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Laurent Dorner
l’homme, la femme, l’enfant et Alma
la brune au rouergue
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Laurent Dorner
l’homme, la femme, l’enfant et Alma
la brune au rouergue
Au cœur de la zone industrielle, les machines de l’usine vrombissent frénétiquement. L’air est chargé de l’odeur âcre des produits chimiques. Dans cette enceinte labyrinthique, les employés fourmillent sans se douter que leur lieu de travail subit une attaque informatique. Dans la salle de contrôle, une alarme sonne discrètement, confinée à cette pièce. Les techniciens s’affairent à leur poste pour traiter immédiatement l’anomalie. Ils arrivent à la conclusion qu’une tentative d’intrusion est en cours. Dans une ambiance chaotique mais paradoxalement maîtrisée, ils activent immédiatement le protocole de sécurité. Des messages rouges apparaissent sur leurs écrans et des panneaux d’urgence s’illuminent dans toute l'usine.
Le premier échelon du protocole est enclenché : la coupure de l’alimentation électrique pour arrêter les machines principales et donc toute la production. Les machines s’immobilisent brusquement, laissant derrière elles un silence oppressant.
L’alarme générale retentit. Tout le bâtiment est plongé dans l’obscurité, à l’exception de lumières rouges clignotant nerveusement. Tous les employés s’arrêtent, lèvent la tête et s’interrogent du regard dans la pénombre. Aucun d’eux ne se souvient d’un exercice d’alerte planifié aujourd’hui. Ils échangent des regards interrogateurs puis arrivent finalement à la seule conclusion possible. Cela n’a rien d’un exercice.
Ils s’activent dans un chaos organisé, suivant la procédure d’urgence à la lettre. Une telle situation s’était déjà produite quatorze ans plus tôt et avait pu être contenue en moins de quatre-vingt-dix secondes.
Avant même qu’ils aient pu entamer la moindre conversation, toutes les lumières de l’usine se rallument, les machines se relancent. Le bruit devient rapidement plus assourdissant qu’avant l’interruption.
Les techniciens de la salle de contrôle s’interrogent sur cette sortie du protocole de sécurité. Il a dû être désactivé par erreur. Ils tergiversent jusqu’à ce que l’un d’eux essaie de le relancer… en vain.
Un mouvement de panique traverse la salle de contrôle, mais l’équipe se ressaisit rapidement. Ce cas a été anticipé. Les techniciens enclenchent le système de refroidissement alternatif. Un mécanisme d’urgence qui ne peut fonctionner que pendant quinze minutes maximum. Cela leur laissera cependant le temps de résoudre le problème ou de couper le courant pour de bon. Un message sur leur écran confirme que le système de refroidissement est bien activé. Un silence synonyme de soulagement envahit la salle de contrôle.
« La chaleur continue d’augmenter ! », s’écrie un des techniciens.
Tous se tournent vers son écran, consternés. La température continue de croître dangereusement.
L’alarme continue à sonner. Les quatre-vingt-dix secondes sont de l’histoire ancienne. Partout dans l’usine, les réflexes acquis au cours des nombreuses fausses alertes laissent place à l’affolement. Les mesures de sécurité prévues pour un tel scénario ne fonctionnent clairement pas. Les cris des employés se mêlent aux sonneries de l’alarme :
« Le protocole d’urgence ne fonctionne pas. »
« La pression est trop forte, évacuez les lieux ! »
« Ça va péter ! On a été piratés ! Fuyez ! »
D’autres cherchent à appeler leurs familles.
Les sirènes de la ville viennent s’ajouter à la cacophonie générale.
Dans la salle de contrôle, l’un des techniciens, le plus expérimenté, déjà présent quatorze ans plus tôt, se précipite vers la porte.
« On n’a plus le choix, je vais tout couper ! » lance-t-il.
Il court jusqu’à la salle des serveurs en brandissant son pass de sécurité et l’applique sur le boîtier noire à côté de la porte.
Une lumière rouge et un bip… Accès refusé.
Il réessaie. Accès refusé.
Il essaie une troisième fois…
Le cœur de l’usine explose dans un fracas pire qu’un coup de tonnerre. Murs et toits de l’usine sont pulvérisés par la puissance dévastatrice de la déflagration, projetant une infinité de débris dans toutes les directions.
L’explosion se fait entendre dans toute la ville. Dans un rayon de mille cinq cents mètres autour de l’usine, l’onde de choc brise les fenêtres et les vitrines des bâtiments les unes après les autres.
Au centre-ville, certains passants laissent échapper un cri sous le coup de la surprise, d’autres cherchent à se mettre à l’abri.
Ceux qui lèvent la tête aperçoivent une large masse de fumée s’élevant au-dessus des toits.
Les gens courent, trébuchent, se jettent dans leurs voitures. Certaines démarrent à toute vitesse tandis que celles des conducteurs les plus en proie à la panique renversent poteaux et poubelles.
Au loin, la colonne de fumée noire persiste dans son ascension. Tel un arbre géant planté dans la ville, elle prend la forme d’un champignon. Ses racines sont partiellement masquées par un brouillard jaunâtre.
À la vue de ce « champignon nucléaire », certains des habitants deviennent hystériques. Il y a ceux qui en oublient même qu’il n’y a pas de centrale nucléaire dans un rayon de deux cents kilomètres, ceux qui en déduisent immédiatement une attaque terroriste tandis que d’autres restent calmes, mais se demandent si cela ruinera leurs plans pour le week-end.
La majorité ne voit pas le plus grand danger qui les menace. Le brouillard jaunâtre se propage. Toxique, il condamne tôt ou tard tous ceux qui inspirent cet air empoisonné.
En quelques minutes, la majeure partie de la ville est enveloppée dans cette nuée de poussière jaune, si épaisse qu’il est impossible de voir à plus de cinq mètres.
Partout dans les rues de la ville les habitants qui n’ont pas fui à temps toussent irrépressiblement. Les plus faibles s’écroulent et succomberont à ce gaz mortel.