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••• Il y a six ans, à peine élue et totalement débordée par sa vic-

toire à Montreuil, Dominique Voynet remettait à plus tard ce qui n’était pas urgent d’un : « Je déstalinise et je t’appelle ! » Aujourd’hui, elle ouvre la fenêtre de son bureau, contemple les chantiers finissant du centre-ville, et constate : « On l’a fait ». C’est sa réponse à ceux qui dénonçaient par avance l’amateurisme des Verts, doublé de celui d’une femme. Elle dit aussi: « Je ne me plains pas, j’ai adoré. » Il y a dans la ville des choses qui portent la marque de sa culture et de ses convictions: le camp de Roms si insalubre à son arrivée dans le bas Montreuil transformé en « village » à base de conteneurs, le squat africain devenu propriété de ses habitants par un financement solidaire, trois écoles neuves – « L’une en paille, l’autre en bois, et la dernière en terre cuite, non ce n’est pas qu’un conte pour enfants » –, ou encore un système d’attribution des logements et de places en crèches plus transparent, qui lui permet d’être crue lorsque, dans sa lettre de départ, elle écrit: « Je refuse de partir en campagne en promettant logements et jobs “à la mairie” à tour de bras comme le font certains de mes adversaires depuis des mois. »

elle va au cinéma, elle ne veut pas qu’on lui parle de la collecte des ordures ménagères et elle le dit, elle est assez cash », la défend Cécile Duflot. Lorsqu’une association de commerçants allait la voir pour se plaindre de la réduction des places de parking, Dominique Voynet répondait, raide, « la voiture, c’est pas l’avenir ». Et quand elle affronta le directeur du Méliès, le cinéma d’Art et d’Essai local en plein processus d’agrandissement, elle se heurta au vaste réseau culturel parisien qui pétitionna dans Libération sur le mode « avec Voynet, la guerre est déclarée ».

« elle s’est trompée d’angle sur ce que c’est d’être maire. Ce qui ne lui retire rien. Elle a été d’une absolue sincérité », explique JeanMarie Ozanne, patron de la librairie Folies d’encre, installé à Montreuil depuis plus de trente ans. Elle lui avait demandé d’être sur sa liste, lorsqu’elle s’est présentée, il y a six ans. Il avait décliné, lassé de l’arène militante qu’il avait beaucoup fréquentée, lui expliquant que les livres aussi, c’était politique. Elle avait râlé: « Ne vous étonnez pas après qu’il n’y ait que des fonctionnaires et des apparatchiks en politique. » Là où l’élu local arrondit les angles, elle ne savait pas faire. Et pouvait répondre à l’attaque en étant la plus violente. Ce qui n’est pas forcément habile en milieu hostile. Le député socialiste Razzy Hammadi, qui aimerait lui ravir la mairie en mars, appuie là où ça fait mal: « Elle a dû se blinder au point d’en perdre sa sensibilité. Elle a un caractère difficilement acceptable, elle est capable d’employer des mots qui blessent sans s’en rendre compte. Elle multiplie les réflexions désobligeantes vis-à-vis des électeurs. On ne peut pas être aimé des gens si on ne leur montre pas un peu qu’on les aime. » Des constats comme celui-là on en entend aussi chez les Verts, et depuis longtemps. Face aux ontreuil, « ville accusations de brutalité, Dominique Voynet dresse d’elle un du plus beau et étrange autoportrait : « Je n’aime pas les conflits. Je ne suis pas du plus dur de colérique. Au fond, je suis réservée et timide et de temps en temps ça la société fran- sort. Si j’ai une bouffée de dégoût, je peux être désagréable. » Elle a çaise », comme le défaut de ceux qui s’emportent et puis oublient. elle dit, a été pendant six ans la Eût-elle été la plus conciliante des femmes, le scénario n’aurait scène d’une écologiste « sans pro- pas changé. Les grands partis voulaient reprendre Montreuil. tecteur ni parrain, sans grand parti Une histoire qui rappelle de mauvais souvenirs à Marie-Chrissur lequel s’appuyer, sans la majorité tine Blandin, aujourd’hui sénatrice Verte du Nord-Pas-de-Caculturelle dans la population ». Lu- lais. En 1992, elle et ses copains écolo avaient créé la surprise cide, elle ajoute : « Ils m’ont élue en prenant la présidence de la région Nord-Pas-de-Calais où parce qu’ils étaient las de Brard et de les socialistes ne parvenaient pas à faire de majorité. « J’ai la mainmise du PC depuis soixante- connu ce qu’a vécu Dominique, une majorité de gauche revanquinze ans sur la ville. Ils n’étaient charde qui n’a pas digéré d’avoir perdu le contrôle de ce qu’elle pas intimement persuadés de la néces- croit lui appartenir, et des salariés orphelins qui attendent le retour sité du projet écolo. » Là, elle s’est de papa en embuscade. La fin n’est pas la même : moi, je me suis frottée aux lois de la politique, aux représentée et je me suis fracassée, mais ça ne m’a pas trop abîmée, autres et à elle-même.Très vite, son je ne m’étais pas incarnée dans ce rôle. Une défaite aurait été plus équipe municipale explose. Des dure à encaisser pour Dominique. Et ne pas se représenter lui perconseillers rejoignent l’opposition, des collaborateurs claquent la met de dire des choses, ce que moi je n’ai pas osé alors : que pour porte. Ses adversaires y voient la conséquence de son mauvais avancer en politique, il faut faire ce qui est contraire à notre idéal, caractère. Elle prétexte qu’elle était mal entourée : « Il y avait cumuler, faire des deals et du clientélisme. » D’aucuns rappellent une vraie fragilité dans cette équipe. Qui voulait partir avec une que Dominique Voynet ne jette pas l’éponge pour la première nana qui avait fait 1 % à la présidentielle ? » Elle avait connu la fois. Déjà, lassée par des échecs électoraux successifs, elle avait pression ministérielle, ce n’était rien à côté de celle que subit un quitté Dole en 2002 pour la région parisienne. maire, affirme-t-elle. « Jamais je ne quitte mon bureau en me di- Après la médecine, après la politique, il lui reste à s’inventer sant “ c’est fini ”. Ce n’est jamais fini. On n’en fait jamais assez une nouvelle vie. Pour se conformer aux règles internes des pour répondre à l’appétit goulu des habitants. » Elle supporte mal Verts sur le non-cumul, elle avait renoncé à son confortable la disponibilité permanente qu’il faut offrir aux électeurs même siège de sénatrice et se retrouvera en mars sans mandat. Les aux heures où l’on va chercher son pain. « Les gens aiment leur amitiés jospiniennes devraient lui offrir une porte de sortie. maire de façon cannibale, ils sont dévorants, jour et nuit. Dans la Elle pourrait être nommée à l’Inspection générale des affaires rue, n’importe qui peut faire irruption, vous dire “Vous, les poli- sociales (IGAS). A moins que… « Je n’ai pas complètement tourtiques, vous êtes tous nuls, tous corrompus.” Et l’instant d’après, né le dos à la politique, confie-t-elle. Si dans deux ou trois ans, un autre exige sa place en crèche. Tout ça ne se supporte que parce j’ai à nouveau de l’énergie pour ça, j’y retourne. » que l’on voit aussi des gens pour lesquels on peut être décisif. » Ses partisans comprennent. « Elle est franche. Si elle est agacée, elle le montre, alors que beaucoup d’autres politiques le cachent. Quand

“Je refuse de partir en campagne en promettant logements et jobs à la mairie à tour de bras, comme le font mes adversaires.”

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