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M Le magazine du Monde no 134. Supplément au Monde no 21534 du samedi 12 avril 2014. Ne peut être vendu séparément. Disponible en France métropolitaine, Belgique et Luxembourg.

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Spécial mode homme

LiL Buck, danseur du troisième type


A N D R E W L AU R E N CINÉASTE


La collection est disponible sur mesure 2 PLACE DE LA MADELEINE

17 3 B O U L E VA R D S A I N T- G E R M A I N

C A R R É D ’O R G U S TAV I A

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TOILETPAPER pour M Le magazine du Monde

Carte blanche à

Fondé en 2010 par l’artiste Maurizio Cattelan et le photographe Pierpaolo Ferrari, le magazine TOILETPAPER s’amuse de l’overdose d’images et détourne les codes de la mode, du cinéma, de la publicité. Troublant et captivant.

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Edito.

Au programme. Le mot « élastique » semble avoir été inventé pour lui. Son corps est tota-

Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde

lement maîtrisé mais ses mouvements sont incroyablement libres: voici Lil Buck, le phénomène de la danse américaine. Il est le héros de ce nouveau spécial mode homme de M Le magazine du Monde. Officiellement, il vient de Memphis. Mais en réalité, il vient d’ailleurs, d’un endroit où les chemins se croisent, où les repères classiques se brouillent, où les ports de bras partent en vrille et où monter sur pointes équivaut à faire valser ses pieds. Singulier, gracieux et athlétique, il évolue quelque part entre le hip-hop et le classique. Il est spectaculaire dans nos pages, photographié par un des grands noms de la mode, Glen Luchford. Il est proprement époustouflant dans un film réalisé sur la séance et que l’on peut voir sur la chaîne Style du monde.fr et sur l’application de M disponible sur iPad. Au-delà d’une admirable performance physique, l’art de Lil Buck a quelque chose de symbolique: il bouscule les disciplines et fait donc se rencontrer deux univers qui, au mieux se connaissent mal, au pire s’ignorent: la rue et le ballet. Ce n’est évidemment pas la première fois que de tels télescopages existent mais celui-ci est particulièrement réussi. Et revigorant. Est-ce si important de mélanger les genres? Oui! vous dirait Nicholas Serota, le puissant patron des Tate Galleries en Grande-Bretagne, qui a eu l’audace, très tôt, dans les années 1990, d’inviter entre les murs de cette vénérable institution culturelle des artistes aussi décoiffants qu’Anish Kapoor ou Damien Hirst. A l’époque, c’était d’une audace folle. Et ça a beaucoup secoué les habitudes de l’establishment muséal. Car on étouffe à rester dans sa chambre, son milieu, son monde, son univers. Avec ses gestes incroyables, c’est le message que Lil Buck semble faire passer : ouvrez les fenêtres! Marie-Pierre Lannelongue

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p. 26

p. 48

étAtS-unIS Le carême par le vide.

p. 52

ArGEntInE La disgrâce du conquistador.

p. 54

marc Beaugé rhaBiLLe… James Ellroy.

p. 55

La photo. tatouage royal.

p. 56

Les questions suBsidiaires.

p. 58

Juste un mot. Par didier Pourquery

J’y étais… au zoo avec de drôles d’animaux.

LE MAGAZINE LA SEMAINE p. 31

La petite musique de mme VaLLs. Violoniste et amie des stars, Anne Gravoin a “pipolisé” son premier ministre de mari. Son influence ferat-elle des fausses notes à Matignon ?

p. 34

iL faLLait oser. Ego trip.

p. 36

société. L’heure des réseaux antisociaux.

p. 38

Le roman-photo des duos de Bercy.

p. 40

qui est Vraiment Pascal Lamy ?

31

p. 63

mode academy. Longtemps tourné vers le passé, le monde de la mode se met à regarder vers l’avenir. chanel, LVMH, Kering… tous s’impliquent dans des « prix » qui servent de tremplin aux jeunes talents. une manière déguisée de recruter les futurs Galliano, Ghesquière ou Jacobs.

p. 70

aLain minc, coups droits et reVers. depuis trente ans, politiques et entrepreneurs avaient l’habitude de fréquenter le bureau de ce puissant conseiller. Sarkozy déchu, les affaires ne sont plus aussi florissantes pour monsieur Minc.

Alexandre Isard/Pasco. Paul Mouginot

iLs font ça comme ça ! p. 44

ESPAGnE Ibiza fait sa fête au pétrole.

p. 46

coréE du Sud Les syndicats mis à l’amende.

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p. 76

p. 82

RetouRs en algéRie. Faïza Zerouala, journaliste française, et Sabrina Teggar, photographe suisse, ont eu la même démarche : retourner voir leur famille de l’autre côté de la Méditerranée. Deux récits intimes, qui dépeignent une société désabusée autant que dépolitisée.

76 Retrouvez “M Le magazine du Monde” tous les vendredis dans “C à vous”, présenté par Anne-Sophie Lapix. Une émission diffusée du lundi au vendredi en direct à 19 heures.

la tête des tate. A la direction de l’institution londonienne depuis 1988, Nicholas Serota a secoué l’art contemporain britannique. Son obsession : dénicher de nouveaux talents, quitte à déranger.

p. 86

le style p. 99

ondes sensuelles. A la fois étoile classique et danseur hip-hop, Lil Buck vrille dans les rues de Brooklyn. Comme en apesanteur.

p. 116

la fabRique des Rêves. Un homme, une femme, alanguis dans un atelier…

p. 132

mâles aux pieds. Côté accessoire, la chaussure détrône désormais la montre ou la cravate. Ce qui plaît aux hommes : la qualité et l’expertise.

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les coordonnées

tokyo, d’âme natuRe. Dans la très dense mégalopole japonaise, le vert fait de la résistance. Treize pointures de la photo nipponne immortalisent ces bulles d’oxygène.

des série « Ondes sensuelles » p. 99 et « La fabrique des rêves », p. 116

116

acne : 01-44-78-67-00 alexander mcqueen pour puma: 01-44-59-65-15 american vintage : 01-42-21-46-73 apc : 01-42-22-12-77 balenciaga : 01-76-77-37-00 balmain : 01-47-20-35-34 berluti : 01-42-22-04-10 blk dnm: www.blkdnmcloseup.com bottega veneta : 01-42-65-59-70 brioni : 01-40-70-01-80 brora : www.brora.co.uk burberry : 01-40-07-77-77 canali : 01-42-65-28-75 carven : 01-42-74-45-70 c’est vingt-trois : www.x-x-l-l-l.com christophe fisher : www.christopherfischer.com christophe lemaire : 01-44-78-00-09 de fursac : 01 42 96 66-12 diesel : 01-40-13-65-55 dior : 01-40-73-73-73 dolce&gabbana: www.dolce&gabbana.com drome : www.dromedesign.it

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Sabrina Teggar/Phovea. Lachlan Bailey

le portfolio



80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00/25-61 Courriel de la rédaction : Mlemagazine@lemonde.fr Courriel des lecteurs : courrier-Mlemagazine@lemonde.fr Courriel des abonnements : abojournalpapier@lemonde.fr Président du directoire, directeur de la publication : Louis Dreyfus Directrice du Monde, membre du directoire, directrice des rédactions : Natalie Nougayrède Directeur délégué des rédactions : Vincent Giret Secrétaire générale du groupe : Catherine Joly Directeur adjoint des rédactions : Michel Guerrin Secrétaire générale de la rédaction : Christine Laget

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156 le goût des autres. Trous perdus.

p. 138

l’icône. Joe Strummer, Clash feutré.

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fétiche. Décompte suisse.

p. 140

variations. Blanc d’essai.

p. 141

graine de beauté. Un zeste de yuzu.

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high-tech. La foire du drone.

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en vitrine. L’aristo rock de The Kooples.

p. 145

être et à voir. Par Vahram Muratyan.

p. 146

ceci n’est pas… un crayon.

p.148

auto. La Cactus tombe à pic.

p. 150

la chronique de JP Géné.

p. 153

le resto.

p. 154

le voyage. Le Nice de Joann Sfar.

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M sur iPAD ET sur lE WEB.

“M Le magazine du Monde” se décline sur tous les supports. L’application pour iPad vous propose une expérience de lecture et de visionnage nouvelle. “M” vous est ainsi accessible à tout moment et dans toutes les situations. Sur le site (lemonde.fr/m), vous retrouverez aussi une approche différente de l’actualité et les dernières tendances dans un espace qui fera toute sa place aux images.

d’où ça sort ? Les détox pur jus.

p. 152

Documentation : Sébastien Carganico (chef de service), Muriel Godeau et Vincent Nouvet Infographie : Le Monde Directeur de production : olivier Mollé Chef de la fabrication : Jean-Marc Moreau Fabrication : Alex Monnet Coordinatrice numérique (Internet et iPad) : Sylvie Chayette, avec Aude Lasjaunias Directeur développement produits Le Monde Interactif : edouard Andrieu Publication iPad : Agence Square (conception), Marion Lavedeau et Charlotte Terrasse (réalisation).

La cuLture p. 156

les dix choix de la rédaction. Arts plastiques, photo, musique, BD, littérature, cinéma, théâtre, danse…

p. 168

les jeux.

p. 170

le toteM. Le lapin de Jean Hatzfeld.

La photo de couverture a été réaLisée par gLen Luchford. styLisme aLeksandra Woroniecka . Lil Buck porte un blouson en cuir, paul smith. tee-shirt et short en coton, kenzo. casquette en coton, c’est vingttrois. Legging en Lycra, puma. Baskets en cuir, alexander mcQueen pour puma.

DiFFuSioN eT PRoMoTioN Directeur délégué marketing et commercial : Michel Sfeir Directeur des ventes France : Hervé Bonnaud Directrice des abonnements : Pascale Latour Directrice des ventes à l’interna­ tional : Marie-Dominique Renaud Abonnements : abojournalpapier @lemonde.fr ; de France, 32-89 (0,34 € TTC/min) ; de l’étranger (33) 1-76-26-32-89 Promotion et communication : Brigitte Billiard, Marianne Bredard, Marlène Godet, Anne Hartenstein Directeur des produits dérivés : Hervé Lavergne Responsable de la logistique : Philippe Basmaison Modification de service, réassorts pour marchands de journaux : Paris 0805-050-147, dépositaires banlieue-province : 0805-050-146 M PuBLiCiTÉ 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00/38-91 Directrice générale : Corinne Mrejen Directrices déléguées : Michaëlle Goffaux, Tél. : 01-57-28-38-98 (michaëlle.goffaux @mpublicite.fr) et Valérie Lafont, Tél. : 01-57-28-39-21 (valerie.lafont@mpublicite.fr) Directeur délégué digital : David Licoys, Tél. : 01-53-38-90-88 (david.licoys@mpublicite.fr) M Le magazine du Monde est édité par la Société éditrice du Monde (SA). imprimé en France : Maury imprimeur SA, 45330 Malesherbes. Dépôt légal à parution. iSSN 03952037 Commission paritaire 0712C81975. Distribution Presstalis. Routage France routage. Dans ce numéro, un encart « Relance abonnement » sur l’ensemble de la vente au numéro ; des encarts « Sélection hebdomadaire » et « Watch your time » destinés aux abonnés France métropolitaine ; un encart « Galeries Lafayette » destiné à la vente au numéro ile-de-France.

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Harry Gamboa Jr, Courtesy UCLA Chicano Studies Research Center

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M Le MAGAziNe Du MoNDe Rédactrice en chef : Marie-Pierre Lannelongue Direction de la création : eric Pillault (directeur), Jean-Baptiste Talbourdet (adjoint) Rédaction en chef adjointe : eric Collier, Béline Dolat, Jean-Michel Normand, Camille Seeuws Assistante : Christine Doreau Rédaction : Carine Bizet, Samuel Blumenfeld, Annick Cojean, Louise Couvelaire, emilie Grangeray, Laurent Telo, Vanessa Schneider Style : Vicky Chahine (chef de section), Fiona Khalifa (styliste) Responsable mode : Aleksandra Woroniecka Chroniqueurs : Marc Beaugé, Guillemette Faure, JP Géné, JeanMichel Normand, Didier Pourquery Directrice artistique : Cécile Coutureau-Merino Graphisme : Audrey Ravelli (chef de studio), Marielle Vandamme, avec Aude Blanchard-Dignac Photo : Lucy Conticello (directrice de la photo), Cathy Remy (adjointe), Laurence Lagrange, Federica Rossi, avec Hélène Benard Assistante : Françoise Dutech Edition : Agnès Gautheron (chef d’édition), Yoanna Sultan-R’bibo (adjointe editing), Julien Guintard (adjoint editing), Anne Hazard (adjointe technique), Béatrice Boisserie, Maïté Darnault, Valérie Gannon-Leclair, Catarina Mercuri, Maud obels, avec Valérie LépineHenarejos et Agnès Rastouil Correction : Michèle Barillot, Ninon Rosell et Claire Labati, avec Claire Diot et Agnès Asselinne Photogravure : Fadi Fayed, Philippe Laure


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p a r r a i né p a r

b erlut i.c om

M au r i z io C at te l a n, i n it i a t e d by * Bu ster K e aton

PA R I S - 9, RU E D U FAU B O U RG S A I N T - H O N O R É - 26, RU E M A R B E U F - 14, RU E D E S È V R E S C A N N E S - 26, RU E D U C O M M A N D A N T A N D R É




Contributeurs.

Ils ont participé à ce numéro. Journaliste spécialisée dans la mode, Caroline rousseau a travaillé pendant sept ans pour les pages Style du Figaro. Pour M, elle s’est intéressée aux coulisses des prix de jeunes créateurs de mode (p. 63). « Avec l’arrivée cette année d’un challenger, le prix LVMH, l’ intérêt pour les jeunes créateurs de mode est étonnamment ravivé. Une vraie bouffée d’air frais dans un monde qui n’aime rien tant que célébrer le passé. »

Journaliste indépendante, Faïza zerouala, 30 ans, travaille principalement pour Le Monde et pour le Bondy blog, autour des quartiers populaires et de la diversité. Pour ce numéro de M, elle raconte son dernier voyage en Algérie, l’été dernier (p. 76), d’où est originaire sa famille. « L’Algérie vote et j’avais envie de raconter la vie quotidienne dans ma famille, qui est dépolitisée. C’est la peur de l’ instabilité politique qui les guide dans leur choix. Et Bouteflika gagnera probablement, même s’ il est diminué par son AVC. » sabrina Teggar est une photographe née à Genève en 1981, d’une mère suisse et d’un père algérien. Elle collabore avec des agences de communication et des magazines dans le domaine du luxe et de la mode, mais le thème de la mémoire hante sa démarche photographique. Elle a choisi de mener une quête sur ses origines à travers un travail photographique dans le pays de son père (p. 76).

M le magazine du Monde x2. Linda Zerouala. Reto Albertalli/phovea. Paul Rousteau. Rose Mancuso

laurenT Telo est journaliste au Monde. Il s’est demandé à quoi Alain Minc occupait ses journées (p. 70). « Il squatte la galaxie politico-médiatique depuis plus de vingt ans. Il a été l’un des conseillers occultes les plus visibles de Nicolas Sarkozy durant tout le quinquennat. Je voulais savoir si sa légendaire influence était toujours d’actualité. » « Paul rousTeau prend des photos. » C’est sous cette signature, faussement ingénue, que ce photographe cherche à révéler l’invisible. Pour questionner le réel, il joue avec la lumière, provoque le hasard, expérimente la couleur. Ses photos sont parues dans Zeit Magazin, Télérama ou Art Press. Pour M, il a photographié Alain Minc (p. 70).

Journaliste indépendante, sTéPhanie ChayeT est installée à New York depuis quinze ans. Pour M, elle a rencontré le danseur afro-américain Lil Buck au Lincoln Center (p. 99), où il répétait un spectacle avec les étoiles du New York City Ballet. Issu d’un ghetto de Memphis, il est, à 25 ans, le premier prodige du hip-hop à entrer dans l’univers de la danse académique. « Son parcours montre que le rapprochement de deux univers artistiques étrangers l’un à l’autre tient parfois au talent et au charisme d’un seul individu. »

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* TRANCHES DE VIE

FRAMESOFLIFE.COM MOD. AR7004 + Clip on

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Making of.

Ondes sensuelles.

M Le magazine du Monde

En cette belle journée de mars, les passants du quartier juif de Brooklyn, à New York, ont assisté à un étonnant ballet de rue. En guise d’étoile vrillante, l’inclassable LiL Buck, dont les chorégraphies aériennes entre hip-hop et classique ont conquis le Web. Ecouteurs dans les oreilles, le danseur a improvisé devant l’objectif du photographe anglais GLen Luchford (en bas, à droite). Qui est resté sans voix lorsque Lil Buck a grimpé sans prévenir sur le capot d’une voiture… Une série en apesanteur coordonnée par notre directrice de la mode ALeksAndrA WoronieckA (ci-dessous).

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Making of.

La fabrique des rêves.

M Le magazine du Monde

Dans un atelier d’artiste parisien, les top-modèles AndreeA diAconu et elliot Vulliod (ci-contre) ont rejoué la bohème dans une mise en scène de la styliste clAre richArdson (ci-dessous). La jeune Roumaine dans le rôle de la muse et le Français, égérie 2014 de Balmain et de Sandro, dans celui de l’artiste. Le tout devant l’objectif du photographe australien lAchlAn BAiley.

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Le courrier.

Le M de la semaine.

« A Kertch, en Crimée. Un M à côté d’un drôle de dessin, qui pourrait être une cari­ cature de moi plus jeune. »

Patrice G. Llavador

Patrice G. Llavador

Pour nous écrire ou envoyer vos photographies de M (sans oublier de télécharger l’autorisation de publication sur www.lemonde.fr/m) : M Le magazine du Monde, courrier des lecteurs, 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13, ou par mail : courrier-mlemagazine@lemonde.fr 25


J’y étais… au zoo avec de drôles d’animaux. Par Guillemette Faure

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cien zoo de Vincennes

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Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde

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pables d’avoir délégué l’éducation des pre- l’on peut « parrainer » (la RATP a choisi la tormiers, mettent les bouchées doubles avec la tue, l’ancien ministre de l’environnement Phi– pardon, parc zoolo- deuxième fournée. Pour les enfants, toutes les lippe Martin, un zèbre), toutes les bêtes ne sont gique de Paris – comp- barrières tombent. C’est ce qui conduit des pas encore prêtes. Arrivées la veille, les otaries tait une demi-douzaine gens raisonnables à des avant-premières cinéma sont restées dans leur loge. Mais une avant-pred’espèces de manchots. en 3D ou à la journée « découverte en famille » mière, c’est aussi pouvoir découvrir une cage Ce samedi 5 avril, il accueille au moins du zoo de Vincennes réservée à la presse et aux vide avant le grand public. « Oh !, y a des pideux fois plus d’espèces de journalistes. Du « partenaires et mécènes ». geons! », s’enthousiasme une petite fille. « Allons « Petit Journal » de Canal+ à La Vie, du cri- on trouVe toujours plus priVilégié que soi. Dans voir la prochaine déception », s’exclame un visitique d’art au journaliste de Télé Star, toute la l’équivalent de la loge d’honneur, le grand lion teur, en entraînant son fils de la réserve où les profession est représentée. Car avec la déduc- d’Afrique dispose d’un rocher chauffé en perma- guanacos se font attendre vers le bourbier rétion de 7 650 euros du revenu imposable et les nence. Le parc est maintenant découpé en cinq servé aux hippopotames encore absents. Ce soldes presse d’Isabel Marant, avoir accès à un biozones correspondant à cinq régions du samedi, un public sélectionné a été présenté à parc animalier une semaine avant son ouver- monde. Dans celle de la Patagonie, une journa- des animaux VIP. ture publique fait partie des derniers avantages liste politique reste au du métier. « Non mais là ça va, on ne reste pas téléphone à quelques la nuit », me disait une consœur partie en cou- mètres derrière sa farant d’un week-end à Disneyland Paris, priva- mille. « C’est le premier Les girafes découvrent Laurent tisé pour l’occasion, où l’on pouvait croiser Conseil de Paris depuis les élections », suppose un Jean-Michel Aphatie ou Fabien Namias. Delahousse et Yves Calvi, qu’elles Les enfants ont grandi, mais ils sont toujours proche. Les grands contents d’aller au zoo. Il suffit de regarder leurs fauves de la politique ne n’avaient jamais vus à la télé non nez collés sur la vitrine des singes laineux pour sont jamais bien loin. plus. François Cluzet tente de griller comprendre que nos petits sont le maillon Les girafes découvrent faible de nos principes déontologiques. Il y a les Laurent Delahousse et la queue. Quelqu’un l’accuse d’abuser parents jeunes et les sexagénaires qui, cou- Yves Calvi, qu’elles de son statut. n’avaient jamais vus à la télé non plus. Les éthologues les plus pointus sont peut-être là aussi mais leurs visages sont moins familiers. Sous le soleil printanier, on fait la queue pour des rafraîchissements. François Cluzet tente de griller la queue. Quelqu’un proteste et l’accuse d’abuser de son statut. Même le jaguar semble choqué par la crudité de sa réponse et file se planquer. « Mais ils sont où ? », s’impatiente un père devant la pancarte indiquant les lémuriens. Les parents journalistes oublient facilement que les animaux, eux, ne sont pas accros aux selfies et peuvent rester cachés dans les arbres. Après six ans de grands travaux qui justifient des entrées prévues à 22 euros par personne et avec des animaux que ans les années 1970, l’an-





30 rue de Sévigné 75004 Paris

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La Semaine / Il fallait oser / Face à face / Le roman-photo / Le buzz du Net / Ils font ça comme ça ! / / Les questions subsidiaires / J’y étais /

La petite musique de Mme Valls.

Marlene Awaad/IP3

Anne Gravoin est violoniste classique, amie des stars et épouse de premier ministre. Le relooking de son mari et la pipolisation de leur couple, c’est elle. Si la concertiste entend ne pas se mêler de politique, son caractère bien trempé et son franc-parler pourraient produire quelques fausses notes à Matignon. Par Vanessa Schneider

Anne Gravoin et Manuel Valls, le 3 septembre 2013 dans la cour de l’Elysée. 12 avril 2014

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la semaine.

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erait-elle le talon d’achille du nouveau

celle par qui gaffes et couacs pourraient arriver ? Anne Gravoin, 49 ans, violoniste de talent, amie des stars – Johnny Hallyday, Laurent Voulzy, Bernard-Henri Lévy, Arielle Dombasle – et épouse de Manuel Valls depuis 2010, est l’objet de toutes les attentions. Parce que cette belle femme n’a pas sa langue dans sa poche et que certains, parmi les amis du chef du gouvernement, se souviennent en tremblant de ses sorties incontrôlées. Au début du quinquennat, elle avait mis le feu en déclarant au Parisien : « C’est sûr qu’une musicienne, c’est un peu plus glamour que M me Ayrault, prof d’allemand dans la banlieue de Nantes ! » Mortifiée – et pas seulement parce que l’intéressée est en vérité professeure de français… – elle avait dû s’excuser auprès de l’épouse du locataire de Matignon. Anne Gravoin parle « cash » et ça donne des phrases déjà cultes comme « je ne veux pas dormir dans l’ancien lit de Claude Guéant » (à propos de l’installation de son mari place Beauvau), ou « quand je n’ai pas envie de faire la cuisine, Manuel sait ce qu’il lui reste à faire ». Après ces débuts fracassants, la musicienne tâche d’être plus discrète et décline les sollicitations des journalistes. Récemment, elle a été épinglée par la presse pour s’être servie de la position de son mari dans le but d’expulser des SDF de son preMier Ministre,

quartier et de faire sauter une contravention à une amie. Des accusations fermement démenties par le couple. Anne Gravoin a rencontré Manuel Valls dans les années 1980. Lui, étudiant en histoire à Tolbiac, elle premier prix de violon au Conservatoire de Paris. Ils avaient alors « flirtouillé », selon les termes du nouveau premier ministre. Ils se sont retrouvés vingt ans plus tard. Un « coup de foudre », expliquera-t-il. Il a alors quatre enfants, elle, une fille. Enfant d’une professeure d’anglais et d’un père violoniste, elle ouvre à son mari les portes du show-business avec lequel, contrairement à la plupart des musiciens de formation classique, elle n’hésite pas à travailler et à s’afficher. « Les puristes, je les emmerde », estime cette femme de caractère. Elle relooke son mari, adepte des chemises pastel et des cravates ton sur ton, pour une mise plus classique. Le couple glamour semble avoir du mal à résister aux sirènes de la pipolisation. Dès l’année de leur mariage, en 2010, le duo se met en scène sur le plateau de Michel Drucker. « Je suis tombé fou amoureux d’elle, depuis, on ne s’est plus quittés », a ainsi raconté le futur ministre sur le canapé rouge de « Vivement dimanche ». L’été dernier, ils sont photographiés dans Paris Match en train de s’embrasser à pleine bouche. « Je suis amoureux », confiait encore Manuel Valls, invité au « Grand journal » de Canal+ en 2013. Une exhibition qui ne manque pas de rappeler un certain Nicolas Sarkozy, une similitude de plus entre deux hommes qui ont de nombreux traits en commun. Mais pas question pour anne Gravoin d’être coMparée à cécilia

Junior/Bestimage. Lionel Préau/Reservoir Photo. Agence/Bestimage

Sarkozy, qui travaillait main dans la main avec son mari au point d’obtenir un bureau au ministère de l’intérieur et un titre dans l’organigramme. Si l’épouse de Manuel Valls l’accompagne volontiers sur les plateaux des grandes émissions de radio ou de télévision, et partage ses combats (« J’ai la chance de me réveiller tous les matins aux côtés d’un homme extraordinaire », disait-elle au moment de l’affaire Dieudonné), pas question de se mêler de politique. Ni de s’effacer derrière son grand homme. Elle poursuit sa carrière, ses concerts, ses déplacements, et revendique son indépendance. « Moi, je ne vis pas par procuration. Chacun a une vie, un cœur, un cerveau. Je n’ai jamais demandé un centime à mon mari », déclarait-elle au Parisien en juin 2012. Comme pour signifier sa singularité, elle a fait savoir que le couple ne s’installerait pas à l’hôtel Matignon, préférant vivre dans son appartement de l’Est parisien. Au Journal du dimanche, Manuel Valls expliquait, le 6 avril : « Anne a beaucoup de travail, elle est évidemment à mes côtés et moi à ses côtés. Elle a un concert important à Pleyel, c’est très important pour nous. »

« Une musicienne, c’est un peu plus glamour que Mme Ayrault, prof dans la banlieue de Nantes ! », avait déclaré Anne Gravoin au début du quinquennat (ci-dessus, lors d’un meeting de la primaire PS en juillet 2011). La violoniste classique n’hésite pas à travailler avec des stars du show-biz comme Johnny Hallyday, et fréquente des people tel Bernard-Henri Lévy (ci-contre et en haut).

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La semaine.

“Il s’agit d’interdire l’interdiction du porc dans les cantines.”

Marine Le Pen, présidente du Front national, sur Twitter, le 4 avril.

L’AFFirMAtion. Il faut « sauver la laïcité qui est en grande difficulté ». et pour cela, Marine Le Pen a une solution : cesser de « fermer les yeux » comme elle l’a affirmé vendredi 4 avril sur rTL et, précise-t-elle sur Twitter, « interdire l’interdiction du porc dans les cantines » dans les villes dirigées par le FN. car il y a danger. Selon la présidente du Front national, les petits Français se voient privés de cochonnailles. des municipalités, qui n’auraient pas les moyens de proposer un second plat à ceux qui ne mangent pas de cochon, préféreraient remplacer le porc par une autre viande. une chose qui n’arrivera pas dans les villes dirigées par le parti de Mme Le Pen, assure cette dernière. LA vériFiCAtion. Le porc en voie d’extinction dans les cantines scolaires ? des mairies obligées de renoncer, la mort dans l’âme, à faire déguster aux enfants de la ville le si gaulois cochon ? La réalité est plus anecdotique. L’immense majorité des cantines proposent depuis bien longtemps deux menus, l’un avec porc et l’autre sans. ou l’un avec viande et l’autre avec poisson, les vendredis où les écoles laïques le servent en général – en vertu d’anciennes traditions chrétiennes. La question ne concerne donc que des communes qui ne peuvent pas proposer d’alternative au porc. c’est-à-dire, et malgré l’hystérie autour de ce genre de sujet, peu de monde. depuis trois ans, la chose s’est présentée dans une petite

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demi-douzaine de communes. celles-ci ont pour caractéristique d’être de taille réduite, et d’avoir des soucis de financement de la restauration scolaire. Les maires de ces villages ont donc décidé, en général provisoirement, d’arrêter les plats de substitution au porc. Parfois, la solution retenue est d’arrêter de servir du porc durant quelques semaines, ou encore de maintenir le porc, et de donner double ration de légumes à ceux qui n’en mangeraient pas. Que dit Marine Le Pen ? Que dans les villes dirigées par le FN, si on est amené à choisir entre ne pas servir du porc ou ne pas servir de plat de substitution au porc, on prendra la deuxième solution. Mais la question se poset-elle ? Nous avons vérifié : sur les quinze communes qu’a remportées le FN, aucune n’a banni le porc de ses menus. Il ne sera donc pas nécessaire de l’y remettre. et la quasi-totalité propose déjà des plats de substitution au porc. Il ne sera donc pas nécessaire d’arbitrer. Bref, le FN va se contenter de ne rien changer. dès le lendemain de la déclaration de Mme Le Pen, le nouveau maire de Fréjus, david rachline, publiait d’ailleurs un communiqué pour rappeler : « Il y a toujours eu deux menus dans les cantines : l’un avec porc, l’autre sans porc pour ceux qui ne désirent pas en consommer. Naturellement, cette possibilité sera préservée. » LA ConCLUSion. « Interdire l’interdiction. » en reprenant, non sans ironie sans doute, un slogan de Mai 68, Marine Le Pen peut jubiler. en réalité, il n’y aura pas à interdire quelque interdiction que ce soit, puisque le cas dont parle la présidente du FN n’existe pas dans les villes qu’il gère. ce qui lui permet d’autant plus facilement de se payer de mots sur le sujet.

Samuel Laurent

Il fallait oser Ego trip. Par Jean-Michel Normand

Elisabeth Guigou et Pierre Moscovici se livrant bataille pour le poste de commissaire français dans la future Commission. Quelle affiche ! Au lendemain d’une historique déroute municipale et un gros mois avant les très risquées élections européennes du 25 mai, voilà qui confirme que le PS cherche à faire tomber les records. Prochain objectif : descendre encore plus bas que les pauvres 16,5 % obtenus aux européennes de 2009. Avec le duel auquel se livrent en public ces deux personnalités dont le discours sur l’Europe présente autant d’aspérités qu’une montre molle de Salvador Dali, c’est plutôt bien parti. Moscovici, qui, comble de l’originalité, veut faire « aimer l’Europe » aux Français et dont le séjour à Bercy a quelque peu dilaté les chevilles, se voit déjà titulaire d’un « très grand portefeuille, notamment économique ». Le 3 avril, en remettant les clés de Bercy à son successeur, il a expliqué, droit dans ses bottes, que l’appui de l’Elysée lui garantissait « d’autres aventures » du côté de Bruxelles. Une assurance prématurée quand on sait que les commissaires seront désignés in fine par le futur patron de l’exécutif européen. « J’ai fait connaître mon intérêt et je persiste », a immédiatement fait écho Elisabeth Guigou. Son programme à elle est tout tracé : succéder, en toute simplicité, à Catherine Ashton à la tête de la diplomatie européenne. Consciente qu’elle part avec une longueur de retard, la députée de SeineSaint-Denis précise à toutes fins utiles qu’elle pourrait occuper « toutes sortes de postes ». Ces échanges à fort contenu politique entre deux personnalités au pouvoir de conviction moins développé que leur estime de soi offrent un aperçu de la richesse de la réflexion des ténors socialistes sur l’Europe. Quitte à assister à une primaire, on aurait préféré que s’affrontent l’archéosocialiste Henri Emmanuelli et le social-libéral Pascal Lamy. Eux ont sans doute autre chose que leur ego à se jeter à la figure.

Retrouvez les articles des Décodeurs sur www.lemonde.fr/les-decodeurs/ 12 avril 2014

Jacques Brinon/AP. Cecilia Garroni Parisi pour M Le magazine du Monde

Le décodeur


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la semaine.

L’heure des réseaux antisociaux.

Avec l’application Cloak, il devient possible au détenteur du téléphone (représenté par la lumière verte) de localiser ses vrais ou faux amis, et d’éviter ainsi les « indésirables ».

V

Pour contrer les effets invasifs de Twitter et de Facebook, de nouvelles applications proposent de faire le tri parmi ses « amis » ou de s’exprimer incognito. Une invitation à un « bal masqué » virtuel propre à toutes les dérives.

erdâtre, la carte de la ville s’affiche

sur l’écran du téléphone. Une icône représentant un visage humain progresse dans les rues et se rapproche d’un point lumineux qui représente le détenteur de l’appareil. ce dernier, pour éviter la rencontre imminente, bifurque, tourne à gauche au lieu de continuer tout droit. sauvé ! Lancée le 15 mars, l’application cloak (« cape » ou « masquer » en anglais) résume sur sa page internet le service qu’elle propose: éviter « tous ceux sur qui tu préférerais ne pas tomber ». Une semaine après sa sortie, cloak avait déjà recruté 100000 utilisateurs. Les importuns sont repérés grâce à leurs données de géolocalisation puisées sur la plateforme de partage de photos instagram ou celle de recommandation de lieux Foursquare. conçue par deux Américains, Brian Moore et chris Baker, cette application surfe sur une nouvelle tendance qui ressemble à un effet boomerang face aux conséquences invasives du Web social: le repli sur soi. A rebours des dinosaures du genre, comme Facebook et twitter, qui s’évertuent à raviver ou entretenir le lien entre des internautes plus ou moins « amis », ces services veulent préserver leurs utilisateurs des contacts non sollicités. créées respectivement en 2012 et 2013, split (« rupture ») ou Hell is other People (« l’enfer, 36 -

c’est les autres ») proposent les mêmes services que leur héritier cloak. Dans un autre style, Hate With Friends (« haine entre amis ») permet de découvrir par Facebook lesquels d’entre eux vous détestent, quand Kill switch (« dispositif d’arrêt d’urgence ») offre d’effacer du site communautaire toutes les traces de l’ancien être aimé. « les outils antisociaux se démocratisent »,

assurait chris Baker au Washington Post le 17 mars, décrivant Facebook et twitter comme de vieux ascenseurs dans lesquels les gens s’entassent. « Vous verrez de plus en plus d’outils semblables dans les mois à venir », prophétise le cofondateur de cloak. Parmi les nouvelles applications émergent également celles qui proposent d’intégrer des communautés virtuelles, caché derrière un avatar, afin de préserver sa réputation sur internet ou d’échapper à la captation de ses données personnelles. Lancée en janvier aux Etats-Unis, secret fait fureur. L’application promet à ses utilisateurs de « parler librement », en échangeant incognito. comme dans une sorte de « bal masqué », certifient ses concepteurs. Dans la pratique, il s’agit de partager, sans nom ni pseudonymes, des photos et des messages avec les contacts de son carnet d’adresses ayant installé secret sur leur téléphone. Avec une préférence pour les rumeurs croustillantes. share this (« partage ça »), Yik Yak ou encore Whisper (« chuchotement ») fonctionnent sur le même modèle, donnant à des amis ou à des inconnus la possibilité de communiquer sans être identifiable. L’anonymat, cependant, n’est pas dénué d’effets pervers. Les membres de ces réseaux « antisociaux » se lâchent, tombant parfois dans l’insulte et les vexations. sortie à Riga (Lettonie) en 2010, la plateforme communautaire la plus connue du genre, Ask.fm, qui invite ses utilisateurs à se poser des questions, souvent « trash », traîne déjà son lot de drames. Revendiquant plus de 50 millions de fidèles à travers le monde (dont 1,3 million en France), le réseau social, adulé des adolescents, a vu plusieurs de ses habitués se suicider, comme Hannah smith, une Anglaise de 14 ans, qui s’est donné la mort en août 2013 après avoir été victime de harcèlement de la part d’utilisateurs du réseau. Franck Berteau

12 avril 2014

Lucas Jackson/Reuters. Capture écran Apple Cloak

société


14 octobre 2013, Paris ClĂŠment Chabernaud photographiĂŠ par Jamie Hawkesworth Boutique en ligne : defursac.fr


La semaine.

Le roman-photo des duos de Bercy.

La cohabitation n’est pas toujours simple entre les ministres de l’économie et du budget. Pas sûr que le nouveau tandem Arnaud Montebourg-Michel Sapin fasse exception.

1991-1992. Pierre Bérégovoy et Michel Charasse, unis contre Matignon

2.

L’union fait la force avec Pierre Bérégovoy, à l’économie et aux finances, et Michel Charasse, au budget. Le tandem dirige Bercy comme si le premier ministre, Edith Cresson, n’existait pas. C’est « Béré » qui la remplacera au bout de onze mois.

1997-1999. Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter, la star et la carpe

Le partage des rôles est facile entre le charismatique Dominique Strauss-Kahn, qui occupe, aux finances, l’avant-scène politique, et Christian Sautter, surnommé « la carpe » en raison de sa discrétion, au budget. Ce dernier succédera à DSK, mis en cause dans l’affaire de la MNEF.

3.

2012-2013. Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac, l’inversion des rôles

Ancien du gouvernement Jospin, Pierre Moscovici prend sereinement la barre de Bercy, flanqué de Jérôme Cahuzac au budget. Contre toute attente, Cahuzac plus présent, plus tranchant, plus médiatique, prend vite le pas sur son collègue. Jusqu’à sa chute.

2010-2011. Christine Lagarde et François Baroin, cahin-caha

Cet attelage bancal entre une pure « techno » et un vrai politique s’efforce de ne pas afficher ses divergences. En « off », le maire de Troyes ne se prive pas de critiquer la ministre de l’économie et des finances, qui ne s’est jamais soumise au suffrage universel.

4. 5.

2014. Michel Sapin et Arnaud Montebourg, fifty-fifty

Michel Sapin (finances) et Arnaud Montebourg (économie) partent sur la même ligne de départ. Pour la première fois, deux ministres se partagent les attributions. Petit avantage pour Michel Sapin : c’est lui qui occupe le bureau du sixième étage dévolu au « grand » ministre.

Laurent Telo

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12 avril 2014

Gilles Bassignac/Gamma. Eric Feferberg/AFP. Lionel Preau/Reservoir Photo. Christophe Morin/IP3. Jacques Brinon/AP

1.


La vie est un sport magnifique


La semaine.

Le trublion du PS Membre du parti socialiste, il assume ses divergences « avec une bonne partie de [s]es camarades ». En 2013, il s’en était pris à Arnaud Montebourg à propos de la mondialisation : « Une partie du problème vient du fait que, disons, le GPS des Français est un peu détraqué. Et s’il y a un exemple de GPS qui a quelques problèmes, c’est lui. »

Le politique contrarié Avant le remaniement gouvernemental, beaucoup voyaient en lui le successeur de Pierre Moscovici à Bercy. « Je ne suis pas candidat. J’ai passé l’âge, si je puis dire », a fait savoir celui qui vient d’avoir 67 ans. Son unique incursion en politique s’est soldée par un échec aux législatives de 1993, dans l’Eure.

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Le marathonien Désormais animateur de think tanks européens, il dispose de plus de temps pour pratiquer la course à pied. Il dit apprécier « la préparation minutieuse d’un marathon et celle d’une importante négociation ». Jessica Huynh

Qui est vraiment Pascal Lamy ?

L’ancien directeur de l’OMC est un sociallibéral qui détonne. Sa dernière “recette” contre le chômage, des petits boulots payés en dessous du smic, a fait grincer des dents au sein du Parti socialiste.

Bruno Levy/divergence-images

Le provocateur Dans son dernier livre, Quand la France s’éveillera (Odile Jacob), l’ancien directeur de l’Organisation mondiale du commerce (de 2005 à 2013) développe les thèses qui ont fait de lui une cible de la gauche du PS. Sa dernière proposition – payer des « petits boulots » en dessous du smic pour remédier à la hausse du chômage – a fait tousser au gouvernement.

Le deloriste dévoué Directeur de cabinet de Jacques Delors à la Commission européenne pendant onze ans, il revendique « un lien filial » avec l’ancien ministre de l’économie, qu’il a toujours soutenu énergiquement. De cette période vient son surnom d’« Exocet de Delors », donné par les Britanniques.

12 avril 2014


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La semaine.

Ils font ça comme ça! EspagnE

Ibiza fait sa fête au pétrole.

a posté sur son compte Twitter, où elle compte plus de 12 millions d’abonnés : « Ibiza est en danger. Ce n’est pas un mythe, ni une métaphore, ni une exagération. L’île est confrontée à un désastre écologique. » Le chanteur James Blunt a publié sur son compte Facebook des arguments contre le projet de prospection pétrolière. La menace quI faIt s’éLever tant de voIx se situe à moins de 50 km de la côte d’Ibiza. Un projet de recherche d’hydrocarbures, approuvé sous le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero et développé sous celui, conservateur, de Mariano Rajoy. Il ne manque à la compagnie écossaise Cairn Energy que les résultats de l’impact environnemental, attendus dans les prochains mois, pour commencer les sondages sismiques. Une sorte d’échographie des fonds marins consistant à provoquer, grâce à de l’air comprimé, une « explosion » de 250 décibels dont les ondes permettent de cartographier le terrain. « Avant même la construction d’une plateforme pétrolière, ces sondages risquent de provoquer des lésions chez les cétacés et les tortues qui transitent par là, détruire les larves et les œufs des organismes marins, menacer les petits de thons rouges, une espèce protégée, et effrayer les poissons, ce qui pourrait provoquer une baisse des captures de la pêche de 50 à 70 % », affirme l’écologiste Marga Serra, du Groupe d’étude de la nature (GEN-GOB). A Ibiza, l’opposition au projet est unanime. Plus de 10 000 personnes ont manifesté sur l’île le 22 février. De mémoire d’Ibicencos, on n’avait jamais vu ça. Le président de la région, pourtant membre du Parti populaire (PP, droite), s’est joint à la protestation contre le gouvernement de Madrid où siègent ses amis politiques. L’or d’Ibiza, dit-il, n’est pas le pétrole mais le tourisme. Pas question que sur les plages paradisiaques de l’île, la vue sur le coucher de soleil soit gâchée par des plateformes pétrolières. En face, le lobby pétrolier a sorti l’artillerie lourde en commandant un rapport consacré à l’impact économique du projet. Le 24 mars, le cabinet Deloitte a publié une étude qui assure que « l’exploration et la production d’hydrocarbures en Espagne peuvent générer 260 000 emplois en vingt ans », une activité « qui pourrait représenter plus de 4 % du PIB ». Un argument de poids dans un pays qui compte 26 % de ses actifs au chômage, sort tout juste d’une profonde récession et souffre d’une forte dépendance énergétique. Trois autres projets de forage sont en cours de développement en Méditerranée et un autre aux Canaries, face à Lanzarote et Fuerteventura, où l’opposition est tout aussi unanime. Dans tous ces dossiers, le ministère de l’environnement a le dernier mot. Mais le ministre Miguel Arias Cañete est loin d’inspirer confiance aux écologistes. Il est en effet actionnaire de compagnies pétrolières. Sandrine Morel

Q

uand « IbIza dIt non », c’est la jet-set qui se mobilise. La campagne pour sauver l’île d’un projet de prospection pétrolière est à la hauteur de sa réputation sulfureuse de paradis des clubbeurs. Elle a commencé par la publication dès la fin du mois de janvier de dizaines de photos d’anonymes, le corps nu partiellement caché derrière des pancartes proclamant simplement « Ibiza dit non ». Des célébrités locales, nationales, comme l’actrice Paz Vega, ou internationales, comme le top-modèle Kate Moss ou le footballeur Diego Maradona, se sont jointes au mouvement, mais habillées. La riche héritière américaine Paris Hilton, plus connue pour les litres de champagne qu’elle déverse chaque été dans la Méditerranée que pour son engagement écologique ou social,

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12 avril 2014

Jaime Reina/AFP

sur l’île préférée des clubbeurs, la résistance s’organise contre un projet de prospection pétrolière. De paris Hilton à Maradona, les jet-setteurs crient au désastre écologique… et à la fin d’une époque.


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La semaine.

Ils font ça comme ça!

Le 1er mai 2013, des membres de la principale fédération syndicale coréenne manifestent sur la place de l’hôtel de ville de Séoul.

japon

Tous fans de K-Pop.

L

Jessica Huynh

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Corée du sud

Les syndicats mis à l’amende.

L

dans un pays connu pour ses conflits sociaux durs, la loi permet aux entreprises de faire payer les salariés grévistes. une situation qui préoccupe les onG.

a fini de purger sa peine de dix mois de prison. Son crime ? Avoir tenté, début 2013, d’empêcher le démontage d’un autel dressé devant le palais Doksu, près de la mairie de Séoul, à la mémoire des salariés du constructeur automobile Ssangyong décédés après leur licenciement. Pour autant, les ennuis du responsable de branche du syndicat des travailleurs de la métallurgie ne sont pas terminés, le parquet ayant fait appel de sa condamnation. « Il pourrait se voir infliger une peine plus lourde », s’inquiète Amnesty International, qui n’a de cesse de dénoncer « la répression continue des activités syndicales en Corée du Sud ». Le cas de Kim Jeong-woo et celui de Ssangyong sont emblématiques. Confronté à des difficultés, le constructeur a licencié un tiers de ses effectifs en 2009. Les réactions ont été violentes. Vingt-quatre ex-salariés sont morts depuis, dont certains se sont suicidés, et les mouvements de protestation se poursuivent. Le 7 février, la cour d’appel de Séoul a jugé les licenciements abusifs, estimant que l’entreprise a exagéré ses difficultés pour les justifier. Mais cela ne devrait pas changer grand-chose. En Corée du Sud, connue pour la rudesse de ses conflits sociaux, les entreprises utilisent de plus en plus l’article 314 de la loi sur la criminalité. Consacré à « l’obstruction des activités des entreprises », il est abondamment utilisé pour sanctionner les grévistes. En décembre 2013, des salariés de Ssangyong E 3 AvriL, KiM JEOnG-wOO

ont ainsi été condamnés à verser solidairement 4,6 milliards de wons (3,1 millions d’euros). Les grévistes de Hyundai ont, eux, été condamnés par les tribunaux à payer une amende deux fois plus importante. Dernier exemple en date : les 22 jours de cessation d’activité fin 2013 des employés de la compagnie ferroviaire Korea Railroad dénonçant une privatisation de l’entreprise. Celle-ci a déposé plainte et réclame 7,7 milliards de wons (5,3 millions d’euros) de dédommagements aux grévistes. « Outre les restrictions imposées au droit de grève, observe Yorgos Altintzis, de la confédération internationale des syndicats, les amendes et les sanctions pénales mettent en faillite des particuliers, et parfois les poussent au suicide. » Il y a un an, Amnesty International avait calculé que « le montant total des dommages réclamés aux syndicats affiliés à la KCTU, la principale confédération syndicale, atteint 122 millions de dollars », soit 89 millions d’euros. En Corée, précise la KCTU, tout mouvement est taxé d’illégalité s’il ne porte pas « sur les conditions de travail comme les salaires, le bien-être ou les horaires ». Une vision étroite qui permet de fragiliser les grévistes. La situation a peu de chance d’évoluer tant les relations sont étroites entre le gouvernement conservateur et les chaebols, les puissants conglomérats coréens. La présidente, Park Geun-hye, avait évoqué pendant sa campagne en 2012 une enquête parlementaire sur les licenciements massifs de Ssangyong en 2009. On l’attend toujours.

Philippe Mesmer

12 avril 2014

Kevin Lamarque/Reuters. Kim Hong-Ji/Reuters

es relations entre le Japon et la Corée du Sud hésitent entre le chaud et le froid. Le 25 mars, en marge de la conférence internationale sur le nucléaire à La Haye, Barack Obama a même dû jouer les médiateurs entre le premier ministre japonais, Shinzo Abe, et la présidente sud-coréenne, Park Geun-hye (photo), dont c’était la première rencontre officielle. En plus de ses positions nationalistes, la présidente coréenne reproche au premier ministre japonais sa visite, fin décembre, du sanctuaire Yasukuni, où sont notamment enterrés quatorze criminels de guerre japonais condamnés après 1945. Tokyo et Séoul se disputent aussi un archipel en mer du Japon. Si les dirigeants peinent à briser la glace, les jeunes des deux pays semblent parfaitement en phase, musicalement parlant. Le 2 avril, un méga concert de K-Pop (« Korean pop ») a rassemblé quelque 10 000 fans japonais à Yokohama, dans la banlieue de Tokyo. « Quand il y a une tension politique, nous pensons que les échanges culturels peuvent rapprocher deux nations », a sobrement déclaré à l’AFP Shin Hyungkwan, producteur exécutif de la chaîne sud-coréenne Mnet, organisatrice de l’événement.


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A

nn Marie a trouvé l’idée sur le blog de Sarah. Sarah en avait entendu parler sur un site catholique tenu par une femme qui ne savait plus elle-même comment elle était tombée sur cette information. Impossible donc de savoir qui fut la première à lancer le défi des « 40 sacs en 40 jours » : quarante jours pour vider sa maison de son trop-plein de vêtements et objets divers. « Vous n’avez pas besoin de ces vêtements pour vous rappeler quelle taille vous avez fait autrefois, ni de ces affaires de bricolage pour vous souvenir des projets que vous n’avez pas menés à terme. » C’est l’appel d’Ann Marie, meneuse des « videuses », sur son site décoré de gros sacs-poubelle noirs. Ann Marie a 28 ans. Elle vit dans la banlieue de

États-UnIs

Le Carême par le vide.

déjà vingt jours sont passés et ça Mollit dans le groupe

(« un sac qui part au garage, ça compte ? Non ! Il faut qu’il ait quitté la maison »). Ann Marie et Sarah font toutes deux participer leurs enfants (six pour Ann Marie et quatre pour Sarah) à ce « challenge », plus facile à vendre qu’un « grand ménage ». Et d’assurer que ceux-ci sont moins en demande d’effectuer des achats qu’auparavant et qu’ils ont compris que tout le monde y gagnait. « Moins de temps perdu à acheter des choses et à les ranger, c’est plus de temps pour profiter de la vie. » Grand credo du courant minimaliste prôné, entre autres, par l’Américain Leo Babauta, si convaincant sur le papier mais tellement difficile à mettre en pratique… « Finalement, les gens savent que les expériences les rendent plus heureux que les biens matériels, pourtant ils continuent à placer davantage de valeur sur ces derniers. Car les biens matériels sont des rappels tangibles de leur prix, tandis qu’on a plus de mal à quantifier la valeur d’un souvenir », analyse le professeur de psychologie Ryan Howell, de l’université de San Francisco. Le succès d’initiatives comme celle des 40 sacs, à écouter ce spécialiste des études des liens entre consommation et bonheur, tient à un message qui n’est pas porteur d’austérité. « Si on dit aux gens de vider leur maison, ils paniquent. Mais là, le côté graduel de l’objectif aide beaucoup. Car il est psychologiquement plus facile d’entreprendre une petite tâche, explique-t-il. Si les participants au programme sont enchantés, ce n’est pas grâce aux centimètres carrés récupérés dans leur maison, mais parce qu’ils sortent d’un type de consommation mécanique. »

Chrétiennes ou pas, des mères de famille américaines appellent à vider les maisons de leur trop-plein en remplissant 40 sacs-poubelle. Une initiative qui fait écho au courant minimaliste qui prospère sur les réseaux sociaux. 48 -

Guillemette Faure

Charlie Abad/Photononstop

Ils font ça comme ça!

Chicago, dans l’Illinois. Sarah en a 45, elle habite dans l’Ohio. Elles ne se connaissent pas mais s’imposent ce régime chaque année, avec l’alibi du Carême – ce temps de pénitence qui s’ouvre avec le mercredi des Cendres et s’achève le dimanche de Pâques. Mais tous les participants – en l’occurrence les participantes, car les femmes sont majoritaires – sont les bienvenus, quelle que soit leur religion. Et ils sont invités à rejoindre Ann Marie sur sa page Facebok, où 23 000 fans se sont inscrits rien que cette année. « Je prends des photos du foutoir quelque part et je les poste. Ça me fait tellement honte une fois que je les ai publiées que ça m’oblige à ranger », explique Ann Marie, qui prodigue également ses conseils de rangement à ses amis du Carême : elle leur fournit la liste des « 79 zones » de la maison à inspecter (« le placard à vitamines, le dessus du frigo… »), ainsi que des pages décorées de sacs-poubelle à imprimer et sur lesquels coller des smileys à mesure des avancées. « Il ne faut pas se laisser distraire, c’est une bataille », admet la videuse en chef.

12 avril 2014



NÉ LI A 84 M O IS


TH O M AS 274 M O IS


La semaine.

ils font ça comme ça!

Brésil

Le sondage sur le viol était faux.

P

Argentine

La disgrâce du Conquistador.

Depuis juin 2013, la statue de Christophe Colomb érigée derrière le palais présidentiel de la Casa rosada, à Buenos Aires, gît au sol, descellée. De quoi déclencher un débat houleux sur les liens avec le Vieux Continent.

A

PRès s’êtRE LONGtEmPs enorgueillie

d’être le pays le plus européen d’Amérique latine, avec des vagues successives d’immigrants venus principalement d’Espagne et d’Italie, l’Argentine boude l’Europe. Témoin de ce désamour, la statue de Christophe Colomb. Installé au cœur de Buenos Aires, derrière le palais présidentiel de la Casa Rosada, ce monument, qui depuis 1921 pointait le doigt vers le Vieux Monde, a été descellé de son piédestal. La statue de 38 tonnes et plus de 6 mètres de haut gît sur le sol depuis juin 2013. Après un an d’une féroce dispute, la présidente péroniste Cristina Kirchner et Mauricio Macri, maire (de droite) de la capitale qui aspire à la présidence en 2015, sont finalement tombés d’accord, fin mars, pour déménager la statue de Colomb en bordure du Rio de la Plata, près de l’aéroport national de Buenos Aires. Dans le cadre de cet accord, la statue controversée, qui présente des fissures mettant en péril sa stabilité, sera restaurée. Pas de quoi 52 -

EN RéActION, DEs mEmBREs

de la communauté italienne ont manifesté en juin devant la Casa Rosada, dénonçant une « offense » aux « millions d’Argentins qui ont du sang italien ». Selon les partisans de Mme Kirchner, la statue, qui tourne le dos à la ville pour regarder vers l’Europe, témoigne d’une regrettable vision eurocentriste. « Il est plus juste historiquement que la Casa Rosada surplombe la statue d’une héroïne des luttes d’indépendance contre le joug espagnol en Argentine et dans les pays frères de l’Amérique », a estimé Oscar Parrilli, le secrétaire général de la présidence. Plusieurs organisations indigènes se sont montrées favorables à l’initiative. Ces derniers jours, un nouveau rebondissement est venu émouvoir la communauté italienne; la découverte, sous le piédestal de la statue, d’un coffre enterré depuis près de cent ans. Il contient des monnaies, des médailles, des journaux argentins et italiens de l’époque mais aussi deux bobines de film témoignant des travaux d’installation de la statue et de son inauguration en 1921. Quant à Christophe Colomb, il est toujours couché à terre mais il garde les yeux tournés vers l’Europe. Christine Legrand

David Fernandez/EFE/Maxppp. Nacho Doce/Reuters

mettre un terme à une polémique qui a commencé lorsque Cristina Kirchner a pris la décision de supplanter Colomb par une statue de Juana Azurduy de Padilla (une indigène bolivienne qui s’est battue pour libérer le pays de la Couronne espagnole) offerte par le président bolivien Evo Morales. La présidente argentine suivait ainsi l’exemple de Caracas, au Venezuela, mais aussi de La Paz, en Bolivie, où des représentations de l’explorateur avaient, ces dernières années, été déboulonnées.

ublié en mars, un sondage sur le viol avait ému bien au-delà du Brésil. Il assurait que 65 % des Brésiliens considéraient que les femmes portant des vêtements provocants méritaient d’être agressées sexuellement. Or ce constat, qui avait déclenché la colère des réseaux sociaux et de la présidente Dilma Rousseff, était faux. A l’origine de l’étude, l’Institut d’enquête économique du gouvernement (IPEA) a reconnu, le 4 avril, s’être emmêlé les pinceaux entre plusieurs graphiques. Rafael Guerreiro Osorio, le directeur responsable de l’enquête, a démissionné. A la tête de la vague d’indignation soulevée par ce sondage, la journaliste Nana Queiroz s’est de son côté félicitée du fiasco. Elle a souligné que 26 % – le chiffre exact – des personnes interrogées portant un tel jugement sur les femmes constituait tout de même une proportion bien trop élevée. La militante féministe avait initié sur Facebook une manifestation en ligne invitant les femmes à poster des photos d’elles en petite tenue et arborant le slogan : « Je ne mérite pas d’être violée ». Franck Berteau

12 avril 2014



La semaine.

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A SEmAINE pASSéE, proFITANT D’uNE

à la tête de l’exécutif et d’un relâchement certain au ministère de l’intérieur, le dangereux James Ellroy a fait entrer sur le territoire national sa marchandise de contrebande habituelle. Puis il s’est amusé à la déballer devant un public conquis d’avance, et jamais lassé de l’entendre déblatérer sur l’argent, la religion, la justice, la littérature ou sur lui-même, surtout lui-même. Et tout cela dans d’impayables chemisettes à fleurs. Dans ses valises, entre un roman inédit et des provocations déjà vues, celui qui se fait appeler « le chacal », en dépit d’un pelage quelque peu défaillant, n’avait en effet pas manqué de glisser plusieurs pièces d’inspiration hawaïenne dont il a le secret. De fait, au cours de ces quelques jours passés sur le territoire national à dispenser sa sainte parole, Ellroy s’est constamment présenté vêtu de l’une de ces fameuses chemisettes, toujours portée en duo avec un pantalon de toile beige pas encore de saison. En effet, le grand Ellroy accorde beaucoup moins d’importance au climat ambiant qu’à son business et aux lecteurs européens qui l’alimentent. Face à eux, fort docile, il ne rechigne donc jamais à endosser gentiment le costume tant attendu, celui de l’Américain venu expliquer comment écrire et comment vivre, sinon comment jouir. Car, de toute évidence, les chemises d’Ellroy projettent une certaine idée du plaisir. Popularisées dans les années 1930, les chemises hawaïennes furent en effet adoptées par les GI pérIoDE DE TrANSITIoN

basés dans l’archipel polynésien, puis rapportées en masse au pays, après la seconde guerre mondiale. Ainsi, faits de rayonne, un tissu synthétique très léger, et ornés de boutons en coquillage ou en noix de coco, ces modèles originaux symbolisèrent un temps le repos des guerriers, et incarnèrent une époque de plaisirs, marquée par la prospérité économique et l’essor touristique. ChEmISE DES JouISSEurS, du Raoul Duke sous substance de Las Vegas Parano, de Terry Gilliam, au Magnum sous bière de la série du même nom, l’hawaïenne confère à Ellroy l’allure du type qu’il faut suivre dans ses pensées, et ses nuits, pour se marrer un peu et échapper aux poussières de la pompeuse littérature européenne. Car la chemise hawaïenne du petit Américain auteur de polars vient évidemment répondre à la chemise blanche, entrouverte sur torse glabre, de l’écrivain de SaintGermain-des-Prés recoiffant sa mèche aussi soigneusement que ses idées. Lui pose, quand Ellroy vit. Et fait tourner sa petite boutique…

Le buzz du Net Drague ou pub ?

Depuis le 1er avril et la publication sur le Web d’un échange de messages entre James Franco et une mineure, la Toile américaine s’enflamme. Sans détours, l’acteur américain de 35 ans y fait des avances à une jeune interlocutrice – qui lui précise avoir 17 ans – rencontrée sur le réseau social de photos Instagram, lui demandant notamment si elle est célibataire et dans quel hôtel de New York elle se trouve. Si certains internautes qualifient James Franco de personnage « grossier », voire de « sauvage », d’autres ont fait remarquer que ce dernier jouait dans son prochain film, Palo Alto, en salles le 11 juin, le rôle d’un entraîneur de football féminin séduit par l’une de ses joueuses… mineure. Scandale people ou promo d’assez mauvais goût ? Alors que James Franco a présenté ses excuses à la télévision le 4 avril, la piste du « buzz » délibérément provoqué reste privilégiée par ses fans qui le défendent sur les réseaux sociaux. Et préfèrent voir la star en génie marketing plutôt qu’en pervers.

Franck Berteau

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Illustration Peter Arkle pour M Le magazine du Monde – 12 avril 2014

Instagram.com/Face To Face/News Pictures

Marc Beaugé rhabille… James Ellroy.


Chuck Norris, héros hébreu.

Marty Melville/AFP. Jim Smeal/BEImages/MaxPPP. Laurent Cipriani/AP/Sipa. Irfan Cemiloglu/Anadolu Agency/AFP. Guillaume Bonnefont/IP3

La photo

Tatouage royal. En Nouvelle-Zélande, les traditions ne se perdent pas. Arrivés le 7 avril à Wellington pour une visite de trois semaines qui les mènera ensuite en Australie, le prince William et son épouse, Catherine, ont été accueillis par des Maoris dûment tatoués. Le prince George, âgé de 9 mois, qui les accompagne dans ce voyage, a été dispensé de cérémonie pour cause de mauvais temps.

Fauve qui peut.

Tigres et lions traversent des temps difficiles. Même en captivité dans les zoos, ils ne sont plus en sécurité.

Euthanasies Infanticides dans le Doubs au Danemark

Deux des trois bébés lions d’Asie ont été tués par leurs parents, a annoncé le 2 avril le Jardin zoologique de Besançon. Le « comportement soudainement agressif de sa mère » a eu raison de l’un et l’autre a été victime d’un « mouvement d’humeur du père », selon un communiqué.

Après avoir abattu un girafon pour des questions de consanguinité (puis jeté en pâture aux lions), le zoo de Copenhague a fait savoir le 25 mars qu’il a mis fin aux jours de quatre lions. Deux âgés et deux lionceaux qui « auraient été tués par le nouveau mâle dès qu’il en aurait eu la possibilité ». Ambiance.

Jeux du cirque en Chine

Une dizaine de tigres ont été massacrés à Zhanjiang (province du Guangdong) lors de fêtes privées rassemblant des responsables locaux et des hommes d’affaires. Une opération policière a permis de saisir le cadavre d’un tigre mais aussi de la fourrure, de la viande et des os vendus à prix d’or. J.-M. N.

Manuel Valls – qui aurait, selon Le Parisien du 1er avril, lancé « J’adore Chuck Norris ! » – n’est pas le seul à vouer une admiration sans borne à l’acteur américain. En Israël, le héros de films d’action bat des records de popularité. Au point qu’une page Facebook, intitulée « Jewish Chuck » et réunissant plus de 2 800 fans, a été créée et qu’une série de colloques consacrés aux « pouvoirs surnaturels » de l’acteur a été organisée fin mars. La vedette de la série des années 1990 « Walker, Texas Ranger », devenue star du Web grâce aux Chuck Norris Facts (un site qui recense les blagues qui circulent à son sujet), ne ménage pas ses efforts envers l’Etat hébreu. En 2013, Benyamin Nétanyahou avait pu compter sur son soutien. « Vous pensez peut-être que je suis un homme fort dans mes films, mais dans un environnement difficile comme celui du ProcheOrient, Israël a son propre homme fort. Son nom est Bibi Nétanyahou », déclarait alors l’acteur dans une vidéo où il apparaissait torse nu sous un gilet de cuir noir. L. Ce

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La semaine.

Les questions subsidiaires

Harvard a-t-elle besoin d’un entraîneur ?

Le 7 avril au matin, la police de San Francisco a

découvert quatre Smart renversées dans plusieurs quartiers. Certaines réactions hostiles subies par des propriétaires de ces petites voitures ainsi que l’existence d’une page Facebook intitulée Smart car-tipping (« renverser une Smart ») – dans laquelle elles sont qualifiées d’« écologiques mais stupides » – semblent mener vers la piste d’actes militants. S’agit-il d’opposants à la gentrification de certaines zones ? Ou de défenseurs exaltés d’une tradition automobile conforme aux standards de l’American way of life ? La police mène l’enquête. Jean-Michel Normand

Catherine Ivill/AMA. Jeff Chiu/AP

L’ancien manager écossais de Manchester United n’a pas envie de couler une paisible retraite. A 72 ans, dont vingt-sept passés au service des Red Devils, Sir Alex Ferguson va assurer à partir du mois de mai un cours consacré au business « dans le divertissement, les médias et le sport » auprès des étudiants de la prestigieuse université Harvard. Franck Berteau

Qui veut la peau des Smart ?

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Quel est le sport préféré des cambrioleurs ? Les soirs de matches, les

monte-en-l’air ne regardent pas la télé. Ils ont mieux à faire. Le 5 avril, alors qu’il évoluait avec son équipe des Girondins de Bordeaux, le footballeur Guillaume Hoarau a été cambriolé. Il avait connu pareille mésaventure en 2012, lorsqu’il jouait à Paris. Le 2 avril, le domicile du milieu de terrain du PSG, Blaise Matuidi, a été visité pendant qu’il jouait contre Chelsea. En mars, AndréPierre Gignac (OM) a subi le même sort. Idem, l’an passé, pour Lamine Sané, autre joueur bordelais. Liste non exhaustive. Jean-Michel Normand

La foi estelle une affaire de gros bras ? Aux Etats-Unis, environ 700 églises évangéliques encouragent leurs disciples à pratiquer le MMA (mixed martial art), ce sport de combat ultra-violent où presque tous les coups sont permis. Cette démarche, qui vise à attirer les hommes, surtout les jeunes, vers une Eglise plus « virile » prend de l’ampleur. Le parcours de ces combattants de Dieu est retracé dans un documentaire baptisé « Fight Church », dont la première est prévue à Boston le 24 avril.

Fred R. Conrad/The New York Times-Redux-REA

Louise Couvelaire

A quand le droit à la déconnexion ? Les salariés de l’ingénierie et des

bureaux d’études vont pouvoir débrancher pour de vrai. Ils ne seront plus tenus de connecter leur ordinateur ou de répondre au téléphone lorsqu’ils seront chez eux selon un accord – le premier du genre – signé fin mars entre la CFDT et la CGC, majoritaires, et le patronat. Celui-ci reconnaît à ceux dont le temps de travail est calculé en jours une « obligation de déconnexion des outils de communication à distance » afin de garantir les temps de repos imposés par la loi. Jessica Huynh

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Juste un mot Chafouin. Par Didier Pourquery

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Jean-Baptiste Talbourdet/M Le magazine du Monde

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de la plasticité du parler français. A voir… Je cela ; nous régressons allégrement tous enprécise que je ne critique rien dans ces lignes, semble. Encore un peu dans la chaleur du soma u j o u r d ’ h u i » . je ne fais que constater, relever, enquêter ; re- meil. Ce sont des mots du réveil. Phrases que l’on dit portages minuscules au pays des mots, ces chro- Le chanteur doux et doué Alexis HK a sorti en le matin, entre voisins de bureau. « On est cha- niques ne sont pas normatives ou « surplom- 2010 un album pour enfants intitulé Ronchonfouin en ce moment, dans la boîte. » « Qu’est- bantes » comme on dit maintenant, même s’il chon et compagnie, dans lequel on peut entendre ce qu’il a le patron ? Je le trouve chafouin ces m’arrive de citer l’Académie. cette drôle de chanson au refrain inoubliable temps-ci. Il a des problèmes avec les action- mais bon, là, nous avons « chafouin » sur les bras. qui commence ainsi : « T’es ronchonchon, toi, t’es naires ? » Des mots en l’air, qui ne prêtent pas Pas question d’en expliquer le glissement de ronchonchon/Toi t’es fâché, toi t’es grincheux, toi t’es à conséquence. Chafouin, dans ce sens-là, s’in- sens par l’étymologie. La fouine a-t-elle un air ronchon/Si t’es chafouin fais attention/Ou je t’emsinue doucement partout, à ce niveau de lan- grognon? Non. Le chafouin, son mari, a-t-il une mène dans la maison des Ronchonchon. » Le genre gue-là, et c’est bien normal, au vu de ses tête de grincheux? Assez peu. Le nouveau sens d’air qui vous trotte dans la tête toute la jourorigines. Chafouin donne son nom à des blogs viendrait plutôt du joli son que fait chafouin née… et dont les paroles résument on ne peut d’humeur aussi… Oui, amis puristes, je sais : quand on le prononce et tous les autres mots mieux cette chronique en « ch ». depuis le xvie siècle, chafouin signifie d’abord qu’il convoque à sa suite. sournois, rusé, retors, déloyal. Le chafouin a la « Chagrin » bien évidemine sournoise, comme une fouine. Dans le ment, en premier lieu. parler populaire de certaines régions, les Cha- Etre d’une humeur chaSon nouveau sens viendrait du rentes notamment, le chafouin est le mâle de grine ne se dit plus guère la fouine. Je sais tout ça. Mais comment, alors, (et c’est dommage), mais joli son que fait chafouin quand on son sens a-t-il migré vers cette idée de mau- le « ch » de chagrin vaise humeur ? Pourquoi depuis le début du évoque cela, peut-être ; le prononce et tous les autres mots siècle entend-on les parents ou les collègues bougon, bourru, mausqu’il convoque à sa suite. ‘Chagrin’ bien utiliser le terme dans ce drôle de sens ? sade. Le «ch» fait penser Merveille de la langue populaire, s’esbaudis- à chiffon aussi. Etre chif- évidemment. Chiffon aussi. Ou fâché. sent les optimistes, toujours prompts à se réjouir fon est le raccourci d’être Ces mots sonnent comme une feuille chiffonné, comme lorsque quelque chose tracasse de papier que l’on froisse (chfff…). (« ce qui me chiffonne dans cette histoire… ») ou quand quelqu’un nous froisse. Les plis de mécontentement sur notre visage expriment la mauvaise humeur. « Ouh la la, j’te sens chiffon, là… » Ou chafouin. Ou fâché. Ces mots sonnent comme une feuille de papier que l’on froisse (chfff…), qu’on met en boule. « Oh, moi, ça me met en boule, ce truc. » Tout juste. Le « ch » de chafouin est également celui du grincheux et du ronchon. J’entends souvent ça, dans le métro: « ah, bah, t’es chonchon ce matin, toi! » On est là à la limite du langage enfantin, mais les potes du métro du matin sont un peu uh la la ! je te sens

d’humeur chafouine


– Photo : Julie Ansiau

Ludivine et son fauteuil saint tropez


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Le Magazine Le 26 février dernier, une trentaine de jeunes stylistes exposaient pendant la Fashion Week parisienne leurs créations sous le haut patronage de Delphine Arnault, instigatrice du prix LVMH.

/ Portrait / Analyse / Reportage / Enquête / Portfolio /

Mode academy.

Kevin Tachman

Le cinéma a ses césars des « meilleurs espoirs », la mode a désormais ses prix de jeunes créateurs. LVMH vient de créer le sien. Mais Kering (ex-PPR) ou Chanel ne sont pas en reste. Si les géants du luxe ont décidé de miser sur la relève, c’est qu’au-delà du prestige, ces concours représentent un judicieux pari sur l’avenir. Par Caroline Rousseau 12 avril 2014

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Lancé en novembre 2013, le LVMH Fashion Prize est orchestré par Delphine Arnault (2, à dr.), directrice générale adjointe de Louis Vuitton. Lors de la Fashion Week en février dernier, la maison a tenu un cocktail où grands créateurs comme Karl Lagerfeld, membre du jury (2), Raf Simons et Nicolas Ghesquière (5) et éminents représentants du monde de la mode, comme Anna Wintour (5), Emmanuelle Alt, rédactrice en chef de Vogue Paris (2), Franca Sozzani, son homologue de Vogue Italie, et Jonathan Newhouse, président du groupe de presse Condé Nast (3), ont pu rencontrer les stylistes en lice. Ce tout nouveau prix vient s’ajouter à deux institutions de près de trente ans, le concours de l’Association nationale pour le développement des arts de la mode (Andam) et le Festival de la mode et de la photographie d’Hyères, qui se tient traditionnellement dans la Villa Noailles (4). En 2012, celui-ci avait distingué Felipe Oliveira Baptista (1), revenu en 2013 en tant que président du jury.

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Filep Motwary. Paul Mouginot x2. Olivier Amselem. Kevin Tachman

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n vent frais souffle sur la mode. Un coup de jeune pour être plus précis, qui pourrait bien dérider une profession parfois encombrée d’elle-même. Un rajeunissement adoubé par les plus grands noms du luxe. Comme s’il y avait une impérieuse nécessité à faire émerger une relève… Le fait est que d’un seul et même élan, tous les grands patrons de la mode ont décidé d’investir dans la promotion de la jeune création. C’est ainsi que le patron du groupe Kering (Gucci, Saint Laurent, Balenciaga…), François-Henri Pinault, devient cette année parrain de l’Andam, l’Association nationale pour le développement des arts de la mode. Quand l’élégant groupe Chanel se place en grand partenaire du Festival d’Hyères, véritable laboratoire de jeunes talents. Ou que le groupe LVMH, imposante écurie du luxe (Vuitton, Céline, Fendi…), crée son propre prix pour faire émerger les créateurs de demain. Trois décisions qui n’ont rien d’anodin dans un pays que l’on accuse souvent de ne pas s’intéresser aux jeunes et de ne pas leur tendre la main. Après plusieurs années de communication autour des savoirfaire, des artisans ou de l’héritage, que le luxe ait envie de changer de refrain semble plutôt salutaire. Nécessaire même. Car après les départs de John Galliano chez Dior et de Christophe •••

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••• Decarnin chez Balmain en 2011, ou même après la mort d’Alexander McQueen en 2010, la question du remplacement de directeurs artistiques « vedettes » s’est douloureusement posée. Et si les solutions trouvées font aujourd’hui l’unanimité, les débats d’alors ont permis à tous de réaliser combien l’étoffe d’un grand créateur de mode ne se tisse pas en un jour. D’où l’intérêt de former, de repérer, d’accompagner les stylistes très en amont. Le tout nouveau prix LVMH a été créé dans cet esprit-là et suscite une émulation particulière dans le milieu. Un peu comme si le 28 mai prochain, date de désignation du lauréat, Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Abdellatif Kechiche, Jacques Audiard et Wong Kar-Wai s’attablaient pour discuter cinéma et élire le meilleur espoir de la réalisation… Ce jour-là, huit des plus grands créateurs de mode au monde seront réunis dans une même pièce, au siège du groupe de luxe LVMH, avenue Montaigne à Paris. Nicolas Ghesquière (Louis Vuitton), Phoebe Philo (Céline), Raf Simons (Christian Dior Couture), Riccardo Tisci (Givenchy), Karl Lagerfeld (Fendi), Humberto Leon et Carol Lim (Kenzo) et enfin Marc Jacobs, soit les directeurs artistiques les plus influents du groupe français, se retrouveront pour délivrer le tout nouveau prix LVMH, qui consacre de jeunes créateurs de mode. Déjà surnommé « le G8 des ego », ce jury excite au-delà du possible les observateurs du secteur. Car il n’est rien moins que l’incarnation de la vitalité créative d’une époque. De celle qui influence, même imperceptiblement, la façon dont on s’habille aujourd’hui. Un moment de mode comme il en existe rarement, qui transcendera les générations (une quarantaine d’années séparent Karl Lagerfeld et Riccardo Tisci), les rivalités commerciales et les styles. Il faut remonter un peu plus de quatorze ans en arrière pour réunir pareilles conditions. La grande famille de la mode s’était alors regroupée, le 6 décembre 1999, à la demande du magazine Elle pour une photo historique. Le cliché, unique en son genre et signé Jean-Marie Périer – visible dans Histoires de la mode, de Didier Grumbach, éd. du Regard –, montre « les créateurs de l’an 2000 », soit 51 personnalités (plus la chaise vide de Martin Margiela qui ne se montrait jamais) au nombre desquelles Sonia Rykiel, Vivienne Westwood, Yves Saint Laurent, Yohji Yamamoto, John Galliano, Alber Elbaz, Paco Rabanne, Thierry Mugler, Claude Montana, Jean Paul Gaultier, Kenzo, Dries Van Noten,Alexander McQueen, Azzedine Alaïa… Et déjà Karl Lagerfeld et Marc Jacobs. Mais ce n’était qu’une photo.

agendas… « Ils sont extrêmement occupés, mais également très bien organisés », s’amuse Jean-Paul Claverie, conseiller de Bernard Arnault et directeur du mécénat de LVMH. Ont-ils pour autant tous dit oui en sautant de joie? Aucune réponse officielle qui ne sente la langue de bois. Seulement un commentaire attrapé en off et habillé d’un grand sourire: « Karl [Lagerfeld] a accepté en dix secondes car il sait l’importance d’un prix pour lancer un styliste, lui-même en ayant bénéficié quand il était jeune. » Et Phoebe Philo? La créatrice de Céline est connue pour son culte du silence et son amour de l’ombre malgré un succès critique et commercial hors du commun. « En quinze secondes. » Voilà comment se constitue un casting de rêve. « Ils sont quand même quasiment tous venus voir les collections des finalistes pendant la dernière Fashion Week parisienne fin février ! », poursuit une source chez LVMH. Tous sauf Marc Jacobs (qui défilait à New York) et Phoebe Philo (dont le studio est à Londres). Qu’importe. L’affiche est belle et suffit à faire parler sans dépenser un centime en publicité. Avec ce tout nouveau prix, LVMH se positionne sur un créneau déjà occupé par deux institutions françaises. Le Festival d’Hyères, lancé en 1985, est le concours le plus ancien. Il est ouvert aux apprentis stylistes, où qu’ils étudient dans le monde. Sur 300 à 400 dossiers reçus (à titre comparatif, les organisateurs du LVMH Prize disent en avoir reçu 600), les dix finalistes retenus (douze pour le prix LVMH) passeront fin avril devant le jury constitué des deux directeurs artistiques de Kenzo (Carol Lim et Humberto Leon). « C’est transparent et totalement subjectif », admet Jean-Pierre Blanc, le fondateur du Festival international de mode et de photograerrière ce nouveau prix et ce coup phie d’Hyères, qui attend la de com’ magistral, il y a un nom, venue de jurés comme le réaliqui prend une place de plus en sateur Spike Jonze ou l’actrice plus déterminante dans le secteur. Chloë Sevigny. Celui de Delphine Arnault. Plutôt Autre acteur majeur du secdiscrète, la fille de Bernard Ar- teur, l’Andam, Association nanault, directrice générale adjointe tionale pour le développement de Louis Vuitton, n’a eu de cesse des arts de la mode, a été fondée en 1989 par Nathalie Dufour ces derniers temps de faire entendre sa voix pour revendiquer et Pierre Bergé (actionnaire du Monde). « Il y a vingt-cinq ans, son attachement à une scène mode jeune et pointue. C’est à nous voulions inscrire la mode dans un champ culturel et éconoelle par exemple qu’on attribue la nomination de Raf Simons mique, tout en faisant de Paris une scène incontournable pour chez Dior en 2012. A elle encore qu’on devrait l’arrivée de notre industrie », rappelle Nathalie Dufour, qui annoncera déNicolas Ghesquière chez Vuitton au mois de novembre der- but mai la liste des nominés aux deux prix de l’Andam, remis nier. Dernier coup de maître pour la blonde héritière de 38 ans le 3 juillet prochain (250 000 euros pour le grand prix qui rédonc : le lancement, le 21 novembre dernier, du prix LVMH compense un créateur français ou étranger qui souhaite s’inspour les jeunes créateurs de mode, doté de 300000 € et d’une taller durablement à Paris et 75 000 euros pour le prix des premières collections attribué à une entreprise basée en aide personnalisée au développement pendant douze mois. Restait à réunir les jurés stars. Branle-bas de combat du côté des France). Hasard ou nécessité, cette année, ces deux •••

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Tous ont réalisé que l’étoffe d’un grand créateur de mode ne se tisse pas en un jour. D’où l’intérêt de former, de repérer d’accompagner les stylistes, très en amont.

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Yannis Vlamos/Catwalk Pictures. Paul Mouginot. Filep Motwary. Paul Mouginot

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Le Festival d’Hyères est ouvert à tous les jeunes stylistes, où qu’ils étudient dans le monde. Le jury reçoit chaque année près de 400 dossiers. La lauréate 2013 est la créatrice finlandaise Satu Maaranen (1). Carol Lim et Humberto Leon (Kenzo) présideront l’édition 2014 (3). Le 26 février, le showroom LVMH a constitué un moment phare du processus de sélection des finalistes pour le prix. Là, les 30 candidats ont pu montrer leurs créations. Parmi eux, Simon Porte Jacquemus (collection, 4) et le duo Edward Meadham-Benjamin Kirchhoff, ici avec le rappeur Kanye West, au centre (2). 67


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Parmi les stylistes en lice pour le prix LVMH, certains bénéficient déjà d’une petite notoriété, à l’instar du Français Simon Porte Jacquemus, accompagné d’un mannequin portant un de ses modèles (5), ou de la jeune Russe Vika Gazinskaya (3, à g.). D’autres sont de vraies découvertes, comme la marque Miuniku (1), créée par deux stylistes indiennes. Pour Nathalie Dufour, fondatrice de l’Andam, ici avec Alexandre Mattiussi, lauréat 2013 pour sa marque AMI (2), les trois prix actuels constituent un tremplin exceptionnel. Et un lieu d’échanges entre les univers comme à Hyères, où l’actrice Chloë Sevigny côtoiera Jay Massacret, le directeur artistique du magazine VMan (4).

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Paul Mouginot. Virgile Guinard. Paul Mouginot. Filep Motwary. Paul Mouginot

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••• concours bénéficient donc d’un engagement visible de deux autres grands noms du luxe français: François-Henri Pinault, PDG du groupe Kering (ex-PPR), est le parrain du lauréat 2014 de l’Andam, et Chanel devient « grand partenaire du 29e Festival d’Hyères ». Ces grands acteurs du monde du luxe n’hésitent pas non plus à soutenir financièrement des sociétés prometteuses : Joseph Altuzarra ou Christopher Kane pour Kering et Nicholas Kirkwood ou Maxime Simoëns pour LVMH. Et osent nommer des créateurs tout juste trentenaires dans de vénérables maisons, comme Alexander Wang chez Balenciaga ou JW Anderson chez Loewe. Mais elles ont compris également qu’un investissement encore plus actif auprès de la jeune création permet de multiplier les chances de trouver la relève de demain. En créant son prix, Delphine Arnault s’est pourtant défendue dans la presse d’organiser son concours afin de préparer un joli petit vivier utile aux ressources humaines du groupe… précisant non sans malice que LVMH avait déjà recruté les meilleurs. L’accuser de jouer perso avec son prix serait d’ailleurs méconnaître la porosité des frontières qui cloisonnent ce joli monde.Le mercato s’y pratique chaque saison ou presque, et les amitiés et les affinités électives font loi. LVMH a beau avoir désormais son prix, il continue de soutenir l’Andam et le Festival d’Hyères. Les présidents du jury d’Hyères 2014 sont aussi jurés du LVMH Prize, Chanel soutient Hyères aux côtés de Chloé alors que Karl Lagerfeld (DA de Chanel mais aussi de Fendi et ex-Chloé) fait partie du jury du LVMH Prize. Les liaisons incestueuses du milieu ont donc peu de poids comparé au privilège pour un styliste débutant de montrer son travail à des personnalités d’une telle renommée. Dans l’antichambre, on murmure aussi que Delphine Arnault a voulu chatouiller le prestigieux CFDA Vogue Fashion Award qui tend à se muer en grand show digne de la télé-réalité. Car, en plus de récompenser des stylistes prometteurs, le concours américain désigne depuis cinq ans « l’icône mode de l’année ». Après Lady Gaga, Iman, Kate Moss et Nicole Kidman, Rihanna se verra remettre son trophée le 2 juin, « pour son influence sur l’industrie en tant qu’ambassadrice de la mode la plus excitante du moment ». Ainsi parle Steven Kolb, directeur exécutif du CFDA (Conseil des créateurs de mode américains). De ce côté-ci de l’Atlantique, on se veut moins people, donc plus sérieux. Intéressant quand on se souvient d’un temps pas si lointain où la France était régulièrement accusée, dans et hors de ses frontières, de ne pas savoir défendre ses jeunes talents. Le 25 janvier 2010, Anna Wintour, rédactrice en chef du Vogue américain,

Delphine Arnault s’est défendue d’organiser le concours afin de préparer un joli vivier pour son groupe, précisant non sans malice qu’elle avait déjà recruté les meilleurs.

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l’avait même dit en personne au ministre de l’industrie de l’époque, Christian Estrosi. Certains y avaient vu une arrogance sans pareille de la part de celle qu’un documentaire (The September Issue, de R. J. Cutler) venait de consacrer comme la femme la plus influente du secteur. Il faut quand même pas mal de culot pour oser donner des leçons de mode au pays qui a inventé le New Look (Christian Dior, 1947), vu éclore un génie de 21 ans baptiséYves Saint Laurent ou qui reste à ce jour le seul au monde habilité, par le biais de sa Chambre syndicale de la haute couture, à décerner le titre de « grand couturier ». Mais le carré blond impeccable de la « Dark Vador en jupon », comme la presse américaine l’appelait, n’a pas frémi au moment de discuter d’un plan de soutien destiné à la formation, au financement et à la promotion des jeunes créateurs français. Si le rendez-vous d’Anna Wintour – initié par la journaliste Elisabeth Quin, alors chargée de mission auprès du ministère pour les industries de haute couture et prêt-à-porter – a pu vexer ceux qui œuvrent depuis longtemps dans l’Hexagone au soutien des talents émergents, Jean-Pierre Blanc, reconnaît que, sur le fond, la journaliste new-yorkaise n’avait pas complètement tort. « Ça va faire trente ans que j’entends dire que, la jeune création, ça ne sert à rien, poursuit-il. Quand j’ai créé le Festival, les magasins montraient peu d’intérêt pour cette partie de la création, les marques établies avaient peur de voir les choses changer, on me disait que ce n’était pas les jeunes qu’il fallait aider. Je ne peux que me réjouir de voir les choses évoluer. » Car elles évoluent.

S

i le soutien aux jeunes créateurs de

est complexe et polymorphe (aides publiques, implication de grands groupes et de marques indépendantes comme Longchamp, fonds de caution, sans parler du travail de l’ombre depuis des années de la Fédération française de la couture et du prêt-à-porter, présidée par Didier Grumbach), les concours restent un tremplin exceptionnel. La liste des lauréats de l’Andam par exemple déroule un certain nombre de vrais succès : « Martin Margiela a été le premier à en bénéficier en 1989, se souvient Nathalie Dufour. Aujourd’hui, cette entreprise de mode fait 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous avons aussi récompensé A.P.C., Christophe Lemaire, Felipe Oliveira Baptista ou Viktor&Rolf qui ont connu de fabuleuses destinées. » Dans le cadre de ce concours, la styliste Christine Phung a reçu le Prix des premières collections l’an passé. Pour elle, cette récompense a eu des retombées immédiates dans la presse, mais pas seulement. « De nombreuses choses deviennent possibles, comme défiler dans un lieu prestigieux, trouver des partenariats plus facilement, intégrer un grand magasin, etc. Vous êtes tout à coup identifiée dans un monde où la différenciation est fondamentale, explique-t-elle. Evidemment, l’argent est la clé de voûte de cette activité très onéreuse car développer des prototypes coûte très cher avec les frais de patronage, les coûts de confection, l’achat des tissus, les frais quotidiens divers, le rythme intense qui impose de renouveler et développer en permanence des modèles... A mon stade de développement, gagner l’Andam a été vital et m’a insufflé l’énergie et la capacité d’aller plus loin. » Un vrai tremplin donc, car les concours se sont professionnalisés, le nombre de mécènes a augmenté et le coaching des jeunes s’est développé. Autant d’avancées qui permettent de dire aujourd’hui à Nathalie Dufour que « même si les conditions économiques ont bien changé, il vaut mieux être un créateur débutant en 2014 qu’en 1990 ». mode

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le magazine.

Alain Minc, coups droits et revers.

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Il fut le conseiller des puissants, des années 1990 à récemment. Politiques et grands patrons de tous bords se disputaient ses précieuses – et coûteuses – stratégies. Mais la défaite de Sarkozy, dont il fut le Mazarin, a porté un rude coup à ses affaires. Après avoir suscité rancœurs et jalousies, Alain Minc ne semble plus au centre du jeu. Fin de partie ou passage à vide avant un nouveau rebond ? Par Laurent Telo/Photos Paul Rousteau

lain Minc est insubMer-

C’est JeanMichel Darrois, avocat d’affaires parisien fort en cour auprès des puissants, qui assène cette vérité mécanique en croquant fermement son bonbon, à la menthe semble-t-il. Il n’y avait aucune raison de ne pas le croire. Sauf que maître Darrois est le plus grand ami d’Alain Minc et qu’ils s’appellent tous les jours. Il fallait donc quand même vérifier cette affirmation des plus définitives. Le contrôle technique s’est effectué à domicile, dans le bureau d’Alain Minc, sis avenue George-V, où le gotha parisien a un jour ou l’autre posé ses fesses, ouvert grand ses écoutilles et bu ses paroles cul sec. Premier constat: malgré les avaries, passées ou à venir,Alain Minc possède au moins quatre caractéristiques qui font de lui un insubmersible. Une coupe de cheveux impeccable qui défie le temps, une assurance en fer forgé, une intelligence nobélisable. Et surtout, un tic verbal, en rapport direct avec la qualité précédente: Alain Minc commence souvent ses phrases par « Vous ne comprenez pas », ou par sa variante, tout aussi encourageante: « Vous ne comprenez rien. » La fréquence d’intervention de sa tirade dépend du degré de crétinisme supposé de son interlocuteur. Tenez, l’automne dernier, invité au club de réflexion de son ami BernardHenri Lévy, il a mis une petite fessée à François Hollande: « Il n’a pas compris qu’il n’était plus premier secrétaire mais roi de France. » A notre encontre,en un détestable matin hivernal,avenue GeorgeV, son tic s’est emballé. Ce fut long et douloureux, mais le bourreau avait quelques circonstances atténuantes. Car c’est de manière irrévérencieuse qu’on était venu le consulter pour savoir si l’action Minc, qui avait crevé les plafonds du succès durant les années 1990-2010, labourant des sillons aussi parallèles que le monde des affaires, la presse, l’édition et la politique, n’avait pas connu une sévère décote. Si la non-réélection de Nicolas Sarkozy, dont il était un «textoteur» du soir des plus assidus, ne lui infligeait pas un brutal retrait hors de l’histoire. Si 70 -

sible. »

son influence protéiforme, inépuisable fonds de commerce, ne s’était pas vidée comme un lavabo. Si, à 64 ans, ses journées n’étaient pas trop longues à dompter les mouches à Eugénie-lesBains, ville thermale des Landes où il a ses habitudes de villégiature. Pour tout dire, le postulat lui est apparu tout à fait frelaté et il a fourni beaucoup d’efforts pour masquer une condescendance accablée. Mais c’était aussi ardu que de tenter de vulgariser le sujet de son prochain bouquin, au didactisme épais, « du pur jus de crâne », précise-t-il, qui glosera sur le lien social dans une société individualiste à l’heure du Net. Alain Minc devise les mains jointes, la tête penchée de côté comme un amateur de peinture devant un tableau. C’est à la fois professoral et intimidant: « J’ai peut-être moins de visibilité médiatique. Mais si les journalistes m’appelaient beaucoup, c’était pour savoir si Sarko avait bien pissé ou s’il était constipé. Ou pour Carla. Je retrouve ma liberté de parole publique! Pour le reste, je fais ce que je faisais il y a vingt-deux ans déjà. Les gens n’ont pas compris mon métier de “conseil”. Il serait lié à une position dans le milieu de l’Etat français. Non. Mon métier, c’est d’avoir des idées de business. » Quelques précisions : depuis 1991 et la création de sa boîte AM Conseil, Alain Minc fut souvent au centre de tout. Même quand ça n’était pas vrai, il avait ce talent pour dissoudre la réalité dans sa propre légende. Il fut une époque où ce major de l’ENA (promo 1975) pouvait hypnotiser son public même en récitant le bottin en latin. Les grands patrons venaient le voir comme on va consulter le marabout africain, pour aller mieux. Sans lui, ils auraient couru partout comme des poulets décapités. Un conseiller en grand, en stratégie financière, en tout, une clé à molette idéologique qui s’adapte à tous les profils, pourvu qu’ils soient puissants. On appelle ça l’« abonnement Minc ». Il oscille entre 100000 € et 300000 € annuels pour avoir l’autorisation de l’appeler à satiété. Il dit à Vincent Bolloré d’investir dans Vallourec, entreprise du CAC 40 : 1,5 milliard de plus-value. Il aide JeanCharles Naouri à sauver le groupe Casino, accompagne l’ascension vertigineuse de François Pinault, etc. « Son ambition était de devenir le nouvel Ambroise Roux, le maître du capitalisme à la française pour sa capacité à influencer les décisions et les nominations ••• 12 avril 2014


Alain Minc le 20 janvier 2014, dans les bureaux parisiens de sa sociĂŠtĂŠ de conseil, avenue George-V.

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pas au nombre de ses « abonnés ». Les patrons achetaient donc aussi un pacte de non-agression. Il fut des temps glorieux où le pèlerinage jusqu’à son bureau s’avérait plus efficace que de se rendre à la grotte lourdaise. Il a aidé des dizaines de banquiers à retrouver du travail. Sous Sarkozy « que j’ai connu petit avocat cherchant du boulot », il devint le DRH de la République. L’idée de nommer Bernard Kouchner au Quai d’Orsay, Rachida Dati à la justice, Guillaume Pepy à la tête de la SNCF, c’est lui. Mais appareMMent, il a trop Multiplié les occasions de se faire haïr

et il y a désormais trop de gens désireux de sonner le tocsin. Au faîte de sa splendeur, les ennemis d’Alain Minc étaient bien planqués dans la jungle du triangle d’or parisien. Ils s’autorisent désormais à dégommer en toute impunité. En début d’année, un certain monsieur Villin a téléphoné à 18h45, mort de rire: « Vous savez où il est Alain Minc en ce moment? En train de dîner seul avec les poules et madame à une table du Bristol. » Ce qu’il fallait comprendre? La décrépitude de notre héros faisait vibrer les ors du palace parisien. C’est le même Philippe Villin, ancien patron du Figaro, banquier conseil qui aspire à succéder à Minc dans le cœur du Tout-Paris financier, qui a détecté la « minculose ». La maladie de ceux qui écoutent un peu trop Alain Minc. Depuis quelques années, la « minculose » semble en voie d’éradication. Même en cherchant bien, son nom a bel et bien disparu des scénarios des grands raids financiers qui glorifient la loi du plus fort. Par exemple, pas la moindre petite mission d’éclaireur au cours du blitz que Vincent Bolloré a déclenché, à l’automne dernier, contre le Vivendi de Jean-René Fourtou. Depuis deux ans, le chiffre d’affaires d’AM Conseil est plus proche des 3 millions d’euros que des 7 de la grande époque. « J’ai toujours les mêmes clients. Une quinzaine », assuret-il. Lesquels? Secret défense. Dommage. Il faut au moins décompter ses ••• stratégiques. Minc a largement réus« abonnés » partis à la retraite (Antoine si », explique Jean-Marie Colombani Zacharias, ex-Vinci, Louis Schweitzer, avec qui il dirigea Le Monde de 1994 à ex-Renault). Philippe Crouzet, prési2007. Minc était président du conseil dent de Vallourec, nous apprend surde surveillance du groupe Le Monde tout que la nouvelle génération de SA. C’était comme faire la circulation patrons s’apprête à ranger Minc dans au carrefour de tous les réseaux. Et le tiroir du bas, qu’on n’ouvre jamais: « Il y a vingt-cinq ans, les patrons mapuis, aucune vision essentielle niaient leur conseil d’administration n’échappait à la plasticité infinie de avec beaucoup d’autorité. Les règles de son inventivité : qui d’autre pour imagouvernance ont changé. Elles laissent giner construire une mosquée au sommoins de place aux conseillers extérieurs. met de la tour Montparnasse dans Et puis les mondes économique et polil’idée de se prémunir d’un attentat au tique sont plus cloisonnés. Alain Minc est lendemain du 11-Septembre ? Il fut peut-être le dernier de son espèce. » Ainsi, aussi l’incarnation luciférienne du « caconseiller de François Pinault, il a été pitalisme à la française » avec cette capacité à se relever de tout. Des conflits d’intérêts les plus exfiltré de la dynastie par le fils François-Henri, le nouveau patron, criards à force de conseiller tout le monde en même temps. Et qui l’a prié d’aller conseiller ailleurs. des plus gros gadins, c’est-à-dire quand il s’agissait de mettre en Six mois après la présidentielle de 2012, notre expert en stratégie œuvre lui-même ses éclairs de génie. En 1979, il devint directeur financière avait imaginé constituer un fonds d’investissement de financier de Saint-Gobain dont il fut éjecté sans ménagement en 500 millions d’euros avec Nicolas Sarkozy et le Qatar. Selon nos 1986. Puis l’industriel italien Carlo De Benedetti lui confia la tête informations, les banquiers mis dans la confidence sont partis en de sa holding française. Minc s’amusa comme un fou. Il décida courant au vu d’un montage aussi alambiqué que risqué.Aux plus de lancer une OPA hasardeuse sur la Société générale de Bel- belles années du sarkozysme, Alain Minc avait trouvé un autre gique. Echec sur toute la ligne. De Benedetti a dû débourser artifice très ingénieux pour rester dans le coup. Il avait mis des 800 millions d’euros et en a conclu: « Faire de lui un chef d’entre- « bébés Minc » en couveuse. « Je suis une sorte de pygmalion pour prise ou un PDG, c’est comme confier à un sociologue la gestion d’une les jeunes, renseigne Minc. Pour moi, c’est un antidote pour ne pas charcuterie. » Pourtant, en règle générale, le roi du bon mot, c’est devenir un légume. » Le mentor les attendait à la sortie des grandes Minc. On aime bien celui-ci : « Ça, personne ne peut le confondre écoles. Puis il leur faisait la courte échelle pour les aider à grimper avec Kant », lancé à propos de Martin Bouygues, qui ne comptait en vitesse tout en haut de la grande roue. En échange de quoi, •••

Il fut un temps où le pèlerinage dans son bureau s’avérait plus efficace que d’aller à Lourdes.

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Photos Paul Rousteau pour M Le magazine du Monde – 12 avril 2014



le magazine. ••• les « bébés » devaient assurer la pérennité intellectuelle et

financière de leur mentor. Mais une grande roue, ça tourne. Bruno Patino est encalminé à France Télévisions, dont il n’a pas pris la présidence après avoir été recalé à celle de Radio France. L’expatron d’Endemol, Stéphane Courbit, se fait très discret depuis qu’il a été mêlé à l’affaire Bettencourt. Alexandre Bompard, qui n’a pas été retenu pour la présidence de France Télévisions, s’est vu remettre un lot de consolation, la Fnac. Jacques Veyrat, ancien président du groupe Louis-Dreyfus, n’a pas décroché France Télécom et vole désormais de ses propres ailes. Même avec ses bouquins, Minc semble avoir perdu la plume. En 2012, L’Ame des nations (Grasset) a culminé à 4 500 exemplaires. Il n’avait pas l’habitude de ce genre de désagréments. En 1987, il avait écoulé 145000 exemplaires de La Machine égalitaire (Grasset). Et puis, à l’occasion de la rédaction de L’Homme aux deux visages (Grasset), comparatif osé entre René Bousquet et Jean Moulin, il n’a pas été pressé de citer la source de ses inspirations et a été condamné pour plagiat en juillet 2013 au détriment de Pascale Froment, auteure d’une bio de Bousquet en 1994. Son activité la plus visible aujourd’hui ? La présidence du conseil de surveillance de la Sanef. Qui n’est pas tout à fait un mastodonte du CAC 40, mais la Société des autoroutes du nord et de l’est de la France. En est-il réduit à choisir la couleur des guérites de péage ? « Il n’a pas encore mis sac à terre. Même s’il est lucide. Maintenant, on est de l’autre côté », assure Franz-Olivier Giesbert, lui-même la

tête dans les cartons de sa retraite de la direction de l’hebdomadaire Le Point. Alain Minc, lui, ne bronche pas, comme si de rien n’était. Il encaisse à merveille, il a connu pire : « De 1995 à 2007, sous Chirac, j’étais tricard à l’Elysée. Même à une réception de 500 personnes, j’étais barré des listes. » « Je ne l’ai jamais vu affecté », insiste Pierre Blayau, président d’Areva, un très proche. René Ricol, expert-comptable, ex-conseiller de Sarkozy : « Sa vie n’est pas linéaire. Il a eu des périodes de pouvoir intenses et du moins bien, comme après son départ du Monde, un vrai tournant et une vraie peine pour lui. » à lui dénicher une activité trépidante, a fourragé frénétiquement dans la poche de sa veste et brandi son agenda. Du calme. Ce n’était pas non plus l’agenda du président Sarkozy qui intéresse tant la justice. L’entreprise Minc ouvre à 7 h 15. « A 19 heures, je ferme. » Ce qui donne, en condensé : « Petit déjeuner avec un intellectuel » – l’ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi – « ou avec un jeune inspecteur des finances qui se pose des questions sur sa carrière ». « Reçu un grand patron puis un journaliste. Déjeuner avec le patron d’une grande banque. Après-midi : rendezvous avec un homme politique étranger qui n’était pas d’accord avec une déclaration que j’avais faite dans son pays. Vu un de mes clients. De 16 à 19 heures : conseil téléphonique pour une assemblée générale. Colloque au Royaume-Uni. » En bonus, les hobbies du week-end : « Deux fois deux heures d’écriture pour mes bouquins et deux matches de tennis. » Tous les dimanches matin, un café dans un bistrot de la rue Cler (Paris 7e) en compagnie de son ami Philippe Labro, pour avoir le point de vue du vulgum pecus. « On prend le café à 7 h 30 avec deux copains qui ne sont pas agrégés de lettres », raconte Labro. La lecture du Dernier Mot du Britannique Hanif Kureishi, le visionnage de la série « Un village français ». Alain Minc résume son quotidien en un inégalable tournemain : « Je ne vois que des gens intelligents. Au début de ma carrière, je n’étais qu’un tiers de mon temps seulement aux aguets intellectuels. Le reste s’effectuait à basse intensité. Aujourd’hui, c’est l’inverse. C’est plutôt tonique. » Avant de reprendre un bonbon, maître Darrois a insisté : « Aujourd’hui, son influence est davantage internationale. Il a son réseau, toujours aussi impressionnant. » Et de nous conter un récent voyage en Chine où Minc, accompagné de Tony Blair et Gerhard Schröder, a été reçu par les plus hautes autorités du pays. Sur les traces de Marco Polo, il en a tiré une réflexion d’une petite vingtaine de pages sur l’actualité de l’empire du Milieu qu’il a distribuée à ses copains. Le message est clair : méfiez-vous du Minc qui dort, il a encore des pétards plein les poches. Selon certains de ses amis, il pourrait bien rouler pour Alain Juppé à la prochaine présidentielle. D’ici son grand retour en grâce, il continue à être aussi craint qu’une amanite phalloïde. Car, s’il se décidait à ouvrir sa grande armoire à secrets de l’establishment… « Je suis étonné de la précision de ses infos, confirme Jacques Veyrat. Il sait encore tout. » Pour Pierre Blayau, « Alain s’apprête à vivre centenaire. On n’en a pas fini avec lui ». En l’absence d’esprit pratique, voire d’esprit tout court, nous ne sommes pas en mesure de déterminer si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle. À un moment, AlAin minc, trop excédé pAr notre entêtement bêtA

“Je suis un pygmalion pour les jeunes. C’est un antidote pour ne pas devenir un légume.”

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Sabrina Teggar est revenue à Chlef sur la terre d’origine de son père en mars et octobre 2012. Un voyage dont elle a tiré la série d’images « Mnémosyne et boîte de Pandore ». Elle a retrouvé là-bas ses cousins et cousines dont Nazhia (ci-dessous). Celle-ci montre les photos traditionnellement réalisées par un professionnel à la fin du ramadan pour les jeunes filles en âge d’être mariées. Nahzia se voile à la demande de son frère, même si elle préférerait rester tête nue.

Faïza Zerouala, journaliste française, et Sabrina Teggar, photographe suisse, ont des racines algériennes. Enfants, toutes deux passaient leur été “au pays” avant d’en être éloignées par la guerre civile. L’an dernier, chacune a décidé de renouer avec sa terre d’origine. Ce retour, elles le racontent, l’une en mots, l’autre en images, dans un récit très personnel où affleure une société algérienne désabusée, qui s’intéresse à peine à l’élection présidentielle du 17 avril. Par Faïza Zerouala/Photos Sabrina Teggar

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Retours en Algérie.


La photo de son grand-père et de son grand-oncle en tenue de fête trône dans toutes les maisons de la famille (au centre). Ils étaient maquignons – marchands de chevaux – et possédaient alors nombre de terres, aujourd’hui vendues. L’oncle maternel suisse de Sabrina Teggar (ci-dessous), qui l’accompagnait lors de son second voyage, contemple au loin Biskra, dans le massif des Aurès.

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a dernière fois que je suis ve-

nue ici, c’était en 1992. J’avais 8 ans. Mes parents, tout deux nés en Algérie, nous avaient emmenés, mes deux grandes sœurs, mon petit frère et moi, pour deux mois de vacances, comme presque tous les ans, près de Blida. Ce fut la dernière fois. Suivit la décennie noire qui a déchiré le pays, touchant particulièrement cette région surnommée « le triangle de la mort ». Pendant dix ans, impossible d’y retourner, mais je n’ai jamais cessé de couver cette terre, un peu la mienne, du regard. Puis, l’été dernier, en plein ramadan, je suis revenue à El Affroun. Et j’ai découvert l’Algérie d’aujourd’hui, que je n’ai plus vraiment quittée depuis, restant sans cesse en lien avec certains de mes quarante-neuf cousines et cousins. Soixante-dix kilomètres séparent El Affroun d’Alger. Mais la ville de mes grands-parents maternels est à des années-lumière du bouillonnement de la capitale. Dans ma famille, comme dans de nombreuses familles algériennes, la politique n’est pas une préoccupation majeure. L’élection présidentielle, qui se déroulera le 17 avril et qui verra sans doute Abdelaziz Bouteflika, 77 ans, élu pour un quatrième mandat, n’est pas un sujet. Rares sont ceux qui connaissent Barakat! (« Ça suffit! »), un mouvement de protesta-

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tion né il y a quelques mois à Alger, pour lutter contre un scénario écrit d’avance. Mon cousin Ahmed, 28 ans, n’en a jamais entendu parler. Il n’est même pas sûr de connaître le nom des autres candidats (l’ancien chef du gouvernement Ali Benflis, Moussa Touati, du Front national algérien, Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs, Abdelaziz Belaïd, du Front El Moustakbal, et Ali Fawzi Rebaine, du parti Ahd 54). En revanche, il sait qu’un meeting d’Abdelmalek Sellal, l’ancien premier ministre en campagne pour Bouteflika, s’est tenu à Blida, le 24 mars dernier.Y aller ne lui a même pas traversé l’esprit. Difficile pour les Algériens de critiquer celui qui demeure pour eux l’homme providentiel, le deus ex machina qui a mis fin à dix ans de terrorisme et rétabli la sécurité. J’ai du mal à comprendre un tel attachement, une telle révérence. Mais je sais aussi que la parole n’est pas libre. Ma famille, comme beaucoup de ses concitoyens, s’autocensure.Tous ont pris l’habitude de ne pas se mêler de politique pendant la guerre civile des années 1990 pour éviter les ennuis. Aujourd’hui encore, le sujet reste miné. Tout juste se permettent-ils quelques blagues sur l’état de santé de Bouteflika, avant de passer rapidement à autre chose. En arrivant à El Affroun, je reconnais facilement les lieux de mon enfance. La porte en métal de la maison de mes grands-parents coince. Pour y pénétrer, il faut frapper un grand coup sec avec le pied. La maison familiale, occupée après le départ des colons français en 1962, n’est jamais fermée à clé dans la journée tant les allées et venues sont nombreuses. Avant l’indépendance, ses habitants vivaient entassés dans un gourbi construit avec de la ••• - 77


••• paille. Aujourd’hui, cette demeure a vieilli, le figuier est de-

m’explique qu’il faut au minimum cinq ans pour obtenir une réponse, le temps qu’une commission statue. Mille appartements seraient en cours de construction à El Affroun pour 15 000 demandes. Avec un tel ratio, mieux vaut s’armer de patience. En attendant que la chance lui sourie, la famille vit d’expédients. Aucune de mes tantes ne travaille, faute d’avoir été formées. Seuls leurs époux font vivre leurs foyers. La mère d’Ahmed est veuve. Elle assume seule ses quatre enfants, âgés de 14 à 28 ans, avec la pension de retraite de son mari versée par l’Etat. Une somme correspondant à 13 000 dinars mensuels, soit 120 euros environ. C’est aussi ce dont dispose mon grand-père, ancien chauffeur de car, pour vivre. Chez ma tante, la viande a déserté les assiettes. Seul le poulet reste à peu près accessible au prix de 300 dinars le kilo. En période de ramadan, les voisins touchés par son dénuement lui font parvenir un panier, histoire d’améliorer ersonne n’est gêné par la promiscuité et le manque ce quotidien frugal. Ses trois fils aimeraient l’aider mais leurs d’intimité. Le logement individuel reste un revenus sont aléatoires. Pendant mon séjour, j’ai vu mon cousin Graal. En obtenir un requiert d’avoir du piston et/ Hafid, 18 ans, attendre avec fébrilité l’appel d’un propriétaire ou de la patience. Car l’attribution de logements terrien qui l’emploie comme journalier pour la cueillette des sociaux, des « bâtiments » clones de nos cités, oranges ou des poires. Il travaille de 5 heures du matin à midi. n’obéit à aucune logique. L’une de mes tantes a attendu sept ans L’été, le soleil est ensuite trop cuisant. pour obtenir un appartement. Ahmed a déposé un dossier de Ahmed est mécanicien. Lorsque je l’ai revu, il revenait juste d’une logement pour sa mère en 2009 – l’actuel est en mauvais état – mission au Sahara où il est employé ponctuellement comme mais il n’a même pas essayé de faire une demande individuelle. manœuvre dans les puits de pétrole et de gaz naturel.Il alterne des Célibataire, il n’a aucune chance. Sa famille attend encore. Il contrats de 3, 6 ou 10 mois et des périodes de chômage.Ahmed est venu paresseux, le jardin est en friche faute de volontaires pour l’entretenir. Pourtant, les bras ne manquent pas. En Algérie, la cohabitation transgénérationnelle perdure: mon grand-père vit avec ma grand-mère, mes trois oncles, leurs épouses respectives et sept enfants. Sans compter les visites de mes cousins, cousines et tantes qui n’habitent jamais loin. Seule ma mère, venue en France à 22 ans, et l’une de ses sœurs, partie avec son mari dans le désert algérien, ont quitté la région. Mes grands-parents ont eu neuf filles et cinq fils qui leur ont donné cinquante-trois petitsenfants.Au cours de mon séjour, j’ai dû m’habituer à nouveau aux ambiances familiales bruyantes, enjambant les matelas disposés au sol pour sortir de la chambre.

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Sabrina Teggar/Phovea

Lors de son premier retour, en mars 2012, Sabrina Teggar s’est appliquée à photographier les allers-retours entre passé et présent à Chlef. De l’inamovible président Bouteflika (ci-dessus à l’entrée d’un parc pour enfants) aux lieux sacrés de la ville, comme cette place ornée d’un eucalyptus où se rendent les pèlerins pour prier devant les tombeaux de deux saints locaux (page de droite). En octobre 2012, la photographe arpente plus largement l’Algérie. Ci-contre, des vêtements traditionnels sèchent devant les falaises de Ghoufi.

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malgré lui l’archétype des « hittistes »,littéralement « ceux qui tiennent les murs », dont le seul horizon semble être le chômage et l’ennui. Il fait partie des 25 % de jeunes qui n’ont pas de travail, selon l’Office national des statistiques. Ici, le moyen le plus sûr pour trouver un emploi pérenne, c’est de « connaître quelqu’un », la maarifa. En fait, le piston permet de se sortir d’à peu près toutes les situations en Algérie. Mais Ahmed n’est pas prêt à tout pour quitter sa précarité. Surtout pas à se livrer à certaines combines ou supplier qui que ce soit. Car il a son honneur, sa fierté. Son nif. Un concept purement algérien,qui se traduit littéralement par « nez ». Il faut imaginer, pour se figurer l’expression, une personne tête droite, nez en l’air, qui refuse de courber l’échine. Chaque fois qu’un membre de ma famille me parle de son nif, je pense à mes cours d’anthropologie et à Pierre Bourdieu. Dans ses travaux, le sociologue l’avait identifié comme une valeur cardinale de l’Algérie, instrument de la domination masculine. Pour tuer le temps, Ahmed s’occupe comme il peut. Il va voir la famille, regarde la télé ou squatte le cybercafé. Il a bien tenté d’aller à la Maison de l’emploi pour la jeunesse. Il y a même déposé un dossier. Sans résultat. En bon musulman, une partie de lui se dit qu’il doit son sort au mektoub: son destin est tracé, si Dieu veut lui donner un emploi, il le lui donnera. En attendant des jours meilleurs, il en prend son parti et il patiente. C’est d’ailleurs un mantra dans la bouche de ma famille. A chaque problème, la réponse est identique: « Sobri! » (patiente!). Grâce à ce fatalisme

(ou cette acceptation), mon cousin, son frère et leurs copains de galère ne semblent pas malheureux. Ici, contrairement à la France, ne pas travailler n’est pas perçu comme un échec personnel mais comme un fléau collectif. La seule de ma famille à pouvoir envisager un avenir professionnel serein, c’est ma cousine. A 20 ans, elle est en deuxième année d’informatique à l’Ecole normale supérieure à Alger et se destine à l’enseignement. Une fois son diplôme obtenu, elle sera directement embauchée tant la demande est forte. Anfel vit en résidence universitaire pour s’épargner un trajet quotidien de deux heures. Pour autant, sa vie de jeune fille « indépendante » à Alger ne l’a pas changée: elle n’est pas plus intéressée par la politique, est voilée comme la plupart des femmes d’El Affroun après leur puberté et passe le week-end avec sa mère à la maison à cuisiner, ranger ou réviser. Ma cousine n’est plus une exception. Aujourd’hui, les jeunes femmes ont plus facilement accès aux études supérieures. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Pour les femmes de la génération de ma mère issues de milieux modestes, il était vain de tenter de convaincre leurs parents de les laisser étudier au lycée ou à l’université. Il aurait fallu pour cela qu’elles se rendent chaque jour dans les grandes villes, seules. Impossible de leur octroyer une telle liberté. Les mentalités évoluent doucement même si les filles d’aujourd’hui font toujours l’objet d’une surveillance attentive. Les jeunes voisines ont vite appris à la déjouer. Un soir, après l’iftar,le repas de rupture du jeûne,les deux adolescentes •••

La cousine de la photographe, Nazhia, et sa mère adoptive dans la maison familiale (à droite). Fatma-Zohra a eu quatre enfants. Deux naturels, qui sont décédés dans des accidents, et deux qu’elle a adoptés.

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Le magazine. ••• m’ont entraînée dans la rue principale d’El Affroun. Durant

le ramadan, les Algériens aiment flâner pour une promenade digestive… en mangeant une glace. Les hommes jouent aux dames dans les cafés, interdits aux dames. Reste donc le shopping. Les filles se ruent vers les boutiques, ouvertes jusqu’à minuit, pour y acheter leur tenue pour l’Aïd, la fête qui marque la fin du mois de jeûne. Une tradition ruineuse mais encore respectée. Il s’agit aussi d’un prétexte idéal pour sortir. Si les jeunes filles m’ont proposé de les accompagner, c’était surtout pour me montrer le petit copain de la plus âgée des deux. Pas me le présenter, non, juste me le montrer. Le jeune homme travaille dans un magasin de vêtements. Nous y sommes entrées l’air de rien et le couple a échangé des regards complices, de loin. Les relations amoureuses demeurent le tabou ultime en Algérie. Les jeunes filles craignent de se faire surprendre par leurs frères, père ou même de simples connaissances. Et sélectionnent leurs confidentes avec soin pour éviter les trahisons. Mais elles ne veulent pas sacrifier leurs premiers émois (platoniques) à la peur. Reste à s’adapter. Le téléphone est pour ça une arme indispensable. Il permet notamment de continuer sans risque une conversation nouée au collège ou au lycée. En glanant çà et là quelques dinars, les adolescentes ont réussi à s’acheter un portable d’occasion, obsolète selon nos critères. L’appareil, partagé à plusieurs, est éteint la plupart du temps pour éviter de se faire surprendre. La puce, elle, est placée dans un endroit inaccessible, comme le soutien-gorge. Car, dans le voisinage, tout le monde surveille tout le monde. Mon arrivée, par exemple, n’est pas passée inaperçue. Et pour cause: j’étais l’une des rares à cheminer tête nue. J’avais hésité à porter un foulard léger mais mes grands-parents m’en ont dispensée. Venant de France, on pouvait le comprendre, me disaient-ils, mais la tolérance s’arrêtait là. Craignant que je ne

débarque à l’aéroport en short et débardeur, l’un de mes oncles avait même prévu que sa femme me prête une tenue plus « islamiquement » correcte. Je n’en ai pas eu besoin, je n’avais emporté dans ma valise que tuniques et jupes longues.

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je n’ai senti aucune fascination envers la France. Les télés ne transmettent plus les programmes hexagonaux, mais ceux des pays du Golfe. La francophonie est en déshérence. Ma famille s’excusait régulièrement de ne parler qu’un « français cassé ». Seuls les plus âgés, contemporains de la colonisation, continuent de pratiquer notre langue. Les jeunes l’ont apprise à l’école mais l’ont oubliée. Même si des survivances comme « chargeur », « bâtiment », « sport » ou « téléphone » apparaissent dans les conversations. Mais le grand terme à la mode en ce moment, c’est « normal ». En Algérie, tout est normal. Y compris les photos d’Abdelaziz Bouteflika, l’air plein de santé, sur la place principale d’El Affroun ou à l’aéroport d’Alger. Son regard clair et sa mèche ramenée au sommet du crâne pour masquer sa calvitie avancée semblent dire que le temps n’a pas de prise sur lui, malgré l’AVC dont il a été victime cet été. Et dont on ignore les dégâts. Jeudi 17 avril, à El Affroun, Ahmed n’ira pas voter. Il n’a jamais voté. Pour quoi faire ? Il n’a pas confiance. L’autre jour, pendant que nous discutions d’un côté et de l’autre de la Méditerranée, Ahmed a réalisé un rapide sondage autour de lui auprès des jeunes du cybercafé. Aucun ne comptait aller voter. L’un d’entre eux racontait même avoir tenu un bureau de vote lors de la présidentielle de 2009 et assisté à un bourrage d’urne. De quoi conforter Ahmed dans son choix. Personne n’obtiendra sa voix. endant mon séjour,

Sabrina Teggar/Phovea

A Alger, dans l’appartement d’une tante de la photographe. A droite, le croquis d’un tapis de mariage traditionnel, à Tipaza, sur la côte.

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acquadiparma.com


Le magazine.

Nicholas Serota devant L’Escargot, de Matisse, qu’il expose à la Tate Modern jusqu’au 7 septembre. 82


La tête des Tate.

Cet homme a secoué l’art contemporain britannique. Damien Hirst, Anish Kapoor, Steve McQueen… Depuis qu’il a pris la direction de la Tate, en 1988, Nicholas Serota n’a cessé de dénicher de nouveaux talents, parfois controversés. Son obsession : écrire l’avenir de l’art. Et même quand il expose de grands noms du passé, comme Matisse à partir du 17 avril, c’est en les conjuguant au présent. Par Harry Bellet/Photo Gareth McConnell

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armi les responsables des grands musées mondiaux, Nicholas Serota, qui préside depuis un quart de siècle aux destinées de la Tate, à Londres, est un brontosaure : il s’intéresse aux artistes. Il prépare une exposition des papiers découpés de Matisse. Un succès public prévisible, à n’en pas douter, mais ce n’est pas tant cela qui l’anime : « Quand vous dirigez un musée, vous devez toujours voir l’art du passé à travers un prisme actuel. Certains pensent que l’histoire est figée. C’est une erreur. Notre rôle est d’aider les artistes vivants, de s’engager avec eux. » Tout cela est bel et bon, mais quel rapport avec Matisse ? « Il est important pour les artistes d’aujourd’hui. On sait l’influence que ses collages ont eue sur Ellsworth Kelly dans les années 1950. » A l’écouter, l’artiste anglais Patrick Caulfield aime clairement ses travaux, « ils l’ont aidé à développer son propre rapport à la couleur » ; Gary Hume a passé « beaucoup de temps à regarder Matisse » ; et les artistes du « colorfield painting » à New York ont été « marqués par ce travail ». « Il faut tenter de refaire des œuvres un travail contemporain, et pas seulement concevoir une exposition historique. » Nicholas Serota, qui aura 68 ans le 27 avril, dirige la Tate depuis 1988. Les Tate, devrait-on dire, puisque, outre les deux établissements londoniens, Tate Britain et Tate Modern, il en existe deux autres, l’un sur le port de Liverpool, l’autre dans la station balnéaire de St Ives, dans les Cornouailles. Ouverte en 2000 dans une ancienne centrale électrique, la Tate Modern a connu un succès immédiat. « Londres était en ce temps une des rares capitales importantes à être dépourvue d’un musée du xxe siècle. Nous espérions une fréquentation de 2 millions de visiteurs par an. Nous en avons 5 millions. » Outre la création de ce musée, le premier de cette importance ouvert en Grande-Bretagne depuis un siècle, il réforme le Turner Prize, fondé en 1984 dans l’indifférence générale. Doté de 25000 livres (plus de 30000 euros), ce prix est désormais, avec ceux de la Biennale de Venise, le plus prestigieux attribué à un artiste contemporain. Nicholas Serota intéresse la chaîne de télévision Channel 4, qui, depuis, le retransmet en direct, et pose une limite d’âge, permettant de concentrer l’attention sur de jeunes artistes. La médiatisation d’un art frais suscite son lot de polémiques, et l’intérêt du grand public. Les artistes deviennent des rock-stars, ou peu s’en faut. Cela tend cependant à favoriser les plus radicaux d’entre eux. ça tombe bien, Nicholas Serota s’est penché sur leur berceau : en 1988, peu de temps après sa nomination, il visite une exposition organisée par des étudiants du Goldsmiths Art College dans les docks de Londres. A leur tête, un gamin, Damien Hirst. Jusque-là confidentiel, l’art contemporain britannique devient remuant, « peut-être parce que les artistes, comme Damien Hirst justement, ou Tracey Emin, travaillaient sur la vie quotidienne, ça s’est mis à parler au grand public, aux jeunes. Parce qu’ils étaient présentés au Turner Prize, qu’ils étaient achetés par la Tate, cela a commencé à faire controverse dans la presse et à grandir petit à petit. » Des controverses, il en a connu. Il peut même se vanter (ce qu’il ne fait pas) d’être à l’origine de la création d’un mouvement artistique, les « stuckistes ». Le groupe a été fondé en 1999 par deux artistes figuratifs, Charles Thomson et Billy Childish, heurtés par les orientations ultra-contemporaines du Turner Prize: « La seule personne qui ne risque pas de gagner le Turner Prize, écrivaient-ils pour protester contre l’absence de peintres dans la sélection, c’est Turner. » Un paradoxe, quand on sait que c’est précisément sur cet artiste que portait la thèse de Serota quand il était étudiant. Pendant environ huit ans, à chaque édition du prix ou presque, les stuckistes ont organisé des manifestations devant la Tate Britain, où, déguisés en clowns, ils dénonçaient ce qu’ils estimaient être la vacuité ••• 12 avril 2014

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le magazine.

“Je crois que les artistes, même les plus déjantés, font un travail sérieux. La responsabilité de mon institution, c’est de leur donner un support. C’est remarquable, alors, de voir à quelle vitesse ils pénètrent dans les consciences.”

Nicholas Serota

••• de l’art contemporain, et son lien avec les puissances d’argent. Ils réclamaient également à in-

tervalles réguliers la démission de Nicholas Serota. Un tableau réalisé en 2000 par Charles Thomson – qui s’avère à l’occasion être un portraitiste fidèle à son modèle – le représente examinant une petite culotte fuchsia pendue à une corde à linge, et se demandant s’il s’agit bien d’une œuvre originale de Tracey Emin… L’image, déclinée sous forme d’affiche, a été distribuée à l’entrée du musée. Une photo de 2006 montre Nicholas Serota la brandissant de la main gauche. L’homme ne manque pas d’humour, et s’il a décliné le don de 160 tableaux de stuckistes au musée, il les a assurés que leurs tracts de protestation seraient déposés aux archives. Désormais habitué à ce mouvement de contestation, il en sourit, et se félicite d’avoir contribué à initier un débat.« On crée le débat en prenant une initiative, en faisant une présentation, puis une suivante, et encore une autre. Il ne faut pas attendre une audience immédiate, elle vient petit à petit. Elle se construit. »

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ui-même n’adhère pas nécessairement à tout ce qui brille ou est nouveau, contrairement

à ce que prétendent ses détracteurs, mais part d’un postulat: « Je crois que les artistes, même les plus déjantés, font un travail sérieux. Je m’en rends compte chaque fois que je parle avec eux, que je visite un atelier. D’abord, cela paraît étrange, ça ne correspond pas aux normes. Mais la responsabilité de mon institution, c’est de leur donner un support. C’est remarquable, alors, de voir à quelle vitesse ils deviennent un sujet de débat, pénètrent dans les consciences. Quand Anish Kapoor a reçu le Turner Prize en 1991, il était très controversé. Regardez où il est maintenant. Steve McQueen l’a reçu en 1999. Près de quinze ans avant ses Oscars pour 12 Years a Slave. » Cet engagement ne lui vaut pas que des amis. « Si on avait dû m’élire comme un maire, je ne serais plus là, j’ai été par moments très impopulaire. » Il a pourtant été systématiquement reconduit par ses autorités de tutelle – chaque mandat est de sept ans – jusqu’à ce qu’on se décide, en 2008, à le laisser définitivement en place. Un poste éternel? En souriant, il évoque Irina Antonova, directrice du Musée Pouchkine de Moscou pendant cinquante-deux ans, de 1961 à 2013. « Il y a deux ans, le personnel était inquiet parce qu’elle ne s’était pas présentée au travail, pour la première fois. Elle était presque nonagénaire et ils l’ont appelée . Elle a répondu “Moi ça va, mais ma mère n’est pas très bien”. Les musées, c’est un travail à long terme. » Nicholas Serota entend ainsi développer encore ses institutions,non en ouvrant de nouveaux lieux, à part l’extension prévue de la Tate Modern, mais en travaillant avec ceux existants et en développant les collaborations internationales. Il veut aussi élargir ses missions: « Nous poser, dans le cas de la Tate Britain, des questions non seulement sur l’art britannique, mais aussi sur ce qu’est la culture britannique. » A une époque où l’argent public se fait rare, il n’hésite pas à interpeller les politiques. Il le fait par voie de presse en 2010, quand il est question de réduire de plus d’un quart le budget de la culture, tout en prenant position pour le maintien d’un accès libre aux musées: « La tradition de la gratuité est importante, car cela veut dire que ces lieux sont ouverts à tout le monde. C’est la collection du public, pas la mienne. » Plus récemment, il s’est opposé à la réduction des enseignements artistiques à l’école: « Il est important de donner aux jeunes la chance d’explorer leur imagination et leur créativité. Et je crois que cela doit faire partie des bases de l’éducation. Vous étudiez des sujets sérieux: mathématiques, langues, histoire, et c’est seulement quand vous êtes crevé, à la fin de la journée, qu’on vous parle d’art, si vous avez de la chance. On avait un très bon département d’art dans mon école. » Et de préciser: « J’y étais très mauvais. » Un portrait que lui a consacré le New Yorker – « Ah ! La biographie autorisée… », lâche-t-il mifigue, mi-raisin – le présente comme l’homme qui a changé la culture artistique en GrandeBretagne. « Je crois qu’elle a changé de manière décisive grâce à une génération d’artistes, et que j’ai eu la chance d’être là quand ils étaient actifs. » Il cite aussi Norman Rosenthal, qui s’occupait alors de la Royal Academy, et le collectionneur Charles Saatchi, et ajoute, ironique : « Margaret Thatcher a joué un rôle aussi. » Merveilleuse illustration de l’art de la litote,vu le nombre de crédits qu’elle a supprimés. Ainsi, la Tate fonctionne avec 30 % de subventions publiques, et 70 % de ressources propres, ce qui n’est pas un mince exploit puisque l’entrée y est gratuite pour les collections permanentes. En France, la proportion est inverse pour des établissements équivalents, avec un accès payant. Est-ce pour cela que le magazine Art Review l’a désigné comme un des hommes les plus puissants du monde de l’art? La distinction ne l’impressionne pas plus que ça, il en a d’autres: les « stuckistes » lui ont décerné deux ou trois fois leur « prix du clown de l’art de l’année », mais il a aussi été anobli auparavant par la reine, et fait partie depuis 2013 des Companions of Honour, une décoration un peu plus rare que la française Légion du même nom : outreManche, ils ne sont que 65 à pouvoir y prétendre en même temps… Toutefois, impossible de le prendre en flagrant délit d’égotisme. On renonce, et débranche le micro. Alors, ayant entendu dire que son intervieweur avait jadis travaillé au Centre Pompidou, notamment quand il était dirigé par Dominique Bozo, il évoque quelques souvenirs avec une soudaine émotion. Une rencontre à Londres. Dominique Bozo devait aller à Manchester, Serota à Zurich, pour voir une exposition de Richard Serra. Sur le quai du métro londonien – car, contrairement à ses homologues français qui ne conçoivent pas leur poste sans une voiture de fonction avec chauffeur, c’est ainsi que se déplace Sir Nicholas – , Bozo lui répondit : « Eh bien, je dois pouvoir aller à Manchester en passant par Zurich. » Ce qu’il fit, et probablement, comme on l’a connu, à ses frais. Serota est du même bois. Des brontosaures, on vous dit. « Henri Matisse. The Cut-Outs », Tate Modern, Bankside, Londres. Tél. : 0044-20-78-87-88-88. Du 17 avril au 7 septembre. www.tate.org.uk

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Dans la capitale japonaise, mégalopole dévoreuse d’espace, fleurissent de discrets carrés de verdure et des milliers de plantes en pot, que les habitants posent partout, des trottoirs aux pas de portes. Comme un besoin vital de rester connectés à la terre. Treize photographes japonais s’arrêtent sur ces bulles d’oxygène urbaines. Par Philippe Pons

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RINKO KAWAUCHI, Le Parc «Alors, j’ai regardé vers le bas et j’ai trouvé ce moment parfait.» Rinko Kawauchi est née en 1972. Son travail est empreint de sérénité, son style est poétique. Elle aime illustrer les moments ordinaires de la vie. 87


Le portfolio.

Yu Kasunagi, Snow «La neige ramassée et tassée par les gens a une vie plus longue que celle qui est simplement tombée et laissée en l’état. C’est l’œuvre de l’homme et une forme de frontière naturelle.» Yu Kusanagi est né en 1982. Diplômé de l’université d’art et design de Tohoku en 2007, il expose ses photographies depuis 2003.

HaJiME KiMuRa, (sans titre) «un petit pot vert accroché à la barrière d’un immeuble.» Hajime Kimura est né en 1982. Après des études d’architecture, il devient photographe en 2006. Par son travail, il cherche à exprimer l’invisible réalité de la présence de l’homme. 88 -

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Merci à Christophe Eon et Laurent Hutin @ Janvier-Digital Lab pour leur aide précieuse.

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ature » et « tokyo »

semblent deux termes antithétiques. L’une des plus grandes mégalopoles du monde, une flaque urbaine de 30 millions d’habitants avec ses départements et villes limitrophes, qui donne a priori l’image d’une jungle de béton. Et pourtant. Sans entrer dans le débat sans fin des urbanistes pour savoir si la nature en ville se limite uniquement à ses espaces verts publics – dans ce cas, la capitale japonaise serait à la traîne – ou bien si on peut lui attribuer les jardins privatifs – elle serait alors exemplaire –, Tokyo est une ville où la nature est fortement présente. Pas forcément là où on la cherche. On la trouve certes dans les parcs et jardins, sans doute moins étendus qu’à Paris ou Londres. Mais sa présence est avant tout interstitielle: elle s’égrène par bribes à l’infini au fil des rues, espaces publics dont les occupants s’approprient les franges innombrables : jardinets privatifs aussi discrets soient-ils, pots de fleurs, arbustes sur le pas des portes des maisons individuelles. La verticalité des immeubles de grande hauteur n’est qu’une forme de l’urbanité tokyoïte:Tokyo

est d’abord une ville horizontale faite d’une multitude de quartiers-villages. L’immensité construite n’y est pas oppressante. Ville de fragments, grand collage architectural où se côtoient le sublime et le banal, voire le pire, Tokyo saisit le visiteur non par sa monumentalité ou son harmonie, mais par sa fluidité: la ville se goûte pas à pas et se vit dans ces détails qui compensent sa démesure et sa densité. La nature discrète de ses jardinets des rues n’y est pas étrangère. pour leurs canaux et leur verdure, comme le montrent les estampes de scènes urbaines dans lesquelles reviennent les motifs de l’eau et de la nature. La dégradation de l’environnement urbain au cours de la haute croissance des années 1960-1970, puis la spéculation immobilière ont eu raison de ces bulles de verdure. De la ville bucolique d’antan, il reste une topographie. Des rues, tortueuses, parfois en culde sac, épousent ce qui fut autrefois des chemins ruraux. Et une toponymie : Fujimi – « vue du mont Fuji » –, par exemple, désigne des lieux d’où l’on voyait autrefois le mont Fuji. Ce qui est aujourd’hui rarement le cas. Mais on tombe toujours, au fil des promenades, sur la autrefois, tokyo ou osaka étaient célèbres

futaie d’un sanctuaire shinto ou d’un temple, îlots de verdure dans la ville. La nature est aussi présente par la célébration de ses cycles : la floraison des floconneux cerisiers – dans les parcs, les jardins des temples mais aussi, inopinément, ça et là –, les azalées qui envahissent des rues, le flamboiement des érables à l’automne puis l’or des ginkgos. La nature est enfin présente par ses effluves et ses sons : le concert strident des grillons et des cigales qui résonne à travers la ville au cours du torride été avant que, dans la chaleur moite de la saison des pluies, monte de l’humus des jardins et jardinets saturés d’eau une odeur de terre.

Ce portfolio est le fruit d’une collaboration entre 13 photographes et M Le magazine du Monde. Il sera exposé à la maison Kodo-kan, dans le cadre de la 2e édition du Festival international de photographie « Kyotographie », du 19 avril au 11 mai 2014, à Kyoto. Plus d’infos sur : www.kyotographie.jp/artists/175.html 89


go itami, Window (ci-dessus) Flower (ci-contre) Go Itami est né en 1976. Ses photographies – portraits ou instantanés – sont comme de brefs instants saisis au vol, délivrant, à travers d’infimes détails, sa vision intime de son pays.

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Le portfolio.

DAIDO MORIYAMA, Landscape Le travail de Daido Moriyama, né en 1938, a eu un impact radical sur le monde artistique tant au Japon qu’en Occident. En 1974, le MoMA de New York présente son travail dans le cadre de la première exposition collective consacrée à la photographie japonaise en Occident, « New Japanese Photography ». Depuis, son œuvre fait l’objet de nombreuses expositions institutionnelles majeures.

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Le portfolio.

tAKASHI HOMMA, My Small Garden Né en 1962, Takashi Homma a beaucoup photographié le milieu urbain, livrant sa vision contemporaine de Tokyo et de ses environs. Son livre Tokyo Suburbia, publié en 1998, est considéré comme l’un des chefs-d’œuvre du livre de photographie.

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yasuyuki takagi, série Ueki (plantes en pot) «Les Japonais portent un amour total aux ueki depuis des centaines d’années, à tel point qu’elles étaient naguère considérées, à l’instar des bonsaïs, comme des créatures vivantes. » Yasuyuki Takagi vit entre Tokyo et New York. Outre son travail pour des magazines comme GQ, Wallpaper et M Le magazine du Monde, il expose ses travaux dans des galeries parisiennes et new-yorkaises. La nature est au centre de sa démarche artistique.

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Le portfolio.

LIEKO SHIGA, Inayo’s Garden Ex-danseuse née en 1980, Lieko Shiga livre des photos à la fois lumineuses et sombres. Elle emploie la photographie comme un moyen de chorégraphier l’humain et, au-delà, le monde. 94


Naoki ishikawa, Shrine «Ce n’est pas une pagode ordinaire. C’est l’œuvre d’un vieil homme fasciné par les miniatures. Ce “modèle réduit” se trouve dans son jardin, dans un quartier bourgeois de Tokyo.» Naoki Ishikawa est né à Tokyo en 1977. C’est un photographe atypique, grand voyageur qui a gravi des sommets de l’Himalaya. Les thèmes du voyage et de la découverte sont très présents dans son travail.

NoBUYoshi aRaki, 21-08-13 «Je rends hommage à Barthes pour qui la simplicité japonaise trouve sa richesse dans le vide: Tokyo vu comme un “centre-vide”. Je saisis ici la nature comme un espace vide avec un bâtiment [L’école de Mode Gakuen Cocoon Tower, ndlr] qui ressemble a un organe.» Nobuyoshi Araki est né en 1940 à Tokyo. Artiste majeur extrêmement prolifique et figure du monde des médias et de la culture au Japon, il a inauguré une démarche photographique inédite, où l’objectif suit au plus près la vie de l’artiste. 12 avril 2014

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Le portfolio.

MASARU TATSUKI, Kumquats «J’ai pris cette photographie dans mon jardin. Il y a des kumquats dont nous aimons manger les fruits. Quand ils sont tombés de l’arbre, des petits animaux viennent les manger. Je contemple ce spectacle en sortant fumer des cigarettes. Cela fait partie de ma routine.» Né en 1974, Masaru Tatsuki a beaucoup photographié les « dekotora », ces camions customisés et décorés de façon délirante. Il a également portraituré les conducteurs de ces machines lumineuses et leurs familles…

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Kotori Kawashima, (sans titre) «a tokyo, le narcisse a lui aussi fleuri cette année.» Né en 1980, Kotori Kawashima est qualifié au Japon de « photographe romantique ». Il a fait de sa fille l’un de ses sujets favoris.

miKa Kitamura, (sans titre) «ici, à tokyo, nous n’avons pas beaucoup de place. Les maisons étant très petites, il faut mettre les plantes dans une véranda, derrière une baie vitrée, dans un coin ensoleillé entre deux fenêtres… mais là où on les voit le plus, c’est devant les maisons. Et qu’on en prenne soin ou pas, elles continuent de pousser. simplement. a leur mesure. Et c’est beau. C’est parmi les choses que j’aime le plus à tokyo.» Mika Kitamura est une jeune photographe née en 1982. Ses images cherchent des coins calmes, des lumières floues, des pièces sombres et vides. Mais aussi des arbres, des fleurs, des gens et des animaux, exposés à la lumière du flash.

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Ondes sensuelles. Il est l’un des plus grands danseurs vivants. Un hybride d’étoile classique et de danseur hip-hop, capable de tordre son corps avec une grâce aérienne. Pour “M”, le phénomène Lil Buck défie la gravité dans les rues de Brooklyn. Par Stéphanie Chayet/

Réalisation Aleksandra Woroniecka/Photos Glen Luchford

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C

’est une vidéo

prise avec un téléphone, l’image tremble un peu. On n’entend pas la blague que Yo-Yo Ma, violoncelliste de réputation internationale, lâche, avant de saisir, hilare, le bras du jeune homme en baskets à sa gauche. Puis le virtuose se met à jouer Le Cygne, du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, et les baskets du garçon à défier les lois de la physique, glissant tantôt sur le pavé comme dans le moonwalk de Michael Jackson, tantôt se dressant à la verticale comme les chaussons d’un danseur étoile. Sa souplesse est phénoménale: il fait des tours légers en appui sur le bord interne d’un pied, sa cheville soumise à une torsion terrifiante, puis gît en boule comme un yogi, sa casquette de base-ball coincée entre ses chaussures.Ainsi se termine La Mort du cygne, le ballet solo créé par Michel Fokine pour Anna Pavlova en 1905, quand il est dansé non par une ballerine russe en tutu mais par un Afro-Américain de Memphis qui fait ses pointes dans une paire de Nike. Filmées par le cinéaste Spike Jonze lors d’un raout de bienfaisance, en avril 2011, ces images ont été vues plus de 2,4 millions de fois sur YouTube, assurant au jeune inconnu une gloire instantanée. Depuis, Lil Buck a collaboré avec le chorégraphe Benjamin Millepied et le compositeur Philip Glass. Il a fait une tournée mondiale avec Madonna, dansé sur la Grande Muraille de Chine, et improvisé, au festival de Vail, un duo avec Tiler Peck, la vedette du New York City Ballet. Et c’est avec cette compagnie créée par Balanchine qu’il se produira fin avril sur la scène du Lincoln Center dans un ballet chorégraphié par l’artiste de rue parisien JR. Lil Buck, de son vrai nom Charles Riley, donne rendez-vous dans un restaurant végétarien de Manhattan. Lui qui a été élevé aux sardines en boîte (quand l’argent manquait) et aux Big Mac (quand il manquait un peu moins) a renoncé aux protéines animales pour retrouver la « légèreté » des jours où il dansait, le ventre vide, dans une rue piétonne de Santa Monica pour gagner son dîner. Il donne rendez-vous mais ne vient pas. Il avouera avoir oublié qu’il devait voir Madonna au même moment. « Elle insiste pour que j’habite chez elle pendant mon séjour à New York, mais c’est loin de tout », confie-t-il, le lendemain, en sortant d’une répétition au Lincoln Center où il nous a invités pour se faire pardonner.A l’hôtel particulier de la pop star, en plein Upper East Side bourgeois, il a préféré le loft de JR, à SoHo. « Il a une cabane dans laquelle je passe des heures à rêvasser. » Charles Riley est né à Chicago en 1988, mais c’est dans un quartier de South Memphis qu’il a grandi et appris à danser. Memphis est la capitale du blues, et c’est aussi celle du jookin. L’une des nombreuses variantes régionales du hip-hop. Cette danse ur-

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baine a vu le jour circa 1980 sur les pistes de patin à roulettes de la ville. Au départ, c’est une sorte de danse en ligne. On l’appelle gangsta walk et elle devient si populaire qu’elle est adoptée par les mères de famille. Un féroce esprit de compétition va la faire évoluer: les danseurs, qui se livrent d’homériques « batailles » arbitrées à l’applaudimètre, inventent des figures pour se distinguer. Rebaptisée jookin, elle acquiert ainsi sa grammaire actuelle. Ses caractéristiques sont le bounce, ou ressort (les danseurs font rebondir épaules et genoux en rythme comme s’ils dribblaient sur des charbons ardents), et d’extraordinaires jeux de pieds. Charles est initié au jookin à 12 ans par sa grande sœur dans le salon familial. Intrigué, il commence à fréquenter le Crystal Palace, une disco-roller des quartiers Sud. C’est là qu’il aperçoit, pour la première fois, un jooker surnommé Bobo. « Il glissait sur la moquette comme sur un coussin d’air, c’était magnifique. » Etre aussi bon que Bobo devient son idée fixe. Il danse partout, dans la rue, dans son garage. Il danse la nuit. « A la maison, je ne me déplaçais plus que sur les pointes, jusqu’à l’épuisement. » Il est vite remarqué par deux légendes locales du jookin, Daniel « DP » Price et Dr Rico. Ses mentors lui inventent un surnom, Lil Buck. Son quartier, Westwood, est le ghetto américain tel qu’on l’imagine, mais en pire : l’année dernière, six garçons de 10 ans ont été renvoyés de l’école primaire parce qu’ils étaient soupçonnés d’appartenir à un gang. « Un quartier pourri, résume-t-il. Les coups de feu faisaient partie de la vie. » Charles fraye avec des « voyous » qui respectent son don prodigieux pour la danse et l’entraînent dans leurs virées. Délinquance juvénile: « On bloquait une rue avec des cônes de chantier, et elle nous appartenait. Parfois, il y avait des bagarres de folie. » Un soir, dans les volutes de cannabis d’une voiture où il tue le temps avec des copains, il a un sursaut. « Je me suis dit: si tu continues comme ça, ta carrière est foutue. » Il décide de quitter Westwood et ses mauvaises fréquentations pour le quartier « un peu moins pourri » d’Orange Mound, où il est recueilli par la famille de son meilleur ami. A la même époque, la prof de hip-hop de son lycée, Terran Gary, lui présente une femme qui va changer sa technique. Ex-ballerine passionnée de justice sociale, Katie Smythe dirige au cœur de Memphis une petite école de ballet. Epatée par ce danseur instinctif – elle le compare à Noureev –, elle lui propose de suivre ses cours. Charles accepte à une condition : ne pas porter de collants. Elle se souvient de l’irruption de ce garçon « joyeux, agité, bruyant » dans l’univers feutré de la danse académique comme d’un « choc culturel » : « Les gosses comme Charles viennent de quartiers où c’est une activité honteuse, “un truc de gays”.» Mais elle l’encourage, lui décroche une bourse, paie ses taxis. « Il a fini par apprécier cette discipline quasi monastique. Je me souviens de soirs où je le voyais faire des saltos arrière, seul dans l’école déserte. » Et il découvre la musique classique. Un jour, alors qu’elle le conduit vers une école de l’Arkansas pour une démonstration, « miss Katie » lui propose de recréer

le ballet de Pavlova et Fokine. « Je lui ai fait écouter Le Cygne dans la voiture, une seule fois. Quand nous sommes arrivés, il a improvisé un solo magnifique. » La suite du conte de fées aurait-elle été possible avant YouTube? Filmée par l’archiviste de l’école, une vidéo de cette performance atterrit sur le Web, où elle végète jusqu’en 2010. Entre-temps, Lil Buck a décampé pour Los Angeles avec 20 dollars et la promesse d’être nourri et logé par un ami contre des cours de jookin. Il danse pour de l’argent sur la promenade de la 3e Rue, à Santa Monica, enseigne le foxtrot, décroche une pub pour Pepsi. Jusqu’au jour où un couple influent d’anciens danseurs étoiles – elle écrit pour Vanity Fair, il siège au Comité des arts et des lettres du président Obama – tombe sur la vidéo par hasard. « Hypnotisés », Heather Watts et Damian Woetzel ont l’idée de lui faire danser La Mort du cygne accompagné par Yo-Yo Ma. Il leur faudra des mois pour établir le contact. « J’ai dû lui expliquer qui était Yo-Yo Ma », se souvient Katie Smythe, qui joua les intermédiaires. Peu après, il est sur orbite. GrâCe à lui, on s’intéresse au jookin dans tout le pays, y compris au New York Times, dont le critique Alastair Macaulay écrivait récemment après un reportage à Memphis qu’il avait « vu danser l’Amérique ». « Le genre regorge de virtuoses, confirme Katie Smythe. Charles n’est pas une anomalie. » Alors, pourquoi est-il le premier dans l’histoire du hip-hop à être adopté par l’univers du ballet? « Parce qu’il ne fait pas un mouvement de trop, explique Heather Watts, qui le classe parmi les dix plus grands danseurs vivants. Je ne connais personne qui soit capable d’improviser à ce niveau. » Assis sur une chaise dont il ne cesse de bondir pour esquisser des pas, l’intéressé invoque sa « folle imagination » : « Je vois les sons, littéralement. Certains sont violets, certains sont bleus. Et mes muscles possèdent comme une mémoire de la musique, ils se souviennent de toutes les notes. » Pour Damian Woetzel, « son corps répond à des rythmes que d’autres n’entendent pas. Je n’ai jamais vu pareille musicalité ». Le succès ne l’a pas changé. « Il vient danser avec nous lorsqu’il est de passage à Memphis », rapporte Terran Gary, la prof de hip-hop des premières années. Malgré ses 31000 abonnés sur Instagram, ses blazers Givenchy et ses voyages en première classe, Lil Buck est resté fidèle aux jookers deWestwood,rapprochant deux mondes qui se méprisaient. « Maintenant, les gosses des quartiers qui font de la danse classique montrent la vidéo de La Mort du cygne pour éviter les brimades », raconte Katie Smythe. Dans l’autre camp aussi, le regard a changé. « Avant de le rencontrer, je voyais la danse de rue comme un hobby, pas comme un art », reconnaît Heather Watts. Aujourd’hui, c’est avec tristesse qu’elle se remémore les break-dancers qui tournaient sur la tête devant le Lincoln Center pendant ses années au New York City Ballet. Elle sur scène, eux sur l’esplanade – si proches, sans jamais se rencontrer.

Sur iPad, retrouvrez une vidéo exclusive. 12 avril 2014


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AVEC LIL BUCK @NOTIES MANAGEMENT MISE EN BEAUTé : JAI @JAIPRO RECORDS. VIDéO : HUBERT WORONIECKI WWW.HUBERT WORONIECKI.COM ASSISTANTE DE RéALISATION : ALINE DE BEAUCLAIRE. PRODUCTION : ART PARTNER. REMERCIEMENTS à BENJAMIN MILLEPIED.


La fabrique des rêves. Dans un atelier d’artiste, un homme et une femme laissent le temps s’étirer. Et jouent sur tous les registres de l’élégance décontractée. Stylisme Clare Richardson/Photos Lachlan Bailey


elle : soutien-gorge en coton, eres. culotte haute en satin et coton, what katie did. cardigan en cachemire, brora. lui : pull et pantalon en coton, zzegna. lunettes, thom browne.


ci-dessus : pull en coton et soie, gucci. col roulÊ en cachemire, brora. pantalon en lin, berluti. sleepers en cuir, acne. page de droite : trench en coton cirÊ, ermenegildo Zegna. pull en cachemire, hermès.



elle : soutien-gorge et culotte en coton, eres. lui : col roulĂŠ en cachemire, christopher fisher. pantalon en laine, burberry.



ci-dessus : chemise en coton et pantalon en lin, christophe lemaire. chaussures en cuir, brioni. page de droite, elle : pull en cachemire, repetto. soutien-gorge en coton, eres. jupe en coton, philosophy. lui : veste et pantalon en laine, polo ralph lauren. col roulĂŠ en cachemire, brora. derbys en cuir, brioni.



elle : pull en laine, topshop. lui : chemise en coton, christophe lemaire.




page de gauche : pull en cachemire, acne. culotte en coton, eres. ci-dessus : trench en laine et chemise en coton, carven. pantalon en laine, brioni. ceinture en cuir, versace. chaussures, apc. lunettes en acĂŠtate, prada.



cardigan en coton, de fursac. pull en cachemire, brioni. pantalon en lin, berluti.


ci-dessus : top et jupe en coton, jil sander. page de droite : manteau en coton cirĂŠ, balenciaga. chemise en lin et ĂŠcharpe en soie, berluti.


mannequins : andreea diaconnu @imG et elliot Vulliod @success. coiffure : rudi lewis @manaGement artists. maquillaGe : christelle cocquet @calliste. manucure : Brenda aBrial @Jed root. scĂŠnoGraphie : Vincent oliVieri @the maGnet aGency. assistants photo : Bec lorrimer, sam rock, camilo Germain. assistant stylisme : paul-simon dJite. assistant coiffure : oliVier henry. assistant maquillaGe : mayumi oda. diGi tech : nicholas fallet. production: manaGement artists.


Mocassins 180 en veau, J.M. Weston. Page de droite, sneakers camouflage kaki, talon en daim orange, Valentino.

132


le style.

E

n janvier dernier, pendant les défilés

masculins, une partie du public avait les yeux rivés au sol. Non par désœuvrement mais, au contraire, par intérêt pour les souliers des nouvelles collections. Les créateurs se sont emparés de cet accessoire sur un marché longtemps dominé par les bottiers de luxe d’un côté et les équipementiers sportifs de l’autre. Le vestiaire homme a-t-il trouvé sa nouvelle idole ? « C’est l’accessoire masculin numéro un, affirme Patricia Romatet, professeur et directrice d’études à l’Institut français de la mode. La cravate est un peu malmenée en ce moment, quant à la montre elle est devenue moins incontournable puisqu’il est possible de lire l’heure partout, notamment sur les téléphones portables. » Le succès des souliers se vérifie concrètement en boutique. « Ce marché est en plein essor et présente un véritable potentiel commercial, confirme Laurent Coulier, acheteur souliers au Bon Marché. Il est lié au développement de la mode masculine. Les hommes sont de moins en moins frileux, ils veulent prendre soin d’eux et s’intéressent aux tendances. Ce phénomène est soutenu par l’essor de la communication et de la presse consacrées à la mode pour les hommes. On remarque aussi l’arri-

Mâles aux pieds.

Fini le monopole de la montre. La chaussure est désormais l’accessoire numéro un du vestiaire masculin. Qualité du cuir, semelles cousues main, personnalisation… Pour séduire la clientèle, bottiers de luxe et marques de streetwear misent sur l’expertise. Par Carine Bizet/ Photos Jean-Baptiste Talbourdet vée de jeunes marques créatives comme Adieu, dont nous vendons les chaussures mixtes depuis trois saisons. » Plus discrètes qu’un vêtement et faciles à associer avec d’autres éléments, les chaussures symbolisent l’air de rien une mutation subtile dans le vestiaire masculin. « C’est une question de choix, d’expérimentation et d’expression, 12 avril 2014

assure Simon Holloway, talentueux créateur anglais qui dessine des collections pour la marque italienne Hogan. La place des souliers dans le dressing des hommes prend rapidement de l’importance à mesure que le marché se développe. Pour les baskets de luxe en particulier [Hogan a lancé ses premiers modèles dans les années 1980, ndlr], je pense que les hommes sont des collectionneurs et, même si leurs vêtements restent neutres, la chaussure devient un accessoire très important. Il s’agit de posséder une collection bien éditée qui incarne une certaine idée du cool et personnalise un costume, un jean, un look. » Moyen d’expression, symbole de liberté vestimentaire, les nouveaux souliers à succès peuvent prendre des formes très différentes, que Patricia Romatet rassemble en trois catégories. « Certains apprécient les marques de références, portent une attention particulière au savoir-faire, à la construction d’un soulier. C’est cet intérêt qui a permis la renaissance d’une marque classique comme Church’s. D’autres préfèrent les griffes qui flirtent à la fois avec le luxe et la culture street. Certains créateurs collaborent avec des marques de sport, d’autres, comme Lanvin, Valentino ou Pierre Hardy, développent leur propre ligne de baskets – une catégorie qui permet aussi de créer du lien avec un public jeune. Certains enfin traitent la chaussure comme un objet de design à part entière, une pièce dont ils choisissent soigneusement les couleurs, les volumes, pour la collectionner. » Un point commun réunit cependant les amateurs de John Lobb, Berluti ou J.M. Weston, les passionnés de sneakers en édition limitée rapportées du Japon, ou ceux qui osent la basket façon Lego cubiste de Raf Simons ou la bottine de guerrier hip-hop à la Rick Owens : l’expertise. A ne pas ••• - 133


le style.

tainement pas à elle seule. Et, malgré les innovations, cet aspect « mécanique » du cuir reste au cœur des critères de choix. « Les variations de formes et de proportions qui touchent les souliers féminins sont moins pertinentes pour les souliers masculins, raconte Simon Holloway. C’est donc davantage une affaire de détails subtils : la semelle, les coutures, les lacets, les mélanges de matières, les possibilités de personnalisation, etc. La différence se fait là. » Autre donnée importAnte dAns le rApport des hommes à leurs chAussures : l’entretien. «

De haut en bas, Richelieus Burwood, en cuir camel, Church’s. Chaussures en cuir, Adieu. Mocassins en cuir, Hogan.

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••• confondre avec un alibi pour masquer la « honte du modeux ». « Nos clients sont très attentifs au montage des souliers, à la fabrication, aux cuirs, poursuit Laurent Coulier. Pour eux, nous avons organisé récemment un événement avec un maître bottier venu de chez Crockett & Jones pour leur montrer comment on réalise une chaussure. L’horloger Juvenia était associé à cette rencontre pour expliquer les mécanismes intérieurs d’une montre. Les hommes qui aiment les montres aiment souvent aussi les chaussures, sont des connaisseurs de bons vins ou de grands whiskys ; tout cela participe d’un même art de vivre. » Sans faire de caricature, avec leur aspect très technique, les souliers ont tout pour plaire aux hommes. Pour satisfaire cette curiosité à distance, les sites Internet des grandes marques classiques comme John Lobb, J.M. Weston ou Church’s multiplient les vidéos qui mettent en scène les étapes de « construction » de ces accessoires, une épidémie que la mode actuelle de valorisation du travail d’atelier n’explique cer-

Ils ont une relation sur la durée avec leurs souliers qui ont valeur d’investissement », explique Patricia Romatet. Ce critère paraît d’autant plus important pour des chaussures classiques dont les heureux propriétaires disposent d’une batterie croissante de services : le département cireurs du Bon marché (qui fonctionne très bien), un atelier de restauration chez J.M. Weston dans la manufacture que la griffe possède à Limoges – où elles sont traitées avec autant de précaution que la porcelaine du cru –, l’entretien minutieux des patines de couleurs proposé chez Berluti… Avec leur petit côté collectionneurs obsessionnels, les hommes ne sont pourtant pas en train de devenir des femmes comme les autres. « Ils achètent toujours des chaussures selon des codes classiques : les chaussures “habillées” de style Oxford d’un côté et, de l’autre, des modèles plus sport venus du basket, du tennis ou du running, explique Simon Holloway. Dans ce répertoire, de nombreuses versions hybrides attisent les appétits d’achat, bien que les hommes conservent un penchant pour l’aspect pratique du soulier. Les femmes, elles, sont plus sensibles aux modes impraticables, aussi tentantes et périlleuses soientelles. » Une dichotomie qui tend à s’effacer car c’est au tour des femmes d’adopter des souliers plats de style androgyne. Derbies pour filles – parfois choisies dans les mêmes marques que les hommes – et baskets couture tendent à remplacer les plateaux vertigineux. Une certaine idée de l’égalité est en marche. 12 avril 2014


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Le style.

Le goût des autres Trous perdus.

Par Carine Bizet

P

ayer plus cher une pièce usée… Sur ce principe du « vécu », plusieurs générations de marchands de « vintage » (qu’il s’agisse de voitures ou de vêtements) ont rempli douillettement leurs comptes en banque. Le luxe n’a pas manqué de s’engouffrer dans cette foire aux vanités rentables. Après le tee-shirt mou à trous cédé au prix d’un week-end à Venise, voici venu le retour du « jean à trous », zombie textile que l’on croyait avoir enterré de manière définitive au crépuscule des années 1990. Grave erreur : la grande lessiveuse à idées de la mode vient de recracher cet objet douteux. Il faut dire que l’industrie du denim a fait des progrès louables en matière de traitement original de la toile. Inutile donc de s’improviser styliste-troueur prêt(e) à transformer un pantalon innocent en imitation d’emmenthal à coups de ciseaux et papier de verre. Oui, le résultat sera forcément décevant et, oui, c’est un métier de faire des trous dans des jeans (on rêverait d’ailleurs de voir comment le facétieux Trésor public qualifie cette profession). Cet exercice de

style barbare est précisément la raison qui justifie le prix élevé de la pièce savamment déchiquetée. Cette dernière existe en deux versions : slim pour les inconditionnelles du genre à la recherche de variété, et large pour les puristes cramponnées au grunge. Les deux options partagent un problème de peau : celle qui dépasse des orifices pratiqués le plus souvent au niveau des genoux – comme pour imiter le style des nourrissons en phase « quatre pattes » qui usent leurs culottes longues à ces endroits précis. Le jean à trous est le seul pantalon qui exige une épilation aussi irréprochable que celle requise par le port de la jupe courte. Personne n’a envie de s’asseoir à côté d’une fille qui exhibe des genoux de yéti à travers son jean – de créateur ou pas. Le modèle slim réserve une autre mauvaise surprise, relevant de la physique élémentaire : la chair comprimée dans ce pantalon seconde peau cherche fatalement à s’évader par les trous disséminés à sa surface. Résultat : des petits capitons grumeleux qui ressortent entre la cuisse et le tibia, évoquant irrésistiblement la

Knacki ball fourrée au fromage. Gustativement jouissif et décadent, mais en aucun cas sexy. L’option grunge qui tient du haillon (même dans les versions rebrodées de paillettes) est, quant à elle, sujette à interprétations malheureuses. Ainsi, il ne faudra pas s’étonner si une mamie au grand cœur vous glisse une pièce dans la main avec un regard de commisération : le chic est un concept,

hélas très relatif, et les subtilités de la mode échappent à la majorité des citoyens que l’on croise au quotidien. La preuve : le nombre inquiétant de compagnons mal dégrossis côté tendances qui jettent chaque jour un jean à trous aux ordures parce qu’il traînait et qu’il a été confondu avec un rebut. De quoi mettre le moral de sa propriétaire au fond du trou.

TêTe chercheuse

Neveu de Ralph Lauren, pape du chic à l’américaine, Greg Lauren (ci-contre) a décidé d’aller à l’encontre du style preppy de son oncle en créant des vêtements bruts, nerveux. Mais sa démarche va au-delà de ce raccourci simpliste. Greg Lauren est un artisan. L’ancien acteur et illustrateur de bande-dessinée prône une sorte de destruction créative, mariant le tissu d’une tente de l’armée française à de la soie lavée pour créer une veste (photo) ou moulant des plaques de fer récupérées ici et là directement sur les manches. Sur chaque pièce, œillets de métal, coutures grossières ou lourdes cordes sont laissés à la vue de tous, comme pour glorifier le grossier. A l’inverse, les tissus somptueux qu’il utilise se retrouvent souvent déchirés, troués ou froissés. Des vêtements qui interpellent mais font sens si on prend le temps de les comprendre. J. N. www.greglauren.com

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Illustration Johanna Goodman pour M Le magazine du Monde – 12 avril 2014

Greg Lauren. Joyce Kim

Greg Lauren, le neveu “destroy”.



Le marcel. à l’origine

Joe Strummer, Clash feutré.

Fervent opposant à la politique de Margaret thatcher, le chanteur du groupe anglais the Clash marque les années 1980 avec des tubes planétaires comme London Calling ou Rock The Casbah. Dans son vestiaire, on retrouve la panoplie légendaire du rockeur – perfecto, chemise noire et gomina – agrémentée de tee-shirts à messages militants et de quelques accessoires punk. Amateur de chapeaux, il savait aussi calmer le jeu d’un coup de feutre. L. B.-C. Stylisme F. Kh.

Le chapeau.

En feutre de lapin, Marie Marot, 220 €. www. mariemarot.com

La veste de costume.

Modèle Cost, en laine, Zadig & Voltaire, 435 €. www.zadig-etvoltaire.com

Le coLLier.

Dog Tag, en argent, Gucci, 290 €. www. guccitimeless.com

vu sur le net

Copie conforme.

entre la mode jetable et les vêtements intemporels du luxe, d’autres options se dessinent. Pour qui a trouvé sa chemise idéale, le site saint sens propose désormais un service baptisé « scanshirt » qui permet de la renouveler quand elle commence à fatiguer. le spécialiste du sur-mesure se charge de prendre celles du modèle en question. A partir du patron réalisé, l’internaute joue les stylistes et peut dupliquer sa chemise parmi une sélection de 200 tissus italiens. libre à lui de créer une copie à l’identique ou de modifier l’original avec 70 options de personnalisation (col, boutons, doublure...). Jessica Huynh Disponible en France et à l’étranger, à partir de 79 €. www.saintsens.com 138

Dans les années 1860, au cœur des Halles de Paris, chaque jour, des milliers d’hommes chargent et déchargent les marchandises, entre les étals exposés au vent glacial. Porter un épais pull-over pour se protéger entrave les mouvements. Un jour, un manutentionnaire arrive avec un pull en laine dont il a découpé les manches. Ses frères de labeur sont séduits. La nouvelle arrive à Marcel Eisenberg, propriétaire de la bonneterie Marcel, à Roanne. Fasciné, M. Eisenberg commence à produire en masse ce débardeur qui portera son prénom. Ouvriers, agriculteurs puis soldats s’en équipent. Dans les années 1950, les Français partent en vacances au soleil profitant des congés payés. Le débardeur passe au premier plan. Il est alors en coton, près du corps, et devient sexy grâce aux acteurs qui l’arborent, comme Marlon Brando dans Un tramway nommé Désir, Yves Montand dans Le Salaire de la peur (photo) et Robert De Niro dans Raging Bull.

à l’arrivée

Depuis, l’image du Marcel a bien changé. La raison en est simple : ce qui devait rester un sous-vêtement, un habit pour le travail d’extérieur et les vacances, s’est introduit dans le vestiaire de ville. Mais ses bretelles et son côté moulant passent mal dans la rue. Les créateurs ont donc récemment inventé des modèles plus décents. Chez Dolce & Gabbana, le débardeur est large et imprimé de motifs antiques, évoquant une tunique romaine. L’esthétique du sport revient souvent sur ce genre de pièce, c’est le cas chez Dries Van Noten où le marcel est floqué d’un numéro sur un fond fleuri, ou chez Salvatore Ferragamo (photo) où le chiffre 4 s’étale en largeur, dans un esprit graphique. Muscles joliment dessinés, hâle et confiance en soi restent recommandés. J. N.

Lebrecht/Leemage. Marie Marot. Gucci. Zadig et Voltaire. Saint Sens. Filmsonor/Vera Films/collection Christophel. Ferragamo

l’iCÔne


Le style.

Fétiche

Décompte suisse.

La mention « Swiss made » apposée à un mouvement horloger équivaut à un « made in italy » sous la semelle d’un soulier. Le dernier chronographe pour homme d’emporio Armani en joue habilement, affichant son pedigree sur un cadran anthracite auréolé d’une couronne avec cabochon en quartz brun fumé et muni d’un boîtier doré rosé. Son bracelet en alligator gris foncé devrait plaire aux hommes qui apprécient les chaussures cirées. Ca. R.

scénographie pascale theodoly

chronographe à quartz, boîtier en acier plaqué or rose, bracelet en alligator gris foncé, emporio armani, 1 195 €. www.armani.com

12 avril 2014 – photo audrey corregan et erik haberfeld pour m le magazine du monde. stylisme fiona Khalifa

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Le style.

VARIATIONs

Blanc d’essai.

Créée dans les années 1960 par Robert Haillet pour les joueurs de tennis, celle qui deviendra la « stan smith » chez Adidas ne s’est pas contentée de marquer le xxe siècle. Relancée en 2014 après trois ans de disparition, elle a acquis le statut dont jouissait la basket en toile Converse dans les années 1990 : celui de chaussure universelle et décontractée en toutes circonstances. De quoi inspirer les marques de mode qui lui rendent hommage en lui offrant des cousines (pas si) éloignées. L. B.-C.

scénographie pasacle theodoly

De haut en bas : esplar extra White en cuir tanné aux extraits D’acacia et caoutchouc sauvage D’amazonie, veja, 99 € chez centre commercial. WWW.centrecommercial.cc tennis en cuir District, Kenzo, 150 €. WWW.menlooK.com tennis en cuir, balenciaga 365 €. WWW.balenciaga.com tennis en cuir tressé et lisse, semelle en gomme, ami, 320 €. WWW.amiparis.fr

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photo audrey corregan et erik haberfeld pour m le magazine du monde. stylisme fiona Khalifa – 12 avril 2014


GRAINE DE BEAUTÉ

Un zeste de yuzu.

Il suffit de prononcer son nom pour évoquer le raffinement japonais. Démocratisé par les meilleurs restaurants nippons installés en France, le yuzu est un agrume traditionnellement utilisé pour aromatiser les poissons ou les desserts. Râpé, pressé, ce fruit de la taille d’un pamplemousse diffuse un parfum plus délicat, entre mandarine verte et bergamote de Calabre. Il inspire désormais les pâtissiers et les chocolatiers français, qui ne se privent pas de réinventer leurs classiques en le substituant au citron. Même les créateurs de parfums s’y sont mis, à l’instar d’Issey Miyake et son Eau d’Issey pour Homme déclinée en version « Yuzu » pour le printemps ou encore Roger & Gallet, qui en a glissé dans son Eau fraîche parfumée au thé vert. Mais, au Japon, l’agrume est aussi connu pour ses vertus cosmétiques et ses bienfaits sur la santé. « J’ai créé l’institut Yuzuka à Paris avec la masseuse Sayaka Nagatomo, qui vient d’une région au Japon où l’on cultive ce fruit, explique Tiphanie Buisson. C’est elle qui m’a appris que les Japonais utilisaient son écorce dans le bain pour activer la circulation sanguine ou dans des crèmes pour son effet antiseptique. » Shiseido concentre des extraits de pépins de yuzu dans sa ligne Ibuki pour « optimiser le renouvellement cellulaire ». Quant à la nouvelle marque bio Suilo, elle vient de lancer un gel douche au yuzu qui posséderait des propriétés énergisantes et purifiantes. De quoi inspirer d’autres acteurs de la beauté, qui ne devraient pas tarder à le décliner à leur tour. L. B.-C. Crème hydratante lissante Ibuki, Shiseido, 50 € les 50 ml. www.shiseido.fr Huile pour le corps au yuzu, Yuzuka, 45 € les 80 ml. www.yuzuka.fr Gel douche yuzu et cannelle, Suilo, 28 € les 250 ml. Sur le site www.ohmycream.com

lE THéoRèME

Nike x3

Riccardo Tisci fait planer Nike.

Depuis 2005, le directeur artistique de Givenchy impose sa « patte » dans la mode : un mélange de gothique, mûri dans l’ombre et l’encens des églises italiennes, de féminité triomphante – peu importe si elle est vénéneuse – et de fascination pour la culture américaine, plutôt version street. Suite logique de ce mélange des genres, Riccardo Tisci signe une collection capsule avec Nike en revisitant l’Air Force 1, une basket dont il est lui-même un adepte convaincu. Déclinées en quatre versions, habillées de bandes de couleurs graphiques, elles incarnent l’esprit sport couture qui règne au rayon souliers en ce moment. Ca. B. AF1+RT, modèle pour homme et femme, en blanc et bientôt en noir (début mai), à partir de 230 €. Tél.: 01-34-30-11-60. Illustration Janine Trott pour M Le magazine du Monde

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Le style.

HIGH-tECH

La foire du drone.

Petits, légers, équipés d’une caméra, ces engins volants séduisent de plus en plus de particuliers. Revue d’effectif.

A

près l’armée, l’agriculture, les médias, les agences immobilières ou les pompiers, les drones débarquent dans l’univers des loisirs. Ces petits engins ultralégers, dont les prix vont de quelques dizaines à un millier d’euros, peuvent aussi bien évoluer en pleine nature que dans un lieu clos. Surtout, ils sont capables de prendre photos et vidéos grâce à une caméra embarquée qui ne pèse parfois qu’une dizaine de grammes. La maniabilité et la qualité des images réalisées par ces petits quadricoptères ont conquis une population qui va bien au-delà des « early adopters » de joujoux technologiques. Simples amateurs mais aussi grands voyageurs ou randonneurs en quête de souvenirs pris sur le vif ont jeté leur dévolu sur ces engins vibrionnants. L’AR.

Drone 2.0 (299 euros) est le pionnier des drones de loisir. La société française Parrot, qui a lancé la première génération en 2010, a commercialisé plus de 500000 unités de ce modèle qui n’est pas le plus compact ni le plus léger mais le plus facile à piloter. On le commande à partir d’un smartphone ou d’une tablette dont l’écran transmet en direct et enregistre les images des deux caméras. L’AR.Drone peut s’immobiliser dans les airs, atterrir ou décoller par ses propres moyens et effectuer des pirouettes en vol. Stable, disposant d’une autonomie intéressante, le DJI Phantom (ci-dessous, de 360 à plus de 1000 euros) a été adopté par des amateurs confirmés et des utilisateurs professionnels. Ce modèle embarque une caméra de type GoPro pour des résultats parfois à couper le souffle. Ce qui ne doit pas faire oublier qu’utiliser un drone pour prendre des images n’est toléré qu’à condi-

tion de ne pas empiéter sur un espace privé et de ne pas survoler des lieux de passage. Plus accessible (110 euros), le Galaxy Visitor 2, de Nine Eagles, ressemble à un modèle réduit du Phantom. Ses vidéos, stockées sur une minuscule carte SD, sont d’une belle qualité mais, comme tous les petits quadricoptères made in China, le Galaxy Visitor ne peut voler, en raison de ses batteries, qu’une poignée de minutes. Plus faciles à prendre en main si l’on en croit le site Helicomicro.fr, le JXD 392 (39 euros) et le Hubsan X4HD (79 euros) évoluent à leur aise dans les périmètres les plus réduits. Le maniement des drones de loisir réclame une période d’apprentissage. Ces « aéromodèles » sont un peu fragiles et peuvent être capricieux. Mais à condition de savoir les piloter avec doigté, ils ramèneront des images qui racontent le monde vu d’en haut. Jean-Michel Normand Phantom de DJI, de 360 à 1 000 €.

dépendant

La batterie du Phantom de la marque DJI permet un temps de vol maximal de vingtcinq minutes. Et forcément moins lorsque la camera est activée ou en cas de turbulences.

intelligent

Une fonction « auto return » permet au Phantom, en cas de perte de contrôle, de revenir automatiquement à son point de départ.

fiable

curieux

Le GPS intégré assure la stabilité de l’appareil lors des prises de vue et permet de fixer une altitudeplafond.

DJI

Ce modèle n’est pas doté en série d’une caméra. Il peut en embarquer une – pas trop lourde – de typGoPro.

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12 avril 2014


Hackett London et Pierce Brosnan. Photographié par Terry O’Neill

HACKETT.COM/FR


Le style.

La chemise blanche

EN VITRINE…

L’aristo rock de The Kooples.

2.

D

epuis sa création en 2008, The Kooples fait descendre le costume dans la rue. Et s’associe au savoir-faire de Patrick Grant, l’un des tailleurs de la mythique rue londonienne Savile Row. Pour le vestiaire homme du printemps 2014, la marque s’inspire des années rockabilly ; Alexandre Elicha, l’un des trois frères fondateurs, commente ici trois pièces phares de la collection.

135 €

3.

Propos recueillis par Lisa Vignoli

1.

« Sur cette chemise, outre un col en nid-d’abeilles qui tranche avec la popeline de coton très légère, le détail qui fait la différence c’est cette barre de métal dont on ne voit que les deux petites boules qui dépassent du col quand une cravate est nouée par-dessus. C’est un détail très dandy anglais, un mélange qui pourrait résumer toute la collection : l’histoire d’un teddy boy qui rencontre un aristocrate anglais. »

La mini-veste

« Tous les deux mois, je passe un ou deux jours dans les ateliers de Patrick Grant à Savile Row. Là-bas, il y a des tailleurs très classiques qui officient depuis des décennies. Nos désirs et nos idées sont parfois des sacrilèges pour eux. Cette veste, qui a un côté très rock, aurait pu être encore plus courte. Avec eux, on a trouvé le juste équilibre. » 395 €

Le pantalon pied-de-poule

« Nous utilisons souvent des motifs classiques dans nos créations, pour mieux les détourner. Qu’il s’agisse d’un prince-degalles ou d’un pied-depoule assez discret et fondu comme ici, l’idée est de faire un léger pas de côté. Ce pantalon, taillé dans un tissu anglais assez fin pour l’été, est plus court que d’habitude, avec un revers. Et si l’on veut casser davantage cette ligne classique, on peut le porter sans chaussettes et avec des creepers aux détails western. » 185 €

ENCHÈRES

La dernière séance.

The Kooples x3. Millon

Que serait Emmanuelle sans son fauteuil en osier ou Orange mécanique sans la Ball Chair ? Locatema, spécialiste de la location d’accessoires et de mobilier pour le cinéma depuis cinquante ans, disperse une partie de sa collection aux enchères dans ses entrepôts de la Plaine Saint-Denis, à deux pas de la nouvelle Cité du cinéma de Luc Besson. Parmi les trésors exhumés, le lampadaire Linea de 1971, issu du décor de Mesrine, l’instinct de mort, avec Vincent Cassel, ou des fauteuils signés Warren Platner chez Knoll qui ont meublé Les Garçons et Guillaume, à table ! (photo) et Grace de Monaco d’Olivier Dahan. Mille cinq cents lots, dont certains ont marqué l’histoire du cinéma français, seront ainsi mis en vente les 15 et 16 avril… Mieux qu’une affiche. M. Go « 50 ans de mobilier, décors et objets d’art pour le cinéma », exposition les 11 et 12 avril, vente les 15 avril (Le classique) et 16 avril (Du 1900 au design). Locatema, 15-17, rue du Landy, Saint-Denis (93). www.millon-associes.com

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12 avril 2014


ÊTRE ET À VOIR

Ghislaine, Jean-François, Christian et Thierry.

Illustration Vahram Muratyan pour M Le magazine du Monde

Par Vahram Muratyan

Ghislaine Arabian, Jean-François Piège, Christian Constant et Thierry Marx, juges gourmands dans Top Chef sur M6.

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Le style.

ceci n’est pas…

un crayon.

La gastronomie, en constante ébullition, multiplie les « expériences sensorielles ». Au Purgatoire-54 Paradis, lieu consacré aux interactions entre art et cuisine, le chef Alain Cirelli et le designer culinaire Benoît Le Guein ont mis au point de nombreuses inventions. « Si le design culinaire est souvent très esthétique, il n’est pas toujours mangeable », regrette Alain Cirelli. A la faveur d’une exposition de la plasticienne Amélie Lengrand, le duo a développé des crayons comestibles. Mais pas question de les mâchonner au fond de la classe… pour les déguster, il faut les tailler : les copeaux assaisonnent les plats. L’idée était de « s’amuser à table. On a imaginé cet ensemble comme une piqûre de rappel de l’enfance », décrypte Alain Cirelli. Proposés dans un coffret avec taille-crayon, ces quatre cylindres colorés parfumés à l’encre de seiche, au piment, au vinaigre de cidre et au soja ravivent les papilles… et les souvenirs d’écoliers. M. Go

Purgatoire-54 Paradis

Les crayons du Purgatoire, 18 € Le kit de 4 crayons. Le-Purgatoire-Paris.fr ou 01-48-78-77-13.

146 -

12 avril 2014



le style. AUTO

La Cactus tombe à pic.

Avec cette citadine aux faux airs de SUV et pas trop chère, Citroën mise sur un marché inédit. Un pari risqué ?

P

rises en sandwich entre les firmes « premium » allemandes et les constructeurs « à bas coût » ou coréens, les marques françaises sont à la peine. La voiture de M. Tout-leMonde ne fait plus recette. Alors, pour sortir de l’impasse, Citroën a entrepris de se dédoubler. D’un côté les nouvelles DS, qui visent le haut de gamme, et de l’autre des modèles Citroën repensés selon une philosophie inédite. Des voitures bon marché, offrant l’essentiel question équipement mais bénéficiant d’un style original sans rien sacrifier à la sécurité. La C4 Cactus, dévoilée au Salon de l’automobile de Genève, incarne cette nouvelle orientation. Légèrement surélevée tel un SUV – véhicule mi-berline, mi 4 × 4 –, mais aussi habitable qu’un petit break, elle est d’un genre plutôt inédit. Sa carrosserie est lisse, sans effet de style

superflu (et coûteux) alors que son poids plume (965 kg) obtenu au prix de quelques sacrifices (les vitres arrière entrebâillantes, par exemple) lui permet de se contenter de moteurs relativement peu puissants (110 ch maximum) mais économes. D’où l’appellation Cactus, synonyme de frugalité, mais pas d’austérité. à l’extérieur, la silhouette épurée

lui donne une personnalité plutôt non conformiste, avec ses flancs et sa proue habillés de protections souples contre les agressions de la circulation urbaine. A l’intérieur, la fausse banquette avant (une pièce de mousse relie les deux sièges) adresse un léger clin d’œil à l’habitacle des DS et Ami 6 d’antan. La planche de bord archi-simplifiée et à la découpe très (trop ?) anguleuse créent une sensation d’espace. Commercialisée en juin à partir de 13 950 euros, un tarif plutôt agressif – mais qui correspond

épuRée. Contrairement à la plupart

au modèle d’entrée de gamme à la dotation quasi spartiate –, la Cactus se veut à peine plus chère qu’un petit modèle urbain ou qu’une voiture low cost tout en offrant des prestations plus avantageuses. Le pari, pour autant, n’est pas gagné d’avance. Le risque existe de ne pas baisser suffisamment le prix pour attirer les acheteurs de modèles low cost. Ou de dérouter la clientèle traditionnelle de la marque avec une voiture qui s’en tient à l’essentiel, et qui affiche des formes géométriques diversement appréciées. La Cactus de Citroën ouvre une voie dans laquelle aucun constructeur ne s’est vraiment avancé. La firme aux chevrons n’ignore pas qu’elle joue à quitte ou double mais elle sait aussi que, sur le marché automobile, toutes les réussites de ces dernières années ont été des paris à risque.

Jean-Michel Normand

minimale . Les vitres arrière s’ouvrent en compas. C’est moins pratique qu’une commande électrique mais cela permet d’alléger la voiture de 11 kg.

des modèles, la carrosserie est lisse et délibérément peu travaillée. D’où l’impression d’avoir sous les yeux un objet simple, facile à s’approprier.

amoRtie. Les « airbumps » installés

Rehaussée. Légèrement

sur les portes et les extrémités de la voiture sont des renforts souples qui, outre leur fonction protectrice, habillent le profil de la voiture et donnent du relief à la silhouette.

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Astuce Production

surélevée, la cabine installe les occupants audessus du trafic. Un peu à la manière d’un SUV.

12 avril 2014


CASDEN Banque Populaire - Société Anonyme Coopérative de Banque Populaire à capital variable. Siège social : 91 Cours des Roches - 77186 Noisiel. Siret n° 784 275 778 00842 - RCS Meaux. Immatriculation ORIAS n° 07 027 138 BPCE - Société anonyme à directoire et conseil de surveillance au capital de 155 742 320 €. Siège social : 50 avenue Pierre Mendès France - 75201 Paris Cedex 13. RCS PARIS n° 493 455 042. Immatriculation ORIAS n° 08 045 100 - Illustration : Killoffer.

Quand une banque tire sa force de l’esprit coopératif, elle s’appuie sur des valeurs de solidarité, d’écoute et de confiance. Créée par des

enseignants, la CASDEN s’engage ainsi auprès de plus d’un million de Sociétaires à réinvestir leur épargne dans le financement des projets de chacun. Rejoignez-nous sur

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L’offre CASDEN est disponible en Délégations Départementales et également dans le Réseau Banque Populaire.


Le style.

D’OÙ ÇA SORT?

Les détox pur jus. Apparues au milieu des années 2000, les cures à base de jus de fruits et de légumes tentent de s’imposer en France. Livrées à domicile, ces préparations promettent une remise à neuf en trois jours.

E

NCORE INCONNU IL Y A CINQ ANS, LE « JUI-

est en passe de se banaliser à Paris. Après Detox Delight, cinq nouvelles marques viennent de se lancer : Bo Jus, Nubio, Dietox, Bob’s Cold Press et Kitchendiet. Apparues dans les années 2000 à New York avec des labels comme Blue Print ou Organic Avenue, les cures de jus reprennent les principes ancestraux du jeûne saisonnier. Pendant une période d’un à cinq jours, on reçoit une série de jus frais à consommer en remplacement des repas habituels. Pas de pause-café. Pas de déjeuner à la cantine, ni de dîner entre amis. On ne peut s’alimenter qu’avec du jus de romarin et de kale,

150 -

CING »

de pomme et de curcuma ou encore de betterave et de poivron rouge. Premiers à se lancer en France, Adeline Grange et Maximilian Frank lancent en 2009 une franchise baptisée Detox Delight. « On est tous les deux végétariens, adeptes du jeûne ponctuel, raconte Adeline Grange. Paris nous semblait très en retard sur Londres, où l’on trouvait déjà des tas de bars à jus. On a donc décliné la marque allemande Detox Delight. » Ils proposent plusieurs cures, à base d’ingrédients bio, allant du programme « monolégume pressé » à des repas solides et crus. Et le succès est au rendez-vous : « En 2013, on a cru qu’on avait atteint un seuil déjà élevé. Pourtant, on continue à dépasser nos objectifs. » Comment expliquer un tel engouement ? « Les gens ne savent plus comment s’alimenter, ils manquent de temps pour faire les courses et manger bio exige de faire des détours. C’est très agréable de faire le plein de vitamines avec un programme déjà pensé pour soi », répond Adeline Grange. D’autant que les peurs alimentaires n’ont jamais été aussi fortes et qu’il y a un autre bénéfice à ne boire que des jus sur une période courte : la perte de poids. « Une cure de 12 avril 2014

Bo Jus. Nubio. Detox Delight. Dietox

La mode des jus de légumes et de fruits bio, livrés à domicile, arrive en France : du prêt-à-consommer alliant santé et simplicité d’utilisation, avantageux substitut au fast-food.


- Illustration : Killoffer.

Detox Delight, 299 € les 5 jours de cure. www.detox-delight.fr Dietox, 50 € la journée de jus pasteurisés. www.dietox.com Nubio, 64 € la journée. www.nubio.fr Bo Jus, 75 € la journée. bojus.fr Bob’s Cold Press, 50 € la journée. bobscoldpress.com Kitchendiet, 139 € les 5 jours. www.kitchendiet.fr

CASDEN Banque Populaire - Société Anonyme Coopérative de Banque Populaire à capital variable. Siège social : 91 Cours des Roches - 77186 Noisiel. Siret n° 784 275 778 00842 - RCS Meaux. Immatriculation ORIAS n° 07 027 138.

jus n’est pas faite pour mincir mais pour faire une pause, explique Claire Nouy, cofondatrice de Nubio. Sinon, on risque d’être déçu car on reprendra progressivement ce qu’on a perdu en retrouvant son alimentation habituelle. » Pourtant, certains nutritionnistes comme Valérie Espinasse recommandent ces cures pour accélérer la perte de poids. « Si on a un cadre précis, qu’on a commencé quelques jours avant à éliminer gluten, produits laitiers, sucre raffiné, graisses animales et qu’on poursuit en gardant une alimentation saine, alors on voit la différence. Mais ça n’a aucun intérêt si on est habitué à manger n’importe quoi », dit la nutritionniste. Pourtant, bon nombre de Parisiennes se servent de ces jus pour compenser leurs excès. « C’est un moyen détourné de faire un régime sans l’avouer, observe Alexandra Jubé, consultante pour le cabinet de tendances NellyRodi. On a l’impression qu’on va effacer l’ardoise burgers-pâtisseries tout en se sentant valorisé. Comme si on annonçait à son réseau sur Facebook et Instagram : continuez à manger n’importe quoi, moi, j’ai décidé de prendre soin de moi. » Ainsi, le mot « détox » se substitue progressivement au mot « restriction ». « Depuis une dizaine d’années, on ne parle plus de régime, explique le nutritionniste Jean-Philippe Zermati. On préfère dire : je mange équilibré, je fais attention, je suis en détox. Mais il s’agit toujours de contrôle alimentaire. Si on emploie ces cures pour maigrir, ça ne donnera rien de durable. Chez des personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire, cela risque d’entretenir les stratégies de compensation, voire de les aggraver. » Autant de raisons de bien réfléchir avant de se lancer dans une cure, souvent chère, de jus pressés. Lili Barbery-Coulon

« La transmission est avant tout un partage. J’apprends des autres autant que je leur transmets. » Avec Parlons Passion, la CASDEN invite les professionnels de l’éducation, de la recherche et de la culture à partager leur expérience et leur vocation. A travers des anecdotes surprenantes et attachantes, ils prennent la parole pour témoigner de leur passion pour leur métier et de leur engagement au quotidien. 42 portraits inédits pour cette nouvelle saison à découvrir du lundi au vendredi sur France 5 à 17h45 et sur France 3 à 22h30 et à revoir sur la Chaîne YouTube CASDEN.


Le style.

JP Géné Tiramisu in memoriam.

À

TRÉVISE,

VÉNÉTIE. Le Beccherie, un restaurant tenu depuis 1939 par la famille Campeol, a tiré définitivement son rideau, le 30 mars, victime d’une baisse dramatique de la clientèle. « Les hommes politiques, les businessmen et les gens ordinaires ont arrêté de venir », a déploré Carlo, le patron. Pas de quoi en faire un plat en période de crise, direz-vous, mais c’est ici que serait né, dans les années 1960, le tiramisu, dessert emblématique de l’Italie. « Avec la fermeture de Beccherie, c’est un pan de l’histoire de Trévise qui disparaît et une page de la

Carnet d’adresses Trouver du mascarpone à la coopérative Latte Cisternino, à Paris: 17, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, 5e. 37, rue Godot-de-Mauroy, 9e. 46, rue du Faubourg-Poissonnière, 10e. 108, rue Saint-Maur, 11e.

A lire ENCYCLOPÉDIE DE LA GASTRONOMIE ITALIENNE, de Mia Mangolini. Flammarion 464 p., 35 €. Tout sur la gastronomie italienne par une chef qui anime à Paris un atelier de cuisine, Cucina di Casa Mia. NADIA ET GIOVANNI SANTINI DANS VOTRE CUISINE, Flammarion, 288 p., 25 €. Les recettes de la famille Santini, du restaurant Dal Pescatore, près de Mantoue, le meilleur des troisétoiles italiens.

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culture gastronomique mondiale qui se tourne », a regretté Luca Zaia (Ligue du Nord), le gouverneur de la région en campagne depuis des années pour obtenir de Bruxelles une IGP (indication géographique protégée) pour le tiramisu et faire reconnaître Trévise comme son lieu d’origine. Or il y a débat. Selon la version « officielle », Roberto Linguanotto, dit «Loli», cuisinier de renom, arrive au Beccherie en 1970 et la signora Alba Campeol lui demande un dessert pour « les petits et les grands ». Il a alors l’idée de tremper des boudoirs dans du café noir, d’en disposer une couche dans un moule circulaire qu’il tapisse d’un appareil de jaunes d’œuf battus très blancs avec du sucre et mélangés au double de mascarpone, puis aux blancs battus en neige ; une autre couche de biscuits imbibés et une dernière de crème avant de saupoudrer de cacao amer. Le tiramisu était né, ainsi baptisé pour ses supposés vertus énergétiques qui « remontent » le bonhomme. A l’origine la liqueur de marsala n’y figure pas. Ce qui ne l’a pas empêché de faire le tour du monde et d’être mangé partout. A Tolmezzo, petite ville du FrioulVénétie Julienne, on ne partage pas cette vision de l’histoire.Adriano Rainis, conseiller municipal, a témoigné par écrit qu’il a mangé dès 1959 un tel dessert, préparé à l’Albergo Roma par une signora Delia Zamolo, qui tenait ellemême la recette de Norma Pielli, une vieille dame de 96 ans. Il en a fait part aux autorités. A Pieiris,

dans la même province, c’est Mario Coloso, chef de Il Vetturino qui serait à l’origine de cette gourmandise, selon sa fille Flavia. Dans les années 1940, il servait déjà une « Coppa Vetturino » avec un sabayon et du chocolat, dans laquelle le beurre a plus tard cédé la place au mascarpone pour le tiramisu. Sans oublier les légendes tenaces racontant qu’il serait né dans les bordels où, après le passant, les courtisanes aimaient se requinquer avec ce genre de sabayon. En attendant une décision de la justice, saisie de la dispute, il est en revanche établi que le tiramisu n’apparaît pas dans les livres de recettes avant les années 1960. NE BÉNÉFICIANT D’AUCUNE APPELLATION

il a désormais plus à craindre de son succès que de ces querelles de paternité. Le tiramisu est en effet entré dans la catégorie des plats émancipés, débarrassés de leur identité nationale ou régionale et inscrits d’office aux menus

PROTÉGÉE,

du monde entier comme la quiche ou la pizza.Avec les inévitables dérives par rapport à la recette originale. Dans la forme d’abord, circulaire au début et vite devenue rectangulaire, plus facile à découper et à servir. Dans le contenu surtout où l’on peut croiser moult liqueurs et alcools, des biscottes et des spéculoos, du Philadelphia cheese à la place du mascarpone et toute une kyrielle de fruits (fraises, ananas, myrtilles, raisins secs, etc.) qui n’ont rien à faire là. Le mieux est encore de le confectionner soi-même selon la recette de Beccherie, avec ces ingrédients pour 6 personnes : 6 œufs, 250 g de sucre en poudre, 500 g de mascarpone, 25 biscuits à la cuillère ou boudoirs, un peu de poudre de cacao. Le plus difficile étant de trouver du bon mascarpone (adresses ci-contre) et de garder ce tiramisu au minimum douze heures au réfrigérateur avant de le partager.

Le tiramisu est entré dans la catégorie des plats émancipés, débarrassés de leur identité et inscrits d’office aux menus du monde entier comme la quiche ou la pizza. Avec les inévitables dérives par rapport à la recette originale.

12 avril 2014

Cecilia Garroni Parisi pour M Le magazine du Monde

D

R A M E


Le resto

Un prosecco et puis s’en va.

Vieille connaissance que cette Enoteca qui a récemment changé de propriétaire, jadis repaire des camarades italiens exilés à Paris, et dont la cave était vite devenue une référence pour les vins de là-bas. Il y en a toujours 350 proposés. Vieilles pierres et poutres apparentes au rez-de-chaussée, salon cosy à l’étage, le cadre est chaleureux dans cette bâtisse du xviie siècle. Pour fêter ces retrouvailles, je me suis offert un verre de prosecco. Pas assez frais. Cédant une nouvelle fois au vitello tonnato (fines tranches de veau, sauce au thon et câpres, 13 €), je me suis retrouvé face à une viande marronnasse, posée sur trois pousses de roquette, avec une sauce beigeasse dans un coin. Un plat d’une absolue tristesse, dressé pour un enterrement, même si le goût était présent. Les gnocchetti, ragoût de bœuf, parfumé à la sarriette (16 €), étaient al dentissimo, c’est-à-dire pas assez cuits. Sauce correcte. Le tiramisu au café et Marsala (9€) est servi en bol, alors que c’est traditionnellement un gâteau – rond ou rectangulaire – découpé en portions. Honnête. Le meilleur du déjeuner fut le Nerojbleo 2009 de Gulfi (39 €), un rouge sicilien « organic », qui s’est fort bien entendu avec le ragoût et la sarriette. Service enjôleur. JPG L’Enoteca, 25, rue Charles-V, Paris 4e. Tél.: 01-42-78-91-44. www.enoteca.fr Formule à 14,50 € au déjeuner en semaine. Ouvert tous les jours.

banc d’essai

Le Duché d’Uzès blanc.

Assemblage de viognier, qui lui donne des notes exotiques, mais aussi de grenache blanc, roussanne et marsanne, l’appellation Duché d’Uzès présente ses premiers vins, puisqu’elle a été officiellement reconnue en 2012. Découverte !

Par Laure Gasparotto

Domaine Saint Firmin, cuvée ananDa 2013

Le bouqueté Avec sa robe pâle et son nez joliment fruité, voilà un vin « hirondelle » qui annonce le printemps, avec une légère touche exotique. Elégant.

Agence Pradês Com. DR x5

Tél.: 04-66-22-11-43. 5,60 €.

Domaine reynauD, cuvée arpège 2013

Le chic Très séduisant, ce vin aromatique n’en reste pas moins sur une belle fraîcheur longue et raffinée. C’est délicieusement gourmand. Tél.: 04-66-03-18-20. 5,60 €.

Domaine paScaLe et phiLippe nuSSwitz, cuvée orénia 2012

Le gastronomique Un vin intense, plein d’ambition qui lui réussit. On y trouve de la puissance, de la force, du nerf. L’ensemble s’impose en totale harmonie. Tél.: 06-20-88-64-55. 8 €.

LeS vigneS De L’arque 2013

Le direct Voilà qui est sans chichis. Un vin, non, ce n’est pas sorcier, et celui-là le démontre parfaitement. Du plaisir sain, car produit en conversion bio. Tél.: 04-66-22-37-71. 4,65 €.

vignobLe chabrier, cuvée La garrigue D’aureiLLac 2012

Le magistral Joli nez, marqué par l’élevage boisé, mais tout en élégance. La matière le supporte grâce à la fraîcheur qui l’emporte. Parfait tour de main. Tél.: 04-66-81-24-24. 7,45 €.

Pages réalisées par Caroline Rousseau avec Fiona Khalifa (stylisme). Et aussi Lili Barbery-Coulon, Carine Bizet, Laure Gasparotto, JP Géné, Marie Godfrain, Jessica Huynh, Vahram Muratyan, Julien Neuville, Jean-Michel Normand, Lisa Vignoli. 153


Le style.

Succomber au Péché Mignon

«C’est la pâtisserie incontournable pour qui veut acheter un gâteau d’anniversaire ou une galette des rois... Le chef confectionne aussi ses chocolats et sorbets. Il faut acheter ici une petite pâtisserie et aller la manger sur la place Garibaldi, qui a été refaite il y a deux ans de manière remarquable par le maire Christian Estrosi – comme quoi je n’ai rien contre lui.»

france

Le Nice de Joann Sfar.

Croiser un vampire au cimetière du Château

Difficile de trouver créateur plus touche-à-tout et plus prolixe que Joann Sfar, qui a signé début avril une version illustrée de La Promesse de l’aube, de romain Gary, aux éditions futuropolis. auteur de bandes dessinées, illustrateur, cinéaste, écrivain, le père du Chat du rabbin s’essaie désormais à la littérature jeunesse, avec un roman d’heroic fantasy pour enfants, Grandclapier (Gallimard). Il se déroule dans une cité imaginaire appelée nissa, que l’on peut comparer avec la ville où il est né en 1971, d’un père séfarade et d’une mère ashkénaze. Même s’il habite Paris depuis plus de vingt ans, Joann Sfar a pour passion dans la vie de parler de nice. Propos

recueillis par Frédéric Potet

«Situé sur la colline du château (détruit en 1706 sur ordre de Louis XIV), ce cimetière surplombe toute la ville. C’est un symbole du cosmopolitisme niçois: y sont enterrés de nombreux étrangers, des Russes et des Britanniques notamment. Le lieu est romantique à souhait. Les vampires qui traversent mes bandes dessinées viennent de cet endroit, je crois… C’est aussi dans ce cimetière qu’est enterré René Goscinny.» 154 -

Photos Olivier Monge/MYOP pour M Le magazine du Monde – 12 avril 2014


Manger typique à L’Oracio

«C’est un restaurant que personne ne connaît, qui ne figure dans aucun guide, mais où on mange d’excellents plats niçois revisités avec goût. Bon, c’est vrai, le patron est un copain. Il s’appelle Franck Muller et nous étions à l’école maternelle ensemble. Il est tout seul en cuisine et change son menu tous les jours. Vous ne serez pas déçu.»

Oser sauter depuis le plongeoir de la Réserve

«Bâti sur la mer, ce plongeoir est un ouvrage de béton très prisé des jeunes Niçois en mal de sensations fortes. Au xixe siècle, il y avait un bateau accosté juste à côté, qui faisait restaurant. Je connais bien l’endroit, car il est situé en face du club d’aviron que je fréquentais quand j’étais gamin. J’étais également inscrit dans un club d’arts martiaux, dans lequel on croisait aussi bien des petits Juifs que des petits Arabes, et même des petits skinheads.»

Pascal Bastien/Divergence

Avoir la révélation au Musée Chagall

«La première fois que j’ai mis les pieds dans un musée, c’était ici. Je devais être en CM1 ou CM2. Tous les écoliers de Nice viennent visiter ce lieu, rempli de toiles immenses et colorées devant lesquelles on reste sans compter. Ma passion pour les arts graphiques a été très clairement déclenchée dans cet endroit, où je me rends encore au moins une fois par an. Je ne m’ennuie jamais devant un tableau de Chagall.»

CARNET PRATIQUE 1/Le Péché Mignon 41, rue Bonaparte Tél. : 04-93-89-75-56 www.pechemignon-nice.com 2/Cimetière du Château allée FrançoisAragon Tél. : 04-93-85-68-10 3/Plongeoir de la Réserve

4/Restaurant L’Oracio 34, rue Bonaparte Tél.: 04-93-56-68-53 5/Musée national Marc-Chagall avenue du Docteur-Ménard Tél.: 04-93-53-87-20 www.museesnationaux-alpesma ritimes.fr/chagall

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Focus

l’art en bande organisée

Courtesy Harry Gamboa Jr et UCLA Chicano Studies Research Center

Plusieurs expositions et rétrospectives mettent en lumière le travail des collectifs d’artistes. Dépassement de l’ego, recherche d’une radicalité, émulation créative, portraits de ces groupes qui font, ou ont fait, œuvre commune. Par Roxana Azimi

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« Séparément, nous étions efficaces. Mais ensemble, on pouvait provoquer une réaction en chaîne », se souvient Harry Gamboa Jr à propos d’Asco, le groupe artistique militant qu’il a cofondé à Los Angeles dans les années 1970 (avec Patssi Valdez, Willie F. Herron III et Gronk). Ici, extrait d’une performance intitulée First Supper (After a Major Riot), 1974. 12 avril 2014

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Les travaux d’Asco (en haut) privilégient performances collectives et portraits. Dans le duo Pierre et Gilles (à droite), l’un s’occupe de la photo et des lumières, l’autre repeint à la main.

Ilya et Emilia Kabakov (ci-dessus, dans leur atelier de Long Island) s’empareront ensemble fin mai du Grand Palais, tandis que pour le tandem Dewar et Gicquel (page de droite) travailler ensemble a toujours été une évidence depuis leur rencontre, à l’école, en 1997.

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groupe subversif chicano, actif dans les années 1970 et 1980 à Los Angeles, s’est installé dans la Friche Belle-de-Mai, à Marseille, où sont exposées les photos séditieuses qui ont fait sa légende. Le monde en technicolor de Pierre et Gilles est lui à l’affiche à la galerie Templon à Paris. C’est aussi un couple, Ilya et Emilia Kabakov, qui va investir, fin mai, le Grand Palais, à Paris, pour l’opération « Monumenta », invitant chaque année un artiste à s’emparer de ce lieu. Qu’ils s’appellent Claire Fontaine, Ultralab, Slavs and Tatars, Superflex, ou qu’ils travaillent en duo comme Dewar et Gicquel, les membres de la jeune garde de l’art contemporain tournent le dos à l’idée d’auteur unique. L’œuvre à quatre mains ou à deux têtes n’est toutefois pas une nouveauté. Les exemples foisonnent, des dadas du cabaret Voltaire au début du xxe siècle aux « cadavres exquis » des surréalistes, jusqu’au Grand Méchoui des Malassis. « Le mythe de l’artiste romantique et solitaire du xixe siècle a perduré hypocritement au xxe, mais il cachait la réalité de l’artiste entrepreneur du xxie, observe Nicolas Ledoux, cofondateur d’Ultralab, un collectif porté sur l’art conceptuel. L’artiste contemporain est devenu un entrepreneur mais ne le dit pas, ou peu, et souvent même le dissimule. Nous travaillons en équipe, comme au cinéma, il est juste de le signaler et même de le revendiquer. » Certains groupes d’artistes portent un ferment contestataire. Asco s’est formé en 1972 dans la foulée des révoltes des immigrés latino-américains et de la fronde estudiantine de 1968 à Los Angeles. Il fallait alors résister aux discriminations, mais aussi au bourrage de crâne de la télévision hollywoodienne, prompte à dégoûter tout libre-penseur. C’est justement le mot « nausée » en espagnol que ces Chicanos 12 avril 2014

Aurelien Mole/Courtesy des artistes et UCLA Chicano Studies Research Center. Vincent Josse. Yuri Rost

L

es duos et collectifs d’artistes ont le vent en poupe. Asco,


La culture.

timide de La Roche-sur-Yon devenu photographe, c’est le coup de foudre en 1976, lors d’une soirée pour l’ouverture du magasin Kenzo, place des Victoires, à Paris. Couple dans la vie, ils feront aussi œuvre commune. Si Pierre était fasciné par la musique, les stars et le glamour, Gilles cultivait plutôt un côté bad boy provocateur. La répartition des tâches est claire : Gilles repeint à la main, Pierre s’occupe de la photo et des lumières. L’un parle beaucoup, l’autre peu. Chez Daniel Dewar et Grégory Gicquel aussi, l’un est plus taiseux que l’autre. Les deux lascars, qui produisent sculptures et tapisseries, cultivent l’idée du « fait main » et chahutent le bon goût. Ils ont toujours travaillé ensemble depuis leur rencontre, à l’école, en 1997. « Travailler seul ? On n’y a jamais pensé », reconnaît Daniel Dewar. Parfois une invitation ponctuelle scelle une collaboration durable. Quand Sarah Fauguet a répondu, en 2004, à l’invite de David Cousinard pour une exposition, elle ne se doutait pas que l’occasion ferait les larrons. Tous deux nourrissent un intérêt pour l’architecture et les changements d’échelle qui désarçonnent les spectateurs. Pour tous ces artistes, le fait de travailler en groupe présente d’énormes avantages : éviter la solitude, associer les compétences, se poser de nouvelles questions, partager les frais, et se dédoubler. « Dans un monde où il faut être visible partout à la fois, c’est une force indéniable », confie Sarah Fauguet.

Jennifer Westjohn

Le groupe donne de L’endurance, quand L’un fLanche, L’autre

ont choisi comme nom de guerre. « On a utilisé la technique de la guerre froide, nous emparer d’un mot qu’on utilise pour nous dénigrer, et le rendre à la mode », explique, regard de jais, Harry Gamboa Jr, cofondateur du mouvement. Bien que fédérées en groupe, les composantes ont chacune leur propre talent : l’un fait des dessins, l’autre crée des chapeaux surdimensionnés, un troisième réalise les flyers pour les happenings. « Séparément, nous étions efficaces. Mais ensemble, on pouvait provoquer une réaction en chaîne », souligne Harry Gamboa Jr. C’est la même veine insoumise qui anime Superflex, un collectif fondé à Copenhague par trois artistes activistes, avec une idée : dénoncer le pouvoir capitaliste. Une entreprise voisine de celle de Claire Fontaine, personnage fictif créé en 2004 par Fulvia Carnevale et James Thornhill, deux intellectuels nourris de la pensée de Deleuze et Guattari : dans un esprit de révolution permanente, Claire Fontaine traque les failles, excès ou ambiguïtés de nos systèmes. Le travail de Slavs and Tatars, formé en 2006 par la réunion de Kasia et Payam, se situe, lui, à mi-chemin entre politique et linguistique avec une constante : balayer les idées reçues sur l’islam et faire redécouvrir des territoires oubliés du Caucase et de l’Asie centrale par le biais de livres, conférences et objets d’inspiration pop. De son côté, Ultralab s’est d’abord attaqué au microcosme parisien de l’art contemporain, à qui il a envoyé, en 1999, de faux cartons d’invitation annonçant des expositions fictives. Longtemps, personne ne soupçonnera l’origine du canular jusqu’à ce que ses auteurs se dévoilent. Aujourd’hui, Nicolas Ledoux, d’Ultralab, aime toujours le travail de groupe, au point de s’être associé à l’artiste Damien Béguet pour un projet fou : racheter, avec son consentement, l’œuvre de Ludovic Chemarin, qui a cessé son activité en 2005. Les duos à succès relèvent de cette alchimie rare dans un couple, d’une osmose à la Montaigne et La Boétie. Entre Gilles, le peintre extraverti né au Havre, et Pierre, l’enfant

reLance La machine. « Travailler ensemble, quand on apprend à le faire – ce qui peut être plus ou moins compliqué –, c’est beaucoup plus excitant que travailler seul, poursuit le duo Fauguet-Cousinard. Il y a une vitesse propre à la collectivité, dans le processus de la pensée, qui fait paraître le travail individuel d’une lenteur insupportable. » Mais travailler à deux ne fait pas forcément gagner du temps. Il faut convaincre l’autre, « trouver un consensus autour d’un projet ou d’un objet en évitant les compromis », admet Sarah Fauguet. En d’autres termes, rabaisser son ego. Or, même dans les groupes de rock, il y a des leaders… et des putschs. Si un duo d’artistes fonctionne bien dans l’adversité, qu’en est-il face au succès ? « L’ego est un moteur, mais aussi un poison, une zone toxique, qui déconcentre, dévie, affaiblit la vision », assure Nicolas Ledoux. Pierre et Gilles bottent en touche : « On est un ego à deux têtes. » Pour le collectif Claire Fontaine, le « je » est un problème secondaire, tout comme la dilution du patronyme dans un nom d’emprunt : « Le besoin de s’affirmer individuellement aux dépens des autres cache des frustrations affectives, des incapacités à vivre, que la société encourage en poussant les gens à la réussite individuelle. » Pour la plupart de ces artistes collectifs, la réponse est claire : « Travailler seul ? Jamais, insiste Pierre. On a besoin l’un de l’autre. » Même son de cloche du côté de Dewar et Gicquel : « On a plus envie de travailler ensemble que d’arrêter. » C’est à cette envie, et à une distribution changeante des rôles, qu’on doit la longévité – vingt ans ! – du groupe Superflex. Les membres de Slavs and Tatars sont allés jusqu’à signer récemment un contrat leur interdisant de travailler en solo dans le champ de l’art. « On a préféré un contrat qui nous soude à un contrat qui nous protège, confie Payam, l’un des deux membres du groupe. Aucun de nous n’a envie de faire le travail de l’autre. » Et si le collectif était le stade ultime de la sagesse ? « ASCO And FRiendS », AU TRiAngLe, FRiChe BeLLe-de-MAi, 41, RUe JOBin, MARSeiLLe 3e. JUSqU’AU 6 JUiLLeT. WWW.LAFRiChe.ORg « PieRRe eT giLLeS, héROS », gALeRie dAnieL TeMPLOn, 30, RUe BeAUBOURg, PARiS 3e. JUSqU’AU 31 MAi. WWW.dAnieLTeMPLOn.COM – « CARTe BLAnChe à PieRRe eT giLLeS », gALeRie deS gOBeLinS, 42, AVenUe deS gOBeLinS, PARiS 13e. JUSqU’AU 27 SePTeMBRe. SUR FRAnCe inTeR, « L’ATeLieR » COnSACRe SOn éMiSSiOn AU dUO (SAMedi 12 AVRiL à 19 h 20). « MOnUMenTA 2014 : iLYA eT eMiLiA kABAkOV », gRAnd PALAiS, 3, AVenUe dU généRALeiSenhOWeR, PARiS 8e. dU 10 MAi AU 22 JUin.

159


La culture.

Brooklyn, 1939. Une jeune femme et son enfant ont fui l’incendie de leur immeuble.

L’œiL canaiLLe de Weegee C’est toujours un plaisir de retrouver Weegee, l’oiseau de nuit qui photographia les crimes et les règlements de comptes, les suicides et les bastons dans le New York des années 1930 et 1940. Son œil vif fait mouche, comme son humour noir: les lettres et les signes de la ville s’arrangent pour glisser dans l’image un clin d’œil macabre au macchabée qui vient de se faire refroidir. La galerie Le Bleu du ciel, à Lyon, a privilégié, dans la collection de Michel et Michèle Auer, les images qui montrent que Weegee, paparazzi et reporter, était aussi portraitiste – notamment avec une étonnante série de photos de prostituées, de malfrats ou de mafieux prises… dans le panier à salade. Cl. G. « WEEgEE thE FAmoUs. LA PhotogRAPhiE noiRE », à LA gALERiE LE BLEU DU ciEL, 12, RUE DEs FAntAsqUEs, Lyon 1er. téL. : 04-72-07-84-31. JUsqU’AU 21 JUin. WWW.LEBLEUDUciEL.nEt

160 -

12 avril 2014

Weegee, collection Auer Photo Fondation

Chambre noire


A vue d’œil

mémoire vive au rWanda

Un coin si tranquille… Les Rwandais disaient autrefois de Kibuye qu’elle était une « fantaisie des dieux ». Dans cette petite ville de l’ouest du pays bercée par le lac Kivu, 15 000 Tutsi ont été massacrés le 17 avril 1994. Vingt ans plus tard, l’ex-grand reporteur Patrick de Saint-Exupéry est retourné sur place pour retrouver des rescapés de l’époque et tenter de comprendre, avec le recul, l’une des pires tragédies de l’histoire : le génocide rwandais et ses 800 000 morts en trois mois. Aujourd’hui rédacteur en chef de la revue XXI, qu’il a cofondée – laquelle publie, chaque trimestre, une BD-reportage –, il s’est fait accompagner du dessinateur Hippolyte, spécialiste de l’aquarelle, une technique appropriée au travail de mémoire. Avec une économie de mots, mais pas d’émotion, « Saint-Ex » revient notamment sur le massacre de Bisesero, qu’il avait longuement raconté dans ses articles du Figaro et dans ses livres, et sur les incohérences fatales des soldats français lors de l’opération « Turquoise ». Un instituteur dit avoir tué ses propres élèves, le serveur d’un restaurant explique qu’il n’y a plus de poisson à la carte car tous les pêcheurs ont été massacrés, un militaire français s’effondre en larmes en se souvenant qu’il avait entraîné la garde présidentielle un an plus tôt… Du grand journalisme et de la bonne bande dessinée. F. P. La fantaisie des dieux. rWanda 1994, DE PAtRiCk DE sAint-ExUPéRy (sCénARio) Et HiPPoLytE (DEssin). LEs ARènEs, 96. P, 19,90 €.

4.

Réédition

Ed. Les arènes. DR

Le rock fLamboyant de rufus WainWright

Depuis ses débuts discographiques, en 1998, l’auteur-compositeur et pianiste canadien Rufus Wainwright enrichit ses mélodies d’une flamboyance contrastant avec l’austérité folk familiale (il est le fils de brillants spécialistes du genre, la regrettée Kate McGarrigle et Loudon Wainwright III). Capable de batifoler du rock glamoureux à l’opéra (il en a composé un, Prima Donna), des chansons de Judy Garland ou Edith Piaf à la mise en musique de sonnets de Shakespeare, sa voix de ténor évoque souvent son homosexualité avec romantisme, sincérité et autodérision. Pour ceux qui auraient échappé à cette foisonnante production, Vibrate condense en deux CD, un « best of » pertinent de mélodies audacieuses et arrangements exquis, piochant en particulier dans le diptyque constitué par Want One (2003) et Want Two (2004), sommets de cet enfant de la balle. Deux inédits – Chic and Pointless, Me and Liza – garnissent une compilation contenant aussi plusieurs reprises (Hallelujah et Chelsea Hotel N° 2, de Leonard Cohen ; Across The Universe, des Beatles ; Do It Again, de Gershwin ; La Complainte de la Butte, écrite par Jean Renoir…), et des morceaux en live témoignant que ce musicien singulier est aussi un performeur d’exception. S. D. Vibrate – the best of rufus WainWright, 2 CD UnivERsAL. En ConCERt : LE 23 AvRiL, à CAEn ; LE 24, AU PRintEmPs DE BoURgEs ; LE 25, à PARis, à LA gAité LyRiqUE (ComPLEt) ; LE 6 jUiLLEt, AU FEstivAL DAys oFF, sALLE PLEyEL, à PARis.


Plein écran

Pages de garde échec et mat

Eté 1972. En pleine guerre froide, l’Américain Bobby Fischer et le Russe Boris Spassky s’affrontent dans un gymnase de Reykjavik, à l’occasion du championnat du monde d’échecs. A quelques centaines de mètres de là, dans un cinéma de la capitale islandaise qui projette L’Homme sauvage, avec Gregory Peck, Ragnar, un jeune ado, est retrouvé poignardé. Il avait pour habitude d’enregistrer sur un magnétophone à cassettes les dialogues du film qu’il regardait. L’appareil a disparu. Seuls indices, une bouteille de rhum vide, un paquet de cigarettes soviétiques, une Ford Cortina bleue… Et pour suspects un clochard alcoolo, un présentateur de la météo à la télévision, une hôtesse de l’air et son amant pilote et un homme mystérieux en imperméable. La partie d’échecs et le meurtre de l’adolescent ont-ils un lien ? L’inspectrice Marion Briem se lance dans une enquête où il 162 -

apparaît très vite que derrière le fait divers se cache une affaire d’espionnage. Pour son douzième roman, Arnaldur Indridason, d’une écriture sèche et directe, réussit à entremêler, par d’habiles allers-retours entre présent et passé, la recherche d’un assassin, les souvenirs d’une enfance tuberculeuse, le récit d’un amour impossible et une tentative de déstabilisation entre Est et Ouest. Cela se lit d’une traite.

Y. P.

le dUel, d’arnaldur indridaSOn, TraduiT dE l’iSlandaiS Par ériC BOury. MéTailié nOir, 320 P., 19,50 €.

Après Il est plus facile pour un chameau… (2003) et Actrices (2007), Valeria Bruni Tedeschi poursuit dans la veine largement autobiographique. Soit donc ici Louise (après Federica et Marcelline, dans les précédents opus), 40 ans et des poussières, actrice reconnue qui cède aux avances du jeune Nathan (Louis Garrel). Alors que le château familial doit être vendu pour mauvaise gestion, cette dernière tente, encore une fois, de faire valoir son droit au bonheur dans cette famille décidément hors norme. Réjouissant voire jouissif, Un château en Italie est truffé de scènes d’anthologie – celle lors de laquelle elle se frictionne le ventre avec de l’eau bénite dans l’espoir de tomber enceinte résume assez bien le côté drôlement tragique du film. Une œuvre servie par de formidables acteurs, notamment Filippo Timi, le Mussolini de Marco Bellocchio (Vincere) et, évidemment, Valeria Bruni Tedeschi, génialement névrosée. E. G.

6.

Un châteaU en ItalIe, dE ValEria Bruni TEdESChi, aVEC lOuiS GarrEl (1 h 44). dVd FranCE TéléViSiOnS diSTriBuTiOn.

12 avril 2014

Guy Ferrandis/SBS Productions. Ed. Métailié

La vie de château


7.

3 questions à

Joël Pommerat

Le metteur en scène a formé de jeunes comédiens à l’occasion d’une pièce sur la jeunesse perdue de 14-18, “Une année sans été”, de Catherine Anne.

Le sujet de la pièce tient-il à l’âge des interprètes?

C’est un pur hasard. Par ailleurs, je n’ai pas choisi ce texte de Catherine Anne, même si je l’aime beaucoup. Ce sont les jeunes acteurs qui voulaient le monter et j’ai hérité du projet. Cette pièce pose en effet la question de la création, de l’apprentissage à la fois artistique et existentiel, car ces deux aspects viennent à se confondre. C’est une pièce sur la jeunesse, la naïveté.

Quelle forme a pris ce travail de transmission?

J’ai rencontré ces cinq jeunes comédiens au cours d’un atelier dans un conservatoire d’arrondissement à Paris. Comme je n’aime pas tellement le terme « formation », puisque, selon moi, le travail artistique n’est pas une profession au sens traditionnel, je dirais que je les ai accompagnés. J’ai tenté de leur transmettre un peu de l’expérience de ma compagnie, Louis Brouillard, avec trois de mes comédiens à leurs côtés.

Cici Olsson. Elizabeth Carecchio

Comment cette collaboration s’inscrit-elle dans votre travail?

Quand j’écris et que je mets en scène mes propres textes, je dis toujours aux acteurs de s’approprier la pièce, de devenir « propriétaires » de la parole. C’est le cas ici aussi mais ces acteurs, moins mûrs, m’ont permis de questionner les fondamentaux de ma pratique théâtrale et de mes conceptions. Même si, à cette occasion, je me suis fait directeur d’acteurs, je reste avant tout un auteur de théâtre. Me confronter à l’écriture, c’est cela qui me passionne. Propos recueillis par Clémentine Gallot Une année sans été, aux atEliErS BErthiEr, théâtrE dE l’OdéOn, 1, ruE andré-SuarES, PariS 17e. tél. : 01-44-85-40-40. À 20 h, juSqu’au 4 Mai, dE 6 À 30 €. www.thEatrE-OdEOn.Eu

163


La culture.

8. Bio express

Wim Vandekeybus

Depuis 1986, le chorégraphe et cinéaste flamand maintient un taux d’adrénaline au plus haut dans chacune de ses œuvres, avec vingt-huit spectacles à son actif.

1975. Wim Vandekeybus a 12 ans lorsque

son père, vétérinaire installé dans un petit village près d’Anvers, le réveille la nuit pour l’emmener dans les fermes. « Il était très grand, avec des mains énormes, et il avait besoin de mes petites mains pour accoucher les truies », raconte le chorégraphe, qui glissait ses bras à l’intérieur pour en ressortir « douze ou treize petits cochons ». Le lendemain de ces nuits fatigantes, le jeune Wim dormait à l’école sans confier « [s]on secret à personne, sauf à [s]es meilleurs copains ». Deux ans plus tard, ce sera au tour du petit frère de Wim – la famille compte trois garçons et trois filles – d’aider le père. Vandekeybus rêve alors de devenir vétérinaire.

1977. A l’insu de ses parents, Wim

Vandekeybus disparaît des journées entières dans la campagne avec une dizaine d’amis et sept poneys. « On galopait dans la campagne, c’était la liberté totale. » A la même époque, il apprend à tuer et à dépiauter les lapins. « J’ai découvert la force de la nature. Aujourd’hui, les enfants ne savent même plus d’où vient le lait », glisse le chorégraphe, qui va tourner un film, Galloping Mind, cet été en Hongrie, autour de ses souvenirs d’enfance.

1984. Après des études de psychologie,

Wim Vandekeybus se tourne vers la scène et collabore avec le Flamand Jan Fabre pour Le Pouvoir des folies théâtrales. Il décide de monter ses propres spectacles et part s’installer… à Madrid. « La fois où j’y ai joué la pièce de Fabre, les Madrilènes, furieux, avaient grimpé sur la scène en gueulant. C’est un peuple révolutionnaire qui l’ouvre et j’aime ça. » Il y fonde sa compagnie, Ultima Vez, avec le peintre mexicain Octavio Iturbe. Il y rencontre aussi sa première femme, la danseuse Charo Calvo, avec laquelle il a un fils, Fernando.

2009. Naissance de Iago, fils de Vandekeybus et de la danseuse Thi-Mai Nguyen. Ils choisissent le prénom en hommage à l’acteur Philip Seymour Hoffman (1967-2014), qu’il vit jouer Iago dans Othello, la pièce de Shakespeare mise en scène par Peter Sellars. « Evidemment, c’est un prénom avec une charge négative, mais mon fils, qui m’inspire toujours davantage, a toute sa vie pour en faire autre chose. » Iago a déjà tourné dans le film Monkey Sandwich, réalisé par son père et sélectionné en 2011 à la Mostra de Venise.

R. Bo.

Danny Willems

Booty Looting (2012), De Wim VanDekeybuS, au ThéâTRe De la Ville, place Du châTeleT, paRiS 4e. Tél. : 01-42-74-22-77. Du 14 au 25 aVRil, à 20 h 30. De 18 à 30 €. WWW.TheaTReDelaVille-paRiS.com

164 -

12 avril 2014


Vu sur le Net

Plus belle la série

Depuis leurs premiers pas sur le Net – en 2003 en France avec Potes7 –, les web-séries sont autant de laboratoires à expérimentations narratives. La saison 5 de Séries Mania, le festival du Forum des images, met à l’honneur ces « petites sœurs des séries ». Parmi la quinzaine de web-séries sélectionnées, projetées sur grand écran lors du festival et soumises au vote des internautes, l’espagnole « El gran dia de los feos » (photo), réalisée par Nabil Chabaan et David Tesouro, s’est déjà distinguée en novembre 2013, lors du 19e festival suisse Tous écrans, où elle a raflé le Reflet d’or de la meilleure série web. Dans une idiocratie futuriste – nous sommes en 2056 –, le peuple vit sous le joug d’un dictateur, Mijail Ier le Magnifique, qui impose des règles strictes de beauté que tous se doivent de respecter. Les références historiques transpirent sous le fond de teint des personnages « barbiesques » de cette web-série, à mille lieues de la futilité et de la superficialité. M. Du.

Sofia Royo

SéRieS Mania, au FoRuM DeS iMageS, PaRiS 1er, Du 22 au 30 avRil. WWW.FoRuMDeSiMageS.FR/leS-FilMS/leS-PRogRaMMeS/ SeRieS-Mania-SaiSon-5 Site oFFiciel D’« el gRan Dia De loS FeoS » : elgRanDiaDeloSFeoS.coM/ la-SeRie/


La culture.

Jeune pousse

XAvieR DoLAn BAT LA CAmpAgne

Tom à la ferme, De xavieR DolaN, aveC xavieR DolaN, PieRRe-yves CaRDiNal (1 H 42). soRTie le 16 avRil.

Et aussi…

10.

La PeRfoRMaNCe

Le festivaL

Le sPeCtaCLe

Le CoNCeRt

en sus de l’exposition « indiens des plaines » (jusqu’au 20 juillet) et des nombreuses activités prévues pour les enfants pendant les vacances de printemps, le Musée du quai Branly accueille un concert de a tribe Called Red, le 19 avril, à 19 heures. Natifs d’ottawa, ces 3 DJ d’origine ojibwa ont créé leur style, le pow wow-step : mélange de voix traditionnelles pow wow, de percussions et de musique électronique. E. G.

Dix ans que ce festival s’attache à démêler les liens qui unissent littérature et musique. Cette année, la Grande-Bretagne est à l’honneur : du 18 au 20 avril, Deauville accueille, entre autres, Michka assayas (photo) et tim Burgess, Jonathan Coe, et Louis Philippe, le critique musical Nik Cohn et la voix d’arnaud Cathrine. Ce rendezvous sur les planches promet de swinguer. E. G.

thierry Collet, « mentaliste » selon sa propre définition, n’hypnotise pas son public mais joue avec nos perceptions. Cet apôtre de la magie nouvelle, entouré de ses deux acolytes, Kurt Demey et Carmelo Cacciaton, livre une conférence bluffante sur les coulisses de ses tours de passe-passe. Un spectacle tout public, mis en scène par eric Didry, collaborateur de Claude Régy. C. Gt

Du 18 au 20 avRil à Deauville. www.livReseTmusiques.fR

les 11 eT 12 avRil, au CeNTRe CulTuRel le Dôme, 1, Rue Des DRoiTs-De-l’Homme, saiNT-avé (moRBiHaN). Tél. : 02-97-44-44-66. 20 H 45. De 12 à 16 €. www.saiNT-ave.fR

après deux merveilles – Two Dancers et Smother – restées trop confidentielles en france, les anglais de Wild Beasts reviennent défendre un quatrième album, Present Tense, où leur lyrisme sensuel laisse plus de place aux claviers et aux trames synthétiques. Comme si, après avoir puisé à la source des smiths, le groupe lorgnait aujourd’hui vers la pop progressive de David sylvian et the Blue Nile. S. D.

A Tribe Called Red

musée Du quai BRaNly, 37, quai BRaNly PaRis 7e. www.quaiBRaNly.fR

Livres & musiques

Qui-vive

eN TouRNée : auRay, laNDeRNeau, CaeN, foNTeNay-sous-Bois, saiNT-maximiN, GaP.

Wild Beasts

eN CoNCeRT le 13 avRil, à lille, à l’aéRoNef ; le 14 à PaRis, au TRaBeNDo, PaRC De la villeTTe, 211, aveNue JeaN-JauRès, 19e. Tél. : 01-42-06-05-52. 19 H 30. 23,10 €.

Pages réalisées par Emilie Grangeray, avec Roxana Azimi, Rosita Boisseau, Clémentine Gallot, Claire Guillot, Stéphane Davet, Marlène Duretz, Yann Plougastel et Frédéric Potet. 166 -

12 avril 2014

Clara Palardy. DR. Denis Rouvre. Nathaniel Baruch. Klaus Thymann

La précocité de Xavier Dolan n’a pas fini de le suivre comme une ombre. a 25 ans, le cinéaste québécois en est à son quatrième film et cumule les invitations sur la Croisette. Cet autodidacte cinéphile avait remué ciel et terre à 19 ans pour faire connaître son premier essai auto-produit, J’ai tué ma mère. Dans le dernier en date, Tom à la ferme, adapté d’une pièce du même nom, il campe le rôle principal, un jeune citadin déraciné. Le jeune homme se rend à l’enterrement de son compagnon, dont la famille installée à la campagne, ignore qu’il est gay. L’homophobie en milieu rural y est dépeinte avec des accents de thriller hitchcockien. en franc-tireur d’un nouveau cinéma canadien queer, Xavier Dolan continue, après Les Amours imaginaires, Laurence Anyways et un clip pour le groupe indochine, d’interroger sous toutes ses coutures la question du genre. Doté d’un ego à la taille de ses ambitions de styliste au panache pop et adepte du mélodrame flamboyant, il pousse le vice jusqu’à superviser les costumes des films qu’il écrit, réalise et produit. infatigable, il peaufine déjà le montage de son prochain long-métrage, Mommy. C. Gt


0123 et

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LE LIVRE

Dès jeudi 3 avril, le volume n ° 1 La Volupté du billabong d’Hervé Claude, illustré par Loustal

Une nouvelle inédite

tous les 15 jours en kiosque

1. 03/04 HERVÉ CLAUDE

LOUSTAL

La Volupté du billabong 2. 17/04 PHILIP LE ROY

GÖTTING

Cannibales 3. 30/04 DOMINIQUE SYLVAIN

JEAN-PHILIPPE PEYRAUD

La Mule du coach

4. 15/05 ROMAIN SLOCOMBE

JEAN-CLAUDE DENIS

Le Corbeau

5. 28/05 MARIN LEDUN

CHARLES BERBERIAN

Comme un crabe, de côté 6. 12/06 ANTHONY PASTOR

Le Cri de la fiancée

7. 26/06 MARCUS MALTE

ANDRÉ JUILLARD

Les Cow-boys

8. 10/07 MARC VILLARD

JEAN-CHRISTOPHE CHAUZY

Tango flamand

9. 24/07 FRANZ BARTELT

HONORÉ

Sur mes gardes 10. 07/08 DIDIER DAENINCKX

MAKO

Les Pigeons de Godewaersvelde

11. 21/08 JÉRÉMIE GUEZ

MILES HYMAN

La Veuve blanche 12. 04/09 JEAN-BERNARD POUY

FLORENCE CESTAC

La Capture du tigre par les oreilles

13. 18/09 SANDRINE COLLETTE

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Une brume si légère

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Les jeux.

Mots croisés 1

2

3

Sudoku

Grille No 134

Philippe Dupuis

No 134

difficile 4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

Compléter toute la grille avec des chiffres allant de 1 à 9. Chacun ne doit être utilisé qu’une seule fois par ligne, par colonne et par carré de neuf cases.

1 2 3 4 5 6 7

Solution de la grille précédente

8 9 10

Bridge

No 134

Fédération française de bridge

11 12 13 14 15

Horizontalement 1 Ne se rapprochera donc jamais. 2 Renvoie vers ceux qui viennent d’arriver. Se déplaçait. 3 Maudit.Trop souvent irrespirable. Négation. 4 Métal léger et allégé. Belle de Vénétie détruite par les Huns. 5 Ne comptez pas trop sur son aide. Cours d’Allemagne. 6 La maman d’Horus. Rejetées en bloc. Affluent du Rhin. 7 Donne de beaux cierges. Fait courir les vélos et les chevaux. 8 Mordue. Permet de prendre un peu de hauteur. 9 Enzyme. Forme de pouvoir. Evite bien des blocages. L’étain. 10 Comme un déchet à la fonderie. Est tenu. 11 Structure d’entreprise. Personnel. Agent de la circulation. 12 Toujours difficile à essuyer. Sur la portée. Grande lame bien droite. 13 Bien plus fertiles une fois cassées.Amateur de son. Démonstratif. 14 Brutalement descendus. Elle assure en première ligne. 15 Grande ouverture sur le monde. Verticalement 1 Vous laissera sur votre faim. 2 Regardent la situation en face. Libèrent même s’ils condamnent. 3 Sans noblesse ni particules. Henri y retrouvait la belle Diane. 4 Fabrique de cadres.Aîné amateur de lentilles. Déplacement animal involontaire. 5 Fit le siège. Redonne du lustre. 6 Sorti du lot. Sans la moindre fantaisie. Cité mésopotamienne. Soutien provisoire. 7 Tête de navet. Bloque force et mouvements. Libère force et mouvements. 8 Extrêmement fatiguées. Faire perdre du temps. 9 Sensible au toucher. Impose le silence. En arrière. 10 Dans la bourse du Géorgien. Coup de froid au dessert. Paresseux. 11 Personnel. Pan dans la jupe. Ferme au Sud. Fit un essai. 12 Cousin germain. Grand espace et grand vide. 13 Morceau de bavette. Prophète biblique. Met fin au combat. Doublé romain. 14 Fournisseur pour artistes. Cours primaire. Souffle sur le Sahara. 15 Fait dépérir les plantes. Belle normande.

Solution de la grille no 133

Horizontalement 1 Bidons.Tirelire. 2 Erosion. Lévites. 3 Crus. Ioulais. Dt. 4 Sexeuses. Raseur. 5 DS. Li. Ecmnésie. 6 Eole. OM. Hé. Etre. 7 Platonicien. Ras. 8 Eusse. Lac. Aras. 9 Réa. Imitation. 10 Gélatine. Di. 11 Orna. Cémenteras. 12 Queuta. Isère. Me. 13 Uns.Aden. Ui. ONU. 14 Ee. Glapissantes. 15 Tsunami. Bélière. Verticalement 1 Becs-de-perroquet. 2 Irrésolue. Runes. 3 Doux. Lasagnes. 4 Osselets. Eau. Gn. 5 Ni. Ui. Œil.Tala. 6 Sois. On. Macadam. 7 Noé. Milite. Epi. 8 Use. Catimini. 9 Ill. Chicanes. Sb. 10 Réarmée.Teneuse. 11 Evian. Nai. Trial. 12 Lissée. Rodée. Ni. 13 It. Estran. Oté. 14 Réduiras. Damner. 15 Estrées. Diseuse.

168 -

12 avril 2014


NOUVEAU

Télé rama l Télé le 31 ma ance rama rs, Enfa son men nouve nts, a suel grat u uit

Lire, voir, écouter, sortir, jouer… une sélection culturelle pour les enfants de 4 à 12 ans

ns x a d u e l ib 0 lie ce n po e 40 ran .fr s i D s d e-F ma plu Ile-delera en ur T s et


Le totem.

Le lapin de Jean Hatzfeld.

J’ai vu suffisamment de westerns pour connaître le pouvoir de la patte de lapin, mais je trouve cela un peu morbide. Un jour, une amie m’a offert ce petit lapin pour me porter chance. Je n’étais pas très superstitieux à l’époque mais je me suis aperçu que la superstition était comme la religion. Il suffit de s’y mettre et ça vient. Elle me l’a donné en 1982, avant mon départ pour le Liban. Je l’ai emporté avec moi sans trop y croire. Au départ, on se dit que ça ne sert à rien mais que ça lui fait plaisir. Ensuite, on est dans le doute mais, pourquoi pas, puisque ça a marché plusieurs fois, autant continuer. Finalement, on est capable de faire demi-tour sur le chemin de l’aéro-

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port si on l’a oublié. J’ai une check-list pour mes voyages : passeport, billets d’avion, accréditations, argent, carte de crédit, carte de presse, vaccins, photos et lapin, bien sûr ! Il m’accompagne lorsque je vais dans des pays un peu compliqués. Il voyage dans une paire de chaussures ou dans ma trousse de toilette. Il est allé au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique, partout. Il a vu la chute du mur de Berlin et celle de Ceaucescu. Comme je suis gentil, parfois, je le fais voyager dans des endroits plus « cool » : New York, Los Angeles, Venise… Il n’y a pas de raison qu’il ne profite pas des endroits plus agréables. Cela dit, il ne se plaint jamais. En trente ans, il ne s’est pas abîmé. Quand nous ne sommes pas en voyage, il est accroché à ma lampe de travail. Comme je ne veux pas l’exténuer, il n’a comme fonction que de me protéger dans les endroits un peu bousculés. Je ne lui demande pas de me porter chance quand je joue aux courses ou quand je fais une émission de télé. C’est un voyageur. Deux ou trois fois, j’ai eu un peu peur. Mon sac a été cambriolé. Je me suis aperçu que la première chose que je vérifiais était la présence de mon lapin. Je touche du bois, il n’a jamais été kidnappé.

Propos recueillis par Jérôme Badie

A lire

Englebert des collines, Gallimard, 112 p., 11,90 €. Triptyque du génocide rwandais : Récits des marais rwandais, Le Seuil, 704 p., 25 €.

Jérôme Badie

Jean Hatzfeld a eu plusieurs vies. Cocréateur dans les années 1970 du service des sports de Libération, il devient correspondant de guerre au Liban puis couvre le conflit en Yougoslavie. Il en tire son premier livre : L’Air de la guerre. Le génocide rwandais finit de le transformer en écrivain. Jean Hatzfeld lui consacre quatre livres. Dans le dernier, il raconte l’histoire d’Englebert, rescapé fantasque et érudit. Il dévoile le secret qui veille sur ses pérégrinations risquées : son petit lapin porte-bonheur.

12 avril 2014


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