20140315 mag

Page 53

le magazine.

La damnée du barreau. En 1981, Brigitte Hemmerlin est une jeune pénaliste militante de 28 ans. Son destin bascule un jour de février, lorsqu’elle fait passer une arme à son client condamné à mort. Après cinq ans de prison ferme et une vie à se reconstruire, l’ancienne avocate raconte son histoire dans un roman, “Personne ne peut arrêter une jeune fille qui rêve”. Et dit son amertume après le rejet de sa réintégration au barreau de Paris. Par Pascale Robert-Diard/Photo Stéphane Lavoué

P

eut-être faut-il commencer par la fin. Par les der-

niers mots de la dernière page. « Aux quarantedeux membres du conseil de l’ordre qui, refusant ma réintégration, m’ont donné le courage d’écrire ce livre. » Le récit de Brigitte Hemmerlin, Personne ne peut arrêter une jeune fille qui rêve (éditions du Cherche-Midi) est né devant cette porte qu’on lui a claquée au nez, le 27 septembre 2011. Renvoyée trente ans en arrière, figée dans son passé, ce jour de 1981 où son destin a basculé. Fresnes, quartier des condamnés à mort. Philippe Maurice est le seul à occuper ce bâtiment à part,troisième division à droite en entrant dans la prison. La peine capitale a été prononcée contre lui quatre mois plus tôt pour le meurtre de deux policiers alors qu’il était en cavale. Ce 24 février, comme les fois précédentes, Me Brigitte Hemmerlin se présente à l’entrée, fait tamponner son permis de visite, traverse la cour pavée, passe les grilles et s’installe dans le parloir en attendant le détenu. Il entre, le gardien qui est tenu de l’accompagner n’est pas là. Philippe Maurice plonge la main dans le sac de la jeune avocate, en sort le paquet qu’il sait devoir y trouver. Quelques instants plus tard, un colt 45 glissé dans le pantalon, il rejoint sa cellule en échappant à la fouille. La suite se joue en quelques heures.Philippe Maurice échoue à s’évader après avoir grièvement blessé un gardien qui s’était jeté sur lui. Sa jeune avocate de 28 ans, aussitôt suspectée, est arrêtée à son domicile et placée en garde à vue. Un an plus tard, le 17 février 1982, elle est condamnée par la cour

d’assises de Paris à cinq ans de prison ferme pour complicité d’évasion. Seize ans de réclusion sont prononcés contre Philippe Maurice, pour tentative d’assassinat du gardien et quatre ans contre son frère Jean-Jacques. Quand elle s’est présentée devant le conseil de l’ordre du barreau de Paris pour demander sa réintégration, Brigitte Hemmerlin était confiante. Elle avait 59 ans, sa peine était purgée, elle avait refait sa vie et elle était rétablie dans tous ses droits par la réhabilitation qui avait effacé la trace de sa condamnation sur son casier judiciaire. « Je me disais, ils vont me voir et m’écouter, ils vont me pardonner, raconte-t-elle. L’histoire est passée. L’émotion est finie. Philippe Maurice est devenu historien, spécialiste du Moyen Age. Moi, j’ai travaillé, on n’a plus entendu parler de moi. » Ils lui ont dit non. Ils ont estimé que la gravité du geste pour lequel elle avait été condamnée « n’était pas de nature à inspirer la confiance que l’on est en droit d’attendre d’un auxiliaire de justice ». A l’évocation de cette décision, sa voix tremble. « La véritable peine que l’on m’a infligée, c’est celle-là. La prison, c’était normal. J’ai payé. Quand je suis sortie, j’ai dû tout reconstruire. J’ai fait beaucoup de métiers, mais ma vie, c’était d’être avocate. Les quatre années pendant lesquelles j’ai exercé ce métier sont les seules qui ont vraiment compté dans mon existence. » Elles sont là, intactes, ces quatre années, serrées dans les 230 pages d’un beau récit qui n’a de fictionnel que les prénoms de ses personnages. Et avec elles toute une époque. Brigitte Hemmerlin est Claire, l’étudiante en droit qui vient à la fin des années 1970 frapper à la porte d’un avocat déjà célèbre, Gabriel Doré, alias Thierry Lévy. Quelques années plus ••• 53


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.