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M Le magazine du Monde no 133. Supplément au Monde no 21528 du samedi 5 avril 2014. Ne peut être vendu séparément. Disponible en France métropolitaine, Belgique et Luxembourg.

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5 avril 2014

Douze ans de reportage dans la France du FN

Du vote caché au vote fierté

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ToileTpaper pour M le magazine du Monde

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Fondé en 2010 par l’artiste Maurizio Cattelan et le photographe pierpaolo Ferrari, le magazine TOILETPAPER s’amuse de l’overdose d’images et détourne les codes de la mode, du cinéma, de la publicité. Troublant et captivant.

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Edito.

Au programme.

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Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde

Qui? Quoi? Où? Quand? Pourquoi? Nous ne nous arrêterons pas sur les fameux 5 W (Who? What? Where? When? Why?) du journalisme anglo-saxon, ces cinq questions auxquelles tout bon article de presse est supposé répondre… D’autres s’en chargent. Depuis dimanche 30 mars et le second tour des élections municipales qui a vu l’accession de maires FN dans une dizaine de villes de France, les reporters sur le terrain, les commentateurs sur les plateaux et les analystes dans les rédactions ont abondamment décrypté cette ascension. A M Le magazine du Monde, nous avions simplement envie de raconter comment nous en sommes arrivés là et comment ce vote Front national s’est installé. Durablement. Et confortablement. Comme un mouvement somme toute assez lent mais profond. Ici, on l’a vu dépasser les 40 % au premier tour quand là, il est tout bonnement apparu pour la première fois, contre toute attente et à rebours de la sociologie électorale habituelle. Grand reporter au Monde, Benoît Hopquin a vu monter le vote FN au gré de ses reportages au sud, au nord, au centre de la France. Imperceptible d’abord. Chuchoté, sous-entendu, on finissait par l’avouer, entre timidité et paranoïa. Puis, au fil des années et d’une situation qui s’est dégradée de façon certaine, au fur et à mesure que s’est mise en place la stratégie de dédiabolisation imaginée par Marine Le Pen et sa clique, il s’est dit plus franchement. Aujourd’hui, il s’assume. S’affirme. Se clame. C’est cela que Benoît Hopquin a vu. C’est cela qu’il raconte en ouvrant aujourd’hui ses carnets. Les premiers reportages datent de l’après-21 avril 2002. Le dernier eut lieu le 30 mars à Saint-Gilles, dans le Gard. Entre-temps, le FN s’est « banalisé ». Son récit à la fois personnel et distancié en donne les raisons au détour de chaque anecdote, à travers chaque personnage. Le FN est entré dans la tête et dans la vie des gens. L’histoire dira s’il en sortira un jour. Ce remarquable travail pose des questions, bien plus que les habituelles cinq questions journalistiques. Il montre surtout qu’il y a urgence à s’intéresser à la vie des gens… Afin de leur apporter d’autres réponses. Marie-Pierre Lannelongue

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5 avril 2014

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A. Borrel/DPA/AFP. Jim Rogash/Getty Images/AFP

M sur iPAD ET sur lE WEB.

“M Le magazine du Monde” se décline sur tous les supports. L’application pour iPad vous propose une expérience de lecture et de visionnage nouvelle. “M” vous est ainsi accessible à tout moment et dans toutes les situations. Sur le site (lemonde.fr/m), vous retrouverez aussi une approche différente de l’actualité et les dernières tendances dans un espace qui fera toute sa place aux images.

p. 22

J’y étais… au point presse du PS en déroute.

LA SEMAINE p. 23

“infaux” en continu. Le Gorafi, l’Agence France presque, Der Postillon… Avec leurs pastiches d’articles, ces sites attirent des milliers d’internautes. Une nouvelle forme de satire politique.

p. 26

il fallait oser. Petits matches entre amis.

p. 28

le roMan-photo des films posthumes.

p. 30

société. Des idées plein les boîtes.

p. 32

Qui est vraiMent Daniel Bilalian ?

p. 35

SUèDE. Le tueur en série était manipulé.

p. 36

étAtS-UNiS Politique musclée.

p. 38

AFGhANiStAN D’amour et de rap.

p. 40

Marc Beaugé rhaBille… Stromae.

p. 42

la photo. L’Ukraine du côté obscur.

p. 44

les Questions suBsidiaires.

p. 46

Juste un Mot. Par Didier Pourquery

ils font ça coMMe ça ! p. 34

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ESPAGNE. Les gangs latinos s’acclimatent. - 13


LE MAGAZINE

5 avril 2014

p. 49

2002-2014 : Voyage en terres frontistes. En douze ans, le vote FN est passé d’un geste caché à un acte revendiqué. Un enracinement lent mais solide, auquel le journaliste Benoît Hopquin a assisté, au fil de ses reportages.

p. 56

l’élite prend l’art. Etudier la peinture ou la sculpture pour mieux comprendre la politique et la société… L’art fait désormais partie intégrante du cursus des grandes écoles comme HEC ou Sciences Po. Enjeu culturel ou stratégique ?

p. 62

anne Hidalgo première dame. On la disait effacée derrière le tutélaire Bertrand Delanoë. Elle a tracé sa route et s’est affirmée. Portrait de la première femme maire de Paris, saisie sur le vif de la campagne par la photographe de Barack Obama.

p. 68

comme un anglais dans l’eau. Crawler dans la Tamise ou dans les rivières des campagnes anglaises ? Une passion pour les trois millions d’adeptes du “wild swimming”. Une manière de se revendiquer libre et écolo.

les coordonnées

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de la série Grandeur nature, p. 85

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5 avril 2014

Bertrand Le Pluard pour M Le magazine du Monde

Retrouvez “M Le magazine du Monde” tous les vendredis dans “C à vous”, présenté par Anne-Sophie Lapix. Une émission diffusée du lundi au vendredi en direct à 19 heures.


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80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00/25-61 Courriel de la rédaction : Mlemagazine@lemonde.fr Courriel des lecteurs : courrier-Mlemagazine@lemonde.fr Courriel des abonnements : abojournalpapier@lemonde.fr Président du directoire, directeur de la publication : Louis Dreyfus Directrice du Monde, membre du directoire, directrice des rédactions : Natalie Nougayrède Directeur délégué des rédactions : Vincent Giret Secrétaire générale du groupe : Catherine Joly Directeur adjoint des rédactions : Michel Guerrin Secrétaire générale de la rédaction : Christine Laget M Le MAGAziNe Du MoNDe Rédactrice en chef : Marie-Pierre Lannelongue Direction de la création : eric Pillault (directeur), Jean-Baptiste Talbourdet (adjoint) Rédaction en chef adjointe : eric Collier, Béline Dolat, Jean-Michel Normand, Camille Seeuws Assistante : Christine Doreau Rédaction : Carine Bizet, Samuel Blumenfeld, Annick Cojean, Louise Couvelaire, emilie Grangeray, Laurent Telo, Vanessa Schneider Style : Vicky Chahine (chef de section), Fiona Khalifa (styliste), avec Caroline Rousseau Responsable mode : Aleksandra Woroniecka Chroniqueurs : Marc Beaugé, Guillemette Faure, JP Géné, JeanMichel Normand, Didier Pourquery Directrice artistique : Cécile Coutureau-Merino Graphisme : Audrey Ravelli (chef de studio), Marielle Vandamme, avec Aude Blanchard-Dignac Photo : Lucy Conticello (directrice de la photo), Cathy Remy (adjointe), Laurence Lagrange, Federica Rossi, avec Annabelle Lourenço Assistante : Françoise Dutech Edition : Agnès Gautheron (chef d’édition), Yoanna Sultan-R’bibo (adjointe editing), Julien Quintard (adjoint editing), Anne Hazard (adjointe technique), Béatrice Boisserie, Maïté Darnault, Valérie Gannon-Leclair, Catarina Mercuri, Maud obels, avec Valérie LépineHenajeros et Agnès Rastouil Correction : Michèle Barillot, Ninon Rosell et Claire Labati, avec Adélaïde Ducreux-Picon Photogravure : Fadi Fayed, Philippe Laure

5 avril 2014 le portfolio ondes de choc. En 1994, la radio Mille Collines incitait au génocide des Tutsi. Vingt ans plus tard, sur la même fréquence, Radio Rwanda 1 diffuse une fiction façon “Roméo et Juliette”, qui distille un message de réconciliation.

le style p. 85

p. 102

grandeur nature. Entre faune, flore et grands espaces, le design s’offre un bol d’air. Les décorateurs français refont Le monde. Les chefs cuisiniers ne sont pas les seuls Français à briller à l’étranger. Les décorateurs aussi imposent leur patte.

p. 104

L’icône. Andrée Putman, la garçonne.

p. 105

fétiche. Son de cloche.

p. 106

variations. Ménage(rie).

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Le goût des autres. Tête à claquettes.

p. 108

en vitrine. H & M plante le décor.

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p. 109

La paLette. Mines d’or.

p. 110

un peu de tenues… Le bleu.

p. 114

d’où ça sort ? Le design lumineux.

p. 116

ma vie en images. Ron Arad.

p. 117

être et à voir. Par Vahram Muratyan.

p. 118

La chronique de JP Géné.

p. 119

Le resto.

p. 120

Le voyage. L’Arles d’Emilie Frèche.

Documentation : Sébastien Carganico (chef de service), Muriel Godeau et Vincent Nouvet Infographie : Le Monde Directeur de production : olivier Mollé Chef de la fabrication : Jean-Marc Moreau Fabrication : Alex Monnet Coordinatrice numérique (Internet et iPad) : Sylvie Chayette, avec Aude Lasjaunias Directeur développement produits Le Monde Interactif : edouard Andrieu Publication iPad : Agence Square (conception), Marion Lavedeau et Charlotte Terrasse (réalisation). DiFFuSioN eT PRoMoTioN Directeur délégué marketing et commercial : Michel Sfeir Directeur des ventes France : Hervé Bonnaud Directrice des abonnements : Pascale Latour Directrice des ventes à l’interna­ tional : Marie-Dominique Renaud Abonnements : abojournalpapier @lemonde.fr ; de France, 32-89 (0,34 € TTC/min) ; de l’étranger (33) 1-76-26-32-89 Promotion et communication : Brigitte Billiard, Marianne Bredard, Marlène Godet, Anne Hartenstein Directeur des produits dérivés : Hervé Lavergne Responsable de la logistique : Philippe Basmaison Modification de service, réassorts pour marchands de journaux : Paris 0805-050-147, dépositaires banlieue-province : 0805-050-146

la culture p. 122

Les dix choix de La rédaction. Arts plastiques, photo, BD, danse, théâtre, cinéma, musique…

p. 136

Les jeux.

p. 138

Le totem. La statue d’Hervé Di Rosa.

La photographie de couverture a été réaLisée par France Keyser/Myop, et a été retouchée .

M PuBLiCiTÉ 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00/38-91 Directrice générale : Corinne Mrejen Directrices déléguées : Michaëlle Goffaux, Tél. : 01-57-28-38-98 (michaëlle.goffaux @mpublicite.fr) et Valérie Lafont, Tél. : 01-57-28-39-21 (valerie.lafont@mpublicite.fr) Directeur délégué digital : David Licoys, Tél. : 01-53-38-90-88 (david.licoys@mpublicite.fr) M Le magazine du Monde est édité par la Société éditrice du Monde (SA). imprimé en France : Maury imprimeur SA, 45330 Malesherbes. Dépôt légal à parution. iSSN 03952037 Commission paritaire 0712C81975. Distribution Presstalis. Routage France routage. Dans ce numéro, un encart « Relance abonnement » sur l’ensemble de la vente au numéro ; un encart « Le Bon Marché » pour les abonnés portés et la vente au numéro ile-de-France.

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Pierre Even pour M Le magazine du Monde. Cédric Martigny pour M Le Magazine du Monde

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contributeurs.

Ils ont participé à ce numéro. Après le 21 avril 2002, trouver un électeur du Front national était une gageure. Ce vote restait inavouable. En 2014, il s’affiche, se claironne même. Dans une partie du pays, les idées de Marine Le Pen ont conquis les esprits plus encore que les urnes. En douze ans de pérégrinations à travers cette France en souffrance, Benoît Hopquin, grand reporter au Monde, a observé de près ce changement (p. 49).

Béatrice gurrey est grand reporter au Monde. Elle a suivi pendant sept mois la campagne municipale à Paris (p. 62). « Le récit de cette bataille s’est surtout écrit à droite, en raison des multiples ennuis de Nathalie Kosciusko-Morizet, de sa personnalité fantasque, raconte-t-elle. Anne Hidalgo, avec son quasi-sans-faute, intéressait moins. C’est pourtant une personnalité atypique, capable de porter une ambition collective, attentive aux autres. Mais sans le grain de folie des grands animaux politiques. » Scout tufankjian a shooté Anne Hidalgo en campagne pour la Mairie de Paris (p. 62). Bien qu’ayant passé la majorité de sa carrière dans le Middle East, la photographe est mieux connue pour le travail qu’elle a réalisé en 2008 sur la campagne de Barack Obama à la présidentielle américaine. Depuis, elle a couvert des événements majeurs, du tremblement de terre en Haïti à la révolution en Egypte. En 2012, elle participe à la campagne de réélection d’Obama, et son cliché du couple présidentiel en train de s’étreindre après la victoire a battu tous les records de popularité sur les réseaux sociaux. Vivant entre Brooklyn, à New York, et Istanbul, elle travaille également à un projet photographique sur la diaspora arménienne.

M Le magazine du Monde x2. Quentin Carnicelli. Kai Jünemann. Bertrand Le Pluard. DR

roxana azimi, journaliste, est rédactrice en chef adjointe du site Internet Le Quotidien de l’art. Elle s’est intéressée à ces grandes écoles qui intègrent aujourd’hui les arts dans leur enseignement (p. 56). « J’ai été intriguée par le travail d’un galeriste, ancien centralien, qui s’efforce de convaincre les étudiants que l’art peut leur permettre de comprendre la complexité du monde. » BertranD Le pLuarD est photographe. C’est lui qui illustre cette semaine notre enquête sur l’enseignement de l’art dans les grandes écoles (p. 56). Son travail navigue entre documentaire, art et fiction. Dans les séries mode et les autoportraits comme dans les reportages, un genre qu’il explore depuis dix ans pour le ministère de l’agriculture, il place l’intimité et le réalisme au cœur de sa pratique.

Après avoir étudié à l’Ecole nationale supérieure de la photographie, à Arles, pierre even, photographe, s’est rapidement fait connaître pour ses portraits noir et blanc, frontaux et dessinés, qui l’amènent à collaborer avec les magazines. Aujourd’hui, il se consacre davantage à des travaux plus personnels et à des projets éditoriaux en toute liberté, comme cette série Design pour M (p. 85) ou une autre sur l’architecture, parue dans le magazine d’art contemporain Frog. Un livre et un projet d’exposition sont en préparation. 18 -

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Le courrier.

Droit de réponse. Evoquée dans l’article « La veuve derrière l’artiste », paru dans M Le magazine du Monde du 1er mars 2014, Françoise Marquet indique : « J’ai l’honneur d’être la première évoquée et je me permets d’apporter à l’intention de vos lecteurs les précisions suivantes : mon mari n’a pas été atteint de la maladie d’Alzheimer depuis 2005, comme le précise la journaliste. Les premiers symptômes de cette maladie se sont certes manifestés en 2006 mais, comme vous le savez, il s’agit d’une maladie dégénérative évolutive. Ce n’est que bien plus tard que le syndrome d’Alzheimer est devenu très invalidant pour mon mari. Par ailleurs et pour m’en tenir à l’essentiel, permettez-moi de m’insurger contre ce résumé du litige qui m’oppose en tant que légataire universelle à mon beau-fils : un “mélange explosif de succession, d’euthanasie”. Le terme “euthanasie” n’est pas acceptable. En aucun cas Zao Wou-Ki n’a été euthanasié. A cet égard, je me permets de signaler un jugement non définitif du 12 février 2014, du tribunal de grande instance de Paris, ayant condamné pour diffamation un magazine qui soutenait cette thèse odieuse de l’euthanasie. »

Pour nous écrire ou envoyer vos photographies de M (sans oublier de télécharger l’autorisation de publication sur www.lemonde.fr/m) : M Le magazine du Monde, courrier des lecteurs, 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13, ou par mail : courrier-mlemagazine@lemonde.fr

Le M de la semaine. « Un M de lumière rouge, flou dans la nuit. »

Clément Postec

Clément Postec

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J’y étais… au point presse du PS en déroute. Par Guillemette Faure

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porte-parole. Il est arrivé à David Assouline de reprocher à des journalistes de ne pas le citer suffisamment. Pas aujourd’hui. « La vie politique, c’est toujours des victoires et des défaites », dit encore la voix du porte-parole. C’est le moment que choiMais, chut! le porte-parole s’installe derrière son sit l’éditorialiste de La Voix du Nord pour ramasMicro. Il reconnaît « une lourde défaite parce que ser ses affaires, quitter la salle et tweeter « Ce n’est l’électorat de gauche s’est abstenu », assure que « le plus de la langue de bois, c’est une forêt ». « Je ne crois silence de l’abstention des électeurs de gauche nous parle pas que les électeurs se posent la question de ce qui va fortement ». Mais le PS « a reçu le message 5 sur 5 ». changer dans le Parti socialiste », assure encore AsHeureusement, il y a les « rayons de soleil », les souline. Le porte-parole n’a plus le temps de villes qui restent PS: Rennes, Nantes. « Paris bien prendre une quatrième question. Non seulesûr. » Les conquêtes:Avignon, « une nouvelle géné- ment il n’a rien dit, mais il l’a dit lentement. La ration ». Puis Lourdes, Bagnolet,Vaulx-en-Velin. pièce se vide. La journaliste de LCI fait son duIl ne parle pas de Vierzon. Pourtant, la gauche a plex. En direct, elle reprend les dernières réacgardé Vierzon. Une journaliste de LCI voudrait tions de Jean-Christophe Cambadélis, de Julien savoir quelles leçons le PS tire de sa défaite aux Dray et de tout ce qui se dit ailleurs que dans la municipales. Un journaliste d’i-Télé l’interroge salle de presse. Les journalistes seront bien loin sur les responsabilités du parti, sur ce qui va le soir quand le porte-parole du PS assurera aux changer. Rien de théoriquement piégeux pour le télés et radios que Manuel Valls est un très bon porte-parole, qui était à l’Elysée quelques heures choix « pour un gouvernement de combat ». plus tôt. Il reparle de l’abstention, des militants qui ont tout donné, de la mondialisation, de l’Europe où « il faudra parler d’une C’est le moment que choisit voix forte ». « Ne répondez jamais à la l’éditorialiste de ‘La Voix du Nord’ question qu’on vous pose, mais pour ramasser ses affaires, quitter à celle que vous aimeriez qu’on vous pose », avait confié l’an- la salle et tweeter ‘Ce n’est plus de cien secrétaire à la défense la langue de bois, c’est une forêt’. américain Robert McNamara au documentariste Errol Morris. « Ne répondez à aucune question. Aucune », lui a dit son successeur des années plus tard, Donald Rumsfeld. « Il faut qu’au niveau européen, il y ait des décisions pour que les citoyens puissent reprendre confiance », affirme encore le porte-parole aux journalistes. i-Télé, qui avait entrepris de retransmettre le point presse en direct, l’a déjà suspendu. « Les analystes dont c’est le métier vont dire des choses, on va regarder avec notre propre regard… », continue le démonétisés et le remplacement de Benoît Hamon par Assouline un an et demi plus tôt a précipité la chute de fréquentation. « Même l’époque des blagues sur les points de presse d’Assouline est passée », m’avouera un confrère.

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Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde

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e suis là pour répondre à vos questions comme d’habitude », a dit David Assouline en a r r iva nt . On est lundi matin, lendemain de cuite électorale, et le porte-parole du PS tient son point presse hebdomadaire. Vestige de la vie politique préInternet, le point presse est un exercice qui ne promet rien, un cran en dessous de la conférence de presse mais un cran au-dessus du communiqué. Il est fréquenté par ceux qui, comme les agenciers et les télés, doivent tout couvrir au cas où. Ce rendez-vous est, en effet, à l’agenda, à la différence de l’actualité qui, elle, ne s’annonce pas. Rue de Solférino, pour les grandes conférences de presse, on s’installe dans la grande salle avec le décorum et le drapeau tricolore. Là, c’est la petite salle et la cravate pastel de David Assouline, sénateur, conseiller municipal et donc porte-parole. On est une petite douzaine de journalistes, dont une étudiante en journalisme chargée de « ramener un son » pour un exercice d’école. Soit trois fois plus que d’habitude. Depuis que les ténors du PS sont au gouvernement, les points presse du parti se sont naturellement


La Semaine

Illustration Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde d’apres une photo de Bertrand Langlois/AFP

/ Il fallait oser / Face à face / Le roman-photo / Le buzz du Net / Ils font ça comme ça ! / / Les questions subsidiaires / J’y étais /

“Infaux” en continu.

“Jean-Marc Ayrault admet que le volet social du programme de Hollande a été effacé par erreur”… Avec ce genre de titres accrocheurs et satiriques, le site du Gorafi attire des milliers d’internautes. Une nouvelle forme de pastiche politique qui suscite l’engouement en France et ailleurs. Par Louise Couvelaire

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la semaine.

Comme le Gorafi.fr, des dizaines de sites anglais, australiens, espagnols surfent sur la vague de la satire politique, jouant sur l’ambiguïté entre vrai et faux.

tics d’écriture journalistique et citations en exergue… Ils possèdent tous les signes extérieurs d’un vrai site Internet d’information. Rien ne trahit le pastiche, si ce n’est l’absurdité des infos détournées et des audiences à faire pâlir d’envie plus d’un organe de presse « sérieux ». En France, la petite équipe de fanfarons du Gorafi.fr fait ses choux gras de l’actualité politique. Au lendemain des municipales, le site d’« infaux » titrait : « François Hollande promet que le prochain gouvernement mentira aux Français avec plus de conviction ». Ou encore : « Flash : l’étude du discours télévisé de Jean-Marc Ayrault confirme qu’il a bien donné sa démission en direct, en morse, en clignant des yeux. » Résultat : plusieurs milliers de Like sur Facebook et des centaines de re-tweets. Se moquer des politiques est un bon filon. Le Gorafi News Network revendique près d’un million de visiteurs en moyenne chaque mois, compte 110 000 abonnés sur Twitter et plus de 184 000 fans sur Facebook. Inspiré du site américain The Onion (créé en 1988), il a été lancé sur la plateforme de microblogging pendant la campagne présidentielle de 2012. Un succès tel qu’une compilation du meilleur de l’année 2013, L’Année du Gorafi, est parue en janvier. Publié sous le pseudo JeanFrançois Buissière, il s’est déjà vendu à 15 000 exemplaires, selon la maison d’édition Denoël. « Les sujets qu’ils abordent pointent du doigt ce qui cloche, s’enthousiasme l’éditrice Dana Burlac. Apolitiques, ils provoquent l’hilarité mais suscitent aussi la réflexion. C’est en cela que le site est fédérateur et dans l’air du temps. » cheurs,

le gorafi n’est pas le seul à surfer sur la vague de l’infaux.

Il faut aussi compter avec le site Bilboquet magazine – dont l’article intitulé « Marine Le Pen se déclare “plus belle que Miss France” et provoque l’embarras au FN » a été vu à plus de 100 000 reprises – ou l’Agence France Presque, sur Twitter, ou encore Sud ou Est, version parodique du quotidien Sud Ouest qui a vu le jour en novembre 2013… Les titres se multiplient. Un peu partout dans le monde, les sites similaires font un carton : The Daily Mash en GrandeBretagne, The Shovel (« la pelle ») en Australie, The Lapine au Canada, The Gatsby en Afrique du Sud, The Clinic au Chili, LerPesse en Tunisie, The Pan-Arabia Enquirer au Moyen-Orient, El Mundo Today en Espagne, Der Postillon en Allemagne, Waterford Whispers News en Irlande. « Les vieilles démocraties occidentales particulièrement souffrent d’une défiance partagée des citoyens à l’égard des

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politiques, ce qui explique en partie le succès de ces sites, analyse Stéphane Rozès, président de la société de conseil CAP et professeur à Sciences Po. La nouveauté de cette forme de satire réside dans le fait qu’elle joue sur l’ambiguïté entre le vrai et le faux. » A tel point que certains s’y laissent prendre. Ainsi, en février, Christine Boutin, la fondatrice du Parti chrétien-démocrate. Sur le plateau de BFMTV, elle a très sérieusement déclaré qu’au lieu de parler de « recul » concernant le projet de loi sur la famille, le gouvernement avait préféré évoquer une « stratégie provisoire d’avancement à potentialité différée ». Une formulation tout droit sortie des pages Web du Gorafi, mais qu’elle a prise pour argent comptant. « Tout, dans ces sites repose sur la plausibilité des infos qu’ils distillent, constate Laurent Bouvet, professeur de science politique à l’université de Versailles-Saint-Quentin. Les modes de lecture rapide d’aujourd’hui font qu’on ne lit souvent que les titres et qu’on peut donc se faire avoir. » Face à un tel engouement, certains médias traditionnels ont choisi l’alliance. En 2012, The New Yorker achetait The Borowitz Report, un site de faux articles créé dix ans plus tôt par le comédien Andy Borowitz, qui dispose désormais d’une page « humour » sur le site du prestigieux hebdomadaire. Et en Espagne, El Mundo Today remplit chaque week-end une page du supplément local de Madrid du quotidien El País. « La politique est depuis longtemps désacralisée, si elle l’a jamais été, estime Laurent Bouvet. La satire s’en est toujours prise aux hommes politiques, en revanche, jusqu’à présent, elle épargnait et respectait la fonction. On pouvait se moquer du roi mais pas de la fonction royale. Aujourd’hui, cette barrière est tombée. » Louise Couvelaire 5 avril 2014

Captures d’écrans Web

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La semaine.

Le décodeur

Jean-François Copé, président de l’UMP, dimanche 30 mars sur TF1.

L’affirmation.

« Premier parti de France », voilà un titre que de nombreuses formations politiques ont pu revendiquer à un moment ou un autre, notamment après un succès électoral, et qui, en l’occurrence, ne fait aucun doute pour l’uMP. Mais premier en quoi? en voix? en élus? en militants? La vérification. en 2012, après les législatives, le PS se revendiquait lui aussi « premier parti de France », non sans raison : outre la présidence et le gouvernement, il détenait la majorité à l’Assemblée, au Sénat, mais aussi la majorité des départements, des régions, des grandes villes, etc. L’uMP lui contestait cependant le nombre de militants, affichant jusqu’à 260 000 encartés quand le PS en alignait 170 000 en 2012. Après la déroute des socialistes aux municipales, M. copé s’avance-t-il en se revendiquant à la tête du premier parti de France? eh bien non, quelle que soit la manière dont on prend les résultats, l’uMP est en tête, loin devant tous ses concurrents, à sa gauche comme à sa droite. Si l’on considère le nombre de suffrages acquis à chacun des deux partis aux deux tours des municipales, c’est bien l’uMP qui arrive en tête, avec 2,2 millions de voix, contre 1,9 pour le PS. un score 26 -

que l’on a largement majoré en y ajoutant une partie des voix de listes divers droite (dont une large part provient des rangs du parti que préside M. copé). en comptant d’un côté le bloc PS et assimilé, et de l’autre uMP et alliés, on arrive à 13,8 millions de voix aux deux tours pour la droite républicaine contre 11,3 pour la gauche socialiste, soit un différentiel de près de 2,5 millions. Si l’on regarde maintenant les conseillers municipaux élus à l’issue de ces élections, c’est encore une fois l’uMP qui est en tête, avec 13185 élus, contre 11814 pour les socialistes. Là encore, c’est sans compter l’immense cohorte des élus étiquetés divers droite. enfin, le PS qui fut jadis, lui aussi, le plus grand parti de France, a perdu 171 villes de plus de 9000 habitants, dont huit de plus de 100000. Le PS a donc là encore perdu sa large avance sur la formation rivale. La concLusion. Les résultats de ces élections municipales ne laissent guère de doute : c’est bien l’uMP qui a raflé le plus de voix, de postes de conseillers municipaux et de mairies. Il s’agit de la première victoire de l’uMP lors d’un scrutin national, du propre aveu de M. copé, mais le PS reste majoritaire dans les départements et quasi hégémonique dans les régions. rappelons aussi que l’uMP est peut-être le premier parti de France, mais tant qu’il n’aura pas la majorité des députés à l’Assemblée, il restera le premier parti… d’opposition.

Samuel Laurent et Jonathan Parienté

Il fallait oser Petits matches entre amis. Par Jean-Michel Normand

Dans le football business, rien n’est gratuit et l’uEfa vient d’en livrer une nouvelle et lumineuse illustration. L’instance européenne du football a décidé, à l’unanimité, la création en 2018 de la Ligue des nations, une nouvelle compétition qui remplacera les matches amicaux. Pour michel Platini, président de l’uEfa, il fallait en finir avec ces rencontres sans enjeu « qui n’intéressent plus personne, ni les journalistes ni le public ». En conséquence, seront constituées quatre divisions avec un système de montée et de descente. La phase finale, regroupant les quatre meilleures équipes, se tiendra tous les deux ans. Ecrasons une larme. Le match amical est l’une des dernières expressions du romantisme footballistique. adieu, donc, confrontations qui, sur un malentendu, permettent à une équipe modeste mais motivée de créer la surprise, histoire de rêver un peu. ou de se refaire un moral tout neuf… comme la france, le mois dernier, après sa victoire en amical contre les Pays-Bas. Bye bye, donc, noble incertitude du sport. La Ligue des nations imposera une stricte norme hiérarchique car chacun restera à sa place. Les gros joueront contre les gros et les petits contre les petits. on peut déjà prévoir que cette future compétition portera haut les couleurs du football moderne : course aux sponsors, bagarres de chiffonniers pour obtenir les droits télévisés et cadences toujours plus infernales imposées aux joueurs, ces galériens millionnaires du ballon rond. Pourtant, multiplier les compétitions ne va pas sans risque. Les sélections nationales pourraient bien faire comme les clubs, qui se désintéressent plus ou moins ouvertement des nouvelles compétitions, moins huppées (la coupe de la Ligue ou la Ligue Europa), en y envoyant une équipe bis. Bref, il n’est pas impossible que la Ligue des nations finisse par ressembler à une série d’aimables rencontres amicales.

Retrouvez les articles des Décodeurs sur www.lemonde.fr/les-decodeurs/ 5 avril 2014

Frédérick Florin/AFP. Cécilia Garroni Parisi pour M Le magazine du Monde

“Le premier parti de France, c’est l’UMP et de très, très loin, en nombre de voix, comme en nombre d’élus.”


La vie est un sport magnifique


La semaine.

2.

1975. Salò ou les 120 Journées de Sodome

Pier Paolo Pasolini (photo), 53 ans, est retrouvé assassiné sur une plage italienne sept mois avant la sortie de Salò ou les 120 Journées de Sodome. Le film, qui évoque l’œuvre du marquis de Sade et la fondation par Mussolini d’une république fasciste à Salò, sera censuré dans plusieurs pays.

1960. Le Trou

Jacques Becker, le réalisateur de Casque d’or notamment, meurt à 53 ans, un mois avant la sortie du Trou, le 18 mars 1960. Malgré un succès critique, le film (amputé de vingt-quatre minutes à la demande du producteur) sera un échec commercial.

Le roman-photo des films posthumes.

3.

Le dernier film d’Alain Resnais, Aimer, boire et chanter, est sorti vingt-cinq jours après la mort du réalisateur. Il rejoint la liste de ces œuvres, mi-maudites mi-cultes, arrivées en salles orphelines de leur géniteur.

1999. Eyes Wide Shut

John Houston (photo, à dr.) décède le 28 août 1987, à 81 ans, et ne peut assister, quatre mois plus tard, à la première des Gens de Dublin (The Dead), dont il avait commencé le tournage alors qu’il était très affaibli. Son fils Tony, fait là ses débuts de scénariste, et sa fille Anjelica (au centre) joue le rôle principal.

4.

Le réalisateur américain Stanley Kubrick, meurt à 70 ans d’une crise cardiaque, après avoir terminé un premier montage d’Eyes Wide Shut, avec Tom Cruise et Nicole Kidman, qu’il considérait comme son meilleur film. Il travaillait, au moment de sa disparition, sur A.I. Intelligence artificielle (2001), qui sera finalement réalisé par Steven Spielberg.

28 -

1987. Gens de Dublin

2014. Aimer, boire et chanter

5.

Ultime tour de piste pour Alain Resnais avec Aimer, boire et chanter. Le réalisateur s’éteint, à 91 ans, le 1er mars 2014. Déjà multicésarisé, il obtient le Lion d’or 2013 pour ce film, sorti le 26 mars, qui rassemble ses acteurs fétiches (dont sa compagne Sabine Azéma) et traite de la mort sur un ton léger. Laurent Telo 5 avril 2014

Rue des Archives/BCA. Prod DB PEA/Artistes associés/DR. Prod DB Zenith-Liffey/DR. Rue des Archives/RDA. DPA Picture-Alliance/AFP

1.


– Photo : Julie Ansiau

Ludivine et son fauteuil saint tropez


la semaine.

SPort

Le basket avance à grands pas.

Des idées plein les boîtes.

Table transparente avec pin-up à l’intérieur, apparition déhanchée de Nabilla, robots lumineux… Les dernières tendances de la nuit ont droit à leur salon, à Paris. Tour de piste.

D

es verres à cocktail géants

dans lesquels les danseuses se déhanchent, ou « l’écrin », une table en Plexiglas à l’intérieur de laquelle est allongée une fille nue… « Je le décline en bar », précise Benoît Katana, spécialiste de l’événementiel. il faut dire qu’en matière de discothèque et de soirées sous les sunlights, on trouve de tout au Discom – le salon des professionnels de la nuit qui se tiendra du 6 au 8 avril à Paris. Avec 120 exposants et 10 000 à 15 000 visiteurs attendus, le salon fera probablement le plein cette année encore. Pourtant, explique Eric Boulo, l’organisateur de l’événement, « le nombre de boîtes de nuit en France est passé en dix ans de 6 000 à 2000 ». Mais, à l’entendre, le monde de la nuit ne s’en porte que mieux. « Les boîtes qui marchent sont de plus en plus souvent gérées par des financiers qui y investissent beaucoup d’argent. » on assiste, du coup, à une double tendance : d’un côté, des clubs de plus en plus pointus et exclusifs, où les carrés ViP montent en gamme sous la pression des alcooliers, qui y disposent leur mobilier siglé. « Des boîtes comme le Club 79, à Paris, font des soirées à 150 000 euros, avec des tables VIP à 5 000 euros », explique Eric Boulo. De l’autre côté, des établissements qui gardent une clientèle plus jeune et moins argentée. Et, selon les pros du secteur, ce sont les boîtes de nuit de province qui font marcher le business, comme le célèbre Macumba, près d’Annemasse (Haute-Savoie). 30 -

Le Salon Discom, qui se tiendra entre du 6 au 8 avril, attend près de 15 000 visiteurs.

En matière d’animation, le paysage évolue aussi. Après la vague éphémère des magiciens et des sosies, le succès des go-go danseuses se confirme et « les personnages de télé-réalité comme Nabilla ou les “Ch’tis à Hollywood” sont toujours très réclamés », souligne Philippe Seither, de l’agence d’événementiel Dynaprod. A noter également l’emballement suscité par les « performers », classiques des soirées du complexe Loft-Metropolis à rungis, avec leurs « tableaux vivants », leurs « créatures » juchées sur des échasses (comme la célèbre Lady Mirror), leurs cracheuses de feu ou leurs robots LED… Selon Benoît Katana, c’en est fini de la tendance trash, voire « trash circus ». « Les danseuses tatouées, piercées, les “freak-shows”, avec des filles énormes par exemple, font moins recette », assure-t-il. Quant à l’aMBiance Musicale, elle reste dominée par les titres électro les plus joués à la radio. A rebours de ce qui fonctionne à Paris, où « les collectifs de DJ ne jouent plus qu’au vinyle », explique le DJ Nicolas Vu-Hoang. Une mode qui pourrait faire florès, « car le public demande une meilleure qualité sonore, avec plus de relief et de chaleur ». Enfin, le Discom accueillera une conférence sur la restauration festive dont l’essor reflète une autre évolution. « Aujourd’hui, les gens s’amusent plus tôt et rentrent moins tard, un peu sur le rythme des afterworks », note Phil Borgogno, rédacteur en chef du Magazine de la discothèque. A croire que le clubber serait devenu un couche-tôt. Stéphanie Marteau

Philippe Levy. Kevin C. Cox/Getty/AFP

Société

en France, il n’y a pas que le football dans le sport. il y a aussi le basket-ball, dont le nombre de licenciés explose. il vient de franchir la barre des 550 000, en hausse de 12 % en un an, a annoncé le 25 avril la Fédération française de basket (FFB). cette popularité, qui suit une courbe ascendante depuis six ans, a été accentuée par les performances des équipes de France masculine (championne d’europe en 2013) et féminine (titre européen en 2009, finaliste des Jo de londres en 2012). Mais elle tient aussi au succès du « trois contre trois », une forme de basket-ball jouée sur un demi-terrain et qui convient aussi aux joueurs de niveau moyen. l’attraction grandissante de ce sport se retrouve également dans les projets d’investissement. Mimars, tony Parker a annoncé qu’il prenait le contrôle du club de lyon-villeurbanne, dont il était déjà actionnaire, et il se murmure qu’après le football et le handball le Psg s’intéresserait de plus en plus près au basket. J.-M. N.

5 avril 2014


Introducing Sir O’Malley


La semaine.

Qui est vraiment Daniel Bilalian ?

Sexisme, ringardise, mauvais goût… L’inamovible directeur des sports de France Télévisions reste de marbre face aux critiques du CSA sur la couverture des JO de Sotchi.

Fan d’Audiard Né à Paris de parents arméniens (son père était tailleur), cet enfant de la République toujours tiré à quatre épingles voue une admiration sans bornes à Michel Audiard, dont il aime citer quelques tirades célèbres. Comme celle-ci, extraite d’Un taxi pour Tobrouk : « Deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche. »

Inoxydable A bientôt 67 ans, « Bill » est un des plus anciens journalistes du service public encore en activité. Entré à l’ORTF en 1971, il a été grand reporter, présentateur des journaux, et règne sans partage depuis 2004 sur le service des sports de France Télévisions, malgré deux motions de défiance votées par la rédaction.

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Habitué du placard Il a connu des hauts et des bas tout au long de son parcours professionnel. Evincé en 1985 de la présentation des journaux télévisés au profit de Claude Sérillon, il reste deux ans dans un placard avant de remplacer Henri Sannier « déplacé » sur la Trois. En 1998, il est de nouveau écarté du JT par Claude Sérillon avant de revenir en 2001. « On s’habitue ! », rigole-t-il.

Habile négociateur Malgré des budgets en baisse et une concurrence féroce, il a pu conserver de grands événements sportifs pour le service public : Roland-Garros, le Tour de France, les Jeux olympiques, le Tournoi des six nations et la (petite) Coupe de la Ligue de football.

Daniel Psenny

5 avril 2014

Benjamin Girette/IP3/Bureau233

Droit dans ses bottes Malgré la sévère mise en garde adressée à la mimars par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le patron des sports défend mordicus Philippe Candeloro et Nelson Monfort, coupables de commentaires sexistes lors des JO de Sotchi. « Ces événements (…) ne sont que du sport, du divertissement, propres à la plaisanterie, à l’enthousiasme, au patriotisme », a-t-il martelé sur Europe 1.


JEAN-PAUL GOUDE POUR AUBERTSTORCH. REMERCIEMENTS À ©KRINK, ©LIQUITEX, ©MOLOTOW DISTRIBUTION, ©MARABU GMBH & CO.KG – 44 GL 552 116 329 RCS PARIS

NOUVELLES COLLECTIONS PRINTEMPS-ÉTÉ 2014

André Saraiva vu par Jean-Paul Goude

Plus de mode sur galerieslafayette.com


la semaine.

Ils font ça comme ça!

D

epuis plusieurs semaines, les opérations

trente Latin Kings présumés ont été arrêtés en Catalogne. L’un d’eux, surnommé King Majestic, serait le chef d’une branche locale consacrée aux trafics d’armes et de drogue et aux vols avec violence. Un homme de 31 ans, marié depuis 2006 avec la sœur d’un des chefs des Latin King en Equateur. « Il ne s’agit plus d’une question d’appartenance, d’identité ou d’occuper l’espace public, mais bel et bien d’une activité délictueuse », estime le patron de la police catalane. Telle n’est pas l’opinion de l’anthropologue Carles Feixa, qui émet des réserves sur les conclusions de la police. « Cela fait dix ans que les Maras sont présentes en Espagne, et leur comportement diffère beaucoup de celui qu’elles adoptent en Amérique centrale », affirme ce spécialiste des bandes latines à l’université de Lleida. « Les problèmes des bandas latinas n’ont pas de solutions policières mais sociales, estime-t-il. Or l’administration a supprimé tous les mécanismes d’aide à l’insertion de ces jeunes. »

se multiplient contre les Maras et les Latin Kings, des gangs venus d’Amérique latine. Le 24 mars, la police a arrêté à Barcelone 35 membres présumés de la Mara Salvatrucha, une « dangereuse et violente organisation criminelle » fondée aux Etats-Unis avant de se développer au Salvador et « largement présente dans plusieurs pays du continent américain », a précisé la garde civile dans Sandrine Morel un communiqué. Dix-huit d’entre eux ont été incarcérés. L’opération, qui s’est EspagnE déployée dans les provinces de Madrid, Barcelone, Gérone, Tarragone et d’Alicante, est la première visant des membres présumés des Maras dans le pays, des groupes menés par des chefs venus directement du Salvador pour installer en Espagne une succursale destinée à blanchir l’argent de la drogue et organiser des vols et autres délits en Europe, selon la police. Arrivés en Espagne il y a une dizaine d’années par le biais du regroupement familial qui a suivi l’immigration latino-américaine massive des années 2000, les jeunes membres de bandas latinas ont adopté les codes vestimentaires, les symboles et les tatouages des gangs originaux. Pour autant, ils n’avaient pas reproduit la structure pyramidale de ces groupes, les cellules hiérarchisées et les visées criminelles. Leurs méfaits consistaient en de petits délits et des bagarres entre clans rivaux. policières

Les gangs latinos s’acclimatent.

La culture des gangs semble avoir voyagé avec les jeunes immigrés d’origine latino-américaine. Certains ont constitué dans la péninsule des cellules de Latin Kings ou de la Mara salvatrucha. On les accuse aujourd’hui d’activités criminelles.

aujourd’hui, alors que le chômage touche

ces jeunes, confrontés à un avenir professionnel bouché, à l’inactivité de leurs parents, aux difficultés financières de leur famille, ne semblent plus se satisfaire de l’esthétique des bandes. Ils passent à l’acte. Telle est en tout cas la thèse de la garde civile, qui a remonté la piste des Maras après l’été 2012, lorsqu’un jeune Latin King, une bande rivale, a été poignardé à Alicante, sur la côte est de l’Espagne. Des armes blanches, des armes à feu factices et de la drogue ont été saisies lors de vingt-huit perquisitions aux domiciles des membres des mareros. Des opérations de virements bancaires témoigneraient de l’intention d’installer une section en Espagne. La plupart des interpellés ont entre 17 et 25 ans. Le 11 mars, rappelle Manel Prat, directeur des Mossos d’Esquadra, la police catalane,

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Jose Cabezas/AFP

40 % des immigrés,

Des membres du gang Mara Salvatrucha à la prison de Ciudad Barrios, au Salvador. La garde civile espagnole soupçonne le clan de vouloir installer une section criminelle dans la péninsule ibérique. 5 avril 2014


suède

Le tueur en série était manipulé.

en 1992, thomas Quick s’accusait d’une trentaine de meurtres. Vingt ans plus tard, il sort innocenté de son institution psychiatrique.

L

Avé DE TouT SouPçon DEPuIS 2013,

Sture Bergwall, alias Thomas Quick, a été autorisé le 19 mars à quitter l’institution psychiatrique où il était interné depuis vingt-trois ans. Acteur ambigu de la plus extravagante affaire qui ait défrayé la chronique judiciaire suédoise, Thomas Quick, aujourd’hui âgé de 63 ans, est un vrai-faux tueur en série qui réclame des dommages et intérêts à l’Etat. En 1991, il est interné en hôpital psychiatrique. Son parcours a été chaotique. Victime d’inceste, toxicomane, il s’est aussi rendu coupable de tentatives de braquage. A sa sortie de l’hôpital, les événements s’enchaînent. Après avoir lu l’enquête d’un journal passant en revue des meurtres non élucidés, à l’automne 1992, Bergwall – qui a entre-temps changé de nom – se met à avouer près d’une trentaine de meurtres, dont ceux de nombreux enfants. Fournissant, dans certains cas, des détails que seul le meurtrier devait pouvoir connaître, il sera reconnu coupable et condamné pour huit d’entre eux.

Thomas Quick devant la cour d’appel de Stockholm, en mai 2001.

En 2008, dans un documentaire télévisé suédois, Bergwall-Quick revient spectaculairement sur tous ses aveux. Il déclare en substance que c’est le traitement psychiatrique qui l’a poussé à revendiquer ces meurtres. S’ouvre une guérilla juridique, marquée par la réouverture de certaines affaires. On découvre alors que les juges se contredisent, que des éléments importants de l’enquête ont été laissés de côté ou classés. DAnS un LIvRE ET un DoCuMEnTAIRE , le journaliste Dan Josefsson enfonce le clou. Il dévoile, fin novembre 2013, la spirale mise en œuvre par la psychanalyste Margit Norell, décédée huit années plus tôt. Au fil des ans, l’influence de cette femme charismatique s’était exercée sur toutes les personnes engagées auprès de Thomas Quick, confortant aveu après aveu l’image d’un coupable idéal. Les thérapeutes qui demandaient à Margit Norell des pistes de traitement pour Quick suivaient eux-mêmes une thérapie auprès d’elle. Sa théorie reposait sur l’idée que l’on peut obtenir qu’un patient se souvienne d’événements traumatisants de son

enfance, souvent à caractère sexuel, qu’il a refoulés ou dont il n’a même pas eu conscience. Dès cette époque pourtant, des études mettent en garde contre le risque de créer de faux souvenirs. Avec Thomas Quick, estime le journaliste Dan Josefsson, Margit Norell aurait trouvé le terrain d’expérimentation de sa carrière. Quant à Quick, tout à la fois manipulé et manipulateur, il aurait joué le jeu. Trop content, semble-t-il, d’être considéré comme une personnalité digne d’attention et de pouvoir obtenir des médicaments nourrissant sa dépendance. Après être revenu sur ses aveux, il a repris son nom d’origine, Sture Bergwall. En novembre 2013, le gouvernement a nommé une commission d’enquête afin de tenter de faire la lumière sur cette ténébreuse affaire. Pourtant, les Suédois n’en ont sans doute pas fini avec l’affaire Thomas Quick. Si l’on considère que ce dernier est bien innocent, il reste alors un ou de nombreux assassins en liberté. Le délai de prescription couvre tous les meurtres, à l’exception d’un seul commis en 1988. Olivier Truc

AustrAlie

Claus Gertsen/AFP. Mark Graham/AFP

L’Empire contre-attaque.

C

hevaliers et dames de l’ordre d’Australie : ces titres honorifiques, qui fleurent bon l’Empire britannique, n’étaient plus décernés par Canberra depuis 1986. Mais Tony Abbott, premier ministre et monarchiste convaincu, vient de décider de les remettre en vigueur. Alors que l’autorité de la reine Elizabeth II comme chef d’Etat est régulièrement débattue en Australie, cette décision a surpris jusque dans la majorité conservatrice. L’ancien premier ministre John Howard lui trouve « quelque chose d’anachronique » et la sénatrice libérale Sue Boyce pense que « ces titres n’ont jamais eu leur place en Australie et encore moins au xxie siècle ». Partisan d’une république australienne, le leader de l’opposition travailliste Bill Shorten a fustigé le 26 mars un « bond dans le passé ». « Nos titres honorifiques devraient être totalement australiens », ajoute David Morris, patron de l’Australian Republican Movement. Comme pour accentuer le signal d’un retour à la tradition, la première à être honorée du titre de dame par Tony Abbott est la gouverneure générale Quentin Bryce (ci-contre au côté du premier ministre), qui représente la reine en Australie. Colin Folliot 35


la semaine.

ils font ça comme ça! états-Unis

la salle de gym. Mais il n’est pas le seul. Désormais, les hommes politiques made in USA donnent dans la surenchère de mises en scène viriles et musclées. Aux Etats-Unis, le sport a toujours été un argument politique. Barack Obama mouillant le maillot sur les terrains de basket et body-surfant à Hawaï, Bush junior faisant son jogging, Bill Clinton sillonnant les parcours de golf, Ronald Reagan chevauchant de blanches montures… « Depuis la présidence de Theodore Roosevelt [de 1901 à 1909] c’est devenu le meilleur moyen de véhiculer l’image d’une Amérique puissante et conquérante, analyse Douglas Hartmann, professeur de sociologie à l’université du Minnesota. Nager dans des eaux glacées, tomber la chemise sous l’œil des caméras… C’est une nouvelle variation du mâle politique typique de notre pays. » Fin 2012, Paul Ryan, colistier du candidat républicain Mitt Romney, a fait admirer ses biceps dans le magazine Time. Un an plus tôt, le jeune trentenaire républicain Aaron Schock, élu de l’Illinois à la Chambre des représentants des Etats-Unis, faisait la couverture, chemise ouverte et abdominaux en évidence, du journal Men’s Health. Des tendances exhibitionnistes parfois raillées mais payantes.

Politique musclée. Un président qui surfe à Hawaï, un maire qui crawle dans l’Hudson, un sénateur qui pose torse nu… Pour séduire les électeurs, les politiques américains font de leur corps un message de puissance. Et ça marche.

L’athlétique sénateur républicain Scott Brown en pleine démonstration de crosse.

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S

cott Brown n’a pas encore officiellement

confirmé sa candidature au poste de sénateur de l’Etat du New Hampshire que la Maison Blanche est déjà sur les dents. A 54 ans, l’ancien sénateur du Massachusetts est un républicain modéré, mais aussi un triathlète aux allures de gravure de mode, habitué à se faire photographier torse nu. Ancien mannequin, il a posé dans le plus simple appareil dans les pages du magazine Cosmopolitan lorsqu’il était étudiant. Aujourd’hui, il ne perd pas une occasion de mettre en évidence sa silhouette sportive. Cet hiver, il a plongé en maillot de bain dans l’eau glaciale de Hampton Beach. Le fringant quinqua enchaîne également les messages sur son compte Facebook relatant ses fréquentes séances de sport à

de Jersey city, une ville gangrenée par le crime et la corruption, le candidat démocrate victorieux, Steven Fulop – un extradeur de la banque Goldman Sachs, ancien marine – a tourné un clip de campagne où on le voyait nager dans l’eau glacée de l’Hudson River, crawlant de Jersey City à Manhattan, aller-retour. « Je ne pensais pas que ce serait très efficace pour démontrer sa capacité à diriger une ville, j’avais manifestement tort », a déclaré, un brin dépité, son adversaire, Jerramiah Healy, qui avait pourtant pu compter sur le soutien officiel du président Obama. Quelques semaines plus tard, Steven Fulop descendait en rappel un immeuble de 35 étages. Un exploit destiné à récolter des fonds pour une œuvre de bienfaisance. Un an plus tôt, en avril 2012, le charismatique Cory Booker, à l’époque maire de la ville de Newark, âgé de 45 ans, s’était illustré en se précipitant dans un immeuble en feu pour sauver une femme des flammes. Ce qui lui valut le surnom de «Superman». Il a été élu sénateur des Etats-Unis en octobre 2013. Pour barrer la route à l’athlétique Scott Brown, Barack Obama est monté au front fin mars en déclarant qu’il devrait « descendre un peu plus au sud, au Texas, là où le pays a plus besoin de modérés ». Les élections de mi-mandat, qui se dérouleront en novembre prochain, donnent en effet des sueurs froides au camp démocrate. Il ne manque que six sièges aux républicains pour reprendre la majorité au Sénat et paralyser la fin de la présidence de Barack Obama.

Louise Couvelaire

5 avril 2014

Jim Rogash/Getty Images/AFP

en mai 2013, lors de sa campagne pour la mairie



La semaine.

ils font ça comme ça!

I

Ls sont AssIs suR LE boRd dE LA sCènE. Tout

autour d’eux, le studio d’enregistrement n’est que lumières blanches, bleues, rouges. Paradise et Diverse ont chacun un micro au poing et chantent, accompagnés d’un orchestre mêlant instruments occidentaux ou traditionnels afghans. Les deux jeunes gens sont les rappeurs de Kaboul. Un couple adulé et abhorré. Elle, Paradise, blonde décolorée, doit son nom au choix d’un père excentrique. Lui, Ahmed, bouc taillé et foulard roulant sur sa marinière, se fait appeler Diverse, car la diversité, il aime ça. « Je veux être différent », s’esclaffe-t-il. Différents, Paradise et Diverse le sont assurément. Ce jour de mi-mars, les deux rappeurs, couple sur scène comme à la ville, enregistraient leur composition dans les studios de la boîte de production Awaz. Plafonds hauts, tables de mixage et décors de cinéma – la maison produit de la musique comme des séries télé – le complexe est plutôt insolite dans ce quartier populaire niché au pied de la colline Wazir Akbar Khan. Paradise et Diverse ont grandi en exil, en Iran. Ils en sont revenus les idées larges, comme la plupart des réfugiés afghans frottés au monde extérieur. Et aujourd’hui ils chantent l’amour. Sous les flashs du studio d’Awaz, ils célèbrent le « doux baiser que je n’oublierai jamais ». Ils ont d’ailleurs baptisé leur groupe 143 Band. Les chiffres correspondent au nombre de lettres contenues dans les mots fétiches: I (une lettre) love (4) you (3). Peu importe la pluie glacée qui transforme Kaboul en patinoire de boue. Peu importe la guerre qui gronde aux portes de la cité. Paradise et Diverse

clament leur « 143 » comme un slogan rageur et tendre. Et quand ils ne chantent pas les fièvres du cœur, ils exaltent celles de la justice, de l’égalité, de la liberté. C’Est PEu dIRE quE LEs dEux RAPPEuRs dE KAbouL sentent le soufre. S’ils ont leurs fans dans la jeunesse urbaine, ils ont aussi de farouches ennemis. Leurs ennuis ont commencé il y a quelques années à Herat, la ville de l’ouest afghan qui les avait accueillis à leur retour d’Iran. Diverse a été attaqué au gourdin dans la rue. Ils ont dû fuir et se faire oublier au Tadjikistan. Dans ses chansons, Paradise parle beaucoup des droits des femmes. Un drame l’a récemment frappée de près: une cousine d’Herat s’est immolée par le feu car elle refusait le mari que ses parents voulaient lui imposer. Alors, elle chante l’amour universel. Elle chante les femmes d’Afghanistan. Elle est convaincue de sa mission: « Nous avons des choses nouvelles à apporter à la jeunesse afghane. » Elle s’est habituée aux menaces reçues par SMS ou envoyées sur la page Facebook du couple. On la traite de prostituée. On lui enjoint de se taire. Elle s’en fiche. « Je continuerai autant que je le pourrai. » D’autres, qui l’ont devancée sur la scène de Kaboul, ont déjà fui l’Afghanistan. Elle ne l’imagine pas. L’exil, elle connaît déjà, c’est derrière elle. Frédéric Bobin

AfghAnistAn

D’amour et de rap.

ils se nomment Paradise et Diverse et, avec leur groupe de rap, 143 Band, ils chantent l’amour, la liberté et les droits des femmes. Des valeurs transgressives dans un pays conservateur qui ne leur valent pas que des fans.

Le symbole du vote.

L

es organisateurs de l’élection présidentielle afghane, dont le scrutin verra s’opposer, le 5 avril, huit candidats pour succéder à Hamid Karzaï, au pouvoir depuis 2001, ont entrepris de prendre en compte les nombreux électeurs n’étant pas en mesure de déchiffrer les bulletins de vote. La Commission électorale indépendante (IEC) a donc demandé aux postulants de choisir parmi plusieurs symboles, qui seront accolés à leur nom et leur photo sur les affiches de campagne et le matériel électoral. L’un des trois favoris, Zalmai Rassoul (photo), ancien ministre des affaires étrangères, a opté pour une radio comme signe de reconnaissance. « Chaque famille afghane en possède au moins une chez elle et c’est la source d’information clé dans les villages », a expliqué à l’AFP Javed Faisal, son porte-parole. L’IEC a dû également faire preuve d’imagination pour trouver un emblème à chacun des milliers de candidats à l’autre scrutin du 5 avril, qui doit renouveler les 34 conseils provinciaux. C’est ainsi qu’antennes satellites et perroquets défient taille-crayons ou pompes à essence. Aref Karimi/AFP. Wakil Kohsar/AFP

Franck Berteau

9 décembre 2013 : le groupe 143 se produit à l’ambassade de France à Kaboul, lors de la semaine des Droits de l’homme.

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5 avril 2014


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La semaine.

Marc Beaugé rhabille… Stromae.

L

A BELgiquE SE DiSTinguAnT BiEn pLuS pAR SOn SEnS DE L’huMOuR que

par celui de l’élégance, il n’est pas surprenant d’observer que sa vedette nationale arbore en permanence un accessoire faisant partie intégrante de la panoplie traditionnelle du clown. A défaut de nez rouge ou de fleurs en plastique projetant un jet d’eau dans le visage du voisin à la moindre pression, Stromae collectionne les nœuds papillon. Généralement fins et assortis à une autre pièce de sa toilette, ceux-ci sont loin d’être anodins dans la panoplie du chanteur. Dans le contexte belge, les nœuds papillon de Stromae apparaissent chargés d’un sens politique fort. En effet, le truculent premier ministre belge Elio Di Rupo affiche lui-même, depuis de longues années, un nœud devenu au fil du temps un logo. De la même façon qu’un artiste français ne pourrait porter indéfiniment une chevelure corbeau huilée au Pétrole Hahn ou une cravate de travers sans que l’on finisse par y voir un soutien sans faille au président Hollande, il est difficile de ne pas lire dans la passion de Stromae pour les nœuds pap’ un clin d’œil au chef du gouvernement. Chez le chanteur, comme chez Di Rupo, l’accessoire matérialise la même recherche de singularité. Au milieu de leurs congénères portant la classique cravate ou avançant le cou dénudé, les deux hommes se montrent ainsi différents et libres, assumant tant leur sexualité que leurs origines, leur style musical ou leur goût

vestimentaire. En portant un nœud papillon, Stromae nourrit donc son univers esthétique, en même temps qu’il se simplifie la vie. CAR LE nœuD pApiLLOn pRéSEnTE COnCRèTEMEnT bien des avantages. Ainsi, les serveurs l’exhibent encore très volontiers, plutôt qu’une cravate, car celui-ci ne traînera jamais dans l’assiette de potage d’un client. De la même façon, les architectes et les médecins le privilégiaient traditionnellement car il ne venait jamais les gêner sur une table à dessin, ni ne chatouillait l’intestin d’un patient en train d’être opéré de l’appendicite. Stromae lui-même s’évite bien des tracas. En favorisant le nœud papillon, il s’épargne qu’une fan enragée ne l’étrangle un jour en tirant sur sa cravate ou ne vienne tout simplement la lui couper à coups de ciseaux, dans un élan de violence chargé de désir sexuel, comme le pratiquait un temps la célèbre Patachou. Surtout, il gagne chaque matin un temps précieux. Car les modèles de nœud qu’il arbore sont prénoués et équipés d’un petit élastique permettant de les glisser autour du cou en un geste simple et rapide. Formidable, n’est-ce pas ?

Le buzz du Net Come-back mortel.

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ort depuis cinq ans, Michael Jackson n’en continue pas moins de faire les affaires de sa maison de disques. Après Michael, en 2010, Epic Records a annoncé la sortie le 13 mai d’un deuxième album posthume du « roi de la pop », baptisé Xscape. Composé de huit titres inédits, enregistrés avant la disparition de l’artiste puis remaniés par des producteurs, le disque a ému comme il se doit les réseaux sociaux. Sur Twitter, des internautes ont assuré s’être jetés sur le précieux opus, disponible en précommande depuis le 1er avril. « Je vous prédis une tuerie », a prophétisé @atkati sur le site de microblogging. Tous les fans pourront-ils supporter l’attente ? Le malheureux @iamDazzer se pose la question : « Oh mon dieu, je suis tellement impatient »… On aura tout de même repéré quelques Twittos prompts à pointer la dérive commerciale. « Nouvel album de #MichaelJackson 5 ans après sa mort… bien sûr l’argent n’a rien à voir là-dedans », a commenté @laurentpat.

Bertrand Guay/AFP

Franck Berteau

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Illustration Peter Arkle pour M Le magazine du Monde – 5 avril 2014


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La semaine.

La photo

L’Ukraine du côté obscur. Ceci n’est pas une assemblée de fans de Star Wars mais le congrès du Parti ukrainien de l’Internet (UIP) qui a, le 29 mars, désigné le maléfique Dark Vador comme son candidat à la présidentielle du 25 mai. « Moi seul peux faire un empire de notre république », a déclaré seigneur Vador dans un communiqué. L’UIP prône un gouvernement électronique, une transition vers les médias numériques et l’organisation de cours d’informatique gratuits pour tous.

Cyber regard.

La réalité virtuelle devient une réalité tout court. De Facebook à Sony en passant par Google, c’est à qui proposera les lunettes les plus futuristes.

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Facebook voit Sony joue sur Google frime la vie en ligne l’innovation en Ray-Ban

Le 25 mars, Facebook a racheté – pour 2 milliards de dollars – Oculus VR et son casque « d’immersion » pour jeux vidéo. Il permettra à ses utilisateurs de « vivre l’impossible ». Mais aussi d’assister à des cours virtuels, de consulter un médecin à distance, faire des achats dans un magasin virtuel.

Sony a dévoilé le 19 mars Morpheus, un casque de réalité virtuelle pour sa console PlayStation 4. Le groupe japonais dit avoir été « encouragé par des réactions enthousiastes » suscitées par les équipements similaires de start-up comme Oculus VR.

A compter de 2015, il sera possible, en France, de remplir un constat amiable sur smartphone et non plus seulement sur un formulaire spécifique. Accessible au moyen d’une application, ce document sera transmis en temps réel – éventuellement accompagné de photos et de croquis – à la société d’assurance. Selon les représentants de la profession, qui traitent chaque année cinq millions de constats amiables, cette procédure devrait permettre de raccourcir les délais de gestion des dossiers, notamment d’envoyer plus rapidement un expert. La transition vers l’e-constat risque cependant de ne pas être très rapide. Le journal Les Echos rappelle qu’aux Pays-Bas, où cette possibilité existe depuis 2010, seuls 5 % des constats sont réalisés par smartphone. J.-M. N.

Les Google Glass, lunettes interactives qui permettent de prendre des photos, de surfer sur le Net ou de consulter ses mails, existeront en version Ray-Ban. Le 25 mars, Google a signé un accord en ce sens avec le groupe italien Luxottica.

J.-M. N.

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Alex Kuzmin/Reuters. Getty Images. Lucas Jackson/Reuters. Jeff Chiu/AP. Leon Neal/AFP.

Un constat téléphoné.



La semaine.

Les questions subsidiaires

Les Smileys sont-ils racistes ?

Plus de 4000 internautes ont signé la pétition lancée par la plateforme DoSomething.org, dénonçant la présence de seulement deux personnages de couleur – sur un total de 800 – parmi les Smileys disponibles sur les appareils dotés du logiciel d’exploitation d’Apple, iOS. Vice-présidente du groupe, Katie Cotton a fait amende honorable, estimant que « nous avons en effet besoin de plus de diversité ». En 2012, des couples homosexuels avaient fait leur apparition parmi ces pictogrammes, appelés emojis. Jean-Michel Normand

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Faut-il voyager pour ovuler ?

L’agence de voyages Spies Rejser, surfant sur l’inquiétude récurrente liée au faible taux de natalité au Danemark, a lancé une campagne publicitaire encourageant les Danois à voyager, si possible dans une ville « romantique » comme Paris. Une étude souligne en effet que leurs rapports sexuels augmentent de 46 % pendant les vacances. Dans la foulée, l’agence propose une « réduction ovulation » : les femmes dont l’enfant aura été conçu pendant des séjours réservés par l’agence gagneront trois ans de fournitures de produits pour bébé. J.-M. N.

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Le FN méritet-il un jumeau ?

Capture d’écran web. Plainpicture/fstop. Plainpicture.

Hugues Bayet, le

bourgmestre socialiste de Farciennes, une cité industrielle proche de Charleroi, en Belgique, a annoncé le 31 mars son intention de suspendre le jumelage de sa ville avec celle de Beaucaire (Gard), conquise par le parti de Marine Le Pen. « Nous ne pouvons continuer de travailler avec des gens qui développent de telles thèses », a souligné l’édile. La municipalité d’Arlon, dans la province du Luxembourg belge et jumelée avec Hayange (Moselle), a, elle aussi, fait savoir que les élus frontistes de la commune française ne seront pas les bienvenus.

Peut-on gagner sa vie en faisant la queue?

Robert Samuel, un New-Yorkais de 38 ans, vient de créer son agence spécialisée… dans les files d’attente. Soit un «mannequin» qui fait la queue pour vous. Au tarif de 25 dollars la première heure d’attente devant les restaurants à la mode ou les billetteries de spectacle, puis 10 dollars chaque demi-heure supplémentaire, son entreprise fait florès. Pour son premier job, lors de la sortie du dernier iPhone, Robert Samuel avait touché 430 euros, après dix-neuf heures de patience. F. Be.

Que fait la police ?

Au collège Dorseyville,

à Pittsburgh (Etats-Unis), un élève de 14 ans a découvert comment réduire les dépenses de son établissement : changer la police de caractère utilisée pour les documents officiels. Suvir Mirchandani a établi que le Garamond était bien moins gourmand en encre que ses concurrents Times New Roman, Arial ou Calibri. Appliqué à l’échelle nationale, ce constat, salué par l’université Harvard, pourrait alléger le budget de l’administration américaine de 360 millions de dollars (plus de 260 millions d’euros) chaque année. F. Be.

Franck Berteau

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Juste un mot En même temps.

A

u bureau, au café, en famille, partout,

posé en début de phrase, « en même temps ». Nous vivons des temps d’« en même temps ». Ecoutez ce tic, proliférant plus vite dirait-on depuis la crise de 2008. Bâtard de « cependant », il rythme, avec son copain « du coup », toutes nos conversations sans que nous y prenions garde. Au pays du « en même temps » – ou plutôt du « emmemtan » – tout se vaut à peu près, tout est relativisé. Dans le monde du « en même temps » les événements existent en simultané, superposés grâce à la technologie ; tout est « normal », ambivalent ; c’est le triomphe de l’homme moyen décrit par Gilles Châtelet dans Vivre et penser comme des porcs, l’homme moyen qui se méfie des excès, déteste tout ce qui dépasse. Le triomphe du relativisme aussi. D’ailleurs, n’est-ce pas, sur Internet tout est pareil, le vrai, le faux, toute info, toute parole est équivalente. Alors, emmemtan… « J’ai eu mon bac avec mention. En même temps, c’était facile. » « Jean-Luc a quitté le plateau de TF1. En même temps, il faut le comprendre, ils ne donnaient pas ses résultats, il avait les boules. » Partout, vous dis-je. Tendez

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l’oreille. Des échanges les plus futiles aux plus nip’ tranquille, un « donc » ou un « par conségraves. Deux jeunes fashionistas dans un café quent » de tous les jours. Un ergo latin rapide de l’avenue Kléber : « Et donc, je vais pour ache- mais assez relâché, assez peu élégant. Le ter les escarpins rouges chez L…, j’y croyais pas: les « coup » raconte des choses légèrement vulsoldes étaient finis ! En même temps, ils étaient trop gaires (monter, boire, réussir, tirer… un coup) classe. Du coup, j’ai pris les gris et les rouges. » La même si Aragon l’emploie dans Les Beaux copine opine. « T’as trop raison. J’aurais fait Quartiers en 1936 à la place de « à la suite de pareil. En même temps, c’est pas comme si t’étais quoi » et Mauriac en 1928 en lieu et place de « par voie de conséquence » dans La Vie de accro au shopping. » la semaine dernière, j’ai entendu aussi : « Et donc Jean Racine. Mais dans les deux cas le « du j’arrive à mon bureau de vote et là ils me disent que coup » arrive en milieu de phrase. L’épidémie j’ai été radié. Du coup, j’ai pas pu voter. En même actuelle se propage en début de propos. Du temps, dans le 16e, la droite passe toujours au pre- coup, ça énerve. En même temps, comme dimier tour, alors… » Oui, voter, choisir, trancher. sent mes correspondants et commentateurs Bof… Cohabitons. Juxtaposons plutôt. Comme sur le site, il faut bien qu’une langue vive. disent les politiques, on a perdu mais on a ga- Sans doute, sans doute… gné. Ou les sportifs : on a perdu, mais on a retrouvé nos fondamentaux, « la pire saison et en même temps Voter, choisir, trancher, bof… la plus belle ». Positivons, mes frères. Le chômage Cohabitons. Juxtaposons plutôt. Comme explose, en même temps, disent les politiques, on a perdu mais il y a partout des gens formidables. « En même on a gagné. Ou les sportifs: “La pire saison temps… voilà, quoi… », et en même temps la plus belle.” comme un refrain dialectique mou. Récemment, un mien ami, Nicolas R., traducteur émérite, m’interpelle « Et “du coup”, qu’est-ce que tu en penses de “du coup” ? » Il insiste, en souriant : « Je me demande si le “du coup” n’introduirait pas artificiellement une sorte de dynamique de causalité. » Je lui dis mon envie d’épingler plutôt l’invasion d’« en même temps ». Il me rétorque : « Du coup, tu pourrais traiter, en même temps, de “du coup” et d’“en même temps”; et en même temps, si tu parles de “du coup”, “en même temps” n’est pas loin. » Où l’on voit que je connais des gens qui savent le vrai poids des mots. « Du coup » est apparu dans nos phrases à peu près à la même époque qu’en même temps. Comme le dit Nicolas, on est là dans la causalité forcée, une petite ma5 avril 2014

Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde

Par Didier Pourquery


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Le Magazine / Portrait / Analyse / Reportage / Enquête / Portfolio /

2002-2014 Voyage en terres frontistes.

Frédéric Janisset/Ask Images

Grand reporter au “Monde”, Benoît Hopquin a eu l’occasion de sillonner depuis douze ans la France sur les traces du vote FN. Du mutisme aux confidences murmurées jusqu’au soutien clairement affiché en public, il a vu s’opérer la mue d’électeurs de plus en plus fiers de leur vote. Par Benoît Hopquin

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Sécurité et immigration restent les thèmes de prédilection du FN. En 2007, 75 convives assistent au « dîner patriotique » de Bruno Gollnisch, à Auxerre.

Manifestation contre l’arrivée de migrants tunisiens en provenance de Lampedusa, à la frontière francoitalienne, en juin 2011. 50


le magazine.

sécurité. Ils évoquaient l’exemple du bahut devant lequel ça dealait désormais, au vu et au su de la police impuissante. Ils rappelaient le gros fait divers bien glauque qui avait fait accourir les médias parisiens et foutu la honte à toute une communauté.Les médias,les journalistes,parlons-en,tiens, sauf ton respect… Ils racontaient aussi les petits arrangements entre amis de l’inamovible maire ou du cacochyme député,réélu par la force de l’habitude ou d’un clientélisme forcené, entre deux inaugurations de salles polyvalentes ou de ronds-points payés avec leurs impôts. Le Front national était alors un truc évanescent, un phénomène inavouable. Il montait à chaque élection – 5, 10 et bientôt 15 % – mais impossible de rencontrer une personne qui revendique ce bulletin. Des fantômes qui semblaient n’exister que dans l’intimité de l’isoloir, un dimanche par-ci par-là, puis qui s’évaporaient dès le lundi. ller à la rencontre des Ils ne se déclaraient surtout pas, ceux-là, sous peine de électeurs du Front natio- passer pour des fachos. Ils se méfiaient même des sonnal est un voyage en terra dages, plongeant dans le désarroi les diplômés en sciences incognita et un retour aux politiques qui tentaient de cerner leur nombre par divinasources. C’est revenir au tion et ajoutaient à la louche des points supplémentaires pays d’enfance, dans des aux déclarations d’intention. On savait juste que ce vote lieux qui ressemblent avait muté et migré des grandes villes vers d’autres aires comme deux gouttes géographiques, de simples points parfois difficiles à situer d’eau à ceux où on a vécu.C’est se replonger dans ce terreau sur une carte : Dreux, Saint-Gilles, Vitrolles… Des comde petites gens où on a poussé, avant d’en être arraché par munes aussitôt frappées d’anathème. les hasards de la vie. C’est retrouver un vocabulaire, des Et puis il y eut le 21 avril 2002 et Jean-Marie Le Pen au formules, un ton qui sont une empreinte sociale, autant second tour de l’élection présidentielle. Le « séisme », le qu’un vêtement, et bien plus qu’un compte en banque. « choc », selon les manchettes consacrées. Un peu partout A la fin du siècle dernier, des études dans la grande ville dans le pays, lié à une forte abstention – un silence qui en voisine, un exil parisien, des tonnes de reportages au long disait long –, le coup de gueule lepéniste grimpait à 20, 30 cours nous avaient éloigné de cette France-là. On y passait ou même 40 %. C’est peu dire que les rédactions avaient et repassait avec un immense plaisir, le temps d’un week- raté le coche, elles n’avaient rien vu venir. Suivit une somend familial ou d’une visite amicale. Mais ce n’était pas la mation : rencontrer ces électeurs. On oublia l’avion des même chose. On était devenu un touriste mêlant nostalgie grands reportages. On s’enfonça, en voiture, forcément en et suffisance. On trouvait même l’endroit de plus en plus voiture, dans cette France loin des gares TGV et souvent coquet – peu importe son nom, il vaut pour mille autres. même des sorties d’autoroute. Le centre-ville s’était bonifié, avec ses rues piétonnes pleines de boutiques franchisées, ses cafés-terrasses et ses on alla au plus facile et, incidemment, au plus agréable : la vieilles pierres décapées ou recrépies pour attirer les tou- Camargue.Au milieu de paysages magnifiques, Beaucaire, ristes. Chaque fois, il y avait de nouveaux pavillons à la Saint-Gilles, Vauvert étaient déjà de vieilles terres d’élecpériphérie et une nouvelle grande enseigne à l’entrée de tion du FN. Saint-Gilles avait même eu un maire frontiste la ville, Leclerc, Roche-Bobois, Gamm vert, avec des voi- entre 1989 et 1992, le premier dans une ville de plus de tures neuves sur le parking. De quoi passer d’agréables 10000 habitants, Charles de Chambrun, un aristo parisien, un ancien ministre gaulliste en rupture de ban. Dans cette samedis derrière un Caddie ou une tondeuse. Régulièrement, on retrouvait avec bonheur ceux qui place forte, on s’enquit donc d’une explication de vote. étaient restés, les copains du lycée ou les potes du foot, en Peine perdue. Ce furent des journées de vaine errance, à se disant qu’ils avaient peut-être eu bien raison de s’accro- ne trouver que visages fermés et portes closes. Personne cher, qu’ils étaient plus heureux que le « Parigot ». Eux, ne voulait parler mais, dans cette désespérante déambules amis, disaient que les choses avaient changé, en effet, lation, tout était inscrit dans la géographie. A Saint-Gilles, mais pas forcément en bien. On avançait à reculons, à les les deux cafés « arabes » faisaient face aux deux cafés entendre. «Ici, c’est un peu mort, mon vieux.» Ils parlaient « gaulois », avec, entre, un bout de bitume qui était une des deux usines de sous-traitance automobile qui étaient ligne de démarcation, un mur idéologique. A Beaucaire, en train, l’une de fermer, l’autre de délocaliser, des maga- dans les remparts au-dessus du Rhône, quand d’une voisins qui tenaient six mois et puis changeaient de proprié- ture dégorgeaient à fond des airs de rap ou de raï, des vitaire ou restaient avec la vitrine barrée d’un « local à cé- sages se durcissaient sur les trottoirs. A Vauvert, en 1999, der ». Ils parlaient de l’un qui galérait en intérim, de l’autre cette exaspération latente avait dégénéré le temps d’un qui était parti à son tour ou de celui qui avait eu la chance week-end en bataille rangée entre des jeunes de la péride décrocher un emploi public ou un travail dans la santé, phérie et des habitants du centre-ville. Voitures brûlées, les seuls emplois un peu pérennes. La culture avait foutu vitrines fracassées, saccage. En face, on avait sorti les fule camp. Le cinéma avait fermé. Les vedettes de la chan- sils. Un garçon de 19 ans avait été tué. Depuis, ces deux son, les pièces à succès n’incluaient plus la salle munici- mondes se regardaient en chiens de faïence. pale dans leur tournée. Pour qui n’aimait pas trop lire, ne On tenta sa chance auprès des chasseurs, lobby non néglirestait que la télévision, anxiogène par excellence. geable dans la région. On les avait rencontrés quelques Des connaissances disaient qu’ils se sentaient moins en années plus tôt, à l’occasion d’un débat enragé sur la •••

Michael Zumstein/Œil Public pour Le Monde. Julian Renard/Babel Photo

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Un électeur sur trois se promenant dans ces rues votait Front national. C’était arithmétique : on en trouverait un. Mais la tentative vira au fiasco.

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nord de la France et qui voyaient le Sud en pays de Cocagne. Des familles entières mettaient leur maigre avoir dans des camionnettes et descendaient vers le soleil. Ils se garaient devant la mairie et demandaient un logement social, comme si tout était si simple. Pour ne pas les laisser à la rue, on les installait dans un bungalow du terrain de camping. Pour contrer le Front national, à Beaucaire, à Vauvert ou à SaintGilles, les élus républicains, de droite ou de gauche, avaient mis en œuvre un discours ultrasécuritaire, bien avant Sarkozy et Valls. Chaque commune comptait vingt policiers municipaux pour 10000 habitants. La délinquance baissait, disaient-ils, mais pas la grogne. Quelques cités, Sabarot à Saint-Gilles, les Bosquets à Vauvert, étaient montrées du doigt, remplies de fils d’immigrés venus aux grandes heures du maraîchage. Contrairement à l’anonymat des grandes villes, chacun ici connaissait la demi-douzaine de familles qui posaient problème. On savait les noms et les bobines des marlous qui vivaient officiellement de l’aide sociale mais paradaient dans de grosses voitures. Régulièrement, les maires s’insurgeaient contre les juges nîmois quand ces administrés peu recommandables, arrêtés puis déférés, se retrouvaient libres le lendemain. Tout ça, ce mal-être, cette pauvreté, cette défiance réciproque, c’était visible mais muet. A Béziers, où on tenta plus tard sa chance, ce fut le même silence lourd de sous-entendus. En 2002, on se rendit dans le quartier de La Devèze, patchwork d’habitants d’origine pied-noir, gitane ou maghrébine. Un électeur sur trois se promenant dans ces rues votait Front national. C’était arithmétique : on en trouverait un. On traîna ses guêtres sur le marché, on sonda les cages d’escalier des immeubles des Oliviers, on rôda autour des maisons des Tamaris. Mais la tentative vira au fiasco. Jointe au téléphone, la représentante du Front national dans la circonscription évoquait « une marmite en ébullition » pour expliquer le succès de son parti dans ce lieu. Mais cette mère de famille sétoise parlait par ouï-dire: elle n’y avait jamais distribué un tract. Le vote FN montait tout seul, sans qu’il soit utile de mener campagne. Le maire évoquait « l’insécurité, toujours l’insécurité », la superposition et l’amalgame de plusieurs faits-divers médiatisés et d’incivilités exaspérantes. L’universitaire Jacques Rouzier relevait, lui, une cause plus profonde, qui pouvait s’appliquer à tant d’autres communes françaises. « La ville entretient le mythe d’un âge d’or, d’un paradis perdu », expliquait-il. Béziers souffrait de la comparaison avec Montpellier, la grande concurrente qui connaissait depuis vingt ans une enviable croissance économique et démographique. Comme toutes les grandes métropoles régionales, Montpellier drainait vers elle l’énergie créatrice, aspirait la jeunesse cultivée, plongeant dans la déprime les villes et les campagnes dans son orbite qui, par comparaison, se sentaient à la traîne et même sur le déclin.

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en ces années d’omerta.A Parly, dans l’Yonne, une commune de 900 habitants, Daniel Montaut, un maire roulant en 2 CV, s’interrogeait toujours quelques années après le 21 avril 2002. Sa commune était un havre de sérénité, dispersant ses maisons dans 2 000 hectares de forêts, au cœur de cette Puisaye naguère décrite par Colette. Une école, une église du xiie siècle, une boulangerie-épicerie, une auberge du Cheval-Blanc, huit agriculteurs, un éleveur d’escargots, 300 retraités. Bref, la France tranquille, s’il en est, un gros bourg charmant qui avait de tout temps voté pour la droite modérée avant de porter d’un coup d’un seul Le Pen au pinacle. Daniel Montaut ne sut jamais pourquoi. « Ici, les gens parlent de politique avant les élections. Après, c’est fini. » Il en était réduit aux conjecaigre pêche, frustrante chasse

France Keyser/MYOP

••• période de chasse que Paris et les écolos entendaient raboter. Le temps d’une passée de canards, près de l’étang de Vaccarès, dans les fragrances des tamaris et de la lotion antimoustique, ils avaient raconté l’art de vivre camarguais qu’ils disaient menacé. Ouvriers à l’usine d’embouteillage Perrier de Vergèze, à Salinde-Giraud ou dans les docks de Fos-sur-Mer, ils vivaient de modestes salaires. Sans prétention ni ambition, ils compensaient l’avoir par l’être, chérissaient un mode de vie autour du soleil, de la nature, de la tranquillité et d’une convivialité qui était aussi un entre-soi. Ils vivaient dans la nostalgie ou le mirage du passé, se plaignaient amèrement du présent et ne voulaient même pas penser au futur. C’était un pêle-mêle de doléances. Les emplois qui étaient hier stables, sécurisés de père en fils, devenaient précaires quand ils ne disparaissaient pas d’une génération à l’autre. Et puis on ne pouvait plus laisser les clés sur sa voiture quand on s’arrêtait prendre son pain, il fallait trimballer son autoradio avec soi pour ne pas se le faire piquer. Il y avait le législateur parisien, ce personnage hautain et lointain, qui rognait leurs libertés une à une. Ces interlocuteurs disaient alors que leur colère prendrait la forme unanime d’un bulletin de vote Chasse, pêche, nature et traditions. Au soir du 21 avril, on découvrit le subterfuge : beaucoup avaient voté Le Pen. On les recontacta donc. Si cordiaux et loquaces hier, les chasseurs étaient à leur tour devenus taiseux, renfrognés. Fin de non-recevoir. A la présidentielle, Jean-Marie Le Pen avait réuni plus d’un électeur sur trois dans cette région entre mer et terre. Mais à Saint-Gilles, le Front national n’avait pas pu trouver un assesseur pour chacun des bureaux de vote. Sur le marché de Vauvert, on n’avait jamais vu une distribution de tracts. Pour les législatives suivantes, en juin 2002, le parti nationaliste n’eut à présenter dans cette circonscription gagnable qu’une commerçante, une marchande de poisson au discours sans fioritures. « Il faut se débarrasser de ces parasites, purger le pays de ces nuisibles ! Ils polluent la France ! », écrivait-elle après l’agression d’un Beaucairois de souche par des jeunes issus de l’immigration. Devant le mutisme général, pour donner de la chair à ce vote invisible, il fallut donc s’en remettre à l’explication des maires. Ils parlaient d’un vote protestataire, évoquaient des frondeurs plus que des frontistes. Ils alignaient quelques chiffres : entre 15 % et 20 % de chômage, 25 % de logements sociaux, 64 % d’administrés non imposables. Ici, la misère s’ajoutait à la misère. Régulièrement, débarquaient de nouveaux pauvres, venus du


le magazine.

de gêne, de sous-entendus. « Je prends! », « Pas de problème! », « C’est ma copine ! », « Il faudrait qu’elle vienne remettre un peu d’ordre en France ». Rares étaient ceux qui refusaient la feuille. Ceux-là le faisaient en baissant la tête ou en s’excusant : « Chacun Puis, au milieu des années 2000, la parole lepéniste commença à ses goûts mais ce ne sont pas les miens »; « Ils sont tous pareils et elle émerger au grand jour, peu à peu désinhibée par les succès élec- ne fera pas mieux que les autres. » Les marchands, souvent d’origine toraux. Elle tentait de se faire respectable, par l’intermédiaire nord-africaine, saisissaient les tracts, parfois en acquiesçant à son d’une nouvelle génération de cadres du parti, des notables locaux contenu. Devant l’usine Tata Steel, l’accueil était également favoqui lui donnaient une onction, pour ne pas dire une respectabilité. rable, du moins sans hostilité affichée. Un syndicaliste vint même Ils dénonçaient toujours la bien-pensance mais pesaient leur dis- discuter le bout de gras. Il y avait beau temps que le PS et l’UMP cours au trébuchet du politiquement correct, proscrivaient les n’osaient plus venir ici faire campagne: trop de promesses non dérapages verbaux. On les appelait et ils se rendaient immédia- tenues les avaient rendus personnæ non gratae. tement disponibles, courtois, serviables. Richard Jacob, un quadragénaire rencontré en 2007 à Auxerre, figurait assez bien ces téPhane lorménil, un négociant en vin, un nouveaux caciques. Cet homme d’affaires versé dans l’immobivieux militant, pavoisait. « Avant, il était dur lier affichait ses opinions sans que cela nuise à son commerce. « Nos idées passent de mieux en mieux », se réjouissait-il. Pour le d’avouer que vous étiez au FN. Nous collions prouver, il nous emmena à un tractage avec d’autres militants sur les affiches la nuit. Aujourd’hui, on le fait en le marché de Chablis, une ville prospère où le FN faisait pourtant plein jour sans rencontrer d’agressivité. Mes des scores étonnants. Si certains refusaient ostensiblement les clients, mes amis, tout le monde connaît mes tracts ou les roulaient rageusement en boule, d’autres s’en saisis- idées et personne ne m’en fait reproche. » Assis à une table dans un saient sans rien dire et le fourraient dans leur sac à provisions. café, Fabien Engelmann serrait les mains qui se tendaient vers lui. Entre ceux-là, se nouaient des conversations à demi-mot, des Cet ancien militant trotskiste et responsable CGT avait viré sa cuti approches prudentes jusqu’à ce qu’on se découvre en terrain en octobre 2010 et adhéré au FN. Il développait ici un discours étatiste et protectionniste, en phase avec cette région victime de complice et qu’on déclare enfin son opinion, sa flamme. Quelques semaines plus tard, lors d’un « dîner patriotique » orga- la mondialisation. Ce trentenaire ambitieux regardait la mairie, de nisé dans un restaurant d’Auxerre, les langues se délièrent aussi. l’autre côté de la place, son fronton flanqué d’une banderole : « La Les 75 convives étaient venus écouter Bruno Gollnisch, un ténor sidérurgie vivra ». Les autres partis, UMP, PS et même Front de du parti, pas encore tombé en disgrâce. Dans un décor tradition- gauche, se retrouvaient sur la défensive face à ces jeunes loups. Ils nel, poutres apparentes et cheminée de 1541, ces électeurs écou- les disaient prêts à toutes les démagogies, à toutes les promesses, tèrent l’orateur, l’oracle, parler d’insécurité et de préférence nationale. « Il dit comme on pense », glissait un voisin de table. Puis, dans ce cercle restreint, les « banqueteurs » se lâchèrent à leur tour entre le jambon braisé et le fromage. Artisan, salarié agricole, infirmière, employée de la Sécurité sociale, commerçant, elles et ils donnaient volontiers leur nom avant de se lancer dans des explications plus ou moins construites. Ils parlaient des « droits qu’on perd », « des retraites qu’on n’aura pas », « des étrangers qui nous pourrissent nos campagnes », « des charges qui nous tuent », « des points du permis qu’on nous pique », de ceux qui « cassent à Paris des choses que nous, les contribuables, devrons payer », etc. Et ainsi, année après année, on vit la parole se débonder sur la place publique. L’arrivée au premier plan de la fille Le Pen en 2011 ne fit que faciliter les « coming out ». On disait voter « Marine », ça passait mieux. Des personnalités nationales commençaient à mettre leur célébrité dans la corbeille de mariage.Le petit peuple se lâchait aussi. On le vit dans la vallée de la Fensch, à Hayange, au cœur de cette Moselle orphe- pérorant d’autant plus fort qu’ils n’avaient pas eu à faire leurs line de sa sidérurgie. Les hauts-fourneaux à l’arrêt étaient devenus preuves, que leurs recettes ne s’étaient pas encore frottées au réel. des cathédrales désolées qui envahissaient le paysage et obs- Ils constataient que le parti nationaliste emportait déjà la bataille truaient les esprits.Tout semblait s’être figé avec la dernière coulée des esprits. « Nous sommes obligés d’avoir un discours qui s’adapte d’acier d’Arcelor. La ville ouvrière était restée dans son jus des à ce que les gens ont dans la tête », regrettait un maire. « Autrefois, le FN était représenté par un vieux notable avec qui l’on pouvait discuannées 1970, au temps de la prospérité et de la fierté. Sur le marché, ce jour frisquet de 2011, les militants distribuaient ter. Aujourd’hui, ce sont des jeunes avec qui le débat de fond est impos••• des tracts annonçant un meeting à Metz de Marine Le Pen. Plus sible. Je dois affronter l’inculture », prétendait un autre.

tures, aux analyses au doigt mouillé. « Le niveau de vie n’est pas terrible et les électeurs ont pensé qu’aucun candidat ne se souciait de leurs problèmes quotidiens. Le vote Le Pen est un vote de rejet. »

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Opération séduction de la fédération FN du Gard, qui organise une ferrade en juillet 2011.

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Et ainsi le vote FN, un peu partout, passait des catacombes au grand jour. Il n’y avait plus guère que là où il avait éclos qu’il devenait clandestin: dans les cités des grandes villes.

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Et ainsi le vote FN, un peu partout, passait des catacombes au grand jour. Il n’y avait plus guère que là où il avait éclos qu’il devenait clandestin: dans les cités des grandes villes. Dans un grand ensemble de la région parisienne, deux électeurs de Marine Le Pen avaient ainsi organisé, en 2012, une rencontre qui ressemblait à une réunion secrète. Ils avaient requis l’anonymat et, sous cette condition expresse, s’étaient mis à raconter leur sentiment d’être invisibles.Ancienne employée dans un grand magasin et ex-salarié d’une imprimerie, ces retraités étaient arrivés dans ces immeubles au début des années 1980. C’était juste après leur construction, quand y habitaient les classes moyennes. Ils avaient vu leur environnement changer peu à peu. Les anciens locataires étaient partis les uns derrière les autres, remplacés par une autre population. Eux n’avaient pas été assez vigilants. Ils s’étaient retrouvés piégés, « enfermés dans un ghetto ». « Plus personne ou presque ne travaille », disait l’un. Une entrée était devenue un lieu de deal. « La police nous dit qu’elle ne peut pas intervenir car elle craint de mettre le feu aux poudres. » Ils parlaient des pères absents, des femmes qui se voilaient l’une après l’autre, de la grande misère sociale dissimulée derrière les portes blindées. Eux, les petits Blancs, voyaient la France comme leur cité, avec l’impression de devenir minoritaires, oubliés. « Tout le monde se fout de notre sort », se lamentaient-ils. Seule Marine Le Pen pourrait les tirer de là. Sur le seuil, ils nous remercièrent de les avoir écoutés.

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ans la grande rue commerçante du Quesnoy,

de nombreux pas-de-porte sont à louer. Seule la boutique qui vend des tenues de majorette semble résister au temps. Industrieuse à la grande époque du textile, cette petite ville du Nord, près de Valenciennes, vivote aujourd’hui dans des fortifications édifiées par Vauban. Aux dernières élections législatives, en 2012, le FN a atteint 37 % dans cet ancien fief socialiste. Mais c’est comme si ses idées étaient déjà majoritaires. Au bistrot, bien sûr, mais aussi ailleurs, elles s’expriment sans concurrence, comme le bon sens, l’évidence. Dans un restaurant qui affichait un menu à 12 euros, une dizaine de clients déjeunaient, ce jour de la fin 2013. A une table, quatre d’entre eux, un peu éméchés, parlaient à voix haute de « Marine », louaient ses qualités et ses idées. Les six autres personnes se taisaient, embarrassées, plongeaient le nez dans leur assiette. C’était une sorte de résumé de ce pays profond où un tiers des électeurs imposent désormais sa férule idéologique. On se souvint alors d’un autre déjeuner auquel on avait assisté un an auparavant, à Sucy-en-Brie, dans la grande banlieue parisienne. Sous de vieilles poutres, des militants étaient venus écouter Jean-Marie Le Pen. L’orateur comparait la France à une rivière, calme en surface, mais « travaillée dans ses profondeurs par un courant puissant ». L’image était belle mais dépassée. C’était avant, du temps de ses premières campagnes, du temps des bulletins anonymes, du temps où la parole lepéniste était confinée aux cercles intimes, à l’apéro ou aux files d’attente chez le boucher. Aujourd’hui, au contraire, on n’entend plus qu’elle. L’autre France en est réduite à se taire à son tour. Elle s’est rebiffée à Saint-Gilles, ce dimanche 30 mars. Un Front républicain a empêché l’avocat Gilbert Collard de devenir le deuxième maire FN de la commune. Il s’en est fallu de 194 voix. Ailleurs, à Beaucaire, Béziers, Hayange, le maire est désormais d’obédience Front national. Dans la salle polyvalente de SaintGilles, la foule s’est réjouie de ce revers. On tenta de recueillir quelques impressions. Les personnes avouaient leur soulagement ou leur bonheur mais ne souhaitaient pas donner leur nom. Douze ans après le 21 avril, le silence a changé de camp. 5 avril 2014

France Keyser/MYOP. Cyril Bitton/Divergence. France Keyser/MYOP

••• Et ainsi progressait le Front national, dans les urnes et dans les cerveaux, du nord au sud et d’est en ouest. Partout sur les routes, à l’arrière des panneaux de signalisation, les affiches représentant la blonde chevelure et le sourire de Marine Le Pen accompagnaient désormais les pensées.Au cœur du merveilleux écrin des Cévennes, Sumène n’était pas épargné. Dans ce gros bourg où les résistants Raymond et Lucie Aubrac avaient leur maison de vacances, l’église côtoie le temple, dans les méandres gracieux du Rieutord. Le lieu semble une bulle d’harmonie et de bien-vivre, épargné par les tracas de la plaine. Pourtant, le vote lepéniste y était en conquête, au-delà de 30 % en 2012 . «Ici, ce n’est pas un problème de délinquance, d’immigration », constatait l’année suivante Ghislain Pallier, alors maire de la commune. C’est que Sumène avait beaucoup changé ces dernières années. Le bourg était à trois quarts d’heure de route de Nîmes ou Montpellier. La commune accueillait de plus en plus d’employés modestes qui travaillaient dans ces grandes agglomérations mais que les prix de l’immobilier et le désir de calme avaient chassés très loin. Avec leurs 1 500 euros mensuels, ils payaient leur rêve pavillonnaire, leur souhait de dimanche tranquille d’un harassant va-et-vient quotidien. Une concession qui virait à la frustration, grossissant à chaque passage à la pompe. Depuis quelques années, Sumène hébergeait également une autre catégorie de population : marginaux ou militants alter, des jeunes ayant décidé d’adopter un mode de vie différent. S’appuyant sur cette coexistence, le discours plastique, polymorphe du FN jouait ici d’une autre fibre : le rejet de l’assistanat. Dans ce pays où le pain fut toujours dur à gagner et le travail, la sueur de tout temps sacralisés, l’argument était porteur. La représentante locale du FN, Sybil Vergnes, en usait et en abusait, en 2013, assise dans sa maison d’architecte, une Mercedes devant la porte. « On montre les pauvres qui sont au RSA. On ne montre pas le Français moyen qui vit avec un smic et ne s’en sort pas. On ne montre pas le vieux qui a une petite retraite. » Et de pointer les parasites aux crochets de la société, de fustiger « ceux qui vivent des allocations » et « se font payer leur appareil dentaire par la CMU » ou « leur logement par la CAF ». C’était une volée de sigles qui, dans sa bouche, étaient synonymes de fainéantise.


Le FN travaille son enracinement local. Comme à Apt (ci-dessus), l’une des onze villes du Vaucluse où le parti présentait des listes aux municipales 2014. Ou dans les Bouches-du-Rhône en organisant des déjeuners de militants (ci-dessous à AixLes Milles en 2013). Marine Le Pen apparaît comme la figure providentielle dans des territoires sinistrés (à droite, meeting à Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, en 2012).

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L’espace d’art comtemporain de HEC organise des rencontres artistiques (ci-dessus, conférence de Daniel Buren) et accueille des artistes en résidence. Edouard Sautai et le collectif Fichtre ont ainsi conçu Faire carrière, une « œuvre » empruntée quotidiennement par les étudiants du campus. Comme un symbole.

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le magazine.

L’élite prend l’art.

Pour former les futurs dirigeants du CAC 40, les grandes écoles misent aussi sur l’art contemporain. HEC, Sciences Po, Ecole des Mines, toutes incluent désormais dans leur cursus l’histoire de la peinture, le chant, la musique ou les arts plastiques. Une manière d’éveiller la sensibilité des élèves, qui pourraient bien devenir les mécènes de demain. Par Roxana Azimi/Photos Bertrand Le Pluard

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ls sont assis sous le Plafond du char d’aPollon,

dans la magnifique salle des fêtes du Musée d’Orsay à Paris. Une classe polie, plutôt sage. A peine quelques murmures ou rires étouffés. Ces jeunes gens bien élevés sont étudiants en deuxième année à Sciences Po et suivent le séminaire «Arts et sociétés» dirigé par une historienne de l’art, Laurence Bertrand-Dorléac. Pour leur première séance, ils doivent se présenter. Certains articulent, d’autres parlent timidement dans leur barbe. Pourquoi sont-ils ici ? « Sciences Po nous encourage à aller chercher l’inspiration ailleurs qu’en économie », explique Valentine, bien dans ses bottes. Bonne élève, elle ajoute : « J’aime voir les petites choses pour comprendre les grandes. » Maxime, lui, fait le malin. « Bonjour, je suis Maxime et je suis alcoolique. » Mais non, il rigole, s’empresse-t-il d’ajouter. Le ton soudain plus sérieux, il reconnaît avoir été fasciné par une « danse macabre » de Felix Nussbaum pendant ses recherches sur la seconde guerre mondiale. Lors des séances suivantes, ce sera précisément d’une œuvre clé que Laurence Bertrand-Dorléac partira pour tirer des fils sociaux et politiques. Prenons l’exemple du Cuirassier blessé quittant le feu, de Géricault, accroché au Louvre. Le tableau permet d’aborder l’histoire du romantisme, mais aussi des guerres napoléoniennes. « De fil en aiguille, je leur explique que c’est le tableau fondateur d’une nouvelle époque où l’on considère qu’une guerre réussie est plus avantageuse que pas de guerre du tout », indique l’historienne de l’art. Après s’être toujours adressées au côté rationnel du cerveau de leurs élèves, les grandes écoles apprennent désormais à leurs ouailles à développer leur sensibilité. Pourquoi un tel revirement? « Les grandes écoles doivent se réinventer, répond Renaud Gaultier, responsable du master IDEA reliant Centrale Lyon et la EM Lyon Business School. On ne peut pas juste former des fantassins du CAC 40. Or, l’art est un agent mutagène, c’est-à-dire capable d’opérer une mutation dans un profil formaté. » Elles doivent aussi tenir compte de la diversité des profils, mieux la cultiver. « Au cours de leur scolarité, les étudiants peuvent éviter les gens qui ont des origines et des parcours différents ; dans les cours artistiques, non », remarque Françoise Melonio, directrice des études à Sciences Po Paris. Certains étudiants se dérobent ainsi à la finalité « naturelle » de leurs études. Jérôme Poggi et Florent Maubert, anciens de Centrale, et Philippe 5 avril 2014

Charpentier, passé par Sciences Po, sont aujourd’hui galeristes à Paris. Centrale mène à tout puisque Lorenz Bäumer est devenu… joaillier sur la place Vendôme. « L’ingénieur formé en classe préparatoire scientifique, très spécialisé, a une compétence, remarque Michel Jauzein, directeur de Mines Nancy. Mais, pour être efficace au sein d’une équipe, il faut autre chose. » Tout comme il faut « autre chose » que l’autorité pour être un bon patron. « Les gens confondent souvent diriger et dominer, ajoute Renaud Gaultier. Je ne forme pas des dominateurs mais des administrateurs, des dirigeants capables d’humilité. » Ces établissements ont aussi besoin de renouer avec des formes symboliques disparues (rituels, uniformes, blasons…). « Il y a eu une tabula rasa, regrette Jérôme Poggi. Les emblèmes ont été remplacés par des logos, il n’y a plus le cérémonial de la remise des diplômes. Il faut retrouver un panache, un lustre. » Attention toutefois: pas question de rattraper en quatrième vitesse des lacunes accumulées. « La culture, ça ne se bachote pas, prévient Jérôme Poggi, qui a lancé en janvier le blog Ars contemporanea in universitatis. Il faut révéler le besoin d’art en chaque élève, et qu’il apprenne à trouver chez l’artiste un interlocuteur. » Les anciens des grandes écoles,qui ont sauté plus tardivement dans le chaudron artistique,applaudissent à ces initiatives.« Je n’avais pas conscience du manque », admet Bertrand Julien-Laferrière, ancien de Centrale et patron de la Société foncière lyonnaise. Depuis, il s’est taillé un chemin personnel dans l’art contemporain au point d’être collectionneur et mécène. « Aujourd’hui, n’importe quel élève sait qu’il va devoir se confronter au monde entier, poursuit-il.On ne peut pas travailler avec des Japonais sans connaître leur culture, et l’art en est l’un des meilleurs vecteurs. » Pour cela, chaque école a inventé sa ProPre formule. HEC a créé voilà quinze ans un espace d’art contemporain sur son campus du plateau de Saclay. L’art humanise – à son échelle – ce vaste complexe peu harmonieux, aux architectures disparates, ponctuées de résidences anonymes. L’énergique et souriante Anne-Valérie Delval, qui dirige cet espace depuis sa création, propose des expositions et programmes d’artistes en résidence, dont les œuvres émaillent le campus: volière de livres de Peter Wüthrich, pierre tombale de Geoffroy Sanchez… Certaines œuvres asticotent parfois les étudiants. C’est le cas d’un chemin de traverse conçu par Edouard Sautai et le collectif Fichtre au beau milieu d’une voie empruntée quotidiennement par les étudiants. Son titre ? Faire carrière. En mai, HEC inaugurera une grotte conçue par les frères Chapuisat, où on ne peut pénétrer qu’avec force contorsions. Il y a des via regia et des portes étroites. Voilà quatre ans, HEC a lancé un cours optionnel d’initiation à l’art contemporain d’une vingtaine d’heures pour les étudiants de •••

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le magazine.

En haut, installation en cours de Laurence De Leersnyder, artiste en résidence sur le campus de HEC.

chaire Histoire de l’art et politique. « Les étudiants viennent ici pour étudier le monde contemporain, mais beaucoup ont une culture où le contemporain n’a pas sa place », constate Françoise Melonio.

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ans la foulée a été créé speap, un «programme d’expérimentation en arts et politique» qui, lui, ne s’adresse pas aux étudiants de Sciences Po mais à des artistes ou à des chercheurs en sciences sociales – des danseurs, des sociologues, des anthropologues. Le comité pédagogique A Sciences Po, est trié sur le volet: le critique de cinéma Jean-Michel Frodon, le socioles cours de logue Antoine Hennion ou encore le politologue Sébastien Thiéry. Cette musique et année, le petit groupe d’une vingtaine d’élèves aborde la question du de théâtre sont obligatoires déplacement des populations. L’objectif? Donner forme à une idée ou à et notés. une enquête, par l’image ou le son. « On ne leur demande pas de devenir artistes, mais de participer à la construction d’une forme finale », précise ••• première année. Histoire de donner des clés de lecture sur un mode Valérie Pihet, directrice exécutive du programme et bras droit de Bruno récréatif, avec notamment des visites de musées tels que le MAC/VAL Latour. Et d’ajouter: « Les problèmes de société sont d’une complexité granà Vitry. « Avec l’art contemporain, on est interloqué, confie la pimpante dissante. Les scientifiques ont du mal à renouveler leurs méthodes. L’idée est Amélie Vogel, 22 ans, en troisième année d’HEC. Cela nous force à nous de voir comment les arts peuvent être partie prenante de la recherche. » interroger sur le monde dans lequel nous sommes et sur ce que nous vou- Last but not least, Sciences Po a lancé il y a deux ans des ateliers de pradrions y faire. Mes amis qui se destinent à la finance ont des idées de justice tique artistique dans l’un de ses bâtiments. «C’est plus qu’un supplément et d’utilité. Ils comptent les mettre en œuvre de manière responsable. » Voilà d’âme, précise Astrid Ténière, chargée de ces ateliers. C’est obligatoire et bien pour elle tout le pouvoir de l’art : « Il nous rappelle qu’on est dans noté. Ça apparaît comme une discipline, tout en étant une respiration.» une humanité, réveille une empathie. » Certains élèves s’avouent intimidés au départ, notamment dans les cours Pour les moins empathiques, le raisonnement est pragmatique. L’intérêt de théâtre et de chant. Car il faut s’exposer au regard des autres. Edouard pour l’art peut servir une dynamique de carrière. « Les étudiants voient Fort, aujourd’hui en master finance/stratégie, a appris à poser sa voix bien que les marques de luxe s’associent à l’art contemporain, que des Pi- grâce aux cours de chant et de musique. « Avant, je trouvais la musique nault ou Arnault investissent dans des œuvres, que les grands dirigeants de agréable. Maintenant, je la comprends », explique-t-il, heureux d’être déleur époque sont mécènes. Or ces marques sont les futurs employeurs des sormais un « dilettante informé ». Pour Guillaume Lambert, en master affaires publiques à Sciences Po, les cours de théâtre, notamment sur étudiants d’HEC », remarque Anne-Valérie Delval. Ailleurs, la pensée est davantage transdisciplinaire. Pionnier en la matière, Artaud et Brecht, étaient plus qu’un simple passe-temps: « J’ai pu ainsi le conglomérat Artem réunit depuis 1999 les beaux-arts de Nancy, ICN rapprocher deux intérêts très forts, le théâtre et la nécessité de l’engagement. Business School et l’école des Mines. A Paris, Sciences Po a pris le train Au début, je m’étais inscrit en master affaires européennes mais, depuis, j’ai du pluridisciplinaire avec un certain retard. Mais en peu de temps, l’éta- bifurqué vers les affaires publiques, la culture. » blissement de la rue Saint-Guillaume est devenu une référence. Première Amélie Mongour, elle, s’est littéralement éveillée grâce à l’art qu’elle a déétape, la création voilà quatre ans par le philosophe Bruno Latour de la couvert à HEC. «Sans ça, j’aurais eu une scolarité très triste, confie-t-elle. •••

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Photos Bertrand Le Pluard pour M Le magazine du Monde – 5 avril 2014



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A gauche, Bills, (2012), installation de l’artiste Kouka dans le cadre de sa résidence sur le campus de HEC.

« Avant, je trouvais la musique agréable. Maintenant, je la comprends », lance un étudiant à Sciences Po.

“Les étudiants savent que des Pinault ou Arnault investissent dans l’art contemporain. Et que ces marques de luxe sont leurs futurs employeurs.” Anne-Valérie Delval, directrice de l’espace d’art contemporain de HEC

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••• Je pensais que l’école était une boîte à outils qui m’apprendrait des méthodes

de travail et que ma vraie vie commencerait après. En fait, elle a commencé d’emblée.» La programmation artistique d’HEC a aussi bouleversé la jeune Oumayma Ajarrai. «J’ai compris que le trouble que je pouvais éprouver à la contemplation d’un tableau était naturel, explique-t-elle.L’œuvre transmet une émotion et non une réponse figée.» Pour elle, il n’est désormais pas question d’une simple passion, mais d’un «véritable besoin». Le besoin est parfois si pressant que certains étudiants ont créé en 2010 le Prix Sciences Po pour l’art contemporain, dont les nominés seront exposés dans les locaux de la rue Saint-Guillaume du 11 au 25 avril. Celui-ci récompense un artiste de moins de 35 ans. Dans le jury, des éminences telles que Nathalie Ergino, directrice de l’Institut d’art contemporain à Villeurbanne, ou Jérôme Sans, ancien directeur du Palais de Tokyo à Paris. A HEC, un groupe d’étudiants mené par Amélie Vogel entend répertorier et montrer d’ici à 2016 les collections d’anciens de l’école. Il faut dire que sont passés par ses rangs des collectionneurs comme Paul Dini, qui a créé un musée à son nom à Villefranche-sur-Saône, ou Bruno Caron, qui a lancé la biennale d’art contemporain de Rennes. Tous les étudiants ne sont pas aussi sensibles au virage esthétique. HEC a accusé quelques actes marginaux de vandalisme. Une «épicerie africaine», lieu de troc et d’échange ouvert par l’artiste en graffiti Kouka, a été saccagée. La durée des formations artistiques reste courte. «Le principal problème, c’est une question de temps, soupire Mélanie Bouteloup, directrice du centre d’art Bétonsalon, hébergé dans le campus de l’université Paris-Diderot. Les étudiants sont inquiets sur leur avenir, stressés au point qu’ils veulent s’impliquer dans des choses très concrètes dont ils voient l’effet immédiat.» Autre sujet de frustration, les élèves changent chaque année et il faut toujours recommencer à les fidéliser. Pour Laurence Bertrand-Dorléac, «il y a 10 % d’étudiants qui, grâce à l’art, ont une révélation. C’est déjà beaucoup! On ne peut pas vouloir réveiller tout le monde en même temps». Photos Bertrand Le Pluard pour M Le magazine du Monde – 5 avril 2014



La candidate en campagne dans le 9e arrondissement, le 15 mars. 62


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Anne Hidalgo Première dame. On la disait trop discrète, pas assez douée, peu charismatique, perdue dans l’ombre de Bertrand Delanoë. A 54 ans, Anne Hidalgo devient la première femme maire de Paris. Une victoire après une bataille politique difficile, où elle a dû jouer des coudes, même parmi les siens. Récit en coulisses et en images – signées de la photographe de campagne de Barack Obama – de la dernière ligne droite. Par Béatrice Gurrey/ Photos Scout Tufankjian

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plus vieilles églises du monde, où l’humanité afflue pour communier avec le ciel, dans une ferveur qui se passe de mots. Nul ne ressort intact de la Nativité à Bethléem, en Palestine. Il pleut, c’est bientôt Noël, et la petite troupe marche en silence, le long des murs sans âge. Soudain, à même la pierre, dans une alcôve éclairée, surgit un saint Georges à cheval qui terrasse le dragon. Anne Hidalgo s’arrête. Se retourne. Et ceux de son équipe éclatent de rire, tant la métaphore de son combat contre Nathalie Kosciusko-Morizet s’impose en même temps à leur esprit. Lors de ce périple d’une semaine en Israël et en Palestine, en décembre 2013, la candidate socialiste prend des forces, malgré les rendezvous qui s’enchaînent. La campagne, si elle n’intéresse pas encore les Parisiens, fait déjà rage et il faut tenir encore de longs mois. Pour cette athée farouche, fille de républicains espagnols, élevée dans la religion catholique, la Terre sainte est devenue familière. C’est son septième voyage dans ces territoires déchirés qu’elle a voulu comprendre, comme un nœud gordien. « La clé de tout », assure-t-elle. Quel vœu a-t-elle glissé dans le mur des Lamentations, après avoir plié son petit papier comme des millions de pèlerins ? Des souhaits de victoire, sans doute, mais ses interlocuteurs en ont formé pour elle. Comme Vera Baboun, première femme maire de Bethléem, élue en 2012, qui parcourt chaque matin, avant d’entrer dans son bureau, une longue galerie de portraits masculins remontant au xixe siècle – ses prédécesseurs. Chercheuse et universitaire, Vera Ba’est l’une des

boun a la langue acérée, le regard espiègle, le coup de fil facile. Elles ne se connaissaient pas encore, mais s’apprécient d’emblée… « Vous avez beaucoup d’amis, tout le monde m’appelle ! », s’amuse avec un brin d’ironie Itzhak Herzog, le nouveau patron de la gauche israélienne, en accueillant Anne Hidalgo dans son bureau de la Knesset. Son arrière-grand-père a fondé la synagogue de la rue Pavée, dans le 4e arrondissement de Paris, son grand-père a obtenu son doctorat à la Sorbonne. Brillant, rapide, il mitraille la candidate de questions, sur ses chances, son programme, son adversaire. L’examen de passage semble lui convenir : « Au-delà de la photo, vous pouvez utiliser mon nom, qui est connu », dit l’ancien ministre. Ces paroles ne sont pas lâchées à la légère. Dimanche 30 mars,Anne Hidalgo est arrivée au bout de la longue route sur laquelle elle s’est engagée il y a des années. En ayant prévu les auberges pour dormir, les stocks de nourriture, les pansements pour les pieds, les capuches pour la pluie, les chaussettes de rechange. Et les livres pour le soir. Première femme à la tête de Paris, ville dirigée par des hommes depuis le prévôt Etienne Marcel en 1354, elle s’est révélée méthodique et avisée pendant ces mois de campagne. Elle trace désormais son chemin, sans plus se préoccuper, à 54 ans, de ceux qui la disaient nunuche, effacée, limitée. Numéro deux pour la vie. L’ombre de Bertrand Delanoë… Pour s’engager sur une telle voie, mieux vaut savoir choisir ses compagnons de route. Scout Tufankjian, la photographe dont le travail a fait date sur la deuxième campagne présidentielle de Barack Obama, est venue à Paris, en mars, pour suivre la candidate socialiste pendant dix jours. Non francophone, elle est entrée partout, dans le secret des réunions de campagne. Celles du lundi, en petit comité, avec les très ••• - 63


••• proches, pour affiner la stratégie de commu-

nication. Celles du vendredi, plus larges, avec les têtes de liste et les alliés, communistes et radicaux. Elle a saisi des instants où les gestes et les regards en disent plus sur une personnalité qu’un discours politique poli, peaufiné, repassé. « Elle et toute son équipe sont incroyablement chaleureuses et accueillantes. Je pense que la plupart des photographes rêvent de devenir invisibles, et c’est ce qui s’est passé », raconte Scout Tufankjian. La photographe se dit impressionnée par la proximité de cette troupe qui travaille « comme une grande famille plus que comme des collègues, avec peu de tension, mais beaucoup d’humour et de chaleur ». Sur l’une de ses photos, la candidate embrasse sur la tempe son codirecteur de campagne, Rémi Féraud, qui baisse la tête et sourit. Tout le monde rit, son alter ego, Jean-Louis Missika, mais aussi Bruno Julliard et Myriam El Khomri, les adjoints à la culture et à la sécurité de Bertrand Delanoë. C’était un lundi matin, une semaine avant le premier tour. Anne Hidalgo se demandait dans quel café ils pourraient tous se retrouver, le samedi avant l’élection. Ils avaient finalement choisi la Veilleuse de Belleville, un bar coopératif rue des Envierges, dans le 20e arrondissement. Et Rémi Féraud avait demandé : « Mais pourquoi se retrouver dans un café, on te voit tout le temps ? » C’est là que la patronne l’avait embrassé en lui disant : « Ce genre de réflexions, c’est pour ça que je t’adore. » « Il y a un côté bande chez Anne. Elle a besoin de travailler collectivement. Elle préfère le brainstorming aux notes, elle écoute, elle absorbe », souligne le jeune codirecteur de campagne, qui est

aussi le patron de la fédération du PS de Paris. C’est rare, la confiance, en politique. Et Anne Hidalgo est réputée pour son intransigeance en matière de loyauté : « Tu mens ! », a-t-elle lancé d’un ton cinglant à Martine Aubry, quand celleci a prétendu, lors d’un bureau national du PS en novembre 2011, que Rémi Féraud – absent – avait approuvé le parachutage de la Verte Cécile Duflot à Paris, dans la 6e circonscription. A l’issue de cette séance glaciale, Anne Hidalgo avait définitivement coupé les ponts avec Martine A u b r y, s o n a m i e jusque-là : « Ne m’adresse plus jamais la parole.» Son mari, Jean-Marc Germain, était pourtant le directeur de cabinet de la première secrétaire du PS… Désormais, elle se contente de lui serrer la main, raconte Marie-Eve Malouines dans Paris de femmes (Fayard, 2014). Dans ce portrait croisé de Nathalie KosciuskoMorizet et d’Anne Hidalgo, la journaliste a creusé loin dans les racines familiales pour comprendre le tempérament des protagonistes. « On ne se méfie jamais assez desbonnes femmes », avait assuré Bernadette Chirac au magazine Elle en 1979. Et on ne se méfie jamais assez des modestes qui carburent à la revanche sociale. Telle fut, il y a longtemps, Anne Hidalgo.

“On ne se méfie jamais assez des bonnes femmes”, avait assuré Bernadette Chirac à “Elle” en 1979. Et on ne se méfie jamais assez des modestes qui carburent à la revanche sociale.

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Hidalgo la rebelle, la

féministe qui se baladait en sabots, qui habitait la campagne dans les monts du Lyonnais avec son premier mari (elle est guérie à jamais du retour à la terre), la mère de trois enfants, a toujours besoin de son clan familial. Dimanche 23 mars, son père, Antonio, a eu 86 ans. Le jour du premier tour. Ses parents sont arrivés tout exprès de Cadix et sa sœur Maria, de Los Angeles. Ils n’auraient ja- •••


Le magazine.

Ci-dessus, lors d’une compétition de natation de son fils Arthur, dans le 15e arrondissement de Paris. Ci-contre, Anne Hidalgo est une femme de bande, de tribu, celle des amis politiques – à droite, dans un bar, elle embrasse son codirecteur de campagne Rémy Féraud, le samedi précédant l’élection – et celle de la famille. 5 avril 2014 – Photos Scout Tufankjian pour M Le magazine du Monde

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Le magazine.

16 mars, au QG de campagne, près de la Bastille. Bruno Julliard, porte-parole adjoint d’Anne Hidalgo, attend qu’elle termine une conférence de presse.

Hidalgo au soir de la victoire. Mais c’est vrai que la campagne a été très dure, avec tous ces mensonges, cette mauvaise foi, de l’autre côté. » Elle est partie de loin, un an et demi avant l’échéance. « Dès 2008, elle a veillé à construire de bonnes relations avec les communistes et notamment avec moi », dit Ian Brossat, le président du groupe communiste au Conseil de Paris. « A l’époque, on hésitait, on ne savait pas encore qui serait candidat, de NKM ou de Borloo, mais on était pratiquement sûrs que ce serait l’un des ’entre-deux-tours a été un caudeux », se rappelle le chemar pour beaucoup de mijeune normalien. litants socialistes, même si les « Qu’elle soit une ansondages, qui ne se sont pas cienne inspectrice du trompés sur Paris, ont toujours travail, fille de répudonné leur championne ga- blicains espagnols, fait gnante, au second tour. Le risque d’abstention, que l’on a une langue commune », dit-il. C’est lui le buzz créé avec habileté par NKM sur son qu’elle a envoyé, à Argelès-sur-Mer, pour la 1,24 point d’avance au premier tour, une incer- représenter à la cérémonie de commémoration titude finalement injustifiée sur les arrondisse- de la Retirada, l’exode des réfugiés espagnols ments clés, le 12e et le 14e, le contexte national de la guerre civile. Il en a été touché. « Si elle épouvantable… Autant de facteurs d’inquié- a eu un soutien sans faille à gauche, c’est qu’elle tude. « Au fond, je crois que je n’ai jamais douté, a réussi à le susciter. Elle n’a aucun des défauts en dix-huit mois, de l’issue finale, confiait Anne qu’on lui prêtait avant la campagne, le manque

••• mais manqué à la cadette de la tribu. Le

soir de la victoire, ils étaient là aussi, à l’Hôtel de Ville. « Ah, je veux voir la famille ! », s’est exclamé Bertrand Delanoë en accueillant celle qui n’était déjà plus sa première adjointe. Il l’a prise affectueusement par le bras. Cette élection l’a portée à la tête d’un des plus beaux postes de la République. Paris, son budget de 8,5 milliards d’euros, ses 50000 et quelques salariés. Le grand bureau du maire. Mais ce n’est pas à cela qu’elle a pensé, le dimanche, en commençant la tournée des bureaux de vote. Avant de prendre l’avion, au lieu d’imaginer les vacances, elle envisage toujours le crash. Comment ne pas savoir qu’on peut se planter, en politique, même quand on a tout préparé ? Anne Hidalgo n’a pas oublié ce jour de juillet 2005 où elle avait encore les bras levés, la bouche ouverte, pour crier sa joie de voir les JO 2012 attribués à Paris, quand elle a compris que Londres avait gagné. Il lui a fallu quelques secondes. Les bras qui retombent, le goût de cendres, la fête gâchée.

L 66 -

Le même jour, la candidate PS fait une visite surprise de soutien au journal Libération, à l’occasion de la « journée portes ouvertes » que le journal en crise a organisée.

d’autorité, de sens politique. Elle l’a prouvé. » On la dit capable de coups de colère, d’impatience. Elle ne l’a pas montré et personne n’a rien raconté pendant la campagne. Evidemment, ce n’est pas une oratrice, mais comment prendre la parole derrière quelqu’un d’aussi brillant que Bertrand Delanoë à une tribune? Samedi 5 avril, selon le rituel ordonné qui préside à l’élection du maire, les conseillers de Paris s’assiéront dans le petit hémicycle de bois par ordre alphabétique, car les groupes politiques ne seront pas encore constitués. Anne Hidalgo connaît par cœur ce cérémonial. Le doyen d’âge, Pierre Aidenbaum, maire du 3 e arrondissement, procédera à l’appel des candidatures. Les 163 conseillers de Paris voteront à bulletins secrets pour désigner la nouvelle maire. Puis à main levée pour le nombre d’adjoints que celleci a annoncé. Hidalgo, enfin, prononcera son discours de politique générale. En l’absence, pour la première fois, de Bertrand Delanoë.

“Au fond, je crois que je n’ai jamais douté de l’issue finale. Mais la campagne a été très dure.”

Photos Scout Tufankjian pour M Le magazine du Monde – 5 avril 2014



le magazine.

U

ne voiture file dans les

rues désertes et endormies d’un petit matin frais de la fin d’hiver. Comme tous les samedis, Tom Kean rejoint un parking vide à la frange d’Henley-onThames, une petite ville de l’Oxfordshire située à une soixantaine de kilomètres de Londres. D’autres véhicules attendent là, tous phares éteints, occupés par des individus en combinaison luisante qui surgissent tout à coup dans la lumière orangée des lampadaires. Ce rendez-vous incongru, au caractère presque clandestin, est le point de ralliement des membres du Henley Open Water Swim Club, le HOWSC, avant leur baignade hebdomadaire. Quelques pas sur les pontons de bois et les voici à l’eau. Dans la Tamise, pas encore perturbée par le trafic des bateaux à cette heure matinale. Peu de conversations, mais une tension palpable. L’entrée des nageurs dans une eau à 12 degrés les rend un peu plus loquaces. L’un après l’autre, ils s’engagent à contre-courant, puis disparaissent dans un coude du fleuve. Lorsque en 2012 Tom Kean et Jeremy Laming créent le HOWSC sur les bords de la Tamise, ils ressuscitent un ancien club de la fin du xixe siècle et renouent avec un loisir ancestral et très populaire, éclipsé depuis l’aprèsguerre. Leur club compte aujourd’hui une trentaine d’adhérents auxquels on Le “wild swimming”, ou natation dans propose, indique Tom Kean, « un cadre sécurisé pour ceux qui s’entraînent dans la nature, est devenu un sport national le fleuve: connaître les courants, les berges au Royaume-Uni. Un engouement où entrer et sortir de l’eau, car cela reste une pratique risquée ». D’où le choix de qui puise ses origines dans l’histoire ces bonnets de bain roses, « les bateaux du pays et concilie activités de plein air peuvent nous voir de loin ».

Comme un Anglais dans l’eau. et goût pour les excentricités. Texte et photos Agnès Villette

nager dans la tamise… Une promesse qui rappelle vaguement celle de Jacques Chirac et de la Seine. Mais quid de l’hygiène ? « C’est la première question posée par les curieux. Depuis dix ans que je nage dans la Tamise, je n’ai pas été une seule fois malade ! », assure Tom Kean. Pourtant, le fleuve revient de loin et la nage y a longtemps été proscrite.Après la révolution industrielle, la Tamise est devenue le réceptacle de toutes les pollutions industrielles. Les égouts de la ville s’y déversaient, au point qu’en 1858 the Great Stink (« la Grande Puanteur ») força la Cour de justice à déménager à St Albans, loin du fleuve. Les épidémies de choléra perdureront au xixe siècle. En 1957, les autorités déclareront même le fleuve biologiquement mort. Mais depuis 1996, l’Environment Agency légifère et maintient des quotas drastiques limitant la pollution du fleuve. Aujourd’hui, quelque 125 espèces de poissons s’y développent et on peut croiser des loutres et des phoques vers l’embouchure du fleuve. On considère que 80 % de l’eau de la Tamise a atteint une qualité très satisfaisante, ce qui a valu au fleuve d’être, en 2010, distingué par l’International River Symposium. A Henley-on-Thames, les nageurs en combinaison ont pris leurs habitudes dans un petit café de la ville. A cette heure •••

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Octobre 2013, 7 heures du matin. Des membres du Henley Open Water Swimming Club sont rĂŠunis pour leur baignade hebdomadaire dans la Tamise.

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Le magazine.

••• matinale, seuls au comptoir, ils étalent des cartes de la ré-

Dans ce pays où les terres appartiennent toujours à une minorité issue de l’aristocratie, l’accès aux lacs, rivières et bords de mer est longtemps resté interdit.

Le Dart 10 km, une des courses organisées par l’Outdoor Swimming Club, a lieu depuis 2006 sur la rivière Dart, dans le Devon. La natation en plein air ferait près de 3 millions d’adeptes au Royaume-Uni. 70 -

gion, planifient leurs prochaines baignades en plein air… « Quand on nage dans la Tamise, la perception de l’espace est saisissante », s’enthousiasme Tom Kean. Tous racontent avec exaltation la sensation de liberté et l’immersion dans un univers féerique, des paysages, qui, saisis au fil de l’eau, subissent une totale métamorphose et livrent une vision atemporelle et ancestrale de la campagne anglaise. « C’est une manière nouvelle de se réapproprier la nature », explique Oliver Pitts, membre de l’Outdoor Swimming Society. Créé en 2006, ce club compte aujourd’hui 16 000 membres, des amateurs non encartés. Les adeptes de la nage en plein air seraient près de 3 millions au Royaume-Uni. Tous évoquent son côté pratique : « A l’inverse de la piscine, on peut nager sans interruption et sans se bousculer avec d’autres nageurs. » Un regain d’intérêt qui s’explique, selon Tom Kean, par le succès du triathlon, discipline olympique depuis les JO de Sydney, en 2000 : « Beaucoup de gens ont commencé à s’intéresser aux rivières qu’ils délaissaient jusque-là. » Le wiLd swimming, comme Le dési-

bénéficie également des nouvelles pratiques communautaires, liées aux réseaux sociaux, qui ont donné de l’ampleur à un passe-temps autrefois réservé à quelques excentriques ou à des écrivains comme Agatha Christie ou Virginia Woolf. L’OSS s’est ainsi doté d’une page Facebook et d’un site. « Nager en plein air ne laisse aucune trace, explique Oliver Pitts. Cela demande peu d’organisation préalable : on annonce sur le site un lieu et une date, des dizaines d’adeptes suivent. » Le site propose une carte recensant les lieux accessibles, plus de trois cents dans tout le pays. Des compétitions ont également vu le jour. L’OSS organise notamment, depuis trois ans, le Dart 10 km dans le Devon. Sur la Tamise, à Henley, trois courses ont lieu chaque été : le Henley Classic (2,1 km), le Henley Mile (1 mile, soit 1,6 km) et le Bridge to Bridge (14 km). En 2013, 17 000 participants, âgés de 8 à 80 ans, ont pris part à ces compétitions. La renommée de la ville, connue pour ses régates royales datant de 1839, y est aussi pour quelque chose. Car, jusqu’à l’ère victorienne, la nage en rivière est restée « l’apanage des rois et de la gentry qui fréquentaient la Tamise », rappelle l’historienne Caitlin Davies, qui achève un ouvrage sur les nageurs de la Tamise. Le plus ancien club de natation du pays, créé au xve siècle, est d’ailleurs celui d’Eton, la prestigieuse école fréquentée par l’aristocratie. « Les élèves payaient une amende s’ils ne nageaient pas tous les mois de l’année », indique Caitlin Davies. L’usage se démocratise au xix e siècle, ••• gnent Les Britanniques,

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Hygiène

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La filtration des odeurs s’active dès que l’on s’assoit. À l’aide de la télécommande, chaque utilisateur peut choisir et mémoriser la température de l’eau, ainsi que la puissance et la position du jet.

Des WC qui prennent soin de nous Les WC lavants rencontrent le succès en Allemagne, en Suisse et au Japon. Ils séduisent aussi de plus en plus de Français soucieux de confort et d’hygiène. ien de plus banal que d’aller aux toilettes : nous le faisons en moyenne 1 850 fois par an ! Un rite qui n’a pas beaucoup évolué au fil des années, mais que l’on peut transformer en geste d’hygiène, grâce aux avancées de la technologie. Les innovations sont d’ailleurs telles que l’on peut désormais parler de wc « intelligents ».

la DouCeuR en pRime Pour les femmes, la douchette peut ensuite assurer un jet tout en délicatesse, afin de prendre soin de leur intimité. On remplace ainsi la fonction du bidet d’autrefois, tout en économisant de la place. Certains modèles proposent même le séchage, avec une soufflerie réglable elle aussi. Dans ce cas, plus besoin de papier, et donc pas d’agression mécanique de l’épiderme : la toilette devient 100 % douceur.

Des WC HigH-teCH Les toilettes ne sont pas l’endroit où l’on s’attend a priori à voir poindre la technologie. Et pourtant… les wc lavants de Geberit AquaClean sont étonnants à plus d’un titre. Première surprise : un détecteur de présence déclenche automatiquement une douce ventilation dès que l’on s’assoit sur le siège. Ce discret dispositif anti-odeurs n’a rien à envier à l’efficacité d’une VMC : les potentielles nuisances olfactives sont neutralisées à la source.

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on pilote une douchette escamotable qui lave le fessier. La puissance du jet d’eau, sa température et la course de la douchette se règlent à volonté (chacun peut d’ailleurs mémoriser ses propres préférences). Ce lavage délicat procure une sensation de bien-être inédite et très agréable.

Des toilettes… à la toilette Autre intérêt de ces wc : l’hygiène corporelle. En effet, d’une simple pression sur le tableau de commande (ou avec la télécommande),


le magazine.

••• quand toutes les classes sociales se mélangent dans un engouement sportif et hygiéniste qui coïncide avec l’invention de nouvelles disciplines comme le plongeon ou l’introduction du crawl. Jusqu’aux années 1930, il existait des plages aménagées pour les classes populaires dans la capitale. Mais la pratique va s’essouffler dans les années 1960, avec la construction de piscines chauffées, les voyages à l’étranger et la pollution agricole. Le loisir est alors perçu comme désuet. Aujourd’hui, c’est l’inverse, les Britanniques voient là l’occasion de redécouvrir une nature idyllique, préindustrielle, digne des pastorales des tableaux de Constable.

L Tous les amateurs louent la sensation de liberté que procure ce sport et la beauté des paysages qui défilent. « Une manière nouvelle de se réapproprier la nature », selon Oliver Pitts, membre très actif de l’Outdoor Swimming Club (en haut, à gauche). 72 -

e wild swimming du xxi siècle se revendique comme un acte militant écologique autant que social. Depuis l’arrivée de David Cameron au pouvoir, en 2010, il ne se passe pas un mois sans qu’une piscine n’annonce sa fermeture, malgré les protestations et la résistance des associations de défense. Les coupes budgétaires ont également touché les lidos, ces immenses piscines de plein air qui avaient été construites dans les années 1920 et 1930 dans un élan de démocratisation de la natation, la classe ouvrière n’ayant pas accès aux climats plus cléments de la Riviera. Lors de la préparation des Jeux olympiques de Londres, en 2012, le rythme des fermetures n’a pas fléchi et a alimenté un débat sur l’inégalité géographique et sociale de l’accès à la natation. Les critiques aiment souligner que la région parisienne compte plus de bassins olympiques (longs de 50 m) que l’ensemble de la GrandeBretagne. Nager en plein air sonne donc aussi comme une revendication. Une manière, « dans une époque obsédée par la sécurité et les règles, de s’affirmer individuellement par la prise de risque. Quelque chose de très britannique », affirme l’historienne Caitlin Davies. Les lacs, fleuves, rivières et bords de mer offrent un loisir gratuit. Mais dans ce pays où les terres appartiennent toujours à une minorité de grands propriétaires issus de l’aristocratie, l’accès à ces territoires est longtemps resté interdit. En novembre 2000, à l’instigation du mouvement des Ramblers, qui réclame le droit de circuler librement dans les campagnes, le Parlement a adopté la loi du Countryside and Rights of Way, qui autorise en Angleterre et au Pays de Galles l’accès des randonneurs à l’open country, soit les montagnes, landes, falaises qui jusqu’alors étaient restreintes à des chemins dont il était illégal de s’éloigner. La loi englobe les rivières et les étangs que s’étaient appropriés les éleveurs de truites et les pêcheurs. Ils doivent à présent composer avec des nageurs en combinaison. e

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L E VOYAG E I N D I V I D U E L P E R S O N N A L I S É

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À Johannesburg, les grands esprits se rencontrent…

La Satyagraha House, maison d’hôtes-musée dédiée à Gandhi, qui vécut en ces lieux au début du siècle dernier, vous invite à découvrir la philosophie du Mahatma : méditation, yoga, cuisine végétarienne, et visite de la ville sur ses pas.

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Ondes de choc.

Ils sont des milliers à suivre, l’oreille collée au poste, les déboires de deux amoureux nés dans des villages ennemis. Sur Radio Rwanda, la fiction “Musekeweya” parle subtilement de tolérance et de réconciliation. Quand il y a vingt ans, sur la même fréquence, la radio Mille Collines appelait à l’extermination des Tutsi. Par Christophe Ayad/Photos Anoek Steketee 74 -

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8 h 54. A Musambira, Fabian écoute souvent le feuilleton « Musekeweya ». Son personnage préféré, c’est Rutaganira, le « méchant » qui va petit à petit passer dans le camp des « gentils ». Il l’imagine moustachu, la peau très foncée. A gauche, la vallée entre Gisenyi, au Rwanda, et Goma, en République démocratique du Congo. Pendant le génocide, plusieurs milliers de réfugiés rwandais sont passés de l’autre côté de la frontière. 75


le portfolio.

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daise, découvre « Musekeweya » (« Nouvelle aube»), un feuilleton radiophonique hebdomadaire de vingt minutes diffusé sur les ondes nationales. Extrêmement populaire dans tout le pays, cette fiction radiophonique financée par l’ONG néerlandaise La Benevolencija raconte l’histoire de deux villages qui se font face, chacun sur une colline, séparés par la jalousie et les préjugés : un jeune homme tombe amoureux d’une jeune femme de l’autre village, mais leurs communautés s’y opposent. Roméo et Juliette au pays des Mille Collines. « les mots Hutu et tutsi ne sont jamais prononcés,

explique Anoek Steketee. Mais tout le monde comprend de quoi il est question. Les gens sont très réceptifs au message sur la force des dynamiques de groupe et comment y résister, ou sur l’émergence de leaders charismatiques en temps de crise et l’utilisation qu’ils font des passions identitaires. » Mais un programme radiophonique peut-il tenir lieu d’instrument de prévention et de réconciliation ? « Difficile de savoir, répond la photographe. Les gens sont très secrets au Rwanda. Ils mettent beaucoup de temps à livrer le fond de leur pensée. » Anoek Steketee et Eefje Blankevoort ont consacré un Web-documentaire à « Musekeweya »: «Love Radio » sera mis en ligne à partir du 7 avril, et fera l’objet d’une exposition au musée de la photographie Foam d’Amsterdam l’été prochain. Les acteurs rwandais du feuilleton en disent les dialogues, sur fond d’images du pays. Parallèlement, des entretiens avec les acteurs et les auditeurs racontent le Rwanda, son passé et son présent. On y apprend ainsi que certains acteurs du feuilleton ont perdu leur famille dans le génocide, et que d’autres ont des liens de parenté avec les tueurs. Sur les ondes comme sur les collines, les rescapés sont condamnés à vivre avec leurs bourreaux.

Le Web-documentaire de Anoek Steketee et Eefje Blankevoort est à voir sur : www.loveradio-rwanda.org 5 avril 2014

Anoek Steketee

pendant la centaine de jours qu’a duré le génocide, à partir du 7 avril 1994, une voix a accompagné les Rwandais. De l’aube au coucher, elle a guidé les bras de ceux qui massacraient leurs voisins, les a accompagnés, encouragés, guidés et même distraits. C’était la Radio-Télévision Libre des Mille Collines (RTLM), fondée en juillet 1993, moins d’un an avant le génocide, par des partisans du pouvoir extrémiste hutu. A peine créée, la radio Mille Collines est très vite devenue populaire dans ce petit pays corseté et bigot, où les distractions étaient rares. Son ton canaille et ses tubes de musique zaïroise séduisent les couches populaires défavorisées, composées essentiellement de paysans hutu peu alphabétisés. Enfin, un média parlait leur langue, dévoilait leurs rancœurs et justifiait leur jalousie envers les Tutsi, l’ancienne élite du pays. Après avoir préparé les esprits à la haine, c’est la RTLM qui a lancé le signal du génocide, annonçant, une heure seulement après le crash de son avion, l’attentat contre le président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994. Elle a désigné les Casques bleus belges à la vindicte, faisant des anciens colonisateurs les responsables de l’attentat et des Tutsi ses boucs émissaires. Jusqu’au 10 juillet, la RTLM a appelé ses auditeurs à se lever pour aller « au travail », exterminer tous les inyenzi (cafards, en kinyarwanda), l’appellation donnée aux Tutsi par le « Hutu Power », le mouvement extrémiste hutu. Elle a joué un rôle tel que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), mis en place par le Conseil de sécurité des Nations unies, a consacré à ses principaux animateurs et dirigeants un procès à part. Aujourd’hui, la fréquence utilisée par l’ancienne radio de la haine est celle de la station nationale rwandaise, Radio Rwanda 1. La télévision et Internet ont beau se répandre dans le pays, la radio reste le seul média de masse dans les campagnes. Lors de son premier séjour au Rwanda en 2009, Anoek Steketee, une photographe néerlanous les matins,


Dans la maison d’un médecin, à Musambira. 19 h 52 entre Sake et Masisi, en République démocratique du Congo. Non loin de la frontière rwandaise, Thierry, Fiston et Olivier parviennent à capter « Musekeweya ».

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Le portfolio.

21 h 01, dans le quartier de Nyamirambo, à Kigali. Alice et sa petite sœur Jennifer écoutent « Musekeweya » quand elles arrivent à trouver des piles pour leur radio. Dans les studios d’enregistrement du feuilleton, à Kigali.

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20 h 55, dans le quartier de Kimihurura, à Kigali. Gideon est étudiant et gardien de nuit. Originaire du Congo, venu au Rwanda chercher une vie meilleure, il écoute les nouvelles de son pays où la violence fait rage.

A gauche, Musambira, au sud-ouest de Kigali.

Anoek Steketee

19 h 59, à Goma, en République démocratique du Congo. Samedi vit derrière la frontière, et y reçoit Radio Rwanda 1. Il aime écouter, « Musekeweya » car la pièce est diffusée dans sa langue maternelle.

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Le portfolio.

Anoek Steketee

21 h 15, dans le quartier de Nyamirambo, à Kigali. Dans « Musekeweya », Marguerite aime particulièrement le personnage de Batamuriza, qui sait toujours quoi faire dans les situations difficiles.

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A Kigali, séance d’enregistrement de « Musekeweya » dans les studios de Radio Rwanda 1. 21 h 09, dans le quartier de Nyamirambo, à Kigali. Marie se souvient de la scène dans laquelle Batamuriza donne naissance à son fils, dans la douleur…

Anoek Steketee

Dans une maison de fermiers, dans le district de Rulind, au Rwanda.

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Le portfolio.

20 h 55, dans le quartier de Kimihurura, à Kigali.

Chaque semaine, des dizaines de lettres d’auditeurs arrivent dans les bureaux des producteurs de « Musekeweya ». Des auditeurs qui, souvent, s’identifient aux personnages…

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Le Style

/ Mode / Beauté / Design / Auto / / High-tech / Voyage / Gastronomie / Culture / Meuble USM. presse-papiers et collection de bougies oracle, ChriStofle. bougie HasHisH, Jonathan adler. soliflores, années 1970, collection personnelle.

Grandeur nature.

Assiettes végétales, sculptures animales, miroir à plumes… Irrésistiblement attiré par la nature, le design part à la conquête des grands espaces. Stylisme et photos Pierre Even

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Table Grenouille de Hella JonGerius (2009) en noyer français, laque TransparenTe bleue (120 ×210 × 105 cm), édiTion limiTée, pièce siGnée eT numéroTée, édiTeur Galerie Kreo, Paris.



Miroir de Brynjar SigurðarSon (2013) en frêne, Métal, corde, nylon, chaîneS, fourrure, pluMeS… (35,5 × 27 × 22 cM), pièce unique, éditeur Galerie Kreo, Paris.



ci-dessus, Banc Fallen Tree de Benjamin GraindorGe (2011) en chêne sculpTé eT verre, édiTion limiTée, 110 × 273 × 120 cm, pièce numéroTée eT siGnée, édiTeur Galerie Ymer & malta. paGe de droiTe, assieTTe-Bol chien de hella jonGerius (2011) en porcelaine émaillée, peinTe a la main, édiTeur manuFacTure de porcelaine nymphenBurG (munich), Galerie Kreo, Paris.



Big Frozen Vase, studio Wieki somers (2010), Verre, Fleurs en soie et résine (48 × 41 × 27 cm), édition limitée, Pièce numérotée et signée, éditeur Galerie Kreo, Paris.



Panthère en cristal clair, Par Jan tésar Pour Baccarat, série limitée à 99 exemPlaires.

Remerciements à Arnaud Roth.



page de droite, Between shadows, sculptures lumineuses en porcelaine, de Benjamin graindorge (2011) (28 × 25 × 55 cm ; 34 × 25 × 38 cm), édition limitée, pièces signées et numérotées, éditeur Galerie Ymer & malta.




page de gauche, Princess & the Pea de Luisa MaiseL (2008) en céraMique (105 × 56 × 42 cM), pièce unique, Galerie MouveMents Modernes. page de droite, en haut, seLLe cavaLe conçue pour Le saut d’obstacLes, HerMès. pLaid Cinna et pLaid vintage. en bas, scuLpture abstraite en deux parties, éLisabeth JouLia (2002) en grès (45 × 19× 15 cM ; 36 × 23 × 15 cM), pièce unique, Galerie MouveMents Modernes.



page de gauche, Table basse JeN eN marbre eT laiToN, Christophe DelCourt. peTiTs paleTs de Table eN céramique Noir eT marroN, supporTs de bougies par adam silvermaN pour Commune Design. coussiNs faiTs à los aNgeles à parTir de Kilims aNcieNs, Commune Design. ci-dessus, buffeT NouvelleZélaNde de viNceNT dubourg (2011) (140 × 306 × 37 cm), édiTioN limiTée, pièce NuméroTée eT sigNée, édiTeur galerie Carpenters.


le style.

Les décorateurs français refont le monde.

L’aménagement à Forli, en Italie, du Palazzo Orsi Mangelli, siège social de Luxury Living et de Fendi Casa et Trussardi Casa, a été confié à Jacques Grange.

La relève semble assurée. Parmi les jeunes designers très demandés, ci-dessus, Dorothée Boissier et Patrick Gilles. Ci-contre, Christophe Poyet et Emil Humbert.

102

C

ent treize chambres d’un chic absolu dans une tour en verre de cinquante étages à deux pas de Central Park… Le premier hôtel siglé Baccarat ouvrira ses portes en décembre au cœur de Manhattan. Héraut de l’excellence française depuis 250 ans, la maison a fait appel à Patrick Gilles et à Dorothée Boissier pour aménager cette ambassade démesurée. Symbole d’une réussite française encore méconnue du grand public, mais incontournable pour les initiés, le duo multiplie les projets à travers le monde. Ils réalisent en effet 75 % de leurs chantiers hors de France avec, en ce moment sur leur carnet de commandes, un Hôtel Mandarin Oriental à Marrakech, une boutique Moncler à New York et l’aménagement d’un bateau de 53 mètres pour un client italien. Moins médiatisés que les parfumeurs, couturiers et cuisiniers – voire les designers et architectes –, les décorateurs français jouissent d’un succès croissant à l’international. Avec une discrétion inhérente à leur métier, ils demeurent souvent cachés derrière les commandes

Luxury Living Group. Patrick Swirc. Matthieu Salvaing

Ambassadeurs d’un certain classicisme mais friands d’innovation, les décorateurs hexagonaux, au même titre que les chefs cuisiniers ou les parfumeurs, diffusent désormais le « style français » à l’international. Par Marie Godfrain


Undine Pröhl x2

Le groupe mexicain Habita a fait appel à des Français pour ses hôtels : à g. le MTY, à Monterrey, à dr. le Condesa DF, à Mexico.

de leurs clients. Certains se revendiquent architectes d’intérieur, d’autres designers, mais tous ont en commun de construire des lieux d’exception. Hôtels, yachts, boutiques, sièges sociaux, maisons, appartements ou jets privés… Ils représentent chacun une certaine idée du style français. Les maisons de mode hexagonales qui font appel à eux pour décorer leurs boutiques à travers le globe leur offrent une vitrine idéale pour leur assurer un rayonnement international. Le phénomène n’est pas nouveau puisque par le passé des figures tutélaires comme Andrée Putman ont ouvert la voie à la génération des Jacques Grange, Jacques Garcia, Pierre-Yves Rochon, FrançoisJoseph Graf et Christian Liaigre. En 2014, la jeune garde montre toutefois une rare vitalité. Gilles & Boissier, India Mahdavi, Joseph Dirand, Pierre Yovanovitch, Patrick Jouin, Sybille de Margerie, Sarah Lavoine, Fabrice Ausset, Charles Zana, Vincent Darré, Hubert de Malherbe, Humbert & Poyet… La relève est aussi pléthorique que les styles qui composent cette mosaïque. Alberto Vignatelli, patron de Luxury Living et éditeur du mobilier Fendi Casa et Trussardi Casa, a fait travailler Jacques Grange sur l’aménagement de son siège social installé dans le somptueux Palazzo Orsi Mangelli à Forli (EmilieRomagne) : « L’idée était d’apporter de l’air frais dans ce lieu historique en jetant un pont entre passé et présent. Mais aussi de mêler notre mobilier contemporain à ce lieu d’un grand classicisme. Jacques Grange a su élaborer une atmosphère d’élégance cosmopolite qui évite de coller aux concepts trop formalistes. » Dans un style radicalement opposé, le jeune groupe hôtelier mexicain Habita fait appel depuis sa création à des Français : India Mahdavi a livré un style tropical moderniste pour le Condesa DF à Mexico, puis Joseph Dirand un établissement aux lignes tendues et rigoureuses à Monterrey. Plus récemment, l’Hôtel Americano à New York a été décoré par Arnaud Montigny et le collectif Ciguë planche sur une succursale à Chicago. Un choix logique pour Carlos Couturier, créateur d’Habita. « Vos décorateurs ont en commun d’intégrer les notions de confort et de lumière et d’utiliser un mélange malin de matériaux. Ils sont innovants mais d’une façon qui fait sens et qui respecte le passé. Ce sont de bons techniciens mais aussi de vrais intellectuels qui croient à leur pouvoir de changer nos vies. Du coup, la décoration française est 5 avril 2014

éclectique, un peu comme son cinéma : il existe différents styles mais tous racontent une histoire et véhiculent des émotions. » Cette capacité à développer une proposition construite sur leurs connaissances de l’histoire et leur écriture est essentielle dans leur réussite. « Ces décorateurs singularisent les commandes et ne vont jamais dupliquer une recette », souligne Olivier Gabet, directeur du Musée des arts décoratifs. « Je pense que notre obsession du plaisir, de la sensualité et de la beauté est très française, renchérit le designer Patrick Jouin. Mais on n’en a pas conscience avant de se confronter aux clients à l’international. » Pour produire des lieux aussi singuliers, c’est donc leur curiosité qui est la source de cette capacité à offrir des propositions uniques, et ce depuis le xviii e siècle… A l’époque, les nobles possédaient souvent un hôtel particulier à Paris dans lequel ils faisaient cohabiter toutes les disciplines culturelles (musique, lettres, peinture, décoration…). « Notre style est porté par les arts qui ont composé la France », confirme Dorothée Boissier. Et cet ancrage renforce la pérennité des projets. « Il y a une valeur patrimoniale dans notre travail, liée à notre histoire, renchérit Joseph Dirand. Nos projets sont faits pour devenir des classiques. » Ce passé sur lequel ils s’appuient, consciemment ou pas, sera le point de départ du prochain salon AD Intérieurs en septembre. L’événement se tiendra dans la nef des Arts décoratifs et chaque décorateur invité devra réinterpréter un objet issu des collections du musée. « Ils sont comme des passeurs dans l’histoire du goût », jubile Olivier Gabet, directeur du musée. Pour ce faire, ils s’appuient sur un réseau bien maillé d’écoles et de galeries qu’ils contribuent à faire vivre en retour. « Nous avons à Paris les plus belles galeries du monde », se réjouit Marie Kalt, rédactrice en chef du magazine AD. Le rôle de l’enseignement est aussi prégnant. Des écoles comme Camondo, l’ENSAD ou Penninghen constituent un formidable vivier « où la tension intellectuelle est forte, ce qui crée une émulation », explique Patrick Jouin. Enfin, il ne faut pas sous-estimer le rôle des artisans au savoir-faire unique : au quotidien, ils dialoguent avec des bronziers, doreurs, staffeurs, tapissiers, ébénistes…, une filière disséminée dans toute la France et qui travaille chaque jour au rayonnement de la décoration hexagonale. - 103


Le Néoprène.

Le style.

L’ICÔNE

Andrée Putman, la garçonne.

Bien avant que la mode ne s’entiche de l’anglicisme « boyish » pour qualifier le style masculin-féminin, la designer Andrée putman faisait déjà de la veste épaulée et du pantalon sa signature. Une manière d’architecturer sa longue silhouette, avec épure et rigueur. ses accents de féminité ne se lisaient que dans le choix de ses bijoux, sa mythique mèche crantée et ses lèvres soulignées de rouge. L. B.-C. Stylisme F. Kh

Le coLLier de soirée. Maille,

en argent massif, Tiffany & Co by Elsa Peretti, 680 €. www. tiffany.com

La broche nœud.

En métal et strass, Yves Saint Laurent Vintage, 350 €. www.faubourg saintgermain.fr

La veste.

En laine ceinturée, Jil Sander Navy, 700 €. www. farfetch.fr

exposition

L’école de la ligne droite.

Même fascinés par la douceur épurée des fifties françaises et scandinaves, rares sont ceux auxquels les noms de Cees Braakman, Friso Kramer ou Wim Rietveld (chaise pyramide, 1959, photo) évoquent quelque chose… Défricheur du style industriel, le brocanteur stéphane Quatresous s’est fixé comme mission de faire découvrir au public cette histoire du design hollandais des années 1950 sur laquelle il travaille depuis trois ans. son Atelier154, dans l’est parisien, expose chauffeuses, canapés, bridges et tables compas dont la radicalité confine à une sorte de poésie de la ligne droite. Durant deux mois, une expo-vente réhabilitera des noms dont ce passionné espère qu’ils seront bientôt aussi connus que ceux de prouvé, perriand et Jacobsen. M. Go. « Design Pays-Bas 1950’s », Atelier154, 14-16, rue Neuve-Popincourt, Paris 11e. Tél.: 06-62-32-79-06. Jusqu’au 6 juin. www.atelier154.com

104 -

Au milieu des années 1920, les prix élevés du caoutchouc incitent les industriels à lui trouver une alternative synthétique. En 1930, un chimiste de l’entreprise américaine DuPont découvre le Néoprène (appelé Duprène à l’époque). Grâce à sa résistance aux produits liquides, il s’utilise pour isoler les lignes de téléphone, les tuyaux, etc. Seul problème : une odeur nauséabonde. Il faut alors revoir sa fabrication pour faire tomber cet obstacle à la commercialisation de masse. C’est chose faite à la fin des années 1930, et bientôt le Néoprène infiltre la vie quotidienne sous formes de gants ou de semelles de chaussures. Dans les années 1950, il conquiert le marché des activités aquatiques, lorsque les frères O’Neill créent les premières combinaisons de plongée. En 1965, dans Opération Tonnerre, Sean Connery et Claudine Auger (photo) se présentent tous deux dans une éclatante tenue rouge. Le mythe de la combinaison sexy est né.

À L’arrIvéE

Son succès mode, le Néoprène le doit à sa consistance. Le tissu a du « corps », il est épais, dense, et offre modernité et tenue, voire rigidité, aux vêtements. Mais il permet aussi une aération optimale : en cela, il est le tissu idéal entre janvier et avril, quand les températures oscillent, passant du chaud au froid. Relativement malléable, il prend des formes qu’aucun autre tissu ne pourrait garder plus de deux minutes. Il permet alors aux créateurs de travailler sur les volumes, tels Roksanda Ilincic, qui en fait une large jupe jaune (photo), ou Lenny Niemeyer, qui choisit de créer un bikini noir inspiré du péplum. J. N.

5 avril 2014

Magali Delporte/Picturetank. Tiffany & Co. Yves Saint Laurent Vintage. Jil Sander. Aurélie Cenno. The Kobal Collection. Roksanda Ilincic

À L’orIgINE


Fétiche

Son de cloche.

Née dans les années 1950, la marque de hi-fi harman Kardon a conservé de ses origines une esthétique ancrée dans une époque et un son de qualité. Durant les années 2000, ce spécialiste a marqué les esprits avec des enceintes pour Pc baptisées SoundSticks, dont le caisson de basses adoptait un design détonant aux lignes circulaires et arrondies. tout aussi forte en style, sa dernière enceinte combine Bluetooth, AirPlay et DLNA : les trois modes de transmission de la musique sans fil permettent d’écouter tout fichier musical, qu’il soit stocké sur un smartphone, une tablette ou un ordinateur. Les haut-parleurs sont répartis autour de l’enceinte en plastique blanc et transparent. Le son est donc diffusé à 360 degrés avec un équilibre remarquable : les graves sont présents sans se faire envahissants et les aigus précis, notamment sur les voix. Seule précaution d’usage : camoufler la disgracieuse alimentation électrique pour ne pas gâcher l’effet visuel… M. Go EncEintE sans fil aura, 399 €, Harman/Kardon. www.HarmanKardon.fr

Photo audrey corregan pour m le magazine du monde. stylisme fiona Khalifa

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Le style.

Variations

Ménage(rie).

si la page blanche est souvent synonyme d’angoisse chez les écrivains, elle s’apparente à un espace de liberté créative chez les graphistes, qui ne se contentent plus du papier. Certains d’entre eux impriment leur art sur des sacs en tissu, des couettes, des nappes… ou des torchons. Cette saison, ils s’éloignent des motifs abstraits pour livrer un langage figuratif à travers un bestiaire naïf. rougegorge, poules et moineaux viennent peupler la cuisine sous forme de dessins rétro-contemporains. L’artiste Valérie Leroux, elle, produit son torchon sardine directement sur le port de Concarneau, forcément inspirant quand il est question de croquer des poissons. M. Go. De gauche à Droite en partant Du haut, torchon robyn moutarDe, oelwein, 16€. www.oelwein.fr torchon cocotte noir et or, la cocotte, 15,90 €. www.lacocotte.net torchon lovebirDs, ferm living, 11 €. www.fermliving.com torchon sarDine bleue, valerie leroux, 12 €. www.valerieleroux.com

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photo audrey corregan pour m le magazine du monde. stylisme fiona Khalifa


Le goût des autres Tête à claquettes. Par Carine Bizet

Q

Courtesy of Mykita x2. Maison Martin Margiela

uand elle n’a plus la force d’inventer, la mode recycle, bricole, combine. Et pas toujours pour le meilleur. Sa dernière trouvaille : une chaussure ouverte hybride, entre claquette de piscine et sandale de moine façon Birkenstock. Autant dire la version chaussure de Frankenstein, sans les sutures. Cette mésalliance faite soulier a des marraines prestigieuses, des créatrices comme Miuccia Prada et Phoebe Philo qui aiment jouer avec le bizarre pour faire avancer la mode. Mais il y a fort à parier que ces deux pionnières n’envisageaient certainement pas une interprétation aussi littérale de leurs expériences stylistiques. N’empêche, tout le monde ou presque s’y est mis et voilà cette créature absurde trônant avec fierté dans les vitrines du moindre site de vente en ligne. Les plus atteintes – du syndrome de la suiveuse de tendance compulsive – verront dans cette chaussure une forme d’ironie, de retour aux sources du « vrai » (un concept flou qui rassemble dans une harmonie improbable bobos et marketeurs capables de vendre du fro-

mage au lait cru à des allergiques au lactose). Les plus réalistes découvriront assez vite la vérité : même si elles ont essayé l’objet du délire dans un élan de curiosité, c’est moche. Très moche. Et cette mocheté est contagieuse. Ces claquettes rendent absolument vilaine la tenue la plus chic. Petit exercice de visualisation : avec un jean ? (beurk) ; avec une robe imprimée structurée (hein ?) ; avec un tailleur-pantalon coupé au-dessus de la cheville (plouf !). A la limite, planquées sous une jupe longue, ça passe. Mais à quoi bon ? La triste réalité demeure : ces claquettes incarnent un renoncement, non à l’artifice mais à l’allure. Elles ont pris le pire de leurs deux « parents ». D’un côté la claquette de piscine en plastique, dans laquelle le pied s’étale mollement dans l’attente d’une plongée hypothétique dans une mare chlorée. Elles annoncent le début de la fin dans un couple : on commence par les claquettes de piscine – si confooortaables –, puis on fait les courses en traînant son sac à provisions, ensuite on s’engueule pour une éponge mal rincée, et enfin on arrête de se raser sous les bras parce que

c’est l’hiver. Voilà pourquoi les hommes fuient les « femmes à claquettes ». Second coup de grâce : le côté sandales monacales. L’ascèse se pratique ici, au Biocoop du coin, où l’on achète des graines germées, de la pâte dentifrice à l’argile et du papier toilette recyclé. Et puis, au cours du dîner on parle

de faire son propre compost. Autre cause de rupture. Après la claquette, la porte qui claque. Pour éviter de finir seule avec du compost dans la cuisine et un sac à provisions désœuvré, on gardera les tongs des dix saisons précédentes accompagnées d’une jolie pédicure au vernis même pas bio.

le THÉORÈMe

Maison Martin Margiela et Mykita croisent leur regard.

la marque française Maison Martin Margiela se joue depuis vingt-six ans des tendances, des volumes et des matériaux. le lunetier berlinois Mykita séduit depuis dix ans une clientèle pointue avec des montures faites main au design parfois futuriste. les deux parlent un langage esthétique commun fait d’artisanat et d’innovation. Après deux ans de réflexion et de mise au point, ils sortent une collection de solaires unisexes en acier brut (une poudre transparente couvre et scelle les montures) ou en acétate mat dupliqué en trompe-l’œil, qui dépassent les strictes lois de la fonctionnalité. S. Mu 495 €. En vente sur www.mykita.com

5 avril 2014 – Illustration Johanna Goodman pour M Le magazine du Monde

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Le style.

EN VITRINE…

H&M plante le décor.

H

La housse de coussin

1.

« 100% lin, elle symbolise parfaitement notre conception du style et de la qualité au meilleur prix. Imprimée dans une nuance douce de vert d’eau, elle nous invite à rêver à des destinations exotiques. Nous l’avons conçue en imaginant des vacances estivales sous les tropiques, dans des salons confortables et luxuriants, remplis d’une multitude de magnifiques coussins. » 12,95 €

3.

Les couverts à salade

2.

Le vase

« C’est l’une de mes pièces préférées cette saison. J’essaie toujours d’avoir des fleurs fraîches à la maison, il m’est donc très utile ! Ses formes arrondies, associées à une couche irrégulière et asymétrique de peinture blanche, en font un objet simple et moderne. » 12,95 €

« Ils ont leur bol en bois assorti : tous très tentants pour servir les salades d’été ! Le turquoise est une des couleurs phares cette saison, et le bois un matériau très présent. Je suis certaine que son utilisation se développera de plus en plus. » 7,95 €

TÊTES CHERCHEUSES

Le travail tout en nuances de Scholten & Baijings.

En décoration comme en mode, le dégradé de couleurs est devenu incontournable ces dernières saisons. Presque un diktat. Cette lame de fond, on la doit essentiellement au duo composé de Stefan Scholten et Carole Baijings. Depuis la fondation de leur studio en 2000, ces designers néerlandais développent un univers joyeux en déniaisant les teintes pastel et fluo. Dans leur démarche singulière, ces créatifs de génie partent de la couleur pour concevoir meubles, accessoires et affiches. Leur appétit chromatique n’a aucune limite et, en 2012, ils ont même décomposé puis remonté une Mini en colorant une à une chaque pièce détachée… Mais c’est leur collaboration avec Hay qui a confirmé leur influence grandissante. Pour l’éditeur danois, ils expérimentent des mariages de lignes et de couleurs sur des draps, de la papeterie, et jouent avec des aplats de couleur sur du verre. Un univers délicat et vibrant, dont l’apothéose fut une table dressée au cœur du Victoria and Albert Museum lors du dernier Design Festival de Londres. Pour le prochain Salon du meuble de Milan (du 8 au 13 avril), ils dévoileront des fauteuils aux couleurs gourmandes chez l’éditeur Moustache, des gobelets pour la jeune manufacture irlandaise J. Hill’s et participeront à plusieurs expositions… Mais ces génies de la nuance seront aussi chez Ikea : ils ont livré affiches et horloges pour le géant suédois. M. Go. www.scholtenbaijings.com

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H&M Home. Freudenthal/Verhagen

& M Home arrive en France. D’abord à petits pas, avec l’ouverture, mi-mars, d’un corner consacré à la déco enfantine dans le magasin de la rue Lafayette, à Paris. Puis à une plus grande échelle, avec l’arrivée de l’univers de la maison sur le site marchand, puis dans deux nouveaux magasins en mai, l’un avenue de France, à Paris 13e, l’autre à Mulhouse. Au programme, du linge de table et de lit, des bougies, des ustensiles de cuisine ou encore des tapis à tout petits prix. Evelina Kravaev-Söderberg, responsable du design H & M Home, décrypte l’esprit de la collection. Propos recueillis par Caroline Rousseau


LA PALETTE mines d’or.

Alors que Guerlain fête les 30 ans de la Terracotta, il devient difficile d’énumérer toutes les poudres de soleil sur le marché du maquillage. Et si la marque, pionnière du genre a beaucoup œuvré pour démocratiser le faux bronzage, la maison Chanel a réussi un pari fou avec le lancement de sa ligne « Les Beiges » : exclure le soleil de sa communication pour ne plus parler que de « belle mine » et de « plein air ». Une évolution subtile du vocabulaire qui a galvanisé le secteur. Ces produits qu’on croyait réservés à un usage estival se multiplient tout au long de l’année dans des versions mates et moins foncées, impossibles à détecter. L. B.-C. Phyto Touche Illusion d’Eté, Sisley, 73 €, www.sisley-paris.com Terracotta Sun Celebration, Guerlain, 65 €, www.guerlain.com, en vente le 15 mai. Poudre Terre Exotique, Givenchy 55 €, www.givenchy.com Poudre Glam Bronze, L’Oréal Paris, 14,90 €, www.loreal-paris.fr Les Beiges Harmonie Poudre Belle Mine, Chanel, 52 €, www.chanel.com Diorskin Nude Tan Matte, Dior, 50 €, www.dior.com

réédition

Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde. Remed

Libertés de la presse.

L’hédonisme des « trente glorieuses » est-il soluble dans le désenchantement de 2014 ? Par la magie de la nostalgie, peut-être. C’est le pari de l’Atelier Franck durand, qui relance le magazine américain Holiday (1946-1977). Jadis mensuelle, cette publication cristallise une sorte d’âge d’or de la presse qui inventa la mise en page moderne, les portraits de personnalités dans leur environnement de travail ou personnel (un choc visuel à l’époque), et donna carte blanche à des écrivains et photographes hors pair (Steinbeck, Kerouac, Colette, didion, Heller, Capa, Cartier-Bresson…) qu’elle envoyait en Crète, à Paris, dans le Mississippi, avec pour seul mot d’ordre de « rapporter ce qu’ils voulaient », sans regarder ni au temps ni à la dépense. Un article pouvait rapporter alors à ces plumes 10 000 dollars (90 000 dollars actuels, 65 400 euros). Seul comptait le plaisir du lecteur. Voilà ce que raconte, entre autres, cette « 69 issue » du magazine dont la couverture est illustrée par l’artiste français Guillaume Alby, alias remed. Ca. R. 13 €. Disponible en avant-première chez Colette, 213, rue Saint-Honoré, Paris 1er.

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Le style.

un peu de tenues…

Le bleu.

Marine, indigo, azur, pétrole, outremer, la couleur céleste détrône le noir et investit tout le vestiaire masculin du printemps, accessoires compris.

Par Marine Chaumien/ Photos Christope Rihet

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page de gauche, Veste en coton, Chevignon. polo en coton piqué, LaCoste. lunettes de soleil, sandro au centre, costume en laine Vierge, hugo hugo Boss. chemise en coton, sandro. lunettes, PauL smith. craVate en soie tricotée, viComte a. porte-documents en cuir, LongChamP en haut, Veste en soie, CanaLi. chemise en lin et pantalon en coton, BerLuti. craVate en soie tricotée, de FursaC. montre g-timeless aVec cadran en acier et bracelet en cuir, guCCi.

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Le style.

ci-dessus : costumebermuda en toile de laine et mohair, cravate en satin de soie et derbies en cuir, Dior Homme. chemise en popeline de coton, Guess Jeans. montre G-timeless avec cadran en acier et bracelet en cuir, Gucci. chaussettes en laine, royalties Paris. au centre : costume en coton, lanvin. pull en soie quadrillé, salvatore FerraGamo. baskets en veau velours, Puma.

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paGe de droite : veste 3/4 en soie, pochette en cuir et derbies en veau velours, BurBerry Prorsum. chemise en coton, us Polo. pantalon en coton, Henry cotton’s. cravate en soie, lanvin. mannequin : Guerrino@ élite paris mise en beauté : marielle loubet assistante styliste : ana li mraovitch production : White dot


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le style.

2

1

3 4

Le design lumineux. Avec l’arrivée de la technologie LED, la lumière n’a plus besoin d’ampoules pour exister. Sculptures en plâtre, panneaux textiles, cordages en verre… Les designers se mettent à illuminer la matière.

E

lle vient d’une corde, d’un livre, d’un tissu.

Dépouillée de sa gangue de verre – l’ampoule –, la lumière jaillit de partout, et surtout de là où on ne l’attend pas. « C’est une minirévolution, convient Quentin Hirsinger, président de matériO, bibliothèque de matières innovantes installée à Paris. Ces dernières années, la lumière s’est désolidarisée de la lampe à incandescence. Sont arrivées de nouvelles sources lumineuses : les lampes fluorescentes compactes, et surtout les LED. Des sources froides quand l’incandescent était bien trop chaud pour que l’on puisse mettre des matières à son contact. » De là sont nées de nouvelles possibilités d’éclairer. Pour le château Borély, qui abrite le Musée des arts décoratifs, de la faïence et de la mode à Marseille, le designer Mathieu Lehanneur a réalisé Les Cordes, un lustre impressionnant en verre borosilicate et LED qui forme comme un cordage

114 -

transperçant le plafond. Max Gunawan a inventé, pour sa part, la lampe de table Lumio, qui ressemble à s’y méprendre à un livre, sauf lorsqu’elle s’allume. L’une des dernières innovations en date est celle issue de l’alliance entre Saint-Gobain Adfors, fabricant de tissus techniques, et Fabrice Knoll, architecte et designer. Résultat : le textile lumineux Onirys, cotissage entre fibre optique et fibre de verre, pour des panneaux tissés jacquard à exposer au mur. « Il éclaire comme un lampadaire de salon mais donne cette impression d’être comme dans un cocon, enveloppé de lumière, commente Fabrice Knoll. Les clients sont à la recherche de ces espaces doux, propices à la réflexion, à la méditation, qui proviennent de cette lumière uniforme. Naturellement, les hôtels sont nos premiers clients pour équiper leurs lobbies, mais les particuliers aussi sont convaincus par cette esthétique. » Sans compter le gain de place appréciable du deux en un : tableau

décoratif et source lumineuse. Ajoutez à cela le « plus » écologique puisque issu de la technologie LED... « Aujourd’hui, la technique sert les intérêts des designers, poursuit Fabrice Knoll. Ainsi la lumière peut venir de partout, elle n’a plus besoin d’un objet précis et répétitif, l’ampoule, pour exister. » la prochaine révolution devrait venir de la technologie oled

– O pour organique, c’est-à-dire réalisée à partir de polymère. « Elle permet encore plus de souplesse, apporte plus de surface de lumière et passionne déjà les designers puisqu’elle se présente sous forme de feuilles souples et flexibles », explique Quentin Hirsinger. Une technologie bien en avance par

rapport à ce qui existe sur le marché. Des sources lumineuses innovantes, il en note pas moins d’une trentaine parmi ses références. Et d’insister aussi sur l’importance des sources d’alimentation : « L’évolution est radicale là aussi : alimentation sans fil, plus grande autonomie, batterie, cellule solaire… » De quoi aider à s’émanciper encore plus. Pour l’heure, la tendance est lancée et les artistes d’intérieur laissent aller leur imaginaire poétique. Cécile Chareyron crée ainsi de vraies sculptures lumineuses : Arborescence est une branche sur laquelle bourgeonnent de petites fleurs en plâtre blanc et LED, Diaphilia reprend cette technique pour épanouir des fleurs fantasmées… De quoi rêver au grand jour. Ou presque. Catherine

Maliszewski

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Cécile Chareyron. Courtesy of Lumio. Thomas Déron. Vincent Duault

D’où ça sort?

Les designers laissent parler leur imagination et font jaillir la lumière de nouvelles matières. 1 - Arborescence, de Cécile Chareyron. 2 - Livre lampe Lumio de Max Gunawan. 3 - Panneaux lumineux, motif Swift Petal, imaginés par Fabrice Knoll pour SaintGobain Adfors. 4 - Lustre Les Cordes de Mathieu Lehanneur.


THÈME ÉTÉ 2014

JARDINS LES JARDINS COMME SOURCE D'INSPIRATION Notre belle collection d'été vous propose de majestueux motifs floraux, des contrastes éclatants et tout plein de couleurs ! Tous inspirés de jardins. Des vêtements intemporels ainsi que des textiles Maison dans des matières naturelles. Dédiés aux amoureux des jardins du monde entier...

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1 - « C’est cette pièce, la Rover Chair, qui a fait de moi un designer. Un jour, alors que j’arpentais une casse automobile, je suis tombé sur des sièges de voiture que j’ai récupérés. J’en ai fait des fauteuils d’intérieur et, quelques mois plus tard, j’ai lu que, selon Rolf Fehlbaum [le patron de l’éditeur Vitra, NDLR], j’étais “le designer londonien le plus intéressant”… »

Le style.

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2 - « Je ne me doutais pas que cette bibliothèque allait devenir un tel succès commercial. Je l’ai conçue comme une pièce d’art utile. A l’origine, elle était en acier, puis l’éditeur italien Kartell l’a réalisée en plastique. Depuis 1994, il s’en vend plus de 100 kilomètres par an… »

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3 - « J’ai dessiné le Musée du design de Holon, dans la banlieue de Tel-Aviv, en 2010. J’ai créé un bâtiment autour duquel on ne pourrait voir que le ciel. Comme une enveloppe avec à l’intérieur un espace lisible et fonctionnel, qui serve les œuvres. »

MA VIE EN IMAGES RON ARAD.

Le très gonflé fauteuil Big Easy et l’étagère sinueuse Bookworm ont transformé Ron Arad en star mondiale du design. Délaissant les formes traditionnelles pour les tordre au gré de son imagination, ce designer né à Tel-Aviv et vivant à Londres collabore avec les plus grands éditeurs comme Kartell, Moroso, Alessi ou Vitra. Depuis le début des années 1980, il produit ainsi des objets à la fois organiques, sensuels et postindustriels, aux confins du design et de l’art. Il vient de dessiner sa première collection de verrerie pour la manufacture turque Nude. Propos recueillis par Marie Godfrain

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www.ronarad.co.uk

4 - « Comme je suis fan de ping-pong, j’ai décidé de créer ma propre table, adaptée à mes envies. Elle est en acier et bronze. Elle rend le jeu plus lent et donc plus drôle avec son plateau courbé. » 5 - « Lorsque je réfléchis, je forme systématiquement un masque avec mes mains. J’ai ainsi l’impression de pouvoir observer sans être vu. Sur cette image, on ne voit que mes mains et mes yeux, les deux éléments les plus importants dans mon métier. »

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6 - « Cette photo a été prise lors de mon exposition “In Reverse” à la pinacothèque Agnelli, à Turin. L’idée ? Choisir un objet fonctionnel et le transformer en objet non fonctionnel. Je me suis inspiré des herbiers pour “Dried Flowers”, ces six Fiat 500 que j’ai imaginées sorties d’une BD ou d’un dessin d’enfant. » 7 - « J’aime dessiner et sculpter. On retrouve sur cette page le croquis très brut de mon Big Easy. Ces croquis ne sont pas parfaits, à l’image de mes meubles. Ensuite, on les polit et on les retravaille jusqu’à ce qu’ils se muent en bijoux. »

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5 avril 2014

Michael Castellana x2. Ron Arad Associates. Asa Bruno x2. John Bodkin. Ron Arad

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ÊTRE ET À VOIR

Angelina.

Illustration Vahram Muratyan pour M Le magazine du Monde

Par Vahram Muratyan

Angelina Jolie, reine de beauté dans Maléfique, en salles le 28 mai. 117


Le style.

JP Géné Un grand de demain.

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GRÉBAUT EST

biance ceviche; velouté d’asperges blanches, sabayon de cresson, croûtons et anguille fumée comme des petits lardons pour une symphonie en vert et blanc ; saint-pierre filet, peau croustillante, bâton de seiche cuit entre deux plaques, coulis d’ortie et d’ail des ours, jus de coquillages, une leçon de cuisson ; bœuf de Galice maturé trois mois, carottes nouvelles, beurre noisette, estragon pour un bœuf carottes revisité ; orange caramélisée, sablé breton, crème glacée à l’avoine parce qu’il faut bien finir avec le bec sucré. Cette cuisine contempoC’EST UNE CUISINE QUI APPARTIENT raine, qui incarne parfaitement la à la famille Passard-Barbot modernité, apparaît d’une extrême (L’Astrance), avec ce souci perma- simplicité dans l’assiette mais elle nent du végétal, dans des plats tou- nécessite des heures de travail en jours jolis et à l’assaisonnement brigade, où l’on se bouscule pour millimétré. Ni abondance de fleurs, participer à la naissance d’un grand ni inflation d’herbes ou autres gim- de demain: Bertrand Grébaut.

veurs et des techniques d’Orient. Ils raconteront leur périple en direct sur leur blog. Il ouvre Septime en 2009 avec son partenaire Théo Pourriat (en salle et à la sommellerie). Comptoir à l’entrée, tables de bois brut récupéré sur d’anciens wagons, lampes tempête, cuisine ouverte sur une salle couleur cendre, le succès est immédiat avec une carte courte, une formule à 26 € le midi (aujourd’hui à 28 €) et un menu en 5 étapes à 55 € dont le tarif n’a pas (encore?) changé avec l’arrivée de l’étoile. Depuis, il faut compter trois semaines pour y dîner.

La cuisine de Bertrand Grébaut a ce souci permanent du végétal, dans des plats toujours jolis et à l’assaisonnement millimétré. Ni abondance de fleurs ni inflation d’herbes dans des assiettes où chaque élément a sa raison d’être. micks poudrés dans des assiettes où chaque élément a sa raison d’être. Ainsi ces cubes d’espadon et de navet nouveau incroyablement juteux, jus d’asperges vertes et fanes de navets, copeaux de cédrat pour un assemblage à l’am5 avril 2014

Cecilia Garroni Parisi pour M Le magazine du Monde

B

créative de la bistronomie parisienne. Pourquoi à lui plutôt qu’au certain que Chateaubriand, à Saturne ou la directrice Frenchie pour ne citer que les plus du Michelin, Juliane Caspar, est sérieux prétendants? C’est la loi du venue dîner à Septime. Ce soir-là, guide, sûrement sensible à une cerun de ses invités a malheureuse- taine assiduité du chef au piano. ment cru que la table était réservée Il récompense avant tout un garçon à son nom, avant de se reprendre qui, sous ses airs d’ex-adolescent devant le personnel qui a immédia- qu’une barbe clairsemée ne partement percuté et transmis en cui- vient pas à vieillir, affiche une désine. « On avait la tête dans les termination sans faille pour satisépaules», se souvient Bertrand avec faire ses envies. Il est trop jeune le sourire. La patronne du Michelin pour avoir lu sur les murs «Prenez n’a soufflé mot. On peut penser vos désirs pour des réalités » mais, qu’elle s’est régalée car l’édition à 14 ans, il n’a pas eu besoin qu’on 2014 du « guide rouge » accorde sa lui en explique le sens. Infernal en première étoile à Septime qui, l’an classe, il voulait taguer et il a tagué passé, n’avait droit qu’à une four- partout, de Paris à New York et chette. « J’avais oublié combien le Amsterdam. Quand c’est devenu Michelin est important en France », légal, qu’on a attribué des espaces constate le promu, qui garde pré- réservés aux tags, il a abandonné. cieusement les félicitations adres- «C’était devenu un métier.» sées par Paul Bocuse. Le bac en poche («je ne sais comment Que le Michelin reconnaisse ainsi je l’ai eu »), Bertrand Grébaut se Septime, classé 49e sur la liste des tourne un moment vers le gra50 meilleurs restaurants du monde, phisme mais l’univers professionn’est pas innocent. Si l’on excepte nel ne lui convient guère. Son pote Yam’Tcha, déjà étoilé, où la cuisine coloc a déjà un pied en cuisine, il va d’Adeline Grattard est vraiment s’inscrire à Ferrandi, « l’ENA de la particulière, c’est le premier maca- gastronomie», et soudain l’école lui ron attribué à cette jeune vague plaît: il sort major de sa promo avec des idées d’étoiles dans la tête. Il Le carnet d’adresses les fréquente rapidement lors de ses passages chez Robuchon, et surSEPTIME tout chez Alain Passard. Bertrand 80, rue de Charonne, Paris 11e. Grébaut obtiendra d’ailleurs un Tél. : 01-43-67-38-29. Fermé samedi midi, dimanche et lundi. macaron à 26 ans avec Laurent Lapaire à l’Agapé. Il a bien sûr envie LA CUISINE DE de créer son propre restaurant mais, BERTRAND GRÉBAUT, avant, il s’offre une année sabbaSEPTIME, Editions Argol, 2013. 208 p., tique à caractère gastronomique en 29,90 €. voyageant en Asie avec sa compagne Tatiana sur les traces des saE R T R A N D


Le resto. Mer supérieure.

Manger les fruits de la mer en ville, c’est une idée croisée en voyage à l’Oyster Bar à New York et au Fiskebar à Copenhague. En profitant d’une opportunité mitoyenne de Septime, Bertrand Grébaud (voir la chronique ci-contre) n’a pas voulu ouvrir un autre restaurant mais un lieu dédié à la mer inexistant à Paris. Pari réussi avec ce Clamato, du nom d’un jus épicé de tomates et de palourdes vendu en canette au Canada. Le comptoir aligne une vingtaine de tabourets, tables serrées, pas de réservation, c’est fighting spirit dans l’assiette comme à table et dans un volume sonore élevé. Les tapas sont cuisinées froides ou chaudes : poulpe de Saint-Jean, oignon cévenol, piquillos (11 €) ; sar, radis, coriandre (14 €) ; espadon, citron de Kalamata (13 €) ; asperge, coques, pourpier (12 €) ; couteaux, beurre d’herbes (13 €) ; lentilles, anguille fumée, graines (9 €), sans oublier les huîtres sauvages de Normandie (16 € les 6) ou d’Utah Beach (18 € les 6). On vient grignoter en buvant un verre ou faire un repas complet. C’est si bon qu’on veut tout goûter, mais attention, la note peut vite grimper. JPG Clamato, 80, rue de Charonne, Paris 11e. Tél.: 01-43-72-74-53. De 19 h à 23 h (non-stop de midi à 23 h samedi et dimanche). Fermé lundi et mardi.

banc d’essai

Le choreylès-beaune.

Chorey, c’est le bon plan de la Bourgogne. Ceux qui aiment le pinot noir dans toute sa splendeur, sans avoir à dépenser des fortunes, trouveront leur bonheur. Une appellation qui s’impose avec des tajines.

Par Laure Gasparotto

Domaine eDmonD Cornu & fils 2012

le franc Un vin de soif, plein de gourmandise, ce qui est recherché avec cette appellation, qui présente des vins digestes et de belle texture. Tél.: 03-80-26-40-79. 16 €.

Les coordonnées

de la série Un peu de tenues... Le bleu, p. 110

B. Schmuck. DR x5

BErLUti : www.berluti.com/fr

Chapuis frères, Cuvée les Bons ores 2012

le charnu Profond, éclatant, ce vin bio est produit le plus naturellement possible. Sa chair est fraîche et gourmande. Tél.: 06-89-56-05-12. 19 €

Domaine Catherine et ClauDe maréChal 2011

le naturel Elégant et délicat, il s’impose par une simplicité d’expression, sans lui enlever sa profondeur. Sa matière noble est pleine de sève.

Tél.: 03-80-21-44-37. 21 €.

Christian Bellang & fils, Cuvée poirier malChaussé 2011

le soyeux D’une robe profonde, issu d’un des plus grands climats de l’appellation, il se caractérise par ses notes de fruits rouges légèrement chocolatées. Tél.: 03-80-21-22-61. 11 €.

Domaine martinDufour, Cuvée les Beaumonts 2011

le bouqueté Ce vin, d’un joli terroir de chorey, entre Aloxe et Savigny, affiche une rondeur équilibrée. Clair et vif, il déploie toute une palette de fruits rouges. Tél.: 03-80-22-18-39. 10,50 €.

hUGO BOSS : 01-44-17-16-70 LaCOStE : 01-44-82-69-02 LaNviN : 01-44-71-31-73 LONGChaMP : 01-55-90-59-69

BUrBErrY PrOrSUM : 01-40-07-77-77

PaUL SMith : 01-53-63-13-19

CaNaLi : www.canali.it

PUMa : www.puma.com

ChEviGNON : 01-48-13-88-88

rOYaLtiES PariS : www.royalties-paris.com

DE FUrSaC : www.defursac.fr

SaLvatOrE FErraGaMO : 0810-001-200

DiOr hOMME : 01-40-73-73-73

SaNDrO : 01-40-39-90-21

GUCCi JOaiLLEriE : 01-53-43-31-40

US POLO : www.uspoloassn.com

GUESS JEaNS : 01-42-68-87-12

viCOMtE a. : vicomte-a.com

Pages réalisées par Caroline Rousseau avec Fiona Khalifa (stylisme). Et aussi Jérôme Badie, Lili Barbery-Coulon, Carine Bizet, Laure Gasparotto, JP Géné, Marie Godfrain, Catherine Maliszewski, Stéphanie Marteau, Vahram Muratyan, Julien Neuville. 119


Le style.

FrAncE

L’Arles d’Emilie Frèche. Auteure de plusieurs romans – dont Deux étrangers, Actes Sud – Prix Orange 2013 –, Emilie Frèche vient d’adapter au cinéma 24 jours, son livre paru au Seuil en 2009, consacré à l’affaire Ilan Halimi (en salles le 30 avril). Elle nous emmène à Arles, où se trouvent son éditeur mais aussi la maison qu’elle s’est offerte, il y a huit ans, avec ses premiers droits d’auteure, pour écrire et vivre loin de Paris. « On dit que les Arlésiens ouvrent leurs volets à la feria de Pâques et les referment en septembre, à la feria du riz. C’est très vrai. Six mois dedans et six mois dehors. J’adore ce rythme. Cet excès. Ce tout ou rien qui me ressemble. » Propos

recueillis par Emilie Grangeray

S’aérer l’esprit chez Actes Sud

« C’est un peu ma maison, forcément, puisque c’est mon éditeur. Mais c’est aussi le lieu incontournable d’Arles, avec une grande librairie, un cinéma à la programmation rêvée, et la chapelle du Méjan où il se passe toujours quelque chose : conférences, expositions, rencontres d’auteurs… Cet endroit ressemble à Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani, ses directeurs : il a leur chaleur, leur générosité, leur joie de vivre. Si on ne sait pas où me trouver, c’est que je suis là-bas. »

« C’est là que j’ai vu pour la première fois une corrida de rejón (à cheval) avec Mendoza. Ce type est un artiste. Un génie. Il fait danser son cheval avec le taureau et le spectacle est d’une telle beauté, d’une telle émotion que cela me fait pleurer à chaque fois. Pour les passionnés de tauromachie, la vraie corrida est celle qui se joue à pied. Mais pour moi, Mendoza est à part. Aucune musique, aucun tableau, aucun livre ne produit l’effet que me fait cet homme quand il a rendez-vous avec la mort. » 120 -

Photos Nanda Gonzague/Transit/Picturetank pour M Le magazine du Monde – 5 avril 2014

Melania Avanzato/Opale

Vibrer avec Mendoza aux arènes


Retenir son souffle au Grand Radeau

« Arles est la “capitale de la Camargue” et cette plage, l’image par essence de cette région : une nature sauvage, aride, dépeuplée, avec seulement des dunes, du bois flotté et des taureaux. On y accède par bateau ou en voiture grâce à un badge réservé aux habitants de Saintes-Maries-de-la-Mer. La première fois que j’y ai mis les pieds, c’était en août. Nous étions seuls sur la plage. Je n’en revenais pas. Et je me suis dit : O.K.! C’est ici que je veux passer le reste de mes étés. »

Goûter le soleil au Galoubet

« Je peux y aller seule, en tête-à-tête ou avec dix copains, pour dîner ou juste boire un verre, en plein été sur la terrasse ou au contraire l’hiver près de la cheminée. J’aime ce restaurant à toutes les sauces. Aux fourneaux, Céline, outre le fait qu’elle est sublime, cuisine des plats simples du terroir, aux couleurs de la Provence – exactement ce qu’on a envie de manger. Quant à Franck, son mari, il m’a fait découvrir le morgon Lapierre et, comme disait en son temps Roger Nimier, ce n’est pas rien! »

Prendre des couleurs au marché

« Le marché d’Arles est l’un des plus grands de France. Il se tient le samedi boulevard des Lices. J’y achète des tomates anciennes, des fleurs de courgette, des lys de Casablanca parce que ça me rappelle mon enfance, du pain aux olives, et parfois de l’argenterie dépareillée. J’adore y aller tôt, quand il fait frais, qu’il n’y a personne, puis m’installer au bar du Marché, pour y dévorer la presse ou travailler. »

CARNET PRATIQUE 1/Editions Actes Sud Place Nina-Berberova actes-sud.fr et www.lemejan.com 2/Les arènes d’Arles www.arenes-arles.com 3/Le Grand Radeau Saintes-Maries-de-la-Mer. 4/Le Galoubet 18, rue Docteur- Fanton. Tél. : 04-90-93-18-11. 5/Le marché Boulevard des Lices.

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En travaillant à l’aveugle, Haroon Mirza, ici dans son atelier de Londres, a voulu « interroger le capitalisme, qui ne donne de valeur aux choses qu’à travers le regard ».

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Focus

mirza en pleine lumière

Lorsqu’on lui a proposé de créer une installation à la Villa Savoye de Le Corbusier (à Poissy), le plasticien londonien a choisi de découvrir les lieux à l’aveugle, les yeux bandés. Une manière de brouiller ses perceptions. Le résultat : des panneaux ornés de LED réagissant à la lumière ambiante. Par Emmanuelle Lequeux/ Photos Laura Pannack

5 avril 2014

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la culture.

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« THe ligHT Hours », d’Haroon Mirza, villa savoye, 82, rue de villiers, poissy (yvelines). Tél. : 01-39-65-01-06. jusqu’au 29 juin. villa-savoye.MonuMenTs-naTionaux.fr

photo laura pannack/picturetank pour M le magazine du Monde – 5 avril 2014

Courtesy of Haroon Mirza

N

e rien voir, toUt sentir… Haroon Mirza s’est bandé les yeux, et a découvert en aveugle la Villa Savoye de Poissy (Yvelines) ; à tâtons, il a arpenté le chefd’œuvre de Le Corbusier. Invité à investir cet écrin de blancheur, comme l’ont fait avant lui d’autres plasticiens, il a voulu le livrer à tous ses sens, excepté son regard. Certes, l’architecte franco-suisse a dessiné cet exemple de modernisme comme un piège à lumière. Certes, l’artiste britannique qui la défie aujourd’hui, Lion d’argent à la Biennale de Venise 2011, travaille avec les photons autant qu’avec le son. Mais Haroon Mirza voulait s’offrir une expérience unique, comme il le raconte dans son atelier du nord de Londres, où ses yeux très noirs sont grand ouverts : « J’ai expérimenté cette technique des yeux bandés pour la première fois lors d’une résidence à l’atelier Calder de Saché, en Indre-et-Loire, pour envisager l’espace de façon purement acoustique, explique-t-il. Je voulais procéder ainsi pendant toute une semaine, mais je n’ai tenu que vingt-quatre heures : le lieu est trop dangereux, avec tous ces escaliers ! » Haroon Mirza ne renonce pas pour autant à l’idée, cherchant à comprendre comment « notre perception de l’espace est bouleversée par l’écoute que nous pouvons en avoir, et comment une exposition peut être affectée par la cécité de celui qui la conçoit ». « The Light Hours » : ainsi s’intitule sa proposition pour la Villa Savoye. Elle est composée de panneaux solaires assemblés en structures géométriques et dotés de LED qui réagissent à la lumière ambiante. « La lumière générera des sons, qui vont changer au fur et à mesure de la journée, en fonction de la plus ou moins grande intensité de la lumière, des ombres portées des visiteurs. No light, no sound : pas de lumière, pas de son », assène celui qui s’est fait connaître en bricolant vieilles radios et systèmes électriques apparaissant tous fils dehors. « Bien que ne voyant

rien, j’ai d’autant plus travaillé avec la lumière. » C’est grâce au Lab’Bel, laboratoire artistique né d’un fonds de dotation créé par la fromagerie Bel, que Mirza a eu cette opportunité exceptionnelle. « Cette architecture moderniste est un écrin qui sait se métamorphoser, voire s’effacer, estime la commissaire d’exposition attachée au Lab’Bel. La lumière et le son sont deux éléments immatériels du croisement entre art et architecture que symbolise la Villa, et il nous a semblé évident d’inviter Haroon Mirza dans ce contexte. » Celui Haroon Mirza, artiste d’une « machine à habiter », bricoleur (à gauche), présentera des pancomme la définissait son archineaux solaires ornés tecte. « Mes œuvres sont aussi de led et émettant des sons en fonction des machines, rétorque Mirza de la lumière quand on y fait allusion. L’architecambiante (ci-contre) dans l’enceinte de ture fera d’ailleurs partie intégrante la villa savoye que de l’installation, j’utilise la moindre le Corbusier présentait comme « une de ses courbes, de ses recoins, machine à habiter ». mais mon travail reste autonome : il pourra vivre en dehors de ce site à la fin de l’exposition. D’autant plus que, pour un monument ainsi classé, il n’est pas question de planter le moindre clou dans les murs… » Une expérience sensorielle ? Certes. Mais aussi, pour cet artiste nourri de matérialisme marxiste, une manière « d’interroger le capitalisme culturel, qui ne donne de valeur aux choses qu’à travers le regard ». Titiller un monument historique, cela l’enchante. D’autant plus que, lors d’une récente exposition à Dublin, il a découvert le travail de la designeuse et architecte Eileen Gray. Une femme dont le génie a quelque peu été écrasé par son rival Le Corbusier, et n’a été réhabilité que récemment. « Mon goût personnel va plutôt vers les formes de Le Corbusier mais, en tant qu’être humain, je me sens davantage solidaire d’elle. » Dans l’exposition, il lui fait donc un clin d’œil. Il résonne d’autant mieux que cette créatrice de la villa E-1027 de Roquebrune-Cap-Martin, sur la Côte d’Azur, était comme lui particulièrement attentive à la qualité du son : elle avait même créé une table de liège pour la terrasse embrassant les flots, pour que rien ne nuise au bruit des vagues… « La nature m’intéresse vivement, car elle est un système chaotique, et l’électricité dont je me sers constamment est le plus naturel des éléments », analyse-t-il en montrant le vivarium à fourmis installé dans son atelier. Il faut cependant avouer que l’artiste, DJ à ses heures, semble plus apte à animer les foules dansantes des boîtes de nuit qu’à faire vivre des insectes. Dans sa boîte de verre, plus rien ne bouge… On n’invente pas comme ça des machines à habiter.


Gratuitcettesemaineavec

Pass week-end musées Entrées gratuites pour 500 activités dans 280 musées avec le PASS valable pour 4 personnes

Plus d’infos sur Télérama.fr

Photo Laurent Seroussi

22 et 23 mars


La culture.

A vue d’œil

à tombeau ouvert

Des tatouages aborigènes sur tout le corps, des lunettes carrées qui lui donnent des airs d’intello, un bracelet électronique à la cheville : Pacifique Shimé est un repenti du « go fast », cette technique chère aux trafiquants de drogue consistant à rouler sur les chapeaux de roue d’un point à un autre pour déjouer les contrôles de police. Rangé des bolides, le gaillard vit désormais dans un mobil-home aux murs tapissés de livres et travaille sur des chantiers comme conducteur de pelle mécanique. Las, il n’est jamais simple d’aspirer à la tranquillité quand on a été un as dans son domaine : son ancien boss fait à nouveau appel à lui pour traverser la France avec 400 kg d’héroïne dans le coffre… Ne pas replonger va se révéler plus compliqué que prévu. Le dessin agité de Vincent Perriot, jeune espoir de la BD francophone (Taïga rouge, Belleville Story), va comme un gant à ce récit mené à toute berzingue et édité sur un rythme lui aussi d’enfer (les deux autres tomes de cette trilogie seront publiés dans l’année). Vous avez dit « go fast » ? F. P.

2.

Paci. Tome I: Bacalan, PAR VIncenT PeRRIoT (DessIn eT scénARIo) eT IsABelle meRleT (couleuRs), DARGAuD, 80 P., 16,95 €.

Le vioLon-roi d’ivry GitLis Ivry Gitlis (91 ans) restera dans l’histoire du violon comme l’un des interprètes les plus flamboyants de sa génération. Le choix d’enregistrements parus chez Philips dans les années 1960 qui composent ce coffret-portrait le confirme. A cette époque, le virtuose ex-enfant prodige est au sommet d’un art expressionniste et très personnel, d’une incroyable vitalité et d’une intensité démiurgique. Qu’il aborde Paganini ou Wieniawski, Berg (Concerto « à la mémoire d’un ange », inédit) ou Brahms, Ivry Gitlis est dans le droit-fil de cette tradition d’Europe centrale, qui fait du violon-roi un instrument tour à tour ange et plus encore démon. M.-A. R. ivry Gitlis Portrait. coffReT De 5 cD chez DeccA.

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5 avril 2014

Vincent Perriot/Dargaud x2. Rue des Archives/Agip

Réédition


Le RêVe AméRicAin VU pAR JAmes GRAY Bio express

GUESCH PATTI

Ancien petit rat de l’Opéra, l’impétueuse chanteuse d’“Etienne” se relance dans la danse avec “RE-VUe”, sa première chorégraphie théâtrale.

4.

1992. Guesch Patti

accepte la commande du directeur du festival Montpellier Danse, JeanPaul Montanari, d’une performance où elle « fera ce qu’elle veut ». Elle relève le défi et propose « un truc bizarre, un concert spectaculaire » intitulé Gobe. Pendant qu’elle interprète des chansons inconnues, trois plasticiens peignent en direct. Avec elle, James Smiley, « un danseur épouvantablement génial ». Le spectacle tournera avec succès pendant un an à travers la France.

« La beauté à L’état pur » télérama

1995. Elle se jette à l’eau en proposant à cinq choré-

graphes de la mettre en scène. Naît la pièce Elle sourit aux larmes, composée de cinq séquences. « Ma colonne vertébrale est redevenue droite. j’ai laissé de côté le Top 50 et le show-biz, où j’étais assez malheureuse et dont je ne savais pas gérer le système, réduit à ce qu’on peut rapporter, pour retrouver un espace de liberté. »

« MaGIStraL » © 2013 Wild Bunch S.A and Worldview Entertainment Holdings LLC. Tous droits réservés.

Les Inrockuptibles

2006. Onze ans après le décès de son père, Jean Porasse, en 1995, Guesch Patti perd sa mère, Linda. « Les deux piliers de ma vie ont disparu », dit cette fille unique « née dans une famille très colorée, en attitudes, en vocabulaire ». Le père, fils de Lucien Porasse, directeur du Théâtre Montparnasse, était imprésario avant de se reconvertir dans la restauration. La mère « qui rêvait enfant d’être danseuse » est devenue chef du restaurant familial Chez Linda, porte de Champerret. Guesch Patti aime dire qu’elle est née « dans le livre d’une grande histoire de théâtre ». Seule à avoir choisi la scène et la lumière, elle résume ainsi son parcours : « On a pressé le citron familial et c’est moi qui en suis sortie. »

Thierry Boccon-Gibod

2014. Pour la première fois, Guesch Patti chorégraphie

une pièce de danse, RE-VUe, avec quatre interprètes dont elle-même. « J’ai toujours fait les choses tardivement mais j’ai la sensation d’être enfin en accord avec moi-même, de rentrer à la maison. » Montée avec des bouts de ficelle, cette production, dont la gestation a duré trois ans, met en scène un « parcours de femme entre théâtre et danse ». « Avec humilité », mais en comptant bien enchaîner sur une autre création. Vite, très vite. R. Bu

Re-Vue, De Guesch PATTi, MénAGeRie De VeRRe, 12, Rue LécheVin, PARis 11e. TéL. : 01-43-38-33-44. Du 10 Au 12 AVRiL, à 20 h 30. De 13 à 15 €. www.MenAGeRie-De-VeRRe.oRG

en DVD, BLU-RAY et VOD* * Vidéo à la demande


La culture.

Le photographe Martin Parr expose un Paris dont il détourne les clichés à la Maison européenne de la photographie. ci-dessous, prière dans le quartier de la Goutte-d’Or. a gauche, touristes au Louvre.

Chambre noire

Avec son complice, l’éditeur Xavier Barral, Martin Parr enrobe une nouvelle fois ses images dans un objet malin et ludique. Dans cet album en plastique noir souple, Parisiens et Franciliens reconnaîtront la copie exacte du plan du Grand Paris : celui qu’il vaut mieux avoir pour rejoindre en voiture, sans GPS, le parc de la Haute-Ile de Neuillysur-Marne. Le photographe en a gardé la maquette exacte, et même les pages avec les listes des rues, remplaçant juste les cartes par des images de Paris, assemblées au fil des années et complétées par une commande de la Maison européenne de la photographie. Et quelles images : le photographe aligne les clichés – la pétanque, la tour Eiffel, La Joconde, les amoureux – pour mieux les dégommer. Au Salon de l’agriculture, au Louvre, à la Fashion Week, il tourne son appareil vers les regardeurs, et non les objets regardés : touristes agglutinés sous la pluie, familles fatiguées, bourgeoises ridicules… Le tout offre un tableau pas très ragoûtant du conformisme de l’époque, où la Ville Lumière scintille de tous ses néons vulgaires. Cl.G. « Paris », de Martin Parr, MaisOn eUrOPÉenne de La PHOtOGraPHie, 5-7, rUe de FOUrcy, Paris 4e. JUsqU’aU 25 Mai. www.MeP-Fr.OrG Grand paris, de Martin Parr, Éd. Xavier BarraL, 128 P., 40 PHOtOs cOULeUrs, 35 €.

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5 avril 2014

Martin Parr/Magnum Photos / Galerie Kamel Mennour x3

paris par parr


Photo: Jimmy Kets

Ven 25–Dim 27 avril 12h – 20h Brussels Expo www.artbrussels.com

@ArtBrussels artbrussels


La culture.

6. En coulisses

la cour des cruautés de stanislas nordey Jeu de main, jeu de vilain. La scène rose fluo que foule Stanislas Nordey a des allures de cour de récré. A l’arrièrescène de la salle de répétition du Théâtre national de Bretagne (TNB), près de Rennes, sont disposées de grandes figurines de carton-pâte qui mesurent jusqu’à cinq mètres de haut. Le metteur en scène y peaufine, avec son équipe, sa dernière création, une adaptation de Neuf Petites Filles, un texte contemporain de Sandrine Roche qui sera ensuite monté au Théâtre des Abbesses, à Paris, en novembre. « Un spectacle apparemment léger et acidulé, qui se révèle en réalité très sombre. Comme une mise à mort », prévient-il. La dramaturge s’est inspirée d’ateliers d’écriture menés avec des fillettes, ainsi que du documentaire de Claire Simon filmé à hauteur d’enfants, Récréations (1992). « J’ai été horrifié par la violence des échanges entre les petits, et d’entendre dans leur bouche la reproduction à l’identique du discours des parents », confie Stanislas 130 -

Nordey. Sur le plateau, pas de petites filles modèles, mais des écolières qui jouent à se raconter des contes cruels : « Sa robe était trop courte, elle l’a bien cherché… », lance l’une d’elles, venimeuse. Des « histoires d’exclusion » qui ne sont pas sans rappeler au metteur en scène ses propres souvenirs d’élève « malingre » terrorisé par ses camarades à la sonnerie de l’école. Les fillettes sont interprétées par neuf comédiennes adultes, dont certaines comptent parmi ses anciennes élèves de l’école du TNB. « Ne travailler qu’avec des femmes, c’est rare au théâtre », se félicite Stanislas Nordey. A trois semaines de la première rennaise, les comédiennes n’en sont qu’aux « italiennes », une récitation mécanique des répliques, selon la méthode Nordey. « On travaille d’abord la virtuosité du texte et le rythme. L’interprétation vient ensuite, peut-être parce que j’ai toujours travaillé ainsi à l’opéra. Une fois que la structure est en place, je laisse la liberté aux acteurs. » Pendant ce temps, dans l’atelier couture, les costumières s’affairent à maculer neuf robes blanches identiques de taches vermeil. Comme des éclaboussures de sang. C. Gt

Neuf petites filles, ThéâTre naTionaL de BreTagne, 1, rue SainT-héLier, renneS. TéL. : 02-99-31-12-31. du 15 au 26 avriL, à 20 heureS. de 7,50 à 25 €. www.T-n-B.fr

Photos Cédric Martigny pour M Le magazine du Monde – 5 avril 2014


3 questions à

Andrew BujAlski

Ce surdoué du cinéma américain indépendant présente “Computer Chess”. Un ovni en noir et blanc qui décrit une compétition entre joueurs d’échecs et développeurs informatiques, dans les années 1980.

Ce film sur les nerds s’adresse-t-il à un public averti?

J’espère que non. L’histoire a pour cadre une convention d’échecs où des joueurs affrontent un ordinateur. Le film montre l’effet que la technologie produit sur nous. On voit aussi à quel point la place des geeks dans la société a radicalement changé depuis les années 1980 : cette sous-culture est devenue à la mode. A mon sens, les informaticiens du film étaient comme <des moines, voués corps et âme à leur passion. C’est à la fois ridicule et admirable.

Je suis propriétaire, j’ai une famille, j’essaie toujours de me demander comment faire des films qui ont aussi un sens commercialement parlant. Mais c’est souvent frustrant, autant se taper la tête contre les murs. Computer Chess a d’abord été une idée, un fantasme très expérimental. C’est le projet le plus bizarre auquel j’aie jamais songé. Il s’est fait très rapidement et avec une liberté créative que je ne retrouverai sans doute plus.

Musée Jacquemart-André Institut de France

Quelle est votre place dans le jeune cinéma indépendant américain?

J’ai du mal à l’évaluer. On a dit, à mes débuts, que je faisais partie du courant « mumblecore » (petits films américains réalisés sans budget). Or, lorsque j’ai tourné mon premier film, Funny Ha Ha, en 2002, j’avais au contraire le sentiment d’être très isolé et en retar<d sur les autres, pas de faire partie d’un mouvement. En tout cas, mon prochain sera sans doute plus traditionnel que Computer Chess. Si je parviens à le financer, le tournage aura lieu cet été, à Austin.

14 MARS – 21 JUILLET 2014

Computer Chess LLC

Propos recueillis par Clémentine Gallot

Computer Chess, d’Andrew BujALski, AveC wiLey wiggins, PAtriCk riester… 1 h 32, en sALLes Le 9 AvriL.

une exposition

OUVERT 7/7J – 10H / 18H – NOCTURNES LUNDI et SAMEDI / 20H30 RÉSERVATION COUPE-FILE SUR INTERNET :

www.musee-jacquemart-andre.com et www.fnac.com

G R A P H I S M E : C U LT U R E S PA C E S / J E A N - L U C TA M I S I E R © R M N - G R A N D PA L A I S ( M U S É E D U L O U V R E ) / J E A N - G I L L E S B E R I Z Z I

Pourquoi “Computer Chess” diffère-t-il si radicalement de vos précédents longs-métrages?


La culture.

Vu sur le Net

globe gourmand

Les contours et reliefs de l’Italie sont composés de tomates – vertes, jaunes, rouges, crues, confites, entières – ceux de la Chine sont faits de nouilles multiformes tandis que la silhouette de la France émerge d’une esthétique alliance entre pain et fromages. Dans une nouvelle série intitulée «Food Maps», inspirée de leur passion pour les voyages, le photographe Henry Hargeaves et la styliste culinaire Caitlin Levin représentent les pays à l’aide d’un ou de plusieurs aliments emblématiques, ambassadeurs de leur identité culturelle. Il faut dire que le photographe aime jouer avec la nourriture. Il s’était précédemment plu à passer à la friteuse smartphone et console de jeux pour sa série « Deep Fried Gadgets» et avait installé les couleurs de l’arc-en-ciel dans des assiettes garnies de burgers dans « Food of the Rainbow ». M. Du.

8. 132 -

Henry Hargreaves x2

HenryHArgreAves.com/food-mAps-2

5 avril 2014


Jeune pousse

Andreas Waldschuetz

Sohn, conteur d’extaSeS

Doux shaman de l’électro soul, Sohn valse entre la frénésie de sa ville natale, Londres, et la quiétude de sa ville d’adoption, Vienne. Le jeune homme avait fini par étouffer, confiné dans un petit studio de la capitale anglaise, entouré de ses instruments et machines, tentant « à la maison » l’apprentissage de la production et de la composition. Son déménagement en Autriche, en 2010, a permis à son inspiration de s’épanouir dans un lieu proposant, à moindre coût, plus de calme et d’espace, sans être coupé de l’avant-garde pop. Au bord du Danube, une tradition s’est en effet installée, depuis les précurseurs Kruder & Dorfmeister, de langueurs synthétiques, comme une alternative posée et réfléchie aux cousins berlinois. D’une voix cristalline, le Londonien de Vienne distille des morceaux qui semblent conter à la fois sa nostalgie des tensions urbaines et le bien-être de l’apaisement. Dans son premier album, Tremors, publié par le prestigieux label anglais 4AD (Pixies, Dead Can Dance, Bon Iver…), boucles rythmiques et collages vocaux font écho à des souvenirs d’extase, tout en privilégiant la contemplation plutôt que la danse. La clarté mélancolique du chant, portée par le blues minimaliste des ordinateurs, évoque celle de James Blake, chantre d’une soul blanche synthétique, ou les mélodies suspendues de Brian Eno, autre Britannique qui, en son temps, fut attiré par la Mitteleuropa. S. D. Tremors, de SoHn, 1 cd 4Ad concert le 19 Avril, Au nouveAu cASino, 109, rue oberkAmpf, pAriS 11e. tél. : 01-43-57-57-40. WWW.nouveAucASino.net


La culture.

10. Plein écran

LA coMédie du pouvoir

En adaptant au cinéma la BD à succès Quai d’Orsay, d’Abel Lanzac et Christophe Blain (Dargaud, 2010), Bertrand Tavernier a réussi à donner de la comédie du pouvoir une vision humoristique et trépidante. Sur un rythme fort enlevé, on y suit les emportements d’un ministre des affaires étrangères, Alexandre Taillard de Worms (décalque bien évidemment de Dominique François Marie René Galouzeau de Villepin), grand amateur d’Héraclite et utilisateur forcené de Stabilo Boss, joliment incarné par Thierry Lhermitte. Son agitation perpétuelle est compensée par l’impassibilité matoise de son directeur de cabinet, le formidable Niels Arestrup, dans un rôle à contre-emploi. Construit à partir du point de vue d’Arthur Vlaminck (surnommé « Picasso » par son ministre), un jeune énarque frais émoulu chargé du « langage », c’est-à-dire de la rédaction des discours, le film de Tavernier est une sorte d’ouragan, où, de crise en crise, les conseillers s’agitent beaucoup, sans trop arriver à peser sur un réel bien trop éloigné de leurs bureaux sans Internet (pour des raisons de sécurité !). Ce qui nous vaut un festival de phrases bien senties ; ainsi que, l’espace d’une courte scène, Julie Gayet en porte-jarretelles… Bref, on ne perd pas son temps en regardant Quai d’Orsay. Y. P. Quai d’Orsay, Un FiLm DE BERtRAnD tAVERniER, 1 DVD pAtHé, 14,99 € (BLU RAy, 14,99 €).

la pIèCe

“Les Méfaits du tabac”

la conférence soporifique du pr nioukhine prend une couleur intime dans ce court monologue de tchekhov. Michel robin, 83 ans, toujours aussi charmant, l’avait paraît-il joué dans sa jeunesse : le texte se marie à merveille avec le chant, piano et violon (Bach, tchaïkovski) qui l’accompagnent. un récital mis en scène par Denis podalydès avec la violoniste Floriane Bonanni. C. Gt BoUFFES DU noRD, 37 bis, BD DE LA cHApELLE, pARiS 10e. téL. : 01-46-07-34-50. JUSqU’AU 12 AVRiL, www.BoUFFESDUnoRD.com. LES 17 Et 18 AVRiL AU tHéâtRE D’ARRAS. www.tAnDEm-ARRASDoUAi.EU

134 -

la tournée

la perForManCe

le FestIval

Chanteuse à la flûte traversière, l’Italo-Belge Mélanie De Biasio ancre la langueur fiévreuse de ses concerts et de son deuxième album, l’envoûtant No Deal, dans le velours bleu nuit du jazz et les échos d’expériences pop intenses. S. D.

entre des tubes de peinture qui pètent à tout va et des corps qui crèvent le décor, la performance ravageuse imaginée par la plasticienne et metteuse en scène belge Miet Warlop s’annonce pour le moins bouillante. « Une boucherie de tendresse », dixit son auteure ! R. Bu

Ce festival de musique sacrée et baroque convie l’altiste Christophe Desjardins et les solistes XXI de rachid safir, l’ensemble Desmarest, la violoniste Hélène schmitt… Mais le clou sera le Stabat Mater de pergolèse, revu par J.-B. Bach, par l’excellent rené Jacobs et son akademie für alte Musik Berlin. M.-A. R.

Mélanie de Biasio

LE 9 AVRiL, AéRonEF, LiLLE, www.AERonEFSpEctAcLES.com. LE 10, LA ciGALE, 120, BD RocHEcHoUARt, pARiS 18e, téL. : 01-49-25-89-99, www.LAciGALE.FR. LE 26, pRintEmpS DE BoURGES, www.pRintEmpS-BoURGES.com. LE 30 mAi, FEStiVAL JAzz SoUS LES pommiERS, coUtAncES, www.JAzzSoUSLESpommiERS.com

“Mystery Magnet”

DE miEt wARLop, tHéâtRE DE LA cité intERnAtionALE, 17, BD JoURDAn, pARiS 14e. téL. : 01-43-13-50-50. JUSqU’AU 15 AVRiL. www.tHEAtREDELAcitE.com

Semaine sainte en Arles

cHApELLE DU méJAn, pLAcE ninA-BERBERoVA, ARLES (13). téL. : 04-90-49-56-78. JUSqU’AU 15 AVRiL. www.LEmEJAn.com

Pages réalisées par Emilie Grangeray, avec Rosita Boisseau, Stéphane Davet, Marlène Duretz, Clémentine Gallot, Claire Guillot, Emmanuelle Lequeux, Yann Plougastel, Frédéric Potet et Marie-Aude Roux. 5 avril 2014

Etienne George. Delalande Raymond/Sipa. Frank Loriou/Agence VU. Reinout Hiel. Eric Besnier

Et aussi…


0123 et

présentent

2

*

,50

LE LIVRE

Dès jeudi 3 avril, le volume n ° 1 La Volupté du billabong d’Hervé Claude, illustré par Loustal

Une nouvelle inédite

tous les 15 jours en kiosque

1. 03/04 HERVÉ CLAUDE

LOUSTAL

La Volupté du billabong 2. 17/04 PHILIP LE ROY

GÖTTING

Cannibales 3. 30/04 DOMINIQUE SYLVAIN

JEAN-PHILIPPE PEYRAUD

La Mule du coach

4. 15/05 ROMAIN SLOCOMBE

JEAN-CLAUDE DENIS

Le Corbeau

5. 28/05 MARIN LEDUN

CHARLES BERBERIAN

Comme un crabe, de côté 6. 12/06 ANTHONY PASTOR

Le cri de la fiancée

7. 26/06 MARCUS MALTE

ANDRÉ JUILLARD

Les Cow-boys

8. 10/07 MARC VILLARD

JEAN-CHRISTOPHE CHAUZY

Tango flamand

9. 24/07 FRANZ BARTELT

HONORÉ

Sur mes gardes 10. 07/08 DIDIER DAENINCKX

MAKO

Les Pigeons de Godewaersvelde

11. 21/08 JÉRÉMIE GUEZ

MILES HYMAN

La Veuve blanche 12. 04/09 JEAN-BERNARD POUY

FLORENCE CESTAC

La Capture du tigre par les oreilles

13. 18/09 SANDRINE COLLETTE

DOMINIQUE CORBASSON

Une brume si légère

EN PARTENARIAT AVEC

* Les volumes de la collection sont vendus successivement, chacun pendant une semaine, au prix de 2,50 € en plus du Monde. Chaque élément peut être acheté séparément, à la Boutique du Monde, 80, bd Auguste-Blanqui, 75013 Paris. Voir conditions en magasin. Offre réservée à la France métropolitaine, sans obligation d’achat du Monde et dans la limite des stocks disponibles. Visuels non contractuels. Société éditrice du Monde, RCS Paris 433 891 850. © Blaz Kure - Fotolia.com © SNCF - G.Potier. Coordination Jfd System.


Les jeux.

Mots croisés 1

2

3

Sudoku

Grille No 133

Philippe Dupuis

No 133

expert 4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

Compléter toute la grille avec des chiffres allant de 1 à 9. Chacun ne doit être utilisé qu’une seule fois par ligne, par colonne et par carré de neuf cases.

1 2 3 4 5 6 7

Solution de la grille précédente

8 9 10

Bridge

No 133

Fédération française de bridge

11 12 13 14 15

Horizontalement 1 Réserves de liquide. Réserve de liquide. 2 Lente dégradation. Chargés du service au Temple. 3 Les plus grands pourront être conservés. Chantais comme un Tyrolien. Dans le doute. 4 Poule ou coq… elles le diront. Très vite insupportable. 5 Belle Citroën. Mesure d’ailleurs. Quand le passé se fait très présent. 6 A mis du vent dans les voiles. Club phocéen. Fait appel. Essence. 7 Ses amours restent en tête. Bien court. 8 Forme d’avoir. Ses eaux ont inspiré Lamartine. Beaux bavards. 9 Facilite la traction. Ne vaudra jamais l’original. 10 Toujours en cuisine mais plus chez le photographe. Ferme les jours de la semaine et ouvre le dimanche. 11 Mit en beauté. Donneras une bonne trempe. 12 Rata son coup au billard. Draine la Tarentaise. Personnel. 13 Précèdent les autres. Golfe de la mer d’Arabie. Résistible au théâtre. Vieille dame parfois indigne. 14 En fin de matinée. Comme des grues. 15 Profond bouleversement. Au cou du chef du troupeau ovin. Verticalement 1 Mettent les vertèbres à mal. 2 N’est pas prête à prendre parti. Vieux caractères germaniques. 3 Agréable aux sens. Pâtes en couches. 4 Dans nos oreilles et aux pieds des moutons. A consommer pure. Dans les rognons. 5 Négation. Brouillé en plein centre. Un vide dans la masse.Abîma les fruits. 6 D’un auxiliaire. Peut tout dire. Protège les voies. 7 Protecteur des espèces. Passe à l’action sans violence. Se redresse en tête. 8 Elimine à la longue. Utilisé en douce. 9 Affluent du Rhin. Manifestations de mauvaise foi. L’antimoine. 10 A retrouvé tout son équipement. Suit les livres de comptes. 11 Ville d’accords. Dans les sonnailles. Course d’obstacles. 12 Comme une courbe moyenne en statistiques. Bien préparée. Conjonction. 13 Bout d’habit. Entre hautes et basses eaux sur le littoral. Sorti de la liste. 14 Feras bien plus petit. Tourmenter. 15 Belle Gabrielle, amoureuse d’Henri. Se penche sur l’avenir. Solution de la grille no 132

Horizontalement 1 Piston. Castagne. 2 Enormités.Anion. 3 Rédimé. Dicte. St. 4 Crama. Balai. 5 Ut.Atelier. Repu. 6 Sittidés. Courir. 7 Sée. Dur. Hôpital. 8 Edilité. Tz. Nô. 9 Oc. Recousue. Pou. 10 Noue. Otite. RATP. 11 Nasser. Li. Gorée. 12 Il. Spécialité. 13 Stressée. Eta. Et. 14 TAI. Prononcée. 15 Erasmus. Rangées. Verticalement 1 Percussionniste. 2 Inertie. Coaltar. 3 Soda. Tee. Us. Ria. 4 Trimât. Dresse. 5 Ommatidie. Epsom. 6 Nie. Edulcorés. 7 Blériot. Ceps. 8 Cédais. Tuilier. 9 Asile. Hestia. Or. 10 Carco. Ue. Lena. 11 Tati. Opte. Giton. 12 Ane. Ruiz. Rotang. 13 GI. Vert. Paré. CE. 14 Nos. Pianote. EEE. 15 Entourloupettes. 136 -

5 avril 2014


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ADRESSE horlogère Au cœur du quartier de l’Opéra, BUCHERER a ouvert le plus grand magasin du monde consacré à l’horlogerie d’exception. Cet écrin de 2 200m2 situé au 12 Bd des Capucines, dans un superbe immeuble classé Monument Historique, dévoile une sélection exceptionnelle de 23 marques sur 3 étages dans une ambiance élégante pour un voyage dans l’univers de la haute horlogerie.

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ASSOCIATIONS inédites 2014 sera l’année du savoir-faire, de l’amour du terroir et de la re-découverte de l’apéritif pour LEFFE : aux fromages du terroir, Leffe propose son savoir-faire depuis 1240. La talentueuse Hélène Darroze a testé des accords pour vous. Mais sa première suggestion reste de laisser la voie à chacun pour explorer des nouveaux accords en fonction de l’humeur et du contexte ! Le seul point commun de ces accords ? Ils sont si parfaits que vous ne saurez identifier les rôles de chacun.

CERAMIC focus Au même titre que le bois, la céramique est devenue un incontournable en cuisine. Aujourd’hui, son usage s’étend aux habillages de portes et tiroirs de nos cuisines. L’intérêt ? Associer beauté de la matière, noblesse du matériau, effets de matière et plaisir du toucher. Ce modèle PERENE Ceramic coloris Oxyde gris donne à l’agencement un effet de monolithe. Au toucher, la rudesse apparente laisse place à une douceur inattendue. À l’oeil, la céramique offre une profondeur de tons et révèle ses effets lumineux.

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Le totem.

La statue d’Hervé Di Rosa.

Cette statue représente Jesús Malverde, le saint des narcotrafiquants, avec sa liasse de billets dans la main. Lorsque j’ai vécu au Mexique, de 1999 à 2003, je me suis immergé dans toutes les cultures artisanales. J’y ai découvert ce syncrétisme entre catholicisme, religions anciennes et inventions locales. En effet, les Mexicains ont une foule de saints qu’on ne connaît pas, tout comme l’imagerie qui va avec. Et c’est ce qui me passionne: les images et les objets. Je ne dis jamais que je fais des sculptures et des peintures, je dis que je fais des objets et des images car, lorsque je vois Vélasquez au

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Prado, je ne comprends pas que certains se vantent d’être peintre. Mon classement n’est pas vertical et hiérarchique, il est horizontal. Il n’y a que l’histoire qui dira ce qui a de la valeur ou pas. En découvrant toutes les techniques qui ont cours dans les villages au Mexique, et en m’intéressant aux saints, j’ai découvert le monde des narcotrafiquants. C’est ainsi qu’en 2004 on a pu faire une exposition au Musée international des arts modestes, à Sète, qui s’appelait “Narcochic Narcochoc”. La figure principale de cette rencontre entre des cultures chrétiennes et l’organisation des gangsters, c’est Jesús Malverde. C’est un type qui a vraiment existé, au début du xxe siècle. Il sévissait dans le nord du Mexique. A cette époque-là, l’administration mexicaine avait abandonné le peuple et c’est lui qui aidait les villageois grâce à ses trafics. C’est ainsi qu’il a été sanctifié. Le peuple lui a dédié une chapelle à Culiacan dans les années 1950. Au début des années 2000, il y a eu d’énormes controverses, car l’Eglise centrale catholique n’a pas voulu reconnaître la sainteté de cet homme-là. C’est un exemple de spiritualité modeste qui m’est cher, comme l’est ce pays qui m’a toujours fasciné. Propos

recueillis par Jérôme Badie

A voir­ Modestes tropiques, installation d’Hervé Di Rosa. Musée du quai Branly, atelier Martine Aublet, mezzanine centrale. Jusqu’au 18 mai. www.quai branly.fr

Jérôme Badie

Le peintre et plasticien français crée des ponts entre culture populaire, images du quotidien et art contemporain. Depuis ses premières expositions, au début des années 1980, il a induit une réflexion sur ce qu’il appelle l’« art modeste ». Lors de ses voyages en Afrique, Asie, Océanie ou Amérique, Di Rosa a créé et récolté, en collaboration avec les artistes et artisans locaux, des objets qui racontent l’histoire d’un peuple. La statue de ce saint pas comme les autres témoigne de son amour pour le Mexique.

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UNE EAU ENTRE TERRE ET CIEL

Terredhermes.com


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