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M Le magazine du Monde no 137. Supplément au Monde no 21551 du samedi 3 mai 2014. Ne peut être vendu séparément. Disponible en France métropolitaine, Belgique et Luxembourg.

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3 mai 2014

Jeunes, apolitiques, entreprenants La NouveLLe éLite Noire

Dossier Habitat durable la ville s’aère les idées





R A L P H L A U R E N . C O M / R I C K Y P A R I S

S T- B A R T H É L É M Y

C A N N E S


acquadiparma.com


TOILETPAPER pour M Le Magazine du Monde

Carte blanche à

Fondé en 2010 par l’artiste Maurizio Cattelan et le photographe Pierpaolo Ferrari, le magazine TOILETPAPER s’amuse de l’overdose d’images et détourne les codes de la mode, du cinéma, de la publicité. Troublant et captivant.

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Edito.

Au programme. Certains vont nous taxer d’angélisme. D’autres seront surpris

que nous employions le terme « Noir », sans prendre les précautions d’usage dans notre pays de tradition égalitariste où il est mal vu de faire référence aux origines ethniques des personnes. Mais, en mettant en couverture de M Le magazine du Monde de cette semaine quelques-uns des visages de ce que la journaliste Elise Vincent appelle « la nouvelle élite noire », nous donnons la parole à des médecins, entrepreneurs, cadres supérieurs… Tous plus ou moins quadras, ils sont bien placés pour savoir que le plafond de verre est encore, dans la France de 2014, aussi solide que du béton. Ils sont noirs, oui! Et alors? Loin des complexes de leurs parents, étrangers aux revendications politiques de certains, peu encombrés par le lourd héritage de la colonisation, sourds à l’insondable bêtise raciste, pas forcément prêts à traduire mot à mot l’affirmative action américaine en français, leur revendication unique est la déclaration d’une ambition pure et simple. Ils veulent réussir. Parce qu’ils le méritent. Un point, c’est tout. Et parce qu’il y a, ici et maintenant, bien d’autres figures noires à montrer que le banlieusard en déshérence ou le sportif performant. Qu’ils soient les enfants de la grande bourgeoisie africaine ou les rejetons méritants de familles antillaises, ils sont une minorité agissante. Qui a vocation, comme on dit aux Etats-Unis, à servir de role model aux plus jeunes. Il n’y a plus de temps à perdre. Marie-Pierre Lannelongue

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253 rue Saint-Honoré - paris 1er 44 Avenue Montaigne - Paris 8ème chloe.com


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J’y étais… bloquée à Mâcon-Loché.

LE MAGAZINE

LA SEMAINE

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p. 19

L’amérique au révéLateur du “capitaL”. Le succès du pavé de l’économiste français Thomas Piketty survient alors que le mouvement Occupy Wall Street avait déjà sensibilisé l’opinion américaine aux inégalités croissantes.

p. 22

iL faLLait oser. Casting mortel.

p. 24

p. 35

iLs sont La minorité agissante. D’origines africaines ou antillaises, ces jeunes ont l’ambition d’abattre le plafond de verre qui pèse sur eux, en tentant de ne pas verser dans le communautarisme. un lobbying assumé et revendiqué.

p. 42

Jimmy carter, L’homme à femmes. A 89 ans, le « meilleur ex-président » américain consacre tout son temps à une nouvelle cause qui le bouleverse : les inégalités hommes-femmes.

p. 48

Les précaires du ministère. Conseiller ministériel : une fonction qui exige loyauté à « son » ministre et extrême adaptabilité. Peut-être pour quelques mois seulement…

p. 52

mariage en terres ennemies. Au Pakistan, les membres de la communauté hindoue des rajputs se voient contraints par la tradition de franchir la frontière pour se marier en Inde.

Le roman-photo de la diplomatie chinoise du panda. iLs font ça comme ça !

p. 25

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éTHIOPIE Des raisins en pleine croissance.

p. 26

EurOPE La drôle de campagne.

p. 28

marc beaugé rhabiLLe… le prince William.

p. 29

La photo. Vigies pirates.

p. 30

Les questions subsidiaires.

p. 32

Juste un mot. Par Didier Pourquery


Retrouvez “M Le magazine du Monde” tous les vendredis dans “C à vous”, présenté par Anne-Sophie Lapix. Une émission diffusée du lundi au vendredi en direct à 19 heures.

52 Eli Reed/Magnum Photos. Oriane Zerah pour M Le magazine du Monde. Emmet Gowin, Pace/MacGill Gallery, Editions Xavier Barral

le portfolio corps d’attache. Emmet Gowin, exposé à partir du 14 mai à la Fondation Cartier-Bresson (Paris 14e), photographie les allersretours en noir et blanc entre l’amour de sa vie, sa muse Edith, et les paysages déchirés de l’Ouest américain.

p. 56

le style p. 67

bain de jouvence pour molitor. Fermée en 1989, rasée en 2012, l’historique piscine parisienne a été reconstruite, quasiment à l’identique de l’originale… Au grand dam de certains historiens de l’architecture.

p. 70

l’icône. Mimsy Farmer, sensuelle et angélique.

p. 71

fétiche. Derby de dandy.

p. 72

variations. Python sur ton.

p. 73

le goût des autres. Sacquez la socquette.

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80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00/25-61 Courriel de la rédaction : Mlemagazine@lemonde.fr Courriel des lecteurs : courrier-Mlemagazine@lemonde.fr Courriel des abonnements : abojournalpapier@lemonde.fr Président du directoire, directeur de la publication : Louis Dreyfus Directrice du Monde, membre du directoire, directrice des rédactions : Natalie Nougayrède Directeur délégué des rédactions : Vincent Giret Secrétaire générale du groupe : Catherine Joly Directeur adjoint des rédactions : Michel Guerrin Secrétaire générale de la rédaction : Christine Laget

p.74

ÊTRE ET À VOIR. Par Vahram Muratyan.

p. 75

LA PALETTE. Mèches folles.

p. 76

UN PEU DE TENUES… Le fleuri.

p. 82

UNE VILLE, DEUX POSSIBILITÉS. Séville.

p. 84

UNE AFFAIRE DE GOÛT. La faisselle rafraîchit les idées.

p. 86

LA CHRONIQUE de JP Géné.

p. 88

LE RESTO.

p. 90

LE VOYAGE. Le Brest de Miossec.

LA CULTURE

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p. 92

LES DIX CHOIX DE LA RÉDACTION. Expo, cinéma, art contemporain, BD, danse, photo…

p. 103

LES JEUX.

p. 114

LE TOTEM. L’écharpe rouge de Bernard Tschumi.

LE DOSSIER p. 105

M SUR iPAD ET SUR LE WEB.

“M Le magazine du Monde” se décline sur tous les supports. L’application pour iPad vous propose une expérience de lecture et de visionnage nouvelle. “M” vous est ainsi accessible à tout moment et dans toutes les situations. Sur le site (lemonde.fr/m), vous retrouverez aussi une approche différente de l’actualité et les dernières tendances dans un espace qui fera toute sa place aux images.

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MA CITÉ VEUT DURER. La ville se renouvelle, la ville se réinvente : matériaux écologiques, mais aussi voitures hors circuit, convivialité revendiquée…

LA PHOTO DE COUVERTURE A ÉTÉ RÉALISÉE PAR OLIVIER METZGER POUR M LE MAGAZINE DU MONDE . LA PHOTOGRAPHIE A ÉTÉ RETOUCHÉE .

Documentation : Sébastien Carganico (chef de service), Muriel Godeau et Vincent Nouvet Infographie : Le Monde Directeur de production : Olivier Mollé Chef de la fabrication : Jean-Marc Moreau Fabrication : Alex Monnet Coordinatrice numérique (Internet et iPad) : Sylvie Chayette, avec Aude Lasjaunias Directeur développement produits Le Monde Interactif : Edouard Andrieu Publication iPad : Agence Square (conception), Marion Lavedeau et Charlotte Terrasse (réalisation). DIFFUSION ET PROMOTION Directeur délégué marketing et commercial : Michel Sfeir Directeur des ventes France : Hervé Bonnaud Directrice des abonnements : Pascale Latour Directrice des ventes à l’international : Marie-Dominique Renaud Abonnements : abojournalpapier @lemonde.fr ; de France, 32-89 (0,34 € TTC/min) ; de l’étranger (33) 1-76-26-32-89 Promotion et communication : Brigitte Billiard, Marianne Bredard, Marlène Godet, Anne Hartenstein Directeur des produits dérivés : Hervé Lavergne Responsable de la logistique : Philippe Basmaison Modification de service, réassorts pour marchands de journaux : Paris 0805-050-147, dépositaires banlieue-province : 0805-050-146 M PUBLICITÉ 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00/38-91 Directrice générale : Corinne Mrejen Directrices déléguées : Michaëlle Goffaux, Tél. : 01-57-28-38-98 (michaëlle.goffaux @mpublicite.fr) et Valérie Lafont, Tél. : 01-57-28-39-21 (valerie.lafont@mpublicite.fr) Directeur délégué digital : David Licoys, Tél. : 01-53-38-90-88 (david.licoys@mpublicite.fr) M Le magazine du Monde est édité par la Société éditrice du Monde (SA). Imprimé en France : Maury imprimeur SA, 45330 Malesherbes. Dépôt légal à parution. ISSN 03952037 Commission paritaire 0712C81975. Distribution Presstalis. Routage France routage. Dans ce numéro, un encart « Relance abonnement » sur l’ensemble de la vente au numéro ; un encart « Orphelins d’Auteuil » destiné aux abonnés portés.

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Maras, 2006. Isabel Muñoz Photo. La tigre pour M Le magazine du Monde

3 mai 2014

M LE MAGAZINE DU MONDE Rédactrice en chef : Marie-Pierre Lannelongue Direction de la création : Eric Pillault (directeur), Jean-Baptiste Talbourdet (adjoint) Rédaction en chef adjointe : Eric Collier, Béline Dolat, Jean-Michel Normand, Camille Seeuws Assistante : Christine Doreau Rédaction : Carine Bizet, Samuel Blumenfeld, Annick Cojean, Louise Couvelaire, Emilie Grangeray, Laurent Telo, Vanessa Schneider Style : Vicky Chahine (chef de section), Fiona Khalifa (styliste) Responsable mode : Aleksandra Woroniecka Chroniqueurs : Marc Beaugé, Guillemette Faure, JP Géné, JeanMichel Normand, Didier Pourquery Directrice artistique : Cécile Coutureau-Merino Graphisme : Audrey Ravelli (chef de studio), Marielle Vandamme, avec Aude Blanchard-Dignac Photo : Lucy Conticello (directrice de la photo), Cathy Remy (adjointe), Laurence Lagrange, Federica Rossi, Hélène Bénard et Virginia Power Assistante : Françoise Dutech Edition : Agnès Gautheron (chef d’édition), Yoanna Sultan-R’bibo (adjointe editing), Anne Hazard (adjointe technique), Julien Guintard (adjoint editing), Béatrice Boisserie, Maïté Darnault, Valérie Gannon-Leclair, Catarina Mercuri, Maud Obels, avec Alexandra Bogaert, Valérie Lépine-Henarejos, Agnès Rastouil et Elodie Ratsimbazafy Correction : Michèle Barillot, Ninon Rosell et Claire Labati avec Agnès Asseline et Adélaïde DucreuxPicon Photogravure : Fadi Fayed, Philippe Laure avec Anne Loeub


14 octobre 2013, Paris ClĂŠment Chabernaud photographiĂŠ par Jamie Hawkesworth Boutique en ligne : defursac.fr


contributeurs.

Ils ont participé à ce numéro. élise Vincent, journaliste au Monde depuis 2006, suit les questions d’immigration et de diversité depuis 2010. Cette semaine, avec Louis Imbert, journaliste au Monde.fr, elle signe une enquête sur les nouvelles élites noires (p. 35). « C’est un sujet qui a été peu traité par la presse et un phénomène difficile à mesurer faute de statistiques ethniques. Au départ, nous sommes donc partis d’une question large : Existe-t-il en France une nouvelle élite africaine ou issue de l’ immigration africaine ? A l’arrivée, on s’est rendu compte qu’ il y avait une vraie classe émergente, aussi bien née en métropole, aux Antilles qu’en Afrique, et qui partageait une solidarité inédite en France : la couleur de peau. » Le photographe franco-suisse OliVier Metzger, 40 ans, a réalisé les images de l’article sur l’élite noire (p. 35). Diplômé de l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles, il a été, entre autres, lauréat du festival Voies off des Rencontres d’Arles et a obtenu le prix spécial BMW du festival Lyon Septembre de la photographie.

Depuis longtemps Annick cOjeAn, grand reporter au Monde, souhaitait rencontrer Jimmy Carter, considéré par la presse américaine comme « le meilleur ex-président des Etats-Unis » (p. 42). La chance a voulu qu’il fasse un passage éclair à Paris et accepte d’aborder le sujet de son dernier livre, qu’il considère comme « crucial, révoltant, non traité » et auquel il entend consacrer le reste de sa vie : les inégalités et persécutions subies par les femmes dans tous les pays du monde. Surprenant et fascinant Carter qui, à 90 ans, se lance dans une ultime croisade avec un dynamisme et une foi inaltérables. lAuren FleishMAn est photographe. Après des études à la School of Visual Arts de New York, elle entre aux Beaux-Arts, à Paris, ville où elle s’est installée. Son travail a été plusieurs fois récompensé dans The New York Times Magazine et le magazine Time, pour lequel elle a couvert la présidentielle américaine de 2012. Elle signe pour M les photos de l’ex-président Jimmy Carter (p. 42).

Le Monde x2. Olivier Metzger. DR. Frédéric Bobin. Oriane Zérah. Julie Pecheur

Frédéric BOBin, 53 ans, est correspondant du Monde en Asie du Sud, basé à New Delhi, depuis 2008. Il avait été auparavant correspondant en Nouvelle-Calédonie, en Australie et en Chine. Dans l’article « Mariage en terres ennemies » (p. 52), il raconte le « casse-tête géopolitique » que constitue la minuscule communauté des Rajputs du Pakistan, condamnés à se marier en Inde. « Ils dérangent, écrit-il, sulfureuse incongruité, défi à la logique de la partition. » OriAne zérAh est une photographe indépendante. Née à Paris, elle y a suivi des études d’art dramatique et de danse. Sa carrière s’est donc d’abord orientée vers le théâtre – notamment au Théâtre du Soleil entre 1999 et 2001, avant de bifurquer vers la photographie, qui s’est révélée à elle au fil de ses voyages. Depuis novembre 2012, elle est installée à Kaboul. Pour M et l’article de Frédéric Bobin (p. 52), elle a photographié les Rajputs du Pakistan.

julie Pecheur est une journaliste indépendante. Elle a travaillé cinq ans à New York avant de diriger un mensuel anglophone au Mexique. De retour en France, elle a lancé le mensuel gratuit The Paris Times, tout en continuant à écrire pour la presse. Elle signe l’article sur le « Bain de jouvence » de la piscine Molitor à Paris (p. 67). « Ce nom, Molitor, m’a toujours paru exotique. En visitant le chantier, avant la réouverture, j’ai été intriguée par le parti pris d’une reconstruction à l’ identique… ou presque. Retour sur le futur du passé ! » 14 -

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La vie est un sport magnifique


Le courrier.

Le M de la semaine.

« Alors que je m’éveille, je l’aperçois au pied de la fenêtre, lumineux et étincelant. Il laisse présager une belle journée… »

Pour nous écrire ou envoyer vos photographies de M (sans oublier de télécharger l’autorisation de publication sur www.lemonde.fr/m) : M Le magazine du Monde, courrier des lecteurs, 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13, ou par mail : courrier-mlemagazine@lemonde.fr 16 -

3 mai 2014

Xavier De Tiège

Xavier De Tiège


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J’y étais… bloquée à Mâcon-Loché.

M

âcon-Loché, ce n’est pa s L a m e i L L e u r e

pour subir un ret a rd de T GV. Elle est perdue en rase campagne, sans maison de la presse. Le distributeur de snacks est hors service. Les toilettes à 50 centimes jouxtent le comptoir à café, où une affichette prévient qu’on ne fait pas de monnaie. « Normal, c’est une gare de Mitterrand, me dit ma voisine. Il paraît qu’il l’a fait construire pour venir à Solutré… » Renseignements pris, la gare était en chantier sous Giscard. Les retards de TGV, c’est un peu comme les abus d’alcool, chacun se transforme en sa propre caricature. L’agressif devient très belliqueux, l’aigri très amer, le gentil très empathique et le complotiste plus conspirateur encore. Une demi-heure plus tôt, un haut-parleur, oubliant la formule euphémique « accident voyageur » de rigueur, a annoncé un suicide sur la voie au Creusot, et l’annulation de notre train. « Comment se fait-il que vous ayez attendu 14 h 30 pour nous prévenir… cinq minutes avant l’arrivée du train, alors que je vois sur Twitter que l’accident a eu lieu à midi et demie ? » s’enflamme un passager. L’équipement en Smartphones a cassé le monopole de la SNCF en matière d’information. L’employé des chemins de fer se fait désormais avoiner, tel le médecin face à un patient qui a diagnostiqué son mal sur Doctissimo. Voilà une jeune femme à casquette tenue de répondre que ses collègues pensaient que ça irait plus vite, qu’il a fallu attendre l’arrivée des pompes funèbres, parce qu’il ne s’agit pas d’un simple… C’est vrai qu’on ne parlait pas d’un problème de sanglier. « Il y en a eu trois cette semaine », soupire quelqu’un. « Nous aussi, on en a eu dans la commune… », ajoute un autre. Le guichetier croit savoir qu’il y en a « un par jour sur le réseau », mais il n’est plus tout à fait sûr de son chiffre, et nous, on ne sait pas bien ce que recouvre « le réseau ». « J’étais en congés pendant deux jours, je reprends à 14heures, et boum », lâche-t-il, l’air de trouver in-

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gare

juste de subir les conséquences d’un suicide qui gers des chemins de fer de s’épancher ? Mais ne s’est pas produit pendant son service. « Ga- tandis que la colère de l’automobiliste meurt gnez encore du temps sur le temps », dit l’affiche étouffée derrière son pare-brise, celle du voyapublicitaire de 1981 punaisée derrière lui. Grâce geur en train se déverse sur ses milliers de folà l’appli « SNCF Direct », un homme tient son lowers. Tout le monde n’a pas le numéro de tévoisin de banc informé de la circulation de tous léphone du patron de la SNCF, à qui Manuel les trains entre Paris et Lyon, et lui glisse, entre Valls envoya un SMS quand son TGV fut en deux relevés, qu’elle est très simple à installer. retard. « Et s’il n’y a pas de place dans le prochain « Je sais mais j’économise ma batterie », lui répond train ? », demande un homme inquiet à l’idée son voisin l’œil sur son épaule. Puis démarre la de se trouver en période de pointe. « Vous pourphase 2 de ce type de scénario : la lutte pour la rez tous monter en première », répond le père Noël survie électronique, les batailles pour les prises de la SNCF. Me revient à l’esprit la « peak-end électriques et les chargeurs. Celui qui hurlait rule » du chercheur en économie comportetout à l’heure sur l’employée SNCF en a repéré mentale Daniel Kahneman (Thinking, Fast and Slow, 2011), qui veut que, quelle que soit la duune au-dessus du défibrillateur. sur twitter, on peut apprendre que L’accident ne rée d’une expérience, on la jugera sur son mos’est pas produit exactement au Creusot, et que ment le plus intense et sur sa fin. Nous voilà c’est un jeune homme qui a mis fin à ses jours. ravis, prêts à monter en première classe. Et surtout on peut suivre la colère des autres passagers. La tentation de L’équipement en Smartphones a s’épancher sur les réseaux sociaux frappe sans discassé le monopole de la SNCF en matière tinction. L’écrivain Tatiana de Rosnay, le philo- d’information. L’employé des chemins sophe Vincent Cespedes, de fer se fait désormais avoiner comme le patron d’Universal Pascal Nègre, et même des le médecin face à un patient qui a diapolitiques comme Frangnostiqué son mal sur Doctissimo. çois de Rugy et Jean-Luc Romero… des gens qui ont fait leur métier de peser leurs mots en quelque sorte, peuvent, retardés par un train, se déchaîner en 140 signes contre la compagnie nationale de transports, rapporter des histoires de caténaire hors d’usage ou déplorer la fermeture de la voiture-bar. « Pas une seule annonce vocale, ni explication » pour justifier le ralentissement de son train, se plaint un jour Christophe Barbier, le patron de L’Express. Le politologue Olivier Duhamel lui répond en direct que le trafic routier « ne circule plus que sur une seule voie ». Jack Dorsey se doutait-il en créant Twitter qu’il allait permettre à des milliers de passa3 mai 2014

Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde

Par Guillemette Faure


La Semaine / Il fallait oser / Face à face / Le roman-photo / Le buzz du Net / Ils font ça comme ça ! / / Les questions subsidiaires / J’y étais /

Karsten Moran/The New York Tmes/Redux/REA

En quelques semaines, l’ouvrage économique est devenu un best-seller. Il s’en est déjà vendu 46 000 exemplaires.

L’Amérique au révélateur du “Capital”

Comment expliquer le succès du pavé de l’économiste de gauche Thomas Piketty au pays du libéralisme triomphant? Aux Etats-Unis, “Le Capital au xxie siècle” vient conforter la récente prise de conscience de la montée des inégalités, et en fournit les clés. La “French touch” en plus. Par Corine Lesnes 19


La semaine.

D

ans un pays dont Le président a

cœur du débat politique, il n’est pas surprenant que le livre de Thomas Piketty, Le Capital au xxi e siècle (Ed. Seuil), sur la concentration des richesses, intéresse les élites et les médias américains. De là à grimper dans les meilleures ventes, moins d’un mois après sa sortie ? Arthur Goldhammer, le traducteur de l’ouvrage, ne cache pas son étonnement : « J’ai traduit 125 livres du français, remarque-t-il. C’est la première fois que l’un d’eux devient un best-seller. Et c’est un livre d’économie de près de 700 pages ! » Six mois après sa sortie en France aux éditions du Seuil, Capital in the Twenty-First Century (Harvard University Press) fait l’objet d’un accueil enthousiaste aux Etats-Unis. Depuis sa mise en rayon, en avril, il s’en est déjà écoulé 46 000 exemplaires papier et e-books. A la fin du mois, il était même en tête des ventes du site Amazon.com outreAtlantique. Les médias ont qualifié Thomas Piketty de « rock star de l’économie ». Le bimensuel The New Republic a cru voir dans son col de chemise ouvert « un clin d’œil stylistique à son compatriote Bernard-Henri Lévy ». A New York, l’économiste a été accompagné sur scène par deux Prix Nobel, Joseph Stiglitz et Paul Krugman. A Washington, il a été reçu à la Maison Blanche et au département du Trésor. A San Francisco, le 22 avril, il a fallu louer une salle plus grande que prévu pour accueillir sa conférence émaillée de diapositives sur le rendement du capital par rapport au taux de croissance depuis l’Antiquité. La dénonciation des inégalités n’est pas une nouveauté. Elle fut au cœur de l’élection présidentielle de 2012. Le

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mis Les inégaLités au

mouvement Occupy Wall Street a popularisé l’idée de fossé entre les 1 % les plus riches et « nous les 99 % ». Tout récemment, un rapport d’une commission du Congrès a confirmé que, malgré le retour de la croissance, les disparités continuent de s’accentuer. Les « 1 % » ont vu leurs revenus réels augmenter de 86 % entre 1993 et 2012, contre 6,6 % pour les autres. Thomas Piketty est largement crédité de cette prise de conscience. Avec ses camarades Emmanuel Saez, professeur à Berkeley, Anthony B. Atkinson, universitaire à Oxford, et Facundo Alvaredo de l’Ecole d’économie de Paris, il a créé un site Internet. The World Top Incomes Database (la banque de données des plus hauts revenus du monde) a rendu incontestables les comparaisons. Mais dans son nouveau livre, le professeur de l’Ecole d’économie de Paris va plus loin que la seule dénonciation, estime Arthur Goldhammer, chercheur associé au Centre d’études européennes d’Harvard et observateur de la société française depuis 1968. « Depuis longtemps, les Américains ont le sentiment que leur pays est en train de changer fondamentalement, mais ils n’avaient pas d’explication, analyse-t-il. Piketty montre qu’il ne s’agit pas seulement d’inégalités de revenus mais d’inégalités de patrimoine. Les héritiers ont une importance accrue. Cela met en danger l’idée que nous, Américains, nous faisons de notre propre pays. » Les éLoges, comme on s’en doute, proviennent surtout de la gauche. Paul Krugman, qui dénonce lui-même chronique après chronique le poids exorbitant représenté par les « 1 % » qui possèdent 20 % des richesses, a prédit que Capital resterait probablement l’un des livres les plus importants de la décennie. « Piketty a transformé notre discours économique. Nous ne parlerons plus de richesse et d’inégalités de la même manière », estime-t-il. Autant que le travail scientifique sur les déclarations de revenus à travers les décennies, c’est le style de l’ancien élève de Normale sup, « l’élégance de la pensée » et les références au Père Goriot que le professeur admire. « Quand avez-vous jamais entendu un économiste invoquer Jane Austen et Balzac? », interroget-il dans un long article de la New York Review of Books. Pour Arthur Goldhammer, le succès de Capital vient aussi du fait que, contrairement à Krugman ou à Robert Reich – l’ancien secrétaire au travail de Bill Clinton qui a participé au documentaire Inégalités pour tous, sur le même sujet –, Piketty a l’avantage d’être étranger au débat américain. Le mensuel American Prospect a évoqué l’incontournable Tocqueville. Comme l’auteur du xixe siècle, « Piketty nous a donné une nouvelle image de nous-mêmes. Mais, cette fois, ce n’est pas une image dont nous devrions nous féliciter, estime le magazine. C’est une image à laquelle nous devrions résister ». 3 mai 2014

Ed Alcock/MYOP-Nancy Siesel/Demotix/Corbis

Thomas Piketty (à gauche) démontre, chiffres à l’appui, que les inégalités déjà dénoncées par le mouvement Occupy Wall Street (à droite) se creusent.



La semaine.

“Notre pays est devenu le premier emprunteur de la zone euro”

Gilles Carrez, le président UMP de la commission des finances de l’Assemblée nationale, au Figaro, le 18 avril

Le plan d’économies de 50 milliards d’euros présenté par Manuel Valls le 23 avril en conseil des ministres a provoqué une levée de boucliers chez une partie de la majorité, qui le juge trop radical. L’opposition considère, elle, que ce plan ne va pas assez loin. Vendredi 18 avril, Gilles carrez, le président uMP de la commission des finances de l’Assemblée nationale, a déclaré au Figaro que « 50 milliards d’économies ne suffiront pas », mettant en garde contre le risque que la France ne puisse plus emprunter aux mêmes conditions avantageuses sur les marchés financiers qu’elle le faisait jusqu’à présent. car, selon lui, « notre pays est devenu le premier emprunteur de la zone euro ». La vérification. Si la France est bien l’un des plus gros émetteurs de dette de la zone euro, c’est l’Italie qui prévoit d’emprunter le plus cette année. Selon les économistes de Natixis, la France devrait émettre 198 milliards d’euros de dette à moyen et long terme, soit un peu plus que le montant émis en 2013 (192 milliards d’euros). L’Italie, quant à elle, prévoit d’emprunter 235 milliards d’euros, estiment ces mêmes économistes. Pour autant, rome va réduire son programme d’emprunt cette année, contrairement à Paris. L’affirmation.

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La concLusion. comparer la santé économique des pays de la zone euro en fonction de cette donnée n’est pas aisé, car les Trésors ou les agences de la dette ne retiennent pas les mêmes critères pour mesurer leurs emprunts. Pour les marchés, ce sont les taux d’intérêt à dix ans qui incarnent la valeur de référence. A ce titre, la dette française demeure parmi les plus sûres de la zone euro. Les économistes, mettant en regard la faiblesse des indicateurs tricolores (croissance, endettement) et les taux historiquement bas dont bénéficie le pays, parlent d’ailleurs d’« exception française ». L’Agence France Trésor, chargée de gérer les émissions de la dette du pays, relate dans son bulletin de mars que « le coût de financement à moyen et long terme a atteint un plancher de 1,54 % [en 2013], contre 1,86 % en 2012 et une moyenne de 4,15 sur la période 1998-2007 ». Natixis note ainsi que « les marchés financiers considèrent que la situation de la France est meilleure que celle de l’Espagne et de l’Italie et bien sûr moins bonne que celle de l’Allemagne ». chypre, la Grèce et le Portugal, trois pays de la zone euro sous aide internationale, ont, eux, été pendant plusieurs années incapables de solliciter les marchés. La France bénéficie encore de taux extrêmement bas par rapport à sa situation de deuxième plus gros emprunteur de la zone euro. un contexte qui pourrait cependant ne pas perdurer, notamment si la situation de ses voisins s’améliore.

Il fallait oser Casting mortel. Par Jean-Michel Normand

il y eut autrefois une grosse période « chanteurs morts » où l’on ne jurait que par Jim morrison, claude françois ou Edith Piaf. cette fois, il semble que nous soyons entrés de plain-pied dans une séquence « acteurs morts », que les publicitaires déroulent avec leur habituel sens de la mesure. on ne compte plus les spots mettant en scène des revenants. Dior qui convoque marilyn monroe ou Grace Kelly, Puget qui réveille fernandel et citroën qui fait d’alfred Hitchcock son porte-parole. n’en déplaise aux agences qui ont sûrement expliqué à leurs clients qu’elles faisaient preuve d’une rare audace, le procédé qui repose sur l’efficacité (et encore…) de « l’effet spécial » consistant à redonner vie à un comédien n’a rien que de très ordinaire. En plus, il sonne comme une pure et simple provocation à l’adresse des intermittents du spectacle au moment où, comme c’est le cas à pareille époque préfestivalière, ceux-ci donnent de la voix. car une pub avec un acteur mort c’est un cacheton de moins pour un acteur vivant. c’est aussi privilégier la rente (les stars défuntes ont des héritiers, et plutôt deux fois qu’une) au détriment de la création. il faut croire que les comédiens de l’époque manquent à ce point de puissance d’incarnation qu’on leur préfère des fantômes recolorisés. on fera la même remarque à propos de la double canonisation de Jean XXiii et de Jean Paul ii. Pourquoi donc l’Eglise, qui s’est enfin trouvé un leader dont on vante la capacité à comprendre son époque et à dépoussiérer la vision du monde du vatican, nous inflige-t-elle une séquence nostalgie en célébrant en grande pompe deux papes disparus ? Dont l’un, faut-il le rappeler, ne fut pas à proprement parler un modèle d’ouverture ni de modernité. Déjà que la société ne fait pas confiance aux jeunes, si, en plus, elle préfère s’en remettre aux disparus…

Elvire Camus

Retrouvez les Décodeurs sur www.lemonde.fr/les-decodeurs. 3 mai 2014

Christophe Morin/IP3. Cecila Garroni Parisi pour M Le magazine du Monde

Le décodeur



Le roman-photo de la diplomatie chinoise du panda. Le don de panda pratiqué jusqu’en 1984 a laissé place au prêt pour une période de dix ans. Dans les deux cas, il s’agit d’un outil diplomatique, destiné à nouer, réchauffer ou refroidir les relations avec les pays étrangers.

1957, 1965 et 1972. Rapprochement

En 1957, la Chine envoie Ping Ping en Union soviétique. En 1965, la Corée du Nord reçoit le premier d’une série de cinq pandas de son allié communiste. A la suite de la visite de Richard Nixon en Chine en février 1972, Ling Ling et Xing Xing arrivent au zoo de Washington en avril, marquant la fin de vingtcinq années de rupture des relations diplomatiques.

Janvier 2012. Réconciliation

2.

3.

Comme l’avait fait Mao Zedong en 1973, Pékin prête deux pandas à la France, Huan Huan et Yuan Zi, au terme d’une négociation qui aura duré six ans. Ils sont accueillis au zoo de Beauval (Loir-et-Cher) après cinq années de brouilles entre les deux pays (rencontre de Nicolas Sarkozy avec le dalaï-lama, chahut autour de la flamme olympique…).

5.

Février 2014. Réchauffement

Soucieuse de resserrer des liens mis à mal l’année précédente par une querelle commerciale avec l’Europe, la Chine envoie ses deux ambassadeurs à poils, Hao Hao et Xing Hui, à Bruxelles. Accueillis par le premier ministre sur le tarmac de l’aéroport, ils sont prêtés à la Belgique pour une durée de quinze ans.

24 -

Avril 2014. Représailles

4.

Mars 2013. Ratification

Après vingt ans d’absence sur le sol canadien, deux ursidés géants arrivent à Toronto pour un séjour de dix ans. Ils sont accueillis par le premier ministre et son épouse, et par le maire de Toronto. Décidé en 2012, ce prêt fait suite à la signature entre les deux pays d’accords commerciaux.

L’empire du Milieu reporte sine die l’envoi en Malaisie d’un couple de pandas. Feng Yi et Fu Wa font les frais des frictions apparues entre les deux pays depuis la disparition du Boeing MH370 de la Malaysia Airlines, dont une large majorité de passagers étaient chinois. Louise Couvelaire

3 mai 2014

Selva/Leemage. Xinhua/Xinhua Press/Corbis. Eric Baccega/AGE Fotostock. Zhou hui/Imaginechina. Virginia Mayo/AP/Sipa

1.

La semaine.


ils font ça comme ça!

éthiopie

ment intimé l’ordre afin de transformer l’image de l’Ethiopie et de rapporter des devises. Malgré 25 millions d’euros d’investissement nécessaires, « Pierre Castel n’a pas monté cette cave pour faire de l’argent », assure Olivier Spillebout en déambulant dans l’usine tout en inox avec écran tactile encastré dans le mur. En fait, l’entreprise y a surtout vu un moyen de renforcer sa position dans un pays en plein boom économique, mais encore difficile d’accès. Certes, le lien privilégié avec les autorités va sans doute permettre le développement d’activités lucratives dans un Etat devenu, avec plus de 90 millions d’habitants, le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique. Mais le vignoble en lui-même pourrait, en fin de compte, devenir rapidement profitable. Cette année, 1,3 million de bouteilles ont été produites et ont toutes été commandées à l’avance. Car les cuvées de Rift Valley et d’Acacia se sont fait

Des raisins en pleine croissance. Le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique se lance dans la production de vin de qualité. Le groupe français Castel, déjà bien implanté dans la production de bière, compte tirer profit de ce juteux marché.

Petterik Wiggers/Panos-REA

P

ostés à intervalles réguliers dans les rangées de vigne, des hommes font claquer leur lasso pour éloigner les oiseaux. « Mettre des filets aurait coûté 800000 euros », justifie Olivier Spillebout. La solution pour empêcher les antilopes de brouter le haut des plants n’a pas encore été trouvée, mais l’œnologue du groupe français Castel s’amuse presque de ces problèmes. Il sait qu’il vit une expérience unique et, surtout, qu’il est en passe de réussir le pari qu’on lui a confié il y a cinq ans : créer un vin de toutes pièces… en Ethiopie. Des familles européennes en produisaient déjà à l’époque de l’empereur Haïlé Sélassié. A la fin des années 1970, le régime militarocommuniste du Derg avait ensuite nationalisé ces exploitations sous l’appellation Awash Winery. Le marché intérieur existe, au point que le consortium international qui vient de racheter à prix d’or cette société d’Etat vise les 20 millions de bouteilles par an. Mais la boisson est très… singulière. Certains n’hésitent pas à dire qu’avec tous ces additifs et ce sucre, ce n’est plus vraiment du vin.

désirer. Olivier Spillebout explique le retard par la difficulté de s’adapter à l’altitude de Ziway (1600 m) et à l’absence de saisonnalité. En Ethiopie, les températures et les durées de jour et de nuit sont à peu près constantes toute l’année, ce qui a déboussolé les plants de chardonnay, de syrah, de merlot et de cabernet-sauvignon arrivés d’Europe. Mais le consommateur, ne risque-t-il pas, lui aussi, d’être tourneboulé par un vin de provenance aussi exotique? Les Chinois ont déjà acheté 300000 bouteilles, la nombreuse diaspora d’Amérique du Nord sera curieuse de découvrir ce nouveau produit. Et une classe moyenne se développe. « Même si l’obsession du gouvernement est de faire entrer des devises étrangères, je pense qu’à terme notre marché sera plutôt national », estime même Bernard Coulais, directeur général de Castel BGI, filiale du géant français en Ethiopie. « Quand le projet a été lancé, il y a eu des critiques aberrantes trouvant scandaleux de faire du vin dans un pays qui crève de faim… », sourit-il. Rappelons tout de même que, dans ce pays où le revenu national brut n’excède pas 380 dollars par habitant et par an, trois Ethiopiens sur dix vivent avec moins de 0,60 dollar par jour. Mais, c’est vrai, les autorités du pays ont faim... de succès économiques. Et si la classe moyenne a soif, Castel espère que ce sera de son vin.

Grégoire Pourtier

Les plants de cépages importés d’Europe ont mis du temps à s’adapter à l’altitude et au climat éthiopien.

De son côté, castel a une tout autre ambition :

faire une boisson « de qualité » destinée à l’export, au moins pour moitié. Le groupe français, très implanté en Afrique grâce à la bière, n’a cependant pas trouvé l’idée tout seul. C’est l’ancien premier ministre Meles Zenawi, décédé en 2012, qui lui en a quasi25


La semaine.

Ils font ça comme ça!

EuropE

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C

La drôle de campagne.

e matin-Là, L’autocar bLeu roi du

Le Luxembourgeois JeanClaude Juncker se rêve en successeur de José Manuel Barroso. Et sillonne le continent en car pour le faire savoir. Même si en réalité le président de la Commission européenne sera nommé par les chefs d’Etat de l’union.

« Juncker on Tour » est stationné devant le siège du Parti populaire européen (PPE, conservateur), rue du Commerce, à Bruxelles. Ce gros bahut, loué à une société flamande, symbolise à lui seul la campagne « à l’américaine » mitonnée pour l’ex-premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, candidat à la présidence de la Commission européenne. Frappé d’un slogan (« Experience, solidarity, future ») et des adresses Web et Twitter du candidat, le bus sillonne l’Europe de long en large depuis le début du mois d’avril : de Bruxelles à Poznan, de Sofia à Porto, d’Helsinki à La Valette, son parcours se poursuivra jusqu’au 25 mai, jour de l’élection des eurodéputés. Conférences, discours, débats avec les principaux rivaux (le socialiste Martin Schulz et le libéral Guy Verhofstadt), émissions de radio et de télévision : c’est Super-Jean-Claude qui bat la campagne. A ceux qui s’inquiéteraient pour sa santé à l’issue d’une telle odyssée, il précise qu’il effectuera une partie des voyages en avion. Pas question que l’Europe hérite d’un commissaire en chef victime d’un burn-out le jour de son intronisation… « Cette fois, c’est différent », proclame l’autre slogan du candidat de la formation majoritaire au sein du Parlement européen. « Le Conseil [les Etats, NDLR] devra tenir compte du résultat du scrutin pour proposer un candidat au Parlement », martèle Jean-Claude Juncker, qui part du principe que si le PPE arrive en tête le 25 mai, il sera nommé à la présidence de la Commission. Mais rien n’est garanti. La chancelière allemande Angela

Le Luxembourgeois, qui a troqué ses cravates fLuo

contre de plus sages cache-cols, tente de tempérer son célèbre sens de l’humour. Mais qu’on le titille sur ses chances réelles de présider la Commission, et le naturel revient au galop. « Je suis candidat parce que j’ai toujours eu un penchant pour le masochisme », lance-t-il. Et, plus sérieusement, d’ajouter : « Je ne me soumettrais pas aux exigences d’une telle campagne si ce n’était pas pour devenir président… » Pour Jean-Claude Juncker, ce marathon électoral ressemble à une résurrection. Ses adversaires politiques le disaient fatigué et déprimé après avoir été contraint de démissionner, malgré sa victoire aux élections d’octobre 2013, sous la pression d’une coalition « arc-en-ciel » (libéraux, socialistes et écologistes) emmenée par le sémillant Xavier Bettel. Une éviction due à des dérives dans le fonctionnement des service de renseignement du Grand-Duché. Mais après quelque vingt années passées à défendre la fragile réputation du Luxembourg, sa place financière et son secret bancaire, Jean-Claude Juncker semble aujourd’hui libéré. Pour se remettre en selle, il devra cependant réussir une délicate transmutation : apparaître comme celui qui peut changer l’Union européenne alors qu’il est précisément l’une des rares figures connues de cette Europe qui a tellement déçu et inquiété. Jean-Pierre Stroobants 3 mai 2014

Yves Logghe/AP

Un car bleu qui parcourt l’Europe de long en large défend les couleurs du candidat du Parti populaire européen.

Merkel, qui l’a pourtant adoubé, a précisé qu’il n’y aura aucune « automaticité », ce qui laisse entendre que les chefs d’Etat et de gouvernement pourraient, in fine, suggérer le nom d’un autre prétendant. Herman Van Rompuy, le président permanent du Conseil, l’homme (également PPE) qui lui a raflé le fauteuil où il se serait volontiers installé en 2010, vient de glisser une peau de banane sous les pieds de son « vieil ami » : il s’est dit « pas très enthousiaste » quant à « cette idée de candidats pouvant mettre fin à la suprématie des Etats ». Qu’importe. « Le Conseil ne pourra échapper à la logique des élections », clame Juncker en égrenant son programme : encourager la croissance et l’emploi, faire naître une Europe de l’énergie, négocier un traité commercial équilibré avec Washington et, plus inattendu, ouvrir une négociation avec Londres en vue d’assurer le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne.


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Pour vous, nous avançons


La semaine.

Marc Beaugé rhabille… le prince William.

P

UISqUE LES hoMMES DU MoNDE ENTIEr

profitent de chaque déplacement officiel du couple princier pour regarder sous les jupes de Kate Middleton et fantasmer sur ses jambes fuselées, il fallait bien que le prince William se dévoue pour offrir également du plaisir aux femmes délaissées. La semaine passée, à l’occasion d’un déplacement en Australie, il se piqua donc, dans le sillage de Madame, de retrousser ses manches pour exhiber des avant-bras, musclés à force de soulever, chaque jour, à table, au palais, l’une des vaisselles les plus lourdes du monde… A bien des égards, l’initiative apparut heureuse. En effet, le port d’un bermuda et l’exhibition de mollets aussi blancs que le ciel de Buckingham en plein mois de mars n’aurait sans doute pas retenu l’attention de grand-monde. De même, le port d’une chemisette semblable à celle qu’arborent généralement les VRP à l’intérieur de leur Clio blanche sur l’autoroute du soleil aurait provoqué le reniement immédiat par son père, l’élégant prince Charles. Et aurait plus sûrement encore fait se retourner dans sa tombe Edouard VII, roi d’Angleterre de 1901 à 1910, et dépositaire de plusieurs règles d’élégance encore en vigueur aujourd’hui. En roulant sa chemise à manches longues, le prince William maintenait donc l’héritage d’élégance familial en même temps qu’il offrait aux femmes l’image d’un homme libéré de sa simple fonction de représentation. A l’instar de Barack Obama, adepte du roulage

de manches, notamment sur le terrain lors de catastrophes naturelles, William s’affichait ainsi en homme d’action, susceptible de contribuer à tous travaux de déblayage, ravalement, bétonnage, ou pire encore à certaines tâches domestiques. De façon pragmatique, le prince William aux bras nus est notamment en mesure de contribuer à l’entretien de George, son nourrisson. Sans risque de mouiller ou souiller son étoffe, il peut changer ses couches ou encore plonger la main dans l’eau de son bain pour s’assurer que sa température ne dépasse pas les 37 °C réglementaires. De la même façon, le prince William s’offre aussi la possibilité de nettoyer les yeux de sa progéniture avec un coton imbibé de sérum physiologique, de l’intérieur vers l’extérieur de l’œil, sans risque que les boutons en nacre de son poignet de chemise viennent écorcher le visage du petit ou lui arracher la cornée, ce qui serait tout de même dommage.

Le buzz du Net

Platini taclé.

L

e 25 avril, à quelques semaines du début de la Coupe du monde de football, Michel Platini a invité les Brésiliens à « attendre un mois avant de faire des éclats un peu sociaux », histoire de ne pas ternir l’événement sportif. Cette requête, adressée au pays hôte, a été d’autant moins appréciée que le président de l’UEFA a ajouté : « On est allé au Brésil pour leur faire plaisir. » Ces propos particulièrement maladroits ont suscité les réactions ironiques de la Toile. « Incroyable appel de #Platini aux Brésiliens : vous avez faim ? Calmez-vous le temps qu’on fasse la fête, révoltez-vous après si vous voulez… », a ainsi écrit Jean-Christophe Lagarde, maire (UDI) de Drancy (Seine-Saint-Denis) sur le réseau social Twitter. « En gros c’est : vos gueules les pauvres, rien n’est plus important que le ballon rond », a posté @Nniina. Plus radicaux, quelques internautes ont décerné à « Platoche » le titre de « con de l’année ».

Franck Fife/AFP

Franck Berteau

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Illustration Peter Arkle pour M Le Magazine du Monde – 3 mai 2014


Le cow-boy du Nevada dérape.

Sergei Grits/AP. John Locher/AP/Sipa. Reynaldo Paganelli/NurPhoto/Corbis. Minneapolis Star Tribune/Zuma/Rea. Thomas Hodel/ Reuters.

La photo

Vigies pirates. Lundi 28 avril, à Kostiantynivka, une ville de l’Est ukrainien située à environ 70 kilomètres au nord de la capitale régionale Donetsk, des insurgés pro-russes lourdement armés se sont emparés de la mairie. Une vingtaine d’hommes en treillis militaire, sans insigne, encagoulés et portant des fusils automatiques en assurent dorénavant la garde.

Le smic rapplique.

Incapables de freiner la croissance des salaires des patrons, les gouvernements tentent de réduire les inégalités en créant un salaire minimum ou en relevant son plancher. Longtemps jugé néfaste pour l’emploi, il retrouve désormais les faveurs des politiques.

Au top en Suisse

Le 18 mai, les Suisses sont appelés aux urnes pour se prononcer sur l’instauration d’un smic à 4 000 francs suisses par mois (soit 3 240 euros). Si la proposition est acceptée, il s’agira du salaire minimum le plus élevé au monde.

En progrès aux USA

Fin janvier, Barack Obama a annoncé son intention de « donner une augmentation à l’Amérique » en relevant le salaire minimum de 40 %. Un mois plus tard, il signait un décret, mais se heurte depuis à l’opposition du Congrès.

Tout neuf en Allemagne

En novembre 2013, la chancelière allemande Angela Merkel s’est résolue à accepter l’introduction d’un salaire minimum généralisé. Les sociauxdémocrates avaient fait de cette mesure la principale condition à leur participation au gouvernement de coalition. L. Ce

Propriétaire d’un ranch dans le Nevada, Cliven Bundy, 67 ans, refuse de verser les droits de pâturage au Bureau of Land Management (BLM). Depuis plus de vingt ans, sans payer son dû à l’Etat, le fermier fait brouter son bétail sur des terres appartenant au gouvernement fédéral, réalisant une économie de 1 million de dollars. Face à ce refus, les autorités ont décidé de saisir le 12 avril 380 têtes de bétail. La tentative a dégénéré. Accueillis par des hordes de citoyens venus apporter leur soutien au « Bundy Ranch », les agents du BLM, débordés, ont eu recours aux blindés et hélicoptères de la police fédérale. Des miliciens armés sont alors venus prêter main-forte au « rancher ». Craignant un dérapage, les forces de police sont finalement reparties les mains vides. En quelques heures, le cow-boy du Nevada est devenu le héros d’une certaine droite libertarienne, aux yeux de laquelle il incarne un patriote, défenseur de la Constitution américaine face à un gouvernement fédéral jugé omnipotent et liberticide. Depuis l’assaut, Cliven Bundy enchaîne les apparitions télévisées et les déclarations incendiaires et racistes, notamment lors d’une interview accordée au New York Times le 23 avril.

Louise Couvelaire

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La semaine.

Les questions subsidiaires

Peut-on freiner l’homophobie ? Parmi les arguments

brandis face aux taxis, les sociétés de VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur) évoquent la qualité de service et le comportement impeccable de leurs chauffeurs. Le 27 avril, deux jeunes sortant d’une boîte gay parisienne ont constaté que ce n’est pas toujours le cas. Le conducteur de la voiture commandée a refusé de les laisser monter, expliquant ne pas « prendre les pédales ». Son employeur dit l’avoir radié. Jean-Michel Normand

Ecailler du pangolin est-il permis ?

En Chine, cuisiner du singe-lion doré ou de l’ours noir peut coûter cher. Le 24 avril, les autorités de l’empire du Milieu ont décidé de durcir les sanctions envers les consommateurs des 420 espèces animales protégées dans le pays, afin d’enrayer le lucratif commerce des braconniers et contrebandiers. Les amateurs d’os de tigres, de pandas ou de pangolins encourent désormais des peines d’emprisonnement allant de trois à dix ans. En mars, 24 personnes ont été arrêtées pour trafic d’animaux sauvages et 4 500 produits dérivés de ces bêtes ont été saisis par la police chinoise.

Lionel Cahrrier/MYOP. Reuters

Franck Berteau

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La pizza sauverat-elle le golf ? Drame sur le green

: le golf a perdu 5 millions de joueurs en dix ans aux Etats-Unis, selon la National Golf Foundation. Aussi, pour séduire une jeune génération de sportifs qui jugent ce loisir trop chronophage et ingrat, il est envisagé sur plusieurs parcours de quadrupler la taille du trou – ce qui le rapprocherait de la dimension d’une pizza – afin de rendre le jeu plus ludique. Lisa Vignoli

Pourquoi a-t-on enterré E.T. ?

Des centaines d’anciennes cartouches du jeu vidéo E.T. The Extraterrestrial, considéré comme l’un des pires jeux de l’histoire, ont été retrouvées le 26 avril dans une décharge du Nouveau-Mexique, aux Etats-Unis. Sorti en 1982 et inspiré du film de Steven Spielberg, le jeu avait été tenu pour partie responsable du krach de cette industrie naissante, dans les années 1980. Une rumeur affirmait que des milliers d’exemplaires invendus avaient été enterrés en plein désert par son concepteur Atari. Une légende geek devenue réalité grâce aux fouilles financées par Xbox Entertainment Studios, filiale de Microsoft. F. Be.

Donner à manger peut-il être puni ? A Vérone,

la charité est désormais hors-la-loi. Le maire de la cité vénitienne, Flavio Tosi, membre du parti populiste Ligue du Nord, a signé le 22 avril un décret interdisant la distribution de nourriture aux sans-abri dans le centre historique de la ville. Valable jusqu’au 31 octobre, la mesure, qui concerne principalement les lieux touristiques, prévoit de dresser une amende de 25 à 500 euros aux Véronais qui seraient surpris en plein élan de générosité. L’édile y voit un moyen ingénieux de mettre fin aux « campements permanents » des sans domicile fixe. Choquées, les associations locales dénoncent « un coup de tonnerre ».

Marianna Massey/Getty/AFP. Mark Willson/Reuters

F. Be.

3 mai 2014

- 31


Juste un mot “Moncœur”.

N

on, je n’ai pas fait de

c’est de « moncœur » que je veux parler. Ou plutôt « monccuyieur ». Un mot qui se dit d’une traite, sans respirer. J’ai passé, la semaine dernière, une demi-heure éprouvante dans une salle d’attente face à une mère enamourée qui parlait à son garçon de 3 ans en l’appelant « moncœur » toutes les dix secondes. Faites le calcul. Les trente minutes passent lentement. Et la salle d’attente était si petite que l’on se frôlait dès qu’on tournait une page de Voici. J’ai tout essayé pour ne pas me faire prendre la tête par les rafales de moncœur. Feuilleter le meilleur quotidien français, consulter les courriels sur mon i-Phone, écrire des SMS, lire un livre d’économie, méditer… Rien à faire. « Moncœur, moncœur, moncœur… » « Non, pas comme ça, moncœur (…). Fais attention, moncœur (…). Tu veux colorier, moncœur (…). Reste assis, moncœur (…). Tu gênes le monsieur, moncœur… » Mais, bon Dieu, cet enfant n’a-t-il donc pas de prénom ? Vous savez, un pré-nom. Rappelezvous, quand son père est allé le déclarer à la mairie, il a écrit quoi sur le registre? Moncoeur Dupont ? Il y a de quoi les rendre débiles, ces pauvres enfants, ou leur fabriquer de beaux

32 -

fau t e ,

problèmes d’identité, à les saouler de occasions. Des mots bien dégoulinants de coumoncœur… J’ai pensé pour me consoler au jour cher de soleil et de corolles de fleur. Or, le où le grand ado tout poilu allait gueuler d’une cœur n’a pas toujours été cette rengaine voix “muée” à sa mère : « Mais arrête de m’appe- mièvre. Cherchez dans des dictionnaires d’étyler moncœur! » mologie les anciennes façons d’écrire le cœur j’ai aussi pensé à toutes ces « amies » facebook que en français, vous verrez : au xie siècle, c’est le j’ai « défriendées » parce qu’elles ne pouvaient quors ou le quers ou le coer ou le cuer. Le point s’empêcher d’informer la Toile entière de tout commun à toutes ces occurrences était qu’on ce que faisait « moncœur » (ou « monptitcœur »). y parlait de volonté, de courage, d’ardeur… et Et quand je dis tout, c’était vraiment tout. Le sommeil, la rougeole, le pot (ah ça, très important, ‘Non, pas comme ça moncœur… le pot), les déguisements, les goûters d’anniverFais attention, moncœur… Tu veux colorier, saire, les bêtises et bien sûr… les mots d’enfant. moncœur? Reste assis, moncœur… Comment expliquer Tu gênes le monsieur, moncœur… (…)’ qu’on n’écrit pas ces trucs-là ? Que, une fois Mais bon Dieu, cet enfant n’a-t-il donc transcrit, ça devient impas de prénom ? mensément nunuche ? A la limite, on en parle en vitesse dans le métro du matin : « Tu sais pas ce qu’il me fait? Une varicelle. » Car, bien sûr, « moncœur » d’affect certes, mais de temps à autre. Puis n’est pas juste malade, il « nous fait » une mala- l’Eglise en a fait le siège de la grâce. Et ce n’est die. Ou alors on raconte vite fait, entre deux finalement qu’assez tardivement qu’il est destations, une réflexion amusante du « gââmin ». venu avant tout ce truc tout mou chanté par Sans insister. On sourit et on passe à autre chose. Verlaine, Anna de Noailles… et les milliers de Mais l’écrire comme statut de Facebook, entre parents cucul-la-praline. une info sur l’effondrement d’une crèche de : amieS et amiS deS motS, vouS Pouvez voter vingt étages en Arizona et la vidéo de fail d’une PS Pour le mot de l’année 2014 en allant juSqu’au chanteuse refaite, quelle horreur! 20 mai, Sur le Site du FeStival du mot de la CharitéOui je sais, les mêmes qui appellent leur pro- Sur-loire (www.motdelannee.Fr) Pour ChoiSir entre leS motS emblématiqueS ColleCtéS Par alain géniture « moncœur », nommaient ainsi leur rey, PréSident honoraire du FeStival : abStention, CriSPation, détreSSe, emPloi, Famille, imPatienCe, amoureux avant d’être mère. Moncœur a miPaCte/PaCtomanie, SanCtion, SelFie, gré. On n’y peut rien. Je ne critique pas. Le matraquaGe, tranSition (énerGétique), vaPoter et ConneCté manque d’imagination n’est pas une tare. (mot ChoiSi Par 5 500 ColléGienS). D’ailleurs, j’ai trouvé plusieurs sites et un blog qui donnent des exemples de lettres, messages et SMS d’amour à utiliser quand on veut écrire à « moncœur » et qu’on est en panne d’inspiration. De jolies phrases-types pour toutes les 3 mai 2014

jean-baptiste talbourdet/m le magazine du monde

Par Didier Pourquery


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Ils sont la minorité agissante.

Ils ont entre 25 et 40 ans, sont d’origine africaine ou antillaise. Businessman, avocat, médecin ou styliste, ils veulent abattre le plafond de verre qui pèse encore sur eux. Grâce à des clubs d’entrepreneurs, des dîners d’affaires, le lobbying de cette nouvelle classe émergente est de plus en plus efficace. Ces Français ont foi en leur avenir et veulent le faire savoir. Par Elise Vincent avec Louis Imbert/ Photos Olivier Metzger

Ferdinand Tra (cadre supérieur chez Orange), Angélique Zettor (patronne de Genymobile), Daniel Hierso (fondateur d’Outre Mer Network), Adama Ndiaye (styliste et fondatrice de la Black Fashion Week). 35


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ous la haute coupole en verre de l’hôtel Marriott

se tient un dîner d’affaires d’un genre particulier, ce lundi 10 mars. Dans le hall du palace parisien, le seul de sa catégorie à jouir d’une entrée directe sur les Champs-Elysées, une hôtesse oriente discrètement les invités vers le salon privé qui a été réservé pour l’occasion. Dans la salle de réception, des tables rondes soigneusement dressées attendent les convives. Il y a des lustres, du champagne, de la moquette épaisse. Rien d’autre que le décor impersonnel d’un grand hôtel international, mais tout ce qu’il faut pour se sentir autant privilégié que coopté. Le ticket d’entrée est à 100 €. Le thème de la soirée est ambitieux – « Réfléchir aujourd’hui pour agir demain ». La personnalité d’honneur conviée pour en parler est Marc Rennard, directeur exécutif d’Orange pour l’Afrique. « Sur nos 20 000 collaborateurs sur le continent, 19 900 sont noirs. Il faut travailler avec les diasporas », dit-il pour justifier sa venue. Son intervention a lieu sur une petite estrade devant laquelle a été disposée la cinquantaine d’invités. L’assistance est conquise.Applaudit. Parmi eux, les profils sont divers : avocat, consultant, banquier. Les origines variées : nés en métropole, aux Antilles ou en Afrique. Même les motivations sont différentes : certains sont juste venus écouter M. Rennard, tandis que d’autres cherchent à consolider leur réseau, comme cette Martiniquaise de 29 ans qui espère glisser quelques mots sur la galerie d’art qu’elle vient d’ouvrir à Belleville. Les cartes de visite passent de main en main. « L’union fait la force », explique un étudiant en finance de 22 ans, angolais par son père, congolais par sa mère. Un seul lien unit tous les participants : la couleur de la peau. Un entre-soi défendu pour une cause entendue : « Cela fait trop longtemps que l’on montre les Noirs sous l’angle de la banlieue », résume un quadragénaire en costume-cravate qui tient à l’anonymat. Premier club créé par des Noirs pour des Noirs, le club Efficience, organisateur de la soirée, est une nouveauté dans le paysage français. Son credo : montrer que les Noirs réussissent, tout faire pour qu’ils ne soient plus assimilés aux termes « précarité » ou « délinquance », et favoriser l’émergence d’une « élite noire ». L’adjectif « noir » est assumé. Tant pis pour le tabou français sur les origines. Longtemps, le club a été observé avec méfiance. Mais son lobbying trouve de plus en plus d’oreilles at36 -

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tentives. Le dîner d’affaires n’est désormais plus que l’une de ses activités. Le club, créé en 2008, et qui revendique aujourd’hui 500 membres actifs, organise aussi chaque année une « bourse d’excellence » pour des jeunes de toutes les origines issus de milieux défavorisés. Parrainée par l’Essec, Polytechnique et Sciences Po, la dernière a été remise en 2013, au lycée Louis-le-Grand, des mains de George Pau-Langevin, alors ministre déléguée à la réussite éducative. Ces dernières années, le club Efficience s’est surtout fait remarquer pour la publication d’un gros livre rouge en couverture similicuir :Le Gotha noir, premier Who’s Who des personnalités « afro-françaises ». Un ouvrage publié tous les deux ans depuis 2010. L’édition 2012 s’est vendue à 5000 exemplaires, selon le club. La prochaine devrait sortir à l’automne. Le répertoire réunit la plupart des figures de la diversité noire française : de l’animatrice de télévision Karine Le Marchand à la ministre de la justice Christiane Taubira. Il rassemble surtout une liste impressionnante de médecins, universitaires, ingénieurs… Un recueil de parcours dû au travail de fourmi d’Elie Nkamgueu, le président du club Efficience, dentiste de métier, installé à Champigny-sur-Marne. A chaque édition, ce Franco-Camerounais au talent inné pour les relations publiques se met en quête de nouveaux visages. Il chasse sur LinkedIn ou Viadeo. La première fois qu’il est arrivé avec ses portraits sous le bras, il a essuyé un refus poli du milieu de l’édition. Il a dû se débrouiller pour publier à compte d’auteurs. Mais, en 2012, il a obtenu sa revanche : que l’ouvrage soit préfacé par Olivier Stirn, le monsieur « diversité » de l’UMP. « Nous ne faisons pas de communautarisme, nous disons juste à la France : “Nous sommes là !” », plaide M. Nkamgueu. Faire Front sans prêter le Flanc aux accusations

tion. »La spécialité du docteur Makiese est rare : la neurochirurgie miniinvasive. Après son internat, il a passé deux ans aux Etats-Unis, à Columbus, dans l’Ohio. Mais son rêve d’intégrer un grand hôpital du centre parisien reste pour l’heure compliqué. « “Vous venez d’où ? Vous avez fait vos études ici ?”, me demandent souvent mes patients. Ce n’est qu’une fois que j’ai dit “oui” qu’ils me font confiance. » « Elite », beaucoup parmi cette nouvelle classe noire hésitent encore à l’assumer.Trop lourd.Trop connoté « corruption » pour ceux qui ont grandi en Afrique. Ils y aspirent toutefois. Ils ont même leurs modèles : le FrancoBéninois Lionel Zinsou, président de PAI Partners, ou Tidjane Thiam, ce Franco-Ivoirien, X-Mines, parti outre-Manche parce que aucun chasseur de têtes ne l’appelait… Aujourd’hui, Tidjane Thiam est aux commandes de l’assureur Prudential et le premier patron noir d’une entreprise du « Footsie », le CAC 40 anglais. Cette génération s’assumerait-elle mieux si des statistiques ethniques mesuraient sa progression? C’est ce que certains veulent croire, regrettant que la recherche s’intéresse trop à elle sous l’angle des discriminations. D’après l’un des rares sondages réalisé auprès des populations noires en France, on comptait, en 2007, près de trois fois plus de chômeurs dans leurs rangs que dans le reste de la population. Mais,

A la différence de ses parents, cette génération ne partage plus l’idée qu’une intégration réussie, c’est se fondre dans la masse. Les filles ont jeté les produits éclaircissants de leur mère. Elles sont noires et veulent que cela se voie.

de communautarisme, s’allier, à la façon des Noirs américains, pour abattre le plafond de verre tout en s’inscrivant dans le modèle républicain, c’est l’exercice périlleux qui est, depuis quatre ou cinq ans, en train de solidariser toute une classe émergente issue de l’immigration et d’outre-mer. Des élites noires, la France en a toujours eu. Mais il s’agissait de cercles restreints de diplomates, de « fils de », ou d’intellectuels et de hauts fonctionnaires. Ceux qui s’affirment aujourd’hui sont plus nombreux et ont des profils plus variés : avocats, ingénieurs, pharmaciens… Ils ont entre 25 et 40 ans. La moitié est née en Afrique et arrivée en France pour ses études (plus de 25 000 étudiants viennent chaque année du Sénégal, du Cameroun ou de Côte d’Ivoire). Des jeunes gens bien nés, mais pas uniquement. Beaucoup sont issus de la classe moyenne et n’ont réussi que grâce à des bourses et la sueur de leur bachotage. L’autre moitié est née en France. Parmi elle, il y a des enfants de réfugiés, d’Africains, eux-mêmes venus plus jeunes comme étudiants. Une grande partie a aussi des origines antillaises. Des fils et filles de ceux qu’a envoyés le Bumidom vers la métropole, ce bureau qui, de 1962 à 1982, a organisé toute la migration de travail depuis la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion. A 42 ans, Orphée Makiese est de ceux dont les parents sont venus comme étudiants. Il reçoit en blouse blanche entre deux patients dans le bureau de sa clinique de Bagnolet, en banlieue parisienne. Il a hésité avant d’accepter d’expliquer pourquoi il avait rejoint le club Efficience. Fils de médecin, franco-congolais, il a grandi dans la France picarde, à Saint-Quentin, dans l’Aisne. Mais il appartient malgré lui à cette génération étiquetée « d’origine étrangère », bardée de diplômes, et qui a du mal à obtenir les places les plus cotées. « Je me sens plus français que noir, lâche-t-il d’emblée, grave. Mais si la France se dit sans race, en pratique, c’est par le réseau que les choses fonctionnent. Jusque-là les Noirs n’avaient pas cette culture, mais ça sera le seul moyen de dépasser le boulet de la colonisa-

sur ces 5 millions de personnes se définissant comme noires, les actifs étaient autant artisans ou techniciens que le reste des Français. Les Noirs étudiaient même deux fois plus. Le portrait en creux d’un « groupe en pleine dynamique de promotion », concluait Patrick Lozès, fondateur du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) dans un petit livre, Les Noirs sont-ils des Français à part entière ? (Larousse, 2009). A défaut de chiffres, le brainstorming va bon train pour essayer de qualifier cette génération : « Afropolitaine » ? « Afropéenne » ? Rien ne fait l’unanimité. Or, à la différence de ses parents, elle ne partage plus forcément l’idée qu’une intégration réussie, c’est se fondre dans la masse. Les filles ont jeté les produits éclaircissants de leur mère. Assument leurs cheveux crépus.Elles sont noires et veulent que cela se voie.Adama Ndiaye, 37 ans, styliste, connaît sans doute l’un des succès les plus emblématiques de cet esprit. Col roulé rouge, gloss écarlate, cheveux portés naturels, elle décrit dans un bistrot bruyant de la gare de Lyon sa progressive affirmation. Fille de bonne famille sénégalaise, elle est arrivée (Suite page 40) ••• 37


De gauche à droite, Ferdinand Tra (cadre supérieur chez Orange), Orphée Makiese (neurochirurgien), Daniel Hierso (fondateur d’Outre Mer Network), Angélique Zettor (patronne de Genymobile), Jean Ichakou et Freddy Kabala (créateurs de Black Fahrenheit), Adama Ndiaye (styliste et fondatrice de la Black Fashion Week), Gwladys et Didier Mandin (fondateurs de l’agence de marketing Ak-a), Michael Kamdem (directeur du magazine Roots).

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Assistant photographe : Victor Picon. Stylisme : Aline de Beauclaire. Maquillage : Frédéric Marin. (Séance photo à Paris, début avril 2014).

Le magazine.

3 mai 2014 – Photos Olivier Metzger pour M Le magazine du Monde

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en France à l’âge de 3 ans. Enfance sage. Codes bourgeois. C’est en 2012 qu’elle a tout balayé, en important à Paris un concept qu’elle avait lancé l’année d’avant, à Prague : « la Black Fashion Week ». Un parti pris qui a fait jaser le petit milieu de la mode parisienne. Une semaine de défilés réalisés uniquement avec des créateurs et des mannequins noirs. « Quand on me disait “c’est anti-Blanc”, je rétorquais qu’en 2011 il n’y avait que sept mannequins noirs dans la Fashion Week de Paris, s’agace-t-elle. La Black Fashion Week n’était pas une réponse à un problème de race, mais de manque de travail. Je n’allais pas attendre qu’on me donne ma chance. » Au départ, Adama s’est lancée avec 10000 €, une machine à coudre et son DESS de sciences économiques. Désormais, elle vit entre Paris, Dakar et Londres. Elle est à la tête d’un événement qui est devenue une institution au Sénégal – la Fashion Week de Dakar – et travaille là-bas à un projet de chaîne télévisée, façon Fashion TV. Adama appartient en fait à cette élite littéralement happée, en quelques années, par la croissance économique du continent africain, malgré les guerres et les taux de pauvreté record qui y perdurent. Une classe émergente dont on pouvait avoir un aperçu, le vendredi 14 mars, au premier étage de la boutique Häagen Dazs, en haut des Champs-Elysées. Dans ce bar design aux couleurs de la marque de glaces avait lieu ce jour-là la conférence de presse de lancement de la Foire africaine. Du 16 au 19 mai, le plus gros Salon européen d’exposition-vente du continent accueillera, à la halle Freyssinet à Paris, des stylistes, des restaurateurs, des agences

(Suite de la page 37) •••

pouvait entendre dans le même temps une des présentatrices vedettes d’Africa 24, Hortense Assaga, s’enthousiasmer : « Abidjan, c’est New York maintenant ! C’est là-bas que ça bouge ! » Parfois moquée, en Afrique, pour son accent et ses habitudes « françaises », la nouvelle élite noire est de plus en plus convoitée par les grands groupes qui cherchent à se développer sur le continent. Des chasseurs de têtes spécialisés se sont créés : Africa Search, Mane Gere… Les cadres et ingénieurs nés en Afrique avec diplôme français sont particulièrement prisés. Plus encore,ceux qui ont intégré là-bas des filiales de grands groupes anglosaxons (comme Microsoft ou Coca-Cola) et qui ont grimpé rapidement les échelons, loin du plafond de verre français. Ces cabinets voient aussi arriver un nombre croissant de candidatures de jeunes nés en France, soudain fascinés par un continent où semblent pleuvoir les dollars, et où, se disentils, leur couleur de peau sera une valeur ajoutée. Il n’y a pas toutefoIs que des gens bIen nés dans cette nouvelle élIte. Surtout

chez lesAntillais.La plupart ont des parents qui occupent de petits emplois de la fonction publique : agent d’entretien, agent d’accueil, aide-soignante. Et beaucoup ont à ce titre grandi en banlieue. C’est le cas d’Angélique Zettor, 29 ans. Grande, mince, look décontracté, elle est aujourd’hui l’heureuse patronne de Genymobile, une boîte de nouvelles technologies spécialisée sur Android. En trois ans, elle est passée de 3 à 45 salariés et de locaux de la taille d’une chambre de bonne à un loft de 160 m2 au cœur de Paris. Elle les fait visiter en riant, désignant là le babyfoot qu’elle a tenu à mettre dans l’entrée, ici les fauteuils vert fluo pour les visiteurs. D’origine réunionnaise, elle a passé son enfance dans une cité difficile d’Athis-Mons (Essonne). Sa mère, agent hospitalier, l’a élevée seule avec ses trois demi-sœurs. Angélique a financé ses études à coups de bourses, de crédits, et de petits boulots le week-end à l’aéroport d’Orly. Elle a juste eu la chance, estime-t-elle, d’avoir « aimé l’école » et d’y avoir « toujours été première ». C’est le réseau communautaire qui est venu la chercher à force d’entendre citer son nom lors des jurys des prix d’innovation. Outre Mer Network (OMN) en l’occurrence. Moins connu que le club Efficience, l’association n’en a pas moins un entregent redoutable et organise tous les deux mois des soirées « networking » sur une péniche amarrée près de la gare de Lyon. Le bateau est prêté par Jocelyn Golitin, 55 ans, pilier du tourisme fluvial parisien et modèle de réussite antillaise. Le décor est sobre, contemporain, efficace. Ce jeudi 13 mars, ils sont quatre, assis à fond de cale face à un public d’une quarantaine de personnes. Il y a le patron d’une start-up dans les systèmes d’information, un chocolatier, un pharmacien. La quatrième est la fondatrice de Kadalys, une marque de cosmétique bio à base de feuilles de bananier. C’est à son tour de parler de son parcours : « L’idée était de créer une marque “tropical chic” », résume Shirley Billot, sa créatrice, d’origine martiniquaise. Pas de long discours dans les soirées d’OMN. Il faut « pitcher ». En clair, se présenter en cinq minutes, être drôle si possible. Le but est avant tout de se faire connaître. De donner l’idée à d’autres de se lancer. Puis de boire un verre. Daniel Hierso est le fondateur d’Outre Mer Network. de voyage comme des professionnels de l’immobilier pour la diaspora. A Ce Martiniquais de 42 ans et de 1,90 m, à la voix de stentor, a grandi dans l’entrée du bar, un photographe était chargé d’immortaliser les personna- une cité de Colombes (Hauts-de-Seine). Un autodidacte à poigne qui a lités devant un mur avec les logos des sponsors. On pouvait croiser la débuté en créant une société de gardiennage. L’idée d’Outre Mer franco-béninoise Flora Coquerel, Miss France 2014, marraine officielle Network lui est venue en 2009, lors des émeutes à la Guadeloupe et à la du Salon. Deux animateurs de Télésud, une chaîne diffusée sur le câble, Martinique : « J’écoutais une émission de libre antenne et je n’entendais que et de TV5 Monde avaient été débauchés pour l’animation.Au pupitre, le des témoignages de victimisation. Ça m’a gonflé. » Son leitmotiv : la créaprésident de la chambre de commerce africaine vantait la stabilité des tion d’entreprise est l’un des meilleurs moyens de contourner les barinvestissements sur le continent. Et, dans le public trié sur le volet, on rières sociales. « Même si, pour 100 qui galèrent, il n’y en a qu’un qui

Très prisée, cette nouvelle élite noire suscite les convoitises des grands groupes qui cherchent à se développer en Afrique. Des chasseurs de têtes spécialisés se sont même créés pour recruter les cadres et ingénieurs nés sur le continent avec diplôme français.

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réussit, pendant ce temps, il y en a 30 qui montent », estime-t-il. Une fois par semaine, Daniel Hierso anime ainsi une émission sur Tropiques FM où il donne la parole à des talents ultra-marins. Proche de réseaux d’entrepreneurs très investis dans les quartiers (la Nouvelle PME, Mozaik RH…), il développe aussi des ateliers en banlieue. Invite des grands patrons à se faire coach, comme Xavier Fontanet, ex-directeur général d’Essilor, ou Franck Riboud (PDG de Danone). Joue les business angel en lien avec des fonds d’investissement.Travaille même avec les réseaux d’entrepreneurs américains parrainés par Michelle Obama. A l’instar d’une bonne part de la nouvelle élite noire, Daniel Hierso est persuadé que, pour transformer l’essai, il faut réussir à tirer ceux qui sont encore en bas de l’échelle. Les « nés en Afrique » cultivent souvent le rêve d’agir dans leur pays d’origine ;pour les autres,c’est en France que la bataille est lancée.Michael Kamdem,27 ans,croit ainsi dur comme fer à la force des modèles. Des exemples dont il a décidé de faire le cœur de son magazine, Roots. Une revue trimestrielle gratuite tirée à 10000 exemplaires sur papier glacé. Y défilent les portraits de ceux, noirs et français, qui percent dans la mode, la finance, la cuisine, l’hôtellerie… « Au départ, on me disait : “C’est joli, mais est-ce que tu arriveras à en faire d’autres ?” Je leur répondais toujours : “Jusqu’à ma mort!”. » Michael reçoit dans les locaux de sa petite rédaction, situés près des boulevards des Maréchaux, dans l’est parisien. Il est à l’image de son magazine : fringué, connecté, iPad, blouson de cuir et mocassins bleus. Né à Paris de parents camerounais, il a grandi dans le 19e arrondissement. Initialement, Roots était un projet de fin d’études de commerce, à Angers. Aujourd’hui, il est distribué dans tous les lieux fréquentés par les Afro-Antillais de la capitale. Restaurants chics comme boutiques de Châtelet-Les-Halles. De 50, il est passé à 200 pages. Les annonceurs se bousculent. Michael a fini par théoriser le concept de « génération roots ». Une génération à qui il resterait moins de barrières sociales qu’intellectuelles à franchir. Celle du racisme surtout, pense-t-il. Il en a fait l’amère expérience mais préfère balayer, provocateur : « Ça ne fait pas mourir. » Chargée de l’éditorial de Roots, Diane Audrey Ngako, 23 ans, a sa formule magique : « Black is not just beautiful, black is brilliant ! » S’autoperSuader du SuccèS à venir plutôt que S’eStimer battu d’avance, c’est

aussi le discours des églises évangéliques issues du mouvement des « born again » qui se développent un peu partout en France. Beaucoup des fidèles y sont noirs, et Ferdinand Tra, 34 ans, cadre sup’ chez Orange, en fait partie. En dix ans, à la messe du dimanche de son église – Impact Centre Chrétien – situé au fond d’une zone artisanale de Boissy-SaintLéger (Val-de-Marne), ils sont passés d’une centaine à plus de 2500. On chante, on danse, on tape dans les mains pendant les trois offices dominicaux du centre. On s’habille aussi comme pour un jour de fête. Le pasteur anime la messe en costume-cravate. Mais c’est surtout le leitmotiv de la paroisse qui attire le plus. Presque un slogan, affiché en bannière sur la page d’accueil du site Internet : « L’amour de Dieu transforme des gens ordinaires en champions. » Un credo auquel croit particulièrement Ferdinand, qui, gilet cintré sur chemise blanche, se raconte entre midi et deux dans une brasserie d’Issy-les-Moulineaux, à deux pas de son bureau. Il est né à Abidjan, en Côte d’Ivoire, de deux parents illettrés. « Ma mère était vendeuse de fruits au marché, mon père chauffeur de minibus », détaille-t-il. Faute de place à l’école, Ferdinand n’a été scolarisé qu’à 8 ans. Mais, élevé à la dure, il a terminé parmi les quatre premiers au bac, et a obtenu une bourse pour venir en France. Il a ensuite intégré Telecom Paris, puis Supaero à Toulouse, avant d’être embauché par Orange en 2009. Et c’est désormais dans l’un de ces paradis pour cadres des Hautsde-Seine qu’il habite avec sa femme et ses deux enfants, Clamart. Ferdinand n’est pas investi en politique. Il ne se sent concerné ni par les appels à des « réparations » pour l’esclavage ni par les réclamations pour plus de représentativité en politique. Il préfère croire à l’effet masse : « Quand le bruit prendra de l’ampleur, arrivera un moment où on ne pourra plus l’étouffer. » Une attitude classique de cette génération. Plus soft que hard power, elle enterre, à sa manière, le militantisme des années 2000 qui s’est développé dans le sillage de l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle. Celui, radical, de la Tribu Ka, 3 mai 2014

qui a défendu, entre 2004 et 2006, la supériorité du peuple noir. Celui, plus social du CRAN, créé dans la foulée des émeutes en banlieue de 2005. Ou même celui d’un Dieudonné, qui a dérivé vers l’antisémitisme. Aujourd’hui, au contraire, les réseaux d’amitiés juives servent de modèles aux nouveaux réseaux noirs. Les vieux clivages entre Africains et Antillais sont en train d’être dépassés. Comme il en existe aux Etats-Unis, plusieurs portails d’actualités sur les diasporas afro-antillaises se sont aussi créés : NegroNews, Noir & Fier… Derrière ces intitulés, on trouve des trentenaires propres sur eux, avec des diplômes d’informatique, de finance, et des stages chez Total à la Défense. « On a changé de paradigme, explique Boris, de Noir & Fier. On n’a plus besoin que d’autres revendiquent que nous soyons intégrés. On est des acteurs du système. »

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ette affirmation identitaire a dans le même temps permis à tout un marché pour les Noirs de se développer en France. Un secteur à part entière, porté principalement par l’essor des cosmétiques pour peaux et cheveux afro. Le 15 mars, au Tapis Rouge, un espace événementiel dont Jacques Chirac avait fait son QG de campagne en 2002, on pouvait ainsi croiser des centaines de jeunes femmes ayant payé entre 35 et 60 € pour participer à une « natural hair academy ». Dans le décor Belle Epoque du Tapis Rouge, elles pouvaient, ce jour-là, accéder durant une journée entière à des stands de maquillage spécialisé et des ateliers sur le traitement des cheveux crépus. L’agence Ak-a avait organisé l’événement. Créée en 2005 par un frère et une sœur d’origine guadeloupéenne, Didier et Gwladys Mandin, 36 et 32 ans, Ak-a est la première agence de marketing ethnique spécialisée sur les Noirs et les métis. Avec l’autorisation de la CNIL, elle a pu constituer un panel de 20000 consommateurs, qui suscite l’intérêt de plus en plus d’enseignes. Or l’un des rêves secrets des acteurs du secteur relève autant de l’opportunité que de la bataille d’image : faire en sorte qu’à terme, à Paris par exemple, mères et filles ne soient plus obligées de venir jusqu’à Château-d’Eau, cœur historique des salons de coiffure afro, pour s’approvisionner. Leur permettre d’éviter, à l’avenir, ce boulevard du 10e arrondissement de Paris où se disputent rabatteurs et coiffeuses sans-papiers. Développer les salons lounge comme Maridié, dans le 19e arrondissement. En un mot : sortir du ghetto. Autre secteur, même combat chez les Black Fahrenheit (BF), deux cousins d’origine congolaise qui organisent des soirées privées convoitées. Look branché, barbe taillée, à presque 40 ans, Freddy Kabala et Jean Ichakou n’excluent pas les Blancs de leurs événements, mais la logique du réseau fait qu’ils y sont rares. Quand BF s’est monté, en 2011, Freddy et Jean ont bataillé pour que les établissements des Champs-Elysées leur ouvrent leurs portes. Les Champs-Elysées, ou la consécration sociale : « C’était comme si on avait voulu nous faire comprendre que nos soirées ne pouvaient se passer qu’en banlieue ou dans les vieilles boîtes afro pleines de prostituées où dansaient nos parents, expliquent-ils avant d’asséner : On ne ferait pas ce que l’on fait si la France n’avait pas raté un épisode de son intégration. » Ils ont finalement réussi à se tailler leur place et, pour l’une de leurs dernières soirées, le 11 avril, ils avaient privatisé le bar de l’Hôtel Renaissance, avenue Wagram, près de l’Arc de Triomphe : déco indonésienne lounge, néons feutrés sous les cloisons, serveurs blancs impeccables. Ce soir-là, on pouvait croiser tous les visages, tous les parcours de la nouvelle élite. Les bien-nés comme ceux des cités. L’événement était parrainé par un jeune chef d’entreprise franco-camerounais lyonnais soucieux de faire parler de sa société d’informatique – Objis – et de ses envies de développement en Afrique. Aucune entrée à payer pour cette soirée chic et glamour. Pour participer, il fallait juste faire partie du listing minutieusement établi par les Black Fahrenheit. La soirée s’intitulait sobrement « L’air du temps ». Mais les tenues sophistiquées des uns et les regards à l’affût des autres trahissaient une certitude : l’assurance d’appartenir à l’avenir.

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En 1947, Jimmy Carter (à Paris aujourd’hui, 8) fait ses classes dans la Navy (4). Presque trente ans plus tard, en 1976, il part en campagne dans le New Jersey (3) et se rend en famille à New York, lors de la convention démocrate (5). Durant son unique mandat, de 1976 à 1980, installé à Washington avec sa femme Rosalynn et leur petite Amy (7), Carter met les droits de l’homme au cœur de sa politique étrangère, discutant écologie avec Robert Redford (1) et recevant le pape Jean Paul II à Washington (2). Il reste l’artisan des accords de Camp David en 1978 (6), qui signent la paix entre Israël et l’Egypte. 8

le magazine.

Jimmy Carter L’homme à femmes.

Depuis sa retraite il y a trente ans, Jimmy Carter court la planète pour promouvoir la paix. Après moults missions et autant de combats, l’ex-président embrasse désormais la cause des femmes. Dans un livre, il exhorte les dirigeants du monde entier à prévenir et à combattre les inégalités avec les hommes. Il y a “urgence”, dit-il. Par Annick Cojean

Susan McElhinney/Woodfin Camp/Cosmos. AP. Impact/Cosmos. Gilles Peress/Magnum Photos. A. A. Bradley/AP. Elliott Erwitt/Magnum Photos. AP.

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« 187 », précise-t-il. Aux présidents et chefs d’Etat, au secrétaire général de l’ONU, aux chefs des grandes religions, et donc au pape François. Il souhaite d’ailleurs que l’ouvrage – sorti en mars-avril aux Etats-Unis, puis en Grande-Bretagne – soit publié dans tous les pays, traduit dans toutes les langues. Et il rêve d’en faire l’instrument d’un sursaut. D’une prise de conscience collective. Et d’engagements solennels et concrets de la part des maîtres du monde. Pas moins. Le 39e président des EtatsUnis (1976-1980), Prix Nobel de la paix en 2002, 90 ans en octobre prochain, n’a plus de temps à perdre et entend viser haut. Sept décennies en politique, des voyages dans 145 pays, des contacts dans tous les milieux et auprès des différentes générations, et un travail depuis trente-deux ans, dans le cadre de sa fondation, auprès des populations les plus éprouvées de la terre, l’ont convaincu que s’il est une priorité à établir dans les urgences du monde, un sujet «plus grave que tous les autres, aux conséquences effroyables mais auquel personne ne s’attaque encore sérieusement», c’est celui des inégalités entre les deux sexes et des souffrances infligées aux femmes et aux petites filles. Son livre, A Call to Action. Women, Religion, Violence, and Power, en fait un inventaire, tente des explications et se veut combatif. «Ce n’est pas un sujet “femmes”!, insiste-t-il. C’est l’intégralité de la société qui est touchée par ce qui est à la fois une injustice et une tragédie ! » Qu’on se le dise : Jimmy Carter est en croisade. « J’y consacrerai toute ma passion, toutes mes forces, pour le reste de ma vie.» Son sourire n’a guère changé depuis son élection à la Maison Blanche, sur les cendres du sulfureux Nixon. L’œil est vif, la poignée de main •••

3 mai 2014 – Photo Lauren Fleishman pour M Le magazine du Monde

l a envoyé son livre à tous les leaders de la planète,

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le magazine.

« Le meilleur exprésident des EtatsUnis », voilà comment le magazine Time présente Jimmy Carter en 1989. Depuis son départ de la Maison Blanche, il s’est réinstallé à Plains, en Géorgie, dont il est originaire (1), mettant son expérience de chef d’Etat au service de causes caritatives (7, à Veracruz, avec sa femme) et comme médiateur de conflits internationaux. Il a ainsi œuvré en Corée du Nord, en Haïti (2012, 3), au Ghana (1989, 4 et 5) et à Cuba (sous le portrait de Martin Luther King, en 2002, 2). Cette année-là, il obtient le prix Nobel de la paix. Depuis 2007, il fait partie des Global Elders, un groupe d’anciens dirigeants créé par Nelson Mandela (6, à Johannesburg en 2007) afin de promouvoir les droits de l’homme.

Eli Reed/Magnum Photos. Adalberto Roque/AFP. Thony Belizaire/AFP. Eli Reed/Magnum Photos x2. Xinhua News Agency /Eyevine / Bureau233. Italo Defeno/AFP

••• chaleureuse, la voix assurée. A peine la silhouette s’est-elle un peu

avec succès de délicates missions de médiation en Corée du Nord, en Bosnie ou en Haïti, et continuant de jouer, au sein du groupe des Elders (d’anciens dirigeants politiques retraités) fondé par Nelson Mandela, un rôle déterminant. A des années-lumière bien sûr de George W. Bush – qu’il a un jour qualifié de « plus mauvais président de toute l’histoire de l’Amérique » – aujourd’hui retiré dans son ranch du Texas et qui donne enfin libre cours à de pitoyables talents de peintre du dimanche. Les femmes, donc. De leur misère, de leurs humiliations, de leurs souffrances, Carter pourrait parler des heures – avec des chiffres, des rapports, des exemples pays par pays – s’il n’était une attachée de presse vigilante et les services secrets qui minutent ses déplacements. A Paris pour deux jours, le temps d’un entretien avec le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius et une rencontre avec les étudiants de Sciences Po sur le thème du changement de climat dont se sont emparés les Elders, il s’enflamme sur le sujet de son livre. « J’ai observé, enfant, les effets du racisme dans mon Sud natal. Et j’ai vu comment une société pouvait accepter l’idée que le Noir était inférieur au Blanc, citations de la Bible à l’appui. Eh bien, la discrimination à l’égard des femmes est du même ordre. Et elle ne concerne pas seulement une région, ou des sociétés particulièrement pauvres, mais la terre entière ! Elle est à l’origine de crimes massifs, d’esclavage, de mutilations, de viols, de trafics humains et, quel que soit le pays, de difféon, décidément pas le genre de Jimmy carter qui a immérences de salaire à travail égal. Tout cela fondé sur la présomption, millédiatement fui Washington pour s’en retourner vivre naire, et soutenue par des religieux qui ont détourné les textes sacrés, que la dans son village natal de Plains, en Géorgie, où sa fa- femme est inférieure à l’homme. » Bien des hommes sont en désaccord, mille tenait une ferme d’arachide, intégrer le corps pro- dit-il. Mais ils se taisent « pour pouvoir jouir de leur statut dominant ». fessoral de l’université Emory à Atlanta et créer, avec Carter ne manie pas la langue de bois. son épouse Rosalynn, de quatre ans sa cadette, une fondation qui emploie Des leaders religieux de tous ordres ont été invités au Centre Carter. aujourd’hui 175 personnes et a déjà travaillé dans 80 pays. Un Centre Notamment le grand imam de l’université Al-Azhar au Caire, leader Carter, dont le but proclamé est la résolution pacifique des conflits, la spirituel des sunnites, qui a maintes fois affirmé que rien dans le Coran surveillance d’élections dans les lieux les plus troublés du monde, la dé- – que Carter a étudié – n’établit l’infériorité des femmes. Et l’ancien fense et l’avancée des droits de la personne, la protection de l’environne- président l’exhorte à prendre fréquemment la parole sur ce thème. ment et l’éradication de maladies fréquemment oubliées mais affectant Ardent baptiste depuis son enfance, il a lui-même quitté sa congrégales plus pauvres (le ver de Guinée, l’éléphantiasis, la cécité des rivières). tion en 2000, lorsque, s’appuyant sur un texte de saint Paul, elle a afC’est dans ce cadre que depuis trois décennies Carter s’active dans le firmé que les femmes doivent être soumises à leurs maris et ne pourmonde, électron libre, imprévisible, bondissant de pays en pays, rencon- raient en aucune façon être prêtres ni diacres ni enseigner aux garçons. trant des leaders et leurs opposants, des activistes et autres militants, re- « Quelle tromperie !, dit Carter qui continue d’enseigner la Bible le dicrutant des médecins, construisant des maisons, réconfortant des vic- manche dans sa petite église de Plains. Cette façon de tordre les textes ou times, formidablement agaçant pour ses successeurs, mais remplissant d’extirper le verset qui les arrange ! Fions-nous à Jésus qui, jamais, n’a •••

voûtée et la chevelure dégarnie. Mais l’élan, l’enthousiasme, la foi dans ses combats semblent intacts. Avec quelque chose de juvénile. Et cette absence totale de cynisme qu’ont toujours moquée ses détracteurs mais qui continue de rallier – de cimenter – une équipe de collaborateurs fidèles depuis des décennies. Sa présidence fut courte puisqu’une série de crises – les otages de l’ambassade américaine à Téhéran, l’intervention soviétique en Afghanistan, le deuxième choc pétrolier et une économie en déroute – ont compromis sa réélection, laissant la tornade Reagan déferler durablement sur l’Amérique. Mais sa post-présidence, conçue non pas comme une retraite mais comme une mission au service de la paix et de grandes causes humanitaires, est sans doute l’une des plus riches et des plus actives de l’histoire. Au lendemain de sa défaite, il s’était engagé devant la presse à ne jamais faire d’argent «sur le dos de sa présidence». Promesse tenue, à l’image d’Harry Truman qu’il admire particulièrement, et à l’opposé de la plupart des autres ex-présidents qui cumulent les jetons de présence dans des conseils d’administration et/ou ont intégré le club très fermé des conférenciers à des centaines de milliers de dollars sillonnant la planète comme Clinton, Blair… ou Sarkozy.

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3 mai 2014 – Photo Lauren Fleishman pour M Le magazine du Monde

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le magazine.

••• discriminé les femmes, ni en paroles ni en actes. Au contraire ! Il n’a cessé

de les défendre et de les mettre en avant. C’était un féministe, vous savez ! » Alors qu’il préparait son livre, il a écrit au pape François, dont il connaissait la réputation en Argentine comme « héros des droits humains », afin de lui demander son aide pour que cessent les discriminations contre les femmes. « Il m’a répondu par une belle lettre affirmant qu’il était temps, en effet, que les femmes jouent un rôle accru dans l’Eglise catholique. » Et il a noté avec satisfaction que le pape, depuis, avait nommé quatre femmes sur les huit membres d’un comité travaillant sur les abus sexuels commis sur des enfants par des prêtres, l’une d’entre elles en ayant autrefois été victime. « C’est encourageant ! » Car il y a urgence, insiste-t-il, stupéfait que la plupart des gouvernants n’aient pas encore pris la mesure de cette « violation des droits humains probablement la plus grave de toute l’histoire ». Des faits ? Il en a plein sa besace. Et d’abord ce chiffre, horrifiant, de 160 millions de petites filles manquant à l’appel.Assassinées à leur naissance ou supprimées parce que l’échographie révélait un fœtus féminin. «160 millions! L’équivalent d’une génération de filles rayée de la surface de la terre! Un chiffre à comparer avec les 40 millions de personnes disparues pendant la seconde guerre mondiale et les 6 millions de juifs assassinés. Comment peut-on ne pas réagir ?» Car outre l’horreur des crimes généralement réalisés par la main des parents (beaucoup d’étranglements), les conséquences sont terribles : 100 filles pour 118 garçons en Chine, pour 113 en Inde, pour 154 dans certaines régions… Cela implique un manque drastique d’épouses, des kidnappings et trafics de femmes, l’accroissement de la prostitution. «Si l’on donnait aux filles la même éducation et les mêmes opportunités d’emplois qu’aux garçons, elles seraient autant en mesure que leurs frères de s’occuper plus tard de leurs parents. Et cette perspective les rassurerait!» Autre exemple: les mutilations sexuelles. Comment accepter que, selon l’Organisation mondiale de la santé, 125 millions de femmes aient été excisées, particulièrement dans les pays musulmans? 88% des femmes le sont au Soudan, 91% en Egypte, 96 % en Guinée, 98 % en Somalie. Le motif est une « purification » ou la suppression du plaisir sexuel. Ce n’est en aucun cas une exigence du Coran.Alors? Les jugements occidentaux ou les pressions exercées de l’extérieur se révèlent contre-productifs, assure Carter. « Le refus doit venir des femmes elles-mêmes, des mères auxquelles on doit instiller l’idée qu’elles ont des droits fondamentaux, ce qu’on ne leur a jamais dit, et que l’un d’eux est le droit de ne pas être coupées. » Encore l’éducation.

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qui confesse dans son livre que son arrière-arrière-grand-père Wiley possédait plusieurs douzaines d’esclaves à sa mort, survenue la première année de la guerre civile américaine. La fin de la guerre sembla sonner la fin du phénomène. Erreur. Il n’y a jamais eu autant d’esclaves dans le monde (autour de 30 millions) ni davantage de personnes faisant l’objet, contre leur gré, de trafic transfrontalier. 800000 chaque année, selon le département d’Etat américain, dont 80% sont des femmes ou des petites filles, essentiellement pour de l’esclavage sexuel. 7000 petites Népalaises sont importées par an en Inde, 200000 y travaillent actuellement dans des bordels. Quant à l’Amérique, il se trouve que la plaque tournante du trafic est Atlanta, où entre 200 et 300 enfants sont vendus chaque mois. « Personne n’agit ? Voyons ! Quel embarras pour un pays d’admettre ce type d’esclavage ! C’est pourtant un fait : le commerce du sexe en Géorgie a rapporté l’an passé 290 millions de dollars, plus de deux fois le trafic de drogue ! » Mariages infantiles, crimes d’honneur, viols de guerre, agressions sexuelles en tous genres… L’ancien président américain continue imperturbablement la longue litanie des crimes : plus d’un tiers des femmes, selon l’OMS, sont victimes de violences physiques ou sexuelles, la grande majorité de la part de leur compagnon. Un quart des Américaines sont, à un moment ou un autre de leur vie, victimes de violences domestiques… Insupportable, dit-il. D’autant que les deux institutions « les plus vénérées en Amérique », l’armée et l’université, sont aussi le cadre de nombreux viols. « 14 000 cas d’agressions dans l’armée américaine en 2013. Mais à 46 -

’esclavage ? Parlons-en, dit carter,

peine plus de 1 % d’affaires portées en justice. » Même problème avec les universités, dont les recteurs ont accusé Carter de nuire à leur réputation. « C’est absurde, dit-il. Ils feraient mieux de faire face. D’encourager les jeunes filles à porter plainte plutôt que de les dénigrer et de défendre leurs agresseurs pour peu qu’ils soient blancs et champions de football ! » Une femme se profile pour être candidate démocrate à la prochaine élection présidentielle. Etes-vous prêt à soutenir Hillary Clinton, président Carter ? Le voilà qui botte en touche. « Ça dépendra de qui d’autre est candidat ! Car on a déjà vu des femmes occuper de hautes fonctions gouvernementales sans pour autant faire avancer les droits des femmes. Rappelezvous Indira Gandhi ! » Une présidente aurait donc ce devoir? « Oui ! Ce serait une chance exceptionnelle de pouvoir le faire ! Obama a pris fortement

“160 millions de petites filles assassinées à leur naissance ou avant ! L’équivalent d’une génération de filles rayée de la surface de la terre.” Jimmy Carter

position pour les droits des Noirs, ce qui est formidable. Eh bien, je pense que toute femme élue à une position officielle importante devrait avoir à cœur de dénoncer l’étendue des discriminations féminines. » Le président Obama n’a pas encore réagi au livre de Jimmy Carter. Ce qui ne l’étonne pas. Les relations entre l’actuel et l’ancien président ne sont guère chaleureuses et les critiques de Carter sur le désastre de Guantanamo, les campagnes des drones qui affectent tant de civils au Yémen et au Pakistan, et les violations régulières de la Déclaration universelle des droits de l’homme au nom de l’antiterrorisme n’ont rien arrangé. Mais les sommets, forums et groupes de femmes lui font un triomphe, comme les féministes historiques, telle Gloria Steinem, qui lui tressent des louanges pour avoir écrit l’un des livres les plus courageux et complets sur les injustices endurées par « la moitié du ciel ». La fin de l’ouvrage propose vingt-trois recommandations que le Centre Carter, désormais mobilisé à fond sur la question des femmes, va soutenir et promouvoir. Il compte aussi sur le relais des Elders. Jason Carter, l’un de ses petits-fils, est actuellement en campagne pour le poste de gouverneur de Géorgie. Sur sa page Facebook du 8 avril, il est écrit: « Nous ne sommes plus dans les années 1960 mais les femmes gagnent toujours en moyenne 23 % de moins que les hommes pour le même travail. Les mères et les femmes de couleur gagnent encore moins. Il est temps que cesse cette folie ! » Il semble que la relève de Jimmy soit assurée. 3 mai 2014



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bureau « plus grand que [s]on salon », l’homme transpire sous l’œil bonhomme de François Hollande. Récemment nommé à la faveur du remaniement ministériel, il a hérité de cette unique relique de son prédécesseur : le portrait officiel du président, qu’une note interne interdit d’emporter en cas de brusque départ. Face à une pile de parapheurs, le nouveau venu tente de comprendre la nature de son travail. Dans quelques mois, la « popote » – la cantine des conseillers, où des maîtres d’hôtel aux gants blancs servent « à l’assiette » – et le protocole n’auront plus de secret pour lui. Les déplacements officiels avec motards et gyrophare deviendront la routine. Mais pour l’heure, ce conseiller ministériel (qui souhaite garder l’anonymat) se sent comme « un Indien dans la ville ». Conseiller ministériel. Voilà un métier étonnamment précaire. Car si les ministres gardent leur titre à vie et leur traitement pendant six mois, leurs conseillers, eux, disparaissent en un instant. Salaires affriolants pouvant atteindre près de 10000 euros, primes de cabinet – celles du gouvernement Ayrault (d’un montant de 12 millions d’euros) ont été abondamment commentées – et dorures de la République voisinent avec l’angoisse de l’éviction brutale. Comme Aquilino Morelle, l’éminence grise de François Hollande, évacué en vingt-quatre heures du « Château », tous les conseillers se savent remplaçables. Une claque électorale, un couac de « son » miIl y a un mois encore, ils étaient en poste. Un remaniement nistre, et tout peut s’arrêter. La plus tard, en voilà certains dans la nature, d’autres recasés, crainte du remaniement est permanente. « Aussitôt que l’on entre en d’autres peut-être encore en pourparlers. Mais tous avaient fonction, les rumeurs commencent à anticipé. Car conseiller ministériel est une profession circuler, raconte Franck Louvrier, ancien conseiller en communication à part. On sait que “son” ministre peut être remercié de Nicolas Sarkozy. J’avais un bon du jour au lendemain et qu’à un investissement total copain qui “faisait” aussi du cabinet et qui laissait en permanence un carpeut succéder un désœuvrement brutal. ton dans son bureau. Pour ne pas ouPar Laure Mentzel/Illustration Andrew B. Myers blier qu’à un moment, il faudrait qu’il le remplisse. » C’est dire la panique qui a gagné Bercy entre les deux tours des municipales, quand les « dircabs » ont reçu un courriel intitulé « Votre départ » et qui rappelait les consignes d’archivage. « C’est une machine à laver avec des programmes plus ou moins courts et plus ou moins séchants », résume Franck Louvrier. Souvent jeunes, entre 30 et 45 ans, les conseillers offrent leur vie à leur fonction. Leur métier, selon Jacques Baudouin, ancien conseiller de Bernard Kouchner aujourd’hui directeur de CNRS éditions, consiste à être « la démultiplication de la main du ministre ». Amplitude horaire folle – « au moins ••• ans son nouveau

Les précaires du ministère.

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••• deux fois 35 heures » –, disponibilité totale (« on hésite à aller

au cinéma de peur que le téléphone ne capte pas »), ils n’ont plus ni vie de famille ni vie sociale. Mais tous disent leur honneur de « servir l’Etat ». Des années après leur départ, il n’est pas rare que les « anciens » du « cab » continuent de se réunir, formant un réseau indissoluble, une fraternité d’anciens combattants dont eux seuls maîtrisent les codes. Il est 17h35, ce lundi 31 mars. Sur l’immense pelouse de Matignon, à l’ombre des arbres plantés par chacun des premiers ministres depuis Raymond Barre, les conseillers se sont réunis, silencieux, sidérés. Ils viennent d’apprendre par la télévision le départ de Jean-Marc Ayrault. Malgré les persistantes rumeurs de remaniement, pour le cabinet, c’est une déflagration. Quelques minutes plus tard, le premier ministre les rejoint et confirme la nouvelle. Il est longuement applaudi par ses collaborateurs. Puis les rangs se clairsèment. Chacun doit regagner son bureau. Vite, ranger, trier, vider son ordinateur. Dans vingt-quatre heures, la passation de pouvoir aura lieu et plus personne n’aura plus le droit de pénétrer dans l’espace qu’il aura occupé, souvent nuit et jour, pendant deux ans. On fait marcher la broyeuse. « Malgré les consignes, il est de tradition de ne pas laisser l’ensemble de ses dossiers à ses successeurs, même quand la majorité reste la même », explique un ancien. Demain, le personnel du ministère, habitué aux changements de gouvernement, récupérera sans états d’âme téléphones et ordinateurs. C’est à cela qu’on comprend la brutalité du remaniement. Aux cartons encore pliés entassés dans les couloirs avant l’annonce officielle du changement de gouvernement par le secrétaire général de l’Elysée.A cet agent administratif qui se plante dans l’embrasure de la porte du bureau, hier inviolable, et fixe, impatient, son occupant tandis qu’il termine d’archiver ses mails. « Vous êtes qui ? – Celui qui doit récupérer le matériel. » A cet autre qui court littéralement après un conseiller dans les couloirs pour reprendre son téléphone professionnel. « Quand tout s’arrête, vous êtes en apesanteur. Vous récupérez votre souffle et vous essayez de récupérer un job », continue Jacques Baudouin. Dans tous les ministères, les téléphones des conseillers n’ont pas cessé de vibrer après l’annonce de la démission du « PM ». Peaufinés entre les deux tours des municipales, les CV ont fusé. Assortis de textos pressants. On se manifeste auprès de ceux qui vous doivent un service, on échange les fuites sur la possible composition du gouvernement, on se déclare « prêt à être utile au nouveau dispositif »…

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d’Etat tout juste installé dans ses fonctions. En grignotant son déjeuner dans son nouveau bureau un samedi après-midi, le jeune homme improvise une typologie des conseillers. Il y a d’abord « les fidèles », dont il fait partie, qui travaillent avec l’élu depuis longtemps et qui parlent son langage. Viennent ensuite « les imposés », ceux dont le nom a été suggéré par Matignon ou l’Elysée. Enfin, il y a « les chanceux » sont recrutés parmi les dizaines de CV envoyés par des connaissances. La LocaLisation des bureaux en dit long sur l’influence du conseiller. « Plus tu es proche de Dieu, plus tu comptes. Le ministre passera tout le temps dans ton bureau. » A Bercy, plus on monte en grade et plus on grimpe dans les étages. A Matignon, la chefferie et la direction de cabinet sont situées dans un bâtiment à part. Etre mal installé, c’est risquer de ne pas se constituer le réseau qui permettra de valoriser son expérience. « Il faut négocier son départ avant même d’arriver. » Au ministère de la justice, c’est ce qui a été fait. L’annonce du remaniement a été accueillie avec sérénité. Christiane Taubira avait déclaré depuis un moment qu’elle ne briguait pas de portefeuille. Le « cab » a même pris le temps de sabler le champagne, avant d’entamer cartons et pilon. Les conseillers, magistrats, avaient été officiellement recasés, à des postes plus prestigieux que leur rang ou leur ancienneté auraient dû leur ouvrir. Un remaniement anticipé de main de maître. Sauf que… à la stupéfaction générale, la garde des sceaux est restée.

La localisation des bureaux en dit long sur l’influence du conseiller. “Plus tu es proche de Dieu, plus tu comptes. Le ministre passera tout le temps dans ton bureau.”

out va très vite. En quelques jours, le nouveau gouvernement est formé. Son état-major aussi. Il faut en être.Y rester quand on a eu la chance, l’honneur, de franchir la porte des ministères, ces jolis bâtiments, classés pour la plupart, qui hébergent les plus hautes instances de l’Etat. Y entrer quand on a été recalé au premier tour. Ou se trouver un autre point de chute. Les fonctionnaires retournent dans leur administration d’origine, à un poste souvent prestigieux mais flanqués d’un salaire largement écorné. « C’est un métier à forte rétribution symbolique, mais une expérience difficile à revendre dans le privé », explique le bras droit d’un secrétaire

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CASDEN Banque Populaire, Société Anonyme Coopérative de Banque Populaire à capital variable. Siège social : 91 Cours des Roches 77186 Noisiel. Siret n° 784 275 778 00842 - RCS Meaux. XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX Immatriculation ORIAS n° 07 027 138Illustration : Killoffer.

En mai, la CASDEN tient son Assemblée Générale annuelle.

Ses Sociétaires vont pouvoir participer à la vie de leur coopérative selon le principe « une personne, une voix ». Voter, c’est s’impliquer. C’est montrer son attachement aux valeurs de la coopération. C’est vivre différemment sa banque.

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Le magazine.

Jour de mariage rajput au fort de Kanota, près de Jaipur, Rajasthan. Le marié est pakistanais, son épouse indienne. Après les noces, comme le veut la tradition, elle vivra chez lui à Karachi. 52


Mariage en terres ennemies.

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dienne suivra bientôt son futur époux au Pakistan. Pour insolite qu’il soit, ce mariage enjamchaloupé de l’éléphanT. bant le rideau de fer n’a rien de subversif. Il Le marié est déjà de n’est nullement un défi lancé à la société. haute taille mais, à dos Il n’est aucunement un acte d’hérésie. Kunwar de pachyderme, il est et Rajshree ne sont pas des Roméo et Juliette plus imposant encore, version indo-pakistanaise, bravant les vœux de frôlant les branches de leur clan. Bien au contraire. Sur la pelouse grasse palmiers. L’éléphant a de Kanota où l’orchestre joue des sérénades rale flanc chamarré de draperies, le front cuirassé jasthanies, les deux jeunes gens sont fêtés par d’argent et une fleur de lotus rose dessinée sur leur famille. Des guirlandes de lumière s’enroula trompe. De son altitude instable, Kunwar lent aux arbres ou grimpent aux murs. Les Tejvir Singh tente de faire bonne figure. On le hommes ont sorti leur tenue d’apparat : turban sent las, éreinté, mais il s’efforce de sourire à la multicolore noué à la tête, veste gris-bleu sans foule de convives regroupée à ses pieds. La pro- col de type jodhpuri, spécialité de Jodhpur (Racession longe les murailles de Kanota, un palace jasthan), et fourreau de sabre au poing. Les fortifié bâti en lisière de Jaipur, capitale de femmes, elles, ont des ornements d’or rivés au l’Etat indien du Rajasthan. Derrière l’assem- nez et les cheveux tressés de colliers d’argent. blée en marche, des chevaux galopent dans Le fond de l’air est léger, coquet, enjoué. l’éclat orangé du soleil couchant. C’est que tout ce petit monde appartient à la C’est jour de mariage à Kanota. Une union très même communauté : les Rajputs, la plus spéciale : Kunwar Tejvir Singh est pakistanais. fameuse caste de guerriers de l’ordre socioEt sa future épouse, Rajshree Rajawat, qu’il va religieux hindou. Ces hommes d’épée s’étaient rejoindre dans quelques instants dans le jardin taillé jadis de prestigieux royaumes. Ils avaient du palais, est indienne. Un mariage indo-pakis- trôné en maharajas sur de vastes landes. Dans sa tanais exhalera toujours une odeur de soufre en grande finesse tactique – « diviser pour réce sous-continent déchiré par la rivalité entre les gner » –, le colonisateur britannique leur avait deux pays depuis 1947, année maudite où l’ex- même laissé la jouissance de leurs petits Etats Empire britannique des Indes s’est démembré princiers. Jusqu’à ce que l’Inde indépendante, dans une orgie de violences. La mémoire de ces avide de souveraineté intégrale, les dépouille de 700000 morts et 14,5 millions de personnes dé- leurs privilèges d’un autre âge. Les Rajputs n’en placées n’en finit pas de saigner l’imaginaire finissent pas de cultiver la nostalgie de leur collectif des deux ennemis héréditaires d’Asie gloire fanée. Leurs palais sont devenus des hôdu Sud. Quatre guerres (1947, 1965, 1971, 1999) et nombre de batailles par procuration – en Afghanistan, par exemple – en témoignent. Kunwar le Pakistanais est donc venu se marier en terre « ennemie » : l’Inde. Et Rajshree l’In-

Lors de la partition de l’Inde et du Pakistan en 1947, une petite part de la communauté hindoue des Rajputs est restée en territoire islamique. La tradition lui impose de se marier dans sa caste, mais hors de son clan. D’où la nécessité de nouer des unions de l’autre côté de la frontière avec des Indiennes ou Indiens de même rang. Sans être rares, ces mariages deviennent cependant de plus en plus difficiles à organiser. Par Frédéric Bobin/ Photos Oriane Zérah

unwar Tejvir Singh Tan-

gue au ryThme du paS

3 mai 2014 - Photos Oriane Zérah pour M Le Magazine du Monde

tels de luxe, attraction pittoresque du Rajasthan. Mais l’esprit de caste demeure, intact, coriace. Pour preuve, ce mariage rajput indo-pakistanais au fort de Kanota. Si l’essentiel des Rajputs réside en Inde, une infime minorité d’entre eux continue de vivre au Pakistan, témoignage toujours vivant et souvent douloureux de cette frontière qui a fracturé des communautés entières. Ces Rajputs pakistanais sont concentrés autour du district d’Amarkot (Umarkot, selon la désignation pakistanaise), dans la province du Sind, frontalière du Rajasthan indien. Ils sont l’un des groupes de la petite communauté hindoue (2,8 millions de personnes, soit 1,6% de la population) restée au Pakistan «islamique» et qui a refusé – par choix ou par nécessité – l’exode vers l’Inde lors de la partition de 1947.A l’instar de la minorité chrétienne, ces hindous du Pakistan vivent dans un environnement précaire, de plus en plus exposés à la pression des islamistes radicaux. «Nous avons toujours à l’esprit cette menace potentielle, admet Rajvir Singh Sodha, le père du marié et l’un des leaders de la communauté rajput d’Amarkot. Les hindous préfèrent en général se faire discrets. » « Proclamer que nous sommes fiers de notre religion hindoue ne serait pas compris au Pakistan », ajoute Sangeeta, une Rajput ••• - 53


le magazine.

« l’ennemi ». La pérennité du groupe impose ainsi de se marier avec des Rajputs indiens, puisqu’en Inde l’éventail des clans rajputs est plus large. Ainsi les Rajputs sodhas du Pakistan survivent-ils en allant quérir en Inde des femmes rajputs non Sodhas. Selon la tradition, la femme indienne devra suivre son mari pakistanais au-delà de la fron••• élevée dans le Sind pakistanais et mariée tière. Et la femme pakistanaise unie à un Indans le Rajasthan indien. dien devra la franchir dans l’autre sens. Cela fait Kunwar a maintenant rejoint sa future épouse beaucoup de va-et-vient transfrontaliers, une Rajshree au pied de la façade du palais. Il porte source d’inquiétude, de suspicion, de paranoïa, beau, cambré dans sa tunique beige, mous- pour ces monstres froids d’Etats pakistanais tache taillée au millimètre, turban couleur sa- comme indien. Et si des espions s’infiltraient à fran et poignard à la hanche, legs martial de ses la faveur de ces mariages ? Les Sodhas du Paaïeux. Eduqué à Karachi, il travaille au- kistan et leurs époux d’Inde sont un casse-tête jourd’hui au département des relations hu- géopolitique pour Islamabad et New Delhi. Ils maines d’un fabricant d’électroménager dans dérangent, sulfureuse incongruité, défi à la lola métropole portuaire du Pakistan méridional. gique de la partition. Alors, quand ces migrants Il retournera un jour, il le sait, sur les terres an- matrimoniaux et leurs familles sollicitent des cestrales d’Amarkot, où le coton et la canne à visas, on les leur accorde au compte-gouttes. Et sucre l’attendent. Et il n’exclut pas de se lancer avec de multiples restrictions : courte durée, plus tard en politique. Sa famille a toujours nombre limité de villes autorisées, obligation joué les protecteurs de la minorité hindoue au- de se manifester à la police au moindre déplaprès des autorités pakistanaises, et est très liée cement. Quant à obtenir la nationalité de à la dynastie Bhutto. Entre féodaux du Sind, l’époux, il vaut mieux s’armer de patience. Cela musulmans ou hindous, on se fréquente – même si on ne marie pas ses enfants. Voilà que Kunwar s’assied sur un coussin de velours. Rajshree prend place à ses côtés. On devine à peine son visage, dissimulé sous le rouge de sa purdah, ce voile tenant de la mousseline que les femmes d’Inde du Nord ont toujours porté pour se protéger des convoitises des envahisseurs. Un brahmane – prêtre dans la religion hindoue – psalmodie des mantras (versets), texte canonique à la main. Devant lui est posé un plateau, où s’éparpillent pétales de fleurs, lait de coco, poudre de curcuma (le « safran des Indes »). L’heure est aux rituels, à l’invocation des dieux, aux saintes formules pourvoyant fortune et bonheur. Et elle veut y croire, Rajshree, à son bonheur. S’installer au Pakistan auprès de Kunwar n’a pas l’air de l’effrayer. On lui a dit que « les Pakistanais étaient plus chaleureux que les Indiens ». Elle l’espère.

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out est déjà réglé pour son emménagement imminent à

Avec la même minutie qu’a été concocté ce mariage arrangé. Car la famille de Kunwar n’est pas venue dénicher Rajshree en Inde pour le simple plaisir, politique ou esthétique, d’organiser une union indo-pakistanaise. Tout est affaire de caste, de sang. Kunwar est issu de la lignée des Sodhas, un des clans rajputs. Or tous les Rajputs du Pakistan sont des Sodhas – minuscule communauté de 15000 à 20000 personnes. Et c’est un grave problème: un Sodha ne peut épouser un autre Sodha, crainte de la consanguinité oblige. Et, comme les Rajputs pakistanais ne peuvent s’unir avec d’autres hindous du Pakistan – ce serait régresser dans l’échelle des castes –, ils sont condamnés à aller chercher le partenaire idoine au-delà de la frontière, chez 54 -

Karachi.

Ces unions créent des va-et-vient, source de paranoïa pour les Etats. Et si des espions s’infiltraient à la faveur de ces mariages ?

prendra environ sept ans en Inde. Le régime s’est durci avec le temps. Devant tant de tracasseries, de nombreuses familles rajputs d’Inde deviennent réticentes à marier leur fils à des Rajputs pakistanaises, d’autant que celles-ci sont en général moins bien éduquées que les Indiennes. « Il est de plus en plus difficile pour nos filles de faire face à la concurrence des filles d’Inde », grince Vikram Singh Sodha, l’un des chefs de la communauté rajput d’Amarkot. Les choses étaient bien différentes dans les années 1960 ou 1970 : l’économie du Pakistan était alors prometteuse – et plus florissante qu’en Inde – et les Pakistanaises étaient très convoitées pour l’or qu’elles apportaient dans la corbeille. Quarante ans plus tard, leur cote a chuté à la Bourse du mariage, à la mesure de la régression du Pakistan, tandis que l’Inde émerge. « Il nous faut payer des dots de plus en plus chères pour compenser ces nouveaux handicaps », soupire Vikram Singh. Mais qu’importe le parcours d’obstacles. La stratégie matrimoniale s’ajuste, compose, et ne peut rendre les armes.Affaire existentielle pour les Sodhas du Pakistan. On célèbre toujours cinq cents mariages indo-pakistanais par an, une belle fenêtre sur un univers transfrontalier qu’ignorent le reste des Indiens et Pakistanais. Il suffit de voir, sur le gazon de Kanota, Ranvir Singh, colonel indien à la retraite, un valeureux de la Eagle Division qui combattit en 1971 le… Pakistan. Il sourit joyeusement de l’ironie de la situation, le vétéran à la moustache d’officier britannique des Indes, ce pinceau de poil blanc lissé en guidon de vélo. Il est là car il est lié par un quelconque cousinage avec des Rajputs du Pakistan. C’est l’heure de l’apéritif et le colonel Ranvir Singh sirote un verre de whisky en picorant des bouchées de poulet tandoori. La gorge en verve, il dit ceci à propos de l’Inde et du Pakistan: « En fait, les peuples des deux pays s’aiment bien. Nous avons tant de racines communes. Le seul problème, c’est l’armée pakistanaise. » Parole de soldat indien. Et puis, non loin, à hauteur du buffet, on rencontre Shazia Marri, une élégante blonde décolorée. Elle est députée pakistanaise, une fidèle du clan Bhutto. C’est son premier voyage en Inde. Elle avoue avoir été en proie à une «vive réticence » avant d’accepter l’invitation de la famille de Kunwar, amie de ses parents. Elle craignait un quelconque incident qui gâcherait tout. Elle respire ce soir, à l’heure où les psaumes du brahmane se mêlent aux mélodies de l’orchestre rajasthani. Ce qui la ravit le plus? «Les gens ont pu voir une députée musulmane pakistanaise sans burqa, sans discours extrémiste, une femme libérale. » Une petite graine indo-pakistanaise semée dans le jardin de Kanota.

Photos Oriane Zérah pour M Le Magazine du Monde – 3 mai 2014


Les invités se sont installés pour assister à l’une des cérémonies du mariage (ci-contre). Dans l’une des pièces du palais, le marié, entouré de ses amis et serviteurs, attend, lui, d’être appelé (ci-dessous). Il rejoindra un des lieux de la célébration à dos d’éléphant.

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Corps d’attache.

Le photographe américain Emmet Gowin, né en 1941, observe d’en haut les paysages de l’ouest des Etats-Unis, sillonnés, dessinés, abîmés par les hommes ou les catastrophes naturelles. Mais s’il est un sujet sur lequel il revient sans cesse, c’est sa muse et compagne de toujours, belle et sauvage, Edith. Par Cathy Rémy/Photos Emmet Gowin

Edith, Dayton (Ohio), 1970.

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Emmet Gowin, Pace/MacGill Gallery, Editions Xavier Barral


Ancien site de la ville de Hanford sur le fleuve Columbia, aujourd’hui complexe nucléaire, près de Richland (Washington), 1986.

Emmet Gowin, Pace/MacGill Gallery, Editions Xavier Barral

Edith, Danville (Virginie), 1971.

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Le portfolio.

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Emmet Gowin, Pace/MacGill Gallery, Editions Xavier Barral

Edith Danville (Virginie), 1963.

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le portfolio.

L

si je ne savais pas faire de photos. » Bien plus qu’une boutade, ces quelques mots écrits en 1967 sont la meilleure description de l’œuvre d’Emmet Gowin. Pas de doute, pour ce fils de pasteur américain né en 1941 à Danville, en Virginie, la photographie est un art tourné vers la vie. Un moyen de retenir intensément un moment de communication entre deux êtres.Au fil du temps, cet artiste d’une ferveur discrète a tissé avec le monde une relation intime à la fois limpide et mystérieuse. Ses photographies, fragiles fragments de réalité, forment, mises bout à bout, un long poème autobiographique surgi des profondeurs de son âme. « Nous ne faisons rien que nous ne sachions déjà. C’est déjà là en nous, avant que nos yeux et notre esprit ne puissent s’y ouvrir », dit-il, lors d’une conférence donnée en 2009 à l’occasion de l’inauguration d’une exposition qui lui était consacrée au Musée d’art de l’université de Princeton, aux Etats-Unis. Comme Alfred Stieglitz ou Harry Callahan, Emmet Gowin trouve dans sa famille la source de son inspiration. Edith, sa femme, sa muse, son alma mater, apparaît seule ou avec ses enfants, ses sœurs, ses tantes. Chair frémissante ou idée pure. Edith, dont la chemise virginale laisse pudiquement entrevoir un sein. Edith au visage sérieux ignorant parfaitement la présence de l’objectif ou le regardant effrontément. « Mon cœur et mon esprit la suivent au gré de ses gestes ». Ces mots écrits par le photographe il y a trente-cinq ans en disent long sur la place que sa femme occupe dans son univers. L’émerveillement qui a présidé à leur première rencontre, en 1960, un samedi soir de bal, est encore palpable dans ses images les plus récentes. Qu’il la photographie nue dans un nuage de papillons de nuit, lors d’un voyage au Panama, ou qu’il insère sa silhouette en carton découpé au cœur d’un théâtre d’ombres chinoises. es baisers sont l’un des moyens que j’utiliserais

si robert Frank, Henri Cartier-bresson ou eugène atget ont façonné son regard, c’est à Harry Callahan, son professeur à la Rhode Island School of Design, qu’il doit cette patience, cette qualité d’attention particulière, mélange d’acceptation et d’étonnement devant le monde. « Peut-être est-ce ainsi que nous ressentons nos désirs et nos espoirs les plus profonds. Nous ne savons jamais ce que nous allons découvrir car cela arrive d’un coup comme une surprise », disait-il en 2009. Il observe l’instant pour mieux entrer en contact avec ce qui l’entoure. Il se construit dans cette quête intense du tangible et du poétique. Le foyer familial devient un lieu de ravissement et de paix où les activités les plus ordinaires revêtent une dimension magique. Emmet Gowin voulait voyager pour découvrir le monde en profondeur, mais c’est à Danville qu’il a créé ses images les plus fortes. « Comment voyager le plus loin et le plus profondément? En revenant là ou nous nous trouvons déjà. » Quand il prend de la hauteur c’est pour parler de son attachement profond à la terre et consigner les blessures infligées à l’Ouest américain. Ses photos aériennes de paysages exploités, défigurés par l’homme, occuperont sept ans de sa vie. Belles et inquiétantes, elles semblent contredire la terrible réalité qu’elles dénoncent. Les vestiges de la ville de Hanford, dans l’Etat de Washington, traversée par le long ruban argenté du fleuve Columbia et aujourd’hui transformée en complexe nucléaire; ou les versants du mont Saint Helens, non loin, dont les arbres calcinés portent la trace d’une violente éruption, et se transforment sous son objectif en jeux de formes et de lumière frôlant l’abstraction la plus pure. Qu’il capture l’immensité de la nature ou qu’il enregistre la vie dans ce qu’elle a de plus infime, Emmet Gowin emprunte une unique route qui le conduit invariablement aux mêmes vérités essentielles. « Ce qui m’a toujours intéressé, c’est l’histoire qu’il y a derrière chaque photo, le chemin parcouru. » Pendant toutes ces années, il n’a jamais cessé de photographier Edith, cherchant dans cette communion silencieuse un moyen de ré-enchanter l’humanité. L’univers tient dans un baiser.

« Emmet Gowin » à la Fondation Henri Cartier-Bresson, 2, impasse Lebouis, Paris-14e, du 14 mai au 27 juillet. Tél. :01-56-80-27-00. www.henricartierbresson.org Emmet Gowin, 258 p., aux Editions Xavier Barral, première monographie en français du photographe américain, avec plus de 200 photos. 3 mai 2014

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Edith, Newton (Pennsylvanie), 1994. RĂŠgion du mont Saint Helens (Washington), 1981. Page de droite, Edith au Panama, 2008.

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Emmet Gowin, Pace/MacGill Gallery, Editions Xavier Barral

Le portfolio.

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Edith, ĂŽle de Chincoteague (Virginie), 1967.

64 Emmet Gowin, Pace/MacGill Gallery, Editions Xavier Barral


Le portfolio.

Cône alluvial et drainage naturel près du polygone d’essai militaire de Yuma (Arizona), 1988.

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Le Style

/ Mode / Beauté / Design / Auto / / High-tech / Voyage / Gastronomie / Culture /

Gilles Rigoulet

Bain de jouvence pour Molitor.

La piscine des beaux quartiers parisiens, ancien fleuron du style Art déco, rouvre ses portes après vingt-cinq ans de fermeture. Ce haut-lieu de l’hédonisme des années 1980 a été transformé en complexe luxueux. Une rénovation qui n’est pas du goût de tous. Par Julie Pêcheur 3 mai 2014

Gilles Rigoulet a immortalisé Molitor en 1985. C’est le seul travail photographique répertorié du lieu entre l’après-guerre et la fermeture du site, en 1989.

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on roulait son maillot une pièce sur les hanches et on s’en grillait une après le bain, les doigts encore humides. Il y a trente ans, dans les piscines municipales, les normes – de sécurité, d’hygiène, esthétiques – n’étaient pas les mêmes : il y avait des plongeoirs, des cheveux et des seins nus partout. « C’était l’époque des piscines plaisir. Des lieux extrêmement vivants, ludiques, où l’on venait passer un moment très convivial. Les enfants sautaient, les femmes en faisaient un peu trop, ça draguait dans tous les coins. C’était la vie », résume Gilles Rigoulet. Au milieu des années 1980, ce photographe entame un travail au long cours sur le corps et l’eau. Il arpente alors les mythiques piscines parisiennes Molitor et Deligny, saisissant du bord et sous l’eau le corps des baigneurs (sans provoquer le moindre haussement de sourcil : il n’y avait pas de réseau social ni de crispation autour du droit à l’image). Quatre ans après ces clichés, en 1989, Molitor, jugée insalubre, ferme ses portes. Les négatifs de Rigoulet sont rangés dans des classeurs. Pendant ce temps, les slips moulants et les bonnets de bain deviennent obligatoires dans les piscines municipales. Alors que Molitor s’apprête à rouvrir ses portes, le 19 mai, le débat est relancé sur la rénovation du patrimoine : que faire de nos ruines ? Laisser mourir pour réinventer une autre histoire ou réhabiliter, restituer ? Faut-il faire place neuve aux 68

bombes,

architectes contemporains ou protéger, s’acharner à faire durer, quitte à succomber au mythe de l’authentique, au culte de l’ancien ? Et surtout, peut-on faire revivre l’esprit d’un lieu par la magie d’une restauration à l’identique ? C’est ce que veulent croire les promoteurs du nouveau Molitor. En grattant les couches de peinture, ils sont tombés sur du jaune. « De la colle ! », s’est exclamé le futur directeur des lieux, Vincent Mezard, qui a supervisé les travaux. « Mais non, c’est la couleur originale ! », lui a répondu l’architecte des Monuments historiques. Vérification faite – dans le Guide bleu de 1933 et les coupures de presse de l’époque –, la piscine Molitor n’était pas blanche comme un paquebot lors de son inauguration, en 1929, par les champions olympiques Aileen Riggin et Johnny Weissmuller, mais bien jaune moutarde, ou « jaune tango ». Le nouvel espace Molitor sera donc jaune et veut revivre même s’il ne reste presque rien du bâtiment dessiné par Lucien Pollet. Le temple de l’urbanité sportive et moderne n’a pas résisté aux galas nautiques, aux défilés de mode et aux ondes de choc provoquées par l’apparition du premier bikini, en 1946, et des seins nus quelques décennies plus tard. Pendant le quart de siècle qui a suivi la fermeture de la piscine, son béton endommagé a servi de toile aux graffeurs et d’enclos aux ravers… En 2012, la piscine est donc rasée malgré son classement à l’inventaire des Monuments historiques. Ne subsistent aujourd’hui qu’une partie de la façade et des éléments du

Gilles Rigoulet

A

vant, on courait et on faisait des


Le style.

Ces instantanés en noir et blanc, pris en 1985 par Gilles Riboulet, captent le rythme à deux temps du plaisir aquatique : chairs immobiles bronzant consciencieusement ; corps qui plongent, glissent, éclaboussent. Ci-dessus, Molitor en 2014, prête à rouvrir ses bassins.

décor qui ont pu être restaurés, comme certaines coursives ou les emblématiques vitraux du maître-verrier Louis Barillet. Tout le reste – les portes des cabines, les mosaïques, le plafond en staff du restaurant et surtout les deux bassins, l’un couvert, l’autre en plein air – est une copie presque conforme de l’original. Le bassin de 50 mètres à l’air libre a été amputé de quelques mètres, et il est désormais surplombé par deux étages supplémentaires : un hôtel 5-étoiles de 124 chambres. Molitor dernière version devient en effet un ensemble luxueux, avec club privé, spa Clarins de 1 700 m2, restaurant supervisé par Yannick Alléno, bar, toit-terrasse… La gestion de l’ensemble a été confiée par la Mairie de Paris au fonds d’investissement Colony Capital en partenariat avec les groupes Accor et Bouygues avec un bail emphytéotique (de 54 ans). « Nous avons pris le parti de rénover quand c’était possible, ou de reconstruire à l’identique, explique Vincent Mezard. Quand aucune de ces options ne s’offrait à nous, pour ne pas tomber dans le pastiche, nous avons choisi de nous appuyer sur la deuxième vie de Molitor », celle des artistes urbains. Le street art, autrefois subversif, a désormais ses entrées officieLLes, à

côté de l’art contemporain. Les fameuses cabines aux portes bleues qui bordent le bassin couvert n’ont pas été refaites pour que les

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baigneurs puissent se changer: elles serviront de minilieux d’exposition ou accueilleront de l’«événementiel», faisant de la piscine le chantier de tous les consensus… ou presque. «C’est aberrant!, fustige Jean-François Cabestan, historien de l’architecture. Il valait mieux refaire autre chose, faire preuve d’ambition! Mais c’est le goût du lucre et l’imposture patrimoniale qui ont triomphé. Le projet dénote un manque criant d’expertise architecturale. Molitor, ce n’était pas une construction de bonne qualité. C’était un joli petit bâtiment ciselé à l’échelle du quartier… Tant pis s’il était foutu! Désormais il est engoncé entre le périphérique et le stade Jean-Bouin, qui n’existaient pas à l’époque. C’est idiot de faire comme si rien n’avait changé.» Vincent Mezard, le jeune directeur (30 ans) du nouveau Molitor, a pourtant la conscience tranquille. Après deux ans de travaux dantesques et d’attaques frontales, le projet a reçu l’approbation de la fille de Lucien Pollet, qui a grandi dans l’ancien appartement situé au-dessus de l’entrée de la piscine, et qui est venue de Bretagne, à 90 ans, visiter les lieux. Il a aussi obtenu celle de Frédéric Maynier, le fils de l’ancien cafetier du bar-tabac. N’en déplaise aux sceptiques, ces deux-là ont bien retrouvé «leur» piscine.

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La ballerine. À L’orIgINE

L’ICÔNE

Mimsy Farmer, sensuelle et angélique.

le chapeau.

En paille avec ruban, Maison Michel, 360 €. www.michel-paris. com

le bikini.

Imprimé géométrique, Emilio Pucci, 330 €. www.farfetch.com

le bracelet.

Elastique en acétate et métal doré, Bimba y Lola, 78 €. www. bimbaylola.com

Vu sur le Net

Coquette bicyclette.

la personnalisation ne connaît pas de limite. A partir d’un modèle, choisi parmi quatre références, il est possible de créer son propre vélo hollandais, jusque dans les moindres détails. Couleur du cadre, porte-bagages, selle, les combinaisons sont multiples. l’entreprise tulipbikes, qui propose cette coquetterie, embauche des personnes handicapées (70 % de ses employés) et reverse 2 euros par vélo à l’association One World experience qui lutte contre la pauvreté. J. H. A partir de 499 €. www.tulipbikes.com 70

Depuis le xvie siècle, hommes et femmes portent des chaussures semblables aux ballerines, plates et simples, mais au cours des xviie et xviiie siècles, ce sont les talons qui sont à la mode jusqu’à ce que Marie Antoinette se fasse décapiter chaussée d’une paire d’escarpins, entachant leur image pour quelque temps. En 1932, Jacob Bloch crée à Sydney un atelier de confection de chaussons de danse retravaillés pour la rue, qu’il nomme « ballerine ». En France, c’est Rose Repetto qui, pour tenter de soulager les pieds de son fils, le danseur Roland Petit, met au point la technique du « cousu retourné » qui consiste à coudre la semelle à l’envers avant de la retourner. C’est un succès et, en 1956, à la demande de Brigitte Bardot, Rose Repetto crée les ballerines Cendrillon. La blonde incendiaire y glisse ses pieds dans le film Et Dieu créa la femme (photo), changeant la destinée de ces petits chaussons désormais portés à la ville.

À L’arrIvéE

Depuis les années 1950, la ballerine n’a cessé de se développer et la quasitotalité des marques de luxe en proposent désormais. Certaines ont connu un succès retentissant, comme les bicolores de Chanel, les léopard de Repetto ou les irisées de Lanvin. Pratiques et accessibles, elles sont devenues un support d’expression parfait aux tendances saisonnières : Alaïa fait des ballerines en serpent, Simone Rocha y appose de fausses perles, Jean Paul gaultier les déstructure (photo) et Louboutin les crible de clous. J. N.

Prod DB/Cité Films-Télécip-Champion. Maison Michel. Emilio Pucci. Bimba Y Lola. Prod DB/Cocinor. Rainer Torrado/Jean Paul Gaultier. Tulipbikes

la blondeur angélique de Mimsy Farmer n’a d’égale que l’étrangeté, voire la noirceur, des films dans lesquels elle a joué. Dans le psychédélique More, de Barbet schroeder (1969), l’angoissante Traque, de serge leroy (1975), ou Les Suspects, de Michel Wyn (1974 – photo), la belle Américaine incarne toujours une touriste à l’accent délicieux et au destin tragique. sensuelle et grave, sa beauté sans chichis évoque celle de Charlotte rampling ou de tilda swinton. Ca. R. Stylisme F. Kh.


Le style.

FéTICHE

Derby de dandy.

Il a suffi d’une rencontre entre Michel Perry, directeur artistique de J.M. Weston, et le styliste britannique Charlie Casely-Hayford, pour que naisse un projet original chez le chausseur français, établi en 1891 à Limoges. « Depuis les années 1960, notamment grâce aux jeunes du Drugstore qui portaient le mocassin à leur manière avec des jeans, il y a toujours eu une clientèle pour détourner les modèles Weston de leur fonction d’origine. Cette collection et la vision de Charlie – dont les inspirations vont du style preppy à celui des skinheads – étaient une façon pour nous de devenir acteurs de ce détournement », explique le directeur artistique. Après une année de travail en commun sont nés trois modèles mêlant le savoir-faire de la manufacture française aux inspirations d’un jeune homme ayant grandi dans les pas de son père, tailleur de Savile Row. Sur le cuir de la classique derby à double semelle apparaît notamment un motif prince-de-galles digne des costumes des dandys britanniques. L. V.

scénographie pascale theodoly

Derby Double semelle #588 en cuir De chevreau imprimé prince-De-galles, J.m. Weston. en vente Dans les boutiques De la marque à paris, lonDres et tokyo.

3 mai 2014 – photo audrey corregan et erik haberfeld pour m le magazine du monde. stylisme Fiona khalifa

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Le style.

variations

Python sur ton.

il s’est glissé dans la maroquinerie sans bruit. D’abord dans des couleurs naturelles, puis pastel. Désormais traité en « color block », c’est-à-dire en uni franc, le python vient couvrir des sacs rigides, pour un résultat structuré et chaud aux antipodes du reptile. D’ailleurs, qu’en reste-t-il? Que la coloration se fasse dans des tonneaux (pour un aspect «teint dans la masse») ou à la main, la dimension exotique de ces peaux disparaît sous l’intention stylistique. reste parfois dans la droite ligne du fermoir une rangée d’écailles ventrales qui rappelle l’origine de la matière. Ces dernières années, le travail de ces cuirs a évolué. « On trouve du python nubucké qui a été poncé finement côté fleur pour un rendu velours, ou d’autres peaux très nourries en graisse pour un toucher “bougie” étonnant », détaille anne vignes, directrice artistique de la maison vignes, spécialisée dans les peaux exotiques. De quoi charmer même les phobiques. Ca. R.

scénographie pascale theodoly

de haut en bas, sac en python bleu, GIoRGIo aRManI, pRIx suR deMande. tél. : 01-56-62-12-16. sac babylone en python fuchsIa, sonIa RykIel, 1 195 €, www.sonIaRykIel.coM. sac en python veRt teInt à la MaIn, MIchael koRs, 2 150 €, www.MIchaelkoRs.coM. sac en python jaune chanel, pRIx suR deMande, tél. : 0800-255-005.

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photo audrey corregan et erik haberfeld pour M le magazine du Monde. stylisme fiona khalifa – 3 mai 2014


Le goût des autres Sacquez la socquette. Par Carine Bizet

L

a mode aime se concentrer sur de petits détails parfois étranges. Des détails qui tournent à l’obsession incompréhensible. On peut ainsi légitimement se demander quel processus stylistico-cognitif a conduit certains designers – et par capillarité un nombre croissant de jeunes femmes – à penser qu’il était acceptable de porter des chaussettes avec des souliers non prévus à cet effet. A la limite, il peut paraître logique, en hiver, d’associer sandales et chaussettes de laine : ça caille. Mais la présence dans les collections estivales et les magazines de mode de socquettes en Nylon – de préférence de couleur – glissées dans des escarpins ou des sandales fines reste un mystère. A part un complot de l’industrie du mi-bas, on ne trouve pas d’explication. Certes, la mode a épuisé, surexploité ad nauseam, à peu près tous les accessoires. Mais la socquette fantaisie n’a pas le profil d’une star du look. D’abord parce qu’elle est esthétiquement douteuse. A motifs plumetis, couleur sorbet, voire à bords volantés, elle rappelle furieusement les années 1980, Madonna période True Blue. Additionner bustier en dentelle, mitaines bijoutées, foulard en

mousseline noué dans une crinière sauvage et socquettes de couleur dans des escarpins vernis était alors considéré comme l’acmé du style. Celles qui ont traversé cette époque ont bizarrement caché les preuves photographiques au fond d’un tiroir. Une des raisons ? L’effet optique catastrophique de ces socquettes sur la jonction cheville-mollet. L’ourlet s’arrête exactement au pire endroit : celui qui raccourcit la jambe et crée une illusion très convaincante de « patte courte ». La socquette est volantée ? On repense immédiatement aux hippopotames en tutu de Fantasia, rarement cités au panthéon des icônes de mode. La situation dégénère au fil de la journée : le pied gonflotte tranquillement dans la chaussure et l’élastique bien serré imprime une marque disgracieuse au-dessus de la malléole. De part et d’autre, des gonflements plus ou moins prononcés signalent un problème de circulation, accompagné d’un effet « saucisse » pas très appétissant. La partie invisible de la chaussette n’est pas plus confortable. Le Nylon et autres fibres synthétiques reproduisent dans le soulier le climat chaud et humide qui règne dans un vêtement de sudation.

Une vraie serre à bactéries, donc machine à mauvaises odeurs… Sans compter que, si on tente de se déplacer en marchant, ce qui semble arriver souvent dans la vie quotidienne, le frottement du pied sur le Nylon provoque inéluctablement des ampoules et autres irritations cutanées per-

turbantes. C’est le moment où l’on se met à boiter, étape finale d’une journée en socquettes fantaisie qui donne envie de marcher pieds nus dans l’herbe. La marque de l’élastique restera quelques heures comme un stigmate : c’est ce qu’on appelle être victime de la mode.

Horlogerie

La plongeuse nationale.

Tudor

De même que les grands bordeaux ont un second vin, Tudor est la « seconde marque » de rolex. encore méconnue, elle a pourtant un passé français bien particulier. en effet, entre 1968 et 1983, la marque était le fournisseur officiel de la marine nationale. le modèle emblématique de ce long contrat est une Tudor Submariner à lunette bleue et aux aiguilles très particulières. Ces dernières sont appelées « snowflake » en référence à leur forme géométrique qui rappelle (vaguement) un flocon de neige. Avec son bracelet en Nylon – surnommé NATo, oTAN en anglais –, son cadran noir très pro et ses aiguilles typées, cette montre de plongée plaît au-delà du cercle des initiés. D. C. Tudor Heritage Black Bay. Boîtier en acier de 41 mm de diamètre, étanche jusqu’à 200 mètres, lunette rotative unidirectionnelle, mouvement à remontage automatique, heure, minutes, secondes. 2 530 €. Tél.: 01-44-29-09-39.

Illustration Johanna Goodman pour M Le magazine du Monde

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Le style.

ÊTRE ET À VOIR

Valentino.

Valentino Garavani, éternel représentant du glamour à l’italienne. A redécouvrir au Victoria & Albert Museum de Londres dans l’exposition « Italian Fashion », jusqu’au 27 juillet.

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Illustration Vahram Muratyan pour M Le magazine du Monde

Par Vahram Muratyan


La paLette mèches folles.

Si la poupée Barbie a déjà droit, depuis plusieurs années, à des mèches roses et des cheveux qui passent du turquoise au fuchsia sous l’eau chaude, la palette des colorations fugaces restait très limitée dans les magasins. Née sur Internet, la mèche arc-en-ciel a d’abord plu aux fans de « seapunk » avant de conquérir toutes les adolescentes. Propulsée par les vidéos qui apprennent aux jeunes filles à se maquiller les pointes, interprétée par toutes les jeunes pop stars à succès, la tendance a fini par inspirer les marques de beauté qui déclinent poudres pigmentées en craie, en spray ou en liquide à tamponner. Et comme la couleur part dès le premier shampooing (ou après trois lavages chez L’Oréal Professionnel), ces fards capillaires explosent car ils n’effraient pas les parents. Une manière de jouer avec les codes du punk, en version édulcorée. L. B.-C. De gauche à droite, Spraychalk, Bumble and Bumble, 3 teintes, 17,50 € le spray. www.bumbleandbumble.com Hairchalk, L’Oréal Professionnel, 8 teintes, 28 € le flacon. www.lorealprofessionnel.fr Craie cheveux, Nocibé, 6 teintes, 5,90 €. www.nocibe.fr Craie à cheveux Rose Fantaisie, The Body Shop, 8 €. www.thebodyshop.fr Craie Pastel pour cheveux, Sephora, 3 teintes, 10,95 €. www.sephora.fr

design Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde. Boffi

Préparer le déjeuner sur l’herbe.

Après les salons et les douches, cette saison, c’est au tour de la cuisine de se projeter dans le jardin. Avec les beaux jours, le designer Piero Lissoni se prête à l’exercice pour Boffi, l’élitiste cuisiniste italien. Il maestro a dessiné un modèle développé spécifiquement pour résister aux conditions extérieures. il a imaginé un ensemble tout en longueur où se mélangent bois naturel, inox et verre. Zone de cuisson, évier, rangements, bar, large planche à découper… Chaque fonction a été transposée en version outdoor. « J’ai voulu que, grâce à cet îlot convivial, on puisse préparer le dîner tout en bavardant et buvant un verre… », explique Piero Lissoni. Un ensemble ultrarésistant, élégant et festif, qui colle aux canons estivaux et fait du jardin une seconde maison. M. Go. Open, de Piero Lissoni, Boffi. www.boffi.com. Prix sur demande.

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Ci-Contre, tee-shirt en Coton imprimé, DOLCE & GABBANA. page de droite, sweat-shirt en Coton imprimé, AMI. Chino en Coton, AMERICAN VINTAGE.

un peu de tenues…

Le fleuri.

Version surfeur, poète maudit ou jeune premier…, cet été, l’imprimé végétal s’épanouit.

Par Marine Chaumien/Photos Nick Dorey 3 mai 2014

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Le style.

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page de gauche, chemise en coton imprimé, IKKS MEN. Jean en coton, SANDRO. ci-contre, chemise en chambray imprimé, LEVI’S. bermuda en coton imprimé, DENIM & SUPPLY RALPH LAUREN. montre chiffre rouge c03 en acier inoxydable brossé et bracelet en alligator, édition limitée à 100 exemplaires, DIOR HORLOGERIE.

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ci-contre, chemise surfeur col requin en soie et jean skinny en coton, SAINT LAURENT PAR HEDI SLIMANE. page de droite, Veste et pantalon en coton imprimé, foulard en soie imprimée, GUCCI. tee-shirt en coton, AMERICAN VINTAGE. sandales robert en cuir Verni, PAUL SMITH. montre chiffre rouge c03 en acier inoxydable brossé et bracelet en alligator, édition limitée à 100 exemplaires, DIOR HORLOGERIE. mannequin : reuben ramacher @elite london. coiffure : tomohiro ohashi. maquillage : georgina graham. assistante styliste : maeVa danezan.

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Le style.

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une ville, deux possibilités

Séville.

La maison d’une légende sévillane

ici, on ne plaisante pas avec les castagnettes, les robes à volants et les talonnettes. située dans une ruelle piétonne à deux pas du palais de pilatos, la Casa del Maestro n’a pas peur des clichés. le lieu n’est autre que l’ancienne maison du guitariste niño Ricardo, légende du flamenco, disparu dans les années 1970. Hommage à tous les étages : les onze chambres organisées autour d’un patio traditionnel portent les noms des compositions du maître : Nostalgia Flamenca, El Emigrante, Sentir del Sacromonte… pas de concept ronflant, cet établissement élégant et d’un accueil simple revendique une âme : la maison est restée dans la famille qui a participé à la décoration. bon à savoir : la chambre ezpeleta, au dernier étage, dispose d’un accès direct au toit aménagé en terrasse pour le petit déjeuner, où l’on peut contempler le panorama de séville et sa Giralda allongé dans un transat. 82 -

L’îlot design et branché

la situation de l’eMe Catedral Hotel, dans le centre face à la Giralda, relève du miracle. la plus contemporaine des adresses de séville est à l’opposé du style almohade, sobre et austère, de la cathédrale et de l’esprit qui règne autour. Mais le groupe hôtelier Meireles a su composer. l’hôtel et ses 60 chambres ont discrètement investi un lot de 14 maisons traditionnelles datant du xvie siècle, réunies autour d’un patio. design sobre et épuré, l’hôtel possède quatre restaurants (tapas, cuisine méditerranéenne ou italienne) et un spa avec (petite) piscine. Convertis en bars de plein air, les toits-terrasses, dont l’un est agrémenté d’une piscine, attirent, la nuit tombée, une jeunesse branchée qui aime siroter des cocktails, en étant aux premières loges du séville historique. Charlotte Simon

Y aller La compagnie low cost Transavia dessert Séville au départ d’Orly-Sud tous les jours (à partir de 40 € l’aller simple), de Nantes et de Lyon chaque samedi (à partir de 35 € l’aller simple) www.transavia.com CarNeT d’adreSSeS La Casa del Maestro, calle Niño Ricardo 5, (00-34)954/500-007. A partir de 130 € la nuit en chambre double. www. lacasadelmaestro.com EME Catedral Hotel, calle Alemanes 27, (00-34)954/560-000. A partir de 200 € la nuit en chambre double, www. emecatedralhotel.com

Illustration Jordy Van den Nieuwendijk pour M Le magazine du Monde – 3 mai 2014



Le style.

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Illustration Eiko Ojala pour M Le magazine du Monde – 3 mai 2014


Dans l’assiette

La faisseLLe rafraîchit Les idées.

Les chefs redécouvrent aujourd’hui les vertus de ce fromage simple et goûteux, et le marient allégrement au salé comme au sucré.

L

La recette de Bertrand Grébaut

Faisselle à la betterave et aux œufs de truite InGrédIents Pour 4 personnes

500 g de petites betteraves nouvelles de toutes les couleurs (rouges, chioggia, jaunes) 100 g de faisselle 3 cuillerées à soupe de vinaigre de Rancio (ou de sureau) 2 cuillerées à soupe d’huile de noisette Fleur de sel, poivre du moulin Quelques pousses de salade piquante Graines de coriandre 100 g d’œufs de truite Huile d’olive extra-vierge Cuire les betteraves (sauf une qu’on gardera crue) au four à 180 °C environ trente minutes, jusqu’à ce qu’elles soient tendres sous la pointe d’un couteau. Sortir et laisser tiédir, puis les éplucher en essuyant avec une serviette en papier. Eplucher également la betterave crue. Pour avoir plusieurs textures : mixer les betteraves rouges en purée avec 1 cuillerée de vinaigre et une pincée de sel. Détailler deux autres betteraves en petits quartiers, et trancher très finement les autres avec une mandoline, comme un carpaccio, y compris la betterave crue. Fouetter rapidement la faisselle avec l’huile de noisette et le reste du vinaigre, assaisonner de sel et poivre. Dresser dans les assiettes une cuillerée de purée de betterave, les quartiers et tranches de betteraves crues et cuites. Parsemer de cuillerées de faisselle, ainsi que de quelques pousses de salade piquante (mizuna, feuilles de moutarde, cresson, fleurs de roquette) et graines de coriandre écrasées. Arroser d’un filet d’huile d’olive et de fleur de sel. Terminer avec les œufs de truite.

ait caillé juste égoutté,

la faisselle est, pour beaucoup, un souvenir d’enfance, une texture à la fois douce et granuleuse, ferme et fraîche, que l’on sale ou que l’on sucre. « Avec les céréales, le lait caillé est la nourriture des origines du monde, estime l’auteure culinaire Blandine Vié. Les peuples nomades pouvaient ainsi transporter et conserver leur lait. » le nom de faisselle provient du moule à trous dans lequel elle se sépare de son petit-lait : du latin fiscella ou corbeille, dont on aurait retrouvé des spécimens en osier datant de 12 000 ans. en jonc, céramique, métal, faïence, bois, étamine ou plastique, le contenant a donc donné son nom au contenu. Une pratique ancestrale qui est aussi typiquement française. légère et discrète, rustique et aigrelette, la plupart du temps à base de lait de vache, mais aussi parfois de chèvre ou de brebis, la faisselle ne grumelle pas comme ses cousins le cottage cheese ou le quark, mais elle n’est pas non plus aussi lisse et polie que son frérot le fromage blanc. elle a du pétillant, comme disent les spécialistes, et, clou du spectacle, elle se moule et se démoule à l’envi. Peu grasse (6 %) mais riche en minéraux, protéines, oligo-éléments et vitamine B12, elle est produite toute l’année, même si les connaisseurs la préfèrent au printemps et en été, quand elle charrie le goût des pâturages et des fleurs sauvages. la maison Borniambuc, en normandie, en a perfectionné l’art et la tradition : les vaches sont nourries à l’herbe, à l’orge, au blé et au maïs, sans jamais d’ensilage « pour éviter une acidité trop prononcée ». aussitôt la traite faite, le lait encore tiède part dans de grandes cuves où il est caillé grâce à des ferments lactiques, puis égoutté à travers des draps de soie, avant d’être moulé à la louche dans des seaux. « C’est très délicat, explique le patriarche Manuel Borniambuc, car il faut éviter de casser les molécules et de broyer le caillé avec son sérum. »

ciable de la « cervelle de canut », qui est composée de faisselle battue avec herbes, échalotes, ail, vin blanc et vinaigre (et ne s’appelle cervelle qu’à cause d’une certaine ressemblance visuelle). Pour réaliser cette spécialité des mâchons, les repas lyonnais matinaux, il faut de la « faisselle mâle », c’est-à-dire ferme car bien égouttée. inconnue dans la capitale il y a encore cinquante ans, car trop fragile à transporter, la faisselle est désormais partout. Même les marques – comme Rians, leader sur ce produit, qui se targue d’avoir été le premier à la faire découvrir aux Parisiens –, proposent aujourd’hui toutes sortes de recettes pour la décliner avec viandes et poissons, fruits ou chocolat, épices, graines de sésame, anchois ou pistaches. Car la faisselle a le mariage facile, et les cuisiniers en raffolent. « Pour moi, la faisselle a des vertus magiques, s’enthousiasme Bertrand Grébaut, chef du septime à Paris. Ça rallonge les goûts, ça supporte tout, ça amène du frais et juste ce qu’il faut d’acidité. C’est bon simplement bourré de poivre et d’huile d’olive sur du pain, c’est parfait fumé avec des légumes, ça équilibre toutes les viandes grillées. » au printemps, Bertrand Grébaut se fait livrer en direct de haute ardèche une « fabuleuse » faisselle de chèvre artisanale, qu’il utilise tantôt comme un condiment, tantôt comme un liant ou une base. « J’en mets systématiquement dans tous mes menus. C’est l’expression de la fraîcheur pure. » Camille Labro Septime, 80 rue de Charonne, Paris 11e. Tél.: 01-43-67-38-29. Faisselle de la maison Borniambuc : chez les meilleurs fromagers parisiens (Quatrehomme, Dubois, Barthélemy, Terroirs d’Avenir). A lire : La Faisselle, dix façons de la préparer, de Blandine Vié, Editions de l’Epure, 2004, 7 €.

typique du centre et du sud-est de la France,

elle participe aussi à des tartes lorraines, comme la fiouse (salée) ou la tarte au maugin (sucrée). a lyon, elle est indisso85


Le style.

JP Géné La Table à manger.

JUSTE UN

AN que Bruno Verjus a ouvert Table, à trois pas du marché d’Aligre. Le nom s’est imposé « comme une évidence », l’épure de ce que devait être ce restaurant, imaginé par un hédoniste gourmand et lettré qui, la cinquantaine venue, a osé quitter les banquettes pour les fourneaux. Pour passer de la parole à l’acte. «Le seul pouvoir dont je dispose pour me nourrir, c’est de choisir auprès de qui je dépense mon argent. Et j’ai choisi d’acheter en direct chez ceux qui produisent et d’amener, avec sentiment et fluidité, les aliments dans l’assiette de ceux qui vont les manger. C’était ça, mon projet. Et, à l’épreuve des faits, je n’en changerais pas d’un pouce.» Certains ont haussé le sourcil. Des carottes en direct, du champ à l’assiette, il n’y a pas de quoi fouetter un chat quand le moindre étoilé rural dispose de son potager particulier. Idem pour la marée, accessible fraîche et vivante à quiconque veut faire bon. Chez Verjus aussi mais, à la différence des autres, il ne commande pas. « Je ne suis pas interventionniste avec mes producteurs.

Le carnet d’adresses TABLE 3, rue de Prague, Paris 12e. Tél. : 01-43-43-12-26. tablerestaurant.fr Menu midi, 29 €. Carte sur Table, 60 € ou 120 € + 39 ou 49 € les vins proposés en accord avec les mets.

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Je prends ce qu’ils ont quand ils l’ont. Cette semaine, je me suis retrouvé avec cinq agneaux de l’île d’Yeu. J’en ai déjà passé un, on va manger de l’agneau pendant un moment. J’ai des volailles de La Ruchotte [l’élevage modèle de Fred Ménager près de Beaune] plein les frigos mais je sais que dans trois mois il n’y en aura plus. C’est la saisonnalité qui l’impose.» Table est un restaurant « addict » aux saisons et aux régions, où la carte tient compte des conditions météo sur l’ensemble du territoire. «Ici, pas de format imposé. Je vois les éléments dont je dispose et j’essaie de les garder vivants, avec leurs qualités intrinsèques jusque dans l’assiette.» Bruno Verjus n’est pas cuisinier et la profession lui a fait remarquer que pour le devenir il faut être entré en apprentissage à 14 ans. Ça tombe bien, il ne vise pas le titre et se garde bien de porter l’uniforme traditionnel. Encore moins la toque, qu’une écharpe de toutes les couleurs nouée autour du cou remplace avantageusement. « Mon travail en cuisine est celui de quelqu’un qui aime manger, pas de celui qui veut mettre son ego dans l’assiette. Je ne fais pas une cuisine d’auteur, mais une cuisine pour ceux qui la mangent.» Bruno Verjus récuse cette cuisine « pronominale » où c’est moi, moi, moi, à tous les étages. Il se compare plus au vigneron nature, surtout préoccupé de la qualité de la vigne et des raisins et intervenant un minimum pour en tirer du vin. Parmi les 300 références de sa carte des vins, la plupart sont d’ailleurs sans sulfites.

gine – qu’une longue partie de mijotage à caractère patrimonial. Cuisine d’assemblage à tarif élevé, se sont écriés certains. Assemblage de luxe mais assemblage quand même, manquant de « fond de jeu » comme disent les footeux. Je dois avouer, pour ma part, une certaine perplexité après deux premiers repas à l’ouverture, mais un récent déjeuner – au menu à 29 € récemment mis en place – m’a définitivement convaincu. Les couteaux en fleurs printanières LES ASPERGES VERTES VIENNENT DE à l’insolente fraîcheur, la lotte SÉNAS, cuites minute au sautoir, un nacrée de bonheur avec ses petits jaune d’œuf de poule maturé en légumes bavards comme des pies saumure, coques, huile d’olive frui- et ce chocolat en mousse légère tée noire, herbes et fleurs de prin- posé sur une crème anglaise à temps (24 €); les couteaux XL arri- l’oseille fraîche m’ont démontré vent de l’île d’Yeu, juste snackés, que Bruno Verjus était dans le herbes et fleurs sauvages et culti- vrai. Pari réussi pour celui qui vées (24 €); le ris de veau (49 €) est n’avait au fond qu’une seule idée: pané au son truffier, avec des câpres faire bon. de Salina, de l’anguille sauvage fu- jpgene.cook@gmail.com

Il faut accepter cette démarche – résumée en introduction au menu – avant de s’installer à Table, le long du comptoir en étain, œuvre d’un artisan de Saumur, ou aux quelques tables qui accueillent une trentaine de couverts, dans un espace ouvert, où tout est à la vue du client, plonge comprise. Les produits ont été sélectionnés et chaque producteur a reçu la visite de Bruno Verjus qui, depuis des années, sillonne le pays, ses tables et ses pâturages.

Bruno Verjus, à la tête de Table, récuse cette cuisine “pronominale”, où c’est moi, moi, moi, à tous les étages. Il se compare plus au vigneron nature, surtout préoccupé de la qualité de la vigne et des raisins. mée de Maldon et des petits navets passés au sautoir avec du maceron (herbe potagère). A l’énoncé des plats, on imagine plus une juxtaposition d’ingrédients – dans l’élégance de leur noblesse d’ori3 mai 2014

Cecilia Garroni Parisi pour M Le magazine du Monde

V

OICI TOUT


Direction de la communication de Sud de France Développement - 03/2014 - © Photos : P.Palau, B. Liegeois

LANGUEDOC-ROUSSILLON

Le vrai luxe c’est d’être là !

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Le style.

Le resto Envol de saveurs.

« Imaginez un jardin où, entre les massifs de fleurs et les bambous, se promènent en liberté canards, pigeons, paons et poules Nègresoie. Sur la terrasse et dans la salle, ce royaume des oiseaux se prolonge au gré de vastes volières. » On ne peut que reprendre les mots de la maison pour présenter cette Mare aux oiseaux où, depuis 1995, Eric Guérin a fait son nid. La cuisine d’abord, créative et voyageuse, tout en restant attachée aux produits de la Brière. L’hôtel ensuite, avec ses quinze chambres, et l’espace bien-être enfin, ouvert à la clientèle extérieure. Ambiance champêtre et chaleureuse, service aux petits oignons, élégance du couvert et des mets comme en témoigne cette dégustation en sept plats et 78 € : jeunes carottes en gaspacho, caramel à la fleur de sel de Guérande ; foie gras grillé, riz soufflé, petits pois et gingembre frais ; vernis breton, pain au blé noir, pousses de junsai et caviar végétal ; ormeau sauvage et beurre d’herbes, écrasé de pomme de terre fumée à la tourbe ; filet de bœuf de Brière lardé d’anguille fumée, burrata crémeuse ; curé nantais (fromage) et fraises de Marzan, flocons d’avoine, sorbet végétal. Hormis le vernis breton quelque peu ésotérique, tout était parfait comme le savennières 2012 de Richou, le montlouis 2011 de Chidaine et le saumur-champigny les Poyeux 2011 de Sanzay. JPG La Mare aux oiseaux, 223, rue du Chef-de-l’Ile-de-Fédrun, 44 Saint-Joachim (Loire-Atlantique). Tél.: 02-40-88-53-01. Menus de 65 € à 98 € pour 5 à 9 plats. www.mareauxoiseaux.fr

banc d’essai

Issu de gamay, le mâcon villages rouge, à déguster un peu frais (14-15 °C), s’impose sur les tables printanières, avec un wok de légumes (fèves, petits pois) rehaussé de lardons.

Par Laure Gasparotto

Domaine marc Jambon-Pierreclos classique 2011

le solide Un vin avec lequel on s’assoie d’office tant il apaise. Serein, structuré, il est généreux et rassérénant. Notes de griottes et framboises gourmandes.

Un peu de tenues… Le fleuri, p. 76.

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Tél. : 03-85-33-29-74. 15 €.

Tél. : 03-85-33-29-74. 8 €.

Domaine De la sarazinière bussières les Devants 2011

l’épicé Magnifique vin, issu de vieilles vignes qui lui confèrent profondeur et minéralité. Ensemble cohérent, harmonieux et gourmand.

Domaine saumaize-michelin les bruyères 2009

le juteux Un mâcon plein de sève, de notes fruitées et savoureuses. C’est riche et fluide à la fois. Bien construit, sur la longueur.

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le charmant On apprécie la simplicité de ce mâcon. C’est toute son élégance, cet équilibre discret qui s’impose peu à peu.

le loquace Ce breuvage a plein de choses à dire. Son relief aux notes complexes et sa longueur le rendent attachant.

Tél. : 03-85-35-73-15. 8 €.

Coordonnées de la série

Domaine christoPhe Perrin bray la Guenon 2011

Domaine Guillotbroux cruzille beaumont 2010

Pages réalisées par Caroline Rousseau avec Fiona Khalifa (stylisme). Et aussi Lili Barbery-Coulon, David Chokron, Laure Gasparotto, JP Géné, Marie Godfrain, Jessica Huynh, Camille Labro, Vahram Muratyan, Julien Neuville, Julie Pêcheur, Charlotte Simon, Lisa Vignoli. 3 mai 2014

Sébastien Siraudeau. DR x5

Mâcon-villages rouge.


0123 et

présentent SAISO

2

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LE LIVRE

Dès mercredi 30 avril, le volume n ° 3 La Mule du coach de Dominique Sylvain, illustré par Jean-Philippe Peyraud

Une nouvelle inédite

tous les 15 jours en kiosque

1. 03/04 HERVÉ CLAUDE

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La Volupté du billabong 2. 17/04 PHILIP LE ROY

GÖTTING

Cannibales 3. 30/04 DOMINIQUE SYLVAIN

JEAN-PHILIPPE PEYRAUD

La Mule du coach

4. 15/05 ROMAIN SLOCOMBE

JEAN-CLAUDE DENIS

Le Corbeau

5. 28/05 MARIN LEDUN

CHARLES BERBERIAN

Comme un crabe, de côté 6. 12/06 ANTHONY PASTOR

Le Cri de la fiancée

7. 26/06 MARCUS MALTE

ANDRÉ JUILLARD

Les Cow-boys

8. 10/07 MARC VILLARD

JEAN-CHRISTOPHE CHAUZY

Tango flamand

9. 24/07 FRANZ BARTELT

HONORÉ

Sur mes gardes 10. 07/08 DIDIER DAENINCKX

MAKO

Les Pigeons de Godewaersvelde

11. 21/08 JÉRÉMIE GUEZ

MILES HYMAN

La Veuve blanche 12. 04/09 JEAN-BERNARD POUY

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La Capture du tigre par les oreilles

13. 18/09 SANDRINE COLLETTE

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Une brume si légère

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EN PARTENARIAT AVEC


Danser au petit bal du samedi soir du Vauban

«“Attention ce soir concert bruyant.” Le panneau à l’entrée de l’hôtel est on ne peut plus clair. Ici, plus de 200 spectacles par an, et beaucoup de choses insensées. Comme ce bal du samedi soir où toutes les populations brestoises s’entrechoquent. Le patron de cette affaire familiale est l’increvable Charles Muzy. Si vous n’êtes pas noctambule, demandez au moins à voir la salle du bas, magnifiquement conservée dans son jus des années 1950.»

FRANCE

Le Brest de Miossec.

« Est-ce que désormais tu me détestes / D’avoir pu un jour quitter Brest /La rade, le port, ce qu’il en reste /Le vent dans l’avenue Jean-Jaurès. » En 2004, Christophe Miossec composait une lettre d’adieu bouleversante à sa ville natale. Après avoir célébré ses racines et cherché à les fuir, le chanteur au timbre rude et au cœur tendre est revenu vivre au bout du Finistère, à quelques kilomètres de la cité qui l’a nourri de tant de crachin et d’embardées. C’est là, face à la mer, qu’il a enregistré Ici-bas, ici même, son émouvant nouvel album. Propos recueillis

par Stéphane Davet

Se faire fabriquer une guitare unique à l’atelier de lutherie Quintric

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Christophe Acker

« Entourée de bistrots, la place Guérin conserve parfaitement l’esprit brestois, gouailleur et frondeur. Le charmant atelier de Pierre-Marc Quintric fait face aux indéboulonnables boulistes de l’endroit. Ce jeune luthier peut vous fabriquer une véritable pièce unique (dulcimer, mandoline, guitare) avec des bois et des nacres de votre choix. Les tarifs sont accessibles. Quand même mieux qu’une guitare d’usine sans âme! »

Photos Didier Olivré pour M Le magazine du Monde – 3 mai 2014


Le style.

Débattre aux cafés littéraires de la Librairie Dialogues

«Brest est papivore et extrêmement culturelle. Elle est en tête des villes françaises en terme de fréquentation des bibliothèques et de sa scène nationale, Le Quartz (15000 abonnés!). Dialogues est l’une des trois plus grandes librairies de l’Hexagone, avec 350000 livres disponibles. Elle propose un café littéraire, des rencontres, des dédicaces, c’est le passage obligé des écrivains en promo. C’est aussi un excellent magasin de disques dont les vendeurs sont très pointus.»

Goûter à la chaleur du pub Mc Guigan’s

«Ici, l’Irlande n’est jamais loin. A cinq minutes du centre-ville, on rallie vite fait les falaises donnant sur la belle et imprévisible mer d’Iroise. Voici un pub, un vrai, tenu par un patron irlandais venu chez nous trouver des cieux plus cléments. Gros bols de soupe à toute heure et chambres à prix imbattables. Cet endroit ne baigne pas dans le toc, et la fracture sociale n’a jamais existé.»

Dénicher un petit rade dans la rade

«On ne sait toujours pas si c’est “la plus belle rade du monde” comme le vantait l’office du tourisme dans les années 1970 mais, en tout cas, Brest, c’est avant tout de l’eau. Un gigantesque bassin de 150 km2 parsemé de presqu’îles et de pointes où l’on peut encore dénicher un petit port et son bistrot dans une ambiance très “racines”. La raison d’être de la ville peut se longer en voiture ou se traverser en bateau. Il y a même des visites guidées au charme indéniable. Vous pouvez également vous échapper sur les îles de Molène et d’Ouessant, mais là c’est une tout autre histoire qui commence…»

CARNET PRATIQUE 1/Le Vauban 17, avenue GeorgesClemenceau Tél. : 02-98-46-06-88 www.cabaretvauban. com 2/Quintric guitares 30, rue Bugeaud Tél. : 06-71-53-16-04 www.quintricguitares. com

3/Librairie Dialogues Square MonseigneurRoull Tél. : 02-98-44-88-68 www.librairiedialogues.fr 4/Mc Guigan’s 9, rue Jean-MarieLe-Bris. Tél. : 02-98-44-41-69 www.mcguigans.fr 5/La rade de Brest

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Focus

L’art dans La peau

Longtemps considéré comme un artisanat mineur, le tatouage est aujourd’hui élevé au rang d’art à part entière. Une exposition au Musée du quai Branly, pose les jalons de son histoire millénaire. « Tatoueurs, tatoués » rappelle que ce geste, à la fois durable et éphémère comme la vie, est avant tout une histoire d’hommes. Par Carine Bizet

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Cédric Arnold/Courtesy Galerie Olivier Waltman

Yantra, L’Encre sacrée, Thaïlande, photographie de Cédric Arnold (2008-2011).

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la culture.

Dans les sociétés traditionnelles, le tatouage a longtemps tenu un rôle initiatique (en bas, à gauche, un homme marquisien, xixe siècle). en occident, une avant-garde est apparue à la fin des années 1970, avec des artistes comme Sailor Jerry (en haut, à gauche), qui, sous l’influence des maîtres japonais, s’est progressivement éloigné du tatouage traditionnel « sur les poitrines de marins » (ci-dessous, à Hambourg dans les années 1960).

les inconvénients que cela implique, notamment la multiplication de mauvais tatoueurs, peu ou pas formés, qui pratiquent le tatouage pour s’assurer un revenu d’appoint. » De quoi mettre en cause le statut d’une profession mal définie, pour laquelle il n’y a pas de formation officielle, un système de compagnonnage non obligatoire faisant office de parcours qualifiant recommandé. Artisans ? Artistes ? Les deux ? Ou autre chose ? Ces questions de définition s’inscrivent dans un débat complexe qui relève de l’anthropologie de l’art autant que des talents particuliers des tatoueurs.

E

n libeRté dans la Rue, second rôle intrigant au cinéma ou dans la publicité, nouvel accessoire des sportifs et des branchés, le tatouage a investi la culture contemporaine. Le Musée du quai Branly consacre une exposition à cet univers à part, familier et opaque à la fois. Baptisée « Tatoueurs, tatoués », cette ambitieuse explication de texte – ou plutôt de peau – s’est donné les moyens d’aller au fond des choses en réunissant un solide casting d’experts. Des conseillers scientifiques (Sébastien Galliot, anthropologue et auteur d’une thèse sur le tatouage samoan, et Pascal Bagot, spécialiste du tatouage japonais), un consultant artistique respecté dans cette discipline (Tin-Tin, un des plus grands artistes tatoueurs au monde), et des commissaires qui cumulent plus de vingt ans d’expérience dans l’étude et la défense éclairée des subcultures : Anne et Julien. Ce duo d’auteurs réalisateurs performeurs a fondé Hey ! en 2010, revue trimestrielle bilingue consacrée à l’art, qui défend le tatouage au même titre que la peinture ou la sculpture. « Il s’agit d’expliquer l’omniprésence du tatouage dans nos vies depuis des millénaires tout en s’attardant sur l’évolution de son histoire, confient-ils. C’est une discipline artisanale qui a glissé vers le geste artistique de façon très décryptable mais c’est aussi une histoire qui s’est développée de manière souterraine. » Même s’il est passé du statut de sous-culture à celui de pratique plus démocratique, le tatouage est bien autre chose que le dernier jouet à la mode pour amateurs d’arts décoratifs. « Le discours sur cette démocratisation n’est pas nouveau, explique Sébastien Galliot. Des chercheurs américains se sont penchés sur le sujet dès la fin des années 1980. En France, l’explosion est plus récente avec

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que l’exposition s’efforce de poser. « A partir du premier tiers du xixe siècle, les tatoueurs ont commencé à questionner le trait, c’est-à-dire à s’interroger sur leur dessin, la composition, la palette de couleurs, autant d’éléments qui les relient à l’art académique », expliquent les commissaires. « L’autodéfinition des tatoueurs comme artistes est assez récente, ajoute Sébastien Galliot. Elle date de la fin des années 1970 quand de grands tatoueurs américains ont commencé à se rendre à Samoa ou au Japon pour améliorer leurs dessins. Ces Américains, comme Sailor Jerry ou Ed Hardy, ont essayé de constituer une avant-garde en montrant qu’ils n’étaient pas de simples artisans juste bons à dessiner des aigles sur des poitrines de marins. » Mélanges de maîtrise et de vision, les œuvres présentées quai Branly et signées, entre autres, par des tatoueurs artistes, comme le Suisse Filip Leu ou le Japonais Horiyoshi III, illustrent l’aboutissement actuel de ces quêtes et devraient convaincre les plus sceptiques de la valeur artistique de cette discipline. « Il y a autant de tatouages et de démarches que de porteurs, soulignent Anne et Julien. C’est cela qui est troublant et intéressant avec le tatouage et c’est pour cela que les gens ont du mal à cerner ce geste. » En revanche, le geste est toujours profond car il est durable, mais, d’une manière troublante, il est aussi éphémère. « C’est un art qui ne perdure pas sauf si vous gardez la peau ; or une toile de maître dure des siècles. Et puis on est obligé de composer avec un support qui réagit. Cela entraîne de grands questionnements. » Des interrogations personnelles, sans doute, sur la mortalité. Mais aussi des débats plus vastes sur l’art, la nature du support, sa permanence, sa conservation, en passant par toutes les questions sur le sens des motifs de tatouages choisis. La peau, toile intime et mortelle, est au cœur de l’art du tatouage et le rend difficile à exposer. Pour l’exposition du quai Branly, les commissaires ont résolu le problème grâce à des « volumes » : des moulages sur corps habillés d’une matière de synthèse, fabriquée pour imiter au plus près la vraie texture et la sensation d’une peau humaine puis confiés à de grands artistes à travers le monde. Reste que certaines questions demeurent encore sans réponse : comment collectionner, créer un marché pour un art lié de manière aussi inéluctable à son « support humain » ? « TaToueurS, TaTouéS », au MuSée Du quai BranLy, Du 6 Mai 2014 au 18 oCToBre 2015. TéL. : 01-56-61-70-00. WWW.quaiBranLy.fr SepT repréSenTaTionS MeTTenT en SCène L’épopée Du TaTouaGe. CoMpaGnie, anne & JuLien aveC La Troupe Hey ! THéâTre Lévi-STrauSS, MuSée Du quai BranLy. à parTir Du 31 Mai.

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Coll. Sailor Jerry T. Schwarz-Weisse/Courtesy Herbert Hoffmann and Galerie Gebr. Lehmann Dresden/Berlin. Musée du quai Branly-Claude Germain

Reste qu’il existe des jalons histoRiques RepéRables



Duane MIchals/Courtesy galerie Edith Woerdehoff. Juliette Bates/Courtesy Galerie Edith Woerdehoff. Arthur Tress/Courtesy Galerie Edith Woerdehoff. 2001 Ce qui me meut/Studio Canal

Ci-contre, Voltaire, photographie ancienne et peinture à l’huile, de Duane Michals (2013). A droite, Silhouette, de Juliette Bates (2011) et Boy with root hands, d’Arthur Tress (1971).

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3 mai 2014


La culture.

Chambre noire

Poètes du réel

Le fantastique n’est jamais loin dans la nouvelle exposition « Fictions » de la galerie Esther Woerdehoff, qui présente les œuvres de trois photographes réunis par leur vision poétique du réel. Duane Michals se définit comme un « écrivain de la photographie » et écrit « les mouvements de l’âme » sur ses clichés : il a conçu des œuvres uniques à partir de photographies anciennes, sur lesquelles il a peint au doigt motifs et mots rendant hommage à dix écrivains. Chez Arthur Tress, le réalisme magique est toujours à l’œuvre, depuis ses premières images adolescentes surréalistes et cauchemardesques du parc d’attractions Luna Park de Coney Island à New York. Lieux publics désertés ou espaces familiers sont le théâtre de mises en scène impudiques saturées d’une inquiétante étrangeté. Enfin, jeune photographe découverte à l’occasion de sa participation au prix PHPA 2013, Juliette Bates met en scène, dans « Histoires naturelles », une figure féminine vêtue de velours noir semblant surgir d’un conte surréaliste ou d’un cabinet de curiosités. Trois belles tentatives d’épingler le temps à travers la science des rêves. C. R. « Fictions », Galerie esther WoerdehoFF, 36, rue FalGuière, Paris 15e. Jusqu’au 12 Juillet. WWW.eWGalerie.com

Plein écran

Bande à Part

Dans une société qui a perdu ses repères, Cédric Klapisch a trouvé la solution pour nous sortir du marasme et de la crise. Réaliser des films dans lesquels, à travers un personnage récurrent (Xavier, ébauche d’écrivain, joué par Romain Duris), il fait évoluer une galerie de caractères immédiatement familiers. Depuis Le Péril jeune (1994), on sait que Klapisch a pris la bande, le groupe d’amis comme point de départ de son univers. Dans L’Auberge espagnole (2001) (photo, avec Audrey Tautou), on rencontre donc une partie des protagonistes de ce qui va devenir une trilogie. Ils ont 20 ans, sont étudiants et vivent ensemble à Barcelone dans le cadre du programme Erasmus. Avec fantaisie et insouciance, au milieu d’un maelström tant amoureux que sexuel, ils s’interrogent sur leur avenir. Dans Les Poupées russes (2005), qui se passe entre Londres, Paris et Saint-Pétersbourg, ils approchent de la trentaine et continuent à chercher sens et stabilité à leur vie. Casse-tête chinois (2013), qui a pour cadre New York, est une tentative d’atterrissage sans trop de casse, à la quarantaine… De ces trois comédies, à chaque fois accompagnées d’une bande-son pleine d’à-propos, on sort l’esprit en fête, avec l’impression d’avoir contemplé le reflet de l’époque. Y. P.

04_crédit_photo

coFFret 3 dVd de cédric KlaPisch, la triloGie : L’Auberge espAgnoLe, Les poupées russes, CAsse-tête Chinois, studio canal, 29,99 €.

avec :

Mark Lanegan / Raphael deus / Axel Bauer


La culture.

Réédition

EllEry QuEEn, roi dE l’EnQuêtE

4.

Derrière le nom d’Ellery Queen se cache l’une des plus formidables figures d’enquêteur du polar américain, qui donna lieu, jusqu’en 1971, à 33 romans, une dizaine de films et autant de séries télévisées. Mais aussi deux cousins, Frédéric Dannoy (1905-1982) et Manfred B. Lee (1905-1971), qui, sous ce pseudonyme conjoint, à partir de 1929 et Le Mystère du chapeau de soie, créèrent ce personnage d’écrivain dandy aidant son père, Richard Queen, un policier new-yorkais, à résoudre des affaires de plus en plus ténébreuses. Ils s’inspirèrent d’abord de Sherlock Holmes, prenant à témoin le lecteur au moment de trouver la solution de l’énigme. Puis, influencés par Dashiell Hammett, ils s’orientèrent vers une littérature plus noire, où le crime révèle la face cachée de la société. Le Cas de l’inspecteur Queen, initialement publié en 1956, appartient à cette dernière période et permet de suivre l’inspecteur Richard Queen qui, à la retraite, cherche à comprendre les raisons de la mort d’un bébé chez un couple de milliardaires et courtise d’une façon appuyée une accorte nurse quinquagénaire. Grâce à une intrigue habile et à un style d’une élégance sans apprêt, le roman policier n’a pas pris une ride et reste une sorte de classique… Y. P. Le cas de L’inspecteur Queen, d’EllEry QuEEn, TraducTiOn dE S. lEchEvrEl réviSéE, BiBliOmniBuS, 208 p., 9 €.

Vu sur le Net

Le quotidien britannique The Guardian propose de (re)découvrir sous un angle original les clichés de rues somme toute banals fournis par le site Google Street View. Et ce à travers trois séries de montages photographiques qui insèrent des peintures de Londres au xviiie siècle, des tableaux célèbres de villes datant des xixe et xxe siècles, ou encore des pochettes d’albums mythiques, dans les lieux réels dont les artistes se sont inspirés. Réalisées par le photographe Halley Docherty, ces séries opèrent un rapprochement visuel parfois impressionnant. L’occasion par exemple de voir in situ la célèbre pochette du onzième album des Beatles, sorti en 1969, Abbey Road, où les Fab Four traversent un passage piéton de cette artère londonienne. Une habile mise en scène plutôt réussie pour les pochettes d’albums et les peintures de villes comme Paris, Tokyo ou Venise, un peu moins pour les tableaux de Londres. C. Mo hTTp://www.ThEGuardian.cOm/TEchnOlOGy/GOOGlE-STrEET-viEw

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Omnibus. The Guardian

la ruE En plEin art


En coulisses

Daniel Jeanneteau régule le “trafic”

6. 3 mai 2014 - Photos cecilia Garroni Parisi pour m le magazine du monde

« Un, deux, trois, quatre! On inspire! » Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma ne sont pas profs d’aérobic, mais bien metteurs en scène : Midch et Fanch, les deux clampins qui transpirent devant eux sur la scène de la Maison de la culture d’Amiens en collant moulant pataugent en pleine crise existentielle et rêvent de tout plaquer pour vivre dans un van. En attendant des jours meilleurs, l’épopée n’aura jamais lieu et les deux copains s’enliseront dans le ressassement de ce « road trip immobile ». Les errances bien connues de la « génération X » ont inspiré au jeune auteur Yoann Thommerel cette première pièce, Trafic. Un spectacle « choisi précisément pour son actualité et sa pertinence », selon Marie-Christine Soma. « Peu de textes français parlent avec autant de justesse des gens entre 30 et 40 ans, de la précarité, d’une vie incertaine et des idéaux partis en fumée. » Dans le rôle des trentenaires défraîchis, Jean-Charles Clichet, brillant dans Nouveau roman de Christophe Honoré, et Pascal Rénéric mènent tambour battant cette partition régressive. « C’est un texte qui parle directement aux comédiens, ils y ont mis en jeu des choses intimes d’eux-mêmes », glisse Daniel Jeanneteau, ancien scénographe de Claude Régy et actuel directeur artistique du Studio-Théâtre de Vitry. En pleines répétitions, avant que le spectacle ne parte à La Colline à Paris, le duo de metteurs en scène qui collabore harmonieusement, « sans méthode », s’arrache les cheveux sur des raccords techniques. Il s’agit de caler avec les techniciens des vidéos et des graphismes diffusés sur scène, à la seconde près. Un minutieux travail, car les dialogues de ce texte atypique s’interrompent sans cesse pour délivrer des informations sur les personnages, à la manière d’un moteur de recherche ou de notes de bas de page. L’incarnation de cette langue post-moderne représente un défi à la mise en scène: « C’est une incongruité qui produit de la perspective et qui ouvre des champs derrière les personnages, reconnaît Daniel Jeanneteau. Bref, une pièce qui contredit toutes les règles de l’écriture théâtrale. » C. Gt Trafic, de YOann ThOmmerel, mise en scène daniel JeanneTeau eT mariechrisTine sOma, du 8 mai au 6 Juin, ThéâTre naTiOnal de la cOlline, 15, rue malTe-Brun, Paris 20e. du mercredi au samedi à 21 h, le mardi à 19 h eT le dimanche à 16 h. Tél. : 01-44-62-52-52, de 14 à 29 €. www.cOlline.fr

99


La culture.

Ailleurs

On appelle Pangée le continent, constitué de la quasi-totalité des terres émergées à l’ère secondaire, et dont la dislocation sous l’effet de la dérive des plaques tectoniques a donné naissance aux continents actuels… Quel rapport avec l’art ? Aucun, si ce n’est que, pour une confrontation entre artistes africains et sud-américains d’aujourd’hui, la Saatchi Gallery s’est emparée de cette histoire géologique. Seize artistes ont été choisis, presque tous âgés de 30 à 40 ans, presque tous peu connus, aux œuvres peu exposées. Peintres et photographes sont les plus nombreux, mais la salle la plus spectaculaire est celle que tapissent les sculptures du Colombien Rafael Gómezbarros, des fourmis géantes. Les relations entre les œuvres sont parfois flagrantes – mémoire du colonialisme, horreur des guerres civiles, souffrances des exils. Parfois, on les cherche sans les trouver. Mais peu importe : découvrir les toiles du Brésilien Antonio Malta Campos, les photos du Béninois Leonce Raphael Agbodjélou et celles de Mário Macilau, venu du Mozambique, suffit aisément à justifier la visite. Et à espérer qu’ils soient exposés bientôt en France. Ph. D. « pangea », Saatchi Gallery, Duke of york’S hQ, kinG’S roaD, lonDreS. touS leS jourS De 10 h à 18 h, entrée libre juSQu’au 31 août. www.SaatchiGallery.com.

en haut, My Toy, de mário macilau (2010). a droite, Casa Tomada de rafael Gómezbarros (2013). a gauche, Things, d’antonio malta campos (2011).

100 -

3 mai 2014

mario macilau/courtesy of the Saatchi Gallery/london. rafael Gomezbarros/Sam Drake/courtesy of the Saatchi Gallery/london. antonio malta campos/courtesy of the Saatchi Gallery/london. justin tyler close

7.

les continents dialoguent à londres


3 questions à

Lykke Li

En 2011, sa pop à poigne et les tubes de son album, “Wounded Rhymes”, ont fait danser bien au-delà de sa Suède natale. Gorgé de ballades majestueuses et mélancoliques, son nouvel opus, “I Never Learn”, signe le beau retour d’une amoureuse maudite.

Considérez-vous ce troisième album comme l’aboutissement d’une trilogie ?

Ces disques sont liés par une même quête de sens et d’amour. Ils sont la chronique d’une femme explorant le désir, l’espoir, la honte, la colère, la culpabilité, la nostalgie. Si le thème de la séparation est plus présent ici, c’est qu’un contexte personnel l’a voulu ainsi. L’album n’est pas une conclusion, c’est la suite d’un processus. L’artiste ne fait que chercher, il n’apprend pas.

Vous avez ralenti les tempos, chanté plus de ballades ?

Cette fois, les textes ont plus compté que les rythmes. Je voulais aller au cœur des choses. Je voulais aussi évoquer des ambiances de rêve, des paysages de films, donner l’impression que ces chansons sont des tunnels que je traverse pour aller vers la lumière. En termes d’influences, des poètes comme Pablo Neruda, Mary Oliver, T.S. Eliot ou Octavio Paz comptent autant pour moi que des musiciens.

Vous partagez votre temps entre la Suède et les Etats-Unis, où vous sentez-vous chez vous ?

Enfant, j’ai suivi la vie de bohème de mes parents qui ont habité au Portugal, au Maroc, à Los Angeles, à New York, en Inde ou au Népal. Ma mère voulait échapper à la grisaille des longs hivers suédois et elle m’a toujours conseillé de rester libre et sans attaches. Je suis donc restée une nomade, sans arrêt sur la route, sans véritable chez-moi. D’un côté, je peux me sentir bien partout, mais ce manque de racines explique sans doute mon instabilité. Propos recueillis par Stéphane Davet I Never LearN, De Lykke Li, 1 CD WARneR. Le 6 MAi, Au TRiAnon, 80, bouLevARD De RoCheChouART, PARiS 18e. TéL. : 01-44-92-78-00. 19 h 30. 35,20 €.

A FLOWERING TREE

Opéra de

JOHN ADAMS

Un conte indien du 5 au 13 mai 2014

Mise en scène

www.chatelet-theatre.com

Vishal Bhardwaj

01 40 28 28 40


La culture.

9.

1961. Famille modeste, les Whitaker sont

Bio express

Forest Whitaker Géant placide, le comédien américain revient à 52 ans en taulard repenti, converti à l’islam, dans “La Voie de l’ennemi”.

installés en Californie. La mère est éducatrice spécialisée et le père vend des assurances. « Je ne suis absolument pas né dans une famille d’artistes », précise l’acteur. « J’ai même été le premier. Enfant, je n’ai jamais vu de films dans une salle de cinéma, nous n’avions pas les moyens, alors nous allions en famille au drivein. Je n’ai commencé à m’intéresser au cinéma que bien plus tard, étudiant. »

1979. Ce colosse de 1,88 m à la carrure

d’athlète rejoint une université californienne grâce à une bourse pour jouer dans l’équipe de football américain. Blessé, il bifurque vers le chant, et trouve sa vocation dans l’art dramatique, passant d’une fac publique médiocre à la prestigieuse université de Berkeley. « Avec le recul, je me rends compte que le sport m’a transmis une certaine éthique, car faire du cinéma est une dynamique d’équipe. Plus tard, j’ai davantage appris sur le jeu d’acteur auprès de professeurs d’arts martiaux que dans certains cours de théâtre. »

1988. Son premier rôle marquant sur grand

écran est celui du jazzman Charlie Parker dans Bird. Une aubaine qu’il doit au flair de Clint Eastwood : « Clint est le premier à m’avoir fait confiance, alors qu’il n’avait aucune raison de me choisir. Sur le tournage, il avait plus foi en moi... que moi-même. Grâce à ce rôle, les gens ont commencé à me regarder différemment, comme un artiste. » Impressionnant en tueur solitaire dans Ghost Dog, la voie du samouraï (1999) de Jim Jarmusch, il reçoit l’Oscar du meilleur acteur pour son interprétation glaçante du dictateur ougandais Idi Amin Dada dans Le Dernier Roi d’Ecosse en 2006.

2014. Il travaille avec le cinéaste franco-

algérien Rachid Bouchareb, auteur d’une trilogie sur les relations entre le monde arabe et l’Amérique. Dans La Voie de l’ennemi, il campe un repris de justice harcelé par un shérif (Harvey Keitel), à la frontière mexicaine. Pour ce personnage d’Américain converti à l’islam, il est allé enquêter auprès d’un imam. « En tant qu’Afro-Américain, je m’intéresse à la question des minorités, aux discriminations liées à la couleur de peau et la religion. Ces choses-là existent encore aux Etats-Unis. »

Propos recueillis par Clémentine Gallot

La Voie de L’ennemi de Rachid BouchaReB, avec FoRest WhitakeR, haRvey keitel, 1 h 58. en salles le 7 mai.

Jeune pousse

Les cheveux retenus en queue-de-cheval, Aurélie Varrin, 34 ans, possède une grâce juvénile et rafraîchissante. Comédienne, danseuse et manipulatrice d’objets, cette partenaire de jeu du jongleur Jérôme Thomas depuis 2008 avance dans la vie à l’instinct, le nez en l’air pour sentir d’où souffle le vent et suivre celui qui convient à son tempérament aventureux. Venue tard à la danse, à l’âge de 25 ans, « une frustration éternelle », elle a taillé sa route en biais, compilant avec gourmandise des formations tous azimuts : théâtrale à Paris-VIII, gestuelle à l’école Jacques-Lecoq, chorégraphique au gré de cours variés. Parce qu’elle fait du roller depuis l’adolescence, elle décroche un rôle dans le spectacle Libellule et Papillons !! de Jérôme Thomas. Parallèlement, elle découvre et pratique avec lui l’équilibre d’objets, et plus particulièrement de cannes, une technique dans laquelle elle devient experte et qu’elle explore dans FoRest, la nouvelle pièce du jongleur. Lorsqu’elle pose sa canne en équilibre au creux de ses orteils ou sur son front, Aurélie Varrin ressent « un grand calme, une sorte de plénitude, comme si elle était traversée par une ligne qui la relie au ciel et au sol ». Elle le dit si simplement qu’on la croit immédiatement. R. Bu

FoRest de JéRôme thomas, avec auRélie vaRRin. du 6 au 9 mai à champagnole (JuRa). le 18 mai à homécouRt (meuRthe-et-moselle). du 24 au 29 mai à diJon. les 12 et 13 Juin à saint-denis. du 5 au 8 août à thonon-les-Bains (haute-savoie). du 15 au 20 août à nexon (haute-vienne).

Pages réalisées par Emilie Grangeray, avec Carine Bizet, Rosita Boisseau, Philippe Dagen, Stéphane Davet, Clémentine Gallot, Cristina Marino, Yann Plougastel et Cathy Rémy. 102

pathé Film. christophe Raynaud de lage/Wikispectacle

le bel équilibre d’aurélie Varrin


Les jeux.

Mots croisés 1

2

3

Sudoku

Grille No 137

Philippe Dupuis

No 137

difficile 4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

Compléter toute la grille avec des chiffres allant de 1 à 9. Chacun ne doit être utilisé qu’une seule fois par ligne, par colonne et par carré de neuf cases.

1 2 3 4 5 6 7

Solution de la grille précédente

8 9 10

Bridge

No 137

Fédération française de bridge

11 12 13 14 15

Horizontalement 1 Superpose mélodieusement les lignes et les notes en écrivant. 2 Hurlent en Amérique centrale. Ne donne plus l’heure mais fait toujours pleurer. 3 Pour manger comme un Libanais. Pas toujours plus court mais toujours familier. 4 Un seul fut Terrible.Apporter son soutien. Patron normand. 5 Semences de maquereau. Récupéré sur le tapis. 6 Tapis de récupération. Soutenir. 7 Baie du Japon. N’a pas tremblé en ajustant son trait. Demi-poire équipée de cordes. Le scandium. 8 Se fixe sur la borne. Possessif. Accord d’en bas. 9 Passent avant les autres. Grande Anglaise. A consommer avec beaucoup de modération. 10 Se met en mouvement. Bien dégagé. Loup de mer. 11 Possessif. Très proches. En rade. Cours d’Ukraine. 12 Dures à supporter. Liqueur de Savoie. 13 Aussi mais avant. Faisaient taches à l’école. Fait l’innocent. 14 Mère porteuse. Jeune saumon. 15 Passage étroit. Verticalement 1 Elle va vous prendre la tête à coup sûr. 2 Le moment de penser à faire son huile. Vent orageux du Sud. 3 La femme du maître. Récupère dans les bras de Morphée. 4 Ne vous laissera pas de repos.Afficher son refroidissement. 5 Bien plein. Mettais dans les brancards. Aux bouts de l’avenue. 6 Fait la liaison. Supporte dans son coin. Auxiliaire. Appréciation en marge. 7 Ramification sur la tige. Donne de beaux dessins. 8 Glucide décomposable. Epouse de Tyndare, aimée de Zeus. Poète persan. 9 Restes volcaniques sur un plateau. Utiliser. Semblable. 10 Jamais facile à broyer. Ne supporte pas l’exiguïté. Grosse colère. 11 Béquille sur le chantier. Porte les armes. La Terre. Leur mécénat a commencé avec Hercule. 12 Gros mangeur d’herbe du crétacé. Tour complet. Premier tour de cadran. 13 Lettres de sentence. Rendezvous avec l’information. A la rencontre du Rhin et de la Moselle. 14 Renforcées par-derrière. Est souvent de la fête. 15 Grimperaient sur les montures. Solution de la grille no 136

Horizontalement 1 Conchyliculteur. 2 Asexuée. Eraillé. 3 RIB. Enveloppées. 4 Aérée. Ile. Seime. 5 Brassage. Pu. Sar. 6 Sp. Haveuse. Sv. 7 Sakés. Tape. Cm. 8 Traça. Itinérant. 9 OE. Enjoints. Roi. 10 Usé. Canoë. Salto. 11 Mâts. Nutation. 12 Lainier. Sait. 13 Littorines. Ebro. 14 Es. Rn. Do. Salies. 15 Sénescent. Messe. Verticalement 1 Carabistouilles. 2 Osier. Arès. Aise. 3 Nebraska. Emit. 4 Cx. Espèce. Antre. 5 Huées. Sanctions. 6 Yen. Ah. Jaser. 7 Lévigation. Ridé. 8 Elévation. Non. 9 Célé. Epineuse. 10 Uro. Puent. TASS. 11 Lapsus. Essai. AM. 12 Tipe. Ecr. Attelé. 13 Eléis. Marli. Bis. 14 Ulémas. Notoires. 15 Réservation. Osé.

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UN NUMÉRO EXCEPTIONNEL !

EN VENTE ACTUELLEMENT


ma cité veut durer. Dossier coordonné par Eric Collier et réalisé par Marie Godfrain. Illustration La Tigre


L 306 x H 150 mm + 5 mm de débord en Haut et à gaucHe

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énergie positive.

Dépassés les bâtiments écolofuturistes. Les architectes d’habitats économes misent aujourd’hui sur une conception intelligente et des matériaux durables et isolants. Par Marie Godfrain

106 Dossier habitat durable – Illustrations La Tigre pour M Le magazine du Monde

Crise économique oblige, les économies sont la première raison qui pousse les propriétaires à rendre leur maison moins gourmande en énergie. Avec cet objectif en tête, Immobilière 3F, bailleur social à la tête de 200 000 logements en France, a mis au point un programme novateur pour le quartier Clause Bois-Badeau à Brétigny-sur-Orge, dans l’Essonne. « L’idée est de réduire les charges de nos locataires et d’appliquer un programme vertueux en matière d’écologie », explique Pierre Paulot, directeur de l’architecture et du développement du groupe 3F. Si, depuis les années 1990, le groupe rénove ses logements en travaillant sur l’enveloppe avec diverses solutions comme l’isolation par l’extérieur, les menuiseries, un système de chauffage plus performant ou la pose de capteurs solaires thermiques, 3F a cette fois planché avec la mairie de Brétigny sur la création d’un ensemble d’habitats. « Nous avons d’abord choisi le site, en fonction de son ensoleillement, de son exposition aux vents, de sa proximité avec les transports publics… Puis sélectionné des matériaux pérennes. Pour parvenir à ce que ces 54 logements aient un bilan énergétique positif, une surtoiture photovoltaïque de 1 200 m2 vient les chapeauter. Ils sont tous traversants, bénéficiant ainsi d’une cuisine en façade éclairée à la lumière naturelle. C’est également le cas des salles de bains, éclairées en façade ou en zénithal », décrit Pierre Paulot. Ce programme permet de produire autant d’énergie qu’il en consomme, y compris les ascenseurs, l’éclairage et les appareils électroménagers.


la tradition dans les murs. le chaume

le robinier

Naturel, renouvelable, excellent isolant phonique et thermique, le chaume est très utilisé aux Pays-Bas pour les façades et toits de bâtiments contemporains.

Alternative au bois exotique, le robinier est produit en France et en Europe. Naturellement imputrescible, il est bien adapté aux usages extérieurs.

le chanvre

le pisé

Le « béton de chanvre » est un nouveau matériau issu d’un mélange de chaux et de chènevotte (paille de chanvre). Léger, respirant, résistant, il ne dégage aucun composé organique volatil et consomme peu d’énergie grise.

Issu de terre humide extraite sur les chantiers des habitats puis damée dans un coffrage, le pisé présente de multiples avantages : son absence de déchets et sa faible inertie en font un matériau idéal pour les bâtiments basse consommation.

Une politique d’économie que mènent déjà les villes au climat rigoureux. « Aujourd’hui, on utilise le chauffage pour s’adapter aux erreurs de conception », juge Vincent Pierré, de Terranergie, qui a conseillé Le Toit vosgien, bailleur de logements sociaux à Saint-Dié. « On a donc repensé l’enveloppe en travaillant sur son épaisseur et la nature de ses isolants, en bois et en paille. Nous proposons des habitats simples d’usage, loin des solutions trop techno des débuts des maisons basse consommation. » Ici, on veut tourner le dos aux bâtiments mal isolés, construits au temps de l’énergie bon marché. « Rénover est souvent l’unique réponse pour nombre de gens qui n’ont plus les moyens de se chauffer, estime Vincent Pierré. L’écologie permet de faire des économies puisque seule une petite batterie de chauffe quelques jours par an est nécessaire en appoint. » La rénovation écologique des façades

un éco-coach près de chez vous. economiser de l’énergie, c’est aussi économiser de l’argent. Pas seulement la facture de gaz ou d’électricité, mais aussi par le biais du crédit d’impôt qui favorise les dépenses en faveur du développement durable, le CIDD. Soumis chaque année à des modifications, ce dispositif ne concerne par exemple plus les collecteurs d’eau de pluie ni l’installation de panneaux solaires. La dernière loi de finances dispose que les projets de rénovation doivent être combinés pour bénéficier du crédit d’impôts. Baptisé « bouquet de travaux », ce

concept permet d’obtenir un crédit d’impôts de 25 % en cas de réalisation d’au moins deux actions concernant l’enveloppe (façade), les fenêtres, l’isolation, la ventilation ou le chauffage. Si un seul chantier est mené, le taux tombe à 15 %. S’il est possible de faire appel à plusieurs artisans, des entreprises comme Kbane proposent un service complet d’accompagnement à l’amélioration énergétique avec des « écocoachs » polyvalents qui effectuent un diagnostic global pour apprécier le niveau de performance énergétique de l’habitat.

la terre cuite

Ce matériau ancestral est aujourd’hui utilisé comme bardage sur les façades. Teintée dans la masse, elle ne contient aucun élément toxique et associée à un isolant, elle complète idéalement une isolation thermique par l’extérieur.

la paille

Bon bilan carbone, facilement disponible… La paille est un excellent isolant que l’on installe en bottes dans des structures de bardage en bois.

entraîne un surcoût de 10 % à la construction, largement compensé par les économies sur le chauffage. Pourtant, les pouvoirs publics restent frileux. Les particuliers sont en général plus ouverts à ces façons de construire et de rénover. Pour bien s’y prendre, il faut traiter de façon globale tous les postes du bâti: d’abord réaliser un travail de réflexion sur l’enveloppe (comment va-t-elle profiter des apports du soleil, du vent, de la végétation, de la vue?…). « On valorise ensuite ces atouts et ces contraintes », précise Christine Lecerf, présidente de l’Institut pour la conception écoresponsable du bâti. A l’origine des maisons bioclimatiques, on se focalisait sur la protection hivernale; aujourd’hui, la réflexion couvre toutes les saisons grâce à la pose de brise-soleil orientables à la place des volets roulants pas assez adaptables. « Lorsque l’on envisage une construction, il faut se poser la question des matériaux des façades et de leur isolation en toute saison. Une fois la chaleur entrée, il faut lui permettre de ressortir par un travail sur les flux d’air. Une ventilation naturelle assistée par un système de cheminées à hélice. Mais il ne faut pas négliger l’efficacité des équipements (chauffage, éclairage et chaudière) et leur usage », explique Damien Hasbroucq, directeur de l’association Promotelec, qui regroupe les acteurs du bâtiment. Dans ce dernier cas, la domotique, en pleine expansion, permet d’adapter finement sa consommation ou d’allumer son chauffage quelques heures avant son arrivée chez soi. Pour cela, mieux vaut faire appel à un expert en rénovation énergétique qui établira un audit global sans réaliser de travaux, garantissant ainsi son indépendance. Ces travaux offrent de chauffer son logement par à-coups grâce à un poêle à bois ou à granules, ou encore une chaudière à gaz. Ils offrent aussi aux propriétaires de substantielles économies d’impôts (lire encadré). De plus, depuis 2006, la loi impose aux fournisseurs d’énergie d’aider les usagers à réduire leur consommation grâce à des aides financières. Il s’agit de prouver que les travaux ont été effectués par des professionnels aux qualifications requises sur le site de l’Ademe pour bénéficier du dispositif CEE (renovation-info-service.gouv.fr). Des aides méconnues qui peuvent concrétiser tous ces projets.

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Chauffé aux données.

Cette proximité est essentielle car les déperditions sont énormes dès lors que l’on transporte de Pour refroidir leurs serveurs, les “data centers” la chaleur. Paul Benoît a pris le consomment une énorme quantité d’énergie. problème à rebours. Le fondateur Et si cette chaleur était récupérée et utilisée de Qarnot Computing a imaginé dans des appartements? L’idée fait son chemin. un concept simple mais novateur : il installe des serveurs/radiateurs sur les lieux de vie et, grâce à une Depuis une quarantaine Autrefois installées dans des liaison Internet, vend leur puisd’années, la consommation élec- sites reculés, ces fermes de donsance de calcul à des entreprises trique des produits informatiques nées sont en train de se rapproou des organismes. double tous les cinq ans, jusqu’à cher des villes, où leur chaleur est Cela permet de chauffer un atteindre 10 % de la consomrécupérée à des fins de chauffage local avec son équipement baptisé mation mondiale (Etude Digital urbain. C’est le cas depuis 2012 à Q.Rad et de facturer l’électricité Power Group de 2013). Chaque Marne-la-Vallée, en Ile-de-France, à ses clients. Si cette offre ne année, les data centers (ou fermes où Dalkia, la filiale commune d’EDF s’adresse pas encore aux particude données) absorbent 2 % de la et de Veolia, récupère l’énergie liers, elle a déjà été déployée avec production d’électricité. Le princi- générée par l’usine numérique de succès à l’école Télécom ParisTech pal problème de ces sites où sont Natixis pour chauffer le centre ainsi que dans différents logeregroupés des milliers d’ordinanautique tout proche ainsi que ments sociaux gérés par la Ville teurs et de serveurs est la chaleur. la pépinière d’entreprises de Val de Paris. Reste le problème des Produite en grande quantité par d’Europe. Consacrée aux calculs périodes estivales où le chauffage les disques durs et surtout les de risque de la banque, l’usine doit être neutralisé mais pas le microprocesseurs, elle est atténumérique de Natixis consomme calcul. L’idée est émise d’équiper nuée par de coûteux systèmes autant d’électricité qu’une ville de des locaux vides l’été, comme de climatisation. Un problème de 50000 habitants, dont 30 % pour des écoles. Paul Benoît promet plus en plus prégnant pour les le seul refroidissement du matériel. que grâce aux nouveaux procesgrands acteurs du Web, confron- A terme, on estime qu’elle pourrait seurs basse consommation, on tés à l’essor du cloud computing, chauffer l’équivalent de 60000 m2 pourra empêcher son Q.Rad de de bureaux et logements dans les transformer son appartement en qui permet de sauvegarder ses environs proches. données dans les data centers. fournaise.

Matériau aux qualités multiples, le bois a toujours contribué à une architecture généreuse véhiculant chaleur et bienêtre. C’est un hommage que lui rendent ici les auteurs en présentant plus de 600 photographies et croquis. Le Bois en architecture, inspirations, éd. Place des Victoires, 511 p., 39,95 €.

Bio futur

L’avenir sera vert ou ne sera pas. Voilà qui pourrait être le credo d’une nouvelle génération d’architectes du monde entier qui place l’environnement au cœur de sa réflexion et de ses projets.

Architecture pour un avenir vert, Jacobo Krauel, Links, 300 p., 39 €.

Le b.a.-ba du vert

Architectes, artisans, maîtres d’ouvrage, étudiants peuvent approfondir, grâce à ce guide, leur connaissance des matériaux de construction. Des fiches détaillées reprennent les caractéristiques techniques de chacun, mais aussi leur impact environnemental.

pas de faibles émissions de COV… Certains vitrificateurs en forme aqueuse ont de très faibles émissions de formaldéhyde. » Concernant la pose, préférer l’assemblage cliqué au collage.

choisir ceux qui réduisent leur impact sur l’environnement.

La moquette

Les moquettes qui obtiennent le label allemand GUT ou l’Ecolabel européen émettent peu de COV, elles sont exemptes de substances La céramique Le choix est vaste parmi toxiques. En laine naturelle, il est préconisé les carrelages en verre de la poser avec une recyclé, en composites colle écologique. La très légers ou recyclés réduction des vapeurs (composés de restes). de solvants, induite par L’Ecolabel permet de

ce choix de revêtement, améliore la qualité de l’air intérieur.

Les revêtements en caoutchouc

Certains sols en caoutchouc sont composés de minéraux provenant de gisements naturels et de pigments non polluants. Ils ne contiennent pas de vernis et se posent au moyen de colles à dispersion sans solvant et non polluantes.

La terre cuite

Cette matière première naturelle est fabriquée avec de l’argile recyclable. Elle s’inscrit donc pleinement dans une maison durable.

Le linoléum

Le linoléum se compose d’huile de lin, de résines naturelles, de farine de bois, de toile de jute et liège. C’est un produit solide, antibactérien et anallergique. Privilégier une colle sans solvant.

Les vertus du dialogue

A travers plus de 120 exemples d’habitations, cet ouvrage balaie la variété de techniques et de stratégies possibles en matière de construction. Il insiste sur le dialogue entre expression esthétique et enjeux environnementaux.

Eco Living, Chris Van Uffelen, Braun Publishing, en anglais, 440 p., 78 €.

Beautés durables

L’architecture durable ne cesse de se réinventer. Philip Jodidio recense les derniers chantiers des professionnels du monde entier. Bars, maisons, immeubles, musées… On retrouve un panel du travail de ceux qui dès aujourd’hui inventent demain.

Green Architecture Now! vol. 2, Philip Jodidio, Taschen, en anglais, 416 p., 29,99 €.

108 Dossier habitat durable – Illustrations La Tigre pour M Le magazine du Monde

Dunod. Link. Editions Place des Victoires. Taschen

Les parquets, s’ils sont en bois massif, sont une excellente option. Mais attention au choix de traitements de surface et au type de pose. Selon le magazine spécialisé Ecologik, « contrairement aux idées reçues, la tendance à préférer la finition huilée pour son caractère végétal et son origine naturelle à la vitrification ne garantit

sa majesté le bois

Matériaux et architecture durable, Nadia Hoyet, Dunod, 256 p., 39 €.

soLs majeurs. Le parquet massif

à La page.



changer la ville. Améliorer la mobilité, créer du lien social, végétaliser l’espace public… Le renouvellement urbain ne se pense plus seulement à l’échelle du quartier, mais de la ville entière. Avec un mot-clé : convivialité. Par Marie Godfrain

110 dossier habitat durable – Illustrations La Tigre pour M Le magazine du Monde

En 1983, ligués contre la logique des grands ensembles, les architectes Roland Castro et Michel Cantal-Dupart imaginent Banlieue 89. Avec ce plan, ils entendent tirer les leçons de l’échec social de ces nouveaux quartiers coupés de la ville. La puissance publique planche alors sur la rénovation de ces ensembles. Si cette tâche est encore loin d’être achevée, ce plan marque une prise de conscience. La décennie suivante laisse place à un nouveau défi urbanistique : les friches industrielles voient éclore des pépinières d’entreprise, des immeubles d’habitation, des parcs… C’est l’époque où apparaît le terme « renouvellement urbain », avec le Pas-de-Calais

comme poisson pilote. Recomposer la ville, c’est retravailler l’habitat mais aussi la circulation et le cadre de vie. Car si la rénovation est d’abord gérée par quartier ou par commune, les habitants, eux, se déplacent au-delà. La qualité de vie est liée au bassin de vie, un échelon administratif manquant. « Aujourd’hui, l’essentiel de notre travail est axé sur le rajout, la réhabilitation de bâtiments au milieu d’éléments qui vont demeurer », explique Frédéric Bonnet, urbaniste fondateur de l’agence Obras, qui précise : « Fini la tabula rasa du xxe siècle ! Aujourd’hui, la ville se construit par une série de politesses par rapport à l’existant. Lorsqu’on construit


un immeuble, on y propose un commerce au rez-de-chaussée ou une cour arborée. » Pour composer la ville du futur, il est essentiel de traiter l’espace public de la même façon sur l’ensemble du bassin de vie, afin de produire du lien entre les communes et les quartiers qui la composent. Relier les différents pôles d’une agglomération passe par une amélioration de la mobilité et donc l’intermodularité des transports. « A la fin des années 1990, on a changé d’échelle, la requalification des quartiers passe aussi par leur intégration dans l’agglomération par le biais des transports, du désenclavement », rappelle Ferroudja Boudjemai, consultante en renouvellement urbain à la SCET, filiale de conseil auprès des collectivités territoriales du groupe Caisse des dépôts. L’espace public est redessiné en réarticulant les places du piéton et des transports publics. C’est ce qu’a permis le tramway dans des villes comme Grenoble, Vénissieux (près de Lyon) ou Paris, dégageant un espace autrefois dévolu aux automobiles. A Vénissieux, la mairie a développé à la fois une ligne de tram et multiplié les espaces verts. Car la ville doit aussi reverdir pour réenchanter le cadre de vie. Strasbourg l’a compris: la mairie a signé des

fin de règne pour l’auto.

grandes métropoles, difficile à juguler. « Si beaucoup a été fait pour fluidifier les trajets banlieue-ville, la mobilité banlieue-banlieue a, elle, été négligée. Or tière, chaque année en France, 100 000 accidents de la route se produisent sur le trajet maison-travail. Pour l’emploi quitte les centres pour les banlieues », ajouteautant, les Français rechignent à abandonner ce mode t-il. Des solutions de bon sens existent, estime-t-il, de déplacement au quotidien. « Notre modèle de mo- mais tardent à émerger : « Donner la priorité au dévebilité actuel a été mis en place après la seconde guerre loppement du transport public en banlieue, mailler les réseaux de banlieue, développer les mobilités alternamondiale. Il est lié à l’étalement urbain », explique Jean Laterrasse, directeur du Laboratoire Ville Mobilité tives et le télétravail. » L’agglomération bordelaise l’a compris et privilégie les Transport. Et bien sûr au coût de l’immobilier dans les modes de déplacement « doux ». « Jacques ChabanDelmas avait fait de Bordeaux une ville du tout-voiture, logique durant les « trente glorieuses ». Alain Juppé a compris la nécessité d’une rupture culturelle », analyse Michel Duchène, ex-adjoint au maire chargé de la prospective et de la stratégie urbaine, et vice-président de la Communauté urbaine de Bordeaux en charge des grands projets urbains. Trois nouvelles lignes de tram et un nouveau plan de circulation ont ainsi été créés. « Pour réussir malgré la culture automobile, il a fallu raconter une histoire et donner envie d’une nouvelle ville, en mêlant la mobilité à d’autres outils du renouvellement urbain comme le ravalement de façades », explique Michel Duchène. Mais la métropole n’aurait pu construire cette politique sans prendre en compte les connexions avec sa banlieue. « Nous avons poussé la convergence des horaires, l’intermodalité et la simplification des transports réunis sur une même carte : tram, bus, navette fluviale, vélos en libre-service VCub, voitures électriques Bluecub, covoiturage. Nous avons aussi poussé l’apprentissage du vélo à l’école et la construction de logements autour des axes de transport », détaille Clément Rossignol, adjoint au maire de Bègles et ex-vice-président de la Communauté urbaine, qui émet l’idée de passer de l’auto-école à la « mobile-école », un lieu d’apprentissage de la conduite mais aussi de la multimodalité pour faire entrer le transport du xxie siècle dans la pratique.

les chiffres sont implacables. Selon la Sécurité rou-

conventions de végétalisation de l’espace public avec des associations de quartiers ou le remplacement d’immeubles démolis par des jardins. La dimension écologique de la ville passe aussi par l’arrêt de l’extension urbaine. « Réaménager, c’est arrêter d’envahir les terrains agricoles », pointe Ferroudja Boudjemai. C’est aussi limiter la très coûteuse voirie

et modérer les prix de l’immobliler qui obligent à s’éloigner du centre. « On ne peut pas continuer à vivre dans des villes où les loyers sont deux à trois fois supérieurs à ceux de l’Allemagne », estime Frédéric Bonnet. Pour retrouver de la mixité dans le tissu urbain, il est nécessaire de recréer du lien social. Celui-ci peut découler de l’amélioration des espaces piétons, où l’on échange. Il existe aussi un travail de couture pour réintégrer l’entrée de ville, envisagée comme un nœud et plus comme une frontière. C’est donc un travail sur plusieurs échelles qui doit s’effectuer. « Rénover la ville, c’est déspécialiser l’îlot et repenser la place du commerce, martèle Ferroudja Boudjemai. Aujourd’hui, les urbains privilégient les courses de proximité, avec le retour des petites unités commerciales, ou se font livrer par Internet. » « Chaque nouveau bâtiment doit appor-

ter un service : jardin, commerce, passage… », renchérit Frédéric Bonnet. Le problème des petites et moyennes agglomérations, s’il est très différent, est tout aussi crucial. « C’est le rôle des maires de revitaliser les centres. Pour ce faire, il faut s’engager sur le long terme et y installer de nouveaux habitants comme par exemple les pensionnaires des maisons de retraite, qui auront plaisir à faire leurs courses, et ne pas rester prisonniers d’institutions déconnectées », analyse Frédéric Bonnet. Car sous ses aspects techniques, l’urbanisme soulève des questions profondes. Construire la ville du xxie siècle, c’est apporter de la convivialité, terme galvaudé et pourtant central. « Le risque actuel, c’est le repli sur soi, la disparition de la vie collective… L’urbanité, c’est partager l’espace commun avec des gens différents et lutter contre l’entre-soi », conclut Frédéric Bonnet.

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Fine Fleur Française.

Comme bien d’autres secteurs, celui de l’horticulture a été délocalisé loin de l’Hexagone. Pour faire revivre l’hortensia, l’amaryllis ou le muguet “made in France”, certains vendeurs se mobilisent. Par Marie Godfrain Derrière les murs des immeubles de Montmartre se cache un jardin. Une cour de 600 m2 où poussent cœursde-marie, lierre, euphorbes et bugles rampantes… David Jeannerot est le maître de cet univers végétal, décliné quelques mètres plus loin dans sa boutique Les Mauvaises Graines. Pour réintroduire la nature dans Paris, il propose des plantes originales issues de son jardin et d’une pépinière située à moins de 100 kilomètres de la capitale. L’engouement des Parisiens est tel que, à quelques mètres, un autre fleuriste, Mémé dans les orties, se spécialise dans les fleurs locales et de saison. « Nous privilégions les fleurs produites localement plutôt que dans des pays où les conditions de travail et l’environnement ne sont pas respectés. » Au printemps, ils se fournissent à Rungis dans le carré des producteurs d’Ile-de-France. Une exception, dans un secteur où règnent les végétaux importés? Créatrice de la boutique Vertumne, la fleuriste Clarisse Béraud rappelle qu’il y a vingt-cinq ans, on trouvait encore à Rungis des fleurs d’Ilede-France, de Bretagne, d’Anjou et de Touraine. « Aujourd’hui, nous sommes au creux de la vague. Plus que des inondations sur la Côte d’Azur, cette production est victime des promoteurs immobiliers qui grignotent les terrains partout dans l’Hexagone », explique-t-elle. « Le déclin a démarré dans les années 1970, lorsque la France a signé des accords de coopération avec la Colombie pour remplacer ses plantations

de coca par de la rose ou de l’œillet. Certaines productions ont ensuite été délocalisées dans le sud de l’Italie, puis au Maghreb et aujourd’hui au Kenya où les coûts sont encore plus bas », constate Dominique Boutillon, membre du conseil d’administration de Val’hor et présidente de la Fédération nationale des producteurs de l’horticulture et des pépinières. Résultat : aujourd’hui, en France, seulement 15 % de la consommation de fleurs coupées – légères, donc facilement transportables – est issue de la production hexagonale. « Le coût environnemental est énorme, déplore Dominique Boutillon. Les fleurs sont produites dans des serres dont le plastique est ensuite empilé dans des décharges à ciel ouvert. De plus, on y utilise des produits phytosanitaires interdits en France. » Sans compter le détournement d’une eau de plus en plus précieuse pour les populations des régions

112 dossier habitat durable – Illustrations La Tigre pour M Le magazine du Monde

chez le fleuriste en ligne. « On a souhaité travailler main dans la main avec des acteurs locaux pour proposer des fleurs différentes, plutôt que de rester dans le moule. Hortensia paniculata, Amaryllis belladonna, mais aussi bientôt muguet de Bourgogne dont 120 000 botillons sont ramassés chaque année, font vivre une économie locale que nous sommes fiers de soutenir. » Pour fluidifier les rapports entre producteurs et détaillants, les problèmes à résoudre sont nombreux. Rétablir le contact entre horticulteurs et fleuristes, d’abord, monopolisé au fil des sèches. « Aujourd’hui, il faut ans par les grossistes. « Il est penser au-delà des simples indispensable de faire remonter fleurs, encourage Clarisse Béles demandes des fleuristes, raud. Le métier de feuillagiste avides de renoncules aux tonalia de l’avenir, car les feuillages tés poudrées, pour que lorsqu’ils français sont très demandés. sélectionnent, ils osent cerMagnolia, prunus, spirée du taines couleurs auxquels ils ne Massif central ou du Morvan : ils sont pas forcément habitués », apportent une poésie. » analyse Clarisse Béraud. « Il fauParmi les principaux drait aussi que les commandes acteurs du secteur, Aquarelle. publiques soient plus responcom clame son attachement à sables: dans notre pays, seul un la fleur française. « Nos pivoines tiers des plantes des espaces viennent d’une coopérative publics provient de France », de l’Aisne et, depuis plus de rappelle Dominique Boutillon. vingt ans, Aquarelle cultive des En attendant l’émergence d’un pivoines au sud de la Bretagne, label « Fleurs de France », le mais aussi en Corrèze afin label rouge qui existe déjà pour d’étaler la production dans le dahlia sera bientôt étendu l’année », indique Mehdi Adem aux sapins de Noël, rosiers et responsable des exportations géraniums. Un premier pas.



Le totem.

L’écharpe rouge de Bernard Tschumi.

J’ai commencé à porter cette écharpe lorsque j’ai gagné le concours du parc de La Villette. Si, au départ, je l’ai adoptée un peu par hasard, elle a rapidement fait partie intégrante de mon univers. Je pense avoir choisi cette tonalité car le rouge, pour moi, n’est pas une couleur mais un concept, un moyen de mettre l’accent sur quelque chose. C’est notamment pourquoi j’ai dessiné en rouge les Folies de La Villette [les pavillons qui parsèment le parc]. Mais j’ai pris conscience que mon écharpe faisait partie de mon

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identité le jour où j’ai donné une conférence d’adieu, après quinze ans passés à la direction de l’école d’architecture de Columbia, à New York. Lorsque les lumières se sont rallumées, à la fin de mon discours, les étudiants et les professeurs se sont levés. Tous arboraient une écharpe rouge… Je possède actuellement une quinzaine de modèles de différentes teintes (de l’orangé au carmin en passant par le bordeaux) et de différentes matières (en laine épaisse ou en soie précieuse), selon que je désire les porter au quotidien ou dans des circonstances plus formelles. L’avantage de cet accessoire, c’est que je peux l’adapter afin qu’il me donne une image qui colle aux différentes situations de ma vie. Je déniche mes écharpes aussi bien dans des bazars que dans des aéroports mais, pour autant, je ne suis pas fétichiste. Si je veux me débarrasser de mon personnage, je n’ai qu’à l’ôter ! D’une façon plus générale, j’accorde beaucoup d’importance aux tenues vestimentaires car, selon moi, la sémantique des bâtiments évolue en fonction du style vestimentaire de ceux qui s’y meuvent. Propos recueillis par

Marie Godfrain

A voir

Bernard Tschumi, jusqu’au 28 juillet, Galerie sud, Centre Pompidou, Paris. www.centre pompidou.fr/

Marie Godfrain

Si son nom est peu connu du grand public, le travail de cet architecte, qui a réalisé, entre autres, le parc de La Villette, le Musée de l’Acropole à Athènes et le siège de l’horloger Vacheron Constantin à Genève, parle pour lui. L’homme qui a achevé de restructurer le zoo de Vincennes est mis en lumière dans une rétrospective du Centre Pompidou. Le musée parisien y dissèque son travail sur l’abstraction et le mouvement des corps dans l’espace. Bernard Tschumi revient ici sur son accessoire favori : son écharpe rouge.

3 mai 2014


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