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Le désir d’une vie sauvage : vers la cosmose1

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Bernard Andrieu ___ Pour contrer le métro-boulot-dodo urbain, et face à la pollution et à l’extinction des espèces animales provoquées par l’homme, on observe la volonté croissante de revenir à une vie sauvage. ___ Cette volonté d’éveiller le sauvage qui sommeille en nous pour nous sentir vivants n’est pas nouvelle. Cette aspiration à une vie sauvage renvoie à l’expérience de nombreux aventuriers. Jack London, dans L’Appel de la forêt ou L’Appel sauvage (The Call of the Wild), publié en 1903, décrit cette immersion à travers le regard de Buck, un chien enlevé à la douceur d’une maison familiale pour être confronté aux réalités du Grand Nord américain. L’auteur raconte une lutte permanente pour rester en vie malgré la rudesse du climat et la violence du territoire mais aussi le besoin de demeurer indompté, l’amour de la liberté et de l’aventure. Dans Comment je suis devenu socialiste, écrit en 1902, il fait le lien entre sa force physique et son goût pour le grand air : « Cela parce que j’étais moi-même fort. Je veux dire par là que j’avais une bonne santé et des muscles solides, et ces deux avantages l’expliquaient facilement. J’avais passé mon enfance dans les ranchs de Californie, mon adolescence à vendre des journaux dans les rues d’une ville salubre de l’Ouest, ma jeunesse sur les eaux chargées d’ozone de la baie de San Francisco et de l’océan Pacifique. J’adorais la vie au grand air et je travaillais au grand air, aux travaux les plus durs. » Mais comme dans la nouvelle de Jack London Construire un feu, où un homme obstiné, parti seul avec son chien aux confins de l’Alaska, finit par trouver la mort en raison de son entêtement et de son aveuglement, l’homme n’a pas toujours la culture matérielle et les techniques du corps pour s’adapter à la nature sauvage. À cause de son orgueil – quand l’aventurier s’enfonce trop loin –, d’une perte de lucidité et d’une modification de son état de conscience, sa résistance ne suffit plus à contenir les effets invasifs de la cosmose. Christopher Johnson McCandless2 en est un exemple. Renonçant au système de consommation américain, cet étudiant californien décide un jour de tout quitter pour s’enfoncer dans l’hiver de l’Alaska, sans préparation suffisante. La nature sauvage s’impose alors à lui : après cent jours il avoue : « Trop faible pour en sortir, je suis littéralement pris au piège dans la nature. » Il mourra quelques jours plus tard. La cosmose, se fondre dans la nature, est une expérience de fusion du soi dans le monde des éléments et de communauté des êtres de nature3 : le moi ne résiste plus

___ 1. La cosmose est le fait de se sentir en osmose avec la nature et le cosmos. ___ 2. Christopher Johnson McCandless est un aventurier américain. Son histoire a été racontée dans le roman biographique Into the Wild écrit par Jon Krakauer en 1996 et adapté au cinéma en 2007 par Sean Penn. ___ 3. Hicham-Stéphane Afeissa, La Communauté des êtres de nature, Paris, Éditions MF, coll. « Dehors », 2010, p. 51.

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