait avoir. L’acte de cuisiner n’est pas épargné par ce double standard [216] : « Il y aurait d’un côté la “cuisinière”et de l’autre le “chef” » [217]. Au sein du foyer, cuisiner devient une « tâche » qui se fond dans un programme répétitif de gestes quotidiens et se transforme, ainsi, en un acte aliénant. De ce sens, le stéréotype de genre ne se lirait par uniquement depuis une spatialité – la place de la femme est à la cuisine –, mais également depuis l’enjeu que représente le travail de nourrir des personnes quotidiennement au sein d’un foyer ; un travail de reproduction et donc, un enjeu économique [218].

Bien que le terme de « genre » n’ait pas été vraiment reconnu avant la seconde vague féminisme [219], aujourd’hui, de nombreuses études démontrent qu’il s’agit bien d’une construction sociale, historique et culturelle, et que dans le monde occidental, c’est la binarité de genre qui est imposée comme norme de la société [220]. Ainsi, que ce soit dans l’histoire de l’informatique ou de la gastronomie, on peut constater un déplacement et/ou un détournement de la frontière masculin/ féminin à certains niveaux, mais jamais de sa disparition, car, au final, c’est sur cette binarité que se joue des dynamiques d’exploitation économique ; un postulat que la biologiste, philosophe et historienne des sciences Donna Haraway résume par l’idée d’une féminisation du travail : « Le travail est redéfini à la fois par l’existence d’une main-d’oeuvre exclusivement féminine, et par une féminisation de certains emplois occupés par des femmes. Féminiser signifie rendre extrêmement vulnérable ; exposer au démantèlement, au réassemblage, et à l’exploitation que subissent ceux qui constituent une réserve de main-d’oeuvre ; être considéré moins comme un travailleur que comme un domestique ; être soumis à des emplois du temps morcelés qui font de toute notion de durée limitée du temps de travail une véritable farce » [221].

[170] International Business Machines Corporation est une société multinationale américaine fondée en 1911 et présente dans les domaines du matériel informatique, du logiciel et des services informatiques.

[171] Lettre du 16 avril 1955 de J. Perret, professeur à l’université de Paris, à C. de Waldner, président d’IBM France. Archives IBM France. voir Loïc Depecker, « Que diriez-vous d’ “ordinateur” ? », Bibnum, Calcul et informatique, 1er Juin 2015.

[172] Mona Chollet, Chez soi: une odyssée de l’espace domestique. Editions La Découverte, 2015, p. 262. L’autrice affirme qu’il y a encore aujourd’hui une croyance persistante en ce que la propreté serait l’état naturel d’une maison: « ce refus de voir le travail domestique permet aussi de maintenir l’illusion d’un intérieur propre et bien tenu comme par magie ».

[173] Chantal Akerman, Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, 1975.

[174] Delphine Simon-Marsaud, « Chantal Akerman, mode d’emploi ». Cinémathèque française, 22 janvier 2018.

[175] Archive INA : Chantal Akerman intervient dans le public du Masque et la Plume a propos de son film « Jeanne Dielman », échange avec les critiques et avis d'Albert Cervoni, 25 Janvier 1976.

[176] Iris Brey, Le regard féminin : Une révolution à l’écran. De L’olivier Eds, 2020, p. 142. « Un quotidien qui, avant Jeanne Dielman, n’avait jamais été jugé digne du cinéma. ».

[177] « Le temps n’est pas que dans le plan, il existe aussi chez le spectateur en face qui le regarde. Il sent ce temps, en lui. Oui. Même s’il prétend qu’il s’ennuie. Et même s’il s’ennui vraiment et qu’il attend le plan suivant. Atteendre le plan, suivant, c’est aussi et déjà se sentir vivre, se sentir exister. Ca fait du mal ou du bien, ça dépend. ». voir Chantal Akerman, Autoportrait en cinéaste. Centre Pompidou. Cahiers du cinéma, 2004, p. 38.

[178] Virginia Woolf, A Room of One's Own, 1929.

[179] Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, t. I, Paris, Gallimard, 1949.

[180] Betty Friedan, The Feminine Mystique, 1963, p. 48. « Just what was this problem that has no name? What were the words women used when they tried to express it? Sometimes a woman would say “I feel empty somehow . . . incomplete.” Or she would say, “I feel as if I don’t exist.” »

[181] « Il n'y a rien à dire disait ma mère et c'est sur ce rien que je travaille ». voir « Auto Radio Portrait par Chantal Akerman - Avec Chantal Akerman ». Atelier de Création Radiophonique, 2007.

[182] A Room of One's Own a été traduit en français une première fois sous le titre de Une chambre à soi (traduit par Clara Malraux, éd. 10/18, 2001) puis sous le titre de Un lieu à soi (traduit par Marie Darrieussecq, éd. Gallimard, 2016).

[183] Le Masque et la Plume, op. cit., 25 Janvier 1976.

[184] Un essai visuel intitulé Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles: Day x Day x Day, produit par Dr. Drew Morton professeur à l’Université Texarkana du Texas, superpose les scènes du film de Chantal Akerman selon les trois journées qui se succèdent. Cette vidéo permet de mieux analyser les motifs visuels qui se répètent et les rythmes temporels qui se décalent.

[185] Isabelle Collet, Les oubliées du numérique. Le Passeur, 2019.

[186] Ibid. p. 108.

[187] Megan Garber, « Computing Power Used to Be Measured in ’Kilo-Girls’ : The earliest computers were human. And, more often than not, female. », The Atlantic, Technology, 17 octobre 2013.

[188] On parle ici d’hommes et femmes en tant que catégorie sociale. L’autrice s’intéresse spécifiquement aux écrits de Beauvoir qui n’évoquait pas explicitement la notion de genre en tant que construction sociale binaire. voir Manon Garcia, On ne naît pas soumise, on le devient. Flammarion, 2018.

[189] Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, t. II, Paris, Gallimard, 1949, p. 263-264. [cité par Manon Garcia, op. cit. p. 187]

[190] Manon Garcia, op. cit., p. 187.

[191] Ibid. p. 195.

[192] Iris Brey, op. cit., p. 141.

[193] Manon Garcia, op. cit., p. 117 et p. 155. « La médiocrité au sens littéral de l’ordinaire pose problème pour sa connaissance ; sa médiocrité au sens négatif pose un problème moral. En effet, « médiocre » ne veut pas seulement dire « moyen », ce qui est médiocre est, dans le langage courant, ce qui est en dessous de la moyenne, ce qui est sinon réellement mauvais du moins clairement décevant. ».

[194] Archive INA : Chantal Akerman et Delphine Seyrig évoquent leur film « Jeanne Dielman Jeanne Dielman 23 Quai Du Commerce 1080 Bruxelles » dans Clap émission du 17 janvier 1976.

[195] « Tout ce qui constitue les déchets du cinéma classique […] ». voir Jean Marc Lalanne, « Jeanne Dielman, 23 rue du commerce, 1080 Bruxelles », Les Inrockuptibles, 17 avril 2007.

[196] Tzvetan Todorov, Eloge du quotidien: essai sur la peinture hollandaise au XVIIème siècle, 1993.

[197] Valérie Boudier, La cuisine du Peintre : Scène de genre et nourriture au Cinquecento, Presse Universitaire de Rennes, 2010.

[198] Christopher Brown, La peinture de genre hollandaise au xviie siècle, éd. fr., Paris, 1984, p. 10.62

[199] Laurence Marie, « La scène de genre dans les Salons de Diderot », Labyrinthe, 1999, p. 79-98.

[200] Selon le plus célèbre poète-moraliste de l’époque, Jacob Cats « Le mari doit être à la rue pour exercer son métier, l’épouse, à ses fourneaux, ne quittera son foyer ». voir « La sérénité domestique : la femme et l’enfant ». Aparences - Histoire de l’Art et Actualité Culturelle Peinture de genre hollandaise, 16 janvier 2018 [en ligne].

[201] Ibid.

[202] Laura Mulvey, « Visual pleasure and narrative cinema ». Traduit par Gabrielle Hardy. Screen, n o 16, 1975.

[203] Martine est un personnage introduit en 1954 par Gilbert Delahaye et Marcel Marlier dans la littérature jeunesse belge. Il s’agit dans chaque album publié de raconter une « aventure » de Martine, fille d’une dizaine d’années. Ces 60 albums ont été traduits dans de multiples langues étrangères et vendus dans une trentaines de pays. voir le siteweb des éditions Casterman.

[204] Iris Brey, op. cit., p. 142.

[205] Un essai vidéo intitulé Sound Unseen : The Acousmatic Jeanne Dielman rassemble les plans montrés pendant ces moments de latences. On y voit l’espace domestique sans Jeanne mais avec les sons qui témoignent de sa présence aux alentours.

[206] Clap émission, op. cit., 17 janvier 1976. Chantal Akerman : « Si vous voulez, elle a organisé son temps de manière à ne pas laisser de trou. À la fin de la deuxième journée, tout cet univers très organisé va commencer insidieusement à se dérégler, et à ce moment là il y aura un trou, dans son horaire, qui laissera une place à l’angoisse. »

[207] Chantal Akerman dans Parlons Cinéma, entrevue au Festival de Cannes en 1977.

[208] Jérôme Momcilovic, Chantal Akerman : Dieu se reposa, mais pas nous. Capricci. 2018, p. 35. « Aller à la distance juste qui, sans perdre la rue ni Jeanne, fait voir une autre rue et une autre Jeanne. Christian Boltanski a résumé cela d’une formule admirable: “Dans les films de Chantal Akerman, on ne découvre pas, on reconnaît” ».

[209] Chantal Akerman, Autoportrait en cinéaste, op. cit., p. 39.

[210] Iris Brey, op. cit., p. 47.

[211] Le Masque et la Plume, op. cit., 25 Janvier 1976. Chantal Akerman : « Si vous voulez, en fait elle a tué, et c’est peut être le premier geste qui vient vraiment d’elle, et en même temps quelque part c’est pour rétablir son ordre. Parce qu’elle ne supporte pas que le désordre vient. Donc si vous voulez, un trop grand ordre conduit au désordre, et c’est ce qui est un peu montré dans le film. ».

[212] Ibid.

[213] Manon Garcia, op. cit., p. 166.

[214] Laure Adler, « Chantal Akerman, voix nue du cinéma, par Sonia Wieder Atherton ». L’heure bleue. France Inter, 28 avril 2021.

[215] « D’un point de vue statistique, [les femmes au foyer] appartiennent à la catégorie “inactives” ; le statut qui leur est associé étant défini par rapport aux autres catégories qui composent la nomenclature des Professions et Catégories Socioprofessionnelles (PCS) » voir la thèse de Liliane Fiori, « Les Femmes au foyer: Objectivation et subjectivation d’une invisibilité sociale ». U.F.R. de Sciences Humaines et Arts, 2006.

[216] « Les mêmes tâches peuvent être nobles et difficiles, quand elles sont réalisées par des hommes, ou insignifiantes et imperceptibles, faciles et futiles, quand elles sont accomplies par des femmes ; comme le rappelle la différence qui sépare le cuisinier de la cuisinière, le couturier de la couturière, il suffit que les hommes s’emparent de tâches réputées féminines et les accomplissent hors de la sphère privée pour qu’elles se trouvent par là ennoblies et transfigurées…». voir Pierre Bourdieu, La domination masculine, 1998.

[217] Aujourd’hui en France, le poste de « chef cuisinier » – récemment déclinable en « cheffe cuisinière » – est exercé à 94 % par des hommes. Comme le démontre l’ouvrage de Nora Bouazzouni, les femmes ont été exclues dès le début de la profession : « Dans l’Hexagone, la haute gastronomie fut d’abord une cuisine de cour, exécutée par des hommes payés pour, tandis que les classes moins aisées laissaient aux femmes (épouses, mères ou servantes) la charge de préparer les repas. ». voir Nora Bouazzouni, Faiminisme : Quand le sexisme passe à table, Nouriturfu, 2020, p. 16.

[218] Silvia Federici, Capitalisme patriarcal. La Fabrique, 2019.

[219] Aux États-Unis on parle de Gender studies depuis les années 70. En France, la montée des Études de genre est visible seulement depuis la dernière décennie dans les institutions. Toutefois, un ensemble d’études littéraires et philosophiques françaises dans les années 70-80, nommé « French Theory », évoquait déjà l’idée de « déconstruction » des normes sociales et culturelles, et ont aussi contribuer à alimenter les théories américaines sur le genre. voir Johannes Angermuller, Why There Is No Poststructuralism in France, 2015.

[220] Victoire Tuaillon, Les couilles sur la table. Binge Audio, 2019.

[221] Donna Haraway, Cyborg Manifesto, 1985. Traduit par Nathalie Magnan.

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